In/carnations po/étiques. À propos du vestige et du désastre.
Professeur

(Universidad Autonoma Metropolitana de Mexico - Departamento de Humanidades)

Dans ce texte, je traite de l'émergence du sang comme mimétisme de la perte, dans un contexte nécropolitique, mais aussi comme une imprégnation spectrale de l'absence à travers des actions artistiques. 

La présence du sang a impliqué des stratégies métaphoriques en tant que figures de ressemblance avec des scènes de violence. Elle a également fait du sang lui-même un flux abject, impliquant des stratégies métonymiques. Considérant les élaborations théoriques de Didi-Huberman, je mène une réflexion sur le lien créatif entre l'incarnation et le saignement à travers l'effet du rouge cinabre. J’analyse les actions des artistes Ricardo Wiesse, Rosa María Robles et Teresa Margolles. Au-delà des scénarios de l'art, je cherche à penser ce qui est peint, et ce qui est bouleversé dans les scènes abjectes colorées par la catastrophe des corps désincarnés.

Je commence par une question qui jaillit de l'impossibilité de séparer notre pensée et notre écriture des conditions dans lesquelles elles se produisent, c’est-à-dire des circonstances précises qui rassemblent les sujets et les problèmes que nous avons décidé d'aborder. Quels liens sinistres rapprochent le travail de la recherche académique de celui des familles qui cherchent et creusent la terre pour retrouver leurs proches ? Les deux tâches supposent, compte-tenu des circonstances, d'enquêter dans l'ombre. Les deux tâches impliquent des opérations d'exhumation. Mais l'exhumation n'est pas une opération de la lumière, c'est regarder dans les ténèbres pour essayer d'entrevoir ce qui émerge des restes. C'est une rencontre fantomatique.

Walter Benjamin fait une analogie claire entre la recherche et l'excavation, entre la terre et la mémoire en tant que territoires de la vie. Ainsi, creuser la terre et déterrer sont des façons de se souvenir, soulevant des couches de nos circonstances de vie. On creuse pour trouver des objets, des vestiges des conditions de vie, pour arracher des images au temps. Au Mexique, « creuser » veut dire « déterrer ». Et c'est aussi « exhumer » pour pouvoir « enterrer ». Mais on ne trouve pas toujours ce qui est recherché. Au Mexique, les membres des familles qui se sont donné la tâche de chercher par eux-mêmes, savent qu'ils ne trouvent pas précisément leurs proches, que le but est de donner un peu de paix à une famille quand ils trouvent des restes1. « Creuser » ce n'est pas toujours « déterrer », ni « exhumer ». Parfois, c'est tout juste imaginer la possibilité d'une vie dispersée sur les lieux de la recherche.

Les familles à la recherche de corps après la création de « Los otros desaparecidos de Iguala», à Guerrero
Les familles à la recherche de corps après la création de « Los otros desaparecidos de Iguala », à Guerrero
Les familles à la recherche de corps après la création de « Los otros desaparecidos de Iguala », à Guerrero

Les familles à la recherche de corps après la création de « Los otros desaparecidos de Iguala », à Guerrero, un mouvement faisant suite à la disparition des étudiants d'Ayotzinapa le 26 septembre 2014 et qui a étendu sa diffusion à travers différentes organisations, en particulier avec la création de la Brigada Nacional de Búsqueda (Brigade Nationale de Recherche) qui intègre des membres de familles et des militants de plusieurs États du territoire mexicain.

Depuis que, le premier décembre 2016, le président de l'époque, Felipe Calderón, a déclaré la guerre au trafic de drogue, le Mexique a été semé de corps marqués par une mort violente. L'espace public est devenu un nécrothéâtre dans lequel ont été déployées des iconographies de la terreur et l'exhibition de la barbarie2.

Nous nous sommes appropriés des termes introduits par Achille Mbembe3 – nécropouvoir, nécropolitique  pour rendre compte des formes de vie contemporaines sous le pouvoir de la mort ou de la politique de la mort. Pour le théoricien camerounais, le travail de la violence implique aujourd'hui la re‑balkanisation de notre monde, grâce à la prolifération des seigneurs de la guerre qui expriment le pouvoir comme mis en œuvre dans un corps. L'apparition publique des dépouilles, l'irruption des corps militaires et paramilitaires dans la vie quotidienne des villages et des villes, et le nombre croissant de disparitions forcées avec la participation de l'État, ont été les signes irréfutables d’un terrible symptôme. Nous avons commencé à vivre au milieu d'une guerre sinistre dans laquelle les civils ont  été pris au piège et beaucoup ont été comptés comme des morts collatérales. La spectacularisation de la mort violente a été suivie de la soustraction et de l'invisibilisation des corps, le démembrement atroce et sa dissémination dans des fosses clandestines, la réduction des corps à des litres d'un liquide visqueux, et l'engagement dans la recherche par des groupes de familles qui sont devenus des exhumateurs, des experts et des médecins-légistes à leur propre compte.

Marche Nationale pour la Paix avec Justice et Dignité, organisée par le poète Javier Sicilia

Marche Nationale pour la paix avec justice et dignité, organisée par le poète Javier Sicilia, avançant sur l'axe central de Mexico le 8 mai 2011.

Dans ces circonstances est apparu, en 2011, le Movimiento por la Paz con Justicia y Dignidad (Mouvement pour la paix avec justice et dignité), intégré par des membres des familles et des citoyens en général, las de la violence effrénée et de l'impunité : « Assez de sang ! On n'en peut plus ! », criaient leurs pancartes alors qu’ils avançaient en silence lors de la première grande Marche pour la Paix entre Cuernavaca et México, le 8 mai de cette année‑là. En soutien au Movimiento, des milliers de citoyens sont descendus dans la rue, et parmi nous, de nombreux artistes se sont organisés. Dans ces circonstances le Colectivo Fuentes Rojas, a vu le jour et a commencé à teindre de rouge les fontaines de Mexico sous le slogan: « Arrêtons les balles, peignons les fontaines ».

Fontaines du Palacio de Bellas Artes, teintes en rouge lors de la Marche Nationale pour la Paix avec Justice et Dignité, le 8 mai 2011, à Mexico

Fontaines du Palacio de Bellas Artes, teintes en rouge lors de la Marche Nationale pour la paix avec justice et dignité, le 8 mai 2011, à Mexico.

À Mexico, Fuentes Rojas a appelé à broder en rouge les noms des milliers de morts causés par la guerre déclenchée par l'État. Dans le même contexte est également apparu Bordamos por la Paz (Nous brodons pour la Paix), un mouvement formé par des collectifs qui, depuis lors et dans différentes villes, ont brodé les noms des disparus et assassinés dans la prétendue « guerre contre le narcotrafique »4. Ces communitas de brodeuses et brodeurs de foulards, installées dans les parcs, les places et différents points de plusieurs villes du Mexique, font partie du tragique tissu qui nous détermine, de la nécessité de pleurer les vies perdues. Broder pour la paix des vivants et des morts. Dire leurs noms, dire comment ils ont été enlevés, dire où ils ont été vus pour la dernière fois, comment ils sont toujours attendus. Le foulard, ce vêtement lourdement chargé de survivances tragiques dans d'autres espaces latino‑américains, émerge dans ces scénarios comme un témoignage des pertes répétées, comme documentation de l'horreur que certains hommes peuvent commettre contre d’autres, comme l’avaient fait auparavant les mères de la Plaza de Mayo, les arpilleras chiliennes, les femmes guatémaltèques et les brodeuses Wayuu de la Guajira colombienne. Exposés dans l'espace public, ils sont accrochés sur de longues cordes, évoquant la procédure de la littérature de cordel. Portés sur la tête des mères endeuillées ou exposés comme documents et témoignages de l'horreur et de la perte, les foulards condensent les récits du deuil en Amérique Latine.

Foulards brodés par des membres et adhérent(e)s des Fuerzas Unidas por Nuestros Desaparecidos

Foulards brodés par des membres et adhérent·e·s des Fuerzas Unidas por Nuestros Desaparecidos (Forces unifiées pour nos disparu·e·s), Nuevo León, Mexique, puis installés dans la Salle des Foulards Blancs de l'Espace Mémoire et Droits de l'Homme (ex-ESMA), Buenos Aires, le 27 mai 2015, en présence de deux mères de la Plaza de Mayo, Linea Fundadora : Laura Conte et Enriqueta Maroni.

La couleur rouge avec laquelle ont été teintes les fontaines du Mexique et avec laquelle sont brodés les noms des assassinés, est une imitation du sang répandu dans un pays qui, en dix ans à peine, a perdu près de deux cents mille personnes, sans compter un nombre incertain de beaucoup plus de trente mille disparus. Le mimétisme du sang comme mimétisme des corps qui nous manquent. Une incarnation rouge et spectrale de l'absence.

Je m'attache à considérer l'émergence du sang, comme mimétisme de la perte des corps et des vies, mais aussi comme imprégnation spectrale de l'absence, à travers des actions artistiques menées au Mexique dans le contexte de la violence croissante que nous continuons de vivre. La présence du sang a impliqué des stratégies métaphoriques, en tant que figures de ressemblance avec les scènes de la vie quotidienne. Elle a également fait du sang lui-même un flux abject, impliquant des stratégies métonymiques qui génèrent des poétiques sécrétionnelles.

L'approche mimétique du sang, en tant que manifestation de la vie dans l'histoire de la peinture, a été reflétée par la technique de « l'incarnation ». Incarner, dans le vocabulaire technique de la peinture, c'est colorer de manière semblable à la chair, ce qui s'apparente aussi au sang. Didi-Huberman a affirmé qu’« un fantôme de sang réticulaire traverse (...) toute l'histoire de la peinture »5, désignant ainsi l’« incarné » de la peinture comme un fantôme. L'incarnation est « la voix de la chair », selon Fulvio Pellegrino dans son Trattato del significato de' colori en 1535. « C'est un coloris à travers lequel la peinture a pu s’imaginer en tant que corps et en tant que sujet ». Par l'effet de l'incarnation, la peinture imagine un corps. Dans les anciennes recettes de Cennino Cenini, l'incarnation est réalisée en ajoutant au « pigment blanc de Saint Jean », « un pigment rouge appelé cinabre ».

Et le cinabre « est la meilleure couleur pour imiter le sang », et plus il est appliqué, considère Cenini, plus de profondeur sera donnée à la surface des chairs, imitant parfaitement la peau écorchée ou « in-carnée dans le sens d'une intrusion dans la chair du dedans ».

Je m’intéresse au lien créatif entre in/carner et saigner, à travers l'effet du rouge cinabre. Parce que, par cet effet, on signale un indice du corps, un indice de vie dans la peinture : « C'est une coloration grâce à laquelle on imagine la peinture comme si elle pouvait être affectée »6.

Dans un contexte marqué par les excès de violence, avec la permission et la complicité des États sous des régimes de nécropouvoirs et de nécropolitiques, l'art a fait appel au rouge cinabre pour représenter la perte de la vie ; non plus pour, à travers l'incarnation, habiller les corps de la peinture, mais pour colorer des espaces où ont été dispersés et ont disparu des restes et des flux corporels.

À l'apogée de ladite guerre sale au Pérou7, l'artiste visuel Ricardo Wiesse est intervenu avec du rouge cinabre sur l'une des collines de Cieneguilla, dans la municipalité de Lima. Quelques jours après la promulgation de la loi d'amnistie, sous le gouvernement Fujimori, qui exemptait les militaires des accusations, Wiesse fit une offrande de cantutas8 peintes au cinabre sur le flanc d'une colline. Là avaient été jetés les corps de neuf étudiants et d’un professeur de l'Université Nationale d'Éducation Enrique Guzmán y Valle, autrement appelé La Cantuta pour les fleurs qui y abondent. Ils avaient été arrêtés dans la nuit du 18 juillet 1992 par un commando du Groupe Colina9, assassinés et leurs restes occultés dans une fosse clandestine.

En utilisant des gabarits en carton et du cinabre rouge, Wiesse a semé dix cantutas à côté du site où les fosses avaient été trouvées10. Disposées dans des directions différentes, les silhouettes de dix cantutas réalisées avec dix kilos de sable et du cinabre rouge pur, allégorisaient les tombes. L'intervention insistait sur la tragédie. Les taches rouges sur les pentes de la colline annonçaient l'exhumation sanglante de la mémoire. Lorsque dans La Peinture incarnée, Didi-Huberman expose les anciennes recettes de Cennino Cennini pour préciser certaines intensités dans l'utilisation du cinabre rouge, et qu’il précise, citant Cennini, que l'utilisation intense du pigment « peut subitement devenir l’imitation de la plaie »11, il nous donne une clé pour regarder l'évocation picturale de l'une des nombreuses tragédies subies par les Péruviens au long de ces années. Les kilos de pigment que Wiesse a répandu de ses propres mains sur les cavités dessinées dans le carton pour tracer les cantutas sur la colline, ont généré les taches rouges denses qui pointaient inévitablement la blessure, la chair brisée et abandonnée entre les sables de la montagne.

Cantuta, intervention de Ricardo Wiesse dans les collines de Cieneguilla le 27 juin 1995, en hommage aux victimes de La Cantuta, Lima, Pérou.

Bien plus qu'une œuvre d'art, cette action de Ricardo Wiesse était une véritable offrande, un geste à haut risque du fait d’avoir été réalisé pratiquement en solitaire, dans une zone sous surveillance officielle et sous une loi d'amnistie qui libérait l'armée de toute responsabilité face aux faits du passé récent, ce qui faisait apparaître comme un défi à l'Etat tout signalement des responsabilités des forces militaires dans ce massacre et bien d’autres. Mais le geste d'offrande et le risque étaient aussi dans la façon dont l'artiste s'est impliqué avec le cinabre rouge, une substance très toxique qui, dans la culture péruvienne, est connotée d’une puissante capacité à évoquer les morts12 et que Wiesse a manipulé sans aucune protection, en contact direct avec son corps.

Le sang, sans aucune médiation picturale, a pris place sur les scènes de l'art depuis la seconde décennie du XXe siècle, lorsque les « actionnistes » viennois ont initié leurs rituels et performances, cherchant un échange d'énergies et de flux dans un acte sacrificiel. Trois décennies auparavant, la poétique radicale d'Antonin Artaud insistait sur l'engagement corporel de l'acteur / poète / performer en tant que producteur d'un art « sécréteur » impliquant ses fluides, déchets et matières organiques, posant également une relation complexe entre art, corps et douleur.

Certains artistes vivant et travaillant en Amérique Latine développent leurs pratiques en utilisant les fluides corporels et les restes – les leurs et ceux d’autrui – comme une stratégie narrative :  les restes et les matériaux parlent. Ils n’exposent pas seulement l'avalanche de la perte mais aussi les pratiques perverses qui ont normalisé le travail de la mort.

Le débordement sensoriel imposé par la vision des atrocités pratiquées sur les corps, a marqué au fur et à mesure une bonne partie des discours et des pratiques artistiques. Si les féroces excès expliquent la densité iconophile dans laquelle nous avons plongé, les configurations de l'art émergent parmi les vestiges de ces excès avec une densité spectrale qui évoque et conjure les célébrations du nécrophilique.

Deux artistes du nord du Mexique, Rosa María Robles et Teresa Margolles, ont réalisé des œuvres significatives à partir de la contamination sanguine des tissus qui ont enveloppé le corps des personnes tuées dans le contexte actuel de la narco-guerre. L'incorporation de vêtements et d'objets divers, qui exposent les restes métonymiques et la réalité ultime des corps est récurrente, dans l'art contemporain. Dans certaines circonstances, interdire l'usage de ces objets contaminés devient une allégation politique au nom d'un prétendu état moral. L'abject nous place dans une relation complexe face à la morale, en exhibant la fragilité du légal et en perturbant l'ordre. Là où les preuves et les vestiges du crime sont occultés par les agents mêmes de l'ordre censé enquêter13, les artistes s'obstinent à ex/poser l'abject et l'obscène.

Depuis l’année 2006, l'artiste de Sinaloa Rosa María Robles développe le projet Navajas (couteaux), engendré depuis l'agonie de la violence et la crise généralisée que nous vivons au Mexique. Alfombra Roja est une des œuvres les plus importantes de ce projet : une installation montrant des couvertures tachées par le sang des corps assassinés, enveloppés dans ces dernières et envoyés comme des messages de terreur parmi les cartels. Les couvertures ensanglantées avaient été disposées devant un miroir, de sorte que ceux qui marchaient dessus y étaient réfléchis. Ces couvertures avaient été obtenues par l'artiste à travers de sombres fonctionnaires, dans un pays où la justice est une immense absence. Néanmoins, quand elles ont été exposées au Musée d'Art de Sinaloa, elles ont été retirées et confisquées par le Bureau du Procureur d'Etat14. En réponse, Rosa María Robles a créé une Nueva Alfombra Roja, un nouveau tapis rouge. Elle a taché et exposé de nouveaux tissus avec du sang qu’elle s’est fait extraire publiquement. Comme elle l'a exprimé :

Du fait de l’impossibilité légale de montrer des couvertures authentiques de personnes récemment tuées et enveloppées à Sinaloa, je laisse ici cette couverture tachée de mon propre sang pour continuer à éveiller une réflexion profonde sur la violence croissante et le silence douloureux auxquels notre société doit faire face quotidiennement15.

Alfombra Roja renaissait ainsi dans sa réponse ardente à la schizophrénie des institutions, complices de la barbarie, incapables de rendre justice, mais jouant à nettoyer l'image de l'État. L'œuvre prit la forme d'un douloureux chemin de croix : lors de l'ouverture de ses expositions, l'artiste a toujours pratiqué la même performance consistant à s’extraire du sang pour le verser dans des pots, des calices et tacher des couvertures, des manteaux et des draps. Cette action a engendré des installations de vestiges qui sont une inévitable inscription testimoniale, une prononciation du corps comme tache symptomatique du destin des corps. Les manteaux sanglants sont installés en tant que trace de l'événement, pour évoquer les douleurs et les martyres du corps, et prescrire l'apparition d'un ordre sacrificiel et fantomatique.

 

Alfombra Roja, du projet Navajas, par Rosa María Robles. Musée d'Art de Sinaloa, Culiacán, 2007

Alfombra Roja, du projet Navajas, par Rosa María Robles. Musée d'Art de Sinaloa, Culiacán, 2007. Première version de cette installation avec les couvertures authentiques utilisées sur des personnes assassinées dans l'État de Sinaloa et qui ont été retirées de l'exposition par le Bureau du Procureur Général de Sinaloa, dans la nuit du 20 mai. Juin 2007.

Alfombra Roja est une œuvre conçue à partir de l'intervention de divers événements de la réalité. D'abord ont fait irruption les fragments corporels, les morceaux de corps, les couvertures contaminées par le flux abject. Ont également fait irruption les personnages appelés à représenter un théâtre moral et aseptisé, chargés d'assainir la scène. Et puisqu'on ne pouvait plus ex/poser les vestiges sanglants qui rendraient compte de la transgression violente des corps, les vestiges des écoulements que l'artiste elle-même expulsait de son corps ont aussi fait irruption. La dissémination de ce qui prétendait être contrôlé s’est transfigurée en de nouveaux gestes, de nouveaux manteaux et des textures fantomatiques qui réitéraient un même et inquiétant symptôme.

L’incarnation dans la peinture a été pensée comme la manifestation d'un symptôme, du fait que ce coloris cherche à rendre compte des caractéristiques d'un corps « habité par des sautes d'humeur »16. Utiliser le sang pour tacher les tissus, en soulignant la matérialité funèbre et fantomatique qui les imprègne, dans un contexte où le fantôme de la mort violente détermine notre vie quotidienne et modifie nos habitudes, est aussi une façon de penser l'utilisation de l’« incarné » directement à travers le sang – à la place du cinabre rouge – pour expliquer l'absence et le massacre des corps – plutôt que de rendre compte de la vie comme le cherchait la peinture de la Renaissance. Les couvertures in/carnées placées par Rosa María Robles dans ses installations puis dans ses photographies sont la manifestation d'un vestige corporel qui fait trop de bruit. Ce n’est pas que le regard qui scandalise, mais aussi la connaissance de ce qui se passe avec les corps, et la honte d'un savoir tacite que l'art vocifère. Les couvertures chargées d'informations corporelles, imprégnées de vestiges qui devraient faire l'objet d'investigations expertes semblent être, dans le cadre de l'art, un signe incompréhensible et violent, précisément à cause de tous les indices qu’ils suggèrent aux yeux qui veulent lire.

L'image est une forme de connaissance, a insisté Didi-Huberman. Mais ce même théoricien a brillamment déplacé la notion de symptôme des territoires freudiens et psychanalytiques vers le champ de l'art et a considéré le symptôme comme une fissure dans les signes, capable de nous interpeller quand nous ne pouvons pas savoir « d'où un savoir peut extraire son moment décisif »17.

Le symptôme est alors une interruption dans la connaissance supposée que les images communiquent.

Les manteaux in/carnés par le sang des corps martyrisés dans les scènes de violence mexicaine, interrogent les récits et les figures de l'art contemporain. Ils sont le symptôme qui disloque le regard artistique et interpelle le sens de la vie sous les régimes des nécropouvoirs. Cette zone de tension permet aussi de penser la production « plus récente »18 de Teresa Margolles, et en particulier l’imposante œuvre exposée au pavillon dédié au Mexique lors de la 53ème Biennale de Venise. Le titre de cette exposition était en lui-même hautement symptomatique, en suggérant un référent inévitable en même temps qu’ineffable : De quoi d'autre pourrions-nous parler ?

Le sang répandu dans les rues de Ciudad Juárez (Chihuahua) et Culiacán (Sinaloa), imprégné dans des tissus, fut la substance avec laquelle ont été peintes des toiles et les salles du Palazzo Rota Ivancich à Venise, contaminées. Les tissus avaient été imbibés là où les meurtres avaient eu lieu, une fois réalisés les rapports d'experts. Un groupe de collaborateurs et l'artiste elle-même réalisaient cette imprégnation de tissus dans les restes de sang encore humide. Une fois secs, les tissus ont été transportés à Venise, où ils ont été humidifiés, réhydratés « avec de l'eau locale », pour obtenir de l'eau contaminée de sang avec lequel étaient « lavés » quotidiennement les sols du Palazzo (nettoyage). Comme l'a exprimé l'artiste, l'idée de cette action découle de la question: « Qui lave les rues ? Quand c'est un corps, quand il y en a trois, quand 6000 personnes sont tuées dans l’espace d’une année : qui lave les restes qui persistent ? »19.

Les tissus et le sang comme supports « de ce qu’il reste d'une vie humaine » ont été, à leur tour, le support de la plupart des pièces qui composaient l'exposition de l'auteure à Venise, une œuvre réalisée par l'incarnation littérale des corps tués au Mexique. Les tissus contaminés par la boue et le sang ont directement été exposés (Sangre recuperada), accrochés comme drapeau national (Bandera), toile de fond de messages‑types des narcotrafiquants, brodés en or (Narcomensajes) lors d’actions publiques dans les rues de Venise (Bordados). Bien que la contamination ait indiscutablement été la stratégie fondamentale du transfert et de l'installation des pièces, pour Margolles, le but était d'impliquer, plutôt que de contaminer, comme elle l‘a déclaré dans l’entretien pour le catalogue de l'exposition :

Je ne pense jamais à provoquer une ‘contamination’, ni à ce que les gens soient contaminés. Ce que je veux c’est que les gens s'impliquent 20.

Inévitablement, ce type de pratiques interpelle, dérange, bouleverse les récits confortables que certains cherchent encore dans l'art. Comment ne pas penser les visions, les matérialités et les corps qui ont pris les scènes de l’art ? Comment ne pas nous demander ce que ces restes viennent nous dire, ces vêtements qui ont pris place au cœur de la pratique artistique ? Au-delà des scènes de l'art, je ne peux m'empêcher de penser à ce qui est peint, à ce qui est bouleversé, aux scénarios colorés par la catastrophe des corps désincarnés, abjects, vidés de flux et de chair. Si l'incarnation en peinture a été pensée par Cenini comme « une intrusion dans la chair de l'intérieur »21, nous pensons la désincarnation des corps comme une sortie et un abandon de la chair, mais aussi comme une contamination, une coloration, un dérangement, et une mutation des environnements où les flux et la chair des corps se dissipent.

Il y a un bout de terre au Mexique qui semble peint par ce terrible rouge cinabre. On dirait aussi que la déclaration faite au XVIe siècle par Dolce y prend une sinistre forme : « Je crois que dans ce corps Titien a utilisé la chair pour faire des couleurs », comme si nous imaginions, avec les mots de Didi-Huberman, « un certain Apollon écorchant Marsyas pour remplir sa palette »22. Cet endroit s'appelle La Gallera, il est situé en banlieue de Tijuana. C'était une propriété utilisée par Santiago Meza, connu depuis le 25 janvier 2009 comme le Pozolero, pour son travail en tant que « cuisinier » de cadavres humains au service d'un des cartels mexicains. Dans cet endroit, ont été dissous dans la soude caustique autour de 300 corps, d’après les confessions de Meza lui-même. Un petit panneau blanc, accroché à un mur de briques, témoigne aujourd'hui que dans les fosses situées à côté du mur, se trouve 17 000 litres de restes humains désintégrés dans l'acide. Dans le documentaire Pie de página, réalisé par Paola Ovalle et Alfonso Díaz, apparaît l’image difficile d’un parent cherchant avec un bâton et fouillant la terre rougie, incarnée, par les matériaux et les flux des corps dissous dans l'acide et jetés sur ces terrains.

Capture d'écran du documentaire Pie de Página, réalisé par Paola Ovalle et Alfonso Díaz Tovar

Capture d'écran du documentaire Buscadores, projet développé par Pie de Página, réalisé par  Paola Ovalle et Alfonso Díaz Tovar.

Le texte qui apparaît dans l'image correspond à Fernando Ocegueda Flores, qui cherche son fils Fernando enlevé depuis février 2007.

Depuis, Ocegueda Flores est défenseur des Droits de l’Homme et fait partie de l'association Unidos por los Desaparecidos, à Tijuana, en Basse Californie.

Les changements de coloration et de textures de la terre et des paysages au Mexique sont un signe important pour les familles organisées en Brigades de recherche, lors de leurs déplacements dans différents États pour détecter les fosses clandestines et localiser les corps. En effet, un changement de couleur et de texture peut signaler de la terre récemment retournée et la proximité de tombes clandestines.

L’absence de sépulture, insiste Nelly Richard, est l'image non recouverte d'un deuil historique et inachevé, qui ne cesse jamais. Le non enseveli est une figure déformée qui apparaît de multiples façons dans les scénarios passés et présents de l'Amérique Latine. L'art la poursuit parfois, dans une sinistre fascination pour le difforme, l'improbable, l'insaisissable mais aussi dans un acte désespéré pour imaginer des formes possibles pour un si déchirant pathos. Les pratiques artistiques dans ce contexte deviennent des rites tragiques, des cadres pour commémorer et pleurer ceux qui ne sont plus là, des demeures allégoriques où habitent les vestiges de ce qui fut une vie.

Une partie de l'art latino-américain contemporain nait des contaminations avec les formes de survie de la vie et de la mort, conçue à partir de matérialités liées à des négociations de flux et de corps. Benjamin nous permet de penser l'allégorie dans le travail du vestige, du fragmentaire, de ce qui est lié à l'œuvre de la mort et de la décomposition. Dans notre contemporanéité, les vestiges que l'art embrasse pourraient être lus comme des allégories du démembrement de l'humain, in/carnations de ce qui fut un corps et, pour cela aussi des phasmes, des apparitions qui, à partir de la non-ressemblance, ouvrent le champ du regard au travail de la vision23.

Qu'invoquons-nous quand nous parlons d’in/carnations po/éthiques, de prétendues « apparitions », comme si avec ce mot nous fixions les fantômes, nous conjurions l'oubli et nous retournions aux absents. L'art ne fait rien apparaître, il ne change rien. C’est tout juste s’il énonce ou fait le pari d’imaginer, malgré tout. C'est la laconique réverbération du chagrin, de la rage, du désir. Qu’est-ce qui apparait dans les restes des corps à peine arrachés aux fosses, à peine arrachés à la barbarie, au passage des jours dans un silence complice ?

Je ne peux m'empêcher de me demander comment aborder les pratiques artistiques, intellectuelles et médico-légales menées aujourd'hui par les proches dans leur quête, à l’intérieur d’un pays devenu une grande fosse commune. L'espace de l'art n'est peut-être qu'un écho, mais même comme ça, ce qui advient dans ce cadre d'in/carnations po/éthiques, redimensionne ce qui semble invisible dans l'espace réel.

Ce texte a été traduit de l'espagnol par Xavi Antón Galindo, la révision a été assurée par Clara Duterme et Ariela Epstein.

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1

Le 8 avril 2016, la première brigade nationale de recherche de personnes disparues a été créée, composée de membres des familles et de personnes soutien. Au cours des quinze premiers jours de travail à Veracruz, quinze tombes ont été trouvées. Entre le 21 janvier et le 3 février 2017, la troisième brigade nationale de fouille a travaillé dans l'État de Sinaloa. Dans le Communiqué sur la conclusion des activités, ils ont déclaré : « Nous ne recherchons pas les coupables, nous cherchons nos disparus, nous cherchons la paix ».

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2

En ce qui concerne le spectaculaire et la théâtralité de la violence que nous vivons au Mexique, vous pouvez consulter notre texte « Necroteatro/Neobarroco violento », in Cuerpos sin duelo. Iconografías y teatralidades del dolor, Mexique, UANL, 2016.

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3

Achille Mbembe, Necropolítica, Barcelona, Melusina, 2011 et « Necropolítica, una revisión crítica », in Estética y violencia : necropolítica, militarización y vidas lloradas, Mexique, UNAM-MUAC, 2012 (2003), p. 131-139.

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4

A propos de ce mouvement, voir la très exhaustive thèse d’Histoire de l’Art de Katia Olalde, UNAM : « Bordando por la paz y la memoria en México : Marcos de guerra, aparición pública y estrategias estéticamente convocantes en la ‘guerra contra el narcotráfico’ » (Broder pour la paix et la mémoire au Mexique : cadres de guerre, visibilité publique et stratégies esthétiquement mobilisatrices dans la ‘guerre contre le narcotrafic’), 2010-2014.

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5

Georges Didi-Huberman, La Pintura encarnada, Valencia, PRE-TEXTOS, 2007, p. 12.

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6

Georges Didi-Huberman, La Pintura encarnada, Valencia, PRE-TEXTOS, 2007, p. 30.

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7

Nous nous référons à la période marquée par la confrontation entre l'armée, les forces paramilitaires et les groupes en situation de guérilla et donc à la lutte armée qui s'est déroulée au Pérou depuis 1980. Durant ces presque vingt ans de violence, la société civile a été la plus touchée. Selon le Rapport de la Commission vérité et réconciliation rendu public en août 2003, plus de 69 000 Péruvien(ne)s ont été tués et disparus au cours de ces vingt années de violence. Un pourcentage élevé de cette population est une population paysanne de langue quechua.

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8

Fleur originaire des Andes. Connue comme la fleur sacrée des Incas, c'est aussi la fleur nationale du Pérou. La croyance veut que, par sa teneur aqueuse, la fleur servirait à étancher la soif du défunt, elle est employée lors de certains rites funéraires. Elle est également utilisée pour faire des offrandes aux Apus ou collines sacrées. La cantuta est également connue sous le nom de « sang du Christ », comme le souligne Gustavo Buntinx (2010, 54) car elle s'épanouie pendant la période pascale.

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9

Escadron de la mort qui opérait à l'intérieur du service de renseignement de l'armée péruvienne et responsable de nombreux massacres, meurtres et disparitions pendant la guerre sale.

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10

« La tragédie semblait avoir façonné son propre scénario, une stérilité radicalement nue, statique, silencieuse. J'ai conçu un manteau fleuri qui le vivifierait même fugitivement, en lui offrant le cinabre rouge, comme dans les trousseaux antiques du monde andin. L'opération a été réalisée le mardi 27 juin (1995), un peu avant quatre heures de l'après-midi, lorsque les ombres ont rampé sous les fosses. » (Wiesse, 2010, 64).

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11

Georges Didi-Huberman, La Pintura encarnada, Valencia, PRE-TEXTOS, 2007, p. 28.

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12

Gustavo Buntinx, « Entre la tierra y el mundo », in R. Wiesse, Cantuta. Cieneguilla – 27 junio 1995, Lima, Micromuseo, Instituto de Estudios Peruanos, 2010, p. 24-59.

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13

Julia Kristeva, Poderes de la perversión, Buenos Aires, Siglo XXI, 1988, p. 11.

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14

Le démantèlement de l’œuvre par le ministère public a eu lieu en juin 2007. Le 22 de ce même mois, Rosa Maria Robles a convoqué la presse et réalisé l’acte public d’extraction de son propre sang pour installer de nouvelles couvertures ensanglantées, au même endroit où elles avaient été enlevées.

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15

Rosa María Robles, Navajas, Culiacán, Ayuntamiento de Culiacán y Universidad Autónoma de Sinaloa, 2007.

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16

Georges Didi-Huberman, La Pintura encarnada, Valence, PRE-TEXTOS, 2007, p. 30.

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17

Georges Didi-Huberman, Arde la imagen, Oaxaca : Ve S.A de C.V y Fundación Televisa, 2012, p. 24.

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18

Avec l’expression "la plus récente" je veux souligner que le travail effectué par Teresa Margolles, de « douleur, perte et vide » s’installait dans les rues parce que « le pays a changé si violemment que depuis la morgue il n'est plus possible de décrire ce qui se passe à l'extérieur » : Teresa Margolles, ¿De qué otra cosa podríamos hablar? Pavillon du Mexique. 53ème Biennale de Venise, Cuauhtémoc Medina, Mexique, RM-INBA, 2009, p. 80.

C'est une façon de faire référence à la mort généralisée et à la violence au Mexique depuis la prétendue guerre déclarée par l'État contre le trafic de drogue.

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19

Teresa Margolles, ¿De qué otra cosa podríamos hablar? Pavillon du Mexique. 53ème Biennale de Venise, Cuauhtémoc Medina, Mexique, RM-INBA, 2009, p. 80.

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20

Teresa Margolles, ¿De qué otra cosa podríamos hablar? Pavillon du Mexique. 53ème Biennale de Venise, Cuauhtémoc Medina, Mexique, RM-INBA, 2009, p. 89.

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21

Georges Didi-Huberman, La Pintura encarnada, Valencia, PRE-TEXTOS, 2007, p. 30.

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22

Georges Didi-Huberman, La Pintura encarnada, Valencia, PRE-TEXTOS, 2007, p. 25.

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23

La notion de phasme a été soulevée et réfléchie par Georges Didi-Huberman. Voir Georges Didi-Huberman, Fasmas. Ensayos sobre la aparición 1. Santander-Cantabria, Shangrila, 2015.

Walter Benjamin, Denkbilder. Epifanías en viajes, Buenos Aires, El Cuenco de Plata, 2011. 

Gustavo Buntinx, « Entre la tierra y el mundo », in R. Wiesse, Cantuta. Cieneguilla, 27 junio 1995, Lima, Micromuseo, Instituto de Estudios Peruanos, 2010, p. 24-59. 

Georges Didi-Huberman, La Pintura encarnada, Valencia, PRE-TEXTOS, 2007. 

Georges Didi-Huberman, Arde la imagen, Oaxaca, Ve S.A de C.V et Fundación Televisa, 2012. 

Georges Didi-Huberman, Fasmas. Ensayos sobre la aparición, vol. 1, Santander-Cantabria, Shangrila, 2015. 

Ileana Diéguez, Cuerpos sin duelo. Iconografías y teatralidades del dolor, México, UANL, 2016. 

Julia Kristeva, Poderes de la perversión, Buenos Aires, Siglo XXI, 1988.

Teresa Margolles, ¿De qué otra cosa podríamos hablar? Pabellón de México. 53a Bienal

de Venecia, Cuauhtémoc Medina, Mexico, RM-INBA, 2009. 

Achille Mbembe, Necropolítica, Barcelona, Melusina, 2011. 

Achille Mbembe, « Necropolítica, una revisión crítica », in Estética y violencia : necropolítica, militarización y vidas lloradas, Mexico, UNAM-MUAC, 2012, p. 131-139. 

Nelly Richard, Fracturas de la memoria. Arte y pensamiento crítico, Buenos Aires, Siglo XXI, 2007.

Rosa María Robles, Navajas, Culiacán, Ayuntamiento de Culiacán y Universidad Autónoma de Sinaloa, 2007.