Agenda des droits en Uruguay. Événement, biopolitique, immunité et force de loi.

Introduction

En 2013, le parlement uruguayen a légiféré sur l'interruption volontaire de grossesse, le mariage égalitaire et la réglementation de la marihuana par l'État. Cela a marqué un processus politique, ensuite appelé « Agenda des droits », qui comprend également l'adoption d'autres mesures, notamment la « loi sur les médias », les quotas d'emploi pour les personnes afro-uruguayennes ou la loi sur la santé mentale. Un quatrième élément essentiel est également souvent évoqué concernant cette période : le rejet de la proposition d'abaisser l'âge de la responsabilité pénale de 18 à 16 ans, lors d'un référendum national obligatoire, initiative qui avait initialement été soutenue par environ 70% de la population et la presque totalité de l'échiquier politique.

Contre tout pronostic, les défenseurs de ce nouvel agenda des droits paraissaient ainsi avoir remporté une victoire retentissante. Pourtant, du point de vue de ces mêmes défenseurs, un net malaise entoure les actions et les politiques officielles mises en œuvre : dans chacun des cas, des allers et des retours configurent un scénario où les débats ne cessent pas. En dépit des changements légaux, les tensions persistent.

Les pages qui suivent cherchent à approfondir l'analyse de cette situation, à interpréter ce processus considéré comme essentiel pour comprendre et clarifier le panorama politique actuel de l'Uruguay. Il s’agit ainsi de réfléchir à la nature de ces revendications de plus en plus pressantes, ainsi qu’à la nature des mouvements et organisations sociales qui les soutiennent.

Il existe une littérature abondante sur cette période au niveau national1, dont seuls quatre aspects, étroitement liés les uns aux autres, seront interrogés ici. D'abord, l'origine événementielle2 de ces changements, le fait qu'ils proviennent tous d'une stratégie menée avec succès par des forces vives. En second lieu, la composante juvénile de ces actions, dans un pays vieillissant confronté à des relations problématiques entre les différents âges, et la tranche générationnelle spécifique qui les a soutenues. Le troisième volet concerne la composante émancipatrice de ces propositions qui impliquent des progrès contraires à l'exercice despotique du souverain : des hétérotopies, mais qui aboutissent en même temps à démarquer certaines populations, assujetties à la gouvernementalité3. Enfin, nous verrons comment un ensemble de suppléments et de dispositifs, présents au cours des débats et des actions respectives, ont dans chaque cas imposé une limite d'un type particulier, consistant à immuniser la communauté4, à établir des frontières et à remettre en cause ces événements, dans un état en quelque sorte d'exception5, dans lequel une certaine force de loi s'oppose à la loi6.

Dans le débat sur le statut politique de cet agenda, dans le défi que représentent l'inclusion de nouvelles pratiques et l'élargissement des limites du droit, on peut déceler certains indices pour interpréter cette lutte sous-jacente. Qui soutient ces initiatives ? Quel est le cadre général des tensions où elles s'inscrivent en Uruguay ? Quels progrès proposent-elles ? Sur quel territoire souhaitent-elles s'établir ? Et enfin, comment comprendre les résistances que rencontre leur mise en œuvre ? La métaphore biologique permet d'éclairer l’apparition de ces revendications, les problèmes issus de l’enchainement de ces nouveautés et du gouvernement des populations, la composante biopolitique des propositions, l'immunisation comme moyen actif et, enfin, le retour à la confrontation des forces différentielles dans l'application de la loi qui, bien qu’étant lettre morte, demeure vivante. 

Cet article prend la forme textuelle d'un essai et pose une tentative de réflexion. Pour fonder et guider cette réflexion, il fait appel à des entretiens, aux échanges au sein de plusieurs groupes de discussion avec les militants des quatre principales campagnes évoquées ci-dessus, à la participation en tant qu'observateur aux réunions des activistes, ainsi qu'à l'analyse de la presse écrite de cette période7. Il ne s'agit en aucun cas d'un travail empirique, mais d'une analyse en situation et de l'application de catégories de la sociologie politique afin de mettre en lumière certaines particularités.

Événement et irruption dans la loi 

Dans la couverture médiatique internationale, la naissance de ce nouvel agenda des droits est souvent associée à l'initiative du président charismatique José Mujica. Cependant, si l'on passe en revue ses entretiens avant 2013, on n'y trouve aucun argument ferme en faveur de l'avortement, ni des références au mariage égalitaire, et encore moins à la nécessité de légaliser la marihuana. Son discours sur ces sujets était plutôt conservateur, criblé d'allusions désobligeantes aux « faloperos » (camés). Il proposait de les faire hospitaliser compulsivement, de tous « les enfermer » dans des établissements à la campagne8.

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Une autre interprétation fréquemment évoquée attribue l'origine de ces innovations légales au Frente Amplio (FA), le parti au pouvoir et majoritaire en Uruguay pendant trois périodes consécutives, depuis 2005 jusqu'à aujourd'hui. Or, dans les documents du programme du FA pour la période 2009-2014 (approuvés en décembre 2008), il n'y a pas de références directes à ces mesures. Après le veto – controversé – opposé dans la période précédente par le premier président de ce parti, le cancérologue Tabaré Vázquez9, contre la dépénalisation de l'avortement, le programme du Frente Amplio ne contenait aucune référence explicite à ce sujet. Quant aux stupéfiants, le débat national qu'il proposait pour lutter contre le trafic, renforcer le réseau de centres de désintoxication, mettre en place des logiques de prévention et autres mesures, bien que critiquant la politique mondiale de « guerre contre la drogue », était loin de comprendre l'engagement de l'État dans une réglementation sans précédent de la marihuana. Le mariage égalitaire n'était pas non plus une initiative présente dans le programme de la gauche, bien que la reconnaissance légale des unions homosexuelles dans la période précédente ait cependant été considérée comme un progrès.

En ce qui concerne la proposition de modifier la Constitution pour abaisser l'âge de l'imputabilité pénale, soutenue par l'ensemble de l'opposition politique, n'a pas fait l’objet de résistance au FA ou par le président de l'époque, à cause du large soutien à cette initiative dans les enquêtes. La stratégie du gouvernement a consisté à approuver à l'avance des initiatives similaires, plutôt qu'à montrer que la réforme constitutionnelle n'était pas nécessaire.

Quelle est donc l'origine de cet agenda de droits ? Nous sommes confrontés à une irruption : celle des acteurs sociaux organisés qui ont réussi à exercer une force de loi et à changer la loi, pour y inclure de nouveaux droits. Au bout d'un temps étonnamment court, l'intégration des revendications, d'abord dans l'ordre du jour public, puis dans la loi, est l’œuvre d'un réseau qui a rassemblé de nombreuses organisations dotées d'un grande capacité d'articulation, de lobbying politique et de mobilisation.

Le deuxième gouvernement du FA représentait clairement une « structure d'opportunité politique », « des dimensions de l'environnement politique congruentes, mais pas nécessairement formelles ou permanentes, qui motivaient les gens à participer à des actions collectives et alimentaient leurs attentes de succès ou d'échec »10. Le président, le pouvoir exécutif et les parlementaires étaient alors plus ouverts au dialogue avec la société civile. Des lois introduites par le mouvement syndical et par d'autres acteurs ont également été approuvées au cours de cette période. Le système politique, responsable de la production et de la formulation des lois et des règlements a des frontières poreuses. En tant que système, il laisse entrer certaines questions, à petites doses et en des termes adaptables à ses propres codes, à son langage, ce qui permet à certaines initiatives ou à certains intérêts de traverser ses frontières. Les syndicats, les églises, les associations locales ont des incidences sur l'agenda et voient souvent leurs revendications traduites en textes de loi. Cependant, l'irruption des « forces vives », l'émergence soudaine d'une revendication sociale soutenue par des mobilisations dans les rues et par l'opinion publique, ainsi que la présence stratégique des organisations sociales sont une manière spécifique, « événementielle » et particulièrement intéressante de créer du Droit.

Dans cette structure d'opportunité politique, un mouvement social s'est formé à partir de l'articulation réussie d'un ensemble d'organisations, presque identique pour les quatre campagnes, sur la base d'une coordination qui les a regroupées et a mis à profit des leçons pratiques devenues essentielles. Ainsi, les instances particulières de coordination pour la dépénalisation de l'avortement, la réglementation responsable du cannabis, la diversité, ainsi que la Commission « Non à l'abaissement de l'âge », ont rassemblé les organisations sociales pour chaque demande ou campagne : la Fédération des étudiants universitaires de l'Uruguay (FEUU), l'Institut des études légales et sociales de l'Uruguay (Ielsur), le Service de paix et de justice (Serpaj)Ovejas Negras (Moutons noirs), ProderechosCotidiano Mujer (féministes), les représentants de la Confédération nationale des travailleurs (Pit-Cnt) et plusieurs autres. Selon le cas, la direction était confiée à l'une ou l'autre de ces organisations. Mais dans tous les cas, toutes y participaient.

Dans les quatre cas, le travail de cadrage était également similaire, un : « effort stratégique conscient déployé par des groupes de personnes et d'associations pour mettre en commun des modes d'interprétation du monde qui légitiment et encouragent l'action collective »11. La communication et les messages ont été soigneusement pris en charge, de manière pragmatique pour assurer le succès de l'objectif final. Ces campagnes ont en permanence fait appel aux sondages d'opinion, aux arguments médicaux et légaux, au poids des grandes manifestations publiques, aux réseaux sociaux et au choix des axes discursifs professionnels pour centrer le débat et permettre de convaincre ceux qui n'avaient pas encore une opinion arrêtée.

Le répertoire des protestations et des tactiques des organisations était également presque identique, et innovant. La visibilité des coordinations à travers des icones simples devenues des logos en carton très largement répandues, la gestion des réseaux sociaux par des campagnes spécifiques (notamment « Un bisou est un bisou », censuré par certaines chaînes de télévision et diffusé sur internet, ou « Plus personne ne se tait », des campagnes photo sur Facebook avec cette affiche), des pages web ou des interventions urbaines (en particulier, les « levers de soleil » qui habillaient d'orange, de vert ou de jaune, alternativement, la ville de Montevideo), des concerts et des activités de soutien public, le positionnement de certaines personnalités publiques – souvent les mêmes pour les différentes revendications – ont lancé une mobilisation sociale puissante fondée sur des outils très similaires dans les quatre cas.

L'agenda des droits a fait irruption comme un événement inattendu, imprévisible, conduit par un mouvement social, bien sûr accompagné d'abord par certains législateurs, ensuite par le parti au pouvoir : le Frente Amplio. Or, il est relativement rare que des acteurs organisés réussissent à modifier la loi, dans un sens « contre-culturel » et non prévu par le pouvoir politique, en déclenchant des « événements ». Ce concept, cette approche de l'événementiel, acquiert, dans le développement qu'en fait Maurizio Lazzarato, un grand potentiel pour étudier les mouvements sociaux actuels. Lazzarato synthétise la pensée de la multiplicité de Gilles Deleuze, les notions de gouvernementalité et de biopolitique de Michel Foucault, celles du marxisme et du pragmatisme pluraliste de Henry James, et se concentre sur les conditions de production du nouveau : il serait impossible de prévoir et d'évaluer la dérive du présent, d'anticiper les déclencheurs et les accumulations qui font irruption dans les événements. Il y aurait une sorte d'indicibilité, car « il faut que la société puisse former des agencements collectifs conformes à la nouvelle subjectivité, de sorte qu'elle veuille la mutation »12. Une indicibilité, car la nouveauté fait apparaître l'impossibilité de l'appréhender avec le langage précédent. Voilà pourquoi l'événementiel implique également une certaine fragilité de ce qui apparaît comme nouveau. Une fois les lois adoptées, ceux qui devaient les faire appliquer n'en étaient pas les défenseurs, mais plutôt d'autres qui, souvent avec une certaine réticence, devaient les mettre en œuvre.

Les jeunes en tant que capture du nouveau

L'événement surprend toujours, mais il peut être étudié rétrospectivement pour rendre compte des conditions qui ont déclenché son irruption et intégrer les clés et les mots permettant de comprendre ce qui est survenu et ce qui va survenir. Dans le cas uruguayen, la composante générationnelle et les relations d'âge sont autant de variables fondamentales pour interpréter cet agenda.

Pays nettement vieillissant après une transition démographique précoce, avec la proportion la plus élevée d’Amérique latine des plus de 65 ans – par rapport au nombre des personnes âgées de 15 à 64 ans13–, l'Uruguay a également de tristes records en termes de suicides d'adolescents14, de pourcentage de jeunes incarcérés, d'écart de pauvreté entre les plus âgés et les jeunes15, ou d'emploi informel dans les différentes tranches d'âge16. Avec une succession de présidents parmi les plus âgés du monde17, des parlementaires et un cabinet de ministres également parmi les plus âgés, la présence politique des jeunes est limitée. Dans ce contexte, l'agenda des droits a permis une très visible irruption des jeunes sur le plan politique au cours de la dernière décennie. 

De leur côté, lorsque les militants discutent dans leurs groupes, ils sont peu disposés à identifier leurs exigences à celles des jeunes. Ils rappellent que la campagne pour la dépénalisation de l'avortement a été menée par des féministes connues et adultes, que le mouvement LGBT est composé de militants de tous âges, et que l’usage médical du cannabis pour les personnes âgées a été l'un des arguments en faveur de la réglementation de cette substance. Ils soulignent également le caractère arbitraire et complexe de ces démarcations chronologiques. Ils ont raison. Cependant, on peut aussi souligner que ces campagnes ont été un processus « jeune » : d'une part, parce que les médias et la plupart des politiciens l'entendaient ainsi, et que cela a été perçu comme réel, avec des conséquences réelles, telles les déclarations fréquentes dans n'importe quelle conversation sur ces questions à Montevideo. D'autre part, parce que cette mobilisation publique a de fait été animée majoritairement par des jeunes qui ont provoqué des remous et nourri la vague des protestations.

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Il va sans dire que les nouvelles cohortes sont nées dans des contextes où la présence publique de ces questions est bien plus importante. En 2011, une personne sur trois âgée de 18 à 24 ans déclarait avoir fumé de la marihuana au moins une fois. En même temps, le soutien à la légalisation du cannabis chez les moins de 29 ans double celui des adultes18. Les revendications relatives à la diversité sexuelle ont également gagné une plus grande adhésion, passant de manifestations avec quelques dizaines de personnes il y a quinze ans à des dizaines de milliers dans la « Marche de la diversité » depuis 2010. Quant à la dépénalisation de l'avortement, cette revendication a été quasiment permanente, avec de nombreux points forts depuis ces dernières décennies.

On peut clairement identifier un positionnement générationnel dans ces trois revendications, qui montre que les jeunes sont beaucoup plus exposés à la marihuana, à la diversité sexuelle et à la dépénalisation de l'avortement. De plus, les quatre situations qui nous occupent apparaissent ensemble comme un « lien générationnel »19, dans le « positionnement générationnel » actuel des jeunes, dans les mouvements étudiants, ceux des jeunes syndicalistes, des membres des coopératives ou même des secteurs politiques, des associations culturelles ou basées sur les médias (par exemple dans la presse alternative, la radio et la télévision communautaire...)20. Ce n'est évidemment pas le seul lien générationnel de cette cohorte. D'autres groupes de jeunes agissent également dans un « dessein commun », qui vise la production culturelle ou l'engagement individuel. Les générations, l'âge et les jeunes sont évidemment des dénominations rigides pour les phénomènes relatifs.

Ces lois ont également fait office de « charnière générationnelle ». Depuis la fin de la dictature, on recense des cycles de protestations « jeunes » tous les 6 ou 8 ans environ : en 1982-83, des mobilisations étudiantes ; en 1988-89, la coordination anti-razzias ; en 1996, l'occupation des collèges et lycées ; en 2004, les réseaux du FA. Ces « vagues de protestations » n'ont pas eu de continuité visible, mais elles ont formé des militants, alimenté des vocations politiques et mis en place des réseaux. En effet, plusieurs législateurs qui ont contribué à promouvoir ces lois, ainsi que les cadres chargés de leur mise en œuvre, ou d'encourager les tactiques de fête, colorées, avec des composantes culturelles, reconnaissent clairement les antécédents de ces vagues précédentes. En outre, ces trois revendications ont également rallié une grande partie de la génération adulte des couches aisées et de niveau éducatif élevé, qui avait adhéré à la révolution culturelle, sexuelle et politique des années soixante. C'est le cas de plusieurs experts, législateurs et cadres du gouvernement qui ont embrassé ces causes et appuyé les projets de loi définitifs21.

C'est, en tout cas, dans la campagne contre l'abaissement de l'âge de la responsabilité pénale que cette présence des jeunes a acquis une nouvelle dimension. Le lien générationnel qui adressait ses revendications à l'État et qui a été la cheville ouvrière de l'irruption dans la loi du nouvel agenda, s'est articulé avec l'ensemble des organisations de jeunes : bénévoles, religieuses, culturelles, orientées plutôt vers l'engagement individuel, complétant ainsi la connexion totale entre les militants de cette cohorte. Et, de plus, ces jeunes organisés prenaient en charge la défense d’autres jeunes, subalternes, qui étaient en position de « victimes », sans voix. Certains jeunes se mobilisaient pour défendre d'autres jeunes, rendant visible un certain décalage, une situation out of joint des portes-paroles des victimes. 

Un esprit jeune anime d'une manière ou d'une autre ces demandes. Les protestations sont investies de jeunesse et sont publiquement positionnées comme étant « l'affaire des jeunes », malgré l'opposition relative des activistes eux-mêmes. Sans aucun doute, plusieurs effets s'associent à ce positionnement. Deux sont à souligner : d'une part, le potentiel de cette activation générationnelle pour ce pays vieillissant et hostile aux jeunes ; d'autre part, la qualification de « jeunes » de ces exigences implique une certaine « capture ». En effet, les accumulations et les héritages sont rendus invisibles, la portée des revendications est limitée parce que circonscrite, les positions, les connexions et les charnières sont rassemblées de manière indistincte. Enfin, en Uruguay, la politique n'est pas l'affaire des jeunes22, et ce n'est pas à eux non plus de la mettre en œuvre. Au début du deuxième mandat du président Tabaré Vázquez, le ministre de la Santé, dont dépendait directement la politique de santé, tout comme les ministres de l'Intérieur et de l'Economie, ainsi que le secrétaire du Conseil national des drogues, étaient tous âgés de plus de soixante ans.

Hétérotopies biopolitiques

Les militants affirment, dans les groupes de discussion, que l'agenda des droits a une forte composante émancipatrice. Il défie en effet l'hégémonie masculine, hétérocentrique, bourgeoise et logocentrique qui discrimine l'homosexualité, l'avortement, la culture des exclus, les drogues. Ils soulignent aussi le rapport étroit entre chacune de ces demandes et les inégalités économiques, et soutiennent que dans tous les cas, ces problèmes s'aggravent dans la mesure où ils viennent s'ajouter à la pauvreté et à l'exclusion.

Outre la composante, en quelque sorte défensive, visant à dépasser les exclusions et à punir avec la force de la loi les pratiques de ségrégation présentées comme « normales », ces revendications contiennent une composante contre-culturelle. Les militants considéraient que l'agenda des droits était « le fer de lance d'une révolution culturelle », faisaient des références croisées dans leurs déclarations respectives et redéfinissaient les notions d'égalité ou de diversité23. Ils cherchaient à établir une chaîne d'équivalences et une frontière commune contre « l'Uruguay conservateur », un signifiant vide, qu’il ne se sont pas vraiment chargé d’hégémoniser24, qui s'appuyait sur plusieurs convictions. L'articulation des revendications s'exprime, par exemple, dans le festival « Un seul poing contre l'Uruguay conservateur », organisé en décembre 2013 par la Commission « Non à l'abaissement de l'âge », la coordination des associations pour l'avortement légal, celle de la Marche pour la diversité et le comité national pour la réglementation de la marihuana.

 

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Dans leurs groupes de discussion, les activistes soulignent l'équivalence entre leurs luttes respectives et défendent leur caractère révulsif, leur enjeu stratégique pour engager le débat sur certains signifiants représentatifs de leur articulation (égalité, diversité, liberté), sur certaines oppositions (patriarcat, système hétérocentrique, conservatisme) et en même temps, sur des lois spécifiques. Ils s'alignent également sur des mouvements sociaux plus traditionnels – syndicats, étudiants, droits de l'homme – et sur leur dialogue avec les secteurs du FA. Leur auto-positionnement dans l'échiquier politique est récurrent : ils se définissent comme « marxistes » ou « post-marxistes ». Cependant, leur discours ne propose pas un changement global de système ; il ne postule pas une vision au-delà du capitalisme, mais se situe ailleurs, dans « d'autres lieux ». Ces revendications ne sont pas agencées dans un métarécit, dans un enjeu global, mais plutôt présentées comme des « hétérotopies »25.

Ceci dit, leurs coordinations, leurs articulations, leurs organisations et leurs stratégies se caractérisent par une démarche pragmatique, par une approche tactique, dont les activistes sont conscients et qu'ils défendent : ils ont voulu parler la langue officielle, celle du droit et de la médecine. Ainsi, dans cette démarche pragmatique, la vie des femmes qui ont choisi d'avorter a-t-elle été défendue, pour exiger la reconnaissance légale de ce droit et obtenir les soins médicaux nécessaires à partir d'une approche de santé publique. Il a aussi été souligné que le mariage égalitaire impliquait « les mêmes droits et les mêmes dénominations » que le mariage entre un homme et une femme ; que la réglementation de la marihuana permettrait de mieux contrôler sa production et de lutter contre son trafic illicite, ce qui se traduirait aussi par une amélioration de la santé publique ; que la pénalisation et la prison précoce des adolescents les conditionneraient à commettre de nouveaux délits et augmenteraient l'insécurité. Ces arguments cherchaient à convaincre les parlementaires afin de favoriser les conditions pour l'adoption de nouvelles lois. De toute façon – il faut peut-être insister sur ce point – les militants s'accordent à dire qu'ils souhaitaient ainsi défendre des principes essentiels : la liberté, l'égalité, la diversité culturelle, face au conservatisme.

Ils ont fait le choix stratégique de parler la langue de l'autre et y ont réussi : leurs victoires ont représenté des progrès contre l'exercice despotique du souverain patriarcal. Mais leur démarche pragmatique a aussi compromis, paradoxalement, la composante libertaire de leurs protestations : leur aspiration à parler la langue de l'Etat – celle de la sécurité à la manière de Hobbes, celle du monopole de la violence chez Max Weber – la langue médicale et juridique, les a en même temps rattachés au domaine de la biopolitique.

On le sait, cette notion séminale a été introduite dans la philosophie politique par Michel Foucault, qui a mis en lumière deux enjeux majeurs, interconnectés : d'une part, le gouvernement des populations, animées comme si elles étaient vivantes, avec leurs écarts, leurs moyennes, leurs risques, leurs statistiques, dans un dispositif central de l'épistémè de l'Etat moderne26; d'autre part, plus particulièrement comme gestion publique des vivants, des choses de la vie. La première ligne de travail a produit une arborescence de travaux sur la gouvernementalité. La deuxième a surtout été poursuivie par Giorgio Agamben27dans son étude sur le bios en tant que matrice centrale de la modernité, mais aussi par Mario Lazzarato28et sa défense de la « vie » et du « vivant » considérés comme les défis des nouvelles luttes politiques et des nouvelles stratégies économiques.

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C'est ainsi que les revendications favorisent et inscrivent les droits des populations, qui sont désormais autorisées, recensées, administrées, avec leurs moyennes, leurs évolutions et leurs contrôles, qu'il s'agisse d'avortements, de cas réussis, de rejets, d'âges, d'actes de mariage, de registres de prévalences et de consommation. L'empreinte digitale est requise pour prouver que l'on figure sur le registre des consommateurs de cannabis. Tout ceci, pour des raisons statistiques de santé publique. Les pourcentages permettent un contrôle suivi des écarts éventuels et déclenchent des signaux d'alerte qui alimentent chaque année, suite à leur publication, des débats et des couvertures médiatiques, pour connaître, par exemple, le nombre de femmes qui décident d’une interruption volontaire de grossesse.

En ce qui concerne la baisse de l'âge de l'imputabilité pénale, la démarcation des « populations » est également claire : les adolescents ou « mineurs » sont de plus en plus considérés comme un espace problématique ; ils sont les boucs émissaires privilégiés pour appliquer le code, la loi, à ce lieu dysfonctionnel. 70% de la population pense que les adolescents commettent plus de la moitié des crimes, alors qu'ils en commettent moins de 10%. L'initiative de baisser l'âge de l'imputabilité exige une réforme constitutionnelle fondée sur une délimitation chronologique, selon une logique argumentative que Michel Foucault n'aurait pas hésité à qualifier de grotesque29. À partir d'interprétations articulant la neuropsychiatrie, la psychologie, les sciences sociales et la théorie du cycle de vie, on postule la conscience ou l'absence de conscience vis-à-vis du crime chez les adolescents « actuels » et l'introduction de nouvelles limites à la responsabilité pour comprendre comment intervenir plus efficacement auprès des jeunes contrevenants.

En sens inverse, les demandes sont également biopolitiques. Comme le soulignent Agamben et Lazzarato, chacun à sa manière, le gouvernement s'étend sur le terrain du vivant, de la vie. La naissance est réglementée, le moment initial de la vie et de la conception font l'objet de discussions, la loi intervient sur la formalisation de l'amour et de la famille, la commercialisation de la marihuana est fétichisée, l'âge de raison et la responsabilité pénale sont fixées suivant le conseil de neurobiologistes renommés.

Quand la demande fait irruption, elle est libertaire : elle conteste le contrôle du corps, exige l'égalité des droits, rejette la criminalisation. Et la violence dont elle fait l'objet augmente. Pour entrer dans le domaine légal, elle emprunte le langage juridique, médical, sécuritaire. Et dans ce processus, les activistes demandent le gouvernement de la vie ; eux qui étaient auparavant désarmés, soumis à un certain état d'exception, sont devenus des populations administrées et gouvernées.

Stratégies d'immunisation

Résumons brièvement : dans une structure d'opportunité politique favorable, un groupe d'organisations a mis en place une stratégie réussie et mené une vague de protestations marquée par une forte composante événementielle. Mais l'irruption de l'événement est fugace et sa construction, fragile. C'était le cas des printemps arabes, des occupy, des indignés, du mois de juin 2013 au Brésil : ces grands événements imprévisibles ont été à l'origine de l'approche événementielle.

En Uruguay, comme dans tous ces autres exemples, l'agenda des droits a eu une forte composante jeune. Les connexions entre activistes, qui ont joué le rôle de charnières avec les générations précédentes, ont permis l'irruption des nouvelles revendications. Mais dans un pays hostile à ses jeunes qui demeurent presque absents des espaces du pouvoir, ces processus n'étaient pas entre leurs mains : ce ne sont pas les jeunes convaincus qui vont conduire l'application de ces politiques. Des politiques fragilisées par une certaine « imposture idiomatique » qui a ôté la racine, le caractère radical des revendications, pour privilégier la sensibilisation de l'opinion publique, un travail certes moins séduisant pour leurs défenseurs. Le discours hétérotopique qui associe aussi des mots d'ordre nobles et libertaires, est hypothéqué dans le but de convaincre le public. Pour adopter une démarche efficace, il doit cependant se plier à nouveau à des codes qui lui sont étrangers : utiliser la langue du droit et de la médecine sur le terrain de la biopolitique et de la réglementation.

Il n'est donc pas étonnant que les lois et les progrès soient restés orphelins. Malgré la défaite du référendum qui visait à baisser l'âge de l'imputabilité, les mesures contre les jeunes ont vite été durcies. Malgré les lois qui permettent l'avortement ou l'obtention de marihuana, les procédures sont lourdes, semées d'inerties et de complexités. Le mariage égalitaire garde un statut d'exceptionnalité. De nouvelles procédures d'immunisation sont mises en place, comme l’est la résistance au partage du munus, qui se traduit par de nouvelles ségrégations. Les revendications sont accueillies, tout en gardant des distances, et en fixant des limites30.

Dans le cas de l'avortement, des procédures d'immunisation, d'incorporation contrôlée, ont été implantées à plusieurs niveaux. A commencer par la rédaction de la loi, qui prescrit une série de conditions, notamment la mise en place d'un tribunal composé de médecins et de travailleurs sociaux chargés d'apporter des informations à la femme, après quoi une période de réflexion lui est imposée. Ensuite, un référendum national a rapidement été organisé pour tenter d'abroger la loi. Malgré l'importance publique de cette question, et les avis partagés entre le système politique et les médias, seuls 8% des électeurs ont voté pour l'abrogation de la loi.

Par ailleurs, sur un plan plus pratique, plus capillaire, les procédures d'interruption de la grossesse sont insidieuses : de nombreuses anecdotes sont rapportées par les femmes qui doivent se soumettre à des échographies ou à des entretiens avec des paramédicaux ; les services des mutuelles où elles se rendent sont parfois négligés, voire dégradés et, de retour chez elles, elles doivent endurer sans soins médicaux les suites souvent longues et douloureuses de l'avortement pratiqué. De surcroît, certains gynécologues ont boycotté l'avortement légal dans plusieurs départements du pays et, plus récemment, des résolutions judiciaires controversées ont empêché l'interruption de la grossesse à la demande du père de l'embryon. L'affaire la plus célèbre, en mars 2017, a été intentée auprès d'un tribunal dont la présidente, Mme Pura Concepción Book, a ordonné à une femme, par mesure conservatoire, de poursuivre sa grossesse, bien que celle-ci se fût prévalue de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse. La juge a même désigné un défenseur d'office du fœtus. 

En ce qui concerne le mariage égalitaire, cette dialectique a été moins évidente. La procédure parlementaire a été lente, retardée à plusieurs reprises, son approbation a été reportée in extremis à la dernière séance de l'année 2012, mais finalement une grande majorité des parlementaires de tous les partis ont voté pour. Cela n'a pas soulevé de grandes protestations publiques, si ce n'est, encore une fois, au niveau capillaire, pour entraver les adoptions ou déterminer les noms de famille, où l'on voit réapparaître une certaine résistance.

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Ici, les processus d'immunisation dénoncés par les militants mettent plutôt en lumière un certain côté « spectacle » qui maintient leur caractère singulier. La médiatisation, en 2015, du mariage de deux femmes agents de police, ou celle en 2016 du mariage d'une figure de la télévision, auquel ont assisté des parlementaires de renom qui s'étaient fermement opposés au projet, semble montrer que le mariage « égalitaire » à débouché sur le mariage « gay ». En dépit de cette opposition, les militants ont décidé de poursuivre la défense de leurs revendications et de s'attaquer à d'autres espaces où règne le droit hétérocentré, comme les freins imposés à la réassignation de sexe, ou la discrimination quotidienne dont souffrent notamment les personnes transgenre, afin de dépasser l'inclusion conditionnelle, l'isolement du munus et le manque de soutien communautaire, et enfin de défendre les droits des LGBTQ. Deux initiatives ont ainsi été lancées dans le domaine de l'enseignement : d'abord, la publication d'un guide à l'intention des enseignants, puis une « Proposition d'approche didactique de l'éducation sexuelle dans l'enseignement initial et primaire ». Elles ont toutes deux provoqué une forte controverse sur la présentation des rôles de genre qui a abouti au retrait de ces publications.

Quant à la réglementation de la marihuana, les barrières établies ont été d'une telle intensité que, quatre années après la promulgation de la loi, elle n'est, à bien des égards, toujours pas appliquée. La loi adoptée et réglementée a produit des résultats : une réduction considérable des poursuites pour possession de petites quantités de cannabis, plus de 7 000 cultivateurs enregistrés à ce jour et plus de 60 clubs produisant du cannabis pour près de 2 500 membres. Mais la mise en place de cette réglementation a aussi rencontré des problèmes : certains auto-cultivateurs arrêtés, des clubs dénoncés comme étant des centres de trafic, et au niveau capillaire, l'imposition de nouveaux dispositifs de contrôle (interdiction de consommer au volant et pendant les heures de travail), qui sont autant de mécanismes de résistance.

L'un des exemples les plus clairs de cette situation liminale concerne le principal pari de la politique publique : la vente contrôlée par l'État. La liste des problèmes est invraisemblable : les premiers se rapportent à l'offre, dont le lancement a pris deux années ; ensuite, les autorités du ministère de la Santé publique (MSP) ont successivement rejeté l'emballage du produit, puis, l'analyse des résultats du THC ; quinze déclarations officielles de hauts cadres ont annoncé différentes dates de début de la vente dans cette période ; des grèves dans la mise en œuvre par la Poste du « registre des consommateurs » qui, bien qu'anonyme, permettrait de contrôler la consommation et de cerner des populations ; des problèmes avec les pharmacies qui devaient être des points de vente. L'initiative est restée suspendue jusqu'en juillet 2017, date à laquelle a débuté la vente dans les pharmacies, très peu nombreuses. Plus tard, des problèmes d'approvisionnement : l'offre insuffisante a entraîné de longues files d'attente et le produit n'a été disponible que pendant quelques jours. Enfin, les entraves à la vente par le système bancaire américain qui menaçait de geler les comptes des établissements vendant de la marihuana. Actuellement, il n'y a que 12 points de vente de cannabis sur la totalité du territoire.

Un deuxième exemple est notoire : l'Uruguay n'a toujours pas entrepris la production de cannabis médicinal malgré l'approbation générale de cette production par l'opinion publique et le fait que depuis la promulgation de cette loi, plusieurs pays ont déjà adopté et entrepris des politiques d'accès. Tous les acteurs s'accordent à situer les résistances au MSP, qui exerce la force de loi, précisément contre la loi. Ce n'est qu'aux derniers mois de 2017 que le MSP a annoncé la création d'un laboratoire chargé de produire du cannabis médicinal.

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En ce qui concerne la baisse de l'âge de l'imputabilité, suite au référendum qui a rejeté cette réforme constitutionnelle, de nouvelles mesures ont été prises relatives à ce nouveau sujet spécifique, le « mineur », bouc émissaire préféré de cette société hostile à ses jeunes. Les nouveaux dispositifs (établissement de la police militaire en périphérie de la zone métropolitaine, loi sur les infractions qui poursuit et sanctionne les petits délits et les problèmes de voisinage, durcissement de certaines peines et des procédures pénales) multiplient les tentatives pour détecter si l'adolescent a effectivement dépassé le seuil, transgressé les limites, malgré « l'esprit » du référendum.

Comme indiqué au début, l'agenda des droits, dont les événements analysés ci-dessus sont les plus remarquables, comportait d'autres initiatives, notamment la loi sur la santé mentale ou la loi sur les services de communication audiovisuelle (« loi sur les médias »). Elles avaient toutes des coordinations, des acteurs et des tactiques similaires. Et dans ces cas aussi, on a pu constater les différents procédés d'immunisation judiciaires, parlementaires, règlementaires, créés pour empêcher leur mise en œuvre complète.

La loi et la force de loi

Les résistances demeurent, ce qui est prévisible face à toute innovation juridique controversée. Mais réussir ? Agir sur le droit et, avec une certaine force, empêcher la loi ? De différentes façons, capillaires, spectaculaires, corporatives, l'avortement est rendu difficile, l'éducation et la diversité sont en conflit, la réglementation de la marihuana est paralysée, et dans la pratique, l'âge de la responsabilité pénale a baissé... 

Il existe de toute évidence un écart entre la norme et son application réelle, qui sont deux moments indépendants. La norme « peut être suspendue, mais rester toutefois en vigueur »31: c'est « l'état d'exception ». D'après Agamben, c’est dans l'état d'exception de la doctrine de Schmitt que l'opposition entre la norme et son application atteint son degré maximal. C'est le terrain des tensions juridiques où la validité formelle maximale s'accompagne de l'application réelle minimale (et vice versa). Une « zone d'indétermination absolue entre anomie et droit »32:

L'état d'exception sépare la norme de son application, pour rendre celle-ci possible. Il introduit une zone d'anomie dans le droit pour rendre possible la réglementation effective du réel33.

Il est sans doute grandiloquent de faire appel à un concept qui a été créé pour rendre compte de la situation des camps de concentration. Mais en tant que métaphore, dans un sens plus faible, cette contribution consiste à distinguer la « force de loi » de la loi elle-même. Elle définit un état dans lequel, d'une part, la norme est en vigueur sans pour autant être appliquée (elle manque de force), et d'autre part, des actes qui n'ont pas de valeur légale acquièrent de la « force »34: la réglementation de la marihuana, en suspens depuis la promulgation de la loi il y a trois ans ; l'avortement qui ne peut être autorisé qu'après un rendez-vous de discussion, au cours duquel experts et juges peuvent forcer la gestation ; l'image de la perversion appliquée à l'inclusion d'autres catégories de genre dans l'enseignement ; les mesures répressives ciblées sur la population marginale des « mineurs »... Le tout dans un certain état d'exception qui souligne l'absence de force des nouvelles lois, et en même temps, l'existence d'une force de loi qui exerce son autorité en dehors du Droit ou, tout du moins, dans un espace exceptionnel35.

Dans la célèbre étude Force de loi36 de Jacques Derrida, qui rassemble les conférences prononcées aux Etats-Unis et qui ont alimenté les notes d'Agamben, l'auteur présente quelques exemples d'apories entre droit et justice, comme l'un des espaces privilégiés de mise en œuvre d'une stratégie déconstructive37. Dans ce contexte, il souligne à propos du fondement de l'autorité :

Il s'agit toujours de la force différentielle, de la différence en tant que différence de force, de la force en tant que diferenzia ou de force de diferenzia (la diferenzia est la force différée/difiriente) ; il s'agit toujours du rapport de la force à la forme, de la force au sens ; il s'agit toujours de la force “performative”, de la force illocutoire et perlocutoire, de la force persuasive et de la rhétorique38

L'irruption de ces nouveaux droits a été un événement relativement imprévisible, animé par un mouvement social, au sens d'Alain Badiou39, cherchant à modifier la situation dans le sens d'une plus grande justice. Dans une structure d'opportunité politique favorable, les droits ont été introduits dans la loi. Il fallait pour cela une lutte, une tactique et une pragmatique avec des arguments de santé publique, juridique, et d'État ou de sécurité pour rendre crédible l'incorporation au munus, à la communauté, de situations jusqu'alors exclues.

Avec un regard rétrospectif, il semble que l'événement fait socialement référence aux « jeunes » : ce sont les « revendications des jeunes ». En premier lieu, ce label peut être rejeté, puisque les militants LGBT, du genre, des droits de l'homme, ne sont pas seulement des jeunes et que tous les jeunes, même en admettant qu'une telle catégorie existe, n'ont pas été mobilisés par ces initiatives. Plus précisément, une connexion générationnelle a été établie au sein de la jeune cohorte organisée, qui a construit un lien global avec d'autres générations. Mais à y regarder de plus près, cette identification est éclairante, dans un pays hostile (hostis, étrangers et ennemis) à ses jeunes. Les militants présentent leurs propositions comme des hétérotopies, des espaces différents, et provoquent l'irruption du nouveau. Ainsi, les revendications entrent dans le domaine gouvernemental de la délimitation des populations et de la réglementation du vivant en tant qu'espace disputé.

La démarche pragmatique n'empêche pas les initiatives de rester étrangères à la communauté et de faire l'objet d'un accueil conditionnel, qui continue de l'immuniser et de la maintenir séparée de ces « autres ». Ce ne sont plus des barbares, incapables de parler, mais plutôt des métèques, admis dans la polis, mais sans droits politiques. Mais quel hôte impose-t-il de telles conditions pour accueillir l'autre ? Il semblerait que l'inscription dans la loi devrait suffire, mais il n'en est rien. Une force de loi, force de loi barrée car non inscrite dans le droit, une force désormais différente, maintient l'état d'exception de ces requêtes biopolitiques, qui administre des « populations », avec la rhétorique des risques, des contrôles, des menaces, qui s'avèrent infinis et qui épuisent l'événement.

En Uruguay, dès le début et jusqu'au milieu du XXesiècle, en période de prospérité économique, des leaders charismatiques et une poignée de politiciens d'avant-garde, dans un pays doté d'une petite élite cultivée, eurocentrique et centralisée, avaient consacré de nouveaux droits sociaux40 avant d'autres nations. Une condition structurelle semble alors permettre ces situations, ces agendas novateurs. Une littérature abondante examine ce processus dans l'historiographie nationale et met notamment en lumière l'hypothèse de Carlos Real de Azúa41, présentée dans « El impulso y su freno », où il analyse l'ascension et la chute de l'élan réformiste du début du siècle dernier. Cependant, Real de Azúa met l'accent sur les caractéristiques intrinsèques du modèle, sur la faiblesse de ses fondations, et il analyse avant tout les élites politiques du moment. On peut emprunter ce modèle analytique pour examiner les processus de succession interne au FA ou les problèmes des leaders charismatiques, qui ont sans doute contribué à cette paralysie particulière. Dans tous les cas, l'instance, la place spécifique du frein, est plutôt une capillarité gouvernementale qui agit dans une certaine épaisseur de l'application de la loi.

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La lutte reste ouverte, une lutte de différentes forces, en-dehors ou au dedans de la Loi. Les formes de protestation et d'action événementielles, malgré leurs irruptions pleines de vie, sont confrontées à une force de loi hostile à ces populations, qui d'une manière ou d'une autre préserve les limites. Cela n'a rien de surprenant : comme le soulignait Walter Benjamin dans sa huitième thèse de philosophie de l'histoire, « l'état d'exception dans lequel nous vivons est la règle. Nous devons adhérer à un concept de l'histoire qui corresponde à ce fait 42».

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1

Par exemple, en ce qui concerne le mariage égalitaire et l'activisme non hétéro-conforme, voir Diego Sempol, De los baños a la calle. Historia del movimiento lésbico, gay, trans uruguayo (1984-2013), Montevideo, Editorial Debate, 2013. Et « La diversidad en debate : Movimiento LGTBQ uruguayo y algunas tensiones de su realineamiento del marco interpretativo », [en ligne], in Psicología, conocimiento y sociedad, vol. 6, n°2, 2016, p. 321-342. En ce qui concerne les campagnes pour la dépénalisation de l'avortement, voir Niki Johnson, Cecilia Rocha et Marcela Schenck, La inserción del aborto en la agenda político-pública uruguaya 1985-2013 – Un análisis desde el Movimiento Feminista, Montevideo, Ediciones de Cotidiano, 2015. À propos de la réglementation de la marihuana, voir Sebastián Aguiar et Clara Musto, « El rayo verde. Regulación de la marihuana en Uruguay », in B. C. Labate, T.Rodrigues (éds.) Drogas, Política y Sociedad en América Latina y el Caribe, México DF,  CIDE, 2015, p. 297‑316 et aussi Verónica Filardo, Sebastián Aguiar, Clara Musto et Diego Pieri « La marihuana provoca esquizofrenia. Espacio público y drogas en Uruguay », in Aporte universitario al debate nacional sobre drogas Montevideo, Fundación de Cultura Universitaria, 2015, p. 119‑170. Sur « l'Agenda des droits » en général, voir Felipe Arocena et Sebastián Aguiar « Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes », Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014, p. 69-86.

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2

Alain Badiou, El ser y el acontecimiento, Buenos Aires, Manantial, 1988/1999. Voir aussi : Maurizio Lazzarato, Políticas del acontecimiento, Buenos Aires, Tinta Limón, 2006.

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3

Michel Foucault, Seguridad, territorio y población, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 2004/2006 et Michel Foucault, Nacimiento de la biopolítica, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 2005/2007.

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4

Roberto Espósito, Immunitas : protección y negación de la vida, Buenos Aires, Amorrortu, 2002/2009.

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5

Giorgio Agamben, Homo sacer : el poder soberano y la nuda vida. Valencia, Pre-Textos 1995/2006.

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6

Jacques Derrida, Fuerza de ley, Madrid, Tecnos, 2008.

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7

Le travail de terrain a comporté plusieurs enquêtes sur ce sujet. Entre 2014 et 2017, six groupes de discussion ont été organisés avec des militants à la Faculté des sciences sociales. Concernant la réglementation de la marihuana, depuis 2008, l'auteur a assisté à 15 groupes de discussion (composés de décideurs, de militants, de simples citoyens et d'usagers), assuré le suivi de la presse nationale et mené deux sondages représentatifs de la population, en 2013 et 2017. Pour ce qui est de la campagne contre la baisse de l'âge de l'imputabilité pénale, il a mené une enquête nationale spécifique en 2014 et participé à six groupes de discussion représentatifs de la population générale entre 2014 et 2015. En ce qui concerne les demandes LGBTQ, il a suivi des groupes de discussion et mené des interviews sur l'opinion publique et sur la « Marche de la diversité ». Quant à l'agenda des droits en général, il a analysé la presse de cette période et conduit des entretiens spécifiques. Dans tous les cas, ces informations empiriques n'étaient que la base de la réflexion et ne seront qu'exceptionnellement citées à titre explicite. De même, l'auteur a participé à la coordination entre les acteurs et les organisations sociales pour les différentes requêtes.

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8

Voir à ce sujet le livre biographique d'Alfredo García, Pepe Coloquios, Montevideo, Fin de Siglo, 2009 et de nombreuses déclarations de presse.

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9

Président réélu ensuite pour la période 2014-2019.

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10

Sidney Tarrow, El poder en movimiento. Los movimientos sociales, la acción colectiva y la política, Madrid, Alianza Universidad, 1994/1997, p. 155.

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11

Doug Mc Adam, John Mc Carthy et Mayer Zald, (éds.), Movimientos sociales : perspectivas comparadas, Madrid, Editorial Istmo, 1996/1999.

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12

Maurizo Lazzarato, Políticas del acontecimiento, Buenos Aires, Tinta Limón, 2006, p. 44.

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13

Nicolás Thevenet, Cuidados en personas adultas mayores. Análisis descriptivo de los datos del Censo 2011, Montevideo, Mides, 2013.

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14

MSP-OUD-Mides, II Encuesta mundial de salud adolescente. Montevideo, MSP, 2013.

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15

Le taux de pauvreté chez les jeunes de 15 à 24 ans est cinq fois supérieur à celui des personnes âgées de plus de 55 ans (Cepal, Panorama social de América Latina, Santiago du Chili, Cepal, 2014), et celui des adolescents de 13 à 17 ans, huit fois supérieur à celui des plus de 65 ans (INE, Estimación de la pobreza por el método del ingreso, año 2014, Montevideo, 2015). En Amérique latine, l'Uruguay vient au dernier rang – loin derrière les pays de la région en matière de profil générationnel (Cecilia Rossel, Desbalance etario del bienestar, El lugar de la infancia en la protección social en América Latina. Serie políticas sociales, n°176, Cepal, Santiago du Chili, 2013).

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16

OIT, Trabajo decente y juventud, Lima, OIT, 2007.

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17

Santiago López, « La edad de los líderes », [en ligne], Blog Razones y personas : Repensando Uruguay, 2016.

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18

Sebastián Aguiar, Clara Musto, « El rayo verde. Regulación de la marihuana en Uruguay », in B.C. Labate, T. Rodrigues (éds.), Drogas, Política y Sociedad en América Latina y el Caribe, Mexico DF, CIDE, 2015, p. 297‑316.

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19

« Pour être inclus dans une position générationnelle […] il faut être né dans le même contexte historique et social et dans la même période. Cependant […] pour pouvoir à juste titre parler d'un lien générationnel, il faut avoir participé au dessein commun de cette unité historique et sociale ». Karl Mannheim, « El problema de las generaciones », REIS, n° 62, 1952/1993, p. 221.

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20

Verónica Filardo, Sebastián Aguiar, « Cartografías, generaciones y acontecimiento : a propósito del movimiento social juvenil », in El Uruguay desde la Sociología XI, Montevideo, Departamento de Sociología, Facultad de Ciencias Sociales, 2013, p. 191-216.

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21

Felipe Arocena, Sebastián Aguiar, « Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes », [en ligne], Cahiers des Amériques Latines, n° 77, 2014, p. 69-86, [https://doi.org/10.4000/cal.3386].

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22

Joaquín Cardeillac, La construcción social de la vejez en el parlamento. Montevideo, Universidad de la República, 2003. Miguel Serna, Giro a la Izquierda y nuevas elites en Uruguay ¿Renovación o reconversión? Montevideo, Universidad de la República, 2012.

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24

Ernesto Laclau, Chantal Mouffe, Hegemonía y estrategia socialista, Buenos Aires, FCE, 1996/2004.

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25

Michel Foucault, « Espacios diferentes », in Obras Esenciales, vol. III, Barcelone, Paidós, 1968/1999, p. 431-441.

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26

Michel Foucault, Seguridad, territorio y población, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 2004/2006. Michel Foucault, Nacimiento de la biopolítica. Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 2005/2007.

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27

Giorgio Agamben, Homo sacer : el poder soberano y la nuda vida, Valencia, Pre-Textos, 1995/2006.

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28

Maurizio Lazzarato, Políticas del acontecimiento, Buenos Aires, Tinta Limón, 2006.

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29

Michel Foucault, Los anormales, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 1999/2000.

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30

Roberto Espósito, Immunitas : protección y negación de la vida, Buenos Aires, Amorrortu, 2002/2009.

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31

Carl Schmitt, El concepto de lo político, Madrid, Alianza, 1921/2005.

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32

Giorgio Agamben, Estado de excepción, Buenos Aires, Adriana Hidalgo Editora, 2003/2010, p. 111.

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33

Giorgio Agamben, Estado de excepción, Buenos Aires, Adriana Hidalgo Editora, 2003/2010, p. 77.

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34

Giorgio Agamben, Estado de excepción, Buenos Aires, Adriana Hidalgo Editora, 2003/2010, p. 80.

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35

Paraphrasant Agamben, « le syntagme “force de loi” s'appuie sur une longue tradition de droit romain et médiéval, qui présente le sens générique de l'efficacité, de la capacité à obliger. Mais ce n'est qu'à l'époque moderne, dans le contexte de la Révolution française, qu'elle commence à indiquer la valeur suprême des acteurs étatiques exprimés par les assemblées représentatives du peuple. À l'article 6 de la Constitution de 1791, force de loi désigne ainsi l'immatérialité de la loi, même devant le souverain, qui ne peut ni l'abolir ni la modifier ». (2010, p. 79). La force de loi contient alors ce double sens : d'une part, la capacité à s’imposer et d'autre part, la nature supérieure du Droit.

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36

Jacques Derrida, Fuerza de ley, Madrid, Tecnos, 2008. 

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37

Il part d'une citation de Montaigne : « ... l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente ; et c’est le plus sûr : rien, suivant la seule raison, n’est juste de soi [...] La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue ; c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe, l’anéantit.» Pensées, Éd. Brunschvicg, # 298, p. 467 (Montaigne, in Jacques Derrida Fuerza de ley, Madrid, Tecnos, 2008, p. 28-29).

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38

Jacques Derrida, Fuerza de ley, Madrid, Tecnos, 2008, p. 19-20.

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39

Alain Badiou « Movimiento social y representación política » [en ligne], in Acontecimiento, n°19-20, 2000.

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40

Felipe Arocena, Sebastián Aguiar, « Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes », Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014, p. 69-86, [https://doi.org/10.4000/cal.3386].

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41

Carlos Real de Azúa, El impulso y su freno. Tres décadas de batllismo y las raíces de la crisis uruguaya, Montevideo, Ediciones de la Banda Oriental, 1964.

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42

Walter Benjamin, « Tesis de la filosofía de la historia », in Ensayos escogido, Buenos Aires, El cuenco de plata, 1959/2010.

Giorgio Agamben, Homo sacer : el poder soberano y la nuda vida, Valencia, Pre-Textos, 1995/2006.

Giorgio Agamben, Estado de excepción, Buenos Aires, Adriana Hidalgo Editora, 2003/2010. 

Sebastián Aguiar, Clara Musto, « El rayo verde. Regulación de la marihuana en Uruguay », in B.C. Labate, T. Rodrigues (éds.), Drogas, Política y Sociedad en América Latina y el Caribe, Mexico DF, CIDE, 2015, p. 297‑316.

Felipe Arocena, Sebastián Aguiar, « Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes », [en ligne], Cahiers des Amériques latines, n° 77, p. 69-86, [https://doi.org/10.4000/cal.3386]

Alain Badiou, El ser y el acontecimiento, Buenos Aires, Manantial, 1988/1999.

Alain Badiou, « Movimiento social y representación política », [en ligne], Acontecimiento, n°19-20, 2000.

Walter Benjamin, « Tesis de la filosofía de la historia », in Ensayos escogidos, Buenos Aires, El cuenco de plata, 1959/2010.

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