Le 16 juin 2010, dans le cadre imposant du Théâtre Arriaga de Bilbao, quatre cents personnes se sont relayées pour lire à voix haute Haur besoetakoa (La filleule, 1970) unique roman d’un auteur de langue basque, Jon Mirande1. Parmi les participants, le maire de la ville, Iñaki Azkuna, le secrétaire général du Parti nationaliste basque (PNV) Josune Ariztondo, la socialiste Isabel Celaa, la spécialiste de la littérature basque Blanca Urgell et l’évêque de Bilbao Mario Iceta. Mirande est décédé en 1972. Et pendant des décennies, les nationalistes basques espagnols n’ont jamais rendu hommage à ses œuvres malgré son soutien constant et passionné à leur cause. La raison de cette prudence paradoxale est le fait que Mirande était farouchement antisémite et admirateur explicite du IIIe Reich. Ainsi, dans un de ses articles, il avait célébré le pogrom d’Estella en Navarre en 1328 comme la manifestation de la fierté de la race basque face à tout ce qui pouvait la menacer. Les sympathies du Parti national basque envers Israël pour ses réalisations nationales, militaires et linguistiques expliquent pourquoi ce fervent nationaliste basque a été constamment réduit au silence au Pays Basque espagnol jusqu’en 20102. La célébration qui eut lieu au Théâtre Arriaga de Bilbao cette année-là n’est qu’un symptôme de l’amnésie, du cynisme et de la faible culture des politiciens et de l'élite intellectuelle locaux.
Jon Mirande, qui rêvait de l’idéal basque de Paris, soutint avec enthousiasme le programme nazi de démembrement du territoire français en faveur des Basques et des Bretons. Il pensait qu’il fallait mettre en œuvre les idées de l’Obergruppenführer-SS, le Dr Werner Best, qui organisa les déportations des juifs de 1942 en France et qui était passionné par la question basque (Basquenfrage)3. Le Dr Best reconnaissait que : « les Basques conservent leur pureté raciale pour avoir interdit aux Juifs de s’établir au Pays basque », et son lieutenant Manchen lui avait écrit depuis Biarritz une lettre dans laquelle il lui expliquait que : « du point de vue de l’idéologie, les Basques et les Allemands partagent les mêmes principes raciaux, les Basques se sentent proches de la nouvelle Allemagne. Les Basques construisent leur conception du peuple sur le sang qui coule dans leurs veines »4.
Récemment, le public espagnol a compris à quel point les Nazis de haut rang considéraient le cas des Basques comme une illustration de leurs théories raciales. En effet, la récente redécouverte du film Im Lande der Basken, réalisé en 1944 par le metteur en scène allemand Herbert Brieger, a eu un impact d’importance en Espagne. Le film était une tentative de présenter une vision mythique du peuple basque, à coup de clichés propres des codes et de la langue de la propagande nazie. Ce ne fut pas l’unique film allemand sur le sujet à l’époque, mais le seul qui ait survécu dans les archives de films. Le même réalisateur, Brieger, a également tourné un film Biscaya südwärts (Biscaye vers le Sud) en 1944 qui est perdu. Dans le film qui a été conservé, une voix off pose la question centrale pour les spécialistes de la race : « D’où vient cette personne ? Personne ne sait. Peut-être des bâtisseurs de la Tour de Babel, des Phéniciens, des gens de l’Atlantide, des Finlandais ou des Mongols. Quoi qu'il en soit, la théorie la plus populaire dit qu'ils viennent des Ibères »5.
Herbert Brieger, Im Lande der Basken, 1944. Film de propagande nazie sur le folklore et l'identité basque.
Fondements racistes d’un nationalisme
Il n’est pas surprenant que la question basque et le souvenir du nazisme se croisent ainsi. Au mois de juillet 1993, fut publié à Madrid un livre au titre en forme de jeu de mots : Auto de terminación6. Il renvoie à l’idée d’autodétermination, mais dans la graphie choisie il signifie « constat de fin ». Ses auteurs étaient un anthropologue, Juan Aranzadi, un philologue, Jon Juaristi et un journaliste politique, Patxo Unzueta. Les trois avaient milité dans leur jeunesse dans l’organisation E.T.A., ou en avaient été proches, jusqu’à la mort du dictateur Franco. Le livre fut publié par Aguilar-El País une maison d’édition appartenant, comme le quotidien El País, au groupe de presse PRISA, ce qui lui garantissait un impact important dans la société espagnole. La couverture du livre posait trois questions : « l’antisémitisme est-il le modèle de l’idéologie nationaliste ? », « l’autonomie peut-elle combler les aspirations du nationalisme basque ? », « peut-on imaginer une fin négociée de la violence de l’E.T.A. ? ». En effet, le livre s’ouvre sur plusieurs chapitres qui démontrent la présence de l’élément antisémite dans la formation séculaire de l’identité politique basque. Jon Juaristi dans un chapitre intitulé « Le ghetto vide » souligne : « l’anti-espagnolisme basque est, a été et sera – tant qu’il existera – une forme d’antisémitisme »7. L’aller et retour entre la question basque et la question juive occupait ainsi la moitié d’Auto de terminación. On est alors à une époque où le nombre des assassinats commis au nom de la libération basque continue d’horrifier la population espagnole : 25 en 1990, 46 en 1991, 26 en 1992. À cette date, le chef du gouvernement basque ou Lehendakari, José Antonio Ardanza, membre du Parti nationaliste basque promeut depuis le « Pacte de Ajuria Enea » (1988) une politique de dialogue de toutes les organisations politiques qui rejettent le terrorisme. Comme pour contrebalancer cette stratégie politique de conciliation, le leader du même Parti nationaliste basque, Xabier Arzalluz défend une idéologie radicale fondée sur une conception ethnique de l’identité politique. Comme l’indique la note introductive de l’éditeur au début du livre, le volume Auto de terminación constitue une réponse à chaud face à un tournant du débat politique :
En 1993, Juan Aranzadi, Jon Juaristi et Patxo Unzueta publient Auto de terminación, jeu de mot associant l'autodétermination à un « constat de fin ».
« En 1993, on a recommencé à invoquer l’existence d’une race basque différenciée comme argument pour réclamer un traitement politique également différencié ».
À quoi faisait alors allusion la note de l’éditeur ? Au début du mois de février 1993, soit six mois avant la publication du livre, le leader du Parti nationaliste basque, Xabier Arzalluz avait poussé loin la provocation à l’occasion d’une réunion politique tenue dans la ville de Tolosa (Guipúzcoa). En effet, il avait alors réaffirmé l’importance des marqueurs sanguins, c’est-à-dire la présence massive du groupe O et du facteur rhésus négatif dans la population basque. Ces marqueurs entraient dans la définition de l’identité basque, et ouvraient droit à des aspirations politiques spécifiques et légitimes. Il avait affirmé : « en Europe, ethniquement parlant, s’il existe une nation c’est la basque ». Il ajoutait que l’analyse biologique démontrait que les traits spécifiques de l’homme de Cro-Magnon ne subsistaient que chez les Basques8. Le séquençage de l’ADN, au tournant des années 2000, a enterré la possibilité de fonder l’identité basque sur des marqueurs physiologiques. Mais une dizaine d’années plus tôt, il était encore possible de restaurer le langage pseudo-biologique héritier des élucubrations du XIXe siècle.
Dirigeant du Parti nationaliste basque entre 1980 et 2004, incarnant l’aile dure de son propre parti, Xabier Arzalluz a été un propagandiste brillant, un provocateur et un dialecticien redoutable. Aussitôt déclenchée la polémique sur le caractère raciste de l’argument du rhésus négatif, Arzalluz tira profit de la tempête provoquée par lui-même. Deux jours après que la presse de Madrid et Barcelone eut dénoncé le recours à ces notions biologiques, il réplique à ses détracteurs dans un article publié dans le quotidien basque Deia, en date du dimanche 7 février 1993. Il désigne ironiquement tous ses contradicteurs comme les porte-parole de l’« Espagne éternelle », notion tirée du nationalisme franquiste. Il prend la défense du publiciste Sabino Arana fondateur en 1895 du Parti nationaliste basque, qui est à juste titre accusé d’avoir développé une conception ethnique, pour ne pas dire raciste, de l’identité basque9. En défendant l’honneur politique du père fondateur, c’est la légitimité de son mouvement qu’il affirmait.
À gauche : Sabino Arana et sa femme, circa 1900.
À droite : Xabier Arzalluz à l'inauguration d'une réunion du parti nationaliste (Batzoki du 13 de mayo de 1979).
De quoi s’agissait-il ? Le nationalisme basque de Sabino Arana reposait sur le rejet des ouvriers migrants d’autres régions espagnoles venus au Pays Basque attirés par l’industrie sidérurgique et les chantiers navals et sur l’affirmation de l’identité ethnique des résidents de la région. Il désignait les envahisseurs par le terme de « maketos », leur société comme la « maketería » et la volonté politique d’envahir la société basque comme le « maketismo ». Pour opérer une distinction entre les populations résidentes et pour la perpétuer, il était indispensable selon lui de garantir une rigoureuse séparation entre elles. C’est pourquoi il accordait une importance capitale à la question des alliances matrimoniales, rejetant tout mariage qui unirait une personne purement basque à toute personne d’origine maketa. Lui-même avait choisi son épouse après avoir vérifié l’origine exacte de ses seize arrière-arrière-grands-parents. Dans un article de 1895, paru dans la revue qu’il avait fondée en 1893, il affirmait :
Aujourd’hui puisque de nombreuses familles biscayennes ont été mélangées avec des maketos ou Espagnols, pour avoir perdu le sens et la conscience de leur nationalité, il faudra établir (lorsque nous serons libres) une distinction entre originaires et métis, en ce qui concerne les droits et les lieux où chacun serait autorisé à résider ; mais celui qui est de pure race maketa, celui-là ne cessera pas d’être maketo, même s’il descend de sept générations nées au Pays Basque et qu’il parle le Basque (Euskera)10.
Dans ce passage, l’expression entre parenthèses (lorsque nous serons libres) signifie au cas où le Pays Basque recouvrerait sa souveraineté politique. Dans le dispositif, il est question de distinction statutaire (ou de séparation) et de limitation du droit de s’installer. Mais le plus frappant est la définition de l’appartenance au peuple basque qui ne dépend pas de la profondeur historique de la présence d’une famille au Pays Basque, mais de son origine naturelle maketa ou basque. Le rejet des facteurs socio-historiques, culturels ou même environnementaux dans la définition de l’identité nationale est une constante chez Sabino Arana. L’article de 1895 ne constitue en rien un excès polémique dans sa rhétorique mais bien le fond de sa conception comme le montre un extrait d’un autre article, paru deux ans plus tôt :
il est évident que naître dans tel ou tel endroit ne signifie rien du point de vue de la race. Un enfant de biscayens né à Madagascar o au Dahomey sera aussi biscayen de race que s’il était né à Olakueta ; en revanche un descendant d’Espagnols né en Biscaye ne sera jamais biscayen de race.
Dióscoro Teófilo Puebla y Tolín, Primer desembarco de Cristóbal Colón en América, 1862, Museo del Prado.
Ces considérations ont deux objectifs. Le premier consiste à réaffirmer l’irréductible altérité des migrants d’origine « espagnole » ou « maketa » établis au Pays Basque. Le second était de rallier les communautés basques installées au Mexique, en Argentine, à Cuba et dans bien d’autres républiques américaines, y compris aux États-Unis. Ce point est d’une grande importance, car la dernière décennie du XIXe siècle est marquée par la diffusion de la célébration de la « race » hispanique, à l’occasion de la fête du 12 octobre en Espagne et dans nombre de républiques Latino-américaines, au lendemain du quatrième centenaire du premier voyage transatlantique de Christophe Colomb. Pour Sabino Arana, il était d’autant plus urgent de définir pour la séparer la race basque qu’il était témoin de la façon dont l’Espagne exaltait sa nationalité en termes de race dans le souvenir de sa gloire impériale. Le jour de la race (Día de la raza) célèbre ce que, plus tard en octobre 1934, José Antonio Primo de Rivera, fondateur de la Phalange espagnole (Falanje Nacional-Sindicalista), qualifierait d’« unité de destin dans l’universel » (unidad de destino en lo universal). Cette expression permettait d’exalter l’universalisme unitaire d’une hispanité qui avait été capable d’imposer à des populations composites l’unicité religieuse du catholicisme intransigeant, comme en témoigne l’encyclique de Léon XIII Quarto abuente saeculo datée du 16 juillet 189211. Ainsi, la défense de la race espagnole pouvait-elle exercer une attraction forte, y compris sur les basques américains et européens. Dans ce contexte, le nationalisme basque radical devait affirmer l’existence d’une incompatibilité raciale entre la partie basque et le tout hispanique. Pour parler avec les mots d’aujourd’hui, on avait alors affaire à une concurrence idéologique et politique à l’intérieur de la mouvance ultra-réactionnaire. De même, en cette fin du XIXe siècle, la définition raciale du fait basque, en tant que distincte de l’espagnole, se déploie dans le contexte de la volonté de définir l’identité espagnole elle-même en termes raciaux. Deux démarches en miroir, donc12. C’est pourquoi, Sabino Arana propose dans un article publié en 1899 une stricte séparation au sein de la société basque :
Par conséquent, il est absolument évident que le salut de la société basque, sa régénération présente et son espérance à avenir reposent sur l’isolement le plus absolu, dans l’abstraction de tout élément étranger, dans l’exclusion rationnelle et pratique de tout ce qui ne porte pas imprimé en caractères immuables le sceau d’une origine nettement basque13.
Arana s’inscrit alors dans un moment d’introspection qui touche toute l’Espagne, qu’il le voulût ou pas, autour du sentiment d’effondrement qu’a entraîné la perte des derniers colonies lointaines (Cuba, Puerto Rico, les Philippines), en 189814. Il emprunte à deux registres sémantiques, celui de l’apocalypse politique et celui de la distinction selon la race. Il se veut porteur d’un cri d’alarme avant qu’il ne soit trop tard. C’est-à-dire, avant que les intermariages entre purs basques et migrants venus du reste de l’Espagne ait fini de mêler les sangs à tout jamais. Dans ces conditions il aurait été surprenant qu’il n’emploie pas le terme de race qui, à cette époque, ne pâtissait pas de la censure qui lui a été appliqué en Europe après la tragédie du nazisme. Il écrivait ainsi en 1894 :
Votre race singulière par ses belles qualités, mais plus singulière encore pour n’avoir aucun point de contact ou de fraternité ni avec la race espagnole, ni avec la française qui sont ses voisines, ni avec aucune autre race dans le monde, était ce qui constituait votre patrie Biscayenne ; et vous, sans la moindre dignité et sans respect pour vos pères, vous avez mêlé votre sang avec le sang espagnol ou maketo, vous êtes devenus frères et vous vous êtes fondus dans la race la plus vile et méprisable d’Europe et vous faites en sorte que cette race avilie remplace la vôtre sur le territoire de votre Patrie15.
Le point important ici est la désignation de la population espagnole non-basque comme la « race la plus vile et la plus méprisable d’Europe ». C’est ici que la question basque et la question juive se retrouvent dans l’imagination politique d’Arana. Car, dans une longue tradition de l’intransigeance catholique à laquelle il appartient intégralement, la trace de la vilenie juive – mais aussi musulmane – demeure ce qui abaisse la population espagnole par rapport à celle des autres pays d’Europe. Tout au long du XVIe siècle et au-delà, les polémistes hostiles à l’Espagne, aussi bien catholiques que protestants, ont inlassablement répété cet argument : l’Espagne de l’Inquisition est barbare parce que son régime est la tyrannie et parce que sa population est composée de sang-mêlés, demi-juifs, demi-maures. Or, la défense de l’identité basque repose sur la conviction que les Bizcainos, pour parler comme Arana et comme les sources anciennes, n’ont jamais laissé juifs ou musulmans convertis se mêler à eux :
puisque la race espagnole n’a jamais été une race, mais le produit informe du mélange de gens divers et variés, il existe des lois biscayennes de caractère fondamental qui sont inspirées par la répugnance naturelle que ressentaient les familles biscayennes en s’unissant à des familles étrangères, en raison de la conscience plus ou moins claire quelles se faisaient de leur race primitive et très singulière (…). Il s’ensuit que tandis que les termes juifs et maures qui apparaissent dans la législation espagnole doivent toujours être compris comme d’expressives professions de foi, leur présence dans les lois de Biscaye, en revanche, peut bien obéir à l’esprit de la race et non de la religion16.
On retrouve ici ce principe de concurrence avec la défense de la notion de « raza » hispanique, très en vogue au moment exact où écrit Sabino Arana. Ici, le « produit informe du mélange de gens divers et variés » que constitue la population espagnole ne renvoie pas à des mariages avec des Gascons, des Napolitains, des Aragonais ou des Portugais, mais bien avec des juifs et des musulmans. Et pour Arana, il convient qu’il ne subsiste aucun doute sur le caractère non pas religieux mais bien racial du rejet de l’élément juif ou maure dans la composition du peuple basque.
Hommes condamnés par l'Inquisition à porter le San Benito. Le premier s'est rétracté avant son jugement, le second après, le troisième est impénitent (le diable orne la tunique), gravure du XIXe siècle.
Défense et illustration de l’idéologie de Sabino Arana
Presque un siècle plus tard, son lointain et fidèle successeur, Xabier Arzalluz, dans l’article déjà cité de février 1993, s’emploie à décrire la rhétorique d’Arana comme typique de son époque. Sur ce point, on ne saurait lui donner tort. La confusion des registres est alors une grande banalité : identités ethniques, profils raciaux, différences linguistiques, patrimoines culturels et traditions politiques sont bien souvent associés dans la logorrhée nationaliste qui envahit toute l’Europe de la fin du siècle. Arzalluz retourne l’accusation faite au nationalisme basque d’avoir été le berceau d’un racisme radical. Il montre que le ségrégationnisme anti-juif et anti-musulman de Biscaye n’était que la mise en œuvre du ségrégationnisme présent dans toute l’Espagne à l’époque moderne. Mais avant de revenir sur cet argument, plus puissant qu’il n’y paraît, il convient de revenir sur la façon dont la question basque a été construite au tournant des XIXe et XXe siècles en étroite relation avec la question juive.
Sabino Arana, en effet, n’a rien d’original. Son discours reprend des lieux communs et leur apporte une coloration frénétique. En 1911, neuf ans après la mort d’Arana, l’érudit basque Luis de Eleizalde publie un petit volume, Raza, lengua y nación vascas, qui inscrit le legs idéologique d’Arana dans une tradition partagée et banalisée :
En Biscaye on adopta des lois afin que pour être citoyen et non simple résident, il fallait, ou bien être originaire de la race, ou bien être un étranger qui démontrerait n’avoir parmi ses ascendants aucun qui appartînt à la caste des maures ou des juifs. Cette loi comme le fait observer Monsieur Arana Goiri’tar Sabin demeura en vigueur pendant l’essentiel du XIXe siècle17.
Ici, l’élément à rejeter n’est pas tant l’étranger en général, que la personne incapable de prouver ne pas avoir d’ancêtre descendant de juifs ou de maures convertis. Autrement dit, les « maketos » ou espagnols sont ici tenus pour moins désirables que d’éventuels étrangers, parce que le soupçon de l’impureté dans la tradition de la pureté de sang domine. Bien entendu, ce langage politique est instrumental. Il rejette les migrants prolétaires issus des régions centrales et méridionales de l’Espagne, pour leur appartenance à la « maketería », mais il accepte volontiers la présence d’ingénieur anglais ou de chimistes allemands.
Les hauts-fourneaux de Bilbao, photographie, 1890, Hauser y Menet.
Cette distinction entre différents types de migrants repose sur le thème de l’enjuivement de la société espagnole, exception faite du réduit basque. Un thème qui remonte au XVIe siècle :
En ce qui concerne l’élément sémitique, nous avons vu l’importance de son influence dans la formation ethnique du peuple espagnol d’aujourd’hui. Cette influence est absente de la race basque ; cette race n’a subi aucune espèce d’infiltration sémitique. En Biscaye, en Guipúzcoa et dans les hautes terres de Navarre il n’existe pas le moindre trait de population hébreue18.
Pas d’infiltration sémitique chez les Basques et les Navarrais, du moins ceux de la montagne, car il était difficile de nier l’histoire brillante du judaïsme médiéval de Navarre. Pour qu’aucun doute ne subsiste sur le caractère racial de la définition des juifs comme source d’impureté et des basques comme population pure, un passage est très éclairant :
en ce qui concerne la race hébraïque, les choses ne se passaient pas en Euzkadi comme dans le reste de la Péninsule. Au-delà de l’Ebre les convertis étaient accueillis à bras ouverts par la société espagnole, parvenant aux plus hautes dignités de l’Église et de l’État ; mais en Navarre, les Cortes décrétèrent que les convertis ne pourraient pas aspirer à certains offices et bénéfices civils et ecclésiastiques, et le peuple navarrais les a toujours signalés par un stigmate de mépris, s’écartant avec horreur de tout mélange de sang avec eux. Le dernier des roturiers basques se senti déshonoré d’accepter qu’une nourrice juive donnât le sein à ses enfants (…). Le basque a toujours ressenti une répugnance instinctive à l’idée de mélanger son sang avec du sang étranger, comme s’il avait eu l’intuition que, au-delà de la pureté et de l’intégrité de la foi catholique, ce qu’il avait à préserver de plus précieux c’était de préserver la pureté immémoriale de la race. Il est vrai que le métissage en Euzkadi est relativement moderne et en petite proportion ; aujourd’hui encore quatre-vingt-dix pour cent de ceux qui naissent en Euzkadi sont de pure race basque19.
Dans une conférence prononcée en 1904, un autre érudit local, Mariano Arigita y Lasa abordait la question de la présence juive au Pays Basque, comme enjeu essentiel pour la détermination de l’avenir de l’identité basque :
notre peuple n’a jamais aimé les juifs, et si sur le terrain social il a dû les fréquenter, ce fut par la loi de la nécessité qui le poussait à s’adresser à eux en cas de difficultés pécuniaires ; mais il n’a jamais pris part à ses qualités de race et n’a jamais mêlé son sang avec le sang juif, ce qu’il a toujours tenu pour un état ignoble ; l’existence des fils de Judah n’a eu aucune influence au Pays Basque, pendant des siècles, ni pour les coutumes ni pour les manières d’être des naturels du très noble Pays Basque, dont l’éducation sociale était fondée sur la noblesse, la chevalerie et la générosité, sur la franchise, qualités premières de l’Euskaria (basquité), inconnue des parvenus calculateurs qu’un crime innommable et exécrable a lancés sur notre terre, et dont la vie n’a pu être supportable que grâce à la proverbiale hospitalité de nos ancêtres20.
Carte du Pays-Basque et des Asturies, XVIIe siècle.
Ainsi, comme chez Eleizalde, on trouve chez Arigita les éléments physiologiques de l’infection juive dont les Basques auraient su se protéger, contrairement aux Espagnols. En l’occurrence, il ne s’agit ni du sang impur ni du sperme, mais du lait des nourrices juives qui n’aurait pas souillé les lèvres des bébés de Biscaye :
En cette matière les Basques ont été si intransigeants, les rois et les magnats, les nobles et les roturiers ont partagé leurs sentiments et agi à ce point à l’unisson que, même lorsqu’ils eurent recours aux services de juifs et de juives, pour des cas médicaux et pour l’accouchement de leurs femmes, on ne connait aucun cas qui montre qu’ils aient confié leurs enfants à des nourrices juives, comme s’ils avait craint de contaminer le sang de leurs descendants s’ils le laissaient se mêler au lait des juives21.
La longue généalogie antisémite du particularisme basque
Sans doute ces élucubrations doivent-elles à la frénésie nationaliste qui s’est emparée de l’Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle, et dont des manifestations comme le mouvement völkisch allemand et le basquisme aranien sont ouvertement racistes22. Mais, dans le cas de l’affirmation de la singularité basque, la dimension raciale de la revendication politique plongeait ses racines dans un passé très antérieur à la formation des États-Nations au XIXe siècle23. Depuis le début du XVIe siècle, il était admis que les populations résidentes du Pays Basque, de la Cantabrie et des Pyrénées navarraises n’avaient pas été « souillées » par le mélange de race avec les envahisseurs musulmans ni avec les communautés juives24. Ces provinces bénéficiaient d’une sorte de pureté de sang générale et, point essentiel, qui n’avait pas à être démontrée. Cet avantage poussa les Basques à revendiquer une « noblesse universelle » pour toute leur population25. Tous étaient réputés nobles parce que purs de sang, alors que dans le reste de l’Espagne, la pureté de sang de certaines familles permettait d’affirmer la noblesse de leur lignage, à côté de familles suspectes de mélanges infâmes. Voici comment Baltasar de Echave en 1607 définissait le privilège de la « noblesse universelle » des Basques :
comme nos Provinces sont étroites par elles-mêmes, elles n’ont pas consenti à se mélanger, ni individuellement ni en général, avec des gens de nation étrangère, ni des gens qui soient tâchés et pas hidalgos (…). Ainsi, on voit qu’il s’agit d’une noblesse si ancienne qu’elle est la plus élevée et la plus sacrée comme disent certains et la plus continue, car elle n’a cessé de se reproduire et de croître depuis les siècles et les âges, avec toutes les exigences de la vraie noblesse (…) ; et cela est si vrai qu’il suffit que l’on prouve descendre de parents et de grands-parents naturels et de nos Provinces de Biscaye et Guipúzcoa depuis un temps immémorial pour obtenir une lettre patente qui vous reconnaît comme hidalgo de sang et seigneurie reconnus26.
♦ Depuis le Mexique où il s'était établi comme peintre, Baltasar de Echave affirme la pureté de la province basque, dont il est originaire. Le privilège de noblesse est collectif et repose sur l'idée que le territoire n'aurait jamais été souillé par la présence musulmane ou juive. Dans le traité, généalogies raciale et linguistique s'entremêlent : selon l'auteur, la langue basque aurait été importée par Tubal, petit-fils de Noé, et premier habitant de la région avec sa famille ♦
Baltasar de Echave, Discursos de la antigüedad de la lengua cantabra bascongada, Mexico, Henrico Martinez, 1607.
C’est pourquoi, des familles résidentes dans d’autres régions d’Espagne s’inventaient de fausses généalogies qui leur conféraient une origine basque ou cantabrique. Certaines familles tentaient d’acheter une maison dans la région, pour la convertir en demeure de leurs ancêtres. C’est pourquoi les articles XIII et XIV du premier titre du Fuero Nuevo de Biscaye (1526) interdisaient aux conversos d’y résider et d’y acquérir des biens immobiliers :
tous les hommes de Biscaye sont hidalgos et de noble lignage, de sang pur, et tous bénéficient par vos hautes grâces des décrets royaux sur le fait que les personnes nouvellement converties, des juifs et des maures, ainsi que leurs descendants de leur lignage ne puissent vivre ni résider en Biscaye27.
Suit la loi XIV :
certaines personnes parmi les nouvellement converties à notre Sainte Foi Catholique, des juifs et des maures et de leurs lignages, en raison de la crainte qu’elles ont de l’Inquisition et pour prétendre qu’elles ne sont pas roturières et se dire hidalgos, sont venues et viennent de mes royaumes et seigneuries de Castille, afin de vivre et résider dans les villes, bourgs et villages du comté et seigneurie de Biscaye ; s’il n’y est pas mis un coup d’arrêt il pourrait en découler dommages et inconvénients contre le service de Dieu et le mien28.
Ces phénomènes sont attestés par des milliers de procédures conservés dans les archives de l’Inquisition, les archives des ordres militaires, les archives des hauts tribunaux. Ils se traduisent, au Pays Basque, par la substitution de plus en plus systématique des toponymes aux patronymes, afin de désigner les lignages ancrés dans la région29. Dans ce cadre, le lieu de naissance importe bien plus que des noms de famille qui, parce qu’ils sont également présents dans le reste de l’Espagne, ne permettaient de se distinguer en tant que basque.
Maison ornée d'un blason à Zeanuri (Biscaye), Felipe Manterola (entre 1910-1920). La revendication de cette noblesse rurale est unanime dans la région sous l'Ancien Régime.
Ces dispositifs juridiques sont accompagnés par la production d’un corpus idéologique, dont les principaux auteurs sont l’ingénieur et philologue Andrés de Poza30, et les historiens Juan Martínez de Zaldivia (vers 1500-1575) et Estéban de Garibay (1533-1600). Dès le milieu du XVIe siècle, leurs écrits construisent la théorie de l’absolue singularité des Basques, qui renforce la présomption de pureté que leur accorde le droit. Ainsi, Poza rédige le premier exposé imprimé sur l’origine de la langue basque d’où il tire l’idée d’une prééminence des Basques en raison de leur ancienneté :
La noblesse de Biscaye n’a ni origine ni commencement, et d’elle on peut dire (sans mentir comme les Athéniens, qui se prétendaient aussi anciens que le sol sur lequel ils marchaient, ni comme les Arcadiens, qui disaient être apparus trente mille ans avant que la lune apparût dans le ciel) qu’elle a réellement conservé sa liberté, sa langue et ses mœurs depuis le patriarche Tubal jusqu’à nos jours. (...) En conclusion, le biscayen originaire et naturel de la province de Biscaye a toute raison de se vouloir noble de sang depuis des temps immémoriaux jusqu’à nos jours (exception faite des bâtards et autre maladie du même genre)31.
Ce type de raisonnement est présent dans la documentation manuscrite des juridictions anciennes. On le retrouve dans les traités rédigés à l’époque pour consolider le statut singulier des populations basques et cantabriques. Cette rhétorique montre que dans la pensée et les institutions politiques des XVIe et XVIIe siècles, il est impossible de distinguer la fidélité religieuse et la pureté raciale comme deux sphères séparées de l’expérience humaine. Dans un passage tiré de la Suma de las cosas cantábricas y guipuzcoanas l’historien Juan Martínez de Zaldivia montre comment, au contraire, elles s’articulent :
en raison de leur pureté et de leurs lignages, dont même les rustiques et les bergers se vantent, ils prétendent s’être toujours tenus à l’écart des hérésies, des juifs, maures et autres infidèles, de ne jamais s’être mélangés, d’avoir toujours conservé pur le nom de chrétiens et si un juif pour ses affaires venait sur ces terres il n’avait pas le droit de demeurer plus de trois jours dans une localité et treize dans toute la province ; il s’en suit que lorsque les enfants entendaient le nom de juif, ils prenaient peur comme s’il s’agissait d’une autre espèce que l’humaine et ils détiennent toujours ce privilège qu’aucun des nouvellement convertis à notre sainte foi ne peut résider sur leur terre32.
Un exemple de traité sur les privilèges juridiques de la noblesse de Guipuzcoa, Francisco Antonio de Olave, XVIIIe siècle.
Sur cette lancée idéologique et juridique, le siècle des Lumières fut le théâtre d’une confirmation de ce dispositif par lequel l’exceptionnalisme basque, et les privilèges que s’y attachaient, dérivaient de l’absence de pollution juive ou musulmane. Pour le jésuite Manuel de Larramendi dont les écrits datent de la première moitié du XVIIIe siècle, la démonstration de l’exception basque porte d’abord sur la pureté et l’intransigeance du catholicisme local :
Les Maures ont inondé l’Espagne, mais le mahométisme n’a pas pénétré en Guipuzcoa. Depuis que l’Evangile du Christ y a été prêché, le Guipuzcoa l’a reçue et a toujours conservé la religion catholique, apostolique et romaine, sans qu’il existe un seul cas de guipuzcoan qui ait apostasié et soit devenu hérétique, maure ou juif33.
Mais la pureté basque du Guipuzcoa ne se dit pas seulement en termes de fidélité religieuse, ce qui est en cause est la dimension raciale de l’être basque :
ils appartiennent à la nation la plus ancienne d’Espagne. (…) Une petite nation sans mélange, sans race (raza) de maures, de Goths, d’Alains, de Silingues, de Romains, de Grecs, de Juifs, de Carthaginois, de Phéniciens et autres nations dont on dit qu’elles sont venues en Espagne : il s’agit d’une nation petite, propre et libre de souillures dans son sang, son ascendance et sa généalogie34.
L’argumentation de Larramendi est en tout point logique. Il présente les mesures adoptées en Castille en matière de pureté de sang ainsi que l’action du Conseil des ordres qui veillait à ce qu’aucun sujet ne puisse devenir chevalier d’un ordre militaire s’il ne disposait pas d’un pedigree sans tache. Il souligne que ces mesures visaient à écarter le risque que ne s’introduisent dans les positions sociales les plus en vue les personnes « viles, maures, juives, nègres et mulâtres ». Or, avance-t-il, « ce risque n’existe absolument pas en Guipuzcoa »35.
Dans le traité qu’il consacre en 1749, puis 1761, à la définition juridique de l’entité politique basque, le juriste Pedro de Fontecha y Salazar revient sur les dispositions du Nuevo Fuero qui interdisent la résidence permanente de descendants de convertis sur le territoire de la seigneurie de Biscaye. Il ne ménage aucune distance entre la rhétorique en usage au début du XVIe siècle et le moment où il rédige son précis :
La seigneurie de Biscaye avec l’antique fermeté qu’on connaît de ses habitants, comme ses naturels sont d’une noblesse très célèbre et reconnue, se verrait fort injuriés s’ils acceptaient que résidassent parmi eux des gens aussi immondes, infects et de vile condition. Car on connaît bien entre toutes les nations l’ascendance et la descendance des juifs et des maures qui n’ont aucune noblesse, et ne pourraient la gagner. Et quand bien même eux, leurs parents ou leur grands-parents se seraient convertis, l’expérience prouve qu’ils ne sont pas constants dans la foi, ni loyaux envers leur roi, mais des traîtres coupables de lèse-majesté divine et humaine, et leur conversation, leur communication pourraient causer un grand tort aux naturels36.
On l’aura compris à travers ce florilège de textes, la construction culturelle d’une identité politique basque plonge ses racines dans des traditions textuelles qui remontent au tournant du XVIe siècle, sans solution de continuité. Il permet de constater l’existence de généalogies intellectuelles qui ne doivent rien à l’éclosion de l’anti-universalisme de Herder ni à la conception romantique de la nation. Tout au plus peut-on signaler que l’invasion napoléonienne et, plus tard, les trois guerres civiles carlistes ont précipité l’amalgame du particularisme ancien avec la revendication d’une séparation institutionnelle comme réponse au progrès du libéralisme dans l’Espagne du XIXe siècle37.
Manuel Salvador Carmona, Les fiançailles présidées par le rabbin, XVIIIe siècle.
Dans son article de 1993, Xabier Arzalluz proposait de modifier le regard sur le racisme de Sabino Arana et sur les avocats de la pureté de sang. Il situe, comme le ferait un bon historien de la culture, le langage d’Arana dans la culture politique de son temps :
Sabino Arana, n’a rien fait d’autre qu’appliquer au cas du Pays Basque le ‘principe des nationalités’, alors en vogue en Europe. Il en résulte que ce qui concerne les noms de famille, à l’origine, vient d’une exigence ‘espagnole’ en matière de pureté de sang et pas d’une arrogance basque. C’est pour respecter ‘le statut’ exigé par la Loi de Castille, le Fuero interdisait la résidence de maures, de juifs, de noirs et autres gens de sang impur.
Cette phrase est le point stratégique d’un article virulent et ironique lancé au visage de tous ses adversaires. Ce que dit ce passage est ceci : la population basque au XVIe siècle a tiré parti du fait que les autorités et les institutions de la société espagnole ont discriminé, en leur sein, les descendants de convertis. Les statuts de pureté de sang ont désigné l’élément à écarter partout en Espagne et ils ont, de facto, désigné le refuge basque, navarrais et cantabrique comme le réservoir de la pureté de sang pour toute l’Espagne. Un réservoir utile à tous et investi comme source de pureté par tous, et pas seulement par les Basques et les Cantabriques. Sur ce point, l’argumentation de Xabier Arzalluz est impeccable : si le cas basque a été institué comme le lieu d’une discrimination raciale, c’est bien en réponse à une demande de certification de pureté venue du reste de l’Espagne depuis le XVe siècle.
Pureté basque et purification espagnole
Les citations de la fin du XIXe siècle présentées plus haut, surtout celles de Sabino Arana, indiquent combien la construction identitaire basque a pris appui sur l’argument de la pureté raciale, par opposition à une population espagnole qui n’aurait pu éviter en son sein l’infection juive et musulmane. Mais il serait tout à fait injuste et erroné d’affirmer que cet antisémitisme sans complexe a été, à cette époque et au XXe siècle, contenu dans les limites étroites de la revendication nationaliste basque. L’Espagne contemporaine offre peut-être un bel exemple de ce qu’on appelle l’« antisémitisme sans juifs ».
L’Espagne du XIXe siècle et du premier XXe siècle, en dépit de son instabilité politique et de ses échecs géo-stratégiques, ne s’est pas tenue à l’écart du développement international de la pensée raciste. Comme le montre Joshua Goode dans son étude de la pensée raciale espagnole à l’époque contemporaine :
Cette conception de la nation comme faite de spiritualité, de traditions et d’histoire, combinée avec la conviction de la biologie moderne que des éléments d’identités remontent physiquement à des millénaires, demeure un leitmotiv chez les intellectuels espagnols de la fin du XIXe et du début du XXe siècle38.
Peinture rupestre, grotte d'Altamira, Cantabrie.
En effet, à aucun égard, le débat scientifique espagnol autour de l’archéologie, de l’anthropologie physique ou de la théorie de l’évolution ne s’est pas tenu en marge de la discussion internationale à la fin du XIXe siècle. Des savants espagnols participaient aux congrès internationaux sur les origines des populations humaines. La découverte des peintures rupestres dans la grotte d’Altamira en Cantabrie et le mystère des origines des Basques ont offert aux scientifiques espagnols l’occasion de se trouver au cœur de nombreux débats anthropologiques, à la fin du XIXe siècle39. Contrairement à ce qui se produisait dans les anciennes sociétés esclavagistes et dans les empires coloniaux européens d’Afrique et d’Asie, la pensée raciale espagnole était concentrée sur la composition de la société espagnole elle-même. Selon Joshua Goode :
Le XIXe compliqué de l’Espagne, marqué par des guerres civiles, des insurrections politiques et militaires, et un problème régional endémique, a conduit les penseurs de la race à se montrer plus préoccupés par l’ennemi intérieur que par l’ennemi du dehors40.
Ce n’est pas ici le lieu d’évoquer en détail l’histoire de l’antisémitisme réactionnaire dans l’Espagne contemporaine, plusieurs études ont très bien mis en lumière ces phénomènes41. Ce qui peut, en revanche, attirer notre attention c’est la persistance, dans cette judéophobie, de thèmes empruntés aux argumentations des XVIe et XVIIe siècles. Je ne veux pas opérer ici des distinctions, nécessaires, entre discours et mise en œuvre administrative du rejet des juifs pendant la Guerre Civile et la Dictature. Mais observer la longue durée de certaines argumentations.
Et la question raciale est ouvertement posée, même si les réponses apportées s’écartent du modèle nazi42. Dès l’époque de la Guerre Civile, une certaine littérature médicale, et plus précisément psychiatrique, essaie de comprendre la crise que traverse la société espagnole en termes raciaux43. Plusieurs auteurs décrivent dans leur nosologie l’adhésion au marxisme comme une psychose dégénérative et essaient d’identifier le terrain physiologique favorable au développement de cette maladie. La clef se trouve dans la mixité raciale héritée de l’histoire longue de l’Espagne. Comme l’écrivit le psychiatre Antonio Vallejo Nájera :
Aujourd’hui, comme au temps de la reconquista, nous les hispano-romano-goths nous luttons contre les judéo-morisques. Le tronc racial pur contre le bâtard (…). Le tronc racial marxiste espagnol est judéo-morisque, mélange de sang qui le distingue psychologiquement du marxiste étranger, pur sémite44.
Si la population espagnole, sous l’apparence de l’unité, est en réalité divisée en deux camps irréconciliables, c’est justement parce que l’assimilation des juifs et des musulmans a été mensongère, selon le même auteur :
la conversion de ceux qu’on appelle conversos fut feinte, guidée par la convenance et l’adaptation aux circonstances (…). La soumission au Jourdain chrétien n’a pas modifié le génie de cette race, n’a pas transformée sa psychologie sionite (sic : sionita) ancestrale, l’avarice, le mensonge, le philistinisme et la méchanceté qui sont ses traits typiques (…). Et lorsque la révolution a éclaté, déguisée en République, le converti annonce clairement ses objectifs, il désarticule les nœuds vitaux de la société chrétienne, il assassine, il vole, il viole et commet toute sorte de turpitudes.
Antonio Vallejo Nájera, chef des services psychiatriques sous la dictature militaire de Franco, s’est formé en Allemagne dans les années 1920. Il est persuadé qu’il est possible de prouver scientifiquement l'existence de gènes communistes, qu'il lie à une psyché sioniste ancestrale.
L’autre célèbre psychiatre franquiste, Juan José López Ibor, dans le fracas de la Guerre Civile, se posait a contrario la question de l’héroïsme de la partie saine de la population espagnole, celle qui voyait dans le caudillo le sauveur de la patrie. Il se demandait d’où les bons espagnols avaient tiré les ressources pour résister au poison de la République et du marxisme. Il le faisait, lui aussi, dans des termes explicitement raciologiques :
Il ne fait aucun doute que les facteurs raciaux et sociaux y ont leur part d’influence. En ce qui me concerne, je suis fermement persuadé que l’expression ‘réserve spirituelle des Espagnols’ n’est pas un mythe. Il existe quelque chose qui les tient droits dans les circonstances adverses. Sans doute les conditions biologiques spécifiques – la race – sans doute leur structure individuelle45.
Tout ce fatras idéologique se retrouve dans la propagande franquiste des premiers temps du régime de dictature comme l’atteste, par exemple, le discours prononcé par le généralissime Franco à Madrid le 19 mai 1939, jour du grand défilé célébrant la victoire des « nationaux » :
Le judaïsme, la maçonnerie et le marxisme étaient des griffes plantées dans le corps national par les dirigeants du Front populaire qui obéissaient aux consignes du Komintern russe. Ne nous faisons pas d’illusions : l’esprit judaïque qui rendait possible l’alliance du grand capital avec le marxisme, et sait si bien pactiser avec la révolution anti-espagnole, ne peut pas s’extirper en un jour car il palpite au fond de nombreuses consciences46.
Défilé de la victoire des troupes de Franco, 19 mai 1939.
Ce qui est intéressant ici c’est la résonance que conservait dans la mémoire espagnole l’idée d’un judaïsme qu’on ne peut extirper en un jour et qui palpite au fond des consciences. Il s’agit d’un calque presque parfait de ce qui conduisit, à la fin du XVe siècle, à créer un nouveau tribunal de l’Inquisition. Le moteur de cette institution était le soupçon selon lequel la judéité et l’islamisme pouvaient continuer de palpiter dans le cœur de familles converties de gré ou de force au christianisme.
La société espagnole, épuisée par trois années de guerre civile et tenue à l’écart de la guerre mondiale par la neutralité choisie par Franco, n’a donc pas partagé avec les autres nations européennes la conscience de ce que les populations juives avaient subi une extermination sans pareille. Le meilleur signe de cette mise à l’écart, c’est qu’on ne voit guère de rupture de sensibilité entre l’avant-guerre et l’après-guerre dans l’acceptation de l’antisémitisme. Le régime de Franco, afin de pouvoir rejoindre les Nations Unies, avait progressivement éliminé toute évocation antisémite dans les discours officiels. Cependant, pour prendre un exemple, cela n’empêcha pas la production en 1952 du film Amaya o los Vascos, mis en scène par Luis Marquina47. Ce film était inspiré par un roman historique de l’écrivain navarrais Francisco Navarro Villoslada Amaya o los Vascos en el siglo VIII, publié en 187748. L’auteur carliste et traditionnaliste navarrais, se situe dans la préhistoire du nouveau nationalisme basque. Le roman présente un tableau de la Navarre – et par extension de l’Espagne – pendant l’invasion musulmane du VIIIe siècle. Quatre populations sont distinguées : les Wisigoths (c’est-à-dire l’Espagne incapable de résister), les Basques (le peuple qui échappe à la domination maure), les Maures musulmans venus d’Afrique et finalement les Juifs qui, parce qu’ils ont tout à gagner au triomphe islamique, trahissent leur pays d’accueil. Dans le fils de Marquina, les scènes qui présentent le sanhédrin des Juifs de Pampelune sont dignes des productions nazies, comme le Juif Süss de Veit Harlan49. La scène finale du film montre une chasse au juif traître dans les rues de Pampelune comme une fête joyeuse offerte au peuple basque-navarrais. Face à l’enjeu principal, la victoire des musulmans sur les Wisigoths, l’intrigue met en scène les Juifs qui, ayant compris que seuls les Basques avaient la capacité de résistance face à l’Islam, s’attachent à leur nuire afin de favoriser l’invasion musulmane. Au bout du compte, le film montre que l’affrontement des Juifs et des Basques commande le devenir historique de toute l’Espagne. On observera que cette production cinématographique, dont l’antisémitisme pouvait paraître d’un autre âge, est contemporaine des premières négociations du gouvernement de Franco avec l’administration du président Eisenhower, qui ont abouti à la signature des Accords de Madrid de 1953, ainsi qu’à l’admission de l’Espagne dans les rangs de l’UNESCO50.
Amaya o los Vascos, mis en scène par Luis Marquina, 1952.
Au-delà du franquisme
Que des reliques idéologiques des années 1930-1940 aient été encore présentes dans le cadre du régime franquiste, voilà qui ne peut guère surprendre. En revanche, il est plus étonnant de constater qu’un antisémitisme traditionnel se soit exprimé dans l’intelligentsia républicaine espagnole en exil. Le cas le plus célèbre demeure celui du médiéviste Claudio Sánchez Albornoz, président du gouvernement espagnol républicain en exil de 1962 à 197151. Dans la grande somme qu’il publie à Buenos Aires en 1957, L’Espagne une énigme historique, il répondait au livre d’Américo Castro, La réalité historique de l’Espagne, publié trois plus tôt à Mexico. Castro interprète la singularité espagnole comme le fruit des influences croisées des populations chrétiennes, juives et musulmanes qui ont coexisté et se sont confrontées dans la Péninsule ibérique. Il refuse l’idée qu’il eut existé quelque chose comme une identité espagnole antérieure à l’an Mil. Contre cette théorie, Sánchez Albornoz, spécialiste de l’histoire médiévale des Asturies, enracine l’identité espagnole dans la dominante (wisi)gothique, reléguant les dimensions musulmanes et surtout juives sur les marges voire à l’extérieur du processus de formation de l’hispanité. Ce débat a fait couler beaucoup d’encre et ne nous intéresse guère ici, si ce n’est parce que le livre de Sánchez Albornoz est un bon révélateur du degré d’antisémitisme jugé acceptable dans la société espagnole contemporaine. Dans l’édition publiée en Espagne en 1973, on trouve de nombreux passages comme ceux qui suivent. Le premier, qui semble donner raison au discours de Franco déjà cité, affirme que les juifs convertis au XVe siècle n’ont pas vraiment changé de tempérament, après avoir accepté de changer de religion :
Dans leur grande majorité les convertis demeurèrent fidèles à leur foi, il est évident qu’ils n’ont pas changé en vingt-quatre heures les habitudes de leur tempérament, qu’ils n’ont pas renoncé à leur penchant pour les affaires de crédit, d’impôts et de négoce ; et comme en leur qualité de chrétiens nouveaux ils ont acquis des droits et des prérogatives des vieux chrétiens sans changer de mode de vie ni de credo, le peuple espagnol au XVe siècle a pu constater que les juifs honnis pouvaient continuer à les extorquer et à les exploiter comme auparavant, et plus seulement de l’extérieur de leurs cadres sociaux mais également de l’intérieur. Leurs faux frères de foi pouvaient désormais les gouverner depuis des positions de commandement qu’ils occupaient auprès des rois et dans le gouvernement des cités52.
Claudio Sánchez Albornoz, L’Espagne une énigme historique, 1957.
Dans cet extrait l’historien républicain reprend à son compte la batterie des accusations formées contre les conversos par les promoteurs des statuts de pureté de sang des XVe et XVIe siècles et par les grands inquisiteurs. Tout y est : le caractère non sincère des conversions et l’utilisation frauduleuse du statut de chrétiens afin d’occuper des positions de pouvoir dans les villes et les royaumes. Mais l’historien médiéviste va beaucoup plus loin. Il dresse le bilan de l’histoire des relations de l’Espagne avec ses juifs. Il construit en symétrie l’histoire de deux persécutions de même intensité :
Le jour où l’on examinera en détail les torts que les juifs ont infligé à l’Espagne dans toutes les activités qui ont été à leur disposition, depuis l’espionnage jusqu’au financement d’entreprises militaires, et cela à des moments dramatiques et décisifs de son histoire moderne, et lorsqu’on aura pris la mesure de la violente persistance à travers les siècles de leur hostilité envers tout ce qui est hispanique (…) on comprendra pourquoi j’ai pu écrire que les comptes sont soldés. Nos persécutions contre les juifs et leurs descendants les convertis d’un côté, et de l’autre leur exploitation du peuple espagnol au Moyen Âge, le sombre héritage qu’ils ont laissé à l’Espagne en la quittant et les représailles qu’ils ont exercées après leur expulsion, tout cela équilibre la balance53.
Pour bien mesurer la portée de ce passage, il faut se souvenir qu’il fut écrit douze ans après l’ouverture des camps nazis, et réédité en Espagne près de trente ans après. Signe de l’intensité et de la solidité de l’antisémitisme de son auteur. Ou de la complète surdité espagnole à ce qui avait tant bouleversé l’Europe entre 1938 et 1945. Ou des deux.
Au sortir de la dictature, en effet, le refoulé de la mémoire juive revint en Espagne sous une forme débridée, dans un joyeux mélange fait de fantasmes, de souvenirs fictifs, de désir de renouer avec un monde juif disparu, de volonté de rattachement au judaïsme comme l’avers du national-catholicisme (et peut-être même du philo-arabisme sans faille) du régime de Franco. Le témoignage de l’historienne Danielle Rozenberg est éloquent :
Beaucoup d’Espagnols s’interrogent aujourd’hui sur les entrecroisements ethniques dans leur village, leur région, ainsi que sur l’origine de leur patronyme. Les communautés israélites de la Péninsule sont fréquemment consultées à ce sujet et, en l’absence de tout élément permettant de confirmer ou infirmer l’hypothèse d’un ancêtre juif, de nombreuses personnes se plaisent à l’imaginer54.
Mais ce fantasme, si répandu depuis la mort de Franco, ne renvoyait pas à une actualité contemporaine. En effet, la mémoire de l’holocauste et de la Deuxième Guerre mondiale occupait alors une place bien plus faible que dans n’importe quel pays européen. Sur ce plan, à la veille de son adhésion à la Communauté européenne (en 1986), l’Espagne se trouvait à plus grande distance de la France que la Pologne ou la Roumanie. Comme le souligne Alejandro Baer dans une étude sur l’oubli de Sefarad dans l’Espagne contemporaine : « Lorsque l’Espagne sortit enfin de l’emprise de la dictature de Franco, la démocratie fut reconstruite dans le pays en marge du système européen de valeurs, dans lequel la mémoire d’Auschwitz et autres camps occupent une place centrale »55.
Sans cette position en marge, on ne s’expliquerait pas aussi bien l’imposture d’Enric Marco, le faux ancien déporté, dont Javier Cercas a fait l’objet de son livre L’Imposteur56. C’est également pourquoi la diffusion de la série américaine Holocaust de Marvin Chomsky en juin 1979 eut un impact extraordinaire en Espagne. Un coup de tonnerre, après plus de trente ans de silence espagnol. Le jour de la diffusion du cinquième épisode, le 29 juin 1979, l’organisation néo-nazie espagnole CEDADE (Cercle espagnol des amis de l’Europe) lançait une campagne d’affiches pour dénoncer la série57. Elle publiait un communiqué qui évoquait « le mythe des six millions de morts » et accusait la télévision espagnole d’avoir programmé Holocaust, afin de préparer l’opinion publique à la prochaine reconnaissance de l’État d’Israël par l’Espagne. Fidèle à la tradition franquiste, les néo-nazis espagnols s’opposaient avec passion à la perspective de l’établissement de relations avec Israël. La série américaine avait été achetée à l’automne 1978 par Television de España et devait être diffusée en janvier 1979. Cette programmation fut suspendue sine die. Un article du quotidien El País rend compte de cette suspension. Il le fait dans des termes qui indiquent la persistance d’un langage antisémite, surprenant dans un journal du centre-gauche démocrate :
On estime que la décision de la programmation serait due à la polémique suscitée par le téléfilm QB VII, considéré comme propagande sioniste, et défendu par les milieux juifs. Holocaust, tout comme QB VII, est le signe incontestable du pouvoir du capital juif dans l’industrie cinématographique nord-américaine58.
Affiche de la série Holocauste.
Le ton était éloigné de celui des néo-nazis de CEDADE, mais pas si différent de celui de la littérature dérivée des Protocoles des Sages de Sion, si répandue dans l’Espagne des années 1920 et 193059. Tous les autres pays d’Europe occidentale et tous ceux du bloc soviétique avaient reconnu Israël en 1948 et 49, même si certains avaient rompu leurs relations après la Guerre des Six Jours. Seule l’Espagne n’avait pas reconnu Israël. L’année de son adhésion à la Communauté Européenne, le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez franchit le pas et reconnut Israël, après que la dictature et les gouvernements conservateurs de transition avaient refusé de le faire. De quoi alimenter la paranoïa des militants de CEDADE.
Aujourd’hui, la question d’Israël et la question juive, même si on peut le regretter, ne peuvent être parfaitement disjointes dans le débat public. Pas plus en Espagne qu’ailleurs. Ainsi, deux des co-auteurs du volume Auto de Terminación en 1993 se sont brouillés plus tard, non pas sur le problème basque, mais sur leur rapport au judaïsme. Jon Juaristi, philologue, poète puis directeur de la Bibliothèque nationale de Madrid, s’est converti au judaïsme. Comme leader d’opinion, il a pris la défense de l’existence de l’Etat d’Israël et de sa persistance. Il le fait dans un pays comme l’Espagne, où la majorité de l’opinion publique adopte une attitude entre critique et hostile à Israël, et manifeste une forte sympathie à l’égard de la cause palestinienne. Quelle que soit la motivation intime qui a conduit Jon Juaristi à devenir juif (et sur laquelle il a souvent refusé de se prononcer), l’adoption de l’identité juive par un enfant de la bourgeoisie basque de Bilbao et ancien militant d’E.T.A. doit être comprise par rapport à cet héritage et à ce parcours. Devenir juif, dans ces circonstances, cela revient à tourner le dos au cœur le plus profond et le plus secret de l’exclusivisme basque. C’est un pied-de-nez ironique à cinq siècles de fantasmagories, cinq siècles d’affirmation d’une pureté basque fondée sur l’absence de l’élément juif. De son côté, Juan Aranzadi, professeur d’anthropologie sociale, dans les livres qu’il a consacrés à la formation mythologique de l’identité basque, observe la question juive sous deux angles tout à fait différents. Comme Jon Juaristi, et bien d’autres, il ne manque pas de souligner l’importance qu’a revêtu le fantasme de la pureté de sang dans la genèse de l’identité basque. Mais, il interroge aussi la réalité juive lorsqu’il affirme que la construction ethnique et religieuse des Basques catholiques s’est faite sur le modèle du peuple élu dès le XVIe siècle. Du coup, il propose son histoire parallèle du délire politique basque et de la déraison politique sioniste, qu’il condamne avec la même vigueur polémique. En réalité, ce parallèle a une histoire très ancienne dans le débat intellectuel dans les pays ibériques. On sait bien que l’intransigeance doctrinale de l’Inquisition et l’idéologie de la pureté de sang ont ciblé de façon prioritaire et massive les descendants de juifs et musulmans convertis. Mais l’intransigeance religieuse et le refus du mélange ont été souvent interprétés comme la transposition dans la société chrétienne d’Espagne de mécanismes sociaux et de normes venus du monde juif. Il s’agit même d’un lieu commun de l’historiographie espagnole la plus réactionnaire des années franquistes, qui comprenait l’utilité de l’Inquisition comme facteur de cohésion politique et spirituelle, mais qui interprétait sa brutalité comme un héritage juif. Quoi qu’il en soit, Juan Aranzadi a souvent dénoncé la politique des gouvernements israéliens successifs. Il récuse le sionisme comme un phénomène politique basé sur une identité ethno-religieuse, aussi détestable à ses yeux que le nationalisme racial de certaines organisations politiques basques, légales ou terroristes.
La divergence est devenue inconciliable entre ces deux intellectuels basques de renom, qui gardent en commun un réel courage politique. Il est frappant, mais en réalité pas surprenant, que leur compagnonnage dans le combat contre le nationalisme radical et violent qui a si durement frappé l’Espagne post-franquiste se soit fracassé sur la question juive. Une question, dont on comprend qu’elle n’a jamais cessé de hanter l’Espagne après 1492, l’Espagne en son tout et l’Espagne en sa partie basque.
Depuis les années 1970, en tout cas, la société espagnole a connu des transformations politiques, sociales et culturelles d’une très grande profondeur, ce que seuls les observateurs en mal d’exotisme font mine de ne pas voir, lorsqu’ils remplissent les colonnes des journaux et des magazines de reportages sur la persistance sous-jacente du franquisme dans l’Espagne d’aujourd’hui. Vis-à-vis de la question juive des gestes ont été accomplis dans le champ des activités intellectuelles et de la création. La conversion de Jon Juaristi au judaïsme peut être comprise comme manifestation de rupture avec un imaginaire basque de la pureté enchâssé dans celui de la purification espagnole. On peut également penser à la publication de Sefarad (2001) d’Antonio Muñoz Molina du livre qui offre une méditation sur l’antisémitisme comme legs central de l’histoire européenne – Espagne incluse – de l’Inquisition au nazisme et au stalinisme60. L’ouvrage, en forme de variation mais aussi de somme, prend tout l’aspect d’une session de rattrapage, offrant au lecteur espagnol l’occasion de rejoindre et de partager une commune conscience européenne sur l’importance historique que revêtent les parcours de l’antisémitisme.
Conclusion : le nationalisme basque forme radicale du nationalisme espagnol
Ainsi, dans l’Espagne contemporaine, l’essentialisme ethnique du nationalisme basque, y compris dans sa dimension raciste, ne fait pas exception. Les processus sociopolitiques qui ont formé le royaume d’Espagne à la fin du Moyen Âge ont accouché d’un système religieux et racial de régulation de la société. Intransigeance catholique, attachement à la pureté de sang, obsession de la fidélité au lignage, code de l’honneur : autant de caractères qui permettent de définir aussi bien la revendication de la noblesse universelle basque que le casticisme dans l’ensemble de l’Espagne. L’idée que le Pays Basque serait le refuge de la pureté vieille-chrétienne n’avait eu de sens que parce que les nouveaux-chrétiens, descendants de convertis, étaient victimes de ségrégations dans toute l’Espagne et jusqu’aux Amériques61. Ces deux phénomènes, le basque et l’espagnol, ont été parfaitement harmoniques depuis le XVIe siècle. Le drame du nationalisme basque, dès lors, est son incapacité à se distinguer du nationalisme espagnol général. Les mêmes préjugés, les mêmes valeurs, l’enracinement dans la même histoire de la pureté de sang et dans la même l’intransigeance catholique : il s’agit d’une concurrence de jumeaux ou même de frères siamois, partageant la même litière réactionnaire.
Notes
1
Eva Larrauri, “Saizarbitoria en voz alta”, El Pais, Pais Vasco, June 17th 2011.
2
Gonzalo Álvarez Chillida, El antisemitismo en España: la imagen del judío, 1812-2002, Madrid, Marcial Pons, 2002, p. 238.
3
Ulrich Herbert, Werner Best. Un nazi de l'ombre (1903-1989), Paris, Tallandier, 2010, p. 290-293.
4
Santiago de Pablo and Teresa Sandoval, “Im Lande der Basken (1944). El País Vasco visto por el cine nazi”, Estudios Vascos, Sancho el Sabio, n° 29, 2008, p. 157-197.
5
Santiago de Pablo, Teresa Sandoval, “Im Lande der Basken (1944). El País Vasco visto por el cine nazi”, Estudios Vascos, Sancho el Sabio, n° 29, 2008, p. 157-197.
6
Juan Aranzadi, Jon Juaristi and Patxo Unzueta, Auto de terminación: (raza, nación y violencia en el País Vasco), Madrid, Aguilar-El País, 1993.
7
Juan Aranzadi, Jon Juaristi and Patxo Unzueta, Auto de terminación: (raza, nación y violencia en el País Vasco), Madrid, Aguilar-El País, 1993, p. 129.
8
Arzalluz : “if there is a true nation in Europe, ethnically speaking, it is Euskady”, El Pais, February 7th 1993.
9
Antonio Elorza, Tras la huella de Sabino Arana : los orígenes del nacionalismo vasco, Madrid, Temas de Hoy, 2005.
10
Sabino Arana, “Maketería y maketismo”, Bizkaitarra, February 2nd 1895.
11
Léon XIII, Quarto Abeunte Saeculo, Acta Santae Sedis, vol. XXV, Roma, 1892-93, p. 3-7.
12
José Alvarez Junco, Mater Dolorosa: la idea de España en el siglo XIX, Taurus, 2001, p. 269.
13
Sabino Arana, “Extranjerización”, El Correo Vasco, August 10th 1899.
14
Carlos Serrano Lacarra, “Conciencia de la crisis, conciencias en crisis”, in J. Pan-Montojo (ed), Más se perdió en Cuba. España, 1898 y la crisis de fin de siglo, Madrid, Alianza Editorial, 1998, p. 335-404.
15
Sabino Arana, “Nuestra voz”, Bizkaitarra, September 30th 1894.
16
Juan Aranzadi, El escudo de Arquíloco. Sobre mesías, mártires y terroristas, vol. 1 Sangre vasca, Madrid, A. Machado Libros, 2001, p. 230.
17
Luis de Eleizalde, Raza, lengua y nación vascas (A propósito de unos artículos publicados en el Debate de Madrid, por el Señor Don Fernando de Antón del Olmet, bajo el título El nacionalismo vasco y los orígenes de la raza vascongada), Bilbao, Eléxpuru Hermanos, 1911, p. 44.
18
Luis de Eleizalde, Raza, lengua y nación vascas (A propósito de unos artículos publicados en el Debate de Madrid, por el Señor Don Fernando de Antón del Olmet, bajo el título El nacionalismo vasco y los orígenes de la raza vascongada), Bilbao, Eléxpuru Hermanos, 1911, p. 41.
19
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