Artigas est de retour
Historien

(Université de la République, Uruguay - SNI)

Artigas en Paraguay

Artigas en Paraguay par Pablo Serrano [espagnol], non signé.

Fusain sur papier 30 x 36 cm, Circa 1950.

Provenance : don de l’ingénieur Jorge Masenés, 2003 MHN de l’Uruguay.

Dossier d’inventaire N. 4026.

Géométries de l’usage du passé

José Artigas est né à Montevideo en 1764, à la fois fils de l’aristocratie terrienne et de l’administration bureaucratique des Bourbons pendant leurs dernières décennies de présence à Río de la Plata1. De nombreux documents le présentent dans sa double activité, celle de la vie rurale dans ses difficiles rapports sociaux et celle de la milice du gouvernement sous diverses formes, notamment à la frontière avec l’empire du Portugal, au Brésil. Lorsque éclate la révolution de mai 1810, il séjourne dans la ville de Colonia del Sacramento qu’il quitte immédiatement pour se rendre à Buenos Aires et se mettre à son service afin de porter « la liberté jusqu’aux murs de Montevideo ». Il embrasse donc la cause de ladite révolution, qui se transforme rapidement en un mouvement indépendantiste de conception institutionnelle républicaine et confédérale contre la Couronne. Ce mouvement parvient alors à dominer militairement une partie de la province dans la Banda Oriental et réussit vers 1815 à imposer une éphémère influence dans les autres provinces s’opposant également à Buenos Aires, capitale du récent vice-royaume désagrégé de Rio de la Plata. La discorde et la guerre sur deux fronts contre les Portugais et les Porteños, s’ajoutant à la défection de ses collaborateurs/adjoints – caudillos fédéraux originaires d’Entre Ríos et de Santa Fe – le forcent à rejoindre le Paraguay où il se réfugie dans un imperturbable silence de trente ans, jusqu’à sa mort, en 1850. Sa mémoire ne sera réhabilitée que trois décennies plus tard – avec maintes controverses, finalement éteintes – pour être mise au service du roman national, républicain et étatique2.

L’artiguisme, en tant qu’orientation politique et des politiques, et en tant qu’interprétation dérivant de la politique et de la recherche historique, permet de compléter les analyses tentant de rendre compte du phénomène complexe de l’usage politique du passé. Une fois de plus, Artigas est revenu, il a été ramené, pris par la main par ceux, entre autres, qui révisent l’histoire à partir d’une idée de décadence d’un « ordre originel » dégradé, développée depuis leur défaite en 1820. Artigas a été une nouvelle fois utilisé, à droite comme à gauche du spectre politique, par ceux qui ont voulu montrer à travers lui ou à travers son projet, une dimension sociale sacrée, au-delà de la stricte politique. Le terme social étant également considéré comme équivalent à populaire et comme antagonique à l’idée de « partisan-factieux », et enfin comme équivalent à national au sein d’une société pensée comme unité organique, où la nation pourra prendre racine.

Nous tenterons une approche des usages contemporains d’Artigas et de l’artiguisme surtout, mais pas exclusivement, depuis l’expérience uruguayenne. Si le découpage que nous proposons tente de s’en tenir à une prémisse conceptuelle et méthodologique, le phénomène offre une complexité notable, car il faut qu’une reconstruction de l’usage du passé circule, en principe, à l’intérieur d’un périmètre tracé par des « faits historiques », des historiographies et des pratiques rhétoriques de la politique. Les moyens de communication tracent parfois une ligne perpendiculaire à celles-ci, afin de les défier, de les sortir de leur lit et de les obliger à trouver un langage. La primauté entre toutes ces dimensions varie et, quoi qu’il en soit, est elle-même historique.

Etudio sobre la fisonomia de Artigas1
Etudio sobre la fisonomia de Artigas2
Etudio sobre la fisonomia de Artigas3

Études sur la physionomie d’Artigas.

Fusain sur papier de José Luis Zorrilla de San Martín, 1941-1942.

Montevideo, MHN, Collection privée.

Des prairies au panthéon

L’artiguisme comme orientation politique et doctrinaire identifiable se concrétise bien après son apparition. En leur temps, le terme Artigueños a désigné de façon péjorative des partisans organisés en cercles lettrés et parfois illettrés, des miliciens, des curés et des publicistes, des négociateurs la plupart du temps intransigeants et des soldats dirigés par des caudillos locaux. Cette morphologie sociale et politique traduisiait de façon plus ou moins appropriée un schéma doctrinaire qui, s’il devint éclairé dans sa version la plus tardive, était solidement lié au souverainisme des théologiens scholastiques Francisco de Victoria (1483 Burgos) et Francisco Suárez (1548, Grenade) et avec le catholicisme franciscain qui avait modelé le caudillo pendant ses années de formation. Avec de tels vecteurs doctrinaux, au moment où la lutte militaire et politique s’est déclenchée dans la région de Río de la Plata – ces vecteurs étant aussi reformulés pendant la marche –, Artigas a conduit comme il l’a pu un mouvement républicain, alors que les élites nourrissaient encore des attentes monarchiques, indépendantistes par rapport à une Espagne « restaurée », intégrationniste (le mot est actuel) vis-à-vis des autres provinces à condition qu’elles ne menacent pas l’indépendance de la Banda Oriental, elle-même fondée sur des règles géopolitiques.

En sa qualité de gouverneur de facto, au-delà de la guerre qui finit par anéantir presque toutes les ressources matérielles et humaines, Artigas s’est appuyé non pas sur l’élite, pratiquement inexistante, mais sur une large base sociale rurale de propriétaires et de métayers partisans de la révolution et sur des milliers de personnes que la guerre et la révolution avaient progressivement plongé dans la misère. Comme l’écrivait La Gaceta et comme le rappelle Tulio Halperin, il s’agissait de ceux qui n’avaient rien à perdre et pouvaient également menacer l’ordre social3. Le programme artiguiste a ainsi appliqué des règles radicales :

 

  1. distribution des terres détenues dans la colonie par ceux qui, habitants et colons, sont devenus par la suite de « mauvais Européens et de piètres Américains » opposés à la révolution ;
  2. régulation commerciale fortement protectionniste pour l’ensemble des Provinces Unies, dans l’intention de stimuler un marché régional pendant la période de transition vers le libre commerce global dominé par la Grande Bretagne ;
  3. organisation républicaine idéalement montée à partir de la « souveraineté particulière des peuples » et appliquée à un modèle régional confédéral ;
  4. caractère populaire de ses partisans, dans un large panel de métiers et de fonctions rurales et urbaines, en prenant une distance de plus en plus grande avec le monde des patriciens auquel appartenait à l’origine le chef.

Presque rien de tout cela ne demeura sur pied. L’intransigeance politique d’Artigas, la précarité de ses alliances militaires au sein et à l’extérieur de la Province, la fragilité logistique et matérielle face à la dévastatrice invasion portugaise de 1816, donnèrent lieu à une guerre d’extermination de l’artiguisme dans la Provincia Oriental et à la capitulation des caudillos fédéraux qui l’avaient jusqu’alors suivi plus ou moins à distance. En 1820, il y eut une scission tragique pour Artigas : le fédéralisme finit par atteindre son but à Buenos Aires même, et le Chef des Orientaux alla se réfugier au Paraguay, abandonné, poursuivi, puis fait prisonnier par le terrible Supremo, Gaspar Rodríguez de Francia, qui l’envoya en exil jusqu’à sa mort en septembre 1850. À quelques exceptions près (celle des partisans Blancs de El Cerrito qui, pendant la Guerra Grande 1839-1852, l’inscrivirent sur le répertoire toponymique de la Villa Restauración ; et un peu plus tard celle de Tomás Diago qui commença d’interminables démarches pour lui élever une statue équestre), Artigas fut soumis à un oubli commode, ignoré par la république uruguayenne naissante et encore fragile. L’étude de Carlos M. Ramírez, publiée longtemps après, en 1884, rédigée dans un esprit polémique envers l’argentin-urugayen Francisco Berra et publiée dans le journal de Buenos Aires Sud América, allait marquer le commencement d’une revendication. Né en 1848 à Río Grande del Sur, au Brésil, plusieurs fois exilé pour raison politiques, Carlos M. Ramírez chercha de plusieurs façons à s’intégrer à la république uruguayenne : d’abord par le canal académique et universitaire, puis par celui du journalisme militant, par sa participation aux luttes politiques – généralement opposé aux partis traditionnels, le parti Blanco et le parti Colorado – et par sa promotion d’Artigas considéré comme le « précurseur de la Nationalité Orientale4 ». Comme pour le nationalisme et la nation, l’artiguisme donna naissance à Artigas ; et comme pour la nation, l’État joua alors un rôle crucial en intégrant l’artiguisme au projet pédagogique de sa consolidation. Ses soutiens étaient précaires, les documents en petite quantité et tendancieux, qu’il s’agisse de l’histoire de Belgrano écrite par Mitre en 1857, ou de ceux que compilèrent Andrés Lamas et Clemente Fregeiro. De toute façon, cette schématisation fut un formidable succès qui pénétra dans les écoles et dans la culture populaire, séduisit les élites et eut une fonction agglutinante dans une société fermée et définie plus tard comme « banlieusarde ». L’artiguisme comme reconstruction culturelle d’Artigas dégrossit les aspérités du personnage, remplaça les défaites par des victoires solitaires, dota les faits d’un caractère épique marqué par des repères définis selon un lignage classique : l’Exode, la Ligue Fédérale, Les Instructions de l’an XIII, le Discours inaugural… et même la Révolution.

portada del Curso...

Couverture du Curso de Historia Patria del Hermano Damasceno HD, 1942.

Artigas en el Hervidero. Manuel à l'usage des écoles.

Célébrations, révisions, usages

Cent ans après la mort d’Artigas, en 1850, l’Uruguay et l’Argentine avaient atteint un développement économique et social impressionnant, au moins par sa rapidité. Bien que partageant – partiellement en ce qui concerne l’Argentine, dont le territoire n’est pas comparable – une trame culturelle commune, leurs parcours politique et institutionnel divergeaient nettement. Artigas et San Martín furent invités aux célébrations de ce développement par Luis Batlle, alors président de l’Uruguay, et par Juan D. Perón président de l’Argentine, à ce moment-là deux « voisins dans la discorde5 ». Un demi-siècle plus tard, après une suite d’accords et de désaccords difficiles à énumérer ici, deux autres présidents « progressistes », Tabaré Vázquez et Néstor Kirchner, eurent un grave différend à propos des soins environnementaux à apporter au Río Uruguay et à son utilisation, ce qui entraîna une longue fermeture des ponts binationaux à l’initiative de militants argentins soutenus par leur président. Il y eut aussi l’époque du Bicentenaire de la Révolution – que l’Argentine fêta en 2010 et l’Uruguay en 2011 –, comme si ce décalage chronologique exprimait symboliquement l’existence d’une histoire complexe et conflictuelle. Mais cela n’empêcha pas de nombreux militants, dirigeants et écrivains, cautionnant certaines perspectives du révisionnisme historique, de récupérer Artigas à leur propre compte. Il faut avouer que ce ne fut pas du tout une décision nouvelle mais plutôt une position classique : après la période anti-artiguiste des Argentins Vicente F. López et Bartolomé Mitre, un premier révisionnisme de la fin du XIXème siècle et du début du XXème récupéra le rosisme6 (jusqu’à la décennie 1930, alors que la revendication résonnait mieux au sein des cercles du nationalisme conservateur), étudia le caudillisme et les fédéraux de l’intérieur et porta une attention particulière à Artigas, le Chef des Orientaux. Le second révisionnisme fut plus politique et plus militant que strictement historiographique, il s’enracina autant à droite qu’à gauche, toujours depuis une base nationaliste7.

En Uruguay, l’historiographie académique et professionnelle ne fut pas exonérée d’une exigence nationale étatique. Du point de vue politique, le laïcisme civique et anticlérical, intronisé au sein de la république par le réformisme de Batlle (1903-1933, une version précoce en Amérique du radicalisme français et du libéralisme géorgien anglais) considéra Artigas comme un des éléments les plus fonctionnels pour cautionner sa pédagogie de la distinction uruguayenne : il se montrait moins intransigeant et plutôt conciliant, c’était le chef de l’indépendance, un tribun républicain, idéologue et adepte des Lumières, pur produit du sud des « pères fondateurs » du nord, bref, un Uruguayen sans liens significatifs ou durables dans l’ensemble de la région. En 1923, au début de l’apogée de l’euphorie du Premier centenaire uruguayen, une statue en bronze d’Artigas, réalisée par l’Italien Angelo Zanelli, fut dressée sur la Place de l’Indépendance de Montevideo, la plus importante de tout le pays8.

Artigas, estatua ecuestre de Angelo Zanelli, (Italia 1879-1942)

Artigas, statue équestre d'Angelo Zanelli, (Italie 1879-1942).

Préparation de son installation à Montevideo, 1923.

[en ligne]

C’est cette base culturelle et politique qui servit de cadre, pas toujours très calme, pour les mises en œuvre historiographiques, qu’elles fussent documentaires ou descriptives, et interprétatives de l’artiguisme. Avant 1950, avec des moyens institutionnels et matériels et un grand dévouement intellectuel, l’entreprise artiguiste put prendre forme grâce à deux puissants bras exécutants, différents mais ayant décidé de passer sous silence leur conflit réciproque. D’un côté les Archives Artigas, créées par une loi en 1944, à l’initiative du politicien et intellectuel blanco Gustavo Gallinal, finalement dirigées dans la pratique et pendant plusieurs décennies par l’historien Juan Pivel Devoto. Et de l’autre côté, l’Institut de Recherches Historiques de la Faculté d’Humanités et de Sciences, fondée en 1945 et dirigée par l’Argentin Emilio Ravignani, resté directeur ad honorem de l’Institut homonyme de Buenos Aires après son renvoi pour raisons politiques, en 1947. Son champ de travail fut bien plus vaste et diversifié que la seule thématique artiguiste, à laquelle il apporta cependant d’importantes contributions documentaires9.

Cette accumulation d’archives prit une autre tournure au milieu des années 1960, nouveau repère du calendrier artiguiste vu la naissance du grand homme en 1764, lorsqu’il devint notoire qu’une bonne partie des historiens académiques et leurs institutions d’origine se trouvaient à la gauche de l’échiquier politique. De nouveaux éclairages sociologisants plus ou moins marqués par le marxisme et le structuralisme, ou influencés par le révisionnisme argentin de gauche, œuvrèrent à une nouvelle reconstruction historique de l’artiguisme plutôt hétéroclite afin de mettre en évidence des « bases » sociales et économiques du « projet » ainsi que le poid relatif de la question de la propriété de la terre et sa fonction, les formes d’agrégation et de convergence politiques, les modalités du leadership caudilliste, pour ne citer que quelques-uns des lieux communs les plus utilisés, à l’époque de cette Guerre Froide. Enfin, la formulation que proposa un peu plus tard José P. Barrán en parlant du grand homme comme un meneur-mené10 eut un énorme succès. C’était une formule équilibrée qui éloignait le caudillo de toute perspective messianique, étrangère alors à la tradition de la gauche et proche, en revanche, d’un certain caractère législatif du leadership. À son tour, l’ensemble des essais de ces années 1960, de ce qu’on a appelé la « génération critique » caractérisée par une littérature du déclin, liait la trajectoire d’Artigas à celle d’un projet politique finalement raté, à une histoire à réparer ou à venger sur un autre terrain à venir et qui convoquait la question nationale, une chose qui s’imposait aux intellectuels de façon récurrente lorsqu’ils se proposaient de comprendre la crise de l’Uruguay classique. Alberto Methol Ferré, écrivain influent dans les cercles radicaux et admirateur de Juan D. Perón, l’expliquait dans les termes suivants qu’il abrégea à la hâte : l’échec d’Artigas est celui de l’Uruguay insulaire et insipide ; depuis les années 1950, celui-ci ne pouvait rester replié sur lui-même et sa récupération ou sa « transcendance » ne pourraient être possible tant que le pays ne serait pas capable de devenir un lien entre les deux grands de la région, l’Argentine et le Brésil11.

La gauche, et particulièrement les tupamaros apparus au début des années 1960, beaucoup plus influencés par la lecture d’essais que par la recherche académique, adoptèrent José Artigas comme inspirateur direct de leurs propos destinés à organiser la lutte armée. « En tant que révolutionnaires, notre tâche doit être, à cette étape de la lutte de mener à bien le travail historique que nous a légué l’artiguisme. Et c’est pour cela que nous devons dévoiler le vrai Artigas, le révolutionnaire et le meneur de peuples. Notre peuple doit le découvrir tel qu’il est et non pas comme on a voulu depuis toujours nous le présenter ». Plus tard, le document, destiné à la formation politique de jeunes aspirants guérilleros mais ensuite à un plus large public à l’intérieur des différentes gauches, se demanda : « En quoi, nous, les tupamaros, ressemblons à Artigas et aux révolutionnaires qui l’ont secondé ? » La réponse se justifiait par le fait que « les conditions objectivement révolutionnaires étaient réunies aussi bien en 1808 qu’en 1961 ». C’est ainsi que la liste des ressemblances et des coïncidences était présentée avec une certaine amplitude et une certaine simplification : « nous luttons » contre notre « principal ennemi, l’impérialisme », « nous appartenons aux classes dépossédées de notre époque », « nous adoptons l’enseignement des grandes révolutions, mais nous ne calquons pas leurs schémas », etc12.

Les autres partis marxistes, chacun à sa façon et à sa convenance, se retrouvèrent dans l’artiguisme et firent preuve de familiarité et de continuité. Débarrassé de son allégeance au stalinisme, le parti communiste (qui comptait dans ses rangs des historiens professionnels expérimentés et d’un notoire niveau académique) avait déjà décidé, pendant la décennie précédente, de se servir de l’Artigas social et politique pour l’associer à son propre processus de nationalisation. Et l’entreprise intellectuelle et politique que menèrent les socialistes, à partir du leadership marxiste qu’exerça Vivián Trías sur le parti, fut quelque peu similaire, quoique nettement liée au révisionnisme argentin, qui ne possédait pas la moindre affinité avec les communistes. En 1971, lorsque fut fondée la coalition de gauche Frente Amplio, Artigas devint l’homme clé pour développer la rhétorique et la symbolique de cette nouvelle force. Ni Colorado ni Blanco, les deux partis historiques de l’Uruguay, la coalition de centre gauche (démocrates-chrétiens, communistes, indépendantistes, socialistes et certains transfuges des grandes formations) adopta le drapeau et les couleurs de l’artiguisme et se présenta comme la seule héritière d’une tradition escamotée tout au long de l’histoire. Elle mit à sa tête un général (comme Artigas) qui avait l’habitude dans ses discours de campagne de commencer par l’évocation précise des repères du cycle artiguiste : « Artigas nous appartient », disait le général Liber Seregni13.

Artigas en el billete de 100 pesos

Artigas sur le billet de 100 pesos, 1960-1969.

Mais le Notre Père Artigas fut également un passé utile pour la droite politique. La cassure institutionnelle qui eut lieu après le coup d’État militaire du 27 juin 1973, précédée par une grave crise sociale et politique, trouva en Artigas une forte inspiration rhétorique, non exemptes de contradictions notoires. Les putschistes récupérèrent le profil militaire du grand homme14, au détriment de son profil révolutionnaire, réformateur, fédéraliste, et en faveur du fondateur de la nationalité Orientale dominée à l’époque par le « communisme international ». Un Artigas simple, rural, réservé, un guide au-dessus des partis et des factions. La frénésie artiguiste du régime atteignit son acmé lorsqu’en juin 1977 ses restes furent transférés dans un mausolée situé sur la place de l’Indépendance, sous la statue équestre d’Angelo Zanelli, le Lombard, qui fut érigée un demi-siècle auparavant. Plusieurs organisateurs proposèrent alors de décorer la salle souterraine de granit poli avec des inscriptions de « phrases célèbres » prononcées par le grand homme, mais il ne fut pas possible d’éviter que certaines d’entre elles fussent lues comme un affront au régime (par exemple : « Le despotisme militaire ne pourra être annihilé que par des lois constitutionnelles rendant inviolable la souveraineté des peuples », 1813, Instruction N° 18).

Après la dictature et plus particulièrement depuis le début du XXIème siècle, à l’approche du bicentenaire, une historiographie uruguayenne, qui plongeait ses racines dans la tradition académique, put rendre compte de dimensions nouvelles ou peu explorées jusque-là, concernant leurs liens thématiques et heuristiques avec l’historiographie argentine, avec les études sur les Lumières à Río de la Plata, avec la réinterprétation du problème de la souveraineté à partir de la crise ibérique, mais aussi avec des développements prometteurs de l’histoire conceptuelle et avec l’étude de la politique et du politique à partir des pratiques et des discours15. Si de tels développements purent bénéficier d’une voie académique et professionnelle plus globale que celle que leur réservait jusqu’alors l’historiographie uruguayenne sur la question, ils cessèrent sans doute pour cette raison d’affecter directement les processus d’appropriation et d’usage du politique, à partir de la politique elle-même. L’Artigas du bicentenaire uruguayen fut définitivement plus académique, avec un objectif plus « froid », au sens que François Furet donna à cette expression en rapport avec la Révolution française (en se référant à Levi-Strauss)16, et au-delà, au sens de l’effort de diffusion et de communication fourni par la communauté d’historiens, devant le public qui le réclamait alors.

La synthèse culturelle et ensuite livresque de ce processus fut Un Simple citoyen, José Artigas17, elle montre l’iconographie que le musée Historique National organisa « pour célébrer le Bicentenaire du processus d’Émancipation Orientale ». D’après la loi N° 18.677, on avait défini pour la période 2010-2015 « la réalisation d’activités de commémoration et de célébration des principaux faits historiques du processus révolutionnaire et indépendantiste, pendant l’étape comprise entre 1810, début de la révolution à Río de la Plata, et 1815, l’année du plus important développement du projet impulsé par José Artigas dans la Province Orientale et dans le Système des Peuples Libres ». Il conviendrait d’ajouter aux dates de ces anniversaires celle de 2014, en soulignant le rôle central de sa personnalité, le deux cent-cinquantième anniversaire de la naissance d’Artigas. La proposition iconographique ainsi que l’analyse effectuée par le livre avaient toutes deux fait du Musée l’institution idoine pour « l’accompagnement des générations suivante dans le moule d’une entière citoyenneté. Cela demande d’assumer à travers le regard de chaque génération l’histoire de la terre et de ces habitants ». Ouvrage serein et sobre, El Ciudadano Artigas fut publié à temps par le Musée Historique National. Le Président de la République, José Mujica, qui avait été tupamaro entre les années 1960 et la moitié des années 1990, apposa sa signature sur un bref prologue, aligné sur une vision canonique à la hauteur du nouveau siècle, s’appuyant sur l’interprétation d’un Artigas considéré comme un caudillo républicain et égalitaire.

Les usages récents

Au-delà des normes légales approuvées pour l’occasion, les célébrations du Bicentenaire de la révolution n’eurent pas lieu à la même date, ce qui n’est pas sans intérêt pour notre sujet : 1810, Mai, en Argentine ; 1811, Artigas, en Uruguay. Chaque « peuple » eut sa fête et se rendit à sa fête, tandis que les conflits politiques entre les États mettaient à bas l’hypothèse qu’une suppose affinité « progressiste » de leurs gouvernements assainiraient les relations diplomatiques entre voisins, sévèrement abîmées par le conflit de Río de la Plata, en Uruguay. Face au blocage des ponts et à certains mouvements sur la frontière, interprétés comme une provocation, le président uruguayen Tabaré Vázquez avait considéré la possibilité de faire appel à l’aide des États-Unis ; de cette façon, il plaçait à nouveau une présence étrangère sur la scène diplomatique, que la tradition péroniste connaissait parfaitement (même si nous ne savons pas s’il en avait eu vraiment conscience) et qui s’était matérialisée au début des années 1950. Le successeur de Vázquez, José Mujica, s’acharna tout particulièrement à rétablir des liens avec l’Argentine et parvint finalement à ce que le gouvernement de Cristina Fernández soutînt la levée du blocage des ponts binationaux. Les relations semblèrent alors prendre une tournure plus amicale et, au-delà de leur constante méfiance, elles donnèrent lieu à des actions diplomatiques conjointes, comme l’expulsion du Mercosur au Paraguay et l’admission de la République Bolivarienne du Venezuela au sein du bloc.

Au point où en étaient les choses, Artigas et l’artiguisme résonnaient avec une certaine force en Argentine, particulièrement dans les régions de la Mésopotamie argentine, à l’intérieur du pays. Des livres, des brochures, des cycles de causeries et de conférences, les actes de militantisme de certains intellectuels et de journalistes, en harmonie avec plusieurs lieux communs du révisionnisme, « renvoyèrent » le Caudillo Oriental à son milieu d’origine. Pour le gouvernement national, Artigas jouait également le rôle de pierre de touche pour une rhétorique qui énonçait un lien direct et proche avec « les provinces », et qui trouvait en lui un point de départ pour articuler un roman national récurrent. Si l’on devait reproduire ici une citation portant sur le même sujet, le discours de Cristina Fernández de Kirchner du 25 juin 201318 serait une incontestable démonstration d’usages politique du passé incluant, en plus, des insinuations d’autocritique de la capitale argentine, les retrouvailles entre Buenos Aires et l’intérieur du pays. Dans ce discours de quarante minutes, prononcé à l’occasion des deux cents ans de la ville de Paraná, province de Entre Ríos, devant un énorme auditoire présent sur la grand-place, la présidente fit d’abord référence à Manuel Belgrano puis à Artigas : « Ce drapeau d’Entre Ríos traversé par cette bande rouge, qui est le symbole d’Artigas, vivant sur la terre d’Entre Ríos, qui voulut devenir argentin, et nous l’en empêchâmes, merde ! » Cette allusion faisait référence au rejet des représentants orientaux par l’Assemblée constituante de Buenos Aires, en 1813, et si on l’observe en perspective elle montre un caractère bifrontal d’un intérêt notable : évoquée par Cristina Fernández de Kirchner, cette allusion traduisait l’idée d’une opportunité perdue, d’une histoire plus pertinente à récupérer, tandis qu’en Uruguay ce fait concret – « le rejet des députés orientaux par Buenos Aires » toujours mentionné en ces termes dans les manuels d’histoire – ne faisait que confirmer un mandat indépendantiste du pays, d’abord par rapport à Buenos Aire, et plus tard à l’hinterland qui demeura sous sa domination, Les Provinces Unies.

Plus avant dans son discours, la présidente parcourut les clichés du développement national et industriel, ceux des causes populaires et de la démocratie des partis. La séquence narrative qu’elle égrena pendant cette nuit hivernale fit état d’un dénouement historique : elle mentionna le Parti Radical comme « parti historique », l’expansion du suffrage, l’assimilation sociale et politique de l’immigration, l’apport de l’anarchisme, l’expérience du péronisme « et puis ce fut notre tour, en 2003 […] avec la réparation des Droits humains, une somme avec un seul résultat, une grande nation ». Pour Cristina Fernández de Kirchner ce moment était inaugural et prométhéen : « Le présent est prêt à enterrer une idée du passé, “l’histoire officielle19” ».

Plus récemment, avec le retour du péronisme au gouvernement, un mouvement de prise ou de conquête des terres a acquis une certaine notoriété. Cette affaire dure de longue date mais, à la faveur de la pandémie de la Covid 19, elle a eu l’opportunité de s’amplifier dans les milieux de communication. Ainsi, on peut citer les cas du terrain « des Etchevehere », à Entre Ríos, de la propriété de la localité de Guernica à Buenos Aires ou du terrain de 600 hectares à El Foyel, Río Negro20. Un des animateurs du mouvement est l’avocat Juan Grabois, dirigeant du Frente de Todos, qui a élaboré un plan nommé San Martín (emploi, relocalisation, intégration urbaine, agroécologie familiale) et qui a évoqué à plusieurs reprises, comme antécédent direct à ses actions, José Artigas et sa politique agraire résumée dans son « Règlement pour le développement de la campagne et la sécurité des éleveurs » approuvé en septembre 1815. En plus de se définir comme un successeur de l’artiguisme, Grabois exprime quelques orientations du Pape François qui se réfère à l’objection traditionnelle catholique concernant le caractère absolu de la propriété et aux plus récentes indications sur le soutien à l’environnement (précisons au passage que le cardinal Bergoglio avait été étroitement lié à Methol Ferré, que nous avons déjà cité).

Dana la présentation du Projet Artigas, on peut lire :

« Nous sommes en train de vivre une profonde crise sociale et une profonde crise environnementale. Le déboisement, l’utilisation de pesticides, la contamination de l’eau et des sols, les extractions sans limite, sont en train de détruire notre Maison Commune. En même temps, l’économie écarte et expulse de la Maison ses fils et ses filles les plus vulnérables en leur refusant leur droit à une terre, à un toit et à un travail. Nous sommes interpelés par les questions suivantes : Quel monde sommes-nous en train de construire ? Quel monde voulons-nous laisser aux générations futures ?

En Amérique latine nous avons quelques dérivations très particulières de cette situation globale. Nous sommes le continent le plus inégalitaire et on dirait parfois que notre destin est d’être un réservoir de matières premières pour les pays capitalistes développés. Dans ce contexte, les idées de certains grands hommes du passé sont plus d’actualité que jamais. L’un d’eux, José Gervasio Artigas, cerveau d’un projet fédéral, populaire et latino-américaniste en faveur des Provinces Unies de Río de la Plata, a su s’opposer aux élites de l’unitarisme de Buenos Aires et des pouvoirs étrangers. Voilà pour quelle raison sa pensée innovante a été passée sous silence pendant toute l’histoire, et particulièrement ses idées sur la terre et sur l’agriculture21 ».

Dans une intervention postérieure, le docteur Juan Grabois réaffirmait ceci :

« L’Argentine supporte le poids de cent vingt ans d’hégémonie oligarchique, avec quelques brefs moments d’avancées concernant la justice sociale. Nous ne sortirons jamais de ce puits profond avant d’avoir effectué les réformes structurelles qui s’imposent. Voilà pourquoi nous continuons à brandir les drapeaux d’Artigas : Grande Patrie et Réforme Agraire. Nous exhortons les pauvres et leurs organisations, la jeunesse en lutte, les militants de l’environnement et les militants de la classe populaire à ne jamais mettre en berne les drapeaux de la souveraineté politique, de l’indépendance économique et de la justice sociale ; à lutter avec leurs mains, leur tête et leur cœur pour une terre, un toit et un travail22. »

L’Uruguay plus ou moins contemporain à ces circonstances argentines a vécu une nouvelle appropriation politique d’Artigas et de l’artiguisme, cette fois depuis la droite du spectre idéologique et partisan. Le processus est trop récent pour être observé depuis une perspective historique, mais le mouvement politique dont je parle, à savoir Cabildo Abierto, a connu un surprenant et conséquent succès électoral en 2019, réussissant à égaler pratiquement les chiffres de l’historique Parti Colorado affaibli et à obtenir une présence décisive dans le nouveau gouvernement de coalition, qui a délogé Le Frente Amplio de l’exécutif, après trois mandats successifs. Son leader est le général Guido Manini Ríos, qui avait été commandant en chef de l’armée pendant le gouvernement du Frente Amplio, de Tabaré Vázquez.

Si l’on suit attentivement sa propre définition, Cabildo Abierto est un mouvement nationaliste, régionaliste, partisan de l’intégration latino-américaine. Et il s’inspire, en toile de fond, des héritages pas du tout compatibles et absolument irréconciliables de l’hispanisme basiquement catholique et de l’idéalisme américaniste de José Enrique Rodó. Sur un plan de moindre abstraction, un cliché aussi important de son autodéfinition renvoie à la critique de la globalisation, interprétée comme un réseau de conspirations auquel succombent les États nationaux condamnés à l’isolement par rapport à ce qui se joue entre les grandes puissances. D’après ces idées, la globalisation capitaliste vassalise les marchés et les traditions, elle ne tient pas compte des risques environnementaux et des rigueurs de l’usure, elle se concrétise par la destruction des ressources naturelles, économiques et financières. La globalisation impose un agenda à travers des bureaucraties internationales et détermine une imposture qui distord « les problèmes réels des gens ». Il n’est pas simple, prima facie, d’identifier quelques-unes de ces postures avec celles de la droite classique, et encore moins avec celles de l’extrême droite. Tout le monde sait plus ou moins que ceux qui nient l’évidence et parfois la réalité historique de l’axe gauche-droite se situent à droite du spectre idéologique. De toute façon, le passé militaire de ses dirigeants et la puissance de certaines revendications de l’agenda conservateur ne le désignent pas nettement dans le camp de la droite, chaque fois qu’ils remettent en question leurs postulats pour faire des emprunts dans l’arsenal idéologique provenant de l’idéologie de gauche. Ou, pour le dire en d’autres termes, leurs définitions ne sont pas si éloignées de celles soutenues par la gauche, également critiques de la « globalisation capitaliste » ou des processus « d’étrangéisation de la propriété de la terre ». Dans ce dernier cas, le général Manini a déclaré l’éventualité que son parti appuie au parlement un projet qui serait présenté dans ce sens par le Frente Amplio23.

Pour le mouvement Cabildo Abierto, avoir recours à l’histoire est une expression assez claire de leur projet de vider le terrain des identifications classiques et de chercher un point dans le passé, épuré et capable de lui servir de départ et de rassemblement. Dans ce contexte conceptuel, Cabildo Abierto cultive un imaginaire prétendument basé sur le passé artiguiste, à travers une interprétation exclusive de la trajectoire du grand homme de la révolution et de l’indépendance. Depuis un noyau appelé Mouvement Social Artiguiste, fondé en novembre 2018, il évoque un passé lointain qui lui permet de parler du présent et d’échapper à certains compromis gênants du passé récent de la dictature : « À partir de l’idéologie artiguiste, on définit une conception de l’homme, une conception de l’économie sociale et une conception de la vie en communauté24 ».

Ainsi donc, pour résumer l’Uruguay, on peut dire que cet usage du passé, d’Artigas et de l’artiguisme, a été une constante rhétorique présente dans tous les mouvements politiques qui se sont réclamés « nouveaux » dans l’histoire de l’Uruguay, aussi bien à gauche qu’à droite. Elle l’a été pour le conservateur Benito Nardone de 1954 à 1959 appartenant à la Liga Federal de Acción Ruralista, elle l’a été pour le Frente Amplio en 1971, dont la présidence avait été concédée à un général d’origine batlliste qui avait viré à gauche à travers l’artiguisme social (après s’être retiré de la présidence de Frente Amplio, il a fondé un centre d’études qu’il a appelé 1815, marque chronologique de la gouvernance artiguiste), et elle l’est à présent pour Cabildo Abierto (un nom qui évoque le passé hispanique et la souveraineté locale), à partir d’un Mouvement Social Artiguiste qui réclame « ordre » et « justice », derrière un général de l’armée promu à cette fonction pendant le gouvernement de gauche et finalement destitué pour sa remise en cause du Pouvoir Juridique. Artigas a été et est un passé utile, pour ceux qui appellent à un rassemblement unanimiste, non partisan ou transpartisan25, pour ceux qui se livrent à la citoyenneté avec un profil social et populaire, pour les nationalistes, déjà partisans de l’État classique uruguayen ou des identités nationales harcelés par la globalisation. Des usages multiples, donc. Serait-ce cela un « héros national26 ? »

Artigas en Paraguay 1950

Artigas en Paraguay par Pablo Serrano [espagnol], non signé.

Fusain sur papier 30 x 36 cm, Circa 1950.

Provenance : don de l’ingénieur Jorge Masenés, 2003 MHN de l’Uruguay.

Dossier d’inventaire N. 4026.

L’usage du passé décrit une géométrie bien particulière, un mouvement pendulaire qui ne se fixe jamais en un point et qui, mieux que se déplacer sur un plan, développe un volume plein de significations et de controverses. Au-delà de sa péripétie historique concrète, assimilable à d’autres mais irréductible, le « héros » est un moment de cristallisation, quelque chose de louable que d’autres effectuent avec lui. En tant qu’aventure constructive, Artigas fascine, et son long silence de trente ans après la défaite semble justifier un usage à la fois généreux et oscillant. Il anime les tensions d’une contemporanéité successive : le passé lointain avec le récent, la gauche avec la droite, le national et le régional, le populaire avec l’élitiste, le social avec le politique… Mais il reste ouvert, disponible.

Final avec un tiers

Nous avons jusqu’ici fait un exercice de reconstruction pendulaire, dans un mouvement qui ne doit pas occulter la circularité des sens et des appropriations. L’historiographie et la politique ne décrivent pas des trajectoires sous forme de bulles, elles s’influencent réciproquement, en un processus développé par des acteurs autonomes mais ouverts. La synthèse la plus prudente renonce à attribuer des autorités suprêmes ou sans appel à leur lien avec le passé. Cependant les débats se précipitent vers la maladresse et l’équivoque lorsqu’ils se trompent et superposent les règles de chaque fonction, les modalités et les rythmes spécifiques de production de sens. D’un côté on peut faire de la politique dans une perspective historique, c’est-à-dire en appréciant les changements et les continuités dans l’urgence du présent et en se situant par rapport à eux ; d’un autre côté, l’historiographie a une portée politique, mais cela ne doit pas être son point de départ, pas plus que le contrôle politique du passé ne doit être sa marque identitaire. Les deux métiers peuvent partager certains problèmes, mais les processus argumentatifs de chacun devront être différents et spécifiques, s’ils aspirent à conserver leur voie cumulative. La politique peut aller plus loin que l’histoire dans sa relation au passé, elle peut proposer un usage civique qui sera d’autant plus vertueux qu’il se présentera ouvert ou vulnérable à l’examen de la recherche historique. Mais celle-ci, bien conçue, ne peut être une fille de l’air. Elle sera un écho – souvent tardif – de la vibration de la cité et de ses demandes intéressées d’éclaircissement27.

Un troisième acteur pas tout à fait séparé des précédents, ceux de la politique et ceux de l’histoire, est celui de la presse et des moyens de communication, des espaces de production et de la circulation des sens, développés avec une relative autonomie, quoique moins influents que ce qu’on croit d’habitude dans les contextes démocratiques28. Le problème de l’usage du passé est impensable sans cet acteur médiatique (médias et médiations) prodigue en fonctions publiques, en tant qu’il convoque ou passe sous silence, montre ou cache, simplifie ou réélabore des contenus. Les journaux, les radios les chaînes de télévision de diffusion massive, en concurrence avec les réseaux sociaux qui ont explosé aujourd’hui (et qui ont altéré notre notion d’archive), peuvent s’ériger en instances d’autorisation de l’usage du passé et même atteindre une fonction d’organisation de l’agenda des questions qui conditionnent fortement des politiques et des historiens dans le développement de leurs travaux au sein de la société. À nouveau, dans ce cas, le mieux à faire, quoique le moins habituel, est de se soumettre à l’incertitude des discours ouverts, à bonne distance des engagements croisés. La rencontre de l’histoire et de la politique est d’une tout autre nature pour chacune d’elles, car leurs exigences argumentatives demandent des savoirs et des pratiques spécifiques, en général minutieusement dissimulés par l’importance des problèmes communs et d’intérêt public. La cachette – cela dit sans la moindre malice – est construite par les médias qui produisent des synthèses et tentent de répondre efficacement à la demande de communicabilité et d’intérêt général, ainsi qu’au développement des audiences et des publics qui les soutiennent. Pour éviter tout malentendu, cette articulation d’acteurs, que je présente encore comme une reconstruction provisoire, ne cherche pas un résultat relatif ou relativiste du genre « à chacun vérité », ni à servir de base à une rhétorique « contre les médias », si habituelle dans le monde politique et académique. Elle cherche à introduire une critique des pratiques qui puisse consolider l’espace public et le débat citoyen autour des questions communes. Précisons au passage que la technologie actuelle autorise une meilleure autonomie et le développement de produits communicatifs intéressants. Par exemple, les podcasts d’historiens, rigoureux et pertinents, sont des conversations entre collègues (à propos de livres, de questions historiographiques, du présent), soustraites à l’incertitude de l’utilisation publique et à une demande impertinente, inopportune, ou simplement citoyenne. Pour le dire différemment, ce sont des éléments de meilleure qualité, plus précis et adaptés à une circulation « sûre ».

Cette possibilité ne trouve pas toujours l’espace nécessaire pour se concrétiser. Je m’autorise ici deux mentions personnelles. La première concerne l’usage du passé récent, la seconde viendra conclure le texte, sur les usages actuels de l’artiguisme, bien entendu.

Au moment où j’écris, on commémore en Uruguay le quarantième anniversaire du plébiscite de 1980 qui entraîna la lente chute de la dictature uruguayenne, un fait d’une importance capitale dans l’histoire contemporaine du pays. Le souvenir de cet événement est en train de s’évanouir progressivement, alors même que des séminaires, des conférences, des événements académiques où l’on présente des recherches, des témoignages, des évocations en tout genre se succèdent ; les partis politiques et les acteurs sociaux prennent également la parole, ils se situent évidemment en rapport avec cet événement qui, à la lumière de tout ce qui a été dit n’en finit pas d’advenir, et encore moins de compléter son sens. Comme travailleur de l’histoire et tout comme de nombreux collègues, j’ai été invité autour des tables journalistiques, j’ai parlé des usages du passé, de ce passé si présent, j’ai formulé des questions et des problèmes dans un climat de respect et de liberté illimités. Parmi les questions, j’ai eu l’idée de répéter une idée que j’avais formulée voilà plusieurs années dans les émissions de radio et de télévision : Ne serait-il pas temps d’ajuster le calendrier civique uruguayen, qui n’a pas été touché depuis cent ans, et d’y glisser ce 30 novembre 1980 comme date de mémoire ? Et une note additionnelle : Ce 30 novembre, où la démocratie et la liberté prouvèrent qu’elles étaient bien vivantes malgré la répression brutale du régime militaire, ne serait-il pas plus digne de mémoire, sans oublier les devoirs qui s’y rattachent, que ce triste 27 juin 1973, jour de défaite et du coup d’État qui a instauré la dictature ? Il est évident qu’il existe de bonnes réponses pour toutes les opinions, mais ce qui est en tout cas intéressant quant à l’utilisation du passé est la discussion et l’échange d’idées.

Par la suite, sur fond de multiples problèmes, le circuit médiatique s’est mis en marche avec une certaine intensité, mais en choisissant ce seul élément – la date – comme la base d’une série d’interviews que je n’ai pas pu affronter, car il me semblait franchement impossible d’échapper à cette seule et unique question : proposez-vous un nouveau jour férié pour l’Uruguay ? Sur twitter, pendant ce temps, certains hommes politiques manifestaient leur enthousiasme pour une idée que j’avais formulée presque par procuration, tandis que d’autres correspondants de ce réseau, pour la plupart, fulminaient contre la nécessité de « tourner la page du passé récent » et, avec plus de force encore, contre toute initiative qui ajouterait des jours gratuits à un pays qui refuse d’accepter que le travail est la base de la prospérité... Moralité : l’historien entre dans le débat public en tant qu’intellectuel, il revendique un espace pour dire sa propre chose, beaucoup plus liée à la nuance, au doute, à la comparaison, au long terme, qu’à une vérité concluante et performative. On l’interroge à ce sujet, son défi est d’y échapper sans perdre l’intérêt des lecteurs et du public. Les politiciens et les médias se livrent à leur jeu et à leur fonction, avec le droit de l’usager ; le mieux que la fin reste ouverte, à moins qu’elle ne soit médiatisée par la manipulation et le mensonge.

Captura de pantalla del Documental Detrás del Mito.png

Capture d’écran du documentaire Detrás del Mito, 2017, de Marcelo Rabuñal. L’artiste visuel Fernando Corbo pose devant une version du portrait d’Artigas inspirée de Juan M. Blanes 1884 et des propositions de Carlos Palleiro, 1972 [en ligne].

Finissons comme nous avons commencé, avec Artigas. La Nación, le journal fondé par Bartolomé Mitre en janvier 1870, a fait appel à moi (comme observateur et historien uruguayen) pendant les journées les plus agitées de l’épisode Grasbois29. Nous nous trouvions, sans le moindre doute, devant un phénomène évident d’usage politique du passé, puisque l’action d’« appropriation des terres » était implicitement inspirée d’Artigas et qu’on la considérait comme une continuité historique concrète et légitime. Cette opération n’était certes pas très originale, ni très différente dans son argumentation de celle qui, dans d’autres contextes et par d’autres moyens, avaient été entrerprise par ceux qui se percevaient eux-mêmes comme les héritiers d’une idée de patrie ou de nation préexistante, et qui développèrent un puissant récit historique dont ils devenaient les protagonistes contemporains.

À propos de Grasbois et de son action, La Nación avait déjà une interprétation des événements d’Entre Ríos et une opinion sur le Projet Artigas. C’était une opinion négative et aprioriste par rapport à Grasbois, d’une certaine façon prévisible, mais digne d’une actualisation journalistique. La Nación a donc cherché chez un historien de la Banda Oriental un ensemble de réponses pour montrer au lecteur traditionnel du journal que l’artiguisme de Grabois n’était rien d’autre que pure manipulation intéressée du passé. Elle s’est retrouvée, j’espère, face à une vision qui tentait de se soustraire aux questions de la vérité et de l’authenticité avec laquelle nous faisons usage du passé, pour s’intéresser plutôt aux thèmes de la complexité de ces apports et à l’historicité même de l’usage à propos duquel elle se questionnait. Vérité ou mensonge, soit, mais au-delà, contextes permettant certaines rhétoriques ; usages légitimes du passé y compris aux dépens de la vérité historique ; et enfin critique de cet usage, parfois impitoyable, et peut-être tendancieusement éclairante.

Novembre 2020 – Février 2021

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1

Je remercie, pour leur lecture et leurs suggestions, Fernando Devoto, Daniel Sazbón, Ana Clarisa-Agüero, Benito Schmidt, Martha Rodriguez et Omar Acha.

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2

Juan Pivel Devoto, De la leyenda negra al culto artiguista, Montevideo, Ministerio de Educación y Cultura, Biblioteca Artigas, Colección Clásicos Uruguayos, 171 (compilation des articles publiés dans Marcha, 1950), 2004; Guillermo Vázquez Franco, La historia y sus mitos, Montevideo, Fin de Siglo, 2010 ; Ana Frega et Ariadna Islas (dir.), Nuevas miradas en torno al artiguismo, Montevideo, Universidad de la República, Facultad de Humanidades y Ciencias de la Educación, CSIC, 2001; Santiago Delgado, « Artigas en disputa. Las posiciones en torno a la discusión parlamentaria sobre la ley “Mes de Artigas” en 1963 », Encuentros Uruguayos, vol. VIII, n° 1, 2005.

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3

Tulio Halperin Donghi, Revolución y Guerra. Formación de una elite dirigente en la Argentina criolla, Buenos Aires, S.XXI, 1979 [1972], p. 279 sqq.

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4

Carlos Ramírez, Artigas, Montevideo, Clásicos Uruguayos, 1953 [1884, 1897], p. 14-17. La publication de la revendication de Carlos M. Ramírez en 1884 gardait une certaine harmonie avec un moment fort du nationalisme étatique promu par le gouvernement dictatorial du général Máximo Santos, du parti Colorado. Au-delà du travail interprétatif, la compilation d’articles et d’études en un seul volume devint par la suite un outil privilégié dans la collection Clásicos Uruguayos dirigée par Juan Pivel Devoto depuis le Musée Historique National. Artigas fut donc le premier volume de la collection publié en 1953. Voir : Tomás Sansón, « Historiografía y nación: una polémica entre Francisco Berra y Carlos María Ramírez », Anuario del Instituto de Historia Argentina, vol. 6, 2006.

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5

L’historien uruguayen Juan A. Oddone utilisa cette expression dans un livre à propos des relations entre l’Argentina et l’Uruguay : Vecinos en discordia. Argentina-Uruguay y la política de los Estados Unidos. Montevideo, FHCE, 2003.

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6

Juan Manuel de Rosas, chef du “fédéralisme de Buenos Aires”, gouverna la province de Buenos Aires entre 1829 et 1832, et 1835 et 1852, en hégémonisant, pendant la seconde étape, la Confederación issue du Pacte Fédéral de 1831.

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7

Fernando Devoto et Nora Pagano, Historia de la historiografía argentina, Buenos Aires, Sudamericana, 2009; José Carlos Chiaramonte, Nación y Estado en Iberoamérica, Buenos Aires, Sudamericana, 2004.

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8

José Rilla, La actualidad del pasado. Usos de la historia en la política de partidos del Uruguay, Montevideo, Sudamericana-Debate, 2008.

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9

Voir Carlos Zubillaga, « El Instituto de Investigaciones Históricas y los estudios artiguistas », in A. Frega et A. Islas (dir.), Nuevas miradas en torno al artiguismo, Montevideo, Universidad de la República, Facultad de Humanidades y Ciencias de la Educación, CSIC, 2001; Fernando Devoto et Nora Pagano, Historia de la historiografía argentina, Buenos Aires, Sudamericana, 2009. Et aussi, http://historiasuniversitarias.edu.uy/wp-content/uploads/2016/09/Ravignani_Emilio-1.pdf

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10

José P. Barrán, « Del culto a la traición », Brecha, Montevideo, 20 juin 1986.

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11

Alberto Methol Ferré, El Uruguay como problema, Montevideo, Diálogo, 1967. Ce titre évoquait le problème de Pedro Lain Entralgo envers l’Espagne, en 1949. L’argentin Arturo Jauretche avait écrit un bref prologue au texte de Methol pour l’édition de 1971. De nouvelles éditions au XXIe siècle, Estuario y Clásicos Uruguayos, comprenant des études préliminaires (de Rilla en 2015 et de Caetano en 2017) ont démontré la contemporanéité du livre et son caractère polémique. Methol Ferré (1929-2009) inspire encore vaguement certains tupamaros et autres militaires passés à la politique. Ses prédications sont toujours largement en vigueur dans certains milieux intellectuels et politiques, en Argentine, particulièrement dans les milieux catholiques qui se reconnaissent dans le Concile Vatican II, ou à Medellín, et même plus récemment dans les propos du Pape François. En Uruguay, le guérillero vétéran Jorge Zabalza conseille cet ouvrage comme livre de chevet dans les émissions de télévision auxquelles il participe ; Marcos Methol, fils d’Alberto, dirige l’hebdomadaire La Mañana, la voix de « Cabildo Abierto », un nouveau parti politique qui réunit en son sein une partie importante de militaires à la retraite, de citoyens déçus de tous les partis préexistants et des secteurs populaires de l’intérieur du pays.

Curieuse péripétie des titres, en 2018, a été publié en Argentine La Argentina como problema. Temas, visiones y pasiones del siglo XX (Carlos Altamirano et Adrián Gorelik [dir.], Buenos Aires, Siglo XXI, 2018).

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12

Anonyme, El artiguismo y el Movimento de Liberacion Nacional Tupamaros, 1975, reproduction en facsimile, 2020 [en ligne]. Le texte imprimé avec un duplicateur inclut une bibliographie de référence, « quatre livres fondamentaux » qui avaient déjà échappé des mains des auteurs : 1) “Bases económicas de la Revolución Artiguista”, de José Pedro Barrán et Benjamín Nahum. 2) “Historia de los Orientales”, de Carlos Machado. 3) “José Artigas. Documentos”, d’Oscar Bruschera. 4) “Artigas”, Editions “El País”, 1951”. Voir également une perspective ultérieure qui cependant ne possédait pas la moindre variation avec l’utilisation de l’artiguisme : Melba Piriz et Cristina Dubra, Los Tupamaros. Continuadores históricos del ideario artiguista, 1997. Page 12, elles concluent : « Le Mouvement de Libération Nationale prend forme parce que les ennemis qui ont trahi l’artiguisme n’ont fait que changer son visage. Car presque tout reste à faire et parce que les TUPAMAROS ONT ÉTÉ ET DOIVENT RESTER LES GARDIENS DE CE PASSÉ » (majuscules dans l’original) [en ligne].

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13

José Rilla, « El padre nuestro Artigas », La actualidad del pasado. Usos de la historia en la política de partidos del Uruguay, Montevideo, Sudamericana-Debate, 2008.

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14

Isabela Cosse et Vania Markarian, 1975: Año de la Orientalidad: identidad, memoria e historia en una dictadura, Montevideo, Trilce, 1996.

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15

Il convient de signaler l’influence déjà lointaine à Montevideo d’Emilio Ravignani et de José Luis Romero, celle de Tulio Halperin Donghi et de José C. Chiaramonte, les lectures attentives de Francois X. Guerra, la rénovation de l’histoire coloniale, l’approche du politique comme pratique de participation et de représentation dans un espace public en train de naître. La professeure Ana Frega a dirigé cette transition historiographique en Uruguay.

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16

François Furet, Penser la révolution française, Gallimard, Paris, 1978. Je dois ce rapport à Fernando Devoto, qui m’a renvoyé à la lecture de cet ouvrage devenu déjà classique. Romeo Pérez (2011) a souligné l’importance de ce processus de refroidissement. Romeo, Pérez Antón, « La resignificación en historia política: el diálogo con la politología y la recepción de la teoría de la historia efectual », Crítica Contemporánea. Revista de Teoría Política, vol. 1, 2011.

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17

Publication réalisée à l’occasion de l’exposition Un Simple citoyen, José Artigas, produite par le Musée Historique National, Montevideo, Uruguay, septembre 2014. Travaux d’Ernesto Beretta et Fernanda González, d’Ariadna Islas, Laura Malosetti et Ana Frega.

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18

On peut lire la version écrite du discours sur le site : https://www.cfkargentina.com/cfk-bicentenario-parana-entre-rios/ La version de You Tube est la suivante : https://youtu.be/9fYwvwnnkJU . Le journal d’opposition Clarin reprit alors les opinons critiques de certains politiciens uruguayens sur le site : https://www.clarin.com/politica/cristina-artigas-uruguayos-mandaron-historia_0_S1vUupUjP7g.html. L’ex-président uruguayen Julio María Sanguinetti consacra une colonne dans son hebdomadaire : http://www.correodelosviernes.com.uy/Artigas-argentino.asp

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19

Des trois interventions rapportées par Nora Pagano et Martha Rodríguez, la plus assimilable à la rhétorique résumée dans le long discours de Cristina Fernández est celle qui décrit les caractéristiques de la Fresque du Bicentenaire. Nora Pagano et Martha Rodríguez, « Construyendo imágenes y sentidos sobre el pasado nacional en la conmemoración del Bicentenario », in A. Eujanian, R. Pasolini et E. Spinelli (dir.), Episodios de la cultura histórica argentina, Buenos Aires, Biblos, 2015.

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23

https://www.elpais.com.uy/informacion/politica/cabildo-abierto-apoya-proyecto-fa-limita-extranjerizacion-tierra.html; Voir Samuel Blixen: « Cabildantes y frenteamplistas contra la extranjerización. Por la (poca) tierra que nos queda », Brecha, Montevideo, 27 novembre 2020. https://brecha.com.uy/por-la-poca-tierra-que-nos-queda/

Dans les premiers jours de décembre 2020, Cabildo Abierto, Frente Amplio et un petit parti écologiste PERI se sont unis pour voter, à la Chambre des députés, en faveur d’un projet de loi limitant l’exploitation forestière, considérée comme destructrice par les rapporteurs.

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25

Quelque jours après sa mort, en décembre 2020, on apprit que Tabaré Vázquez avait voulu fonder un mouvement appelé CEIBAL. Le ceibo est « l’arbre national » appartenant à la flore locale. Ceibal a été le plan one laptop for child impulsé par Vázquez lors de sa première présidence. Une deuxième utilisation de ce mot avait un sens nettement politique, qui s’emparait une fois encore d’Artigas : « Je pense qu’il faut générer un espace politique de centre-gauche qui regroupe la gauche, peit-être pas toute la gauche, mais une bonne partie de la gauche, celle qui forme le lit de la gauche, pas les courants marginaux, et les électeurs batlliste qui ne se sentent pas à l’aise dans le parti Colorado et les wilsonistes réfractaires. Et consolider ainsi le centre-gauche. Je suis en train de penser à appeler ce mouvement : Ceibal, autrement dit CEntro de Izquierda de Base Artiguista Latinoamérocanista » ? [Centre gauche de base artiguiste latinoaméricaniste.]

https://www.busqueda.com.uy/Secciones/Vazquez-queria-crear-el-Centro-de-Izquierda-de-Base-Artiguista-Latinoamericanista-Ceibal-con-frentistas-blancos-y-colorados-uc45733

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26

Rebecca Earle, « Sobre Héroes y Tumbas: National Symbols in Nineteenth-Century Spanish America », Hispanic American Historical Review, vol. 85, n° 3, Duke University Press, 2005.

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27

José Rilla, « Prudencia, función y militancia en la escritura del pasado », in Nicolás Kwiatkowski et Fernando J. Devoto (dir.), « Responsabilités publiques de l’historien », Passés Futurs, 2, 2017 ; https://www.politika.io/fr/article/prudencia-funcion-y-militancia-escritura-del-pasado

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28

Voir Rosario Sánchez Vilela, ¿Cómo hablamos de la democracia? Narrativas mediáticas de la política en el Uruguay, Montevideo, UCU-Manosanta, 2014.

Barrán, José P., “Del culto a la traición”, Brecha, Montevideo, 20 de junio de 1986.

Caetano, Gerardo (coord.), Historia conceptual. Voces y conceptos de la politica oriental (1750-1870), Montevideo, Ebo, 2015.

Chiaramonte, José C., Nación y Estado en Iberoamérica, Buenos Aires, Sudamericana, 2004.

Cosse, Isabela y Vania Markarian, 1975: Año de la Orientalidad: identidad, memoria e historia en una dictadura, Montevideo, Trilce, 1996.

Delgado, Santiago, “Artigas en disputa. Las posiciones en torno a la discusión parlamentaria sobre la ley ‘Mes de Artigas’ en 1963”, Revista Encuentros Uruguayos, vol. VIII, no 1, agosto, 2005.

Demasi, Carlos, “La construcción de un ‘héroe máximo’: José Artigas en las conmemoraciones uruguayas de 1911”, Revista Iberoamericana, vol. LXXI, no 213, Pittsburgh, University of Pittsburgh, 2005.

Devoto, Fernando y Nora Pagano, Historia de la historiografía argentina, Buenos Aires, Sudamericana, 2009.

Earle, Rebecca, “Sobre Héroes y Tumbas: National Symbols in Nineteenth-Century Spanish America”, Hispanic American Historical Review, vol. 85, no 3, Duke University Press, 2005.

Eujanian, Alejandro, “La nación, las historia y sus usos en el estado de Buenos Aires, 1852-1861”, Anuario IEHS, 2012.

Fernández Sebastián, Javier (dir.), Diccionario político y social del mundo iberoamericano. La era de las revoluciones, 1750-1850 [Iberconceptos-I], Madrid, Fundación Carolina – Centro de Estudios Políticos y Constitucionales – Sociedad Estatal de Conmemoraciones Culturales, 2009.

Frega, Ana, Pueblos y soberanía en la revolución artiguista, Montevideo, EBO, 2007.

Frega, Ana y Ariadna Islas (coords.), Nuevas miradas en torno al artiguismo, Montevideo, Universidad de la República, Facultad de Humanidades y Ciencias de la Educación, CSIC, 2001.

Guerra, Francois Xavier, Modernidad e independencias. Ensayos sobre las revoluciones hispánicas, Madrid, MAPFRE, 1992.

Halperin Donghi, Tulio, Revolución y Guerra. Formación de una elite dirigente en la Argentina criolla, Buenos Aires, S.XXI, 1972.

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