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Les mouvements d’occupation de la place publique qui ont émergé dans les années 2010 dans différentes parties du monde signalent-ils l’apparition de nouveaux acteurs, d’une nouvelle manière de faire de la politique ? Annoncent-ils l’apparition d’un nouvel acteur révolutionnaire ? Révèlent-ils les valeurs de notre époque, respect pour les droits humains, hiérarchie horizontale, individus en réseaux1 et en révolte sociale2 ? Les lieux de naissance de ces mouvements sont situés en différents endroits du globe, effaçant ainsi la hiérarchie entre le centre occidental et la périphérie sud et orientale. Les nouveaux imaginaires démocratiques émergent dans des pays non occidentaux. « Il y a une connexion sans précédent, comme l’écrit Jeffrey Alexander, entre impulsions orientales et impulsions occidentales, qui démontre que la vague de pensée et d’action démocratiques ne se confine pas aux civilisations judéo-chrétiennes. »3 Le soulèvement égyptien de la place Tahrir et le mouvement Occupy Wall Street convergent ainsi dans leur utopie sociale et produisent une dynamique globale de la formation de la société civile.
Ce sont des mouvements qui se caractérisent avant tout par l’acte du rassemblement des gens dans un lieu concret. Quelles sont les implications politiques de ces grands rassemblements ? Selon Judith Butler, « des corps agissants » acquièrent une fonction critique face à la précarité néo-libérale4. Pourtant, il est difficile d’expliquer ces mouvements par une approche uniciste, en supposant que le rassemblement organique des corps et leur univers mental procède de la même cause, la critique du système néo-libéral. On ne peut distinguer une idéologie politique, ni un acteur unique, défini par son appartenance à une classe sociale, ou par sa dimension identitaire, qu’elle soit ethnique, sexuelle ou religieuse. Le fait de se rassembler conduit à une expérimentation sociale du pluralisme entre acteurs dissemblables.
Ce sont des mouvements qui cherchent à « requalifier » l’espace, et désigne la possibilité d’un autre monde, comme l’écrit Jean-Louis Fabiani5. La configuration des rapports sociaux est au centre de la réflexion. La représentation du collectif en lui-même, de sa coprésence et de son horizontalité sont parmi les traits distinctifs de ces rassemblements.
On y observe l’extension du domaine du politique vers le quotidien et les formes alternatives d’être en société. Albert Ogien et Sandra Laugier montrent comment ces pratiques font émerger « au sein de la vie ordinaire de nouvelles formes de conversation démocratique, contingentes et pluralistes, voire déroutantes et dissonantes »6.
Comment saisir la signification de ces mouvements de la place ? Participent‑ils à la globalisation de la société civile ? S’agit-il de l’émergence d’un nouvel acteur d’opposition contre le néolibéralisme ? Le nouveau protagoniste signale‑t‑il un changement paradigmatique dans la manière d’être en société, et dans la mise en relation entre l’expressivité esthétique et la protestation politique ? Dans quelle mesure le retour à la place publique ranime-t-il les imaginaires démocratiques et annonce‑t‑il une nouvelle ère politique ?
Je choisis ici de fixer le regard sur la place publique, le maidan, et sur la dimension spatiale de ces rassemblements. J’appelle « le maidan » le lieu où les acteurs apparaissent, se rassemblent, interagissent et mettent en pratique de nouvelles manières de faire-société. Je le distingue de « Maïdan », le lieu singulier de Kiev, tout en l’y attachant pour proposer un concept de ce nouveau type d’espace public ou de réappropriation de l’espace public dont je fais de Maïdan un cas paradigmatique. « Le maidan », sans le tréma est utilisé comme la réalité résultant de la rencontre du lieu et du mouvement, pour demander si elle n’a pas l’autonomie et la puissance d’un protagoniste en tant que tel de la situation sociale et politique dans laquelle elle s’inscrit et que, dès son avènement, elle contribue à modifier.
Il s’agit d’étudier la transformation de l’expérience personnelle dans et par le collectif, les dynamiques de visibilité et d’expressivité des acteurs sur la place publique. Qu’il s’agisse des révolutions arabes, des indignés en Europe ou dans des pays émergents, c’est sur la place que les individus de tous horizons, se sont réunis pour résister ensemble aux pouvoirs en place, y ont inventé de nouvelles formes d’agir et d’être ensemble. Ils proclament leur présence publiquement, se rendent visibles les uns aux autres et célèbrent leur diversité sans chercher à la dépasser dans une identité collective ou par une représentation politique. Ce sont des mouvements « leaderless » qui cherchent de nouvelles légitimités politiques7.
Comme l’écrit Yves Cohen :
pour des activistes, penser délibérément la perte de leur contrôle sur le mouvement est un indice fort d’une nouvelle culture du politique qui participe de la recherche de nouvelles formes démocratiques8.
Agir collectivement tout en manifestant les singularités est une question centrale qui alimente les mouvements maidan, et annonce un changement paradigmatique du politique. C’est autour de ce constat et de cette hypothèse que je propose de réfléchir sur la démocratie de la place publique et l’apparition de maidan comme nouveau protagoniste du politique. Les mouvements de la place font apparaître, à l’échelle plus proche du vécu et de l’intime, des formes singulières de la vie dans la production du commun. En partant de la personne et de son expressivité, en mettant en avant la « personne » dans les affaires du « public », ils inventent un mode d’engagement et d’agir public qui se distingue des formes précédentes de l’action collective.
Il est souvent constaté que ce sont des mouvements qui se caractérisent par leur faible capacité d’organisation politique et par une énergie collective et spontanée qui ne perdurent pas. Ils sont classés par conséquent comme des phénomènes momentanés et éphémères. Après un moment d’euphorie et d’exercice des libertés, le sentiment de fatigue et d’impuissance accapare les acteurs de la place publique ; dans certains cas, les mouvements se dispersent, disparaissent par eux-mêmes, dans d’autres cas, ils subissent la violence policière et la répression politique. Leurs effets sur la vie politique établie varient selon les contextes. Dans certains pays, les soulèvements ont renversé les régimes politiques en place (comme en Tunisie et en Ukraine), dans d’autres ils ont été suivis par la mise en place d’un pouvoir étatique autoritaire (Turquie) voire par la mainmise de l’armée (Égypte). Là où les politiques répressives sont déployées, les libertés d’expression sont atteintes, les opposants sont criminalisés, les journalistes, les universitaires sont réprimés et dès lors les rassemblements publics deviennent difficilement envisageables. Au fur et à mesure que la sphère publique perd son autonomie, le pouvoir étatique devient hégémonique sur l’organisation de la vie sociale, sur le choix des modes de vie et sur l’expression des croyances et des convictions personnelles.
Faut-il alors conclure que les mouvements d’occupation ont échoué à alimenter la démocratie, qu’ils se sont avérés être un « non-événement », et que la démocratie de la place publique ne représente qu’un rêve éphémère et déjà lointain ? On peut également inverser les termes de la question. Au lieu de constater l’échec ou la faible capacité politique de ces mouvements, on peut s’interroger : contre quoi la violence étatique cherche-t-elle à s’exercer ? Pourquoi, dans tant de pays, une vague de répression démesurée, aussi bien juridique que policière, voire la mise en place d’un pouvoir politique militaire et/ou despotique, ont-elles succédé à des mouvements de la place publique ? Qu’est-ce qui perturbe tant les pouvoirs en place ?
On peut se rappeler comment les protestations de la place Tiananmen en 1989 ont été réprimées par le régime chinois qui continue de nos jours à criminaliser les sympathisants de cette mémoire et n’a pas relâché sa mainmise sur l’ensemble de la vie publique. On peut considérer le phénomène Tiananmen comme précurseur des mouvements maidan. Giorgio Agamben repère dans les manifestations de Tiananmen l’annonce d’« une prophétie politique », où « la nouveauté de la politique qui vient, c’est qu’elle ne sera plus une lutte pour la conquête ou le contrôle de l’État, mais une lutte entre l’État et le non-État (l’humanité), disjonction irrémédiable des singularités quelconques et de l’organisation étatique9». Selon Agamben, l’État se trouve confronté à ce qui ne peut être représenté, et qui, toutefois, se présente comme une communauté et une vie commune, telle est précisément l’inédit avec lequel l’État n’est aucunement disposé à composer.
La singularité quelconque, qui veut s’approprier son appartenance même, son propre-être-dans-le langage et qui rejette, dès lors, toute identité et toute condition d’appartenance, est le principal ennemi de l’État10.
Agamben explique l’exercice de la violence étatique contre ce nouveau protagoniste de la politique :
partout où ces singularités manifesteront pacifiquement leur être commun, il y aura un Tiananmen et, tôt ou tard, les chars d’assaut apparaîtront11.
Autrement dit, la violence étatique s’explique par l’émergence d’un nouveau protagoniste qui réfute la représentativité politique et ne cherche pas la conquête de l’État mais manifeste pacifiquement les singularités et leur mise en commun. La réappropriation de la place publique et son occupation par les contestataires défient l’ordre établi, mettent en péril l’emprise spatiale et symbolique du monopole étatique sur la société. Il s’agit de la mise en scène d’une citoyenneté performative, en acte, transformatrice du lien social, qui rend obsolète, ne serait-ce que pendant le temps de l’occupation, la conjonction verticale de la société avec l’État. C’est cette configuration d’une autre manière de faire société qui représente une « disjonction irrémédiable » avec l’organisation étatique. L’absence des leaders et de la représentation politique, un trait commun de ces mouvements, illustre bien l’exécution du « pas de côté » qui échappe à la conjonction avec l’acteur étatique. Dans la mesure où le domaine du négociable ne détermine plus le jeu de la confrontation, les deux logiques, la logique du pouvoir de l’État et celle des acteurs de la place, ne se rencontrent que dans la confrontation et la violence.
Les dynamiques de la globalisation ne font que creuser la faille et exacerber la non‑correspondance entre les attentes des citoyens et ceux des pouvoirs politiques. La globalisation des problèmes accroît le malaise social tout en affaiblissant la capacité d’action des gouvernements. Il est difficile d’identifier un enjeu commun et bien défini autour duquel les acteurs contestataires et les élites du pouvoir peuvent se reconnaître, échanger et négocier. La crise financière et la corruption intrinsèque au système du capitalisme mondial, les flux permanents de migration, l’expansion du terrorisme, la dévastation environnementale et la pauvreté croissante sont devenus des problèmes planétaires, ne reconnaissant pas les frontières nationales. Dans la mesure où la gouvernance nationale perd sa tutelle, sa capacité à régler ces problèmes, elle perd également sa légitimité aux yeux de la société. Les contestataires expriment un malaise social lié à ces problèmes planétaires qui affectent leur vie au quotidien, mais ne trouvent guère d’interlocuteur, de répondant politique. Le politique, confiné à l’échelle nationale, atteint ainsi ses limites. Par conséquent, l’acteur politique se définit de plus en plus par la clôture nationale des frontières identitaires et économiques, au prix d’une politique répressive et illibérale. C’est ce que nous observons avec l’émergence des mouvements nationaux populistes à l’échelle du globe.
C’est sur la place publique que se joue cette impossibilité de rencontre verticale entre le pouvoir politique national et une société hétérogène. Le pouvoir politique se porte garant du maintien de l’ordre public et cherche à préserver son emprise spatiale et symbolique sur la communauté de la nation. De l’autre côté, le nouveau protagoniste du politique ne s’inscrit pas sur une trame préexistante de l’ordre social. L’acteur se révèle dans l’acte de l’occupation de la place, voire dans l’infraction des règles de l’ordre public : c’est ce qui fait l’événement. La possibilité du politique surgit là où les rapports de forces dans la définition du commun et du partage du sensible12 sont modifiés, voire arrachés à l’organisation étatique.
Revenons sur l’événement pour mieux saisir ce qui fait rupture.
L’événement et son récit
On peut constater que, dans chaque contexte, il y a un incident spécifique, un déclencheur de l’événement. L’incident joue un rôle catalyseur du malaise social existant et marque un point de bascule dans la mobilisation collective des contestataires d’une manière inattendue et spontanée.
La révolution tunisienne s’est amorcée quand le jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi s’immole par le feu devant la préfecture le 17 décembre 2010. La police venait de lui confisquer son étalage de fruits et de légumes.
L’occupation de « Gezi Park » à Istanbul s’est enclenchée le 27 mai 2013 suite à la décision de la municipalité d’arracher les arbres du parc Gezi afin d’aménager l’espace et de construire un centre commercial.
En Ukraine, la décision du gouvernement de suspendre le processus d’association avec l’Union européenne a engendré les mobilisations sur la place de l’Indépendance à Kiev le 21 novembre 2013.
Au Brésil, la hausse du prix du ticket de bus est l'élément déclencheur des manifestations du mois de juin 2013 dans les rues de São Paulo et Rio de Janeiro, et au-delà dans tout le pays.
Au Liban, la crise de la non-collecte des ordures est le catalyseur des protestations du 22 août 2015 sur la place des Martyres à Beyrouth13.
Ce n’est pourtant pas le caractère inédit de ces incidents qui a provoqué la colère et mobilisé les manifestants. Ce n’était pas la première fois qu’un jeune Tunisien se donnait la mort en public. La non-collecte des poubelles à Beyrouth, l’augmentation des prix de tickets de bus au Brésil, l’arrachement des arbres pour l’aménagement urbain à Istanbul ne sont pas des problèmes inhabituels pour les habitants de ces villes. Mais le ressenti des individus a changé et un seuil a été franchi. C’est quand un effet de « ras‑le‑bol » survient que le passage à l’acte de rassemblement s’effectue. La dimension des affects face à l’intolérable, l’atteinte à la dignité et le sentiment de colère jouent un rôle décisif dans ce passage pacifique à l’acte. L’élément de la spontanéité dans l’événement vient de cette ardeur affective face à l’intolérable. On sort de la maison, on descend dans la rue, on se rend sur la place publique, on se retrouve avec les autres. L’expérience du politique commence par le rassemblement, sur la place, en interaction les uns avec les autres. Une expérience qui transforme simultanément la conscience critique des personnes et de la collectivité. La répression policière provoque la colère et propage les protestations qui se répandent d’une ville à l’autre. L’action n’est plus limitée à sa localité, à son lieu initial d’occupation, même si le nom de la place continue à désigner le mouvement dans son ensemble. Les agendas de la contestation s’élargissent vers des sujets de société très divers en exprimant la volonté d’un changement plus profond que ce que laissait présager la colère initiale vis-à-vis de l’incident déclencheur. Quand, au Brésil, les manifestants disent « ce n’est pas que pour vingt centimes », ils expriment une volonté de changement qualitatif et global de la société et de la gouvernance, ils assignent à leur lutte un caractère holistique et « révolutionnaire ».
L’occupation de la place peut être analysée comme un événement, non parce qu’il s’agit d’une irruption spectaculaire et largement médiatisée dans l’actualité, mais parce qu’elle exprime et constitue un basculement social, l’ouverture d’un espace d’expérience, d’un champ du possible.
Comme le philosophe Gilles Deleuze le décrit, « l’événement ce n’est pas qu’il se passe quelque chose, quelque important que ce fait, mais plutôt que quelque chose se passe – un devenir14 ». C’est la vocation des sciences sociales de donner sens à l’événement et de contribuer à son intelligibilité. Toutefois, l’événement pose problème aux sciences sociales ; il est souvent ignoré, comme l’écrivent Alban Bensa et Éric Fassin15. Les disciplines en sciences sociales, aussi bien la sociologie que l’histoire, préfèrent montrer que l’événement n’en est pas un, que la nouveauté n’est pas si nouvelle. On s’emploie à réduire la surprise de l’événement, ce qui se passe est expliqué par son inscription dans le passé, dans les chaînes de développement de longue durée, ou dans une logique déterminante des structures. Or, avec l’événement, les schèmes habituels d’interprétation ne fonctionnent plus, le sens devient incertain, il s’opère une rupture d’intelligibilité. Ce qui caractérise en effet l’événement selon Bensa et Fassin, ce sont donc à la fois l’évidence d’une rupture et l’incertitude quant à sa signification16.
Proposer d’étudier le mouvement de la place comme un événement, cela implique de ne pas réduire le sens de ces mouvements à un incident, ou à une conjoncture politico-historique. Il s’agit de tenir compte de la rupture introduite par ces formes de contestation et de construire un récit avec de nouveaux schémas d’interprétation. Comme autour de tout événement, il existe même une pléthore de récits, en compétition, en complémentarité mais également en contradiction les uns avec les autres. Les pouvoirs politiques et les médias produisent une version des événements avec la volonté de minimiser leur ampleur et véhiculent une image déformée de ses manifestants comme des éléments perturbateurs de l’ordre public, voire comme des « casseurs » et des « racailles ». Non seulement ils ne sont pas reconnus comme citoyens légitimes, en plus ils sont stigmatisés, par des désignations dépréciatives, comme des marginaux, comme des violents ou comme des agents de l’étranger qui complotent pour renverser les régimes en place. Afin de susciter la stupéfaction auprès de l’opinion publique, on cherche à déshumaniser les manifestants, par des rumeurs, à l’appui de faux témoignages qui sont propagés à l’égard de leur comportement brutal, dégénéré, voire barbare.
De leur côté, les manifestants de la place ne sont pas seulement acteurs mais également producteurs de leur propre récit. Ils participent eux-mêmes à la mise en expression de leurs idéaux par écrits, témoignages, chroniques et documentaires mais aussi par le biais de l’art graphique, la performance, la danse et la musique. Ils sont méfiants vis‑à‑vis des porte-paroles, refusent que le sens de leur action soit accaparé et contenu par un discours politique, par une personne assignée. Tout récit sur la démocratie de la place publique doit tenir compte de l’expressivité des acteurs et de l’effet transformateur de l’expérience collective pour pouvoir décrypter et saisir ce qui se joue sur place et en acte.
Le derviche tourneur portant un masque à gaz pendant les manifestations dans le Parc Gezi, le 2 juin 2013, Istanbul, Turquie.
Pour ce faire, il y a deux écueils méthodologiques à éviter. Le premier, c’est de ne pas réduire le sens de ces contestations à des schémas préétablis du politique. Autrement dit, il faut donner la priorité à l’effet transformatif de l’expérience in situ et étudier l’expressivité des acteurs sur place. Seul un dialogue des sciences sociales avec le domaine de l’art et de l’esthétique peut permettre de faire apparaître la dimension expressive, matérielle et sensible de ces relations sociales en élaboration. L’enjeu est de pouvoir rendre compte de la création des formes artistiques et des styles de vie dans la mise en commun.
Le second, c’est de ne pas rester prisonnier d’une lecture euro-centriste. Ceci exige de reconnaître que les imaginaires démocratiques peuvent naître dans d’autres lieux et que l’accès à l’universel n’est pas limité à l’expérience des pays occidentaux. Pour défaire les hiérarchies entre les pratiques des pays « centraux » et ceux de la « périphérie », l’adoption d’un regard multi-situé est nécessaire. Ceci signifie la mise en relation des expériences, des savoirs et des récits entre chercheurs d’aires différentes.
L’étude de la démocratie de la place publique constitue un nouveau défi pour les sciences sociales dans la mesure où elle nécessite de nouveaux agencements entre les savoirs, en particulier entre la philosophie politique et les études aréales, entre la sociologie de l’action et l’esthétique sociale, entre l’histoire et l’inscription dans le présent. L’émergence des imaginaires démocratiques dans différentes aires met à l’épreuve les schémas d’interprétation établis et défie la philosophie politique commandée par l’expérience occidentale. De son côté, la sociologie doit inclure, dans l’étude de nouvelles formes de contestation, l’expressivité personnelle et l’esthétique sociale comme composantes de la créativité collective.
La « place publique » est une catégorie centrale de notre récit. Ici, elle n’est pas abordée comme un espace de représentation solennelle de l’autorité (la res publica) ni comme un espace discursif de communication, théorisé par Jürgen Habermas. Il ne s’agit pas de nier l’importance de la sphère publique dans son rapport à la démocratie procédurale et à l’autorité de l’État. Mais une approche plus matérielle et incarnée de la place publique est adoptée ici, afin d’interroger les modalités pluralistes de création du commun « par le bas », au plus près des personnes et dans des lieux concrets.
Une archéologie du maidan
Les concepts sont chargés de plusieurs sens et leur histoire est inséparable de l’histoire sociale17. Le mot « maidan » est entré dans le langage politique à l’échelle globale à partir des manifestations de Kiev. L’utiliser ici permet d’introduire dans notre récit les différents usages et les différentes trajectoires, dans différentes aires, de la notion de place publique. Ce choix lexical procède de la volonté de se distancier des automatismes de langage induits par l’eurocentrisme et de marquer un écart avec l’usage français de l’expression « place publique » et l’usage anglais de l’expression « public square ». Cet écart sert à enrichir les significations sociales de l’espace public et à donner de l’épaisseur historique à cette notion. L’usage de « maidan » dans des contextes aussi différents que la Turquie, l’Iran, l’Égypte, l’Ukraine ou même le sous-continent indien, montre la persévérance de la longue durée, les pliures cachées de l’histoire dans le langage et l’espace, voire les histoires refoulées entre mondes oriental et occidental.
Le mot « meydan18 », d’origine arabe et persane, est couramment utilisé pour désigner les places dans les villes, comme au Caire et à Istanbul. Un des lieux emblématiques du Printemps arabe est « Midan at‑Tahrir », occupé en janvier 2011 par des milliers de protestants égyptiens. À Istanbul, c’est « Taksim Meydanı » qui a été occupé pendant les manifestations de mai 2013. Cependant le mot « meydan » n’est guère employé pour identifier ces mouvements ; ce sont les expressions « Tahrir square » et « Gezi Park » qui sont préférées pour les désigner. Le mot « maidan » fait son retour par l’Europe de l’Est et commence à être utilisé seulement avec la couverture médiatique des manifestations en Ukraine. Maïdan Nézalejnosti, la place publique centrale de Kiev, devient le lieu de rassemblements et de protestations à partir de novembre 2013. Ce n’est qu’après la dissolution de l’Union soviétique et l'accession de l'Ukraine à l'indépendance en 1991 que la place avait été nommée « place de l’indépendance ». Quant à l’usage de « maidan », il est lié au passé ottoman des villes balkaniques et d’Europe orientale, dont l’influence remonte au XVesiècle, notamment en Crimée.
En arabe, le mot « maydân », à l’origine réservé aux grands espaces prévus pour les courses de chevaux, a pris ensuite des sens très divers : arène, champ, esplanade, marché. Couramment utilisé en Turquie contemporaine, malgré les tentatives de purification de la langue turque de ses sonorités arabes et persanes, ce mot y a aussi connu, au fil de l’histoire de ses usages, des significations multiples19. Dans le contexte rural, le meydan est un espace ouvert, rarement aménagé, qui échappe à l’appropriation privée comme à l’appropriation étatique. Il est employé dans les villages pour désigner un espace physique et social de rencontres et d’interactions. Dans les périphéries d’Istanbul, en continuité avec cet usage, le meydan reste un espace non aménagé par l’État, un espace vacant, approprié à diverses fins par les habitants. En milieu urbain, le terme désigne des fonctions précises, comme le lieu du marché (pazar meydanı) ou l’organisation des festivités sportives. Avec l’avènement de la République, le meydan est avant tout un espace marqué par la présence de monuments publics, régulé par le pouvoir central et réservé à l’organisation de grands défilés, de manifestations et de commémorations. Comme l’écrit Jean-François Pérouse, au fil du temps, il s’est opéré une sorte de « déterritorialisation » du terme « meydan » : il ne désigne plus un espace physique, pouvant faire l’objet d’une délimitation et d’une localisation. Toutefois, les expressions pour défier l’adversaire sont souvent utilisées en association avec la place, comme « meydan okumak » ou « hodri meydan », (« je t’attends si tu en as le courage » ou « vas‑y si tu en as le courage »). Le défi public, l’invitation à se rendre sur place comme dans un espace de visibilité, d’affrontement et de « duel », prend au fil du temps une signification métaphorique et abstraite. Parmi les usages les plus courants, « meydana çıkmak », « sortir sur le meydan » signifie « être porté au jour », « devenir visible », « apparaître », « prendre forme ». Le meydan n’est plus localisable, mais le mot garde la signification d’entrée en visibilité publique20.
Des penseurs comme Cornelius Castoriadis reviennent sur l’expérience de la cité pour s’interroger sur les possibilités d’une démocratie directe. Selon Castoriadis, c’est à Athènes qu’a été inaugurée ainsi une première forme de démocratie directe où la souveraineté revenait au peuple. C’est au sein de la cité que la communauté des citoyens se rassemble, se gouverne elle-même en contraste avec la démocratie représentative, où il y a un État, séparé de la société, qui assure le gouvernement21. Est-ce que l’on peut considérer que ce « germe » trouve une nouvelle actualisation auprès des protagonistes des mouvements de la place ?
Une nouvelle actualisation n’implique pas une continuité historique avec la cité athénienne ni une illustration de la démocratie directe, mais conduit à pouvoir poser la question de savoir si on peut imaginer l’organisation du social par lui-même, sans l’emprise de l’État ? Ce n’est pas tant le principe de la délibération dans l’idéale démocratique, mais plutôt tout ce qui la précède qui crée la possibilité de l’auto-institution de la société. Pour Castoriadis, « la participation générale à la politique implique la création pour la première fois dans l’histoire d’un espace public22». Celui-ci ne se résume pas pour autant à « une simple affaire de dispositions juridiques » mais doit être compris en rapport avec ce que fait le peuple avec ces droits, notamment l’engagement, les actes et les dires de la population. Les décisions touchant les affaires communes doivent être prises par la communauté. Mais l’essence de la démocratie ne renvoie pas aux « seules décisions finales », il renvoie également aux « présupposés des décisions », à tout ce qui mène à elles. « Tout ce qui importe doit apparaître sur la scène publique », écrit-il, notamment « les lois gravées dans le marbre et exposées en public afin que chacun puisse les voir ». Les débats ont une dimension matérielle qui lie les personnes de la cité. Car tout ce qui importe doit apparaître et être affiché sur la scène publique, comme la parole des gens, les règles et les lois.
Les mouvements d’occupation opèrent une conversion sémantique et signalent éventuellement une « actualisation » avec le « germe » de la démocratie, avec sa dimension matérielle. La place cesse d’être un lieu abstrait, virtuel, et redevient un espace territorialisé, immanent et non métaphorique. La place acquiert désormais une présence bien réelle, devient le lieu pour l’engagement de la population, l’apparition des acteurs, la libération des paroles, l’exposition des idéaux et des nouvelles règles. La place incarne la transformation du collectif, voire l’auto-institution du social par la communauté des personnes. Autrement dit, la place prime dans la configuration de la collectivité par les individus.
Le personnage central : Maidan
Afin de faire dialoguer notre approche sociologique avec l’esthétique, prenons appui sur un film, le documentaire du cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa, Maïdan23, réalisé sur le maidan de Kiev pendant la « révolution ukrainienne ». Le film suit la trame des événements qui ont commencé avec des protestations pacifiques contre le régime de Viktor Ianoukovytch à la fin de novembre 2013 et se sont terminés avec sa fuite le 21 février 2014 en Russie. Le cinéaste retrace les étapes de cette révolution, de la résistance pacifique à la confrontation brutale et meurtrière avec la police, qui a entraîné une centaine de morts, des blessés et des disparus.
Affiche du film documentaire Maïdan réalisé par Sergei Loznitsa (2014)
Maïdan est un film documentaire pas comme les autres. L’approche cinématographique de Sergei Loznitsa nous donne des clefs de compréhension de la primauté de la place : le maidan apparaît sous sa caméra comme le personnage central. Il n’y a pas d’entretiens avec les participants, on n’entend pas leurs voix, on ne connaît pas leurs motifs personnels, ni leurs opinions politiques. Il ne s’agit pas d’énumérer les raisons qui ont présidé à la contestation, ni ses conséquences politiques. Ce qui intéresse le réalisateur n’est pas l’avant ni l’après de l’événement, c’est d’être dans la temporalité propre du mouvement. Loznitsa dit que son but est d’amener le spectateur sur la place et de lui montrer les quatre‑vingt‑dix jours de la révolution. Pour ce faire, il va sur la place et plante ses trois caméras aux points stratégiques de Maïdan. Il ne cherche pas à se déplacer, avec sa caméra sur l’épaule, là où il se passe quelque chose, mais laisse les événements tels quels se dérouler devant les caméras fixes. Il veut restituer à l’événement sa spécificité temporelle et spatiale. Cela lui permet de faire une ethnographie de terrain. Il saisit les images en retrait, à une certaine distance des faits en tant qu’observateur participant. Ainsi fait-il émerger dans la quotidienneté de l’occupation, dans les micro‑pratiques de résistance, la mise en mouvement d’un changement radical, une métamorphose d’un peuple porté par la joie collective comme par le partage du deuil.
Bande annonce du documentaire Maïdan réalisé par Sergei Loznitsa.
Comme l’écrit Lilya Kaganovsky, l’une des commentateurs du film : « Loznitsa cherche à documenter une révolution non seulement dans les rues d’Ukraine mais à l’intérieur du peuple ukrainien, un changement profond ayant lieu dans la société ukrainienne. C’est simultanément une révolution anticoloniale, une révolution « mentale » contre le pouvoir russe, et une révolution antisoviétique qui cherche à démanteler le pouvoir soviétique à l’intérieur de chaque individu24».
Le principal protagoniste de cette transformation est le Maïdan, c’est le lieu de l’affranchissement de la peur, l’incarnation de la révolution. La voix sonore quasi divine qui anime le film demande du secours quand il est attaqué : « Maidan needs your help », comme si Maïdan était parmi les blessés. On s’adresse à lui comme à un être cher : « Dear Maidan », entend‑on avant qu’un poème soit récité.
Pendant l’occupation, les manifestants transforment la place en un foyer au sens figuré et littéral. À une température de -20°C, les conditions d’occupation sont rudes et le feu a une place importante dans la vie des manifestants. Pour se chauffer, ils font bouillir de l’eau dans de gros chaudrons. L’odeur du feu de bois embaume la place, elle imprègne durablement les vêtements des occupants. C’est à cette odeur que les révolutionnaires se reconnaissent mutuellement, témoigne Ioulia Shukan, en tant que sociologue et manifestante25. On construit des barricades et des tentes, on y demeure le jour et la nuit. L’expérience vécue sur Maïdan attire les gens, les arrache à leur vie sociale ordinaire, exige de faire un don de soi, de faire preuve de solidarité. Il se crée une relation de dépendance vis‑à‑vis de son ambiance révolutionnaire, marquée par de nouvelles sociabilités et solidarités. Une des manifestantes dit ainsi : « Je ne pouvais plus me passer du Maïdan, de son atmosphère, de mes amis (…). Nos nuits passées à chanter, nos accès de fou rire, nos tournées de bénévoles sur la place, tout cela me manquait26».
On n’occupe pas seulement la place, on y habite, on y fait sa vie. Les habitants du maidan sont très actifs, non au sens de l’activisme politique, mais au sens où ils effectuent les tâches essentielles du quotidien pour maintenir la place en bon état et y demeurer. On les voit, dans le film de Loznitsa, s’impliquer chacun selon son savoir‑faire, fabriquer les barricades, faire bouillir de l’eau, déplacer les matériaux lourds, faire à manger, s’occuper des malades, soigner les blessés. Toutes ces tâches demandent un engagement de la part des occupants du maidan, physique et psychologique. Ils donnent la priorité à leur nouvelle vie collective, suspendent leurs habitudes quotidiennes au profit de la place. Ils vivent à l’heure de l’événement, le temps public du maidan. La séparation des espaces privés et publics, du temps personnel et du temps du politique, s’est estompée. Le maidan est le foyer de ces habitants, là où ils campent, dorment, créent une nouvelle famille. Il est le lieu de leur apparition en tant que communauté de citoyens.
Atmosphère
Être sur le maidan, c’est partager une atmosphère, une esthétique sensorielle propre que seuls ceux qui y ont été peuvent attester. L’atmosphère résulte de toutes les expériences sensorielles, visuelles, sonores, olfactives, tactiles, gustatives. Barbara Carnevali montre comment une esthétique de la reconnaissance entre les acteurs s’opère dans le partage d’une atmosphère. Celle-ci possède « une sorte d’indépendance ontologique et d’autonomie spatiale, on « y entre », on se trouve comme pris dans la sphère27». L’atmosphère du maidan possède cette force d’émanation, ce pouvoir de captation. Ceux qui y sont entrés ne veulent plus quitter ce lieu. L’entrée en visibilité sur le maidan est accompagnée d’une expérience personnelle et collective du sensible. Les acteurs se révèlent à eux-mêmes et aux autres, leur singularité devient visible, ils se reconnaissent les uns avec les autres dans le partage d’une atmosphère. Autrement dit, les acteurs s’évaluent socialement par une « esthétique de reconnaissance »28. L’esthétique sociale du maidan détermine en partie les expériences partagées, les repères politiques de reconnaissance mutuelle. L’identité collective du mouvement maidan réside dans cette esthétique sociale partagée. L’atmosphère de maidan se distingue par l’odeur du feu du bois, le gaz lacrymogène, la suffocation, le brouhaha de la joie collective, les murmures du deuil, les chants sacrés, les chansons protestataires, les corps blessés. Les bandes‑son entêtantes du film Maïdan nous communiquent le temps contracté de la place, comme un battement de cœur, une ambiance qui sort de l’ordinaire, qui serre les liens, et qui marque le suspens, entre le temps de la protestation et de l’oppression d’un côté, et l’attente de l’horizon d’ouverture de l’autre.
L’ambiance du maidan est une ambiance qui fait sortir les participants du temps ordinaire. En se rendant sur la place, ils entrent dans une ambiance extraordinaire avec une dimension carnavalesque et révolutionnaire. Pendant le temps de l’occupation de la place, les rôles et les identités établis sont transgressés, la distance entre les classes sociales est supprimée, un autre partage du sensible de l’espace naît ; la familiarisation avec autrui et la polyphonie font partie de l’événement qui se produit sur la place.
Le maidan représente une école, un lieu d’apprentissage, surtout pour ceux qui sont novices dans l’engagement politique. Cet engagement permet aux personnes qui étaient identifiées comme une génération apolitique et égoïste, de se doter d’une image plus positive et valorisante à leurs propres yeux et aux yeux de la société. Comme dans le théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal29, la place devient un lieu de conscientisation et d’engagement collectif en vue de « l’empowerment » personnel et de la transformation de la société30.
Les occupants de la place inventent des répertoires d’action, des styles d’interaction, ils font de la musique, de la performance et de la danse. La place, comme une scène de théâtre, leur sert de lieu de répétition, d’improvisation et de représentation. Le théâtre de l’opprimé, fondé au Brésil par Augusto Boal dans les années 1960, est une forme de « théâtre essai » où les spectateurs deviennent acteurs. Boal a inventé un dispositif pour apprendre aux individus, aux « opprimés », à faire entendre leur voix, à se confronter à une situation et à pouvoir l’analyser. C’est par l’improvisation plutôt que par une dramaturgie que les citoyens se retrouvent sur scène pour évoquer leurs souhaits, leurs besoins, leurs désirs et transformer ainsi les conditions sociales. Pour lui, le théâtre est une forme de connaissance et un moyen de transformer la société31.
Le maidan, comme dans le cas du théâtre de l’opprimé, sert de dispositif d’apprentissage, de réflexivité, et conduit à une conversion réciproque de l’individuel et du collectif. La singularité de chacun est conviée et consolidée par la mise en scène du collectif. Le public se manifeste non comme une foule, un mouvement de masse sans distinction, mais par des personnes, par leurs visages, leurs voix et leurs différences. C’est en se rendant personnellement publics, visibles les uns aux autres, par une citoyenneté performative, qu’ils improvisent et entament un autre partage du sensible. Les conjugaisons créatives entre le personnel et le public constituent le répertoire d’actions performatives de la démocratie de la place.
La place est le lieu où un autre mode d’engagement collectif émerge, un « je » qui n’est pas effacé au nom d’une identité politique, mais un « je » qui se conjugue avec le collectif : c’est en faisant communauté que le « je » émerge. Une nouvelle subjectivité s’expérimente. C’est une évolution qui nécessite, comme Richard Rechtman nous y invite, à s’interroger sur les mutations des formes de subjectivation individuelle dans les luttes collectives contemporaines : « Car si le chef s’efface volontiers dans et sur la place publique c’est aussi parce que les individualités qui anonymement s’y retrouvent refusent paradoxalement de soumettre leur « Je » à celui d’un autre. C’est par la revendication clairement assumée d’un « je » qui dit « nous » que le collectif s’exprime »32. C’est ce qui distingue par ailleurs les rassemblements maidan, que nous étudions ici, des « meetings politiques » organisés sous l’autorité de chefs, où le collectif, la nation ou la majorité l’emportent sur les individualités.
Mixité sociale improbable
Les chercheurs ont souvent caractérisé les acteurs des rassemblements comme des jeunes éduqués sans travail, comme une nouvelle classe moyenne précaire, confrontés à une impossibilité d’ascension sociale33. On peut essayer de caractériser le profil sociologique de l’acteur maidan comme urbain, jeune et éduqué, souvent issu des mouvements alternatifs de gauche, altermondialiste, attaché à des valeurs écologistes, défenseur des minorités sexuelles. Cependant, ce n’est pas un mouvement que l’on peut caractériser uniquement au moyen de la catégorie de jeunes, ou de celle de conflit générationnel, ou en le comparant au mouvement de mai 68. Ce n’est pas non plus un mouvement qui peut être seulement expliqué par les classes sociales. Les acteurs de maidan peuvent être considérés comme des « acteurs non collectifs ». Dans les termes d’Asef Bayat,
ils incarnent des pratiques communes d’un grand nombre d’individus ordinaires dont les activités fragmentées mais similaires déclenchent des changements sociaux, même si ces pratiques sont rarement guidées par une idéologie ou des dirigeants et organisations reconnaissables34.
La démocratie de la place révèle un public très hétérogène que l’on peut qualifier, à l’instar de Michael Hardt et Antonio Negri, de « multitudes » dans le sens où ce sont des singularités qui ne peuvent entrer dans aucun format de représentation35.
Le sens du rassemblement, c’est la mise en proximité de publics et de personnes qui ne se côtoient pas d’ordinaire. La fonction critique du mouvement ne s’exprime pas en termes idéologiques et n’est pas seulement dirigée vers un adversaire extérieur, mais réside dans l’acte du rassemblement, dans l’expérience vécue de l’altérité et de la reconnaissance mutuelle. La mixité sociale improbable constitue ainsi l’enjeu politique de la transformation, aussi bien individuelle que collective.
La rencontre avec autrui et la mixité sociale ont un effet transformateur sur la conscience des participants. Le témoignage d’une jeune femme chrétienne vivant au Caire et dont les habitudes quotidiennes étaient tracées, entre sa maison, son école et l’Église copte, illustre bien l’effet transformateur de place Tahrir sur sa personne. Mavie Maher, lors de sa communication au colloque « La Démocratie de la place publique » en novembre 2015, a exprimé avec une intense émotion le fait de se trouver sur la place avec d’autres. Les chrétiens, dit-elle, ne s’impliquent pas dans la société égyptienne, et préfèrent se limiter à leur église en raison du risque de persécution. Mais « voilà la Révolution est arrivée, il y avait des musulmans et des chrétiens ensemble, toutes les couches d’Égypte se sont rencontrées à la place Tahrir. On a senti que nous sommes des citoyens et que cette rue, ce maidan nous appartient. Ça nous a donné un sentiment de pouvoir et de renforcement. »
Et là, en 2011, j’ai fait mon premier court-métrage, j’ai commencé à participer aux festivals internationaux. Là, a commencé mon sentiment que j’ai une responsabilité où je veux bien participer non seulement à la mise en conscience au plan local dans mon pays, mais aussi à transmettre l’image de mon peuple, notre Révolution, notre parcours ailleurs et partout dans le monde36.
Malgré le renversement de la Révolution, pour Mavie Maher, une brèche s’est ouverte dans l’esprit des gens.
Les effets transformateurs de la mixité sociale sont particulièrement tangibles dans le cas des acteurs de Gezi à Istanbul. Ils ont dépassé les clivages politiques binaires de polarisation entre kurdes et turcs, séculiers et musulmans, féministes et machistes, par la mise en place de modes d’agir public inédits37. Les habitants turcs des grandes villes de l’ouest se sont solidarisés avec les populations kurdes de l’est, les jeunes séculiers ont partagé la rupture du jeûne (iftar) avec les musulmans pratiquants, et les supporters de l’équipe de football de Beşiktaş ont résisté à la police côte‑à‑côte avec les militants LGBTI. Ces croisements ont eu des effets transformateurs sur la conscience des acteurs, sur leur langage, voire sur leur conduite politique. Les jeunes d’Istanbul ont pris conscience des conditions de vie des populations kurdes de l’Est. Cela s’est reflété dans leurs propos mais également dans leurs choix de vote. Le comportement envers autrui, le langage ont été des sources de débat et de surveillance mutuelle. Le respect pour les croyants a été exprimé par des micro-actes de solidarité, notamment pendant la prière collective et la rupture du jeûne. La présence des féministes et des membres LGBTI a fait basculer les codes genrés de l’action politique, a introduit la dérision et l’humour, tout en obligeant un changement de conduite chez les autres. Zeynep Uğur montre comment le répertoire queer du mouvement LGBTI introduit la dérision et l’humour en conjuguant le langage politique avec la sexualité ainsi que l’argot LGBTI à travers des slogans tels que « Résiste chéri.e !38». Le changement d’attitude des supporters des équipes de football envers les homosexuels en est un autre exemple. Comme l’observe Gökçe Tuncel dans son enquête sociologique, le mot « pédé » était couramment utilisé par des supporters pour insulter et provoquer les policiers ; mais les supporteurs disent avoir changé leur perception, leur comportement et surveillé leur langage, une fois alliés aux membres LGBTI face à la police39.
L’occupation de la place rapproche socialement des personnes d’horizons différents, et confronte des habitudes culturelles et des normes conflictuelles40. La capacité de créer une assemblée de ces singularités est, comme c’est censé être le cas dans nos démocraties, l’enjeu principal de ces mouvements.
Maidan pour une politique d’accommodement créatif
La montée du nationalisme identitaire et religieux, la tyrannie de la majorité, l’hostilité contre les migrants, mettent en péril le pluralisme démocratique. La polarisation entre la nation et les minorités, la défense des frontières, l’autoritarisme sont parmi les paramètres d’une politique actuelle que l’on observe aussi bien au sein des sociétés occidentales que dans les pays émergents.
La démocratie de la place publique fait apparaître les paramètres d’une alternative politique.
L’acte d’occupation de la place signifie la confiscation du temps et de l’espace aménagés par le pouvoir, la possibilité ainsi de la transformation du partage du sensible entre minorités et majorité. Les acteurs du maidan peuvent être qualifiés de « minorités actives41». Ici, la notion de minorité ne doit pas être comprise dans un sens numérique ni dans le sens d’une identité assignée. Les minorités actives sont celles qui agissent sur leurs conditions sociales d’une manière consciente, affirment leur singularité et manifestent publiquement leurs différences par des actes performatifs, comme le « coming out » pour les homosexuels, ou le port du voile pour certaines musulmanes. Les minorités actives ont un agir créatif dans le sens où elles façonnent les manières d’être, de s’habiller, de se comporter avec le sexe opposé et inventent des styles de vie, créent une « atmosphère », une esthétique culturelle de reconnaissance mutuelle. Leur agir est esthétique mais aussi politique dans la mesure où elles critiquent les normes dominantes, ne s’inscrivent pas dans les impératifs de la citoyenneté nationale, ne se reconnaissent pas dans le récit de la nation imposé d’en haut, mais cherchent à composer une communauté avec des singularités en coprésence.
Les mouvements de la place permettent un lien avec l’altérité, l’expérience de l’intersubjectivité et la manifestation de multitudes de styles et de langages. La place publique, comme dans une répétition au théâtre, permet aux acteurs d’apprendre un nouveau texte, de se distancier vis-à-vis de leurs identités assignées, d’improviser des manières d’être ensemble, de trouver des styles de vie en commun. En ôtant le contrôle de l’espace au pouvoir étatique, ils confisquent le temps imposé par les règles du marché du travail et de la société de consommation, ils se réapproprient la scène (aussi bien celle de la place que de l’histoire) pour un renouveau personnel et collectif, une performance de la citoyenneté dialogique, en quête de formes alternatives d’être en société.
La manière dont les individus perçoivent et structurent leur monde n’est pas un acte abstrait mais liée étroitement à des formes de réalité immédiate qui se déroule dans un espace-temps concret, dans un chronotope. Selon Bakhtine, le chronotope constitue la matrice dans laquelle les principales séquences temporelles et spatiales d'une œuvre se croisent, et les dialogues, les rencontres, les événements se produisent42. L’événement du maidan et ses séquences ne se déroulent pas dans un espace-temps actuel, à l’intérieur d’un chronotope établi par le pouvoir. Les protagonistes du maidan occupent la place, confisquent la temporalité, arrachent ainsi l’espace au contrôle de l’État et au temps du marché. Ils font l’événement dans le sens où ils créent une rupture, ouvrent le champ du possible, et renouvellent le sens du politique. Il s’agit d’une transgression de l’ordre public, et de la fabrication d’un autre espace-temps, que l’on appelle « le maidan » par distinction de la place publique. L’usage que l’on fait de la notion du maidan acquiert ainsi une nouvelle couche de signification politique. Le maidan est la forme réappropriée, transformée, habitée de l’espace public. Le politique qui a été mis en scène publiquement par la performativité des citoyens convertit l’espace public en une hétérotopie, en espace autre au sens foucaldien, en une localisation physique de l'utopie.
La transformation de la place publique en une hétérotopie, en « maidan », rend possible un nouveau déroulement de l’action humaine, la production d’un récit, l’imagination d’une fiction qui nécessite de nouvelles formes de perception du monde et où l’expressivité artistique trouve une place fondamentale.
La reconnaissance mutuelle entre personnes d’horizons culturels différents résulte d’un engagement aussi bien éthique qu’esthétique qui dégage le potentiel émancipatoire et créatif du pluralisme. Le domaine du politique est ainsi élargi vers celui de l’esthétique sociale, où les nouveaux styles, langages et formes d’être en société apparaissent. L’expérience de la mixité sociale incite la transformation du rapport à autrui, confronte les différents points de vue, les styles et les personnes, dans un langage polyphonique. Le répertoire conceptuel de Bakhtine, le dialogisme, la polyphonie, l’hétéroglossie, privilégie le rapport à l’altérité et nous rappelle la dimension transculturelle de l’espace public.
L’occupation de l’espace public révèle la potentialité d’accommodement dialogique, horizontal et créatif entre personnes appartenant à des univers culturels et des habitus de classe différents. La reconnaissance mutuelle est réalisée par une politique du sensible et de l’esthétique, par le partage de la même atmosphère. L’apprentissage des langues de minorités, la surveillance des conduites envers les plus vulnérables, les actes de solidarité, les performances artistiques, l’usage de l’improvisation, de la provocation, de l’humour et de l’innovation, font partie du répertoire de l’action. Ce sont des pratiques d’ajustement entre citoyens, des actes d’« accommodement créatif » de la différence.
Dans leur travail sur l’interculturalisme au Québec, Gérard Bouchard et Charles Taylor rendent compte des pratiques d’« ajustement concerté » entre citoyens, migrants et État43. Pour eux, « les accommodements raisonnables » constituent une nouvelle voie vers la reconnaissance des minorités et une politique plus inclusive. Dans le prolongement de cette approche interculturelle, on peut faire une distinction entre les notions d’accommodement raisonnable et d’accommodement créatif. Le premier se réfère à la négociation et au compromis entre citoyens et État, menés discursivement dans un cadre institutionnel, tandis que, sur la place, les acteurs ne cherchent pas à négocier avec l’État mais inventent des pratiques d’accommodement, de familiarisation avec les différences culturelles, ethniques, sexuelles, religieuses des uns et des autres. Ce sont les actes politiques de l’engagement collectif et de l’expressivité artistique qui donnent forme aux pratiques d’accommodement créatif.
Cette esthétique politique conduit à dépasser les dualismes ordinaires, et notamment celui opposant l’individu moderne et la société. John Dewey, pour qui la notion du public est centrale à la fois dans sa réflexion esthétique et dans sa réflexion politique, s’interroge sur les moyens de dépassement de tels dualismes et sur les conditions d’émergence du « commun ». L’art est pour lui le moyen privilégié d’une singularisation active, inséparable du renforcement du commun. Pour qu’il y ait public, il faut selon lui qu’il y ait imagination commune, et l’art joue un rôle central dans son élaboration44. L’accommodement créatif renvoie au croisement entre l’art et la politique.
Est-ce que la brèche ouverte par les mouvements de maidan est porteuse de sens pour l’avenir ou est-ce qu’ils appartiennent déjà au passé ? Comment définir la temporalité du maidan ? Par son caractère éphémère et non durable ? Le fait que maidan n’appartienne pas véritablement à son temps, qu’il soit « inactuel », ne doit pas conduire à le qualifier d’utopique ou de nostalgique. Le vrai contemporain, comme l’écrit Agamben, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec son temps45. Maidan est « contemporain » dans la mesure où il n’adhère pas à la politique actuelle, à l’ordre public présent : c’est par cet anachronisme qu’il saisit véritablement son temps. Être contemporain n’est pas seulement une affaire de perception, mais aussi une affaire de courage, de résistance et de rupture avec les impératifs du pouvoir politique et du capitalisme. Ce sont le courage et le don de soi des acteurs, l’occupation, l’habitation et la transformation de la place en un maidan, qui permet l’émergence du lieu de la politique, l’apparition des multitudes, et des formes créatives d’accommodement. Dans une époque où la modernité est définie par l’emprise du virtuel sur le social, où l’espace public se résume à l’espace médiatique, les mouvements maidan font apparaître les formes élémentaires de la cité, au sens antique, et rappellent les origines multiculturelles des arts de vivre ensemble. Avec l’occupation de la place, on peut parler de l’actualisation du « germe » de la démocratie athénienne, qui, dans une nouvelle séquence historique, se croise avec le maidan de l’Empire ottoman et d’autres aires. L’acte d’occupation permet la réincarnation de formes originelles. Comme le rappelle Agamben, « la clé du moderne est cachée dans l’archaïque46». Il s’agit d’opérer, pour l’étude des mouvements maidan, un travail d’archéologie politique, notamment sur les périodes pré-modernes, et notamment en se concentrant sur l’espace ouvert et vacant, non aménagé par l’État, de maidan, comme un lieu de rencontre, de sociabilités, approprié par ses habitants dans un agir créatif et collectif. La démocratie de maidan s’annonce avant tout dans cette dimension incarnée, archaïque et esthétique de l’action sociale. Le maidan configure le microcosme de cette démocratie sans prendre encore une forme bien définie dans le présent. Il s’annonce d’un « trop tôt », d’un « déjà » qui est aussi un « pas encore ». Cependant, le germe de ce mouvement ne disparaît pas. Malgré l’étouffement répressif, on parle de maidan comme d’un « esprit » insaisissable, on parle de l’« âme » de Gezi, qui continue de se mouvoir et d’alimenter les imaginaires et les initiatives tout en hantant l’œil du pouvoir.
Maidan est le nom de l’anachronisme dans l’espace public existant, de la possibilité d’institution d’un autre espace‑temps et le début d’un nouveau récit social. Maidan nous permet de mesurer les forces de corrosion de l’espace public actuel — l ’État de surveillance, les politiques sécuritaires, la contagion capitaliste, le monopole des médias, l’absence des lieux de sociabilités — tous les traits qui démantèlent le lien social et les bases de familiarisation avec autrui. À l’époque où les villes-monde perdent leur fonction de socialisation entre étrangers et où leurs habitants sont agis par « la mixophobie47», veulent se protéger du contact d’autrui, vivent dans des espaces ségrégués entre semblables, la place publique endosse un rôle déterminant. C’est le lieu physique où on peut réinventer les formes de familiarisation dans une société de plus en plus hétérogène, et reconfigurer une nouvelle fabrique sociale par le bas. Maidan est le nom de l’incarnation de la cité inclusive et d’une nouvelle esthétique politique du pluralisme. C’est la forme émancipée de l’espace public48.
Notes
1
Manuel Castells, Networks of Outrage and Hope : Social Movements in the Internet Age, Cambridge/Malden, Polity Press, 2012.
2
Paul Mason, Why it is kicking off everywhere : The New Global Revolutions, New York, Verso, 2012.
3
Jeffrey C. Alexander, « The Arc of Civil Liberation : Obama‐Tahrir‐Occupy », in Philosophy and Social Criticism, vol. 39, no 4-5, 2013, p. 341-347.
4
Judith Butler, Rassemblement. Pluralité, performativité et politique, Paris, Fayard, 2016.
5
Jean-Louis Fabiani, « Contestations politiques et nouvelles prises de parole », in Esprit, 2015, n° 3, p. 165-177, p. 173.
6
Albert Ogien, Sandra Laugier, Le Principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique, Paris, La Découverte, 2014, p. 78-79.
7
Yves Cohen, « Les Foules raisonnables. Notes sur les mouvements sans parti ni leader des années 2010 et leur rapport avec le XXesiècle », in N.Göle, Y. Cohen, La Démocratie de la place publique, Politika, 2018.
8
Yves Cohen, « Les Foules raisonnables. Notes sur les mouvements sans parti ni leader des années 2010 et leur rapport avec le XXesiècle », in N. Göle, Y. Cohen, La Démocratie de la place publique, Politika, 2018.
9
Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, Paris, Seuil, 1990, p. 90.
10
Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, Paris, Seuil, 1990, p. 90.
11
Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, Paris, Seuil, 1990, p. 90.
12
Jacques Rancière, Le Partage du sensible : Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000.
13
Leïla Seurat, « Police Management of Demonstrations in Beirut : Garbage Crisis in 2015 », in N. Göle, Y. Cohen (dir.), La Démocratie de la place publique, Paris, Politika, « à paraître ».
14
Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Éditions de Minuit, 1969, in A. Bensa, É. Fassin, « Les sciences sociales face à l’événement », inTerrain, vol. 38, 2002, p. 38.
15
Alban Bensa, Éric Fassin, « Les sciences sociales face à l’événement », in Terrain, vol. 38, 2002.
16
A. Bensa, É. Fassin, « Les sciences sociales face à l’événement », in Terrain, vol. 38, 2002, p. 38.
17
Reinhart Koselleck, Le Futur Passé. Contributions à la sémantique des temps historiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.
18
J’utilise indifféremment les mots « meydan » et « maidan ». Le premier est couramment utilisé en langue persane et en langue turque, le second en Inde et en Ukraine.
19
Pour ces significations multiples, voir Jean-François Pérouse, « De la “déterritorialisation” au réinvestissement d’un mot de la ville : le cas de meydan en turc », in J-C. Depaule (dir.), Les Mots de la stigmatisation urbaine, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Éditions UNESCO, 2006, p. 225-246.
20
Pour ces significations multiples, voir Jean-François Pérouse, De la « déterritorialisation » au réinvestissement d’un mot de la ville : le cas de meydan en turc, in J-C. Depaule (dir.), Les Mots de la stigmatisation urbaine, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Éditions UNESCO, 2006, p. 225-246.
21
Dans un article en cours de publication, La démocratie : nécessaire autolimitation, impossible auto-institution, Philippe Urfalino revisite l’idéal démocratique chez Castoriadis et les limites de l’idée d’auto-institution.
22
Cornelius Castoriadis, « La Polis grecque et la création de la démocratie », in Le Débat, 1986, vol. 1, n° 38, p. 10.
23
Sergei Loznitsa, Maïdan, Atom et Void, 2014, 134 min.
24
Lilya Kaganovsky, « Maidan », in Slavic Review, vol. 74, n° 4, Cambridge University Press, 2015, p. 894-895.
25
Ioulia Shukan, Génération Maïdan, Vivre la crise ukrainienne, Paris, Éditions de l’Aube, 2016.
26
Ioulia Shukan, Génération Maïdan, Vivre la crise ukrainienne, Paris, Éditions de l’Aube, 2016, p. 27.
27
Barbara Carnevali, « Social Sensibility. Simmel, the Senses and the Aesthetics of Recognition », in Simmel Studies, vol. 22, n° 2, 2017, p. 24.
28
Barbara Carnevali, « Social Sensibility. Simmel, the Senses and the Aesthetics of Recognition », in Simmel Studies, vol. 22, n° 2, 2017, p. 36.
29
Augusto Boal, Théâtre de l’opprimé, [1977], Paris, La Découverte, 1996.
30
Sophie Coudray, « Le Théâtre de l’Opprimé », in Recherches & éducations, 2016.
31
Nin Khodorivsko, « Ukrainian Maidan as Performance », in N. Göle, Y. Cohen (dir.), La Démocratie de la place publique, Paris, Politika, « à paraître ».
32
Richard Rechtman, au colloque “La Démocratie de la place publique : les mouvements de Maïdan”, Paris, EHESS, Tepsis, CESPRA, CERCEC, CRH, 19-20 novembre 2015.
33
Loïc Wacquant, Urban Inequality, Marginality and Social Justice, Bosphorus University, 2014.
34
Asef Bayat, Life as Politics, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2010, p. 15-16.
35
Michael Hardt, Antonio Negri, Empire, Paris, Exils, 2000, p. 36.
36
Mavie Maher, « Témoignage d’une jeune femme chrétienne réalisatrice sur la place Tahrir », in N. Göle, Y. Cohen (dir.), La Démocratie de la place publique, Paris, Politika, « à paraître ».
37
Nilüfer Göle,« Démocratie de la place publique : l’anatomie du mouvement Gezi », in Socio, vol. 3, 2014, p. 351-365.
38
Zeynep Uğur, « Queering the Public Sphere : LGBTI Movement in Gezi », in N. Göle, Y. Cohen (dir.), La Démocratie de la place publique, Paris, Politika, « à paraître ».
39
Gökçe Tuncel, « New forms of public agency in a public square movement : Çarşı in the Gezi Park protests in Istanbul », in N. Göle (dir.), Public Space Democracy, « à paraître ».
40
Bochra Kammarti, « La bataille des religieux et des séculiers. Tunisie, 2011-2013 », in N. Göle, Y. Cohen (dir.), La Démocratie de la place publique, Paris, Politika, « à paraître ».
41
Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1991, p. 11.
42
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 391.
43
La commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles a été créée en 2007 par le Premier ministre du Québec et a siégé jusqu’en 2008. Coprésidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor, elle a produit un rapport intitulé Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation.
44
Charles Floren, L’Esthétique radicale de John Dewey, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2018.
45
Giorgio Agamben, Qu’est ce que le contemporain ?, Paris, Rivages poche Petite Bibliothèque, 2008, p. 10.
46
Giorgio Agamben, Qu’est ce que le contemporain ?, Paris, Rivages poche Petite Bibliothèque, 2008, p. 27.
47
Zygmunt Bauman, « Cities in the Globalized World of Diasporization », in Europe City. Lessons from the European Prize for Urban Public Space, Barcelona, CCCB, Lars Müller Publishers, 2016, p. 182-189.
48
Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.
Bibliographie
Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, Paris, Seuil, 1990.
Giorgio Agamben, Qu’est ce que le contemporain ?, Paris, Éditions Rivages, 2008.
Jeffrey C. Alexander, « The Arc of Civil Liberation : Obama‑Tahrir‑Occupy », Philosophy and Social Criticism, vol. 39, n° 4-5, 2013 p. 341-347.
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978.
Asef Bayat, Life as Politics, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2010.
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