(EHESS - CRH : Centre de recherches historiques et CERCEC : Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre européen)
La vision de la situation développée ici est sans doute trop optimiste mais il serait tellement aisé d’en avoir une noire1. Pour le dire en quelques mots, il semble que, à une échelle mondiale, les années 2010 aillent plus loin encore que le « moment 68 » (à peu près de 1965 à 19752) en ceci qu’elles initient un long processus de renouvellement de la démocratie et plus largement encore de la politique à la suite de l’échec radical du communisme au XXe siècle. Occupy et les Indignés sont importants pour symboliser le début de cette nouvelle ère politique dans le monde. Ils sont pourtant à eux seuls loin de rendre compte d’un moment si essentiel. On les énumère souvent pour résumer une situation qui les déborde de très loin. C’est ainsi qu’ils ne doivent pas être confondus avec les mouvements des places, mouvements sans parti et sans leader, étendus, massifs et débordants. Depuis celui de Tunis à la fin de 2010, ces mouvements ont éclaté dans de nombreux pays à la surface du globe en une salve extraordinaire. Cette vague comprend le Printemps arabe mais est loin d’y être confinée. Outre Tunis, Le Caire, la Syrie, elle se compose encore d’Istanbul (place Taksim), de Kiev (Maïdan), du Brésil de juin 2013 et de nombreux autres mouvements moins visibles sur tous les continents, y compris l’Afrique (voir le Burkina Faso en 2014).
Le présent texte a pour point de départ une étude historique. Celle-ci s’intéressait aux cultures et aux pratiques de l’autorité et du leadership et aux avatars de la figure du chef entre 1890 et 1940 en France, en Allemagne, aux États-Unis et en Union soviétique3. À cette recherche se sont ajoutées des enquêtes de terrain et des participations à des mouvements, principalement au Brésil, et aussi en Russie, en Ukraine et en France4. L’étude historique s’est connectée aux mouvements du présent dans le monde parce que la question de l’autorité et du leadership y était centrale depuis les années 2000 contre la globalisation et surtout à partir de 2010. Le présent texte se veut analytique et réflexif. Il rencontre la singularité de chacun de ces mouvements, à laquelle chacun tient beaucoup. Ceci s’exprime dans une prétention à l’incomparabilité entendue plusieurs fois à propos de pays différents comme l’Égypte, l’Ukraine et le Brésil de la part d’activistes mais aussi de chercheurs en sciences sociales, ce qui n’est pas sans faire écho à la revendication même d’autonomie des mouvements sociaux. Les singularités doivent être protégées et comprises. Toutefois, sans exception, tous ces mouvements ont été peu ou prou connectés les uns avec les autres, quelle que soit l’intensité, la nature et la portée des échanges. Ils participent d’une contemporanéité qui est à comprendre et à caractériser. Ils font apparaître ensemble des régularités que personne n’a postulées à l’avance et que seule l’enquête en présence et sur place permet de relever et de nommer. C’est afin d’initier une réflexion et de construire un sens par le travers, pourrait-on dire, c’est-à-dire par la mise en résonance des singularités, que cette étude tente d’identifier des traits qui traversent un grand nombre d’entre eux et de spécifier par là le moment actuel5.
Le relevé d’un certain nombre de traits
Cette démarche ne consiste pas à utiliser une grille interprétative pré-établie que fourniraient les sciences sociales. Celles-ci sont prises à revers par un type d’activité sociale autonome qui n’est pas celui par rapport auquel elles se sont historiquement définies au début du XXe siècle. Il s’agit alors d’extraire par l’observation et de formuler quelques traits qui pourraient permettre de penser ensemble la série des mouvements des années 2010.
Un premier consiste à noter que la presque totalité n’ont pas éclaté dans la vieille Europe prospère ni aux États-Unis, c’est-à-dire qu’ils se sont développés hors du groupe des pays fondateurs de la démocratie moderne. Un autre trait commun frappant consiste en ce que presque tous ces mouvements étaient sans chef, sans leader. Ils se rapprochaient ainsi du Mai 68 français qui n’était dirigé ni par un parti ni par un ou quelques leaders (Daniel Cohn-Bendit, qui avait un statut de ce type, a été empêché de revenir d’Allemagne en France le 21 mai. Il était loin d’avoir le pilotage non seulement de l’ensemble, mais ne serait-ce que du mouvement étudiant). À près de cinquante années d’écart, il existe pourtant une différence fondamentale. Les mouvements actuels ont en effet abandonné la perspective d’une révolution telle qu’elle était encore désirée dans les années 68. Elle était alors conçue comme une révolution socialiste selon le modèle du XXe siècle, mais meilleure que toutes celles dont ce siècle avait fait et faisait encore la douloureuse expérience. Dans les années 2010, lorsque le mot de révolution apparaissait, il se référait plutôt à la Révolution française ou à un 1917 originel, ou bien encore à une révolution indéfinie, située d’abord et surtout dans les relations interpersonnelles de toute nature, économiques en premier lieu et aussi culturelles, politiques ou morales. Qu’ils s’opposassent à des démocraties, à des dictatures ou à des régimes autoritaires, cette double caractéristique de leaderless et de non-révolutionnaire était présente dans les mouvements de ces dernières années6, même si dans certains cas ils se sont nommés « révolution », mais dans un autre sens que dans celui économico-socio-politique du XXe siècle7.
Il s’ensuit qu’un autre trait se dessine. Il consiste en l’invention, sur les places mêmes, de nouvelles formes de légitimité démocratique. Ces formes ne sont pas installées toutes définies et pour toujours, mais il s’est engagé là un long processus, sans que par ailleurs cette légitimité ne souhaite ni n’engendre une destruction de la démocratie représentative.
Un autre attribut de ce processus émergent est la présence, une présence dans les rues et sur les places. Le mot « occupation » pourrait convenir, mais il pointe vers quelque chose d’un peu trop figé si l’on prend en considération la mobilité des manifestations. C’est la présence dans la rue et sur les places, sous de multiples formes, de très nombreuses personnes et de nombreux groupes, qui importe ici8. Cette présence s’opposait explicitement à la re-présent-ation : l’acte était celui d’être présent en personne et non pas représenté, ce qui ne signifiait pas une volonté de détruire la démocratie représentative, mais l’affirmation distincte d’une voie démocratique autre, mais compatible, par le moyen de l’expression directe.
Cette présence était insistante, obstinée. Cette dimension a été très impressionnante dans le cas de la place Tahrir, tout autant que de Taksim et de Maïdan. Dans ce dernier cas, les gens venaient de très loin pour occuper la place et y vivre, et plus encore lorsqu’elle était en danger après une attaque du pouvoir. Dans l’épreuve la plus forte, les 20 et 21 février 2014, les gens ont à peine reculé sous le feu mortel des snipers non identifiés à cause desquels le bilan des morts de Maïdan s’est élevé à cent vingt. Cette extraordinaire force collective unie opposée aux tirs, non seulement a engagé la fuite du président Yanoukovitch dès le 22 février, mais constitue l’un des événements les plus forts de la vague de mouvements considérée ici9.
Il s’est instauré sur les lieux une légitimité qui s’est autorisée de et s’est construite dans une co-présence durable, laquelle a contribué à se garantir des partis et des chefs. Le site de l’invention démocratique s’est déplacé. Il a quitté les vieux pays des premières démocraties représentatives et rejoint le maïdan, mot d’origine arabe qui signifie la place publique.
Quelques originalités des mouvements leaderless : Tunis, Maïdan, Istanbul, Brésil…
Le mouvement qui s’est développé à Tunis en décembre 2010, après l’immolation de Mohamed Bouazizi, n’avait pas cherché à l’être mais il a découvert qu’il était sans leader. Dès lors il a clairement affirmé qu’il ne voulait pas de leaders, même si le rôle d’un syndicat comme l’Union générale tunisienne du travail a été très significatif10. Le caractère leaderless des mouvements n’empêche pas la présence d’organisations. Dans le cas du Brésil, c’est une organisation qui a lancé le mouvement qui allait mener aux plus grandes manifestations que ce pays ait jamais connues. Or cette organisation était sans chef. Le MPL, ou Mouvement pour les transports gratuits (Movimento Passe Livre), s’était créé selon le principe d’être « un mouvement horizontal, autonome, indépendant et apartidaire, mais non antipartidaire11». En 2013, il existait déjà depuis dix ans et avait mené plusieurs mouvements à travers le pays. Ses militants étaient attentifs à lancer des événements qui aient pour vocation de se développer à la fois sans leader et sans eux. Ils agissaient sur eux-mêmes pour conduire un effort spécifique de « perdre le contrôle12». Ceci précise le rapport entre l’organisation et le mouvement, tous deux sans leader, et constitue un principe original en politique où l’on recherche traditionnellement le plus de contrôle possible, y compris à gauche. Par exemple, tandis que plusieurs dizaines de milliers de personnes défilaient à l’appel du MPL dans les rues de São Paulo en juin 2013, une partie des manifestants a voulu se diriger vers le centre-ville et une autre vers le périphérique pour le bloquer, cette solution ayant la préférence du MPL. Mais avait-il le droit d’imposer quelque chose aux manifestants, se demandaient les militants en pleine rue ? Ils ne l’ont pas fait et la manifestation s’est scindée en deux. Pour des activistes, penser délibérément la perte de leur contrôle sur le mouvement est un indice fort d’une nouvelle culture du politique qui participe de la recherche de nouvelles formes démocratiques. Cela suppose également une réflexivité et un retour critique sur les pratiques que les membres d’alors du MPL mettent en œuvre aujourd’hui.
27 juin 2013, Installation d'une banderole du Mouvement Passe Livre devant la Préfecture de São Paulo.
Maïdan en Ukraine est un autre remarquable exemple de mouvement leaderless. Il a duré plus de trois mois, de novembre 2013 à février 2014. On peut avancer que, dans ce cas comme peut-être dans d’autres, la place s’est progressivement constituée en sujet politique, ce qui est extrêmement rare pour un collectif, spontané de surcroît. Ainsi, la place a systématiquement rejeté les leaders auto-proclamés qui s’offraient (tous hommes), comme les trois qui ont occupé une grande scène installée presque depuis le début en son centre, Vitali Klitschko, Arseni Iatseniouk et Oleg Tiagnibok. La place s’est formée comme telle et a produit une opinion forte par la combinaison spontanée de toute une série de pratiques du quotidien comme nourrir les présents, prendre soin d’eux y compris médicalement en ce temps d’hiver, organiser l’auto-défense, soigner les blessés, accueillir les gens de toutes les régions du pays, mettre en place des tentes pour eux, organiser la poste de la place, installer les pianos publics, instituer une assemblée régulière des étudiants, etc. Toutes ces pratiques entrelacées ont constitué un immense tissu d’attentions réciproques, de sollicitude, d’assistance directe, de débats et de palabres orientés sur le faire13. Il s’est créé à travers elles une opinion propre de la place et celle-ci s’est trouvée suffisamment forte pour ne pas se disperser sous le feu des snippers qui ont abattu plus de cent personnes. Après la fuite du président Ianukovitch, les opposants passés au pouvoir, et parmi eux les leaders auto-proclamés que la place n’avait pas reconnus comme tels, sont venus lui soumettre un à un les ministres du gouvernement en formation : l’acte était performatif et constituait la place en sujet politique doté d’une légitimité – et ceci même si elle s’est physiquement dispersée progressivement peu après14.
Sans le savoir, je suis allé enquêter à Kiev sur Maïdan en avril 2015 avec les mêmes questions que Foucault lorsqu’il est parti observer la révolution iranienne en 1979 :
Quelle est donc cette force, cette force qui implique à la fois une volonté farouche, obstinée, renouvelée tous les jours, de soulèvement, et l’acceptation de sacrifices qui sont les sacrifices des individus eux-mêmes, qui acceptent la mort ?15
Ne s’agissait-il pas aussi à Kiev d’une spiritualité politique mais à laquelle, contrairement à l’iranienne, ce n’est pas la religion qui a donné forme mais, au-delà d’un sentiment national, la multiplicité des pratiques collectives entrecroisées de la place où se recomposait le social ?
Maidan à Kiev au croisement des rues Institutska et Bankova. Des citoyen-ne-s construisent une barricade le 18 février 2014.
Corollaire de la présence obstinée, l’adresse directe au pouvoir est un autre trait descriptif de ces mouvements. Bien que sans parti et sans leader, ces mouvements ont conçu des adresses très précises aux gouvernements. Qu’il s’agisse de « dégage Ben Ali », Mubarak ou Ianukovitch, de la préservation du parc Gezi ou du rejet des 20 centavos d’augmentation du prix des transports, ou même de l’occupation du parlement de Taiwan par des jeunes gens opposés au traité de commerce avec la Chine en 2014, les foules faisaient montre d’une économie morale très mâture16.
Ces adresses étaient puissantes parce qu’elles étaient conçues sur place par les gens eux-mêmes et très rarement par une organisation comme pour les 20 centavos brésiliens. Les demandes étaient limitées, circonscrites, formulées en énoncés simples, même énormes comme « Dégage Ben Ali ! ». Ce sont ces caractères qui ont permis le rassemblement d’un nombre très important de personnes, souvent inédit, à travers les frontières sociales, religieuses, régionales et de genre. Ceci était particulièrement frappant dans les mouvements du Caire, de Tunis, d’Istanbul et de Kiev. Ils ne luttaient pas pour un « au-delà », comme disent beaucoup de militants d’extrême-gauche pour signifier qu’il ne s’agit pas d’en rester là mais d’aller vers la révolution : s’ils avaient laissé une telle fin prendre la place de la revendication rassembleuse, ils auraient perdu toute force en même temps que le nombre inédit réuni autour de la demande circonscrite. Ces mouvements ne se sont montrés forts que parce qu’ils se refusaient à l’adjonction d’une autre revendication sociale ou politique et plus encore d’une perspective révolutionnaire. Cependant, ils étaient politiques. Comme le disait le MPL, se battre pour 20 centavos était déjà une lutte politique dans la mesure où cette demande populaire constituait une épreuve majeure pour l’ensemble des forces politiques qu’elles soient au pouvoir ou non17. C’était aussi clairement le cas de Gezi.
De la sorte, les gens longuement réunis sur ces places disposaient d’une capacité réflexive. Ceci correspond encore à un autre trait important : l’existence parmi les foules d’une réflexion critique sur l’histoire du XXe siècle, un siècle où les mouvements sans leader étaient discrédités comme populace, mauvaises foules ou masses informes, tout juste spontanées, incapables de s’orienter seules.
Il vaut sans doute de s’arrêter un moment sur ce point. En effet, le siècle passé s’est trouvé sous la domination de la psychologie des foules de Gustave Le Bon. Celui-ci a publié son maître-ouvrage en 189518. Le livre est immédiatement devenu un best-seller mondial avec de nombreuses traductions avant même la Première Guerre mondiale. Pour l’auteur, toute foule, organisée ou non, a besoin d’un leader, d’un meneur, d’un maître, sous peine de prendre de mauvaises voies en suivant ses tendances spontanées qui conduisent inévitablement vers le mal. Une des phrases les plus importantes du texte, répétée comme un leitmotiv sous diverses formes, consiste à dire que « les hommes en foule ne sauraient se passer de maître19». L’expression a été très convaincante pour toutes celles et ceux qui avaient décidé de considérer qu’ils faisaient face à des masses dans les usines, en politique, dans la guerre, dans l’éducation, dans la gestion urbaine et même dans les églises, tandis que la révolution industrielle prenait des proportions croissantes et un caractère de masse dans de nombreux pays20.
Et ceci ne constituait pas seulement une croyance pour les élites capitalistes, conservatrices, administratives, religieuses, éducatives ou militaires, ça l’était aussi pour une partie des élites du mouvement socialiste.
L’exemple le plus démonstratif en est Lénine. Celui-ci a publié son essai Que faire ? à Stuttgart en 1902. Comme on le sait, ce livre visait à proclamer la nécessité d’une avant-garde formée de révolutionnaires professionnels. Mais comme on l’aperçoit moins, il posait la « nécessité d’avoir » « une organisation de chefs ». Pour lui, sans des leaders professionnels, la foule (« tolpa ») ne pouvait que suivre sa propension à n’aller que vers des objectifs « économistes » et non pas vers la révolution21. Après avoir servi utilement à la formation de la fraction bolchevique (c’est-à-dire majoritaire) du parti ouvrier social-démocrate de Russie, cet ouvrage est devenu pour des décennies le fondement de la pensée communiste – qui s’avère constitutivement et profondément une pensée du chef et des chefs, la disparition de ces derniers étant ajournée jusqu’au futur indéterminé de la société sans État22.
Lénine partageait avec Le Bon sa conception de la foule mauvaise si elle s’obstine à rester sans maître. La lecture de Psychologie des foules est clairement perceptible dans la seconde moitié de Que faire ?, quoique l’auteur ne reconnaisse pas sa lecture, exactement comme nombre d’autres intellectuels qui s’en sont inspiré sans le signaler, mais non sans le paraphraser. Le Bon était lu par tous: industriels, politiciens de tous bords, éducateurs, officiers, psychologues, sociologues. On peut ainsi montrer que Durkheim a emprunté à Le Bon une conception de « l’individu » qui « s’oublie » dans la « collectivité ». Comme pour Lénine, la lecture est honteuse et se trouve masquée par le vocabulaire qui ne reprend pas celui de la foule et du meneur. D’autres auteurs, au contraire, mentionnent Le Bon, comme Weber ou, mieux encore, Freud qui lui emprunte sa psychologie des foules.23. Henri Fayol de son côté, le fondateur de l’administration scientifique, travaille Le Bon sans le citer plus dans ses publications que ne le font Durkheim et Lénine24.
Couverture originale du livre Que Faire ? de Vladimir I. Lénine (1902).
Pendant la plus grande partie du XXe siècle, seuls des mouvements de protestation organisés et hiérarchisés ont été en mesure d’exister. Les mouvements non hiérarchiques d’inspiration libertaire étaient dévalorisés, écrasés. Le rejet, au nom du bolchevisme vainqueur sur un cinquième de la surface du globe, pouvait aller jusqu’à la destruction par les armes comme dans le cas des anarchistes durant la guerre civile espagnole.
Passé plus d’un demi-siècle, dans les années 1980, l’échec définitif des révolutions communistes a été le signe, pour la révolution socialiste, d’un « no future », selon la formule punk qui a tant marqué ce moment même. Cette disparition de l’horizon révolutionnaire communiste et socialiste a été préparée à l’est, dans les années 1960 et 1970, par une série d’événements comme l’écrasement armé du Printemps de Prague, les persécutions dans le cadre de la Grande Révolution culturelle prolétarienne en Chine suivies du basculement vers le capitalisme en économie en 1976, la publication de l’Archipel du Goulag par Alexandre Soljénitsyne et l’élection d’un pape polonais). À présent, il est plus difficile de diagnostiquer que les foules ont besoin de leaders ou de le leur asséner, comme le XXe siècle le faisait intensément. Les populismes de tous bords cherchent à imposer les chefs jusque par la force en déniant le retour des foules sans maître et, dans le même mouvement, en les écrasant ou en prenant des mesures préventives pour qu’elles ne se déclarent pas. Du côté des pratiques du capitalisme, dans la même période, les entreprises cherchent à intégrer la critique de leur système de commandement et d’écraser un tant soit peu les hiérarchies pour mieux sauver ce qui est capital25. À travers ces processus de toute nature, concomitants tout autant que connectés, le siècle lebonien s’est achevé. L’âge de la foule lebonienne est fini et celui de la foule raisonnable de Thompson et d’autres historiens revient sur le devant de la scène26 et le point de vue de la psychologie sociale.
Un point doit bien entendu être fait sur le rôle de la technique dans ces mouvements, et principalement des TIC. On dit beaucoup depuis une vingtaine d’années que les nouvelles technologies changent la manière dont les gens se mobilisent. Ceci n’est que partiellement vrai. S’il y a changement, il n’est pas certain que les technologies en soient la cause. Ce qui forme la base de l’usage des nouvelles TIC est la critique massive du leadership et de la hiérarchie obligatoires, tels que le XXe siècle les proposait. Les réseaux sociaux et les techniques de communication certes soutiennent le désir d’horizontalité mais ils n’en sont ni la cause ni l’origine.
Les techniques de communication sont en mesure d’assister tout autant l’autoritarisme que l’horizontalité. Des mouvements simultanés à l’échelle d’un pays ou du monde se sont produits bien avant le mobile et même le téléphone (la Grande Peur s’est propagée sans portable en 1789 ; l’année 1848 a répandu l’insurrection pour la nation en un phénomène que nous dirions global aujourd’hui). Le téléphone a été utilisé pour renforcer la ligne hiérarchique tout autant que pour la contourner. Les pouvoirs maîtrisaient bien la chose. Staline s’en servait pour brouiller arbitrairement les lignes hiérarchiques quand cela lui était utile pour renforcer son propre pouvoir. Il téléphonait à des personnes, responsables politiques, savants, artistes, sans souci des hiérarchies, dans l’intention de faire pression sur diverses bureaucraties, et renforçait ce faisant le caractère dictatorial de l’Union soviétique. Au même moment, des entrepreneurs cherchaient à contrer la propension horizontale du téléphone et à en empêcher le mésusage. Ils l’installaient de sorte à ce qu’il ne serve que la verticalité de l’autorité en ne permettant à ceux d’en bas que des appels vers le haut28. Le téléphone pouvait donc être au service de la hiérarchie comme il a montré être aussi un outil excellent pour tisser des relations sociales égalitaires.
Il n’en reste pas moins que les réseaux ont encouragé les mobilisations et leur rapidité sur le modèle des flash mobs. Maïdan a été lancé par le message d’un journaliste appelant à se réunir sur cette place pour protester contre le retrait de l’Ukraine des négociations pour un accord avec l’Union européenne. Et aussi, de façon très significative, ils ont créé de nouvelles voies de réflexion collective par les réseaux et les blogs qui s’avèrent des compléments des places ou même des substituts comme dans les cas brésilien ou bulgare, en parallèle avec des manifestations (mobiles par définition) elles-mêmes sans leader.
Un exemple frappant a en effet été l’usage des blogs par le MPL. Un post est devenu fameux au Brésil, datant de l’exact moment où ce groupe s’est retiré des manifestations de São Paulo le 22 juin 2013. L’auteur, un militant du MPL, s’interroge publiquement sur les objectifs des manifestations et leur continuation et justifie le retrait du MPL comme suit : « La situation nous place devant l’urgence de reformuler notre posture dans les luttes de rue et réaffirme la centralité du travail à la base. Nous jugeons cruciale l’importance des mouvements sociaux qui sont enracinés dans les banlieues ». Ce post a été suivi par trente et un commentaires substantiels pour en peser collectivement le sens et l’effet. Un même phénomène s’est produit en Bulgarie. Dans ce pays se sont déroulés cinquante jours successifs de manifestations sans parti et sans leader contre le gouvernement durant l’été 2013. Pour envisager comment riposter à la violence du pouvoir, le peuple a délibéré sur les réseaux sociaux et les blogs. La question se posait de savoir s’il fallait passer à des actes violents. Le résultat de ces consultations du mouvement par lui-même fut que non29. De nombreux autres exemples existent en tous pays. Ce qui était naguère discuté derrière les rideaux des bureaux politiques est devenu ouvert et public, au mépris de la surveillance policière et de l’ennemi gouvernemental. Rendre publics les opinions, les échanges et même les divergences est jugé plus important que de céder à la crainte d’être écouté et contrôlé30. Ainsi, de nouvelles voies pour la délibération ouverte ont été inventés sur place, des manières de réfléchir ensemble en une élaboration politique publique, exposée et contrôlable par toutes et tous et par chacun-e31. Il y a là une innovation très variée dans ses formes, ses régimes et ses usages. Elle constitue une contribution majeure aux transformations de la vie démocratique.
Ce travail du collectif par des moyens électroniques est associé à la délibération sur place, ou plutôt sur la place, et ne doit pas en être isolé. Le réinvestissement de la place comme lieu de la protestation et de l’échange trouve son sens dans cette capacité délibérative renouvelée et articulée. C’est précisément grâce à l’espace-temps du forum que l’opinion collective se forme dans l’aléatoire des rencontres et souvent par l’usage de techniques d’échanges égalitaires rodées dans les assemblées des mouvements altermondialistes depuis plus d’une vingtaine d’années. Là encore, les formes de la délibération, si elles renvoient à un passé multimillénaire d’expérimentation démocratique, apparaissent au XXIe siècle comme une innovation. Or, c’est bien ce qu’elles sont puisque le transfert de la délibération dans les parlements et autres institutions officielles et parées de plus ou moins de représentativité est devenu la règle à partir des révolutions du XVIIIe siècle. Ce transfert a été accompagné de l’effort pour réduire la rue au silence en la qualifiant de non démocratique (comme l’a fait récemment le président français Emmanuel Macron32). La force des mouvements des dernières années ne saurait venir seulement de la dimension électronique de la démocratie. En revanche, le couplage des innovations de la délibération égalitaire et en présence sur (la) place (critique des formes hiérarchisées du XXe siècle) et de la délibération en réseaux est certainement une composante majeure d’une nouvelle dynamique démocratique.
Poursuivons l’examen des traits significatifs de ces mouvements. Un effet très important de leur caractère leaderless a été de jeter les gouvernements dans la confusion. Ces gouvernements, et plus généralement les personnes en charge, éprouvent le besoin d’avoir des gens à qui parler. Les mouvements leaderless leur posent dès lors un gros problème. Erdogan, par exemple, a invité des représentants ou porte-parole pour négocier avec lui, mais il lui a été impossible d’en trouver. Ceci a conduit le premier ministre turc à désigner lui-même des interlocuteurs… qui n’ont pu que reconnaître leur incapacité et leur illégitimité. Au Brésil, le MPL a été invité à prendre part à la réforme des transports publics, mais il a répondu que sa place était dans la rue. Les gouvernements n’ont plus qu’à penser par eux-mêmes face à l’adresse qui leur est faite et à tester dans le vif la justesse de leurs réponses. L’adresse est dans la rue, la pensée dans l’adresse, la réflexion sur la place et dans les blogs, la force dans la présence, la volonté dans l’obstination de la présence, la démocratie dans l’égalité.
Cet inconfort des gouvernements est partagé par les médias. Ces derniers ont également besoin de porte-parole. S’il le faut, ils en inventent, comme ce fut le cas à Maïdan. À Kiev, ils ont décidé, à l’instar de Ianukovitch lui-même, que les trois leaders auto-proclamés pouvaient jouer le rôle de porte-parole. Les gens de Maïdan ne les ont pas chassés mais ils s’en sont tenus à leur propre manière de former leur opinion de façon autonome et sur place. Un moment a été particulièrement significatif de cet enjeu tout comme du sens de l’épreuve tout entière. Lors d’une des soirées hebdomadaires d’échanges, appelées du nom traditionnel de « vitché » (assemblée), la place a crié : « Liderá ! liderá ! » (Des leaders ! Des leaders !), obligeant l’un des fameux trois, depuis la grande scène, à reconnaître qu’elle n’avait pas de leader33. Ainsi, la place réclamait les leaders qu’elle n’avait pas, tout en tolérant sans les expulser ceux qui se prétendaient sa voix et qu’elle récusait. Et même en en éprouvant le manque, c’est sans leader qu’elle a accompli, face aux fusils de l’État et aux snipers, son objectif de chasser Ianukovitch et sa bande.
C’est devenu depuis longtemps un objet de recherche : les médias ont une influence sur les événements qu’ils rapportent. Ils n’étaient pas satisfaits, au Brésil, avec cette demande si élémentaire relative au prix des transports. Aux participants des grandes manifestations de juin 2013, ils assuraient qu’il fallait s’en prendre à la corruption. Or, ce thème était aussi celui qui permettait à la droite et à l’extrême droite de rejoindre la rue pour combattre le gouvernement Parti des travailleurs de Dilma Rousseff. Au fond pourtant, les médias n’ont pas affecté profondément la manière de former l’opinion. D’autres revendications sont en effet apparues. Elles exigeaient des dépenses publiques accrues pour la santé et l’éducation, et non pas seulement pour le Mondial et les JO et elles venaient des foules elles-mêmes.
Il convient d’identifier une temporalité, celle des mouvements dont il est question. Ceux-ci se caractérisent donc par une revendication définie et circonscrite, précise et circonstancielle, élaborée « sur place » par la délibération ouverte et qui rassemble le très grand nombre. Le « et au-delà » (le « além » portugais si souvent allégué) qui désigne euphémiquement la révolution, ou au moins un « débouché » politique, ne l’affecte pas, et d’ailleurs son imposition assécherait immédiatement la mobilisation. La revendication n’est pas plus affectée par les nuages de thématiques de protestation portées par des personnes, des groupes ou l’ensemble des masses mobilisées, et qui ont la caractéristique d’être temporairement laissés de côté au profit du thème de rassemblement maximum. On peut évoquer à cet égard le titre d’une exposition collective organisée par la critique d’art brésilienne Sheila Leirner en 198934: « Le petit infini et le grand circonscrit ». Nous dirions que l’infini de la révolution s’est fait de plus en plus petit à mesure que le XXe siècle avançait, le Grand Œuvre social et socialiste s’abîmant dans la répression du peuple, quand en réponse le circonscrit répudié, rejeté pour être limité, « spécifique », et non pas révolutionnaire, s’est fait grand, fort et puissant, renfermant des forces immenses, remettant en cause les pouvoirs rageurs et redistribuant les relations sociales, culturelles et de genre. Le temps d’un si grand déploiement est limité, même s’il n’est pas forcément bref, comme l’ont montré les mois d’Istanbul et de Kiev et les années du Caire, mais sa portée se prolonge bien au-delà, se transformant en référence opératoire comme 68 jusqu’en 2018.
J’aimerais maintenant aborder quelques points liés à la problématique de ces mouvement et qui contribuent à leur description sans se ramener à la seule leaderlesness et sans en être non plus détachés. Chacun d’eux pourrait donner lieu à un article à lui tout seul par lequel relire ces événements et contribuer à leur interprétation, en se laissant surprendre par ce qui en surgit pour mieux les laisser, tous ensemble, interroger les sciences sociales. Incidemment, celles-ci ne sont pas en mesure d’interpréter ce qui advient35 avec les seules ressources de leur passé, alors qu’elles se sont elles-mêmes construites non seulement au cours du grand siècle des hiérarchies, mais par leur contribution insigne à ce dernier.
Non seulement tous ces mouvements avaient des villes pour siège, mais, dans les batailles qui se sont déroulées dans des démocraties, l’enjeu urbain était souvent présent. Henri Lefebvre et David Harvey étaient des références largement partagées. La demande pour la non-augmentation du prix des transports au Brésil se donnait à comprendre comme une première étape dans une bataille pour le droit à la ville, proposé par ces auteurs, autrement dit pour une cité plus démocratique et partagée, comme Istanbul en a été une occurrence forte36. Si l’on considère par exemple Rio de Janeiro, le problème urbain y est tout à fait particulier à cause du très haut niveau de spéculation, surtout pour les terrains où sont situées les favelas du centre. Les conquérir permet la construction de nouvelles habitations de très haut standing dotées de la plus belle vue imaginable au monde37. Plus largement, le MPL, encore, soulevait un nouvel enjeu pour le Brésil à propos des transports publics gratuits. Ceux-ci rendraient possible en effet une mobilité populaire urbaine élargie dont les effets de stimulation du commerce rembourseraient les coûts, comme des études économiques le démontraient.
Autre point encore, l’esthétique était une dimension partout manifeste. L’esthétique est la forme de la présence ou bien, comme on pourrait le dire aussi, la présence est le mode d’existence de l’esthétique : les œuvres d’art ne sont pas seulement présentes dans les espaces privés, elles le sont dans les espaces publics. L’architecture est certainement l’une des pratiques esthétiques qui affirme le plus sa présence dans la vie courante. D’un autre côté, l’esthétique ne réside pas seulement dans les œuvres, elle est aussi dans les objets et les pratiques ordinaires À ces deux titres, elle s’est directement manifestée au sein des mouvements. Si l’on peut dire qu’une farouche bataille pour le sens fait rage entre les médias et le peuple en action, il en existe aussi une aussi pour l’esthétique38. Outre celle suscitée contre les spéculateurs pour défendre le paysage urbain de Rio, à Istanbul, la population s’est appuyée sur la mobilisation autour du parc Gezi pour intervenir et, par exemple, repeindre en couleur certains escaliers désespérément gris de la ville. À Sofia, une ballerine dansait en tête des manifestations39. Une dispute sociale à propos de l’esthétique y a éclaté : les ouvriers d’une usine ont exprimé leur mépris pour l’affichage de la beauté dans les manifestations car ils le jugeaient rédhibitoirement classe moyenne et anti-prolétarien. Au même moment, certains médias montraient des manifestants sales… et il se trouvait que c’était principalement ceux qui n’étaient pas identifiés comme des Bulgares natifs. À São Paulo, des Indiens de tout le pays ont manifesté en octobre 2013 pour réclamer la démarcation de leurs territoires. Ils portaient alors toutes leurs plumes les plus colorées40. Au moins deux pianos ont joué en permanence sur Maïdan – tandis qu’une musique au maximum de sa puissance tonnait jusqu’à très tard dans la nuit depuis la grande scène centrale, probablement, comme de nombreux occupants de Maïdan le disaient, pour empêcher le peuple réuni de multiples façons de parler tranquillement. L’« homme debout » de la place Taksim est sans doute l’expérience la plus neuve d’une performation contagieuse de l’indistinction entre esthétique et politique.
La violence, de son côté, s’est trouvée un problème au sein de tous les événements évoqués. Elle n’a jamais été délibérément recherchée. Au contraire, l’effort pour la retenir a été très insistant dans les manifestations de ces dernières années, même lorsqu’elles comportaient, comme au Brésil, des « black blocs ». Dans ce cas, les échanges sont restés constants entre eux et les autres manifestants et cette relation montrait que les foules étaient capables de faire preuve de self-control sur la violence et les black blocs de dialogue41. La violence était présente sur Maïdan presque depuis le tout début en novembre 2013. Elle a été prise en charge immédiatement sous la forme de « centuries », qui sont une forme traditionnelle de l’armée cosaque. Des types très variés de centuries sont apparus, y compris celle des femmes, la centurie juive et même la non-violente qui a joué un rôle important dans plusieurs épisodes. Aussi paradoxale que cela soit, faire face aux armes a servi de prétexte non pas à un renforcement hiérarchique mais à un approfondissement de l’auto-organisation : « Nous sentions qu’il y avait un besoin pour une auto-organisation plus sérieuse parce qu’il y a eu des menaces et que les armes ont été utilisées contre nous », rapporte l’un des organisateurs d’une des tentes de Maïdan et d’une de ses centuries42.
Le self-control des manifestants face à la violence a été aussi manifeste dans les mouvements des pays démocratiques que dans ceux des pays autoritaires ou dictatoriaux, comme l’ont montré l’Égypte et la Tunisie43.
Il convient de souligner encore un point majeur. Presque tous ces mouvements ont remporté des victoires réelles, fortes et claires tout autant dans des cadres démocratiques que dans des dictatures. Le parc Gezi a été préservé à Istanbul. Le Brésil a connu une victoire historique de la protestation sur le prix des transports publics. En Ukraine, qui est une démocratie, le gouvernement a réagi par les armes, à la suite de quoi, Viktor Ianukovitch a dû quitter le pouvoir. En Tunisie, les foules se sont formées au moins deux fois, l’une pour chasser Ben Ali et l’autre pour critiquer le pouvoir islamiste d’Ennahdah. Elles ont gagné une seconde fois, mais les révolutionnaires de 2010 et 2011 ont été ensuite persécutés et mis en prison avec une attention méticuleuse44. Ce fut pire en Égypte : la force du mouvement a effectivement permis d’expulser Mubarak mais les Frères Musulmans se sont installés. Les foules sont revenues clamer leur désaccord moins d’une année plus tard et ont de nouveau gagné : Morsi fut aussi chassé du pouvoir… au prix cette fois d’un coup d’État militaire. L’armée a commencé par mettre en œuvre une répression féroce contre les Frères Musulmans et s’est orientée en même temps vers l’arrestation systématique des jeunes révolutionnaires qu’ils craignaient peut-être plus encore.
Le pouvoir fait ainsi durement payer ces victoires. Jusque par la guerre, comme en Ukraine. Cette dernière a été instantanément punie par le voisin « démocratique » et barbare Poutine qui a annexé la Crimée et fomenté une guerre à l’est du pays. Cette punition, entre autres considérations stratégiques nationales et globales, était nécessaire à l’autocrate russe pour prévenir tout Maïdan à demeure, ce dont il a la plus grande crainte45.
L’activité libre des peuples dans leur prise au mot de l’affirmation des souverainetés populaires est insupportable aux pouvoirs, même démocratiques. Mais ces souverainetés ne se développent pas seulement en mouvements des places. Ceux-ci ont eu de façon moins éclatante de nombreuses suites positives. C’est le cas du développement vigoureux de la vie civique en Tunisie et en Ukraine ou de celui de formes très variées d’activités collectives horizontales. On a assisté encore à la prolongation du mouvement initial par d’autres de même forme dans d’autres domaines, tout aussi expérimentaux et horizontaux (comme les occupations de lycées par les élèves du secondaire au Brésil à la fin de 2015 et ensuite). La braise qui rougeoie sous les cendres est formée d’activités bourgeonnantes, coopératives et égalitaires, qui absorbent l’énergie civile et politique de millions de personnes. La longueur du présent article empêche d’aborder ces points avec toute la documentation et l’argumentation nécessaires.
Sur la base de ces expériences multiples à l’échelle globale, il est loisible de poursuivre la réflexion sur la coexistence de ces expérimentations démocratiques avec la démocratie parlementaire. Les foules raisonnables s’adressaient aux démocraties représentatives tout en ne se sentant pas représentées. Les mouvements ne voulaient pas de la représentation. « Nous ne sommes pas représentés ! » était un slogan important en Juin à São Paulo et plus largement au Brésil. Il signifiait à la foi : Dilma ne nous représente pas et nous ne voulons pas de représentation. Il ne s’agissait là en rien d’une volonté de détruire la démocratie représentative, mais de celle d’exister politiquement par la présence en même temps personnelle et collective et par l’adresse directe au pouvoir46. Présence, et non re-présentation, tandis que la première ne prétendait cependant pas éliminer la seconde.
La coexistence est-elle possible ? Non certes sans tension, elle se déploierait entre cette démocratie de la protestation de la rue et des places, autonome, sans leader et non institutionnalisée, et la démocratie représentative de gouvernement avec leaders et chefs, comme Max Weber disait qu’elle ne pouvait qu’être. Celui-ci a inventé le « leader charismatique » et construit sa légitimité historique et actuelle dans sa sociologie de la domination et dans La politique comme vocation. Ainsi voyait-il le dirigeant doté de qualités charismatiques comme le chef (« Führer ») manquant à la démocratie allemande incapable, selon lui et selon ses termes, de « sélectionner » (« auslesen ») de bons chefs. Et une bonne démocratie doit se payer par des chefs, affirmait-il encore. Chez cet auteur qui est descendu dans l’arène politique à la fin de la guerre de 1914-1918, on ne voit apparaître aucune mention, et encore moins de valorisation, d’éventuels mouvements démocratiques sans leader47. Il s’agissait là de la conception classique de la démocratie comme Alexis de Tocqueville la pensait dans De la Démocratie en Amérique : « Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent48. » Plus largement, l’atmosphère lebonienne du XXe siècle ne laisse aucune chance aux foules raisonnables, auto-organisées et sans chef. La voix sans cesse plus écoutée de Freud s’est employée à relayer ce point de vue : « Le meneur de la foule incarne toujours le père primitif tant redouté, la foule veut toujours être dominée par une puissance illimitée, elle est au plus haut degré avide d'autorité ou, pour nous servir de l'expression de M. Le Bon, elle a soif de soumission »49. Et pourtant, ces foules des années 2010 qui sont bien sans leader ne sont pas la négation de la démocratie représentative.
La présence obstinée et l’adresse aux gouvernements ouvre une perspective nouvelle sur la légitimité démocratique. Si la compétition a toujours régné entre la représentation et la démocratie de la rue, cette dernière n’a pas moins que les chefs joué constamment un rôle dans l’histoire de la démocratie en France. Même la rue de droite peut gagner dans ce pays. Au Brésil, il n’y a presque pas eu d’activisme de rue massif durant plus de vingt-cinq ans de « redémocratisation50 ». Lula s’est profilé sur la scène nationale d’abord en dirigeant des grèves et des manifestations ouvrières puis en créant le Parti des Travailleurs. Il a choisi la carte de la représentation. À l’opposé, marquant une nouvelle voie dans la pratique de la démocratie, une banderole pouvait être vue à Rio en juin 2013 avec la phrase : « Les politiciens n’auront pas la paix » (« Não haverá paz para os políticos »). Ce n’était pas là menace de mort, mais l’avertissement qu’une autre démocratie allait constamment les interpeler et objecter.
De nombreux commentateurs sociologues ou philosophes regrettent que Max Weber n’ait pas conçu une quatrième variante de l’autorité légitime qui aurait pu être la démocratie parlementaire. Et nous pourrions aux temps présents, et pour mieux la protéger, en ajouter une cinquième : l’autorité des mouvements qui se maintiennent « leaderless » et conçoivent par eux-mêmes des objectifs de lutte bien pensés et judicieusement délimités. L’un des futurs possibles pourrait être la mise en forme d’une dualité constamment renouvelée entre la démocratie représentative et la démocratie directe de la rue51 . Les habitants de Saillans, dans la Drôme, qui ont organisé une municipalité faite de commissions horizontales, parlent de « démocratie en pratique52 ». Toutefois, ce versant « rue » ou « place » de la démocratie, pour jouer son rôle face à la démocratie représentative, devrait rester non régulé, non institutionnalisé, au contraire de ce qu’est la démocratie participative qui cohabite et se développe de concert avec la représentative. Toute régulation, mis à part l’affirmation de quelques droits fondamentaux comme leur liberté de parole et de manifester, mettrait à mal leur liberté et limiterait ces mouvements extrêmement innovants dans leur capacité de s’exercer et de se disséminer. Il en est de même des constantes tentatives de captation par des groupes, des partis ou des personnalités qui s’affirment leur représentation nécessaire.
En cherchant avec le recul un cadre interprétatif, nous pourrions replacer ces événements dans une moyenne durée et un paysage mondial des relations entre les pouvoirs et ces mouvements profonds. Cela ferait apparaître non seulement les mouvements populaires mais la défensive anti-populaire. Les mouvements leaderless et autonomes sont insupportables pour les gouvernements. Ceux-ci ne tolèrent pas la menace de mouvements populaires capables de s’orienter par eux-mêmes sans être guidés par des organisations et des leaders avec lesquels ils seraient en mesure de négocier – ou qu’ils pourraient emprisonner, sinon pire. Les politiques de la pacification – qui est un autre nom de la guerre – les craignent partout, et jusqu’au cœur de l’Europe, comme nous le savons au moins depuis la guerre du Vietnam et aussi la guerre d’Indochine et celle d’Algérie.
Pour résumer, le paysage global des luttes populaires s’est considérablement transformé dans les dernières années. Les formes du XXe siècle s’y reconnaissent peu. Ces batailles font l’objet de nombreuses recherches53. De façon concomitante, il se déploie en tous lieux un travail profond du social, peu visible et très peu étudié, par lequel des groupes, des collectifs, des communautés font plus qu’expérimenter des formes d’activité commune sans chef, coopérative, collaborative, horizontale, égalitaire, ou encore collégiale : ce dernier est le qualificatif que se donnent en France les associations sans dirigeants (ni président ni bureau), dûment déclarées en préfecture malgré les réticences administratives, en application d’une loi de 1901 qui n’en a pas prévu, à rebours de ce que les enfants du XXe siècle que nous sommes avons cru dur comme fer. Les personnes se construisent avec enthousiasme comme individus non pas séparés, isolés, libres de toute attache, comme le veut l’individualisme libéral, mais engagés dans la construction de collectifs, aussi temporaires soient-ils (voir ici-même la contribution de Nilüfer Göle).
Ces phénomènes et les foules raisonnables des années 2010 appartiennent à la même dynamique54. Plus même, la violence illimitée de la réplique des pouvoirs ulcérés (voir la Syrie, l’Égypte, la Russie en Crimée et en Ukraine) pousse l’aspiration à l’horizontalité à prendre des formes limitées et discrètes, peu conflictuelles, rejoignant ainsi le travail des sociétés sur elles-mêmes que Pierre Clastres identifiait comme le refus de la pérennisation de l’État et du chef55. La propension à la coopération égalitaire est profonde. Elle porte de nouveau l’effort d’émancipation qui avait largement adopté au XXe siècle, au détriment des pensées libertaires, les formes d’un léninisme fort de sa victoire de 1917. Elle travaille jusqu’à l’entreprise où elle met en cause la hiérarchie qui avait la couleur d’une évidence renforcée à l’ère de ces masses ouvrières et employées qu’on pensait devoir faire obéir, … sans pourtant que risque d’être affecté le rapport capitaliste fondamental. 68 a joué ici un rôle majeur, y compris en initiant un féminisme en tous domaines s’attaquant de façon convergente à une autre suprématie, à une autre supériorité.
Exemplaire Du contrat social ou Principes du droit politique de Jean-Jacques Rousseau, gravure de Charles Ange Boily d'après le dessin de Benjamin Samuel Bolomey.
L’analyse des foules brésiliennes, ukrainiennes et autres des années 2010 nous ramène ainsi de la façon la plus consistante à la réflexion de Jean-Jacques Rousseau qui parlait de « l’acte par lequel un peuple est un peuple56 », fondateur à la fois de la société et de la politique57. Notons qu’avec ce peuple qui se fonde par lui-même dans l’agir (et dans une contemporanéité connectée), nous sommes loin de tout populisme, qu’il soit de droite ou de gauche. Ce qui a été frappant ces dernières années a été, peut-on dire, l’auto-institution démocratique de peuples qui ne se comptaient pas parmi les créateurs de la démocratie occidentale moderne depuis le XVIIIe siècle. La Tunisie et plus encore, parmi d’autres, l’Égypte, le Yémen, la Syrie et la Turquie, le payent au prix le plus élevé. Pourtant, il est probable que ces nombreux mouvements s’engageaient dans le long cours d’une réinvention de la dispute démocratique et de la politique à une échelle globale58.
Notes
1
Cet article est une version remaniée et étendue de deux publications antérieures : « Crowds Without a Master : a Transnational Approach Between Past and Present », in FocaalBlog (The Worldwide Urban Mobilizations), 2014.
Et, avec Marco Santana, « Du Brésil au monde et retour : mouvements sociaux localisés et en résonance », in Brésil(s), n° 7, 2015, p. 103-122.
2
Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Franck, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles, Complexe, 2000.
3
Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890–1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013.
4
J’ai manqué l’incroyablement puissant mouvement dit des Journées de Juin 2013 au Brésil, mais j’ai longuement enquêté dans ce pays et y ai pris part à plusieurs « actes » d’août à octobre de la même année. De même, j’ai mené une enquête en avril 2015 et rencontré plusieurs dizaines de participants aux événements de Maïdan en Ukraine ainsi que des activistes dans d’autres pays comme la Russie, et enfin participé à Nuit debout.
5
Goeffrey Pleyers, Marlies Glasius, « La résonance des "mouvements des places" : connexions, émotions, valeurs », in Socio 2, 2013, p. 59-79.
6
Asef Bayat, Revolution Without Revolutionaries : Making Sense of the Arab Spring. Stanford, Stanford University Press, 2017.
7
Ou même si des mots d’ordre circulaient, comme en juin 2013 au Brésil « Por uma vida sem catracas » (Pour une vie sans tourniquet), faisant allusion aux tourniquets des transports en commun présents jusque dans les autobus et symbolisant l’ordre social.
8
Nilüfer Göle, « Public Space Democracy », in Eurozine, 2013.
9
Voir Andreï Kourkov, Journal de Maïdan, Paris, Éditions Ilana Levi, 2014. Et le documentaire de Sergei Loznitsa, Maïdan, Atoms & Void Production, Kiev, 2014.
10
Jean-Marc Salmon, 29 jours de révolution. Histoire du soulèvement tunisien, 17 décembre 2010-14 janvier 2011, Paris, Les Petits matins, 2016.
11
MPL (Movimento Passe Livre). « Carta de Princípios » [en ligne], forumjustica.com, [consulté le 26 décembre 2016] (cette charte a été adoptée en 2005 et révisée en 2007).
12
Caio Martins, Leonardo Cordeiro, « Revolta popular : o limite da tática », in Passa Palavra, 2014.
13
Ioulia Shukan, Génération Maïdan. Vivre la crise ukrainienne, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2016.
14
La propagande de Poutine répand dans le monde entier, par tous les canaux possibles, des plus publics aux plus occultes, le message mensonger selon lequel Maïdan (de Kiev) était fasciste. Atteints directement ou non par cette propagande, de nombreux militants et organisations de gauche en sont convaincus en France comme ailleurs, en particulier dans des espaces lointains comme l’Amérique latine. Comme dans plusieurs mouvements de cette période, des fascistes se sont certes présentés dans le cours du mouvement. Or celui-ci, qui n’était ni de droite, ni de gauche, n’a pas chassé l’extrême-droite comme l’aurait fait un mouvement de gauche. Ce qui a en revanche été frappant et ce qui est le plus notable a été la capacité de la place, comme d’ailleurs dans d’autres mouvements comme au Brésil, de contenir efficacement l’action des groupes fascistes et de les empêcher de conquérir quelque hégémonie que ce soit dans la vie quotidienne, dans les épisodes de violence et dans la position politique que la place a construite.
15
Michel Foucault, « Michel Foucault, l'Iran et le pouvoir du spirituel : l’entretien inédit de 1979 », in L'Obs, Édition du 7 février 2018.
16
Edward P. Thompson, « L’économie morale de la foule dans l’Angleterre du XVIIIe siècle », in F. Gauthier, G-R. Ikni (dir.), La Guerre du blé au XVIIIe siècle, [1971], Paris, Les Éditions de la Passion, 1988, p. 31-92.
L’usage du mot de « foule » soulève beaucoup de questions. Il n’implique pourtant pas l’adoption de la signification négative à leur égard qui était dominante aux XIXe et XXe siècles. Dépouillé de quelque mépris que ce soit, il permet de faire le lien avec d’importantes réflexions comme celle de Thompson.
17
Voir Maria Caramez Carlotto, « Está em pauta, agora, que modelo de cidade queremos », entrevista com Lucas Oliveira, in Revista Fevereiro, 2013.
Et aussi Elena Judensnaider, Luciana Lima, Pablo Ortellado, Marcelo Pomar, Vinte Centavos : a luta contro o aumento, São Paulo, Veneta, 2013.
18
Gustave Le Bon, Psychologie des foules, [1895], Paris, PUF, 1963.
19
Gustave Le Bon, Psychologie des foules, [1895], Paris, PUF, 1963, p.115
20
Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890–1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013.
21
Vladimir I. Lénine, Que faire ?, Œuvres, [1902], Paris, Éditions sociales, 1965, t. V, p. 476
22
La question est largement développée dans Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890–1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013.
23
Merci à Marcia Consolim qui m’a indiqué ce texte : Émile Durkheim, « Jugements de valeur et jugements de réalité », in Sociologie et philosophie, Paris, Éditions F. Alcan, 1924, p. 133-134.
Merci à Yves Sintomer pour ces indications : Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie, [1922], Tübingen, Mohr, 1972.
Voir également, Sigmund Freud, « Psychologie collective et analyse du moi », in Essais de psychanalyse, [1921], Paris, Payot, 1966.
24
Yves Cohen, « Fayol, un instituteur de l’ordre industriel », in Entreprises et histoire, 2003, vol. 34, p. 29-67.
25
Luc Boltanski, Ève Chiapello, The New Spirit of Capitalism. New York, Verso, 2005.
26
Voir les textes suivants :
Edward P. Thompson, « L’économie morale de la foule dans l’Angleterre du XVIIIe siècle », in F. Gauthier, G-R. Ikni (dir.), La Guerre du blé au XVIIIe siècle, [1971], Paris, Les Éditions de la Passion, 1988, p. 31-92.
George Rudé, The Crowd in history. A study of popular disturbances in France and England, 1730-1848, New York, J. Wiley and sons, 1964.
Arlette Farge, Jacques Revel, Logiques de la foule. L'affaire des enlèvements d'enfants. Paris, 1750, Paris, Hachette, 1988.
cf. le point de vue de la psychologie sociale : Serge Moscovici, L'Âge des foules. Un traité historique de psychologie des masses, Bruxelles, Complexe, 1991.
28
Delphine Gardey, « Humains et objets en action : Essai sur la réification de la domination masculine », in D. Gardey, D. Chabaud-Rychter (dir.), L'Engendrement des choses – des hommes, des femmes et des techniques, Paris Éditions des archives contemporaines, 2002, p. 260.
29
Rouja Lazarova, Bulgarie, 2014.
30
Caio Martins, « O povo nos acordou ? A perplexidade da esquerda frente às revoltas » in Passa Palavra, 2013.
31
Luc Vinogradoff, « Comment échapper à l’œil de la NSA » in Le Monde, édition du 13 mars 2014.
32
« La démocratie, ce n’est pas la rue », in Le Monde, Édition du 20 septembre 2017.
33
Andreï Kourkov, Journal de Maïdan. Paris, Éditions Ilana Levi, 2014, p.32-33, 94, 132, 136.
Yves Cohen, Perrine Poupin, Entretien avec Volodymyr Kouznetsov (artiste ukrainien) le 10 mai 2015 à Paris, 2015.
34
O pequeno infinito e o grande circunscrito, Arco Arte Contemporânea Galeria Bruno Musatti, 1989, São Paulo.
35
Arlette Farge, « Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux », in Terrain, 2002, vol. 38, p. 67-78.
36
Voir : Henri Lefebvre, Le Droit à la ville, [1968], 3e éd. Paris, Economica, 2012.
Également : David Harvey, Rebel Cities : From the Right to the City to the Urban Revolution, New York, Verso, 2012.
37
Teresa J. P. Faria, « Políticas públicas e (in)justiça socioespacial nas favelas do Rio de Janeiro, no contexto da organização dos mega-eventos esportivos », in Revista Brasileira de Estudos Urbanos e Regionais, 2013, vol. 15, p. 1‑11.
38
Lucas Oliveira, « A Catraca : uma questão estética », Passa Palavra, 2012.
39
Vincent Duclert, Occupy Gezi. Un récit de résistance à Istanbul. Paris, Demopolis, 2014.
40
Des quilombolas, personnes habitant les quilombos, territoires créés par les esclaves en fuite, ont également manifesté à cette occasion.
41
Voir : Mariana Corrêa dos Santos, Silvio Pedrosa, « Corps en mouvement. Les black blocs à Rio et les représentations de la résistance », in Les Temps Modernes, 2014, vol. 678, p. 72‑92.
Aussi : David Van Deusen, Xavier Massot, The Black Bloc Papers : An Anthology of Primary Texts From the North American Anarchist Black Bloc, 1988–2005. Shawnee Mission, Breaking Glass Press, 2010.
42
Merci à Volodymyr Kuznetsov et à Perrine Poupin pour la communication de ce document : Oleksandr Suprunyuk, « Interview from the Maidan », in Straight Line, 2014.
43
Jean-Marc Salmon, 29 jours de révolution. Histoire du soulèvement tunisien, 17 décembre 2010-14 janvier 2011, Paris, Les Petits matins, 2016.
44
Amin Allal, Vincent Geisser, « Tunisie : “Révolution de jasmin” ou Intifada ? », in Mouvements, vol. 66, p. 62‑68.
45
Andriy Portnov, « How to Bid Goodbye to Lenin in Ukraine », in Opendemocracy.net, 2015.
Voir aussi : Andriy Portnov, Tetiana Portnova, « The Ukrainian “Eurorevolution” : Dynamics and Meaning », in V. Stepanenko, Y. Pylynskyi, (dir.), Ukraine after the Euromaidan. Challenges and Hopes, Bern, Peter Lang, 2015, p. 59-72.
46
Autrement que par la lettre de plainte.
47
Max Weber, Politics as a Vocation, [1919], Philadelphia, Fortress Press, 1965.
Max Weber, Économie et société, [1922], Paris, Pocket, 1995.
48
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique : souvenirs, L’ancien régime et la Révolution. Paris, R. Laffont, 1986, p. 649.
49
Sigmund Freud, « Psychologie collective et analyse du moi », in Essais de psychanalyse, [1921], Paris, Payot, 1966, p. 156.
50
Marcos Nobre, Imobilismo em movimento : Da abertura democrática ao governo Dilma, São Paulo, Companhia Das Letras, 2013.
Voir également : Marcos Nobre, « La Redémocratisation est terminée, la démocratisation commence » in Les Temps Modernes, vol. 678, 2014, p. 129‑147.
51
Jean-Claude Monod, Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? Politiques du charisme, Paris, Seuil, 2012, p. 254.
52
Séverin Muller, « La Fabrique démocratique ou comment le travail fait société. La commune de Saillans », texte à paraître, 2018.
53
Voir les travaux de :
Thomas Carothers, Richard Youngs, The Complexities of Global Protests, Washington, Carnegie Endowment for International Peace, 2015.
Et Marcel Van der Linden, « Global Labour : A Not-so-Grand Finale and Perhaps a New Beginning », in Global Labour Journal, 2016, vol. 7, n° 2, p. 201-210.
Voir également : Ruy Braga, A Rebeldia do precariado. Trabalho e neoliberalismo no Sul Global, São Paulo, Boitempo, 2017.
54
On recommence à parler de la « sagesse des foules », voir James Surowiecki, La Sagesse des foules, [2005], Paris, Jean-Claude Lattès, 2008.
55
Pierre Clastres, La Société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974.
56
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit politique, Amsterdam, Marc-Michel Rey éditeur, 1762, livre I, chap. 5.
57
« Un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi. Selon Grotius, un peuple est donc un peuple avant de se donner à un roi. Ce don même est un acte civil, il suppose une délibération publique. Avant donc que d’examiner l’acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d’examiner l’acte par lequel un peuple est un peuple. Car cet acte étant nécessairement antérieur à l’autre est le vrai fondement de la société » (Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit politique, Amsterdam, Marc-Michel Rey éditeur, 1762, livre I, chap. 5).
Voir aussi : Etienne Balibar, « Ce qui fait qu’un peuple est un peuple. Rousseau et Kant », in Revue de synthèse, vol. 110, n°3‑4, p. 391‑417.
58
Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.
Bibliographie
Amin Allal, Vincent Geisser, « Tunisie : “Révolution de jasmin” ou Intifada ? », in Mouvements, vol. 66, p. 62‑68.
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