(Archives de l’État en Belgique - Centre d'Études Guerre et Société contemporaine)
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Couvertures des livres de Sarah Gensburger.
En 2023, Sarah Gensburger, directrice de recherche au CNRS (Centre de Sociologie des Organisations, Sciences Po) et présidente de la « Memory Studies Association » a édité ou co-édité trois ouvrages essentiels.
Elle est l’autrice d’une étude substantielle et déjà incontournable intitulée Qui pose les questions mémorielles ?. Cet ouvrage revisite la question du rôle de l’État à la lumière de l’inflation mémorielle à laquelle est confrontée la société française. Il s’agit non seulement d’appréhender le rôle de l’État et des collectivités locales mais aussi de s’intéresser à la définition de la notion de « questions mémorielles » et des acteurs des politiques mémorielles. Dans ce cadre, les questions sont abordées à partir de l’État en tant qu’institution.
Sarah Gensburger a par ailleurs édité deux ouvrages collectifs qui ouvrent des perspectives plus internationales. En janvier 2023, elle a codirigé, avec Sandrine Lefranc, un ouvrage qui a pour titre La Mémoire collective en question(s). Quatre thèmes structurent l’ensemble : les passés consacrés et les passés éludés, le droit à la mémoire, la construction du passé et enfin l’utilité de la mémoire.
En septembre de la même année, elle a dirigé avec Jenny Wüstenberg, Dé-commémoration. Quand le monde déboulonne des statues et renomme des rues. L’actualité regorgeant en effet de cas de déboulonnage de statues et de volontés de renommer les rues, cet ouvrage est d’abord paru en anglais. Une cinquantaine de chercheurs et chercheuses provenant de diverses disciplines y ont contribué. L’ensemble offre un aperçu des différentes formes de dé-commémoration(s) à la fois de par le monde mais aussi et surtout dans des logiques spécifiques depuis les changements de régime au défi pour la mémoire en passant par des pratiques qui s’apparentent plus à un écran de fumée.
Chantal Kesteloot – Dans vos travaux, vous portez un regard critique sur les politiques mémorielles mises en place par les pouvoirs publics. Quels sont les éléments qui vous portent à avoir ce regard ? Y aurait-il, à vos yeux, des bonnes pratiques qui pourraient être mises en œuvre ?
Sarah Gensburger – Dans l’ouvrage que, avec Sandrine Lefranc, nous avons publié avant celui que vous venez de citer et qui s’intitule À quoi servent les politiques de mémoire ?, nous sommes effectivement parties d’un constat : depuis une vingtaine d’années les dispositifs qui prennent appui sur la transmission de la mémoire de passés violents pour construire les citoyens, pacifier les sociétés et les rendre plus tolérantes se sont multipliés dans de nombreuses parties du monde : des commissions vérité et réconciliation aux visites de lieux de mémoire. Pourtant, la montée des populismes, des violences racistes ou antisémites et de nombreuses autres manifestations de haine s’est déployée de manière parallèle. Ce constat nous a amenées à faire un premier bilan de la littérature internationale qui, depuis des disciplines très variées, a tenté d’étudier les « effets » concrets de ces politiques de mémoire. Il en ressort plusieurs choses. Tout d’abord, ces dispositifs convainquent avant tout des individus déjà convaincus, qui adhèrent au préalable aux valeurs qu’il s’agit de transmettre. La confrontation aux politiques de mémoire leur donne alors l’occasion de les exprimer publiquement et de les légitimer. Ensuite, ces dispositifs ont, par contre, un effet inverse à celui recherché sur des individus qui partagent des valeurs opposées à celles censées être transmises par ces politiques de mémoire. Et, au-delà, le fait que ces dispositifs reposent d’une part sur la force de l’émotion et d’autre part sur des récits souvent individuels entraînent une forme de dépolitisation de la lecture du passé en question et donc amène les destinataires à considérer que, au final, agir, et notamment s’opposer, dans des contextes de violence de masse est d’abord un choix individuel, en minimisant les causes structurelles des événements, leur dimension politique et les effets de système. Plus largement, nous avons montré qu’il est nécessaire de prendre en compte les contextes de la transmission et notamment, par exemple, la composition des groupes de classe dans un cadre scolaire. Les dynamiques de genre ou de positionnement vis-à-vis de l’institution dans son ensemble vont ainsi être déterminantes dans la manière dont les leçons du passé seront reçues et appropriées. Il est ainsi difficile de déterminer de manière générale des « bonnes pratiques ». Il est par contre nécessaire de se rappeler que c’est la situation présente de réception de ces politiques de mémoire qui va en orienter les effets.
Chantal Kesteloot – Ces politiques publiques sont-elles effectivement le reflet de demandes sociales ou, au contraire, l’État, voire les collectivités locales génèrent-ils une offre ?
Sarah Gensburger – Dans le cadre de ma thèse, j’avais eu l’occasion d’étudier le processus qui a conduit au vote d’une loi instituant un nouveau nom pour la journée commémorative du 16 juillet (date commémorative de la rafle du Vel d’Hiv). J’avais été frappée par le fait que cela ne correspondait aucunement à des demandes associatives en la matière mais avait émergé du processus d’interaction, qui avait un tout autre point de départ, entre administration, députés et associations. J’ai alors décidé de renverser la perspective pour étudier plus finement la manière dont les différentes branches de l’État (administrations et secteurs, au niveau local comme central) mettent en œuvre les politiques qui relèvent de la mémoire pour cerner les liens qu’elles entretiennent avec le reste de la société. L’ouvrage Qui pose les questions mémorielles ? restitue cette longue enquête multiniveaux et multiméthodes, du dépouillement d’archives à l’ethnographie en passant par la construction de bases de données. Il met en évidence que, contrairement à une lecture dominante, les politiques publiques de mémoire ne sont pas, ou en tous les cas pas principalement, le résultat des demandes sociales mais sont aussi, et chronologiquement d’abord, le fait d’une offre administrative et sectorielle qui a, historiquement, mis en concurrence les secteurs de la culture et des anciens combattants au niveau des administrations centrales avant de se diffuser au niveau local en reprenant exactement la même structuration. Par la suite, d’autres secteurs, comme celui de la politique de la ville, ont fait leur les enjeux de mémoire comme un outil de gouvernance de certains espaces et notamment des programmes de rénovation urbaine. Pour arriver à cette conclusion, j’ai utilisé des outils de cartographie multiniveaux et diachronique de l’État ou encore réalisé une base de données des associations créées en France qui mobilisent le terme de mémoire. Ce travail, comme ma démarche de recherche dans son ensemble, vise à essayer d’inventer des méthodologies et des manières d’objectiver des phénomènes qui relèvent du symbolique et qui donnent lieu à de nombreuses prises de positions normatives et politiques dans le débat public.
Chantal Kesteloot – Quelle place devrait prendre la société civile dans la mise en œuvre de ces politiques mémorielles ? La présence de pratiques collectives d’en bas et de mobilisations citoyennes sont-elles le signe d’un échec de ces politiques publiques ?
Sarah Gensburger – Compte tenu de ce qui précède, ce que j’ai appelé la mémorialisation de l’activisme, c’est-à-dire le fait que des revendications qui, dans les périodes précédentes, pouvaient être portées à partir d’autres outils sont aujourd’hui investis dans les questions mémorielles. En réalité, selon le principe du framing, du cadrage de politiques publiques, l’investissement de plusieurs sphères de l’État sur cette thématique a ouvert des espaces pour des acteurs sociaux qui n’avaient pas forcément été identifiés au préalable par les administrations en question comme les clientèles attendues. Dans cette perspective, on comprend que le fait que des mobilisations citoyennes se multiplient autour des sujets mémoriels est en fait le signe que ces politiques de mémoire ont eu du succès mais ce succès, ces effets, n’étaient pas forcément ceux anticipés (et recherchés) par les concepteurs de ces politiques publiques au départ. On comprend alors que la multiplication de ces mobilisations puisse apparaitre comme antithétique avec la politique de l’État mais elle en est, pour une large part, le produit.
Il reste qu’aujourd’hui il y a un rapport de défiance envers l’État qui se manifeste également dans le domaine mémoriel. Alors que la société civile parle désormais le langage de la mémoire, elle ne répond pas forcément aux appels contemporains à la « participation » dans le domaine de la mémoire. L’étude des dispositifs qui appellent à se raconter ou à partager ses archives montre que si la population partage la conviction que c’est important, elle ne fait pas forcément confiance aux institutions publiques pour le faire.
Chantal Kesteloot – Voyez-vous un lien entre un échec (relatif) des politiques mémorielles et l’émergence des phénomènes de dé-commémoration ? Les pouvoirs publics auraient-ils manqué une opportunité de mise en œuvre de politiques plus inclusives ? Sont-ils en mesure de le faire dans le cadre actuel ?
Sarah Gensburger – Je vous remercie, par cette question, de faire le lien entre mes deux ouvrages récents qui sont en fait le produit de démarches de recherche très différentes. Les demandes actuelles de transformations des statuts et des noms de rue peuvent, comme ce que je disais précédemment, être considérées comme le signe que les populations partagent désormais la conviction, qui a été portée pour une large part par les politiques publiques de mémoire, que le rappel contemporain et public du passé est important. La mémoire est aujourd’hui un langage commun. À cet égard, il peut paraître surprenant que certains gouvernements, comme le gouvernement français, puissent déclarer que, sur le principe, déplacer ou transformer des statues était une attaque à l’histoire alors même que la mémoire est un secteur majeur d’intervention de ces mêmes gouvernements.
C’est pour cette raison, que nous avons forgé le terme de dé-commémoration qui entend considérer que les « déboulonnages » et autres transformations des marqueurs mémoriels dans l’espace public ne s’inscrivent pas contre l’histoire mais s’inscrivent dans un processus continu avec la commémoration dont ils constituent une étape comme une autre.
Ainsi posé, il devient clair que la manière dont les pouvoirs publics envisagent cette question renvoie à la question des valeurs. Quelles valeurs les politiques de mémoire entendent-elles porter ? Dans l’ouvrage que nous avons dirigé avec Jenny Wüstenberg (publié d’abord en anglais l’ouvrage rassemble des collègues venus de nombreux pays)1, nous avons ainsi dressé une typologie des formes de dé-commémoration. Certains pouvoirs publics ont montré que prendre cette question à son compte pouvait être l’occasion de se confronter au passé comme dans le cas de la ville de Bordeaux qui, au terme d’un long processus, a pris plusieurs décisions pour redessiner l’espace public de la mémoire de l’esclavage, omniprésente dans la ville du fait du rôle de celle-ci dans le commerce triangulaire. Dans l’ouvrage, Carole Lemee décrit cette politique en détails. Ailleurs, comme aux États-Unis, l’ONG Southern Poverty Law Center a, elle, fait le choix intéressant de proposer aux citoyens de d’abord participer à la collecte participative d’informations sur la construction des monuments confédérés afin de permettre à la population en général de se mobilier en connaissance de cause, localement. Plusieurs voies d’action sont possibles et les pouvoirs publics peuvent être moteurs en la matière mais cela relève d’abord d’une volonté politique.
Chantal Kesteloot – Longtemps les politiques mémorielles ont promu la dénonciation de passés violents, au nom de l’argument du « plus jamais ça ». Aujourd’hui, dans le champ des contestations figure la demande de mise en évidence d’autres passés violents, tus et/ou ignorés. S’agit-il simplement d’une nouvelle forme de concurrence des mémoires ou est-ce autre chose ?
Sarah Gensburger – Cette question renvoie à celle abordée précédemment. Le fait que des voix, de plus en plus nombreuses, s’expriment pour demander que les politiques de mémoire fassent une place à d’autres passés violents doit d’abord être lu dans son rapport à l’action publique. Comme je l’ai expliqué, c’est d’abord la preuve du succès de la mémoire comme domaine d’action pour l’État. Ensuite, le terme de « concurrence des mémoires » s’il est pris au sérieux doit nous amener à comprendre comment un marché aurait été créé et par qui. On le sait la « concurrence » est toujours le produit de l’organisation économique au sein de laquelle elle se déploie. En l’espèce, pourquoi considérer que des mémoires comme celle de la Shoah et celle de l’esclavage ne peuvent pas chacune avoir une place si ce n’est parce que les acteurs qui mettent en œuvre ces politiques publiques, les opérateurs du « marché », participent eux-mêmes au premier chef à construire cette relation comme concurrentielle ? Là encore, la question nous renvoie à celles des valeurs et au sens qu’on donne à celles-ci au présent. Les questions de mémoire n’ont que peu à voir avec le passé, elles ont d’abord à voir avec le présent.
Chantal Kesteloot – Les phénomènes de dé-commémorations suscitent des engagements passionnés. Constituent-ils une plus-value ou une menace pour le vivre ensemble ?
Sarah Gensburger – Cette question nous ramène là aussi au point précédent. Les engagements sont certes passionnés, même s’il faut aussi ne pas oublier que c’est d’abord l’indifférence qui domine2, le désintérêt étant une dimension du social difficile à appréhender méthodologiquement. Il convient toutefois de, là encore, les mettre en rapport avec les valeurs dont ils se réclament. Dans beaucoup de cas, des enjeux autour des statues en hommage aux femmes de réconfort aux Philippines à ceux autour des statues de personnalités en lien avec l’esclavage, ces combats se réclament de lutte au présent contre la lutte contre la perpétuation de stéréotypes (le sexisme, les discriminations raciales) qui ne sont pas que des faits du passé mais qui sont toujours présents dans les sociétés contemporaines ou du moins dont les conséquences influencent toujours très directement ces dernières.
Une fois cela étant posé, il est difficile de répondre à cette question. La notion de vivre-ensemble a pour défaut de souvent disqualifier le conflit social et politique comme illégitime en soi. Il reste que les valeurs dont il est question ne rassemblent pas forcément tout le monde et donc les phénomènes de dé-commémoration peuvent servir à mettre un coup de projecteurs sur certaines de ces questions. Dans un espace public finalement atomisé par le développement des réseaux sociaux et la digitalisation de la société, les statues ont ainsi pour vertu de figurer des causes « publiquement » et en leur donnant un visage. Il convient par contre, et nous l’avons mis en lumière dans l’ouvrage, de ne pas penser que toutes les actions de dé-commémoration portent des valeurs censées être « progressistes ». Elles sont parfois le fait d’États ou d’acteurs sociaux qui relèvent d’autres bords politiques.
Chantal Kesteloot – Vous travaillez également sur la mémoire et les traces du Covid dans une perspective comparative internationale. Pouvez-vous déjà signaler un certain nombre de convergences et de divergences entre les différents contextes nationaux ?
Sarah Gensburger – Lorsque l’épidémie de Covid s’installe et que le confinement est mis en place, il se trouve que, avec Gérôme Truc et de nombreux collègues, nous sommes en train de finir le manuscrit d’un ouvrage qui analyse la formation des mémoriaux éphémères et la collecte par les Archives de Paris des messages, dessins et autres photographies laissées par les visiteurs sur le site des attentats du 13 novembre à Paris3. Cette recherche collective fait suite à un travail individuel que j’ai mené dès novembre 20154, puisque j’habite en face du Bataclan. Parce que cela faisait donc plusieurs années que je regardais l’espace public, j’ai été alors surprise de voir des messages fleurir dans les rues de mon quartier alors même que nous étions supposés ne pas circuler. Avec Marta Severo, nous avons alors lancé un projet participatif de collecte de mots du confinement dans l’espace public5. De ce fait, j’ai commencé à regarder d’autres projets et j’ai réalisé que dans de nombreux pays des collectes participatives de mémoires du Covid avaient été lancées. Cela m’a conduite à mettre en œuvre une recherche comparative sur ces projets, avec une enquête empirique approfondie sur le cas français6. En faisant cela, j’ai rencontré une collègue, Orli Fridman7, de l’université de Belgrade, qui elle travaillait de son côté sur l’étude de la transformation des commémorations du fait du Covid. Nous avons alors coordonné un ouvrage international8 sur la mémoire du et pendant le Covid.
Cette publication a ressemblé des collègues venant de l’ensemble des continents et a permis de mettre en évidence les grandes lignes de ces dynamiques. Le premier constat est que nous avons assisté à ce que nous avons appelé un covid memory boom. Tous les pays ont été pris d’une dynamique de collecte des traces et mémoire de l’événement alors même que celui-ci était encore en cours au point que certains collègues ont forgé le terme de pre-emptive memory. Toutefois cette dynamique a pris appui sur des acteurs différents selon les contextes. Dans les pays du Global South, ces initiatives ont, d’abord et majoritairement, été le fait d’universités et de chercheurs et chercheuses. En Europe et aux États-Unis, ils ont été d’abord portés par des institutions culturelles, souvent des musées, nationaux comme locaux, et par certains médias. En France, c’est plus spécifiquement le tissu dense des services d’archives municipales et départementales qui a été moteur. À chaque fois, le contexte institutionnel a eu un effet sur la nature de la collecte.
Le deuxième aspect que nous avons étudié est celui de la manière dont les commémorations préexistantes se sont adaptées au contexte des confinements. Bien sûr la situation a été une entrave à leur organisation mais elle a aussi créé une opportunité pour faire les choses différemment et a donné un écho plus important que d’habitude aux commémorations alternatives et contre-commémorations, comme à celles portées par des activistes pacifistes en Israël et en Palestine. De même, les commémorations ont été l’occasion de contestations politiques de la situation sociale contemporaine de l’épidémie de Covid et notamment des inégalités socio-économiques et des entraves à la liberté que cette dernière a exacerbées, de la Chine (Hong Kong) au Brésil en passant par la Grèce et l’Afrique du Sud, pays étudiés dans l’ouvrage. Enfin, l’ouvrage rassemble plusieurs chapitres sur les effets de l’épidémie sur la digitalisation de la commémoration. Il semble que sur un temps plus long ceux-ci soient en fait limités.
Chantal Kesteloot – Quels sont vos prochains projets ?
Sarah Gensburger – Actuellement, je développe mes recherches dans deux directions. Tout d’abord, je poursuis ma réflexion sur l’aval des politiques de mémoire pour m’intéresser non plus tant à leurs échecs ou à leurs réussites en termes de transmission du passé mais à ce qu’elles produisent d’autres, les policyfeedbacks comme disent les politistes. Pour cela, j’essaie d’utiliser des méthodes pour saisir non plus ce que les individus savent ou pensent de tel ou tel passé mais le rapport qu’ils entretiennent au fait même qu’il y ait des commémorations ou autres. Récemment, avec des collègues, nous avons par exemple conçu un module complémentaire de l’European Social Survey, la grande enquête quantitative européenne, sur ces questions dont nous avons fait une première analyse des résultats dans un article9.
Ensuite, j’étudie le recours à la participation citoyenne dans les politiques patrimoniales, croisant la littérature sur la participation en science politique et celle sur le patrimoine en histoire ou études culturelles. Ces dernières années ont vu se multiplier les appels à « participation » des « publics » pour garder, au présent et « pour le futur », les traces du passé. Comme je l’ai dit, j’ai d’abord étudié cette dynamique lorsque des institutions entendent garder trace et documenter les périodes de crises (Seconde Guerre mondiale, attentats et Covid), je poursuis ce travail sur des thématiques comme le sport ou l’environnement pour saisir là aussi le rapport avec les citoyens, en m’interrogeant sur la participation et les participants à ces initiatives, d’une part, sur les transformations professionnelles que cela implique, notamment des archivistes, de l’autre. En partenariat avec le ministère de la Culture, et avec des collègues de l’Institut des sciences sociales du politique, nous étudions par exemple la mise en œuvre et l’appropriation sociale de la « grande collecte des archives du sport » qui a été lancée sur tout le territoire en juin 2022. De même, ces dernières années, la lutte contre le changement climatique prend appui sur la notion d’amnésie environnementale, développant l’idée que la longue durée de la transformation climatique est invisible à l’échelle d’une seule vie humaine. Dans ce contexte, des projets de participation citoyenne se font jour pour collecter la mémoire du changement climatique. Il me semble important d’étudier leurs acteurs et leurs appropriations, ce que j’ai commencé à faire en dialogue avec le Muséum national d’histoire naturelle.
Notes
1
Sarah Gensburger et Jenny Wüstenberg (dir.), Dé-commémoration. Quand le monde déboulonne des statues et renomme des rues, Paris, Fayard, 2023.
2
Sarah Gensburger, « Pourquoi déboulonne-t-on des statues qui n’intéressent (presque) personne ? », The Conversation, 29 juin 2020.
3
Sarah Gensburger et Gérôme Truc (dir.), Les mémoriaux du 13 novembre, Paris, Éditions de l’EHESS, 2020.
4
Sarah Gensburger, Mémoire vive. Chroniques d’un quartier. Bataclan 2015-2016, Paris, Anamosa, 2017.
5
Sarah Gensburger et Marta Severo, « Déconfiner les archives du COVID-19 », Revue d’histoire culturelle, vol. 2, 2021.
7
Orli Fridman et Sarah Gensburger, « Unlocked Memory Activism: Has Social Distancing Changed Commemoration? », in Yifat Gutman et Jenny Wüstenberg (dir.), The Routledge Handbook of Memory Activism, Londres, Routledge, 2023.
8
Orli Fridman et Sarah Gensburger (dir.), The COVID-19 Pandemic and Memory: Remembrance, commemoration, and archiving in crisis, Cham, Palgrave Macmillan, 2024.
9
Margaux Aupoil, Benoit Tudoux et Sarah Gensburger, « Que pensent (vraiment) les citoyens européens des politiques de mémoire ? », The Conversation, 21 avril 2024.