Lee Park, Charlottesville.
Le déboulonnage des statues suit souvent les transitions politiques, les révolutions et les invasions. En général, ces actes – pas plus que leurs symétriques, qui visent la création de nouveaux monuments – n’impliquent pas les historiens et peu l’opinion publique. En réalité, le déboulonnage des monuments a souvent constitué pour les dirigeants un moyen d’éviter la contestation populaire1. Aussi les décisions de démanteler des monuments soviétiques en Ukraine après 2015, et dans plusieurs pays en Europe centrale et orientale après l’invasion russe de 2022, n’ont-elles pas paru controversées. Ce qui a changé ces dernières années est que la vague de contestation a attiré davantage l’intérêt des médias. Cet article se focalise sur la contribution des historiens américains, britanniques et français à ce débat dans la presse, les revues et en ligne, au cours des années récentes (2015 à 2020)2.
Tout a commencé avec l’attentat terroriste contre l’Emanuel African Methodist Episcopal Church à Charleston (Caroline du Sud) le 17 juin 2015, lors duquel un suprématiste blanc a tué neuf Afro-Américains pendant une session d’études bibliques. Avant l’attentat, le terroriste s’est photographié avec le drapeau sudiste, qui figurait aussi sur la plaque d'immatriculation de sa voiture. Après l’attentat, ce symbole controversé a été enlevé du Capitole de la Caroline du Sud. Ces événements ont déclenché une interrogation plus générale sur le patrimoine confédéré et notamment sur les statues des généraux et leaders confédérés, tels Robert E. Lee, Stonewall Jackson et Jefferson Davis.
Quelques mois plus tard des étudiants de la Harvard Law School, inspirés par le mouvement sud-africain Rhodes Must Fall, ont exigé que le blason de la famille Royall, qui figurait sur le sceau de cette prestigieuse institution, soit remplacé à cause de son lien avec l’esclavage au XVIIIe siècle. Le mouvement Royall Must Fall est symptomatique des attentes d’une nouvelle génération, sensible aux questions du racisme, du sexisme et de l’affirmation des droits LGBT, et mal à l’aise face au décalage entre leurs revendications politiques et les symboles visibles dans l’espace public.
La statue de Cecil John Rhodes a été déboulonnée de l’université du Cap le 9 avril 2015 après une mobilisation estudiantine.
En 2020, après l’assassinat de George Floyd par un policier blanc à Minneapolis le 25 mai, le mouvement Black Lives Matter s’est propagé en Europe où des manifestations ont ciblé des monuments controversés, surtout au Royaume-Uni et en France. Cette fois-ci, des monuments de personnalités aussi variées que Christophe Colomb, Winston Churchill, Haïlé Sélassié, Léopold II, Victor Schœlcher et Jean-Baptiste Colbert ont été visés, tous liés à l’histoire du colonialisme, de l’impérialisme et du racisme.
À part la dimension politique et identitaire, la guerre culturelle entre la droite et la gauche, le woke et l’antiwoke, le nationaliste et l’antiraciste, le débat sur le patrimoine a aussi porté sur l’histoire, le rapport entre le présent et le passé et la signification des monuments publics. De nombreux historiens ont été appelés à donner leur avis sur le sort des statues confédérées aux États-Unis et les statues en Europe liées à l’histoire de l’esclavage. Qui sont ces historiens ? Il ne s’agit pas, bien entendu, d’un groupe homogène, ni du point de vue de leur domaine d’expertise, ni en ce qui concerne leur rapport au débat public. Aux États-Unis, il a été question surtout des experts de la guerre de Sécession et de sa mémoire, dont certains, notamment David Blight, étaient déjà largement intervenus dans le débat public. D’autres, plus novices en la matière se sont prononcés en fonction de leurs compétences en histoire de l’art, architecture et patrimoine. Ainsi, outre leurs réflexions explicites sur les statues et l’histoire, les interventions des historiens traduisent aussi, de manière implicite, un point de vue sur le rôle de l’historien et de l’intellectuel dans le débat public. Certains d’entre eux sont intervenus dans le débat, d’autres ont été consultés par des journalistes pour donner leurs réflexions. Quelle a été leur réaction face au déboulonnage des statues ? Quels ont été leurs arguments pour prôner l’enlèvement ou le maintien en place des monuments ?
S’il existe toujours des contextes spécifiques liés à chaque statue, de même que des circonstances et des traditions locales et nationales à prendre en compte, les questions soulevées par les contestations du patrimoine statuaire restent plus ou moins les mêmes : convient-il de changer le paysage commémoratif en fonction des revendications des mouvements politiques ? Ou est-il au contraire plus sage d’accepter le patrimoine hérité du passé, tel qu’il est ? À peu de choses près, les arguments avancés pour maintenir les statues en place furent-ils les mêmes des deux côtés de l’Atlantique : ainsi, en août 2017 Donald Trump protesta-t-il contre l’idée de « changer l’histoire ». Trois ans plus tard, en juin 2020, Boris Johnson soutint qu’enlever des statues reviendrait à « mentir sur notre histoire ». Au même moment, Emmanuel Macron énonça que « la République n’effacera[it] aucune trace ni aucun nom de son histoire ». Dans les trois cas, ces dirigeants politiques posaient comme allant de soi l’équivalence entre statues et histoire3.
Les historiens ont réagi aux propos des hommes et des femmes politiques, des présidents, des ministres, des maires et des éditorialistes, aux arguments visant à ce qu’on ne touche pas aux monuments, mais ils ont également débattu entre eux, se répartissant en trois groupes : ceux qui partageaient la critique des monuments mais pensaient qu’il fallait les laisser en place, ceux qui n’acceptaient pas la critique, ceux enfin qui étaient favorables au déboulonnage. Ils ont débattu de la signification de l’histoire et des monuments ainsi que sur la nature des personnages remis en cause par les manifestations : tel ou tel d’entre eux mérite l’honneur ou l’opprobre ? Nous traiterons d’abord du débat ayant eu lieu aux États-Unis entre 2015 et 2017, pour ensuite aborder, de manière plus brève, celui qu’ont connu la France et le Royaume-Uni en 2020.
La statue de Christophe Colomb devant le Capitole de l’État du Minnesota après qu’un groupe, mené par des membres de l’American Indian Movement, l’a démolie à St. Paul, Minnesota, le 10 juin 2020.
La pluralité des monuments américains et le devoir de mémoire
Aucun historien américain n’a défendu les symboles sudistes mais plusieurs ont en revanche estimé préférable que les statues confédérées restent en place au nom du devoir de mémoire. En juin 2015, Daryl Michael Scott, professeur d’histoire à Howard University, le « Harvard noir », écrit dans le New York Times qu’il est d’accord avec l’idée que les drapeaux et l’iconographie confédérée soient enlevés des bâtiments gouvernementaux mais qu’il ne faut pas aller plus loin. Pour Daryl Michael Scott il est important qu’aucune école fréquentée en majorité par des élèves noirs ne porte le nom d’un personnage raciste – comme c’était par exemple le cas à Jacksonville (Floride) avec l’école Nathan Bedford Forest, responsable d’un massacre de soldats noirs lors de la guerre de Sécession et cofondateur du Ku Klux Klan. Daryl Michael Scott insiste sur l’idée qu’il faudrait « maintenir des monuments provocants dans l’espace public », ne serait-ce que parce que leur retrait pourrait nourrir le mouvement raciste blanc. Au lieu de les enlever, « en purifiant [sanitizing] notre paysage et mémoire », Daryl Michael Scott propose la création d’une espèce de pluralité commémorative. L’idée serait d’ériger de nouveaux monuments dédiés à des héros noirs, tel Nat Turner, leader d’une rébellion anti-esclavagiste au XIXe siècle4.
Ethan J. Kytle et Blain Roberts de California State University à Fresno, se sont aussi déclarés contre l’idée du déboulonnage dans un article publié dans l’Atlantic. Comme Daryl Michael Scott, ils prônent l’idée d’une pluralité et diversité du paysage commémoratif. Ethan J. Kytle et Blain Roberts expliquent que des monuments confédérés ont depuis longtemps été sujets de vandalisme par des Afro-Américains qui pensaient à juste titre que ces monuments étaient érigés contre eux. Selon les deux historiens il serait plus efficace de lutter contre les monuments racistes d’une part en les accompagnant de panneaux informant le public du contexte historique, d’autre part en érigeant de nouveaux monuments, plus inclusifs :
En tant qu’historiens de la mémoire, nous sommes inquiets pour les conséquences imprévisibles d’un processus purificateur du paysage commémoratif. Les monuments historiques sont des interprétations d’une époque mais les artefacts d’une autre. Les monuments confédérés et pro-esclavagistes incarnent, même perpétuent, des récits profondément faux du Vieux Sud et de la guerre civile américaine. Pourtant, ils expriment aussi des vérités essentielles sur la période durant laquelle ils ont été érigés5.
Ethan J. Kytle et Blain Roberts signalent les problèmes pratiques liés à l’option du déboulonnage : il n’y aura pas suffisamment de musées pour héberger toutes les statues confédérées – sans compter que la plupart d’entre elles ont été érigées dans des endroits, parcs et campus universitaires par exemple, qui ne sont pas placés sous l’autorité du gouvernement fédéral. Néanmoins, le plus important argument contre l’idée d’enlever une statue comme celle de Calhoun serait courir le risque « d’effacer le processus par lequel ces monuments ont renforcé l’inégalité raciale dans le passé ». C’est donc, selon Ethan J. Kytle et Blain Roberts, en tant que témoins du racisme historique et supports au devoir de mémoire que ces statues doivent rester en place. Pour ces historiens, l’important est de contextualiser et de créer d’autres monuments, en particulier un monument national dédié à l’esclavage6.
Une autre solution est proposée par l’historien autrichien Günter Bishof, de l’université de La Nouvelle-Orléans, ville où l’attentat de juin 2015 a provoqué un débat sur des monuments confédérés situés au centre-ville. Günter Bishof lance la comparaison entre les États-Unis et des pays européens qui se sont retrouvés dans des situations comparables, comme les deux Allemagnes qui étaient vidées des signes du régime nazi après 1945. Plus récemment, en Autriche, Vienne a rebaptisé plusieurs rues, dont celle jadis nommée Dr. Karl-Lueger-Ring. Karl Lueger était un maire qui a contribué au développement de la ville de Vienne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle mais qui était aussi un antisémite ayant inspiré le jeune Hitler. Revenant au cas de La Nouvelle-Orléans, Günter Bishof proposait de réunir les monuments confédérés dans un même lieu, un « parc d’attraction confédéré », à l’instar du parc réunissant des monuments soviétiques en Hongrie7 – parc que visiteraient notamment les personnes désireuses de rendre hommage à la confédération. Cette manière de présenter les choses laisse entendre que Günter Bishof perçoit le culte du passé confédéré comme un phénomène sans doute problématique mais pas complètement intolérable.
Le débat sur le sort des statues et plus généralement sur l’héritage confédéré s’est poursuivi en 2016. L’historien Christopher Phelps a défendu, en janvier de cette année, l’idée d’enlever des symboles et des monuments jugés racistes en répondant à deux arguments souvent mis en avant. D’abord l’idée que si on accepte que tel ou tel monument doit être enlevé, alors il faudrait enlever « toutes les traces de quiconque qui a possédé des esclaves ou était raciste ». Selon Christopher Phelps, les personnages remis en cause dans le cas des revendications universitaires, par exemple Cecil Rhodes et la famille Royall, n’ont pas été choisis arbitrairement. Non seulement exprimaient-ils, comme tant d’autres, « les valeurs de leurs temps » mais leur position sociale prédominante leur donnait la capacité de « former les mœurs sociales de positions de pouvoir » en ce qui concernait le colonialisme, l’esclavage et la discrimination raciale.
Deuxièmement, Christopher Phelps répondait à l’argument avancé par Ethan J. Kytle et Blain Roberts, et selon lui plus convaincant que le premier, à savoir que les monuments et symboles en question jouent un rôle important pour nous informer de l’histoire du racisme, de sorte que les effacer conduit à se priver d’un mode de compréhension du passé. En réponse, Christopher Phelps insiste sur la nécessaire distinction entre histoire et monuments commémoratifs. Les monuments qui rendent hommage à des personnes sont « des représentations sélectives et appréciatives », qui attribuent « honneur », « respect », « légitimité », « dignité » et « autorité ». Christopher Phelps explique sa position en disant que nous comprenons à la fois l’immense importance de préserver le site d’Auschwitz-Birkenau en tant que lieu de mémoire de la Shoah et l’absolue nécessité de la politique de dénazification qui consista, entre autres, à faire disparaître les croix gammées de l’espace public. S’opposant enfin à l’idée qu’il serait « révisionniste » de critiquer les acteurs du passé, Christopher Phelps rappelle que tous les historiens sont révisionnistes au sens où ils écrivent l’histoire du « point de vue de leurs vies et de leur époque ». Le fait d’enlever le patrimoine de la suprématie blanche ne conduit pas à « fausser l’histoire », mais permet au contraire une perlaboration plus complète du passé et de ses héritages8.
Lors de son congrès de 2016, tenu à Atlanta, l’American Historical Association (AHA) a placé au cœur de ses interrogations la question du devenir des symboles confédérés. Une des panelistes, Daina Berry, professeure à l’université du Texas, a déclaré que le rôle des historiens est « de fournir le contexte dans lequel le public peut comprendre les très complexes questions du passé et du présent9 ». Se référant à des photos, prises à son université, d’une statue de Jefferson Davis, président et commandant en chef de la Confédération, avec le slogan « Black Lives Matter » tagué sur le socle, Daina Berry a souligné que si « nous », c’est-à-dire les historiens, « ne nous en occupons pas, les activistes le feront10 ». Comment les historiens peuvent-ils donc répondre à ce défi ?
David Blight, un autre paneliste et expert de la mémoire de la guerre de Sécession, qui n’en était pas à sa première intervention, a proposé que les historiens contribuent à tracer une ligne distinguant monuments « légitimes » et statues de ceux qui « se sont battus pour le droit de posséder, vendre et acheter des êtres humains », à savoir les leaders de la Confédération. Comme David Blight, Fitzhugh Brundage (université de Caroline du Nord, UNC Chapel Hill) établit trois catégories de monuments : ceux qu’il faudrait enlever, ceux qu’il faudrait réinterpréter, et ceux qu’il faudrait tolérer. Un exemple de cette dernière catégorie était le Stone Mountain, un monument composé des statues équestres de trois leaders de la confédération, Stonewall Jackson, Robert E. Lee et Jefferson Davis sur le plus grand monument en granite au monde que Fitzhugh Brundage qualifie de « Panthéon de la suprématie blanche11 ».
Stone Mountain Carving
Trump et le passé-présent de la suprématie blanche
Le débat sur le patrimoine confédéré s’est ravivé en 2017 avec l’arrivé au pouvoir de Donald Trump, dont la rhétorique et les prises de positions étaient proches de celles de l’extrême-droite américaine. Dans ce contexte politique, les historiens qui ont continué à défendre les monuments rendant hommage aux généraux confédérés ont été peu nombreux. Une des exceptions, Jonathan Zimmerman, professeur d’histoire de l’éducation à l’université de Pennsylvanie, a écrit une lettre à l’éditeur du New York Times à propos du déboulonnage d’un obélisque confédéré à La Nouvelle-Orléans en avril 2017. Jonathan Zimmerman écrit qu’il comprend la volonté de déboulonner des monuments confédérés (« qui incarnent quelques-uns des aspects les plus répugnants du passé américain ») mais estime qu’en les « cachant » dans un musée on court le risque « d’échapper à leurs implications ». Pour lui, le déboulonnage serait une manière de ne pas affronter le passé raciste. Jonathan Zimmerman conclut sa lettre en plaidant pour la diversité commémorative de la manière suivante : « Laissez les statues de la suprématie blanche en place, à côté des monuments dédiés aux courageux Américains qui l’ont remise en cause12. » Ne pas toucher aux monuments doit être lu, dans cette perspective, comme une manière d’assumer le passé en restant fidèle à sa complexité.
Une deuxième exception est celle de Caroline E. Janney, professeure d’histoire spécialisée dans l’étude de la guerre de Sécession. Dans une tribune publiée dans le Washington Post fin juillet 2017, Caroline E. Janney a exprimé un point de vue similaire à celui de Jonathan Zimmerman. Pour elle, ces statues sont nécessaires pour évoquer ceux qui ont lutté contre les valeurs qu’elles incarnent : « la guerre et ses symboles ont toujours porté des significations différentes pour des groupes différents », et c’est à cette histoire qu’il faut se confronter. Caroline Janney critique la maire de la Nouvelle-Orléans, Mitch Landrieu, qui s’est demandé, lors d’une allocution au sujet du déboulonnage des statues confédérées dans la ville, comment des parents afro-américains pourraient expliquer à leur enfant qui était Robert E. Lee, et plus encore pourquoi ce dernier avait sa statue au centre-ville. Pour Caroline Janney, la décision de Mitch Landrieu complique précisément la tâche de ces Afro-Américains : « cela oblitère le passé. Des piédestaux vides sont justement cela : complètement vides de sens ». Selon Caroline Janney, les statues, ces « sentinelles de pierre » sont « le témoignage d’où on vient en tant que nation et où on peut toujours retourner ». Elles fournissent « l’opportunité – si on la saisit – d’interroger le fait qu’il y ait tant de divisions, 150 ans après la guerre de Sécession13. » Pour Caroline Janney comme pour Jonathan Zimmerman, les statues confédérées sont des lieux de mémoires, ainsi que des clés utiles pour la compréhension du passé et du présent.
Le débat sur le patrimoine confédéré a été bouleversé par les événements liés au déboulonnage de la statue de Robert E. Lee à Charlottesville en Virginie en août 2017, la réunion de l’extrême droite et l’attaque qui a couté la vie de Heather Heyer, une activiste antiraciste. Le racisme et la violence de cette réunion ainsi que la manière dont Donald Trump s’est prononcé contre le déboulonnage ont marqué les esprits et changé le débat. Selon Trump, le fait d’enlever des monuments était une manière de « changer » et « déchirer l’histoire14 ». Évoquant le démantèlement des statues confédérées, Trump se demanda où le mouvement conduirait, le démantèlement des statues pouvant aller jusqu’à concerner Washington et Jefferson, pères fondateurs des États-Unis en même temps que propriétaires d’esclaves.
Les historiens furent nombreux à critiquer les propos de Trump, sur Twitter et dans la presse. Dans un article publié dans le New York Times, John Fabian Witt de l’université de Yale fit remarquer que personne n’avait demandé que des monuments rendant hommage à Washington et Jefferson fussent enlevés. Annette Gordon-Reed, de l’université de Harvard, expliqua qu’il y a une « différence essentielle » entre Washington et Jefferson qui ont créé les États-Unis et les généraux de la Confédération qui se sont battus contre la nation15. Il ne s’agit pas, ajoute Annette Gordon-Reed dans des remarques qui rappellent la position de James Grossman citée ci-dessus, d’un individu et de ses défauts mais d’hommes ayant créé un système de gouvernement pour maintenir l’esclavage et défaire l’union américaine. James Grossman, cité lui-aussi dans le même article, souligne la différence entre l’histoire et la mémoire. Changer ou enlever des monuments ne veut pas dire changer l’histoire mais changer la manière dont l’histoire est commémorée. Il explique, comme l’ont fait nombre de ses collègues, que la plupart des monuments confédérés ont été construits dans les années 1890, lors de l’établissement de la ségrégation raciale, et dans les années 1950, lors de la résistance au mouvement des droits civils16.
David Bell, historien à Princeton, spécialiste d’histoire française, a riposté à l’argument selon lequel presque tous possédaient des esclaves à l’époque en rappelant que si l’esclavage était un phénomène ordinaire, il n’était pas universellement accepté. Pour David Bell, il s’agirait d’une forme de relativisme moral, souvent récusé par des conservateurs. La différence entre Washington, (« héroïque chef militaire » et « leader politique immensément populaire », qui a construit la nation) et John Calhoun, (qui a « consacré sa carrière politique à la défense de l’esclavage », puis donné son nom à l’un des collèges à l’université de Yale) serait selon David Bell, facile à faire17. En même temps, David Bell ne donne pas complètement tort à Donald Trump, en reconnaissant qu’« une application trop rigide de ce principe [de la moralité universelle] » ferait en sorte qu’il n’y aurait plus beaucoup d’histoire « à honorer et célébrer ». Pour l’historien, il n’est pas possible de consigner tout le passé national aux poubelles de l’histoire comme l’a tenté la Révolution française.
Plusieurs historiens ont souligné que les monuments confédérés n’étaient pas simplement des symboles historiques ou culturels mais représentaient l’idée de la suprématie blanche18. Jane Dailey, de l’université de Chicago, a pris l’exemple de Baltimore, où une statue équestre de Robert E. Lee et Thomas « Stonewall » Jackson, érigée en 1948, fut déboulonnée à l’été 2017 par la municipalité. Selon Jane Dailey, la plupart des monuments confédérés ont été créés au début du XXe siècle et représentaient la « victoire blanche » dans la lutte pour le contrôle de l’économie et du maintien de la population afro-américaine à l’écart de toute influence politique. Après la Deuxième Guerre mondiale il y a eu un conflit entre le racisme violent qui attaquait des ex-combattants afro-américains et les efforts de Harry Truman visant à contrecarrer la discrimination raciale. C’était dans cette situation que la ville de Baltimore dont la classe ouvrière était en grande partie afro-américaine et avec une élite afro-américaine, située dans l’état de Maryland qui s’était rangé majoritairement du côté de l’Union lors de la guerre de Sécession, choisit d’ériger une statue de Lee et Jackson19. Jane Dailey remarque que ce genre de statues étaient souvent placées dans des lieux centraux de l’espace public, près des bâtiments civiques et devant des tribunaux afin d’envoyer un message à ceux qui pouvaient avoir le besoin de la protection de la loi. Jane Dailey conclut qu’il est impossible de dissocier « les symboles de la confédération des valeurs de la suprématie blanche20 ».
Fitzhugh Brundage, qui participa au colloque de 2016, répondit aux propos de Trump l’année suivante en précisant que les monuments confédérés ont toujours fait partie d’un projet politique. Selon Brundage ils ont été érigés à une époque où n’existaient pas les processus démocratiques obligatoires de nos jours pour la création de monuments publics. Dans la plupart des cas, ces statues étaient l’œuvre d’organisations telle que les United Daughters of the Confederacy (UDC) qui a opéré une « colonisation de l’espace public par des intérêts privés » à des époques de réaction contre les droits de la population afro-américaine, pour réconcilier le Sud et le Nord des États-Unis après la guerre de Sécession et afin de forger une notion d’unité culturelle blanche sudiste21. En réalité, de nombreux blancs se sont engagés pour l’Union et une partie de la population afro-américaine s’est enfuie pour lutter contre la Confédération. Ainsi, ces monuments représentent moins l’histoire qu’une tradition inventée, et une manière d’obscurcir l’histoire.
Pour Fitzhugh Brundage « les paysages architecturaux dont nous avons hérité ne sont ni sacrés ni fixes ». Dans un Sud désormais « pluraliste pour la première fois » dans l’histoire, les monuments confédérés reflètent « le privilège et le pouvoir blanc ». L’historien estime qu’il revient aux autorités municipales de créer les conditions d’un débat et de procédures démocratiques pour décider si tel ou tel monument doit ou non être laissé en place. Si la plupart des monuments confédérés sont des produits de masse sans valeur artistique, ceux qui possèdent une « signification esthétique » devront être placés dans des musées en tant que « artefacts historiques » au lieu d’être des « monuments civiques ». Vu le grand nombre de monuments confédérés, Fitzhugh Brundage reste sceptique quant à l’idée de créer des monuments pour compenser le patrimoine confédéré, comme l’ont proposé Ethan J. Kytle et Blain Roberts l’année précédente. Il s’oppose à l’affirmation selon laquelle le déboulonnage représenterait l’effacement de l’histoire, en expliquant que le même argument aurait pu être avancé pour que des fontaines et des salles d’attentes racialement ségréguées soient préservées22.
Comme Fitzhugh Brundage et David Bell, de nombreux historiens sont montés au créneau après Charlottesville, la plupart d’entre eux pour critiquer la position de Trump et défendre le déboulonnage. Ils ont tous présenté des arguments similaires : les monuments confédérés ne représentent pas l’histoire mais une manière sélective et très problématique de commémorer le passé. L’utilisation de ces monuments par des mouvements d’extrême droite a permis aux historiens de tracer un lien entre le présent et un passé qui semble tout sauf neutre23.
Dans des tribunes publiées dans le New York Times et le Washington Post, Karen L. Cox, professeure à l’université de Caroline du Nord, explique que la manifestation et la violence à Charlottesville ont rendu intenable l’idée selon laquelle ces monuments relèvent du « patrimoine, pas de la haine ». La professeure traite de naïfs les historiens qui veulent préserver les monuments pour enseigner le côté sombre de l’histoire sudiste. Ce qui va être perdu avec le déboulonnage, poursuit Karen Cox, sont des « artefacts de la haine » mais « ni leur histoire ni leur signification ». Le rassemblement de l’extrême droite et des néonazis américains autour des monuments confédérés a rendu caduc l’argument selon lequel il y aurait un besoin de se rappeler du passé raciste. Autrement dit, cet activisme raciste a eu l’effet de rendre ce passé trop présent pour que la présence des monuments se révèle nécessaire pour le rappeler !
Les événements de Charlottesville ont marqué un tournant pour plusieurs historiens américains par rapport au patrimoine confédéré, qui passèrent d’une posture de réflexion académique détachée vers une position d’intellectuel engagé. Ethan Kytle et Blain Roberts qui défendaient la préservation des monuments en 2015, avec l’ajout d’autres monument et des panneaux d’information, ont changé d’avis après Charlottesville. Comme ils ont expliqué en août 2017 : « Nous admettons que les événements des deux dernières années, en particulier la tragédie de Charlottesville, ont rendu cette position moins justifiable. » Pour Ethan Kytle et Blain Roberts, les suprématistes blancs qui se sont réunis à Charlottesville ont démontré une « vérité essentielle sur les monuments confédérés », à savoir qu’ils représentent « l’idée [a belief] de la supériorité raciale blanche24».
Un autre historien qui a changé de point de vue en 2017 est Kevin Levin. En 2011, la statue de Lee à Charlottesville a été vandalisée. Levin travaillait à l’époque comme professeur d’histoire dans un collège de la ville. Pour lui, les monuments confédérés étaient des outils pédagogiques. Dans un article publié par The Atlantic, Levin a plaidé pour qu’on laisse ces monuments en paix, pour « apprécier leurs qualités esthétiques, et réfléchir soigneusement sur leurs histoires ». En 2017 il cite ses propres mots et ajoute qu’il a « manqué de compréhension pour ce qu’ils [les monuments] signifiaient toujours pour des membres de la communauté. Je n’ai pas compris que tant de mes voisins n’avaient pas du tout besoin d’y réfléchir25». Il conclut que « même des piédestaux vides sont porteurs d’importantes leçons » – ce qui pourrait être lu comme une réplique à Caroline Janney – et soutient que le transfert de ces statues « des positions de supposé autorité morale » est « sans doute le plus important chapitre de leurs longue histoire controversée26 ».
Après Charlottesville il n’y pratiquement pas eu d’historiens qui ont pris le parti de laisser en place les monuments. Une des rares exception a été Jonathan Zimmerman, cité plus haut. Zimmerman a continué de plaider pour la préservation des monuments dans leur emplacement d’origine après la violence à Charlottesville. Pour lui, s’agissant de la statue de Robert E. Lee, l’idée de la déboulonner, ainsi que le manque de condamnation des suprématistes blancs de la part de Donald Trump, sont des exemples du « blanchissement » de l’histoire. Jonathan Zimmerman conteste « l’interprétation raciste » de la statue de Lee comme monument de « l’honneur sudiste » et écrit que c’est un « rappel des multiples manières dont le racisme a été reformulé dans un vain effort de nous faire l’oublier ». Au lieu de déboulonner la statue de Lee, il propose la création d’un mémorial à Heather Heyer27. Pour Jonathan Zimmerman, le fait qu’un monument a été érigé dans le passé par des racistes afin de proclamer leur idéologie raciste et d’intimider la population afro-américaine et tous ceux qui s’opposent à la suprématie blanche, ainsi que le fait que des racistes contemporains revendiquent ce monument, ne changent en rien sa légitimité. C’est comme s’il ne se sentait pas obligé de se positionner, tout en récusant le racisme, entre le patrimoine confédéré et ceux qui veulent le supprimer.
Vers la fin du mois d’août, l’association des historiens américains (l’AHA) a publié une déclaration sur la question des monuments confédérés, signée par un grand nombre d’organisations de la profession historique aux États-Unis. Selon la déclaration, la plupart des monuments confédérés ont été érigés sans débat, sans délibération publique et sans que la population afro-américaine ait été capable d’influencer ces décisions. Pour ces raisons, il est temps de reconsidérer ces décisions. La déclaration a fait la distinction entre l’histoire en tant que faits historiques et l’histoire en tant qu’interprétation de ces faits. Pour l’AHA, le fait de déboulonner un monument ou changer le nom d’une rue ou d’une école n’est pas « d’effacer l’histoire » mais de changer ou mettre en évidence « une interprétation passée de l’histoire » :
Un monument n’est pas l’histoire elle-même ; un monument commémore un aspect de l’histoire et représente un moment du passé – celui lors duquel une décision, publique ou privée, a défini qui allait être vénéré dans l’espace public28.
Pour l’AHA, ces monuments ont été érigés dans un contexte raciste et les événements récents démontrent qu’ils sont toujours utilisés dans ce sens-là. Le déboulonnage de tels monuments ne signifie pas « changer » ou « effacer » l’histoire mais changer ce qui est considéré comme digne de vénération par des communautés américaines. La déclaration a repris la distinction entre les pères fondateurs des États-Unis, qui certes possédaient des esclaves mais qui ont créé la nation, et les leaders de la Confédération qui ont essayé de la détruire.
Tout le monde n’a pas été d’accord. David Lowenthal, historien et géographe à l’University College de Londres, a écrit une lettre à l’éditeur de la revue de l’AHA. Pour lui, « les monuments sont l’histoire » et les effacer serait « une perversion orwellienne du passé » qui « alimente l’amnésie du racisme Jim Crow de la “cause perdue” ». David Lowenthal critique également le fait que la déclaration de l’AHA a présenté les pères fondateurs comme des « personnages historiques fautifs et imparfaits ». Au nom de ce qu’il appelle « l’humilité rétrospective », David Lowenthal précise qu’il faut non seulement se souvenir des « actes et points de vue maintenant désapprouvés, mais aussi afficher les hommages accordés à leurs auteurs à une époque postérieure ». Ceci représentait un point de vue minoritaire après août 2017. Il est symptomatique que David Lowenthal se soit senti obligé d’avoir recours aux remarques d’historiens tels que David Blight et Annette Gordon-Reed datant de 2015 et 2016, avant l’arrivé au pouvoir de Donald Trump et la montée en visibilité de l’extrême-droite américaine, alors que ceux-ci ont préféré de ne pas se rallier aux revendications des étudiants par rapport au blason de Royall à l’université de Harvard et le Calhoun College à l’université de Yale29.
Un exemple du quasi-consensus créé après Charlottesville est apporté par l’historien de l’architecture Dell Upton, critique néanmoins quant au fait de maintenir les monuments en place en les contextualisant par des panneaux d’information. Selon Dell Upton, les monuments sont déjà dans un contexte par « leur présence dans des lieux civiques ». En plus, pour lui, « le physique est toujours plus impressionnant que le textuel ». Il estime qu’un « signe qui nous dit que X était vraiment un sale type ou qu’il a lutté pour une mauvaise cause ne nous impressionnera pas de manière aussi vive que notre image mentale du grand homme sur son socle30 ». Dell Upton fait la critique de l’idée d’une pluralité commémorative. Il constate que ceux qui ont érigé les monuments confédérés dans le passé ont pu le faire sans opposition, alors que ceux qui essayent d’ériger des statues des personnages afro-américains aujourd’hui doivent affronter d’innombrables obstacles politiques, judiciaires et bureaucratiques. Le fait que ce sont des hommes et femmes dont la plupart sont blancs qui décident « ce qui est juste, ce qui est correct, et ce qui est potentiellement offensif dans les propositions des monuments afro-américains » est « la définition du privilège blanc ». La solution, pour lui, serait de mettre les monuments confédérés au musée ou de les réunir dans le monument national de l’époque de la reconstruction en Caroline de Sud, « un parc de Rebelles Morts, non pas dans un beau paysage comme certains de ces parcs en Europe de l’Est mais en rangs d’oignons, comme les guerriers de Xi’an en Chine31 ».
À l’instar de Dell Upton, plusieurs historiens ont invoqué les exemples des autres pays ayant vécu des transitions politiques comme modèles à suivre pour les États-Unis. La déclaration de l’AHA en 2017 fait référence au Coronation Parc à Delhi ou les statues des rois britanniques et des dirigeants du Raj ont été déposées après l’indépendance de l’Inde en 1948 et le Memento Parc hongrois, mentionné ci-dessus par Günter Bishof. Le pays qui a surtout servi d’inspiration pour les historiens américains de l’Allemagne post-nazie, exemple déjà invoqué par Günter Bishof en 2015 et par Christopher Phelps l’année suivante. Après Charlottesville, Manisha Sinha, expert de l’histoire de l’esclavage à l’université de Connecticut, remarque que « les États-Unis n’ont pas vraiment tenu compte de l’histoire et le sens de la Confédération par rapport à la façon dont les Allemands ont tenu compte de l’histoire du nazisme32 ». En 2018, après le renversement de la statue de Sam Silencieux, une espèce de soldat confédéré inconnu, à l’université de Caroline du Nord, Waitman Wade Beorn, historien de la Shoah, a remarqué que l’Allemagne a créé des monuments aux victimes du nazisme alors que les États-Unis ont choisi de commémorer les vaincus et leur société33. L’année suivante, Susan Neiman, professeure de philosophie en même temps que femme juive née dans le Sud sous la ségrégation raciale, a publié un livre se proposant d’« apprendre par les Allemands » comment commémorer le mal34.
Il est à noter que ce genre de comparaisons entre les États-Unis et d’autres pays ne se retrouve pas chez les historiens qui, comme Jonathan Zimmerman et Caroline Janney, ont prôné la diversité commémorative. Ces derniers n’ont pas porté un regard plus général et comparatif sur la question et représentent, de ce point de vue, les États-Unis comme un cas à part. Pour eux, tous les vestiges du passé, fameux ou infâmes, doivent être préservés. En revanche, plusieurs des historiens qui ont changé d’avis en 2017 l’ont fait par référence à l’Allemagne d’après la Seconde Guerre mondiale et à l’Europe de l’Est d’après la chute de l’Union Soviétique. Ethan Kytle et Blain Roberts ont présenté le scénario contrefactuel d’une Allemagne refusant de se dénazifier après mai 1945, à l’instar du culte confédéré, et dont l’espace public serait en conséquence saturé de monuments dédiés aux leaders nazis, généraux et soldats allemands, sans mention aucune des victimes et de l’idéologie raciste du nazisme35. Kevin M. Levin a expliqué que ce n’était que lors de sa visite en Europe de l’Est qu’il a compris que les socles vides sont aussi porteurs d’histoire36.
BLM en France et au Royaume-Uni : 2020 et les statues-symboles de l'histoire nationale
Début juin 2020, quand la vague des protestations inspirée par le mouvement Black Lives Matter arrive en Europe, des manifestants s’en prennent aux statues de personnages dont certains ont été controversés depuis des années (Cecil Rhodes au Royaume-Uni), voire des décennies (Léopold II en Belgique). Le 6 juin, la statue de Colbert située devant l’Assemblée nationale est vandalisée. Ailleurs en France, les statues de Charles de Gaulle, de Gambetta, du maréchal Bugeaud et des généraux Faidherbe (depuis 2018 l’objet du mouvement « Faidherbe doit tomber ») et Gallieni ont été taguées par des activistes antiracistes.
Le 7 juin à Bristol, des manifestants vandalisent et renversent la statue d’Edward Colston, marchand d’esclaves et philanthrope du XVIIe siècle, avant de la jeter dans la rivière Avon – ce qui est vite devenu l’événement le plus médiatisé des déboulonnages en Europe. Deux jours plus tard, le maire de Londres a décidé de déboulonner la statue de Robert Milligan, autre marchand impliqué dans la traite en Jamaïque aux XVIIIe et XIXe siècles, auquel on doit la création des West India Docks. Le monument avait été tagué et couvert d’un tissu par des manifestants qui ont également inscrit le slogan « était raciste » au pied du monument dédié à Winston Churchill. En même temps que la statue de Milligan a été déboulonnée à Londres, des milliers de manifestants se sont réunis à Oxford pour exiger que le monument à Cecil Rhodes soit déboulonné.
Après le déboulonage de la statue de Robert Milligan, West India Quay, Londres.
Le débat sur le patrimoine controversé n’a pas pris la même ampleur en Europe qu’aux États-Unis, l’histoire du colonialisme et de l’impérialisme n’occupant pas la même place que la guerre de Sécession pour les identités nationales européennes – pas plus, en sens inverse, qu’elle n’importe à l’extrême-droite européenne. Néanmoins le débat a pris des formes similaires, opposant souvent une réaction de rejet du gouvernement face à des élus locaux plus ouverts aux revendications des manifestants. Si les élus travaillistes au Royaume-Uni se sont, en général, prononcés en faveur des déboulonnages, les réactions des membres du gouvernement conservateur britannique ont été défavorables. Boris Johnson a ainsi expliqué qu’enlever des statues serait l’équivalent de « mentir sur notre histoire ». Le ministre du Logement et des Communautés, Simon Clarke, a mis en garde contre la « réécriture » ou « l’effacement » de « certaines parties de l’histoire », en estimant qu’il ne convenait pas « d’imposer la moralité d’aujourd’hui aux gens d’une autre époque », le Royaume Uni ayant, selon lui, « massivement été du côté du bien dans le monde ». Simon Clarke mettait en garde contre l’autocritique, soutenant que la « haine de soi et l’introspection étaient débilitantes [enfeebling]37 ».
En France, les réactions de dirigeants ont été aussi catégoriquement négatives qu’au Royaume-Uni. Face aux manifestations, Emmanuel Macron fut catégorique, déclarant que « la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire », qu’elle « n’oubliera aucune de ses œuvres » et « ne déboulonnera pas de statue ». Pour le président français, il convient au contraire de « regarder ensemble toute notre Histoire » et ne pas tomber dans la « réécriture haineuse ou fausse du passé38 ». Le Premier ministre Édouard Philippe mit en garde contre le dangereux phénomène qu’il qualifiait d’« épuration mémorielle » :
L’histoire de France est un bloc. Nous prenons tout. Car nous n’avons pas le choix, c’est notre histoire. Avec des choses glorieuses, des choses plus compliquées et même des choses en rien glorieuses et franchement sombres39.
Des deux côtés de la Manche, les dirigeants ont rejeté les manifestations autour des monuments en liant ces monuments à une vision de l’histoire nationale fixe, qu’il convenait d’accepter comme un tout. Quelle a été la réponse des historiens britanniques et français à ces propos peu nuancés ?
Les historiens britanniques et le statut historique du déboulonnage
La plupart des historiens qui ont participé au débat au Royaume-Uni l’ont fait pour répondre aux hommes et femmes politiques qui ont condamné les manifestations. David Olusoga, professeur d’histoire publique à l’université de Manchester, rappela que les statues étaient des objets « d’adoration », la statue de Colston ayant pour finalité de faire savoir qu’il était « un grand homme qui a fait des choses merveilleuses » – « ce qui n’est pas vrai », ajoutait dans le même mouvement l’historien. Jessica Moody, de l’université de Bristol, fit, comme ses collègues américains, la distinction entre l’histoire et la mémoire, le passé représenté par ces statues et le moment où ils ont été érigés. Pour elle, les statues « révèlent tant les manières dont on use, et abuse, du passé que les mythologies qui sont perpétuées à travers elles40 ». Rebecca Senior, de l’université de Nottingham, explique pour sa part que les monuments et l’histoire ne sont pas neutres mais « des objets révisionnistes qui mobilisent l’art afin d’opprimer ». Ce sont pour elle « des accessoires visuels du programme de colonisation violente britannique. » Pippa Catterall, de l’université de Westminster, voit dans les monuments des expressions d’un point de vue porté par des élites sur elles-mêmes et sur la société. Ce qui était en jeu avec la statue de Colston n’était pas, pour Pippa Catterall, l’histoire, mais le symbole que les manifestants ont fait de cette statue et de ce qu’elle représente pour la société britannique actuelle.
Les manifestants contre le racisme ont déboulonné la statue d’Edward Colston et l’ont jetée dans l’eau à Bristol, le 8 juin 2020.
L’idée selon laquelle le déboulonnage des statues serait un acte créateur – et non destructeur – d’histoire a été repris par plusieurs historiens britanniques. Dans une tribune publiée par le Guardian, David Olusoga explique, juste après le renversement de la statue de Colston, que cet acte « n’est pas une attaque contre l’histoire, c’est l’histoire41 ». Le même jour, l’historienne Hannah Rose Woods qualifie l’action à Bristol d’un « acte de l’histoire vivante42 ». De ce point de vue, loin d’être figée, l’histoire est un processus dynamique qui s’opère aussi par les manifestations du présent. Pour Claudine von Hensbergen, de l’université de Northumbrie, ces actes ont rendu l’histoire vivante et focalisé l’attention sur des monuments délaissés. Elle ajoute que « ceux qui croient en la valeur des monuments publics devraient saluer les actes qui rendent ces ouvrages vivants ». Les nouvelles exigences sociales, notamment en matière de lutte contre le racisme, rend le monument « plus important que jamais43 ».
Richard Evans, professeur émérite à Cambridge et expert de l’histoire du nazisme souvent appelé à se prononcer sur des questions historiques d’actualité, fait la distinction entre l’histoire, discipline académique, et la mémoire, choix collectif des valeurs qu’il convient de célébrer au présent. Il note, à propos de la statue de Colston, érigée sans que fût posée la question de l’origine de sa fortune, qu’il va de soi que « certains mémoriaux ne sont plus appropriés44 ». Pour Richard Evans, il est tout à fait naturel que notre image des personnes change avec le passage du temps, comme le montre le cas de la statue de Cromwell située devant la Chambre des Communes. Quand cette statue a été érigée, à la fin du XIXe siècle, Cromwell était considéré par certains comme un symbole du chemin historique vers la démocratie parlementaire et la restriction du pouvoir royal. Aujourd’hui, explique Richard Evans, la plupart des historiens considèrent Cromwell comme un fanatique religieux et un dictateur qui a imposé le puritanisme en Angleterre et perpétré des massacres génocidaires contre les Irlandais.
Un autre exemple évoqué par Richard Evans est celui de Cecil Rhodes (« l’impérialiste des impérialistes ») qui, comme Colston, était aussi philanthrope. Richard Evans réagit aux propos de Louise Richardson, la vice-chancelière d’Oxford University, qui soutient que le fait de déboulonner la statue de Rhodes reviendrait à « cacher notre histoire ». Il défend les partisans de Black Lives Matter contre les accusations portées par le journaliste Charles Moore – auteur d’une biographie de Margaret Thatcher nommé membre de la Chambre des Lords par Boris Johnson – selon lesquels ces derniers, motivés par la haine du Royaume-Uni, chercheraient à imposer « une unique narration organisée et hostile à ce pays », et à vouloir « effacer notre florissante [rich] histoire nationale ». Pour Evans, ce sont Moore et ses semblables qui essaient d’imposer « une narration unique, organisée et biaisée », alors que Black Lives Matter souhaite simplement que ce pays dispose « de mémoires nationales différentes ». S’agissant par ailleurs de à l’atteinte portée à l’histoire par ces actions, Richard Evans souligne que les destructions systématiques et massives de documents intervenues afin de cacher les crimes de l’impérialisme britannique sont infiniment plus néfastes à l’histoire que le déboulonnage des statues – qui peut au contraire « recalibrer la mémoire publique et proclamer une nouvelle identité nationale ». Toutefois il conclut que « renverser des monuments ne nous aidera pas à proprement comprendre notre passé ou résoudre nos problèmes présents » :
Rhodes peut tomber, ainsi que Colston et Milligan, et peut-être d’autres, mais cet exploit restera symbolique jusqu’à ce que les véritables questions de discrimination raciale, d’inégalité et de préjugés dans notre société aient été abordées45.
David Olusoga a lui aussi plaidé pour la modération quant aux conséquences des déboulonnages. Dans une deuxième tribune publiée par le Guardian, il maintient que « la statuaire héroïque figurative est une forme de commémoration datée » mais qu’entre la « guerre des statues » et « un véritable débat national sur le racisme » il faut donner la priorité à ce dernier. Les statues sont des « symptômes du problème » mais pas « le problème lui-même46 ».
Presque tous les historiens qui ont participé au débat au Royaume-Uni ont été favorables ou indulgents face au déboulonnage, à quelques exceptions près. Dans sa chronique pour The Times Literary Supplement, Mary Beard, latiniste de l’université de Cambridge, a salué le déboulonnage de la statue de Colston (« un acte assez émouvant de l’art de la performance47 ») tout en mettant en garde contre une vision de l’histoire qui fait, de manière simpliste, le tri entre les bons et les mauvais. Par contre, elle se déclare contre l’idée d’enlever la statue de Cecil Rhodes. Sans pour autant être d’accord avec ses opinions politiques, elle n’arrive pas à comprendre comment il serait possible de continuer d’utiliser les fonds de la fondation de Rhodes et en même temps « projeter de jeter son effigie dans la Tamise ». Pour Mary Beard, à l’instar de ses collègues américains avant août 2017, les statues controversées nous invitent à nous interroger sur qui nous sommes et de ce qui nous sépare du passé.
James Heartfield, expert de l’histoire de l’empire britannique, regrette l’enlèvement de la statue de Robert Milligan, un monument qui lui servait d’outil pédagogique pour parler à ses étudiants de la traite. Il explique que le déboulonnage des statues n’a rien d’inédit dans l’histoire. Pourtant, en ce qui concerne ce phénomène au présent, il se révèle très critique. Selon lui, les manifestations autour des monuments représentent un point de vue minoritaire, les revendications des populations issues du colonialisme et de l’esclavage, qui essaient de s’imposer à toute la société. James Heartfield fait la distinction entre attitudes matures et immatures face à l’histoire : d’après lui, être « mature » signifie faire autant attention à ce qui nous sépare qu’à ce qui nous lie au passé, tandis que la volonté de déboulonner relèverait de la pathologie, une expression d’immaturité face au passé et un « désir d’Œdipe de détrôner le père48 ». James Heartfield semble, à l’instar de ses collègues américains avant août 2017, prôner une sorte de devoir de mémoire, l’obligation de partager un sentiment commun face au passé, une vision consensuelle de la mémoire nationale.
Les historiens français et l’art de la contextualisation historique
Les premiers à s’inspirer des manifestations américaines ont été des activistes martiniquais qui ont déboulonné deux statues de Victor Schœlcher en Martinique, vers la fin de mai 2020, avant la mort de George Floyd, ce qui a déclenché le débat en France. Myriam Cottias, historienne et directrice de recherche au CNRS ainsi que directrice du Centre de recherche sur les esclavages et les post-esclavages, explique que Schœlcher a longtemps été présenté comme le symbole de l’abolition de l’esclavage par une élite martiniquaise soucieuse de s’assimiler à la culture de la France métropolitaine. Selon une lecture plus récente, la mémoire de Schœlcher a servi d’écran pour ne pas évoquer les révoltes des esclaves eux-mêmes. Pour Myriam Cottias la destruction des statues de Schœlcher serait motivée par la supposition erronée que les esclaves se sont libérés de leur propre chef, alors que l’abolition était le résultat de facteurs multiples49.
Dans une tribune publiée par Libération elle explique que ces actions ne sont pas tant des réactions contre la personne de Schœlcher que contre le « schœlchérisme », culture mémorielle locale – des rues, une ville et un lycée portent son nom – considérant les Martiniquais comme des sujets passifs de leur propre émancipation50. Myriam Cottias observe que cette culture a changé depuis longtemps et qu’il y a, de la part du dirigeant indépendantiste Alfred Marie-Jeanne, la volonté d’ériger des statues pour honorer les esclaves rescapés. Elle récuse le reproche fait par les activistes martiniquais à Schœlcher d’avoir plaidé pour l’indemnisation des colons pour les pertes subies du fait de l’abolition de l’esclavage, en expliquant que Schœlcher fut obligé de négocier pour parvenir à ses fins51. En France le débat s’est poursuivi suite à la vague des manifestations début juin. Myriam Cottias maintint alors qu’on ne peut pas nier que Schœlcher était un « abolitionniste convaincu » mais souligne que les soulèvements des esclaves « ont mis une pression forte sur les gouvernements esclavagistes52 ».
La statue de Victor Schœlcher renversée et partiellement détruite le 22 mai 2020 dans le square de l’ancien Palais de Justice de Fort-de-France, en Martinique.
Suite aux événements de juin et des propos d’Emmanuel Macron cité plus haut, plusieurs historiens français ont exprimé des opinions similaires à celles de leurs confrères britanniques, en approuvant les revendications des manifestations. Selon Bertrand Tillier, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur d’un livre sur l’histoire des statues contestées paru en 2022, les statues en question sont « la matérialisation du discours des vainqueurs » et « le produit d’une vision consensuelle, qui est retournée et brisée53 ». Les activistes qui s’en prennent aux statues produisent « une nouvelle lecture » et une réactivation des monuments souvent délaissés et banalisés. Dans le même sens, Emmanuel Fureix, auteur d’un livre sur histoire de l’iconoclasme en France, de l’université Paris-Est-Créteil, parle d’une « redécouverte de pans d’histoire refoulés » et met en évidence la prise de parole par des groupes antérieurement « sans voix ». Emmanuel Fureix ajoute qu’il y a d’autres options que la destruction, comme celles de placer des statues dans un musée ou d’ajouter de nouveaux monuments pour « faire le contrepoint », comme en Afrique du Sud54.
Nicolas Offenstadt, historien à l’université de Paris I et expert de la mémoire collective, a critiqué les propos d’Emmanuel Macron qu’il considère comme caractéristiques d’une position conservatrice laissant peu d’ouverture au débat55. Pascal Blanchard, historien et chercheur-associé au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation à l’université de Lausanne, a depuis longtemps demandé la création d’un musée de la colonisation et d’un poste permanent au CNRS sur les études postcoloniales. Il prend position pour les revendications qu’il considère provoquées par le manque de débat en France sur l’héritage du colonialisme. Par contre, il se déclare opposé au déboulonnage des monuments et au changement de noms des rues et des lycées, qui aboutissent à « supprim[er] les traces », au détriment du nécessaire « travail pédagogique ». Dans le cas de Colbert, Pascal Blanchard propose de « raconter les ambiguïtés » et créer des panneaux expliquant « ce qu’est le Code noir56 ». Comme le débat qui s’ensuivit en témoigne, le Code noir et les actions de Colbert sont sujet, comme toute histoire, à des interprétations diverses.
Malgré la critique des propos d’Emmanuel Macron et le plaidoyer d’historiens marqués à gauche pour un débat portant sur le patrimoine lié au colonialisme, des historiens français plus installés et, de manière prévisible, des personnalités de droite faisant figure d’historiens, se sont placés du côté des pouvoirs publics, contre les manifestants. Ils l’ont fait à partir de quatre arguments principaux : l’accusation de l’anachronisme, le contexte historique relativiste, le spectre du la table rase commémorative et la critique du déboulonnage dans des sociétés démocratiques. Thierry Lentz, expert de Napoléon, récuse l’anachronisme et souligne le fait que « l’histoire s’inscrit toujours dans un contexte différent de celui d’aujourd’hui, notamment social et géopolitique57 ». Quelques semaines plus tard, dans une tribune publiée dans Le Monde, les historiens Jean-Noël Jeanneney, Mona Ozouf, Maurice Sartre, Annie Sartre et Michel Winock prennent position contre ce qu’ils considéraient comme lecture rétrospective de l’histoire. Ils déclarent que déboulonner une statue, c’est faire preuve « d’anachronisme » :
Ce péché contre l’intelligence du passé consiste, à partir de nos certitudes du présent, à plaquer sur les personnages d’autrefois un jugement rétrospectif d’autant plus péremptoire qu’il est irresponsable58.
En contraste avec leurs collègues qui faisaient la distinction entre le passé représenté par les monuments et le moment de leur création, ces historiens et historiennes défendent le passé tout court, et proposent une interprétation quasiment historiciste du passé ; il faudrait vénérer « l’intelligence du passé » au lieu de se fier à « nos certitudes du présent ». L’antidote de l’anachronisme est le contexte historique, présenté dans une logique relativiste. Ainsi de l’esclavage, question-clé des revendications en Europe :
C’était en un temps où l’Occident entier, tout comme le monde arabe, acceptait l’esclavage et la traite, quelque sinistre que cela nous apparaisse aujourd’hui. Comme le faisaient ensuite, un siècle plus tard encore, les pères fondateurs des États-Unis59.
Dimitri Casali, ancien professeur d’histoire-géographie, est un auteur d’ouvrages d’histoire populaire, critiqué pour sa lecture de l’histoire française comme outil d’un projet réactionnaire60. Intervenant dans le débat sur le déboulonnage des statues, il explique que l’esclavage est « certes une pratique immonde qui ne doit plus exister » mais donne au lecteur le contexte historique en précisant qu’« à l’époque le monde entier pratiquait l’esclavage et les Africains eux-mêmes ». Pour ceux qui se posent toujours des questions sur l’importance de la traite européenne, Dimitri Casali fait référence à l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch qui conclut que « un Africain sur quatre est l’esclave d’un autre Africain et cela avant l’arrivée des Européens ». Dimitri Casali se réfère à la déclaration des droits de l’homme universelle en expliquant que l’esclavage n’était pas criminel à l’époque : nulla crimen sina lege. Vu sous cette angle-là, l’esclavage, ou en tous cas l’esclavage européen et français devient presque un fait banal. Pour nous rassurer encore, Dimitri Casali cite Pierre Nora sur le fait « que l’Histoire est une longue suite de crimes contre l’humanité (malheureusement) ». Le vrai problème pour Dimitri Casali, c’est l’esclavage mondial en 2020.
Si tout le monde – et personne en particulier – était responsable de l’esclavage historique, la logique des manifestants paraît d’autant plus menaçante qu’elle risque de jeter l’opprobre sur tous les « grands hommes ». À l’instar de Donald Trump aux États-Unis, Jean-Noël Jeanneney, Mona Ozouf et leurs confrères ont invoqué le spectre d’une table rase commémorative comme si la question touchait des statues et des personnes qui n’ont pas été ciblées par les manifestions et comme si l’identité nationale ne supportait pas des changements au paysage commémoratif. Pour ces historiens, il serait impossible d’arrêter cette « frénésie moralisante », presque tous les « grands hommes » ayant été des sexistes, des racistes, des antisémites et des assassins, « la liste, concluent-ils, serait sans fin ».
On trouve, sans surprise, le même type d’analyse chez Dimitri Casali, dont le ton est plutôt celui d’un éditorialiste conservateur que celui d’un chercheur en histoire, résolu à ne pas céder un millimètre à ce qu’il appelle « la vague d’ignorance qui submerge notre société au nom de la repentance et du politiquement correct » et les « nouveaux ayatollahs de la pensée unique ». Il s’inquiète lui aussi de ce que « la liste des bannis sera sans fin » et se demande si nous sommes « en train de revivre une nouvelle Terreur intellectuelle semblable à celle de 1793 instrumentalisée par les nouveaux accusateurs publics semblables à Fouquier-Tinville ».
Gaël Nofri, homme politique – il est adjoint au maire de Nice – et auteur d’un livre sur les révolutions dans l’histoire française – présenté comme historien mais qui, pas plus que Casali, n’est historien de métier – explique dans une tribune publiée dans Le Figaro que « tous les grands hommes de l’Histoire nationale se trouvent progressivement mis en accusation, trainés devant le tribunal de l’aseptisation moderne, de la refondation intellectuelle, de la réécriture identitaire61 ». Pour Gaël Nofri, le déboulonnage serait contraire à la civilisation, à « une forme de sédimentation de l’œuvre humaine, une justification de l’écoulement du temps et un ancrage durable du sens de l’effort62 ».
L’interprétation des « grands hommes » ainsi proposée en dit long sur la difficulté de se mettre d’accord sur le contexte historique. Plusieurs historiens ont traité Colbert et Schœlcher plus ou moins de la même façon que les pères fondateurs des États-Unis : avec vénération pour ce qu’ils ont accompli, en tant qu’hommes qui ont contribué à la grandeur nationale. Dimitri Casali se livre à un véritable éloge de Colbert (« [t]travailleur acharné jusqu’à quinze heures par jour » qui cumulait « le travail de six ministres ») et inscrit son œuvre dans une grille de lecture progressiste de l’histoire. Le Code noir serait une expression de la « volonté de légiférer et de mettre fin au chaos et l’anarchie qui régnaient avant l’État moderne ». Dans une formulation qui peut sembler maladroite dans un débat qui tourne autour de la question de l’esclavage, Dimitri Casali souligne que Colbert « meurt épuisé par sa tâche à l’âge de soixante-trois ans ». Pour Dimitri Casali le Code noir était « un progrès à l’époque en 1685 » qui « permit d’adoucir la vie des esclaves de l’époque63 ».
Selon l’historien américain Jacob Soll, Colbert était surtout un bureaucrate, acharné à sa tâche quelle qu’elle fût. Jacob Soll explique que Colbert a donné « le statut d’être humain aux esclaves » et a créé des règles pour les colonies françaises qui étaient « plus douces que les pratiques en vigueur dans les îles anglaises et hollandaises64 ». Mona Ozouf et ses cosignataires expliquent que Colbert a essayé de « réglementer les comportements criminels de nombreux colons et d’adoucir un peu (oh! certes très peu) le sort terrible de ceux qui en étaient victimes ». Pour ces historiens les actions de Colbert s’inscrivent dans une perspective progressiste de l’histoire. Sous cette même perspective, le vandalisme de sa statue leur apparait comme une expression de la déchéance.
Les historiens qui ont critiqué les manifestations actuelles optent pour une réponse « pas ici, pas maintenant » aux questions soulevées par le déboulonnage et le vandalisme. Pour Mona Ozouf et ses collègues, le déboulonnage – « un danger pour les principes républicains » – n’a pas de place dans une démocratie :
Que la chute d’une dictature appelle un peuple à renverser spontanément et à effacer les représentations des tyrans : on fait plus que le comprendre, on a pu en être joyeux, souvent, on espère pouvoir l’être encore demain, tout autour de la Terre. En revanche, en démocratie, pareille initiative revient aux élus du peuple, quel que soit le niveau de leur responsabilité65.
Comme cela a été noté plus haut, plusieurs historiens français n’ont pas partagé cette vision des choses. Prenons l’exemple de l’anachronisme : Bertrand Tillier relativise la question en expliquant que « toute période s’empare des périodes antérieures pour les réinterpréter et remettre en perspective ce qui a été lu autrement auparavant66 ». La politologue Sarah Gensburger remarque que c’est « la définition même de la commémoration publique que de voir le passé avec les yeux du présent67 ». En ce qui concerne la distinction entre l’histoire et la commémoration, Richard Vassakos, professeur d’histoire enseignant dans le secondaire, explique dans une tribune au Monde que « les personnages honorés qui sont aujourd’hui contestés incarnent un projet politique ». Ce n’est donc pas, selon lui, tant la question de l’histoire défini par des historiens, d’une part, et l’anachronisme de l’autre, mais « un projet politique » mis en place pendant la IIIe République pour honorer certaines personnes et une autre politique au moment actuel qui intervient pour critiquer ces choix68. Cette distinction qui a marqué le débat américain était moins importante en France où le débat a porté plus sur les personnages historiques.
Les historiens et les statues
Le débat sur le patrimoine à connotation raciste a commencé avec les monuments confédérés aux États-Unis en 2015 et finit par toucher des monuments européens liés à l’histoire de l’esclavage, du colonialisme et de l’impérialisme pendant l’été 2020. Le débat américain sur le patrimoine confédéré, lui-même influencé par le Rhodes Must Fall sud-africain, est venu se greffer sur des controverses dans d’autres pays grâce au mouvement de Black Lives Matter. Le point de départ a été la spécificité de l’histoire américaine, l’esclavage, la guerre de Sécession et sa mémoire, la discrimination raciste historique ainsi que le racisme au présent avec les violences policières meurtrières et la polarisation politique sous les présidences de Barack Obama et Donald Trump. Jusqu’en août 2017, le point de vue de la plupart des historiens américains qui ont participé au débat a été qu’il fallait préserver les monuments confédérés pour se souvenir de l’histoire du racisme américain. Il s’agissait de l’idée qu’il ne fallait pas se débarrasser de ce qui dérange, que le déboulonnage conduirait à l’oubli des côtés sombres du passé. Les événements de Charlottesville ont tout changé. Vu la violence et le racisme, le passé du patrimoine confédéré n’était plus un passé dont la population américaine éprouverait le besoin de se rappeler. Après Charlottesville, plusieurs historiens américains ont changé d’avis sur le déboulonnage qui leur est apparu comme une nécessité, souvent en tournant leur regard vers l’Allemagne et l’ex-URSS pour trouver des points de comparaison. Ils ont eu l’impression de vivre un tournant historique, le changement du paysage commémoratif apparaissant comme une expression du progrès historique. Pour David Blight, qui est revenu sur la question des monuments confédérés pendant l’été 2020, les États-Unis seraient en train de vivre un nouveau « tournant 198969 ».
En 2020, plusieurs historiens au Royaume-Uni, certes moins nombreux qu’aux États-Unis, ont salué le renversement et déboulonnage des monuments liés à la traite esclavagiste. La réaction des historiens français face aux manifestations de l’été 2020 a été moins enthousiaste que celle de leurs collègues américains et britanniques. Le quasi-consensus des historiens américains sur le patrimoine confédéré, considéré comme porteur de symboles racistes avant 2017, n’a pas eu d’équivalent en France en ce qui concerne les vestiges du passé colonial. Même si de nombreux historiens français se sont prononcés en faveur des manifestions, le débat français a surtout été polarisé par des historiens qui ont entièrement rejeté la critique des monuments et choisi de défendre des personnages comme Colbert. Le débat américain et britannique a, en quelque sorte, uni les historiens (ou en tous cas ceux qui ont pris position) face au discours des gouvernements, mais les historiens français ont été plus divisés. Plusieurs d’entre eux ont souhaité qu’il y ait plus de débat et d’ouverture d’esprit mais ils ne sont pas montés au créneau pour demander que des statues soient déboulonnées.
Malgré les différences considérables entre les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, il y a eu une discussion commune à laquelle un grand nombre d’historiens ont contribué. Dans les trois pays, des historiens de métier, ainsi que des auteurs d’ouvrages historiques, ont avancé des arguments portant sur le rôle des monuments pour la mémoire du passé, les risques de l’oubli, la logique destructrice ou créatrice d’histoire de la vague de manifestations, l’anachronisme et des interprétations diverses du contexte historique, pour approuver ou rejeter le déboulonnage des statues.
Cet article ne couvre pas la totalité des interventions de la part des historiens mais il est néanmoins possible de constater la prédominance d’un argument progressiste anglo-américain et d’une tendance conservatrice en France. En plus, dans les trois pays, des deux côtés de débat, il y a eu trois temporalités différentes. En ordre chronologique, les historiens en France – pourtant pays où le terme de la « statuomanie » a vu le jour – se sont focalisés sur la période signifiée, c’est à dire l’histoire, au XVIIe et XVIIIe siècles, des personnages symbolisés par les statues. Aux États-Unis, c’est la période pendant laquelle les statues ont été érigées qui a été débattue, c’est à dire le XIXe et XXe siècle. Au Royaume Uni par contre, c’est surtout le présent du déboulonnage, et son statut historique, qui a pris le devant du débat. Partout, les statues ont été présentées comme des symboles des valeurs nationales, que ce soit celles d’un passé désormais condamnable, dont il faut abandonner les traces pour créer un nouveau récit national, ou au contraire celles d’une grandeur à défendre contre toute attaque.
Notes
1
À ce sujet, voir Jérôme Bazin, « Les démontages du communisme », Esprit, 5, 2022, p. 53-62.
2
Cet article a été écrit à partir des trois bibliographies suivantes : du podcast Paroles d’histoire, de l’American Historical Association et celle établie par l’historienne Megan Kate Nelson. Ces bibliographies ont ensuite été complétés par des recherches dans des journaux et des revues tels que Le Monde, Le Figaro, Libération, The New York Times, Washington Post, et The Times Literary Supplement, The New Statesman, The Guardian.
3
Jennifer Schuessler, « Historians Question Trump’s Comments on Confederate Monuments », New York Times, 16 août 2017 ; Jon Meacham, « Why Confederates Should Go », New York Times, 22 août 2017; « La statue de Colbert vandalisée devant l’Assemblée nationale », Le Monde, 24 juin 2020.
4
Daryl Michael Scott, « Rename Public Schools That Honor Racists, But Stop There », New York Times, 25 juin 2015.
5
Ethan J. Kytle et Blain Roberts, « Take down the confederate flags, but not the monuments », The Atlantic, 25 juin 2015.
6
Blain Roberts et Ethan J. Kytle, « America needs a national slavery monument », New York Times, 5 décembre 2015.
7
Günther Bishof, « Why not a Confederate theme park ? », The Advocate, 20 août 2015.
8
« A more thorough coming to terms with the past and its legacies » : Christopher Phelps, « Removing racists symbols isn’t a denial of history », The Chronicle of Higher Education, 8 janvier 2016.
9
Cité par James Grossman, « Whose Memory ? Whose Monuments ? History, Commemoration, and the Struggle for an Ethical Past », Perspectives on History, 1 février 2016.
10
Sarah Fenton, « “The Confederacy, Its Symbols, and the Politics of Public Culture” AHA Plenary : January 7, 2016 », Perspectives on History, 9 janvier 2016.
11
« Elaborate shrine to white supremacy » : Sarah Fenton, « “The Confederacy, Its Symbols, and the Politics of Public Culture” AHA Plenary: January 7, 2016 », Perspectives on History, 9 janvier 2016.
12
Jonathan Zimmerman, « Letter to the Editor », New York Times, 14 mai 2017.
13
Caroline E. Janney, « Why we need Confederate monuments », Washington Post, 27 juillet 2017.
14
Jennifer Schuessler, « Historians Question Trump’s Comments on Confederate Monuments », New York Times, 16 août 2017 ; Michael Levenson, « Stunned historians wrestle with calls to remove Confederate statues », Boston Globe, 21 août 2017.
15
Jennifer Schuessler, « Historians Question Trump’s Comments on Confederate Monuments », New York Times, 16 août 2017 ; Jon Meacham, « Why Confederates Should Go », New York Times, 22 août 2017.
16
Jennifer Schuessler, « Historians Question Trump’s Comments on Confederate Monuments », New York Times, 16 août 2017 ; Kristine Phillips, « Historians: No, Mr. President, Washington and Jefferson are not the same as Confederate generals », Washington Post, 16 août 2017 ; Jon Meacham, « Why Confederates Should Go », New York Times, 22 août 2017.
17
David Bell, « Is it still okay to venerate George Washington and Thomas Jefferson? », The Washington Post, 17 août 2017.
18
Adam Goodheart, « Regime Change in Charlottesville », Politico Magazine, 16 août 2017 ; Miles Parkes, « Confederate Statues Were Built To Further A “White Supremacist Future” », NPR, 20 août 2017 ; Eric Foner, « Confederate Statues and “Our” History », New York Times, 21 août 2017 ; Laura Edwards, « Why Confederate statues fail to represent Southern history », The Hill, 23 août 2017 ; Julian Chambliss, « Public debate around Confederate insignia has little to do with historical fact, and everything to do with collective memory », Frieze, 23 août 2017.
19
Jane Dailey, « Baltimore’s Confederate monument was never about “history and culture” », The Huffington Post, 17 août 2017.
20
Jane Dailey, « Baltimore’s Confederate monument was never about “history and culture” », The Huffington Post, 17 août 2017.
21
W. Fitzhugh Brundage, « I’ve studied the history of Confederate memorials : Here’s what to do about them », Vox, 18 août 2017.
22
W. Fitzhugh Brundage, « I’ve studied the history of Confederate memorials : Here’s what to do about them », Vox, 18 août 2017.
23
Karen L. Cox, « The whole point of Confederate monuments is to celebrate white supremacy : The memorials are a legacy of the brutally racist Jim Crow era », The Washington Post, 16 août 2017 ; Karen L. Cox, « Confederate Monuments must fall », New York Times, 16 août 2017.
24
Blain Roberts et Ethan J. Kytle « Unsure about Confederate statues ? Ask yourself if you support white supremacy », Fresno Bee, 16 août 2017.
25
Kevin M. Levin, « Why I Changed My Mind About Confederate Monuments: Empty pedestals can offer the same lessons about racism and war that the statues do », The Atlantic, 19 août 2017.
26
Kevin M. Levin, « Why I Changed My Mind About Confederate Monuments: Empty pedestals can offer the same lessons about racism and war that the statues do », The Atlantic, 19 août 2017.
27
Jonathan Zimmerman, « The Civil War, Race, and the Whitewashing of History », Newsday, 14 août 2017 ; Jonathan Zimmerman, « The Progressive Case for Keeping Confederate Statues Standing : We Shouldn't Cart away reminders to our white supremacist history », New York Daily News, 21 août 2017.
28
American Historical Association, « Statement on Confederate Monuments », 28 août 2017.
29
Manasa Rao et Monica Wang, « Blight, Adams decline to take stance on Calhoun name », Yale Daily News, 10 septembre 2015 ; Annette Gordon-Reed, « A different view », Harvard Law’s Shield, mars 2016.
30
Dell Upton, « Confederate Monuments and Civic Values in the Wake of Charlottesville », Society of Architectural Historians Blog, 13 septembre 2017.
31
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32
Emma Whitford, « Why The North Honored Confederates: “These Are Not Just Innocuous Monuments” », The Gothamist, 17 août 2017.
33
Waitman Wade Beorn, « U.S. put its Silents Sams on pedestals: Germany honored not the defeated but the victims », The Washington Post, 11 septembre 2018.
34
Susan Neiman, Learning from the Germans : confronting race and the memory of evil, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2019.
35
Blain Roberts et Ethan J. Kytle « Unsure about Confederate statues ? Ask yourself if you support white supremacy », Fresno Bee, 16 août 2017.
36
Kevin M. Levin, « Why I Changed My Mind About Confederate Monuments: Empty pedestals can offer the same lessons about racism and war that the statues do », The Atlantic, 19 août 2017.
37
Serina Sandhu, « Are statues history? What historians think after monuments to Edward Colston and other UK slave traders pulled down », inews, 12 juin 2020.
38
Valentin Ehkirch, « Ni déboulonnement, ni rebaptême : faire des symboles contestés de l’Histoire de France », L’Express, 16 juin 2020.
39
Édouard Philippe « J’ai été profondément choqué qu’à Fort-de-France on déboulonne les statues de Victor Schoelcher », Public Senat, 17 juin 2020.
40
Serina Sandhu, « Are statues history? What historians think after monuments to Edward Colston and other UK slave traders pulled down », inews, 12 juin 2020.
41
David Olusoga, « The toppling of Edward Colston's statue is not an attack on history. It is history », Guardian, 8 juin 2020.
42
Hannah Rose Woods, « The Destruction of Edward Colston's Statue Is an Act of Living History », New Statesman, 8 juin 2020.
43
Claudine van Hensbergen, « Public sculpture expert : why I welcome the decision to throw Bristol’s Edward Colston statue in the river », The Conversation, 8 juin 2020.
44
Richard J. Evans, « The statues erected at the height of imperial power and prejudice do not belong in 21st-century Britain. But toppling monuments will not help us properly understand our present troubles », New Statesman, 17 juin 2020.
45
Richard J. Evans, « The statues erected at the height of imperial power and prejudice do not belong in 21st-century Britain. But toppling monuments will not help us properly understand our present troubles », New Statesman, 17 juin 2020.
46
David Olusoga, « The “statue wars” must not distract us from a reckoning with racism », The Guardian, 14 juin 2020.
47
Mary Beard, « Statue Wars », The Times Literary Supplement, juin 2020.
48
James Heartfield, « A healthy society does not destroy its monuments », sp!ked, 17 juin 2020.
49
Ludovic Séré, « Statues de Schœlcher détruites : en Martinique, la mémoire de l'esclavage encore vive », La Croix, 25 mai 2020.
50
Myriam Cottias, « Abolition de l’esclavage : rendre à Victor Schœlcher ce qui lui revient », Libération, 26 mai 2020.
51
Aude Lorriaux, « Pourquoi des militants ont-ils détruit des statues de Victor Schœlcher (et est-ce justifié) ? », 20 minutes, 29 mai 2020.
52
Paul Chaulet, « Colonialisme, esclavage : faut-il déboulonner les statues symboles d’un passé douloureux ? », L’Express, 8 juin, 2020.
53
Paul Chaulet, « Colonialisme, esclavage : faut-il déboulonner les statues symboles d’un passé douloureux ? », L’Express, 8 juin 2020 ; Bertrand Tillier, La Disgrâce des statues: essai sur les conflits de mémoire, de la Révolution française à Black Lives Matter, Paris, Payot, 2022.
54
Paul Chaulet, « Colonialisme, esclavage: faut-il déboulonner les statues symboles d’un passé douloureux ? », L’Express, 8 juin 2020.
55
Astrid de Villaines, « Déboulonner les statues ? “Ces questions méritent un débat public” répond cet historien », The Huffington Post, 15 juin 2020.
56
Cathernie Calvet, interview avec Pascal Blanchard, « Cela fait cinquante ans qu’on méprise l’histoire des anciens colonisés », Libération, 10 juin 2020.
57
Paul Chaulet, « Colonialisme, esclavage : faut-il déboulonner les statues symboles d’un passé douloureux ? », L’Express, 8 juin 2020.
58
Jean-Noël Jeanneney, Mona Ozouf, Maurice Sartre, Annie Sartre et Michel Winock, « Déboulonnage des statues : L’anachronisme est un péché contre l’intelligence du passé », Le Monde, 24 juin 2020.
59
Jean-Noël Jeanneney, Mona Ozouf, Maurice Sartre, Annie Sartre et Michel Winock, « Déboulonnage des statues : L’anachronisme est un péché contre l’intelligence du passé », Le Monde, 24 juin 2020.
60
Etienne Anheim, « Face à l’histoire identitaire », Le Monde, 29 septembre 2016.
61
Gaël Nofri, « Déboulonnage de statues : Notre civilisation se vide peu à peu de sa substance », Le Figaro, 30 juillet 2020.
62
Gaël Nofri, « Déboulonnage de statues : Notre civilisation se vide peu à peu de sa substance », Le Figaro, 30 juillet 2020.
63
Dimitri Casali, « Faut-il déboulonner les Statues de Colbert ? », Huffington Post, 24 septembre 2017.
64
Jacob Soll, « Colbert n’est pas l’auteur principal du Code noir, ni le maître-penseur de l’esclavage français », Le Monde, 19 juin 2020.
65
Jean-Noël Jeanneney, Mona Ozouf, Maurice Sartre, Annie Sartre et Michel Winock, « Déboulonnage des statues : L’anachronisme est un péché contre l’intelligence du passé », Le Monde, 24 juin 2020.
66
Paul Chaulet, « Colonialisme, esclavage : faut-il déboulonner les statues symboles d’un passé douloureux ? », L’Express, 8 juin 2020.
67
Sarah Gensburger, « Pourquoi déboulonne-t-on des statues qui n’intéressent (presque) personne ? », The Conversation, 29 juin 2020.
68
Richard Vassakos, « Les dénominations et les statues n’ont jamais été aussi politiques qu’aujourd’hui », Le Monde, 5 juillet 2020.
69
David Blight, « Europe in 1989, America in 2020, and the Death of the Lost Cause », The New Yorker, 1 juillet 2020.
Bibliographie
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Etienne Anheim, « Face à l’histoire identitaire », Le Monde, 29 septembre 2016.
Jérôme Bazin, « Les démontages du communisme », Esprit, n° 5, 2022, p. 53-62.
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Édouard Philippe « J’ai été profondément choqué qu’à Fort-de-France on déboulonne les statues de Victor Schoelcher », Public Senat, 17 juin 2020.
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Jennifer Schuessler, « Historians Question Trump’s Comments on Confederate Monuments », New York Times, 16 août 2017.
Daryl Michael Scott, « Rename Public Schools That Honor Racists, But Stop There », New York Times, 25 juin 2015.
Ludovic Séré, « Statues de Schœlcher détruites : en Martinique, la mémoire de l'esclavage encore vive », La Croix, 25 mai 2020.
Jacob Soll, « Colbert n’est pas l’auteur principal du Code noir, ni le maître-penseur de l’esclavage français », Le Monde, 19 juin 2020.
Bertrand Tillier, La Disgrâce des statues: essai sur les conflits de mémoire, de la Révolution française à Black Lives Matter, Paris, Payot, 2022.
Dell Upton, « Confederate Monuments and Civic Values in the Wake of Charlottesville », Society of Architectural Historians Blog, 13 septembre 2017.
Claudine van Hensbergen, « Public sculpture expert : why I welcome the decision to throw Bristol’s Edward Colston statue in the river », The Conversation, 8 juin 2020.
Richard Vassakos, « Les dénominations et les statues n’ont jamais été aussi politiques qu’aujourd'hui », Le Monde, 5 juillet 2020.
Emma Whitford, « Why The North Honored Confederates: “These Are Not Just Innocuous Monuments” », The Gothamist, 17 août 2017.
Hannah Rose Woods, « The Destruction of Edward Colston's Statue Is an Act of Living History », New Statesman, 8 juin 2020.
Jonathan Zimmerman, « Letter to the Editor », New York Times, 14 mai 2017.
Jonathan Zimmerman, « The Civil War, Race, and the Whitewashing of History », Newsday, 14 août 2017.
Jonathan Zimmerman, « The Progressive Case for Keeping Confederate Statues Standing : We Shouldn't Cart away reminders to our white supremacist history », New York Daily News, 21 août 2017.