Concurrences mémorielles et diffusion de l’histoire de la Révolution française sous la Troisième République
Dès 1914, le médiéviste Louis Halphen se faisait le témoin des transformations à l’œuvre dans l’écriture de l’histoire depuis son institutionnalisation universitaire quelques décennies plus tôt. Admiratif des progrès réalisés en matière d’érudition, de méthode, et de construction des problèmes scientifiques, Halphen soulignait pourtant la fracture croissante entre l’historiographie spécialisée et le grand public, supposément rebuté par ce nouvel apparat technique et prompt à reporter ses faveurs sur des ouvrages plus faciles d’accès : « Si la science y gagne, le “grand public” se plaint que cette science lui rende inaccessibles les ouvrages des historiens de profession. La complexité même des problèmes examinés dans ces ouvrages l’effraie et le livre sans défense à ceux qui savent l’amuser et flatter ses goûts »1.
À plus d’un siècle de distance, ce jugement ne saurait manquer de faire écho aux questionnements actuels de la discipline historique. La consommation d’histoire des Français est conséquente : il suffit pour s’en assurer d’observer le foisonnement de livres, magazines, bandes dessinées, émissions de télévision ou de radio à caractère historique. Le baromètre bisannuel 2019 du Centre national du Livre confirme la bonne santé du marché de l’histoire, qui figure devant les romans policiers et la littérature classique dans le classement des genres littéraires les plus populaires – même si ces chiffres sont portés par la tranche d’âge des élèves et étudiants et celle des plus de 65 ans. On est néanmoins fondé à se demander quelle sorte d’histoire conquiert ainsi les faveurs du public, dès lors que l’édition universitaire en sciences humaines connaît une augmentation des titres mais une baisse constante des tirages : ceux-ci dépassent rarement les 2 000 exemplaires, soit deux fois moins que le tirage d’un livre d’histoire paru aux éditions Alcan vers 19002.
Les historiens d’aujourd’hui ont bien conscience de la fracture entre le pôle de grande production historiographique, que dominent la biographie, le « beau livre » et les écrits d’historiens médiatisés, et le pôle de production restreinte, dont les ouvrages de facture érudite s’adressent au public étroit des pairs et des étudiants de troisième cycle3. L’intérêt renouvelé pour la public history4, l’essor de l’histoire globale et le décloisonnement des histoires nationales5 peuvent être considérés comme autant de signes de cette prise de conscience et de tentatives de renouveler le lien entre histoire savante et grand public. Faute de percevoir que cette fracture actuelle entre universitaires et grand public est tout sauf un fait neuf, mais plutôt l’une des multiples reconfigurations de rapports en perpétuelle tension depuis l’institutionnalisation universitaire de l’histoire6, ces réflexions restent cependant ancrées dans l’immédiateté du présent, sans que la réflexivité collective de la discipline ne prenne appui sur les expériences passées de rapprochement et de divorce entre « professionnels » de l’histoire et grand public.
Au-delà des enjeux éditoriaux, cette question est encore obscurcie par des considérations politiques. La critique universitaire de la situation faite à l’histoire dans les productions grand-public se présente le plus souvent comme un discours double, qui s’annule dans sa propre dialectique7. Prompts à en souligner les erreurs de fait et les manquements de méthode, les historiens « professionnels » dénoncent simultanément le substrat idéologique de la vulgarisation incontrôlée, dont on ne saurait nier la teinte volontiers nationaliste et les sympathies marquées pour les mondes feutrés d’Ancien Régime. Ce faisant, la position de surplomb objectiviste s’abolit par sa propre ambition de combat idéologique et subjectif des postures politiques du camp adverse8. À nouveau, l’examen empiriquement fondé de la manière dont les historiens du passé se sont confrontés à cette concurrence politique et savante constitue le support nécessaire d’une réflexivité critique cherchant à dépasser les apories de cette posture agonistique.
L’histoire de la Révolution française sous la Troisième République constitue un cas propice à l’exploration de cette tension complexe et protéiforme entre repli académique et ouverture en direction du public élargi, puisqu’elle représentait à la fois la période investie des enjeux politiques et mémoriels les plus clivants, l’objet central de l’historiographie du temps, et une source d’intérêt passionné du lectorat9. Du centenaire au sesquicentenaire de 1789, la Troisième République vit l’essor de pratiques de démocratisation historique portées par la conférence, le journal, la brochure ou l’image, qui exigent d’accorder une attention particulière à la matérialité de l’écriture et à la diversité des supports d’intervention scientifique et militante des historiens. L’examen de ces sources révèle que les périodes d’intensification de la démocratisation des savoirs historiques correspondent à des temps d’engagement ou de réengagement politique des historiens, tandis que les séquences où l’autonomie scientifique du champ se trouve érigée en priorité absolue favorisent un repli sur l’entre-soi savant. Les évolutions de l’investissement historien dans cette œuvre de démocratisation correspondent donc à autant de reconfigurations de la dialectique entre présentisme et historicisme historiographiques10, respectivement conçus comme un projet d’instaurer un jeu d’échos entre passé et présent à des fins heuristiques ou normatives et une ambition de saisir le passé dans ses propres termes et sans arrière-pensée d’actualité. Force est cependant de constater qu’à l’échelle de la période considérée, la primeur de la diffusion des savoirs historiques revint à la vulgarisation traditionaliste ou réactionnaire, qui sut tirer profit de chaque recentrement des historiens universitaires sur l’univers restreint des pairs.
L’effervescence du Centenaire
Le personnel politique, scientifique et littéraire des débuts de la Troisième République avait été éveillé à la conscience de l’histoire de la Révolution dans un contexte propice aux affrontements agonistiques. Les luttes autour du souvenir controversé de 1789 devaient prendre une forme d’autant plus radicale durant la décennie qui précéda le Centenaire de 1889. L’historiographie a insisté sur les enjeux politico-diplomatiques et la portée festive et mémorielle du Centenaire11.
Louis-Ernest Lheureux, Projet de monument à la gloire de la Révolution française, 1886.
Par contraste, le rôle des historiens eux-mêmes reste méconnu. Les années 1880 furent le théâtre de combats intellectuels marqués, en cette phase antérieure à l’académisation de l’histoire de la Révolution, par une recherche inédite d’hégémonie culturelle et politique, sensible à la disparité des publics qu’il s’agissait de conquérir.
Le paysage historiographique de la décennie du Centenaire est relativement clair. La première revue historique spécialisée dans cette période, La Révolution française, fut fondée en 1881 par trois militants représentatifs du « moment républicain »12 né de l’opposition au Second Empire : le libraire Étienne Charavay, l’ancien député Jean-Claude Colfavru et le pasteur Auguste Dide. Le programme de cette revue se donnait à lire dès son premier article, où le sénateur Hippolyte Carnot – personnification d’une filiation républicaine transgénérationnelle – reproduisait la Déclaration de 1789 en l’accompagnant du commentaire suivant : « Voici ce que voulait la France en 1789. Voici ce que veut la France aujourd’hui »13. À l’inverse, la Revue de la Révolution, fondée en 1883 par les publicistes Gustave Bord et Charles d’Héricault, s’inscrivait dans une logique de propagande catholique et légitimiste et ne voyait dans la Révolution qu’un acte « satanique » ourdi par la franc-maçonnerie, les juifs et les protestants.
Indépendamment des échanges aussi virulents qu’érudits qui résultèrent de cette polarisation, les historiens des deux camps s’efforçaient de populariser leur lecture de l’événement révolutionnaire au-delà du lectorat restreint des revues savantes. Hommes du livre autant que du journal, ils n’hésitaient pas à intervenir dans la grande presse au moyen de chroniques à caractère historique. Cette pratique de publication garantissait un triple profit, idéologique, symbolique et matériel, puisqu’elle assurait une diffusion des écrits à grande échelle, une position centrale dans l’espace de la critique et une double rémunération, les chroniques payées par les journaux étant souvent réunies et rééditées en volume14. En 1886, Auguste Dide fit ainsi paraître sous le titre Hérétiques et révolutionnaires ses articles parus depuis 1879 au Journal officiel, tandis que le légitimiste Edmond Biré compila en 1890 dans un volume de Causeries littéraires ses variétés historiques publiées dans le quotidien ultramontain L’Univers. Alphonse Aulard lui-même, premier titulaire du cours d’histoire de la Révolution fondé en 1885 à la Sorbonne, contribua à cette diffusion journalistique en donnant entre 1884 et 1890 plus de 180 chroniques historiques intitulées « Lundis révolutionnaires » au quotidien La Justice de Clemenceau.
Militants et historiens de chaque camp se partageaient par ailleurs le marché de la brochure et des ouvrages historiques à caractère populaire. Du côté républicain, ces publications de propagande émanaient à la fois de l’élite politique, qui lui assurait un surcroît de prestige et de visibilité, et d’écrivains spécialisés dans l’histoire de la Révolution. La Société d’instruction républicaine de Jules Barni éditait ainsi les ouvrages de figures célèbres mais dénuées de titres historiographiques comme Hippolyte Carnot, Jules Grévy ou Victor Schœlcher, tandis que la Bibliothèque démocratique et la Bibliothèque d’Éducation nationale livraient respectivement au public les Origines de la Révolution de l’historien robespierriste Ernest Hamel en 1872 et une biographie de Danton par Aulard en 188415. Cet investissement dans la littérature populaire fut toutefois sans commune mesure avec celui des historiens du camp adverse.
La Société bibliographique et des publications populaires occupait un rôle central dans cette entreprise de contre-hégémonie. Revendiquant 5 000 adhérents parmi les laïcs, sans compter son ancrage dans les sociétés savantes et ses réseaux de patronage au Vatican et dans l’épiscopat, cette société attribuait les progrès de la République et le recul de la religion, en particulier au sein des classes populaires, à l’influence du « mauvais livre, commenté par de mauvaises paroles »16, renouant ainsi avec la rhétorique jésuitique classique du « poison des mauvais livres », renforcée au XIXe siècle par la certitude des contre-révolutionnaires « quant à la responsabilité directe et première des hommes de lettres dans la Révolution »17. Ces militants de la Contre-Révolution avaient bien conscience de la diversité des publics qu’il s’agissait de toucher. Parmi eux, l’élite des historiens contre-révolutionnaires prenait en charge les recherches savantes à destination des érudits et les livres plus plaisants, susceptibles d’attiser la curiosité du grand public lettré. La Société bibliographique s’illustra enfin par sa contribution aux « torrents de papier »18 mis en circulation dans ces années par des cohortes de publicistes traditionalistes en faisant paraître, entre 1873 et 1882, une vingtaine de brochures populaires vendues à 25 centimes. Leurs auteurs, collaborateurs réguliers des revues savantes conservatrices, y dépeignaient les mérites et le calvaire de la monarchie française – notamment dans les brochures sur les 5-6 octobre 1789, le 10 août 1792 et le 21 janvier 1793 – mais aussi la violence supposément intrinsèque à la République et à la Révolution, avec des titres sur Fouquier-Tinville et le Tribunal révolutionnaire. Cette historiographie déployait une rhétorique victimaire, renforcée par le fait que ces écrivains étaient souvent des descendants de chouans ou de familles aristocratiques qui pâtirent de la Révolution. En l’absence même de filiation effective, ces auteurs s’imaginaient comme des descendants de la Contre-Révolution et se sentaient solidaires de son héritage politique. Aussi ne manquaient-ils pas d’insister dans leurs brochures sur des figures de prêtres déportés en 1793, sur les martyrs de Septembre ou encore sur les « victimes populaires de la Révolution ».
« Collection de brochures sur la Révolution française »,
Bulletin de la Société bibliographique et des publications populaires, 11e année, 1880, p. 128-129.
L’une des innovations des premières décennies de la République fut le recours croissant à la propagande historique par l’image. Consciente de l’avantage de la République, adossée à un réseau d’écoles qui propageaient son discours historique empreint d’un patriotisme revivifié par l’héritage de la Révolution19, la Société bibliographique mit en circulation des centaines de milliers de tracts à bas coût – 8 francs les 1 000 ; 60 francs les 10 000 – mettant notamment en scène Louis XVI ou « les victimes de la Révolution »20. Elle répandait en parallèle des images historiques à un franc la douzaine, en réplique à l’essor de l’iconographie républicaine appuyée sur les progrès de la chromolithographie. Empruntées à l’histoire médiévale (avec Jeanne d’Arc ou Saint Louis), moderne (avec Saint Ignace ou Voltaire) et contemporaine (du 14-Juillet à la prise d’Alger, en passant par Louis XVI et Louis XVII), ces images à caractère catholique, royaliste et nationaliste visaient à l’édification du peuple catholique, par l’intermédiaire des enfants des écoles libres.
On trouve chez les historiens du camp républicain des pratiques de propagande aux finalités analogues, qui empruntèrent toutefois d’autres canaux, à commencer par la conférence21. Étienne Charavay, Jean-Claude Colfavru et Auguste Dide s’illustrèrent par leurs activités de conférenciers pour le compte de la Ligue de l’enseignement, figure de proue de la républicanisation et de laïcisation de la République. Comme leurs homologues du camp contre-révolutionnaire, ces conférenciers mettaient l’accent sur l’enseignement par l’image, en recourant aux projections à la lumière oxhydrique. La récupération par les républicains de ce dispositif, emprunté à l’Église22, répondait à une ambition démocratique rappelée par les responsables de la Ligue : « les conférenciers ont là un élément précieux et un moyen efficace de faire mieux comprendre aux paysans les grands événements de la Révolution qu’ils ont mission de raconter »23. Grâce aux catalogues de vues et documents mis à la disposition des conférenciers pour le Centenaire, nous pouvons constater le souci pédagogique de la Ligue, qui traquait dans les musées et bibliothèques les peintures ou gravures susceptibles de faire forte impression sur le public. Cette iconographie s’accompagnait de notices prêtes à être lues aux auditeurs, le catalogue distinguant celles à réserver respectivement aux « conférences », aux « lectures publiques » ou aux « veillées de famille ». Le travail des agents locaux de républicanisation se trouvait ainsi facilité par un véritable outil clefs en main24.
Catalogue du centenaire de 89. Vues sur verre pour projections lumineuses,
Paris, Imprimerie de la Ligue de l’Enseignement, s. d.
Au croisement de l’enseignement par l’image et de la « leçon de choses », nous devons enfin évoquer l’exposition organisée en 1889 au Louvre par la Société de l’histoire de la Révolution française. Cette société républicaine fondée par les historiens de la revue La Révolution française rassembla une collection de 6 000 souvenirs et documents, des faïences patriotiques fournies par la manufacture de Sèvres aux autographes de la maison Charavay, en passant par divers objets ayant appartenu à des figures célèbres de la Révolution. L’intention de ses concepteurs se voulait fédératrice et pédagogique. Comme le déclarait Étienne Charavay : « nous voulons qu’une visite de ce musée ait le caractère d’une leçon d’histoire »25. L’artefact historique était ainsi conçu comme un instrument de démocratisation des savoirs. Dans une logique sensualiste, cette leçon de choses révolutionnaires devait suffire à exacerber la familiarité vis-à-vis du passé et imprégner les esprits de connaissances sans la contraignante médiation des travaux d’érudition.
Au terme de ce tour d’horizon, il apparaît délicat de mesurer la portée populaire de cet engagement historien dans la diffusion des savoirs sur la Révolution. L’abonnement aux revues historiques était inaccessible au grand public et même les journaux n’étaient pas un bien de consommation courante pour toute la population, puisqu’ils représentaient un coût compris allant de dix (pour la Justice) à quinze ou vingt centimes (pour l’Univers et le Journal des Débats). Les brochures, même à bas coût, se heurtaient à des obstacles analogues. Quant aux conférences républicaines, si la Ligue de l’enseignement mettait à disposition de ses membres des supports théoriquement pensés pour un auditoire paysan, les historiens-conférenciers semblent avoir surtout discouru devant un public de notabilités républicaines, représentants de l’administration ou des professions libérales et enseignantes. Enfin, un élitisme certain inspirait les organisateurs de l’exposition de 1889, inaugurée au Louvre par le président Sadi Carnot, par contraste avec le désintérêt manifesté par ces mêmes historiens pour les « expériences immersives » de la Révolution – telles que la reconstitution de la Bastille en matériaux périssable ou les panoramas de 1789 – abandonnées à l’initiative privée.
Panorama de la prise de la Bastille et reproduction du vieux Paris au pont d’Austerlitz
Peint par Théophile Poilpot et Stephan Jacob, lithographie de Léon Choubrac, 1883.
La décennie du Centenaire n’en vit pas moins l’épanouissement d’initiatives aussi diverses qu’imaginatives, animées par un réel souci de faire connaître la Révolution en vue de saper ou de pérenniser le régime républicain, avant que l’institutionnalisation académique de l’histoire de la Révolution ne vînt donner un coup d’arrêt à cette œuvre de démocratisation des savoirs26.
Les charmes de l’entre-soi : le repli historien du tournant du siècle
L’année 1885 vit à la fois la création à la Faculté des Lettres de Paris du premier cours d’histoire de la Révolution française, transformé en chaire en 189127, et la première apparition de cette période au concours de l’École normale supérieure, au grand scandale des candidats. Leur réaction à ce sujet inédit posé par Gabriel Monod fut d’ailleurs spectaculaire :
« Il y eut, dans la salle, une stupeur indignée, presque une émeute. Le “cacique” désigné, C…, jeta de colère son porte-plume sur la table et sortit avec éclat de la salle. D’autres imitèrent ce geste. Le soir un groupe de candidats, les forts de Louis-le-Grand et de Henri IV, se procurèrent un buste de Monod, le brisèrent devant la porte de la rue d’Ulm, et conspuèrent le professeur qui s’était permis de rompre avec la sacro-sainte tradition »28.
L’inscription de l’histoire de la Révolution au programme de l’agrégation suivit en 1892. Bientôt, l’enseignement universitaire de cette période se trouva pleinement institutionnalisé. Un décompte réalisé à partir des enquêtes sur l’enseignement supérieur de la Revue d’histoire moderne et contemporaine révèle que quatorze universités françaises accueillirent entre 1900 et 1914 un cours d’histoire révolutionnaire (pour un total de quatre-vingt-treize cours publics ou conférences, dispensés par trente-huit professeurs), sans compter les enseignements du Collège de France, de l’Institut catholique de Paris ou de l’École libre des sciences politiques. Matière jusqu’alors exclue de l’enseignement supérieur républicain, la Révolution française devenait un objet d’études incontournable, ainsi que le signale le recensement des thèses de doctorat. Parmi les deux cent neuf thèses d’histoire soutenues entre 1895 et 1914 dans les facultés des Lettres29, nous comptons trente-six sujets d’histoire de la Révolution française (Empire exclu), soit plus de 17% de l’ensemble, auxquels s’ajoutaient trois thèses de l’École des Chartes, six thèses étrangères signalées dans les revues françaises, et trente-et-une thèses issues des Facultés de droit, de médecine, ou de la Faculté de théologie protestante.
Ces transformations de fond créaient ainsi une nouvelle dignité : celle de l’historien universitaire spécialiste de la Révolution française, en rupture avec le profil des générations précédentes d’écrivains ayant consacré quelque recherche à ce sujet – journalistes, ecclésiastiques, rentiers, hommes politiques ou hommes de lettres. Pour ces historiens « nouveau régime », l’enjeu consistait moins à prêcher la dévotion ou la rancœur envers 1789 qu’à généraliser une pratique de l’histoire donnée pour scientifique. Philippe Sagnac et Pierre Caron, fondateurs de la Revue d’histoire moderne et contemporaine, s’efforçaient de faire prévaloir les préceptes de l’érudition documentaire et de la critique méthodique dans l’étude de la période révolutionnaire et rejetaient au second plan les enjeux idéologiques au profit de l’orthodoxie scientifique. En parallèle, l’histoire de la Révolution prenait dès les années 1890 un tour nouveau : celui d’une histoire économique et sociale, sensible à la fiscalité révolutionnaire, à la vente des biens nationaux, aux conditions matérielles d’existence des classes rurales. La recherche délaissait de plus en plus les généralisations politiques et littéraires, au profit d’études érudites dont l’échelle locale et l’appareil statistique ne pouvaient manquer d’apparaître quelque peu ésotériques aux yeux du grand public.
La conséquence de ce mouvement ne fut pas tant un repli complet des historiens de la Révolution hors de la sphère politique, mais l’instauration d’une frontière relativement nette entre leurs activités militantes et leurs pratiques scientifiques. Les pages des revues s’abstenaient désormais de publier des prises de position sur les questions brûlantes du moment : l’autonomie de cet espace savant se mesurait à sa capacité à convertir ces controverses d’actualité dans les termes du champ30. L’essor de l’histoire sociale et économique de la Révolution résultait ainsi d’une retraduction savante de la « question sociale » et des enjeux soulevés par l’essor du socialisme. Ainsi s’explique aussi le fait qu’en dépit de l’engagement politique des historiens dans le cadre de l’Affaire Dreyfus (Alphonse Aulard, Albert Mathiez et Henri Sée, par exemple, furent actifs dans la Ligue des Droits de l’Homme31), La Révolution française ou la Revue d’histoire moderne et contemporaine n’aient pas fait référence aux déchirements en cours de la société française. Bien qu’éditée par la dreyfusarde Société nouvelle de librairie et d’édition32, la seconde revue se contenta d’ouvrir son premier numéro, en 1899, par un article évocateur : « Les Juifs et la Révolution française »33. Préoccupés par l’univers des pairs plutôt que par les horizons du grand public, par l’entre-soi des séminaires techniques plutôt que par les conférences généralistes, ces historiens délaissèrent également l’œuvre de démocratisation des savoirs, même si le cours public d’Aulard, en particulier, restait suivi par un auditoire conséquent.
Carte postale tirée de la série « Cours et conférences dans les facultés », début du XXe siècle.
Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, RBA 3 = 163-1, pièce 77.
Ils ne participèrent guère aux universités populaires, abandonnées à des acteurs extra-académiques au profil plus ouvertement militant, à commencer par l’historien libertaire James Guillaume34, dont nous sont parvenues des Causeries populaires sur la Révolution, sur le modèle inauguré par l’anarchiste individualiste Albert Libertad. Il n’est pas anodin non plus que l’œuvre historique pensée le plus ouvertement comme un support de démocratisation de l’histoire à destination des enseignants, des militants, voire du lectorat populaire, ait été l’Histoire socialiste de la Révolution française (1901-1903) de Jean Jaurès35. Les historiens universitaires, quant à eux, délaissèrent jusqu’à l’outil le plus efficace de diffusion historiographique que constituait la rédaction des manuels scolaires. Si Alphonse Aulard fut bien l’auteur en 1902 d’Éléments d’instruction civique à destination du cours moyen, les principaux manuels furent l’œuvre de professeurs de lycée ou d’inspecteurs généraux de l’Instruction publique extérieurs aux cercles spécialisés de la recherche historique savante.
Ces historiens universitaires, de sensibilité républicaine, voire socialisante, n’abdiquaient pas leurs convictions. Mais leur engagement tendit dès lors à prendre une forme qui nous est familière : celle d’une critique des méthodes fautives des vulgarisateurs de droite, censée invalider du même coup leurs conclusions politiques. La Société d’histoire moderne, créée en 1902 par l’historien de la Révolution Albert Mathiez, fut la tête de proue de cette entreprise critique qui visa notamment certains des historiens grand-public les plus en vue, tels les académiciens conservateurs Frédéric Masson et Albert Sorel, ou l’historien royaliste Frantz Funck-Brentano. Cependant, – et, à nouveau, ce fait n’est pas sans faire écho à notre propre actualité – ces critiques proférées au sein d’une société historique de cent cinquante membres ou dans les rubriques bibliographiques de revues diffusées à quelques centaines d’exemplaires pouvaient difficilement faire obstacle au succès croissant de la littérature incriminée, ainsi qu’en témoigne la longue carrière de G. Lenotre (nom de plume de Théodore Gosselin), l’un des représentants les plus éminents de l’histoire grand-public. Mêlant à des procédés dramaturgiques de composition une approche journalistique du passé, sensible aux mystères et aux faits-divers, ses écrits plaisants et faciles d’accès révélaient des épisodes curieux de l’époque révolutionnaire et faisaient revivre le monde perdu des élites d’Ancien Régime, ce qui leur valait auprès de la bourgeoisie lettrée un succès sans commune mesure avec celui des confidentielles recherches universitaires et contribuaient de la sorte à diffuser les représentations les plus conservatrices de la Révolution36.
Les attaques anti-intellectualistes et anti-démocratiques du tournant du siècle contre le tournant scientiste de l’Université ne firent que renforcer la visibilité de cette alternative historiographique au rationalisme républicain37. Il fallait donc un électrochoc de l’ampleur de la Grande Guerre pour reconnecter à nouveau les historiens universitaires avec le public, au moyen de parallèles présentistes et mobilisateurs entre l’histoire de la Révolution et l’actualité la plus immédiate.
L’effort patriotique des historiens en temps de guerre
La mobilisation des intellectuels au cours de la Première Guerre mondiale est un phénomène bien documenté38. Si l’histoire des conquêtes révolutionnaires et impériales représentait une matière propice à l’exercice de mobilisation des esprits et de justification du combat mené par la France, il n’était pas simple, pour des historiens attachés à leur autonomie vis-à-vis des autorités temporelles, de placer explicitement leur compétence savante au service de fins politiques et guerrières, d’autant plus qu’ils reprochaient à leurs homologues allemands leur soumission servile aux ambitions de l’État. Une tentative ambivalente de résolution de cette tension consista à surligner le contraste entre le patriotisme des intellectuels français, hérité de la Révolution de 1789, et le nationalisme des intellectuels d’outre-Rhin. Cette dichotomie n’est pas sans évoquer l’opposition tracée depuis lors entre « nationalisme ouvert » et « nationalisme fermé », entre un nationalisme d’origine républicaine, fondé sur les notions de civilisation, de souveraineté et de solidarité entre les peuples, et un nationalisme exclusif aux accents revanchards, xénophobes et paranoïaques39. Confirmant le caractère fondamentalement normatif de cette typologie classique des nationalismes40, l’historien Camille Bloch traçait en 1915 le tableau suivant devant la Société de l’histoire de la Révolution : « Là un patriotisme envahissant, dominateur : Deutschland über alles ; un patriotisme de proie, dont la formule vraiment complète serait : über alles und überall, au-dessus de tout et partout. […] Ici, c’est le patriotisme expansif, rayonnant, généreux, aimable, celui des héros de la Révolution »41.
Au-delà de ces proclamations grandiloquentes, la guerre offrait aux historiens français des moyens de placer effectivement leur compétence professionnelle au service de l’effort national. S’ils ne pouvaient le faire à la manière des sociologues durkheimiens, experts en politique industrielle et économique, dont Albert Thomas s’entoura au ministère des Armements et des fabrications de guerre42, il exista entre 1914-1918 une demande d’expertise historienne sur la question du Rhin et des frontières de la France, sanctionnée en 1917 par la fondation du « Comité d’études »43. Aux côtés de géographes et d’historiens de renom, les spécialistes de la Révolution Alphonse Aulard, Arthur Chuquet et Philippe Sagnac se réunissaient chaque semaine pour tracer un programme de sortie de guerre, notamment en matière frontalière. L’enjeu principal consistait à démontrer le caractère profondément français des régions rhénanes, en s’appuyant sur l’argument historique de leur accueil enthousiaste de la Révolution française, comme le développa notamment Sagnac dans son ouvrage sur Le Rhin français pendant la Révolution et l’Empire.
Si l’historiographie consacrée à l’engagement des intellectuels dans la Grande Guerre en a largement souligné les finalités politiques et militaires, il importe de replacer au centre de la réflexion les supports de diffusion de la littérature historique de ces années. L’un des modes privilégiés de propagation de ces positions historiques aux accents de propagande de guerre restait l’enseignement. Pour ces citoyens de l’arrière, la poursuite de leurs activités pédagogiques constituait un acte de résistance, une démonstration de ténacité et de résilience, ainsi qu’un acte patriotique. Comme le déclarait Alphonse Aulard en 1915 :
« L’enseignement universitaire prépare l’avenir par la formation de la jeunesse, relie le présent au passé par l’histoire, maintient ainsi et fortifie l’effort français, en même temps qu’il contribue aux progrès de la science, à l’amélioration générale de l’humanité. C’est donc faire œuvre éminemment française que de continuer à enseigner, dans ces circonstances de guerre, quand l’ennemi est à moins de cent kilomètres de nos portes »44.
Les universitaires s’efforcèrent donc de renouer avec le public élargi en suspendant les séminaires techniques (dépeuplés, en tout état de cause, par la mobilisation de la jeunesse étudiante) pour mieux concentrer leurs efforts sur les cours publics ouverts au plus grand nombre. En parallèle, les contenus d’enseignement étaient refondus dans un sens favorable aux comparaisons transhistoriques pouvant éclairer la guerre en cours. En écho à Charles Andler qui consacrait ses leçons aux Idées politiques en Allemagne au XIXe siècle, Édouard Jordan traita à la Sorbonne de L’Allemagne dans l’opinion des hommes au Moyen Âge, Ernest Denis disserta sur L’Allemagne depuis 1871 et Alphonse Aulard célébra Le patriotisme et la Révolution française45. De même, Albert Mathiez traitait en 1917, à l’Université de Besançon, « du statut des étrangers, de la mobilisation générale en l’an II, du régime des réquisitions, de la mobilisation des savants », sous l’intitulé on ne peut plus explicite des Problèmes de l’arrière sous la Révolution46.
Substituant des préoccupations éminemment actuelles aux enjeux techniques des enseignements d’avant-guerre, certaines leçons connurent une médiatisation sans précédent. Tel fut le cas de la conférence en Sorbonne du 7 mars 1915 dans laquelle Aulard développait la théorie des « deux Allemagnes ». Suivant une rhétorique classique des intellectuels républicains français, il dénonçait l’Allemagne mutilée par le militarisme prussien tout en préservant l’Allemagne philosophique et littéraire, et fustigeait l’État allemand sans prétendre viser à travers lui le peuple allemand. En traitant de La paix future d’après la Révolution française et Kant, Aulard relisait les Éléments métaphysiques de la doctrine du droit et l’essai Vers la paix perpétuelle comme une doctrine politique conforme aux principes qui avaient animé la Révolution française. Kant se voyait porté au rang de héraut de la liberté et de l’égalité civiles, de la séparation des pouvoirs, de la démocratie représentative et du gouvernement républicain, ainsi que d’un droit des gens appuyé sur une fédération d’États libres, ennemis de la guerre, de l’annexionnisme brutal et des armées permanentes. Ses écrits passaient donc, aux yeux d’Aulard, pour l’énoncé des vérités de la Révolution et un véritable « syllabus des erreurs et des crimes de l’actuelle Allemagne, de l’Allemagne prussianisée »47. Cette conférence connut un écho considérable : une dizaine de quotidiens politiques en firent la réclame, depuis les titres républicains les plus modérés (Le Petit Journal, Le Temps et Le Journal) jusqu’à la presse radicale et socialiste, Le Bonnet rouge profitant même de l’occasion pour solliciter auprès du professeur un entretien sur le même thème48.
On ne saurait en effet sous-estimer le rôle joué par la presse dans la diffusion de cette historiographie de guerre. L’un des moyens les plus sûrs de garantir une large propagation d’écrits historiques cherchant à stimuler l’ardeur des combattants consistait à écrire dans le Bulletin des armées de la République, comme le fit ce même Aulard dès novembre 1914, avec une version résumée d’un article donnant à ses contemporains des raisons d’espérer et de persévérer dans leur lutte, en comparant la situation de la France en 1914 à celle, autrement incertaine, de la défense nationale en 1792-179349.
Alphonse Aulard, « Raisons historiques de notre confiance », Bulletin des armées de la République, no 48, 25 novembre 1914, p. 4.
La grande presse restait cependant le mode privilégié de dissémination de ces écrits historiques. Cette redécouverte du journalisme historique, au sortir de plusieurs décennies de focalisation sur l’horizon des pairs, autorisait deux types d’interventions historiographiques. Le procédé le plus courant consistait à prendre pour point de départ et presque pour prétexte un événement de l’actualité du conflit pour dresser un parallèle historique avec la Révolution, sans proposer pour autant d’interprétation politique sur l’actualité. Ainsi, lorsque l’instituteur Maurice Dommanget, collaborateur d’Albert Mathiez, donnait des articles au Radical sur les méthodes inventées par la Révolution pour économiser la farine, le beurre et les œufs ou réguler la production et la distribution du pain, il ne prononçait pas de conclusion normative sur les débats parlementaires en cours relatifs à « la vie chère » ou aux cartes alimentaires50.
Tout autre était le geste historiographique consistant à placer au premier plan une prise de position sur un enjeu d’actualité, à la manière essayiste ou journalistique, en lui donnant un surcroît d’autorité au moyen de parallèles tirés de l’histoire de la Révolution. Albert Mathiez fut l’un des historiens les plus engagés dans cette fusion des écritures historique et journalistique51. Ne laissant aucun sujet de côté, des enjeux économiques aux questions frontalières, il recourut à l’exemplum révolutionnaire pour s’insurger contre la politique du secret entretenue par le gouvernement et l’état-major de son temps, réflexe propre selon lui « aux gouvernements despotiques qui ne puisent leur autorité que dans le mystère même dont ils s’environnent »52. Mathiez soutenait que les victoires de l’an II n’avaient pas été arrachées par l’entretien d’une politique du secret élaborée dans l’ombre de cabinets politiques et militaires, mais au contraire par un souci de transparence et d’interaction entre le peuple et l’armée placée, comme toutes les autorités, « sous la surveillance permanente de l’opinion »53. Mathiez fit aussi usage de l’expérience révolutionnaire pour condamner la politique de censure imposée au monde intellectuel (et notamment à ses propres écrits) en soutenant que la Convention et le Comité de Salut public, contrairement au gouvernement de 1914, avaient eu un authentique culte de la vérité qui leur interdisait de prétendre, « pour forcer la victoire, étendre sur la France le linceul du silence et du mystère, bâillonner toutes les bouches, contrôler toutes les plumes et décréter une vérité d’État »54.
Le cas de Mathiez illustre d’ailleurs les tensions qui résultaient de cette confusion des rôles, puisqu’il écrivait en 1916 dans une lettre à un confrère : « L’indignation m’a transformé en journaliste et, les jours où l’odieuse censure me le permet, je donne quelques avertissements à mes concitoyens »55. Le recours à cette idée de « transformation » traduit bien l’incertitude statutaire qui finit par atteindre ces historiens, à mesure que leurs pratiques d’écriture s’éloignaient du monde familier des cours universitaires et des revues spécialisées. Ce réinvestissement actif des espaces de diffusion de l’histoire à des fins présentistes se heurta cependant, au sortir de la guerre, à une offensive inédite des milieux historiens de la droite radicale, qui occupèrent bientôt le devant de la scène de l’histoire grand-public.
Guerres culturelles et reconquête du public
Les années de sortie de guerre furent une période critique pour la production intellectuelle et la recherche académique dans leur ensemble. À la disparition de cohortes entières de chercheurs et d’étudiants s’ajoutait une effroyable crise du papier, sur fond, dans le cas de la discipline historique, d’un certain tarissement des vocations56. Le 21 mars 1920, Camille Bloch dressait devant l’assemblée générale de la Société de l’histoire de la Révolution un tableau des plus sombres :
« Aujourd’hui la situation économique est défavorable à la production de l’esprit : l’activité des auteurs se heurte à la prudente inertie des éditeurs ; la disette de papier, les crises de main-d’œuvre sont les agents d’une stérilisation intellectuelle. […]
Ceux d’entre vous qui ont depuis longtemps coutume de suivre ces réunions se rappellent les années fécondes d’avant-guerre ; […] la guerre même ne fut pas aussi funeste que l’après-guerre »57.
Loin d’être purement conjoncturelle, cette crise eut des effets à moyen terme, puisqu’elle favorisa l’essor d’une production concurrente issue des rangs de la droite conservatrice ou radicale. L’entre-deux-guerres ne s’avéra, en effet, pas néfaste pour tous les historiens : bien au contraire, cette période marqua l’avènement des premiers best-sellers historiques, dépassant largement le plafond des tirages de la Belle Époque58. Nous pouvons ici évoquer les 160 000 unités de l’Histoire de France de Jacques Bainville produites entre 1924 et la Seconde Guerre mondiale59, ou les 340 000 exemplaires de La Révolution française de Pierre Gaxotte, deux auteurs qui occupaient une position centrale au sein des réseaux intellectuels et éditoriaux de l’Action française.
Les auteurs de ces best-sellers historiques appartenaient aux rangs de la vulgarisation extra-universitaire. Empruntant aux combats de l’Affaire Dreyfus la rhétorique victimaire de la droite, prompte à tonner contre la revendication du monopole de la vérité historique et de la figure d’intellectuel par la gauche républicaine60, ces historiens stigmatisaient l’« histoire officielle » et dépeignaient les universitaires comme de véritables intellectuels organiques du régime. Aussi cette historiographie ne doit-elle pas seulement être conçue à la manière d’une alter-histoire, mais bel et bien d’une contre-histoire, pratiquant et revendiquant une rupture délibérée avec les pratiques universitaires de l’histoire.
En matière de principes et de posture d’écriture, ces auteurs pensaient leur production comme une œuvre au service du public, au contraire de l’historiographie universitaire tournée vers les pairs. Les logiques de constitution des grandes collections éditoriales historiques de l’entre-deux-guerres se caractérisaient par une attention redoublée à la chronologie, aux grandes dates de l’histoire et à la biographie, signalant une intention de faire écho aux points de repère historiques du grand public. La collection « Récits d’autrefois » (Hachette) fit ainsi paraître trente volumes consacrés aux « grands événements » de l’histoire de France, dont un Dix-huit brumaire de Jacques Bainville en 1925, un Neuf thermidor de Louis Barthou en 1926 et une Proscription des Girondins de G. Lenotre en 1927. La collection « Figures du passé » (Hachette également), adoptait quant à elle une approche biographique : neuf de ses titres relevaient de l’histoire révolutionnaire, avec un Mirabeau de Louis Barthou en 1913, une Charlotte de Corday d’Albert-Émile Sorel en 1933, en passant par un Danton de Louis Madelin et un Charette de G. Lenotre en 1924. Ajoutons enfin que ces auteurs privilégiaient souvent les formes courtes, répondant au goût du lectorat pour la chronique journalistique, la « causerie » historique, mais aussi la nouvelle littéraire. Sur le plan de l’écriture, cette vulgarisation de l’histoire de la Révolution mettait l’accent sur le portrait et la mise en scène romancée ou théâtralisée des événements.
Ces ouvrages, enfin, diffusaient une vision de la Révolution française comprise entre le traditionalisme catholique et le royalisme ou le nationalisme intégral d’Action française. Le schéma fondamental, en ses grands axes, restait classique61 : ces auteurs se donnaient pour objectif « le renversement des Tables de la Loi du nouveau Sinaï révolutionnaire, la ruine de l’édifice idéologique élevé par le Contrat Social et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen »62. La Révolution française, dans la droite ligne de la Réforme et des philosophes, était accusée d’avoir interrompu l’âge d’or français, celui d’une société prospère et éclairée, ordonnée par l’Église et la monarchie, les corporations et les solidarités locales. Après 1917, ce traditionalisme se doubla d’un anticommunisme forcené, tout en multipliant les interprétations complotistes de la Révolution, sous la double influence des réseaux de la Revue internationale des sociétés secrètes et de l’apport théorique d’Augustin Cochin. Chartiste de formation, cet historien mort au front en 1916 légua aux érudits contre-révolutionnaires une importante théorie de la sociabilité démocratique révolutionnaire qui attribuait un rôle prépondérant aux loges maçonniques et autres « sociétés de pensée » dans la survenue et le développement de la Révolution française63.
Une lecture simpliste de ces conquêtes de la droite intellectuelle serait tentée d’en attribuer la responsabilité au public lui-même, du fait de ses penchants supposés pour une littérature plaisante et dénuée d’appareil scientifique, ou de sa perméabilité aux idées de la Contre-Révolution. En réalité, cette polarisation du marché résultait surtout des moyens de diffusion déployés par les auteurs de ce camp historiographique. L’Académie française joua ici un rôle fondamental par ses élections et ses prix décernés aux ouvrages historiques. Non contents d’accueillir parmi eux l’élite des historiens maurrassiens ou compagnons de route de l’Action française64, les académiciens accordaient par leurs récompenses annuelles une publicité et un surcroît de prestige à la haute vulgarisation historique conservatrice. La diffusion de cette lecture de l’histoire révolutionnaire s’appuyait de surcroît sur de puissants supports éditoriaux et institutionnels. L’Action française investissait de nombreuses collections historiques, notamment chez Fayard (« Les grandes études historiques », collection dirigée par Pierre Gaxotte) et Hachette (« L’histoire de France racontée à tous » et « Figures du passé », dirigées par Frantz Funck-Brentano)65. D’importantes revues intellectuelles se faisaient le relais de la droite catholique (Revue des Deux Mondes, Revue hebdomadaire) ou maurrassienne (Revue critique des idées et des livres, Revue universelle) et de l’érudition légitimiste (Revue des questions historiques)66. L’Institut d’Action française continuait en parallèle son œuvre, commencée au début du siècle, de popularisation des thèses historiques, littéraires et politiques maurrassiennes. Certaines institutions offraient enfin une plateforme pour la pratique des conférences historiques à destination de la bourgeoisie conservatrice, à commencer par la Société des conférences de l’académicien René Doumic ou l’Université des Annales dont la revue s’écoulait à 150 000 exemplaires. Les conférenciers les plus talentueux se voyaient même offrir l’occasion de diffuser leurs thèses à l’étranger : ainsi de Frantz Funck-Brentano, qui fit au cours des années 1920-1930 des tournées de conférences en Hollande, en Finlande, en Hongrie, en Irlande, aux États-Unis et au Canada67.
Du côté universitaire, la réplique finit par s’organiser, variant elle aussi les supports d’intervention et les publics visés. Du côté de la haute vulgarisation à destination du public bourgeois, le Centre d’Études de la Révolution française, créé à la Sorbonne en 1932, multiplia les conférences publiques à destination de l’élite républicaine et libérale des mondes littéraires, universitaires et diplomatiques. Sur le plan éditorial, les universitaires s’efforcèrent de rompre avec le régime d’érudition pure qui caractérisait nombre de travaux d’avant-guerre, pour tendre vers des approches plus générales, luttant contre le cloisonnement des savoirs et des spécialités. En écho aux Annales d’histoire économique et sociale de Marc Bloch et Lucien Febvre, inspirées par ce programme, l’entre-deux-guerres vit le lancement de collections universitaires au tirage conséquent, à commencer par les collections éditoriales « Bibliothèque de l’évolution de l’humanité » d’Henri Berr (La Renaissance du Livre) et « Peuples et civilisations » de Louis Halphen et Philippe Sagnac (Presses universitaires de France), dont les tirages de chaque volume avoisinaient les 5 000 exemplaires68. Un autre expédient de reconquête du public bourgeois fut le développement du « beau livre »69, à l’instar de La Révolution de 1789 publié en 1934 par Philippe Sagnac et Jean Robiquet, conservateur du Musée Carnavalet. Avec plus de 1 000 illustrations, dont une cinquantaine en couleurs, cet ouvrage s’adressait à un public large, mais aisé, puisque les deux volumes étaient mis en vente à 360 ou 500 francs selon le mode de paiement et l’impression. Cette publication fit l’objet d’une importante campagne promotionnelle sous la forme de prospectus de presse présentant l’ouvrage comme un « véritable musée de la Révolution ».
Prospectus pour La Révolution de 1789 de Philippe Sagnac et Jean Robiquet
Source : Marianne, 21 juin 1936, p. 22.
Cette stratégie contrastait avec les logiques alternatives de diffusion, plus populaires et porteuses d’ambitions politiques et de lectures historiques autrement radicales. Une tension se fit jour autour des projets concurrents d’exposition apparus dans les années 1920-1930. Du côté de la Bibliothèque nationale, une exposition de la Révolution française eut lieu en 1928, inaugurée par Alphonse Aulard et le compagnon de l’Action française, Franz Funck-Brentano.
Exposition de la Révolution françaises à la galerie Mazarine (1928)
Albert Mathiez, de sensibilité communiste bien qu’ayant quitté le Parti, s’insurgea contre cette exposition à visée commerciale, privilégiant le versant anecdotique de la Révolution et passant sous silence sa dimension populaire70. Une initiative plus conforme aux idées de Mathiez, décédé entre-temps, fut l’Exposition historique du socialisme en France organisée en 1937 par la SFIO dans la salle des fêtes de la mairie de Boulogne-Billancourt. La Révolution y figurait en bonne place, avec des mises en scène de « l’idée socialiste chez les philosophes », du « prolétariat dans la Révolution » et de la Conjuration des Égaux de 1796, une tentative de renversement du Directoire, menée par Gracchus Babeuf et porteuse d’un programme démocratique et social radical71. Une tension du même type se fit jour à l’occasion du cent-cinquantenaire de la Révolution française – dont les manifestations furent pour l’essentiel avortées en raison de la guerre. En 1939, les jeunes historiens communistes Albert Soboul et Pierre Vilar publièrent dans La Pensée une chronique dans laquelle ils soulignaient le contraste entre le « pittoresque » des expositions officielles organisées au musée Carnavalet et à l’Orangerie, étrangères à « la profondeur du mouvement qui secoua les masses »72 de 1789, et la conception muséographique du Musée de l’histoire vivante de Montreuil, résolument orientée en direction d’une histoire populaire et d’une mémoire communiste de la Révolution.
Ces références permettent de souligner le rôle du mouvement socialiste et communiste dans l’essor de la démocratisation de l’histoire de la Révolution, notamment par le biais des conférences populaires. L’équipe de la Société des études robespierristes avait déjà initié, dès le début des années 1920, des tournées de propagande historique dans les universités populaires, auprès des syndicats d’instituteurs, mais aussi, en 1921-1922, auprès de l’Union syndicale des techniciens de l’industrie, du commerce et de l’agriculture (USTICA).
Conférences robespierristes à l’USTICA (1921-1922)
Source : « Chronique. – Conférences sur la Révolution française », Annales révolutionnaires, vol. XIII, no 6, 1921, p. 523.
Annoncées dans l’Humanité, ces conférences furent l’occasion pour les grands noms des études révolutionnaires de porter à la connaissance d’un public de plus de 800 auditeurs les questions d’histoire économique, sociale et politique par lesquelles la Révolution de 1789 pouvait éclairer le temps présent. Au même moment, l’avocat Ernest Labrousse s’illustrait par son œuvre de conférencier dans les cercles communistes. Animateur de la rubrique « Semaine politique » dans le Bulletin communiste, il abordait la Révolution française dans ses articles donnés à l’Humanité et investissait les structures d’enseignement populaire communiste73. Le 9 novembre 1919, il intervenait dans le cadre de l’École socialiste marxiste sur le thème : « Comment la Révolution française fut une grande révolution sociale ». Au cours des années 1920-1923, Labrousse dona une quinzaine de conférences à l’École communiste marxiste, parlant par exemple, aux côtés de Charles Gide et Rappoport, de « La Révolution française et la dictature révolutionnaire »74.
C’est à la faveur du Front Populaire que certains historiens s’engagèrent plus résolument dans cette guerre politique et culturelle. En octobre 1938, l’Humanité annonçait une série de conférences organisées par le mouvement pacifiste et communisant Paix et Liberté en vue du cent-cinquantenaire de la Révolution : on y voyait figurer les noms d’Albert Soboul, mais aussi de Lucien Febvre et de Georges Lefebvre, qui parla de « La Révolution et les paysans »75. Au cours de cette année commémorative, Lefebvre intervint également en tant que conférencier à la Maison de la CGT pour exposer « Les principes de 1789 dans le monde contemporain », aux côtés des socialistes Georges Bourgin et Georges Michon, qui prirent la parole sur Flora Tristan, Louise Michel et le 14 juillet.
Dans une perspective politique analogue, on ne saurait manquer d’évoquer l’initiative de l’instituteur syndicaliste et communiste Antoine Richard. Docteur en 1926 avec une thèse sur Le gouvernement révolutionnaire dans les Basses-Pyrénées, il fit paraître en 1927, sous les auspices de la Fédération de l’Enseignement et aux éditions de l’École émancipée, une Nouvelle histoire de France destinée au cours moyen. Agrémenté d’extraits de Jaurès et de Mathiez, l’ouvrage portait une lecture de l’histoire conforme aux canons d’un matérialisme historique vulgarisé et abordait l’histoire de la Révolution et du XIXe siècle sous l’angle de la lutte des classes, tout en adjoignant à cette lecture un programme militant pacifiste76. Si la diffusion de ce manuel fut limitée en raison des réticences attendues des institutions publiques et des déchirements au sein de l’espace syndical, il s’agit de l’une des tentatives notables de reconquête idéologique appuyée sur l’histoire.
Par contraste, on ne peut que souligner le manque d’intérêt des historiens pour ces deux modes inédits de diffusion culturelle qu’étaient alors la radio et le cinéma. L’enseignement supérieur se montra assez rétif à la radiodiffusion des cours, notamment pour des motifs de rémunération assez proches des polémiques suscitées il y a quelques années par l’apparition de l’enregistrement des cours en vidéo. Si les cours de Mathiez sur la Terreur, en 1926-1927, furent radiodiffusés par l’École supérieure des PTT, nous n’avons identifié qu’une seule conférence radiodiffusée, celle de Georges Lefebvre sur les causes de la Révolution française (poste de Radio-Strasbourg, 1932)77.
« Radio-Œuvre », L’Œuvre, 11 janvier 1927, p. 6.
De même, le désintérêt des universitaires pour le cinéma fut tout à fait remarquable, si l’on excepte une poignée de notices critiques parues dans les revues savantes, dénonçant le traitement fantaisiste et d’inspiration contre-révolutionnaire de la Terreur dans ses mises à l’écran, notamment à propos des Deux Orphelines de David Wark Griffith (1921), fondateur de United Artists et célèbre pour son Naissance d’une nation (1915), monument raciste à la gloire du Ku Klux Klan78.
♦♦♦
L’offensive de la droite traditionaliste et du nationalisme intégral dans le domaine historique eut des effets idéologiques difficilement mesurables, mais ses principes de lecture du passé furent mis à l’ordre du jour de la « Révolution nationale ». Les historiens pétainistes bénéficiaient d’un ancrage à l’Académie française, de puissants supports éditoriaux et de relais politiques qui permirent l’épanouissement de leur lecture contre-révolutionnaire sous Vichy et jusque dans l’après-guerre, puisqu’ils évitèrent souvent l’Épuration et prirent même la tête des mouvements néo-pétainistes des années 195079. À moyen terme, on ne manquera pas de reconnaître dans certaines pratiques récentes de diffusion de l’histoire la « patte » des écritures à la fois anecdotiques, littéraires et favorables à l’Ancien Régime, voire nettement contre-révolutionnaires, qui surent séduire la bourgeoisie lettrée du tournant du siècle ou le public élargi de l’entre-deux-guerres80. Face à cette offensive, les spécialistes universitaires de la période révolutionnaire, dont l’orientation politique oscillait entre républicanisme modéré et socialisme, durent effectuer des arbitrages complexes entre production savante et démocratisation des savoirs, pour ne renouer avec les pratiques de diffusion qui avaient enthousiasmé les autodidactes de la décennie du centenaire que dans le contexte critique de l’entre-deux-guerres, le plus souvent dans des perspectives et des cadres militants.
Cette enquête confirme que les séductions des forces culturelles réactionnaires qui s’emparent de l’histoire dans l’espace médiatique ne sauraient être combattues par l’Université au moyen de postures sarcastiques ou de proclamations performatives dans l’intimité de l’entre-soi des pairs. Il en ressort également la nécessité d’une réflexion collective sur les non-dits disciplinaires des engagements publics historiens, dans un contexte où la pénurie des postes et l’état des polémiques relatives à l’Université favorisent au contraire, surtout chez ses agents les moins installés, une certaine prudence dans les interventions hors du champ et un repli sur la rassurante neutralité des discussions techniques. Sans populisme ni misérabilisme, il importe enfin de considérer le désamour du public élargi pour les écrits universitaires non comme une responsabilité de ce même public, mais comme le symptôme d’un échec ou d’une démission collective dans la définition et la mobilisation de supports de diffusion qui respecteraient simultanément les principes du champ de production culturelle et intellectuelle et les exigences d’un savoir véritablement démocratique.
Notes
1
Louis Halphen, L’Histoire en France depuis cent ans, Paris, Armand Colin, 1914, p. 172-173.
2
Bruno Auerbach, « Travail éditorial et marché du livre », in Étienne Anheim et Livia Foraison (dir.), L’Édition en sciences humaines et sociales. Enjeux et défis, Paris, Éd. l’EHESS, 2020, p. 29-37 ; Valérie Tesnière, « L’édition universitaire », in Henri-Jean Martin et Roger Chartier (dir.), Histoire de l’édition française. Tome 3. Le temps des éditeurs, du Romantisme à la Belle Époque, Paris, Promodis, 1985, p. 227.
3
Sur cette distinction : Pierre Bourdieu, « Le marché des biens symboliques », L’Année sociologique, 22, 1971, p. 54-55 ; Id. « Sur les rapports entre la sociologie et l’histoire en Allemagne et en France », Actes de la recherche en sciences sociales, no 106-107, 1995, p. 108-122.
4
Une synthèse récente figure dans James B. Gardner et Paula Hamilton (dir.), The Oxford Handbook of Public History, New York, Oxford University Press, 2017.
5
Pensons par exemple à l’Histoire mondiale de la France dirigée par Patrick Boucheron, traduite en plusieurs langues et imitée en Catalogne, en Flandre, en Italie et en Espagne.
6
Comme l’a bien observé Antoine Prost, même si nous n’irions pas jusqu’à dire que « le double marché a toujours existé », Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 1996, p. 48.
7
Voir par exemple William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, Les Historiens de garde. De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national, Paris, Inculte, 2013.
8
Christophe Prochasson, « Savoir ordinaires et savoirs savants chez les historiens. Alliances, concurrences et exclusions », in Bernard Walliser (dir.), La Distinction des savoirs, Paris, Éd. l’EHESS, 2015, p. 96.
9
Parmi la pléthorique bibliographie consacrée à l’historiographie de la Révolution, ne citons ici que deux ouvrages récents : Jean-Numa Ducange, La Révolution française et l’histoire du monde : deux siècles de débats historiques et politiques, 1815-1991, Paris, Armand Colin, 2014 ; Antonino de Francesco, La Guerre de deux cents ans. Une histoire des histoires de la Révolution française, Paris, Perrin, 2018.
10
George W. Stocking, “On the Limits of ‘Presentism’ and ‘Historicism’ in the Historiography of the Behavioral Sciences”, Race, Culture, and Evolution: Essays in the History of Anthropology, New York, Free Press, 1968, p. 1-12. Pour une discussion de ces notions dans le domaine des sciences de l’homme, voir Loïc Blondiaux et Nathalie Richard, « À quoi sert l’histoire des sciences de l’homme ? », in Claude Blanckaert, Loïc Blondiaux, Laurent Loty, Marc Renneville et Nathalie Richard (dir.), L’Histoire des sciences de l’homme. Trajectoires, enjeux et questions vives, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 109-130 ; David Armitage, “In Defense of Presentism,” in Darrin M. McMahon (dir.), History and Human Flourishing, Oxford, Oxford University Press, à paraître.
11
L’étude de référence reste ici Pascal Ory, Une nation pour mémoire. 1889, 1939, 1989, trois jubilés révolutionnaires, Paris, Presses de la FNSP, 1992.
12
Philip Nord, The Republican Moment: Struggles for Democracy in Nineteenth-Century France, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1995.
13
Hippolyte Carnot, « Unité de la Révolution française », La Révolution française, vol. I, no 1, 1881, p. 5.
14
Christophe Charle, « Le temps des hommes doubles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 39, no 1, 1992, p. 73-85.
15
Sur ces références, voir Christian Amalvi, L’Histoire pour tous : la vulgarisation historique en France d’Augustin Thierry à Ernest Lavisse (1814-1914), thèse de doctorat d’État en histoire, sous la dir. de Charles-Olivier Carbonell, Université Paul Valéry – Montpellier III, 1994, p. 92, 114-116, 667.
16
Henri de l’Épinois, « Les luttes intellectuelles et la Société bibliographique », Bulletin de la Société bibliographique, 6e année, no 9-10, septembre-octobre 1875, p. 189.
17
Gisèle Sapiro, La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (XIXème-XXIème siècle), Paris, Seuil, 2011, p. 57.
18
Loïc Artiaga, Des torrents de papier. Catholicisme et lectures populaires au XIXe siècle, Limoges, Presses de l’Université de Limoges, 2007.
19
Voir notamment Pierre Nora, « Ernest Lavisse : son rôle dans la formation du sentiment national », Revue historique, vol. 228, no 1, 1962, p. 73-106 ; Mona Ozouf, « L’idée républicaine et l’interprétation du passé national », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 53e année, no 6, 1998, p. 1075-1087 ; Évelyne Héry, Un siècle de leçons d’histoire. L’histoire enseignée au lycée, 1870-1970, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999.
20
Manuel de la Société bibliographique, Paris, Librairie de la Société bibliographique, 1887, p. 155.
21
Sur cette activité, qui n’a guère retenu l’attention de l’histoire intellectuelle : Alain Clavien et François Vallotton (dir.), “Devant le verre d’eau” : regards croisés sur la conférence comme vecteur de la vie intellectuelle, 1880-1950, Lausanne, Antipodes, 2007.
22
Dans la droite lignée des usages jésuitiques de la « lanterne magique » dès le XVIIe siècle, la Maison de la Bonne Presse, institution catholique d’évangélisation populaire, mettait des milliers d’appareils de projection et des centaines de milliers de vues sur verre à la disposition d’associations diocésaines de projectionnistes. Voir Notamment Isabelle Saint-Martin, « Usages religieux des projections lumineuses. 1890-1914 », in Jean-Jacques Tatin-Gourier (dir.), La Lanterne magique, pratiques et mise en écriture, Tours, Université de Tours, 1997, p. 74.
23
« La préparation du Centenaire. Projections lumineuses de vues sur la Révolution française », Le Centenaire de 1789. Organe des sociétés de Paris et des départements, no 4, 1er mars 1887, p. 61.
24
Catalogue du centenaire de 89. Vues sur verre pour projections lumineuses. Premier groupe : les débuts de la Révolution française, Paris, Imprimerie de la Ligue de l’Enseignement, s. d. [1889].
25
« Musée de la Révolution. – Exposition publique des collections particulières », Le Matin, mardi 4 décembre 1888, p. 2.
26
Sur ce processus, voir notamment la grande thèse de Charles-Olivier Carbonell, Histoire et historiens. Une mutation idéologique des historiens français (1865-1885), Toulouse, Privat, 1976.
27
Claudine Wolikow, « Centenaire dans le bicentenaire, 1891-1991 : Aulard et la transformation du cours en chaire d’histoire de la Révolution à la Sorbonne », Annales historiques de la Révolution française, no 286, 1991, p. 431-458.
28
Henri Hauser, « Souvenirs d’un vieux grand-père à sa petite-fille », in Séverine-Antigone Marin et Georges-Henri Soutou (dir.), Henri Hauser (1866-1946). Humaniste, historien, républicain, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 339.
29
Selon Olivier Dumoulin, Profession historien, 1919-1939 : un métier en crise ?, thèse de doctorat d’histoire sous la direction d’André Burguière, Paris, EHESS, 1983, p. 233.
30
Conformément à l’idée selon laquelle « le degré d’autonomie du champ peut se mesurer à l’importance de l’effet de retraduction ou de réfraction que sa logique spécifique impose aux influences ou aux commandes externes et à la transformation, voire la transfiguration, qu’il fait subir aux représentations religieuses ou politiques et aux contraintes des pouvoirs temporels », Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1998, p. 360 (souligné par l’auteur).
31
Notamment Madeleine Rebérioux, « Histoire, historiens et dreyfusisme », Revue historique, vol. 255, no 2, 1976, p. 407-432.
32
Cette société créée en août 1899 en vue du sauvetage financier de la librairie créée par Péguy, en mai 1898, a notamment édité l’Histoire sommaire de l’Affaire Dreyfus de Théodore Reinach et L’Affaire Dreyfus. Révision du procès de Rennes en 1904.
33
Philippe Sagnac, « Les Juifs et la Révolution française », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, vol. I, no 1, 1899-1900, p. 5-24.
35
Malgré son titre de docteur, plusieurs années d’exercice comme maître de conférences à la Faculté des Lettres de Toulouse et ses étroites collaborations avec certains historiens académiques de la Révolution, Jaurès devait, à cette date, être considéré comme un politique et non comme un universitaire. En 1898, la Faculté des Lettres de Paris répondit d’ailleurs par la négative à une sollicitation de Jaurès visant à professer en Sorbonne un cours libre sur les principes du socialisme : AN, AJ16 4748, f. 376-379.
36
Guillaume Mazeau, « La bataille du public. Les droites contre-révolutionnaires et la diffusion de l’histoire de la Révolution française au début du XXème siècle », in Sophie Wahnich (dir.), Histoire d’un trésor perdu. Transmettre la Révolution française, Paris, Les Prairies ordinaires, 2013, p. 345-367.
37
Notamment Claire Bompaire-Évesque, Un débat sur l’Université au temps de la Troisième République : la lutte contre la Nouvelle Sorbonne, Paris, Aux amateurs de livres, 1988 ; Gisèle Sapiro, « Défense et illustration de “l’honnête homme”. Les hommes de lettres contre la sociologie », Actes de la recherche en sciences sociales, no 153, 2003, p. 11-27.
38
Ne citons ici que Martha Hanna, The Mobilization of Intellect. French Scholars and Writers during the Great War, Cambridge, Harvard University Press, 1996 ; Wolfgang J. Mommsen (dir.), Kultur und Krieg: Die Rolle der Intellektuellen, Künstler und Schriftsteller im Ersten Weltkrieg, München, R. Oldenbourg, 1996 ; Christophe Prochasson et Anne Rasmussen, Au nom de la patrie. Les intellectuels et la Première Guerre mondiale, 1910-1919, Paris, La Découverte, 1996 ; Tomás Irish, The University at War, 1914-25. Britain, France, and the United States, Palgrave Macmillan, 2015.
39
Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, Seuil, 2014, p. 12. L’auteur n’ignore rien du risque qu’il y aurait à hypostasier ces deux attitudes entre lesquelles ont pu exister « des passages, des converges, voire des compromis » (ibidem, p. 13).
40
Rogers Brubaker, « The Manichean Myth: Rethinking the Distinction Between “Civic” and “Ethnic” Nationalism », in Hanspeter Kriesi, Klaus Armingeon, Hannes Siegrist et Andreas Wimmer (dir.), Nation and National Identity: The European Experience in Perspective, Zürich, Rüegger, 1999, p. 55-71.
41
« Société de l’histoire de la Révolution française. Assemblée générale annuelle », La Révolution française, vol. LXIX, no 2, 1916, p. 107-108.
42
Sur ces réseaux, voir entre autres travaux Christophe Prochasson, Les Intellectuels, le socialisme et la guerre 1900-1938, Paris, Seuil, 1993 et Adeline Blaszkiewicz-Maison, Albert Thomas. Le socialisme en guerre, 1914-1918, Rennes, PUR, 2016.
43
Voir notamment Peter Schöttler, « Le Rhin comme enjeu historiographique dans l’entre-deux-guerres. Vers une histoire des mentalités frontalières », Genèses, no 14, 1994, p. 63-82 ; Jacques Bariéty, « Le “Comité d’études” du Quai d’Orsay et la frontière rhénane (1917-1919) », in Christian Baechler et Carole Fink (dir.), L’Établissement des frontières en Europe après les deux guerres mondiales, Bern, Peter Lang, 1996, p. 251-262 ; Olivier Lowczyk, « L’historien et le diplomate en 1919 : l’usage des sciences historiques dans la négociation pour les frontières de la France », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 236, no 4, 2009, p. 27-44.
44
Alphonse Aulard, « Le cours d’histoire de la Révolution et la guerre actuelle », La Révolution française, vol. LXVIII, no 1, 1915, p. 5-6.
45
« Nouvelles universitaires. – Les cours publics », Revue universitaire, 24e année, premier tome, 1915, p. 191.
46
« Chronique. – Nouvelles », Annales révolutionnaires, vol. IX, no 1, 1917, p. 144.
47
Alphonse Aulard, « La paix future d’après la Révolution française et Kant », La Révolution française, vol. LXVIII, no 2, 1915, p. 97-120. Voir à ce propos Martha Hanna, « Contre Kant et la Kultur. La critique culturelle de l’Action française pendant la Grande Guerre », in Olivier Dard, Michel Leymarie et Neil McWilliam (dir.), Le Maurrassisme et la culture. L’Action française. Culture, société, politique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010, vol. III, p. 121-130.
48
« La Révolution et la guerre. Une interview de M. Aulard », Le Bonnet rouge, 9 mars 1915, p. 1.
49
Alphonse Aulard, « Raisons historiques de notre confiance », La Guerre actuelle commentée par l’histoire, Paris, Payot, 1916, p. 1-4.
50
Maurice Dommanget, « La suppression de la pâtisserie dans l’Oise en l’an II », Le Radical, samedi 12 mai 1917, p. 2 ; « Les restrictions. – La carte de pain à Beauvais en l’an II », Le Radical, mardi 15 mai 1917, p. 1.
51
James Friguglietti, « Albert Mathiez, an Historian at War », French Historical Studies, vol. 7, no 4, 1972, p. 570-586.
52
Albert Mathiez, « La politique du secret à la Convention nationale », Le Rappel, samedi 26 février 1916, p. 1.
53
Albert Mathiez, « Si nous étions sous la Convention… », Le Rappel, vendredi 4 février 1916, p. 1.
54
« Assemblée générale de la Société des Études Robespierristes », Annales révolutionnaires, vol. VIII, no 4, 1916, p. 578.
55
Cité dans James Friguglietti, Albert Mathiez, historien révolutionnaire (1874-1932), Paris, Société des Études Robespierristes, 1974, p. 129.
56
Sur ce dernier point : Olivier Dumoulin, Profession historien, 1919-1939 : un métier en crise ?, thèse de doctorat d’histoire sous la direction d’André Burguière, Paris, EHESS, 1983.
57
« Société de l’histoire de la Révolution française. Assemblée générale annuelle », La Révolution française, vol. LXXIII, no 1, 1920, p. 7.
58
Sur l’édition historique : Jean-François Bonhoure, « Le commerce du passé. Éditeurs et historiens en France, de l’entre-deux-guerres à l’après-guerre », Hypothèses, no 20, 2017, p. 143-156.
59
William R. Keylor, Jacques Bainville and the Renaissance of Royalist History in Twentieth-Century France, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1979, p. 327.
60
Sarah Shurts, Resentment and the Right: French Intellectual Identity Reimagined, 1898-2000, Newark, University of Delaware Press, 2017.
61
Voir Olivier Dumoulin, « Histoire et historiens de droite », in Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France. Tome 2 : Cultures, Paris, Gallimard, 1992, p. 327-398 ; Philippe Boutry, « L’Action française, la Révolution et la Restauration », in Michel Leymarie et Jacques Prévotat (dir.), L’Action française. Culture, société, politique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2008, p. 25-59.
62
Jean Terral, « Nos maîtres. Léon de Montesquiou – Un enseignement positif », Cours et conférences d’Action française, 3e année, no 1, juin 1925, p. 254.
63
Fred E. Schrader, Augustin Cochin et la République française, Paris, Seuil, 1992.
64
Avec Henry Bordeaux en 1919, Louis Bertrand en 1925, Charles Le Goffic en 1930, Claude Farrère, le trio Jacques Bainville et André Bellessort en 1935, et jusqu’à Maurras lui-même qui, après avoir connu un premier échec en 1924, fut élu en 1938.
65
Stephen Wilson, « A View of the Past: Action Française Historiography and Its Socio-Political Function », The Historical Journal, vol. 19, no 1, 1976, p. 136.
66
Olivier Corpet, « La revue », in Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France. Tome 2 : Cultures, Paris, Gallimard, 1992, en particulier p. 166-180.
67
Robert Barroux, « Frantz Funck-Brentano », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. CVII, no 1, 1947-1948, p. 175, et série de lettres de Frantz Funck-Brentano à Louis Madelin, dans AN, 355AP 3.
68
Valérie Tesnière, « L’histoire aux éditions Alcan (1874-1939) », Vingtième Siècle, no 28, 1990, p. 25.
69
Antoine Coron, « Livres de luxe », in Roger Chartier et Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l’édition française. Tome 4 : Le livre concurrencé, 1900-1950, Paris, Promodis, 1985, p. 409-437.
70
Albert Mathiez, « L’Exposition de la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, vol. V, no 2, 1928, p. 166-167.
71
Le programme de l’exposition figure dans un fascicule conservé dans le fonds Dommanget : AN, 14AS 313.
72
Albert Soboul et Pierre Vilar, « La Révolution française vue à travers les expositions historiques », La Pensée, 1ère année, no 2, 1939, p. 109, 111, 112.
73
À ce propos : Danielle Tartakowsky, « Un instrument de culture politique : les premières écoles centrales du Parti communiste français », Le Mouvement social, no 91, 1975, p. 79-108.
74
« La vie économique et sociale », L’Humanité, 9 novembre 1919, p. 4 ; nouvelle annonce sous le même intitulé le 4 novembre 1920, p. 4 ; puis le 2 mai 1922, p. 3 ; puis le 11 décembre 1923, p. 4.
75
« Cours populaires sur l’histoire de la Révolution française. Organisé par le mouvement Paix et Liberté », L’Humanité, 24 octobre 1938, p. 7.
76
Nouvelle histoire de France par un groupe de professeurs et instituteurs de la Fédération de l’enseignement, Malakoff, Éditions de l’École émancipée, 1927, p. 225 et 335.
77
« Chronique. – La Révolution française et la T.S.F. », Annales historiques de la Révolution française, vol. IX, no 4, 1932, p. 380.
78
Alphonse Aulard, Études et leçons sur la Révolution française, Paris, Félix Alcan, vol. IX, 1924, p. 186-187.
79
Tanguy L’Aminot, « La Révolution française vue par les collaborateurs. 1940-1944 », in Michel Vovelle (dir.), L’image de la Révolution française. Communications présentées lors du Congrès Mondial pour le Bicentenaire de la Révolution, Oxford-Paris-New York, Pergamon Press, 1989, vol. III, p. 1643-1651.
80
Sur la filiation de G. Lenotre à Alain Decaux, par exemple, voir « Alain Decaux raconte… Alain Decaux. Entretien avec Pierre Nora », Le Débat, no 30, 1984, p. 45-80.