La sémantique historique : problèmes théoriques et pratiques de recherche
Professeur

(University of Bielefeld - Faculty of History, Philosophy and Theology)

Né en 1957, Willibald Steinmetz est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bielefeld où il fut l’élève de Reinhart Koselleck. Découvrant son séminaire – Koselleck étudiait alors le concept de « Révolution » –, il prit goût à l’histoire conceptuelle et à la sémantique historique. Pour sa thèse, Koselleck lui suggéra de travailler sur l’Angleterre (comme il l’avait fait pour sa propre thèse).   

Prenant comme sources les débats du Parlement anglais, il étudia les transformations de l’espace politique entre 1780 et 1867. Depuis lors, s’il s’est donné d’autres objets d’étude pris dans le champ de l’histoire politique et sociale et s’il a ajouté la dimension comparative à son questionnaire, l’orientation initiale s’est maintenue. Il s’agit toujours de mobiliser les ressources de l’histoire conceptuelle, d’abord mise au point par Koselleck, mais d’une histoire conceptuelle repensée et élargie.

En témoignent plusieurs livres collectifs publiés avec Heinz-Gerhard Haupt, Javier Fernandez Sebastian, Michael Freeden, Jörn Leonard. Mal connue et peu pratiquée en France (où elle passe toujours pour une forme d’histoire des idées qui n’ose pas dire son nom), l’histoire conceptuelle est devenue ces dernières années un chantier international très actif, notamment dans le monde ibéro-américain et maintenant à l’échelle de l’Europe. En 2017, une collection a été créée chez Berghahn se donnant pour objet une European Conceptual History et le premier volume publié, dont Steinmetz est un des trois éditeurs, a pour titre Conceptual History in the European Space : sorte de manifeste en faveur de cette approche et réflexion sur ses conditions de possibilité, ses complexités et ses apports possibles.  L’article de Willibald Steinmetz qui suit appartient à cet espace de réflexion et il donne une première idée de la façon rigoureuse et précise dont il convoque et enrichit la sémantique historique.  

 

François Hartog  

Dans le cadre d’une réflexion que j’ai tenté de développer ces dernières années sur la sémantique historique comme discipline de l’histoire1, je voudrais évoquer quelques problèmes d’analyse importants qui sont loin d’avoir trouvé une solution satisfaisante. Si ces problèmes sont d’un abord difficile pour tous ceux qui pratiquent l’histoire sémantique de mots ou de vocabulaires précis, ils le sont encore davantage pour ceux qui s’engagent dans l’étude d’ensembles discursifs plus vastes.

Un premier problème central de la sémantique historique est celui du statut de la « realité » extra-linguistique dans nos récits. Il s’agit de savoir comment, en tant qu’historiens, nous devrions conceptualiser une « réalité » passée extra-linguistique par rapport à une réalité que les contemporains des époques passées ont constituée eux-mêmes à travers leurs échanges linguistiques. Comment imaginer cette « réalité » passée extra-linguistique, comment imaginer son rapport avec les espaces de communication créés par le langage  – et les autres systèmes signifiants – des contemporains ? Autrement dit, s’il est vrai – et sur ce point la plupart des chercheurs en sciences humaines semblent s’accorder – que les faits sociaux auxquels nous avons affaire, et même certaines données « physiques » comme le corps ou les maladies, n’ont de réalité que dans la mesure où ils ont été désignés préalablement et conçus par le langage, s’il est vrai alors que l’univers social et physique que nous habitons est le produit de nos discours, et si on peut supposer que c’était aussi le cas dans les époques passées, comment peut-on affirmer que tel ou tel phénomène du passé, dont les contemporains n’avaient aucune idée et à propos duquel ils ne disposaient ni de mots ni d’images pour le désigner, avait pour eux une réalité ? Comment peut-on attribuer un caractère de facteur historique à ce genre de phénomènes ? Et, si l’on pense avoir de bonnes raisons pour le faire, comment faut-il conceptualiser la relation entre cette « réalité » reconstruite ex post par l’historien, et la réalité sociale et physique construite ou décrite par les contemporains ?

Un deuxième problème qui, pour être plus élémentaire, n’en pose pas moins une difficulté considérable pour tous les praticiens de la sémantique historique ou de l’analyse historique des discours, est celui du modèle, ou plutôt des modèles, dont nous nous servons pour expliquer des changements sémantiques, c’est-à-dire des changements soit dans la signification d’un mot en particulier, soit dans l’interrelation des mots faisant partie d’un même champ sémantique ou d’un ensemble de discours. La plupart des historiens sont satisfaits ne serait-ce que de parvenir à identifier l’existence et la direction générale de ces changements. Ils voient comme une découverte le fait de pouvoir montrer qu’à tel ou tel moment dans l’histoire un certain mot a acquis un nouveau sens ou a changé de position dans son champ sémantique, ou même qu’il y a eu, dans une période définie – la fameuse Sattelzeit de Reinhart Koselleck par exemple – des changements dans la manière générale d’utiliser certains mots clés. Il reste toujours à expliquer comment et pourquoi ces innovations sémantiques ont eu lieu, comment et pourquoi elles ont réussi à s’imposer pour devenir partie d’un discours hégémonique, comment et pourquoi elles ont parfois disparu sans laisser une trace dans le langage actuel.

Un troisième problème est celui de la traductibilité ou de l’intraductibilité des concepts entre plusieurs langues. Ce problème a occupé les philosophes du langage pendant des siècles, depuis l’Antiquité, d’Isidore de Séville jusqu’à Leibniz et Wilhelm von Humboldt et, plus récemment en France, Barbara Cassin et son groupe de chercheurs avec le Dictionnaire des intraduisibles2. Bien qu’il soit intéressant de retracer l’histoire des différentes réponses données par les philosophes à ce problème, la question que je me pose est bien plus modeste : il s’agit de savoir ce que nous faisons ou devrions faire en tant qu’historiens lorsque nous comparons les changements de sens de certains mots ou manières de parler dans différentes langues. Comment une sémantique historique comparée est-elle concevable étant donné le fait que les chercheurs eux-mêmes appartiennent à différentes communautés linguistiques et, dans cette mesure, à différents univers conceptuels, et qu’ils ne disposent pas d’un métalangage commun qui leur permettrait de se mettre d’accord sur les différences sémantiques qui séparent leurs langues ?

L’intégration narrative des réalités extra-linguistiques

Envisageons d’abord le rapport entre la « réalité » extra-linguistique reconstruite par l’historien et la réalité telle qu’elle se conçoit dans le langage des contemporains eux-mêmes. Mon intérêt pour ce problème est lié au besoin que nous avons, en tant qu’historiens ayant intégré les propositions fondamentales du linguistic turn, d’accepter l’idée que certaines « réalités » historiques ont existé indépendamment du langage des contemporains. Nombre d’historiens insistent sur le fait que l’usage contrôlé des sources matérielles – les textes ou artefacts de toutes sortes – permet de reconstruire certaines « réalités » historiques, comme les changements démographiques de long terme, la circulation des biens, la diffusion des bactéries, ou les transformations du système de production, dont les contemporains n’avaient pas la moindre idée ou dont les termes manquaient pour être décrits. Les historiens ont pourtant tendance à penser que de telles reconstructions se rapportent à quelque chose ayant « réellement » existé dans le passé, même s’ils sont attentifs au fait d’être liés par leur propre appareil linguistique et conceptuel lorsqu’ils s’engagent dans la reconstruction de tels processus ou structures.

Reinhart Koselleck a toujours insisté sur ce point. Dans son échange avec le philosophe Hans-Georg Gadamer, il affirmait en effet qu’« écrire l’histoire d’une période implique de restituer toute une série de faits qui, dans la période considérée, ne pouvaient pas être nommés3». Et l’une des premières avancées de la Begriffsgeschichte koselleckienne a été précisément de prendre la mesure du décalage entre les changements structurels reconstruits par l’historien d’une part, et leur enregistrement dans le langage, qui s’effectue souvent avec un temps de latence, ou leur conceptualisation d’autre part. Koselleck prenait par ailleurs en compte les phénomènes d’anticipation langagière, de sprachliche Vorgriffe, c’est-à-dire de concepts renvoyant à un fait se réalisant dans le futur, mais cela, si l’on suit Koselleck lui-même et d’autres historiens des concepts, reste plutôt un cas de figure exceptionnel en dépit de plusieurs contre-exemples depuis la fin du XVIIIe siècle. Le cas habituel, même pendant et après la Sattelzeit, semble en définitive être celui où les changements structurels précèdent l’élaboration de sémantiques correspondantes.

Plutôt que de poursuivre une exégèse de Reinhart Koselleck, je préfère mettre en doute empiriquement l’idée que les historiens ont tout dit de la relation entre le langage et la prétendue « réalité » historique. Nous devons sans doute gagner en précision terminologique lorsque nous cherchons à décrire exactement ce que nous avons à l’esprit en parlant de ces « structures » auxquelles nous assignons un statut de réalité antérieure ou indépendante par rapport au langage. Cette précision peut en effet s’avérer utile, c’est pourquoi j’y consacre un développement spécifique.

Les structures sociales

Nous devrions distinguer, au moins dans un but heuristique, deux sortes de « structures ». D’une part les structures, que j’appellerais des « structures sociales », qui, pour devenir effectives, requièrent nécessairement l’intervention parallèle du langage, entendu au sens le plus large possible, y compris les systèmes de signes non-verbaux. De ce point de vue, la relation entre ces « structures sociales » et la sémantique correspondante ne peut être conçue qu’en tant que constitution mutuelle et co-évolutive4. D’autre part, les structures que j’appellerais provisoirement, faute de mieux, des « constellations ». Celles-ci conditionnent le cours des évènements pour la seule raison qu’elles sont « là » à un certain moment, indépendamment du fait qu’elles soient verbalisées ou non.

Avant d’expliquer ces distinctions terminologiques et la modélisation des relations entre la sémantique, les structures sociales et les constellations, je souhaiterais dire quelques mots à propos du terme « structure5». Ce terme a accédé au rang de concept au sein des sciences humaines depuis les années 1920-1930. Il est apparu presque simultanément en linguistique et en anthropologie sociale, puis il s’est rapidement diffusé au sein d’autres disciplines et, parmi celles-ci, en histoire, comme en Allemagne avec la Strukturgeschichte. On utilise généralement le terme « structure » en linguistique pour saisir un tissu de relations entre plusieurs éléments, et les linguistes, plus que d’autres, sont toujours restés attentifs au fait que les structures qu’ils décrivent sont des modèles construits par l’observateur, et non quelque chose d’inhérent au langage. De même, Claude Lévi-Strauss affirme que « la notion de structure sociale ne se rapporte pas à la réalité empirique, mais aux modèles construits d’après celle-ci6». Cependant, dans d’autres disciplines, notamment au sein de l’histoire sociale des années 1960 et 1970, le terme « structures » a été fréquemment utilisé dans une perspective essentialiste pour désigner des phénomènes supra-individuels et de longue durée que les acteurs historiques éprouvent parallèlement comme des contraintes. La tendance à réifier de telles structures pouvait s’autoriser d’un recours implicite ou explicite à la tradition marxiste, et notamment à la préface de la Critique de l’économie politique (1859) qui présente la « structure économique des sociétés » comme une « base réelle » à la fois incarnée et déformée par les superstructures juridique, politique et idéologique. La notion de « structures » pensées par les historiens comme réelles, et dont la sémantique constituerait le reflet le plus adéquat, est sans aucun doute le legs de cette puissante imagerie marxiste.

Or, il me semble qu’aujourd’hui, après le « tournant linguistique », après les défis qu’ont pu représenter le constructivisme et la réintroduction de la capacité d’action individualisée dans l’histoire sociale7, une grande part des historiens s’accordent sur une autre définition des structures sociales. Les classes sociales, les institutions, les organisations et les États nationaux, sont désormais pensés comme des schémas d’action (et de communication), assortis non seulement de contraintes mais aussi de forces d’entraînement, et comme des phénomènes répétitifs modifiés par des variations. De ce point de vue, la « réalité » des structures sociales peut être ressaisie dans des actes de répétition ou de modification par lesquels elle se réactualise. Il est entendu que les modèles identifiés par l’historien, le sociologue ou tout autre acteur, sont construits par l’observateur. Pourtant, ces modèles, qu’ils soient « savants » ou « ordinaires », peuvent engendrer eux-mêmes une forme de stabilité sociale, du moins s’ils fonctionnent comme des schémas d’action ou d’anticipation de l’action et s’ils sont condensés dans des formes de discours (ou dans une « sémantique » au sens de Niklas Luhmann) suffisamment pérennes.

Les sémantiques

Il me faut également lever quelques ambiguïtés concernant le terme de « sémantique ». Je l’utilise ici non pas au sens de discipline académique, mais plutôt au sens luhmannien de manières de dire et d’écrire temporairement stables8. Ces sémantiques peuvent, dans certains cas, être institutionnalisées et ritualisées. C’est ce que certains auteurs comme John Pocock appellent volontiers, mais de manière plus vague, « discours » ou « langages9». Les sémantiques se définissent dès lors plus ou moins dans la même perspective que les « structures sociales ». J’irais plus loin en affirmant qu’une sémantique n’est jamais qu’une sorte de structure sociale qu’il faut analyser en tant que telle. Comme les structures sociales, les sémantiques sont composées d’actes individuels (ici, des actes de langage) ; comme les structures sociales, elles constituent à la fois des contraintes et des forces motrices pour les acteurs ; et comme les structures sociales, elles se reproduisent par des processus de répétition et connaissent des variations qui sont souvent des altérations imperceptibles pour les acteurs. Les changements sémantiques sont plutôt lents, et le fait que de telles altérations ne soient pas habituellement relevées ou reconnues s’explique par le rapport pratique des acteurs au langage. Leur ambition est en effet d’être compris en se conformant non seulement aux règles de langage solidaires du système linguistique – comme, par exemple, les règles grammaticales – mais aussi aux conventions discursives auxquelles ils sont accoutumés et dont ils pensent qu’elles constituent un cadre adéquat pour leurs destinataires. Les sémantiques disponibles contraignent ainsi les acteurs même s’ils ne sont jamais complètement déterminés par elles : il existe toujours un espace pour composer.

Relations entres structures sociales et sémantiques

Les sémantiques, au sens que je viens de définir, fondées sur des actes de langages, et les autres structures sociales reposant principalement ou exclusivement sur des actes non-verbaux, sont reliées sous des modalités diverses. Dans certains cas, leur relation s’inscrit dans une dynamique de constitution et d’évolution mutuelle. Ainsi, les structures sociales – les rôles et institutions au sein de la sphère politique par exemple – ne peuvent pas être détachées des sémantiques par lesquelles elles sont en permanence attestées, justifiées, contestées et parfois modifiées. Et les sémantiques ne peuvent pas être séparées des institutions qui en sont le cadre et qui leur confèrent une crédibilité.

On peut dire la même chose des différentes structures sociales au sein de la société ou de la structure de la société dans son ensemble. Les groupes sociaux, les classes et communautés, tout autant que les relations qu’ils entretiennent entre eux, sont en permanence reproduits ou remaniés par des actes linguistiques ou symboliques d’auto- ou d’hétéro-désignation. Chaque acte suppose à la fois le fait de désigner quelque chose ou quelqu’un par des noms propres, par des categories comme la « classe », la « nation », la « race », etc., ou par des signes identificatoires, la stigmatisation présentant l’exemple le plus extrême et le plus violent. Pour cette raison, les sémantiques de la description sociale ne peuvent pas être analysées comme un reflet d’une structure donnée de la société. Elles sont plutôt une part essentielle, active, non séparable de celle-ci.

Considérer le problème sous cet angle n’est pas sans conséquence sur l’écriture de l’histoire sociale. À moins de pouvoir montrer que les groupes, les classes ou les communautés ont été constitués linguistiquement ou symboliquement par les contemporains, il devient en effet impossible de les présenter comme des acteurs sociaux. Il est toutefois toujours possible d’identifier des caractéristiques, des modèles d’action ou des habitus communs à différents collectifs, bien que leurs membres ne se soient pas considérés comme un groupe. Il faut être dans ce cas extrêmement prudent si l’on souhaite attribuer à ce groupe la qualité d’entité sociale agissante.

Les « constellations »

Ayant jusqu’ici décrit la relation entre sémantiques et structures sociales comme une constitution mutuelle, ou une co-évolution, il me reste à expliquer la manière dont les « constellations » s’insèrent dans ce tableau. Dans chaque situation historique il existe des facteurs, qu’ils soient reconnus comme tels ou non, qui ont un impact sur le changement sémantique et social par le seul fait d’être « là ». C’est la raison pour laquelle les historiens ont besoin d’un terme spécifique renvoyant à un en-deçà de la sphère d’interactions entre sémantiques et structure sociales. On peut dire en synthétisant que ces facteurs, pris ensemble, sont les pré-conditions spatiales, temporelles, matérielles, techniques (elles-mêmes historiquement variables) de toute communication à un moment donné. En d’autres termes, les constellations sont des formes de distribution dans le temps et l’espace des personnes, des ressources, des biens matériels, des objets, des technologies et des systèmes de communication et d’information. Ces formes, ou constellations, du fait de leur seule présence, produisent des effets en conditionnant le succès de certains actes (langagiers ou non) et en les rendant possibles ou impossibles, plausibles ou moins plausibles.

Ainsi, la répartition des humains dans l’espace, la densité de la population, ont un impact décisif sur les possibilités de contact ordinaire entre divers petits groupes de personnes et permettent (ou empêchent) ces groupes de former des entités sociales plus larges. Et cela sans considération de la voie par laquelle ces groupes parlent, agissent et pensent par eux-mêmes. La densité de la population à un moment déterminé fait partie de ce que j’appelle « constellations ». On peut appliquer la même réflexion aux infrastructures techniques, informatives et communicationnelles disponibles à différents moments du temps.

Ces infrastructures ont évidemment un effet considérable notamment dans le domaine politique sur les moyens par lesquels les acteurs peuvent agir et sur la probabilité d’agir ou de parler avec succès. Les conditions de possibilité de l’action peuvent être liées, par exemple, à la disponibilité de certains médias, à la vitesse à laquelle un message voyage d’un point à un autre, à l’espace possible de diffusion des actes de langage, ou aux modes d’objectivation (par l’écrit, les livres, les archives, etc.) et de transmission de l’information : oralement et en face à face, ou par l’écrit (les journaux) mais avec un temps de décalage, ou encore oralement à une large échelle (la radio), ou visuellement et oralement à une échelle également importante (la télévision), ou encore visuellement et oralement à travers le monde par les technologies numériques. Tous ces moyens et ces formes de communication ont des effets sur le cours particulier des évènements, mais aussi sur les structures sociales de la sphère politique et la signification des actes de langage politiques.

Il y a ainsi une différence considérable, pour des acteurs politiques situés à l’intérieur ou à l’extérieur d’une arène de décision – des assemblées représentatives par exemple – selon que l’infrastructure de communication rend possible un flux continu de messages durant le processus de décision ou que, au contraire, comme on le voit dans le cas du parlement britannique au XVIIIe siècle, les décisions sont prises avant d’être communiquées ensuite à l’extérieur. Il est évident que les transformations de telles constellations au sein de la sphère publique, comme cela est arrivé en Grande-Bretagne entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, ont des conséquences profondes sur la probabilité du succès des mouvements politiques, et plus généralement sur les acteurs et les stratégies qu’ils développent10.

Un processus de constitution mutuelle

Ces jalons sont certainement suffisants pour comprendre à la fois la nécessité de différencier sémantiques et structures sociales d’une part, les effets de contrainte ou de libération liés à l’existence des « constellations » d’autre part, et enfin la manière dont sémantique, structures sociales et constellations s’articulent dans les processus de changement. L’exemple du processus de « démocratisation » au XIXsiècle en Europe me permettra d’être un peu plus concret sur ce dernier point.

Certains propos d’Alexis de Tocqueville, comme d’autres publicistes du XIXe siècle, sont susceptibles de servir ma démonstration.

Dans De la démocratie en Amérique (1835-40), Tocqueville consacre un chapitre aux modalités par lesquelles la démocratie américaine a modifié la langue anglaise11. Partant d’observations sur le cas américain, il déclare que les orateurs et les écrivains en démocratie ont tendance à préférer des mots génériques et abstraits et à les incarner ensuite comme des individualités en les mettant grammaticalement en position de sujets. Il explique dans un premier temps cette tendance par des raisons d’« économie linguistique » (par exemple l’usage des abréviations), qu’il met en relation avec l’esprit des affaires américain. Mais il avance une autre explication liée à des facteurs politiques. En démocratie, estime-t-il, il y aurait un besoin fort de garder les situations ouvertes, et cela impliquerait que les significations du vocabulaire politique soient également aussi ouvertes que possible, permettant de cette manière aux hommes politiques de suivre des options variées, d’affirmer puis d’infirmer quelque chose sans se contredire de façon trop manifeste. Tocqueville défend ainsi l’idée que la démocratisation aboutit à un plus haut degré d’abstraction dans le langage politique et à une extension des significations possibles des termes politiques clés. Il ajoute que cette tendance à utiliser des mots abstraits et génériques a aussi pour conséquence de contourner certains problèmes liés, par exemple, aux différences régionales ou aux particularités historiques. L’abstraction sémantique croissante aurait dès lors permis l’émergence de l’idée de « traitement égal », essentiel aux démocraties.

Les découvertes de certains auteurs contemporains infléchissent et complètent, d’un autre point de vue, ces observations. Reinhart Koselleck affirme ainsi que depuis la Révolution française, les concepts d’avenir (Zukunftsbegriffe) et les concepts de rassemblement et de mouvement (Sammlungs- und Bewegungsbegriffe) qui se développaient alors « ont servi à classifier et à mobiliser d’une manière nouvelle les masses dissociées de leurs liens corporatifs traditionnels »12. Koselleck apporte ainsi une explication socio-historique de l’abstraction croissante du langage socio-politique.

Le sociologue Karl Mannheim, en réfléchissant à partir du langage abstrait de la théorie marxiste, en particulier le langage des classes, ajoute une autre nuance explicative concernant la distribution des groupes sociaux dans l’espace. Pour Mannheim en effet « le besoin extrême de termes théoriques abstraits » dans le langage socio-politique du XIXe siècle, à savoir dans le marxisme, renvoie à la structure – que je nommerais pour ma part constellation – dans laquelle « les populations ont été amenées à être réunies et à rester ensemble, non par le voisinage spatial, mais par référence à leur position commune dans un espace social bien plus large », un État national par exemple13.

Les usages de concepts socio-politiques toujours plus abstraits, tels qu’ils sont envisagés par Tocqueville, Koselleck ou Mannheim, sont observables dans la plupart des débats sur les réformes parlementaires et électorales dans l’Europe de l’Ouest entre les débuts du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale, et probablement même au-delà. Dans les débats sur le Reform Act britannique de 1832 et, en France, sur les réformes débutant en 1817 et se prolongeant jusque dans les années 1840, ou encore sur les réformes électorales dans les parlements provinciaux allemands avant 1848 et au sein du Frankfurter Paulskirchenparlament en 1848-1849, les groupes « libéraux », « radicaux », « républicains » ou « démocrates » qui réclamaient une extension du droit de vote ont eu très souvent recours à des formes de classement social larges et variables, telles que Middle classes, Capacités, Classes industrielles, ou Bürgertum14. Ces expressions classificatoires larges pouvaient renvoyer à une longue tradition – comme dans le cas des « middle classes » – ou être relativement neuves, des inventions ad hoc d’origine plus récente, comme dans le cas des « capacités ». Elles avaient néanmoins un intérêt pour les locuteurs, en particulier pour ceux d’entre eux qui recherchaient l’intégration, car les alliances politiques se construisaient par leur usage.

Une précondition du rayonnement de ces expressions était la constellation qui a permis, sur le plan communicationnel, un échange et un retour constants d’informations entre les arènes de décision et l’extérieur. Une fois ces concepts larges introduits dans les débats parlementaires, même ceux qui défendaient l’ordre ancien pouvaient à peine se passer de les utiliser, et ils les utilisaient en fait régulièrement dans un sens positif, faute de quoi les groupes nouvellement définis auraient été fondés à se sentir offensés et rejetés. Ici encore, la constellation de communication – la probabilité et la vitesse des échanges d’informations, les possibilités de retour d’informations – a été essentielle dans la légitimation d’un usage de ces concepts abstraits de rassemblement. Leur diffusion à travers les débats et leur écho dans la presse ont contribué à un sentiment de communauté entre des groupes désormais reliés dans le discours et qui jusque-là avaient peu en commun. Si les campagnes pour l’extension du droit de vote ont abouti à des législations, celles-ci ont encore stabilisé et durci les frontières entre les groupes nouvellement définis et d’autres groupes en marge du processus d’intégration. La mise en œuvre légale tend ainsi à faire respecter les frontières entre les classes ou groupes nouvellement définis et constitue l’un des facteurs de leur reproduction en pratique, par exemple à travers l’acte de vote. Ce cas particulier, une sémantique de la description sociale qui s’origine dans un conflit sur les droits démocratiques, met bien en évidence la constitution mutuelle et la co-évolution de la sémantique et des structures sociales, tous deux conditionnés par ce que j’appelle les « constellations ».

En présentant le problème de la définition de la réalité extra-linguistique et de son traitement dans la narration historique, je ne prétends pas autre chose que distinguer dans un but heuristique les structures sociales, qui n’ont pas d’existence en dehors de leur intervention simultanée dans le langage, et les constellations, les infrastructures qui, pour chaque situation historique, peuvent être analysées comme des facteurs ayant contribué à la construction des évènements sans qu’elles donnent forcément lieu à une formulation langagière. Bien sûr, ces mêmes constellations ou infra-structures peuvent, dans d’autres situations historiques, devenir un objet du discours contemporain et par là-même participer à la formation des structures sociales. Ici, la distinction est historicisante et n’a donc rien d’essentialiste.

L’explication du changement sémantique

Il n’est pas excessif d’affirmer que, si les travaux d’histoire conceptuelle ou d’analyse historique du discours décrivent très bien les changements sémantiques, ils sont généralement moins efficaces pour les expliquer. L’une des raisons principales est sans doute que, la plupart du temps, ces travaux se concentrent sur une perspective diachronique de long terme et négligent ce que j’appellerais le niveau micro-diachronique. Cependant, c’est surtout à ce niveau micro-diachronique qu’il faut tourner pour expliquer le changement sémantique. Tout changement sémantique se passe d’abord dans les échanges linguistiques entre des acteurs historiques spécifiques sur des durées courtes et dans des espaces de communication concrets. C’est à ce niveau que la sémantique historique doit prendre un tournant empirique, et c’est sur ce point peut-être que la voie que je propose pour la sémantique historique diffère le plus de l’approche des Geschichtliche Grundbegriffe qui, pour de très bonnes raisons par ailleurs, mettent en œuvre une perspective diachronique de long terme15.

C’est en effet au niveau micro-diachronique qu’il est possible de discerner pourquoi les orateurs ou les auteurs utilisent certains termes dans un sens plutôt qu’un autre et pourquoi l’auditoire ou les lecteurs les comprennent ou se méprennent. Le changement de perspective au niveau micro-diachronique a néanmoins ses désavantages. Ces derniers sont par-dessus tout liés à la tentation de restituer une trop grande diversité d’histoires individuelles traversant tel ou tel acteur dont l’usage de certains termes ou d’un vocabulaire particulier constitue le point central de l’analyse. L’autre inconvénient de cette perspective est de perdre de vue des lignes d’explication générales pouvant se révéler valables pour plusieurs situations historiques. Il y a, en d’autres termes, un risque important de verser dans une pure histoire événementielle, en l’occurrence une histoire événementielle des actes de langages. Le niveau micro-diachronique implique donc de disposer de modèles relatifs aux mécanismes possibles de changement sémantique. Il peut s’agir de modèles de base qui se répètent au cours de l’histoire, mais aussi de modèles plus avancés et compliqués typiques d’une période historique particulière.

Je m’en tiendrai à la présentation des modèles de base, et spécifiquement à trois d’entre eux, en les nommant brièvement dans un premier temps avant de les exposer plus longuement. Le premier modèle est celui d’un changement sémantique lié à la perte de plausibilité de certains termes ou de façons de parler résultant de tournants événementiels soudains ou surprenants. Le second modèle est celui d’un changement sémantique par augmentation ou diminution de la valeur d’usage (Gebrauchswert) de certains termes ou expressions dans des situations particulières. Enfin, le troisième modèle de changement sémantique renvoie aux cas de transformation d’un répertoire de mots et de significations d’une langue liés à l’importation d’une autre langue. Perte de plausibilité, augmentation ou diminution de la valeur d’usage, transformation sous l’effet d’une importation, constituent les trois modèles de base du changement sémantique.

La perte de plausibilité

Il est possible de répertorier de nombreux exemples dans l’histoire moderne et pré-moderne illustrant le modèle de la perte de plausibilité. Le cas le plus fréquent est l’occurrence d’événements soudains, c’est-à-dire d’événements sans précédent qui mettent en question le pensable et paraissent incompatibles avec l’expérience antérieure des acteurs. Dans de telles situations, le vocabulaire disponible est souvent insuffisant pour exprimer ce qui est perçu comme une nouveauté provoquée par les événements.

Andreas Suter a expliqué ce mécanisme à partir d’un exemple situé dans les débuts de la période moderne, la guerre des paysans suisses de 165316. Au début de ce que l’on pourrait appeler un soulèvement, les élites dirigeantes des cantons suisses ont plutôt réagi de façon sereine. Ils pensaient que de tels événements avaient pu survenir auparavant, et les mots appropriés pour les nommer étaient « désordres », « révoltes », « résistances » (Unruhen, Revolten, Widersetzlichkeiten). Néanmoins, après que les soulèvements ont continué et se sont étendus dans toute la Suisse, la routine habituelle qui consistait à les supprimer verbalement et en pratique ne paraissait plus suffisante.

Les élites étaient désormais confrontées – selon leurs propres mots – à un phénomène nouveau : « Des dérives et des extrémités que nous n’aurions pu imaginer jusque-là »17. Et c’est précisément dans cette situation inattendue et sans commune mesure pour eux, que les acteurs ont commencé à désigner ce à quoi ils assistaient avec des mots nouveaux. Ils ont ainsi redéfini cette vague de soulèvements comme une « conjuration généralisée » (Generalverschwörung) ou, ceci étant nouveau y compris à l’échelle européenne, comme une « révolution » (Revolution). Cet usage de Revolution est l’une des premières occurrences d’un sens moderne, politique, du mot au moins dans le monde germanophone. Dans son analyse, Andreas Suter montre que non seulement les élites dirigeantes, mais aussi les paysans révoltés trouvaient eux-mêmes de nouvelles expressions linguistiques et symboliques pour légitimer des actes violents et pour justifier leurs revendications. Ce processus de changement sémantique peut s’expliquer par une double expérience de l’échec renvoyant à la « falsification du répertoire sémantique et des concepts existants », d’une part parce que « les catégories sémantiques utilisées jusque-là ne paraissaient plus adéquates », et d’autre part parce que « les actions attachées à de telles catégories ne produisaient plus les résultats auxquels les acteurs pouvaient s’attendre18».

Sans épuiser toutes les caractéristiques et variations du modèle, cet exemple donne une idée générale de ce que j’entends décrire à travers la notion de changement sémantique par perte de plausibilité. Il permet d’expliquer pourquoi certains termes ou façons de parler tombent en désuétude à un moment particulier de l’histoire, même s’il s’avère insatisfaisant pour comprendre les raisons pour lesquelles de nouveaux mots – et non d’autres mots disponibles – se substituent à des mots anciens ou dévalués. Pourquoi les élites dirigeantes suisses se sont-elles emparées du terme Revolution pour affronter le soulèvement général des paysans ? Pourquoi précisément ce mot, et non un autre ?

L’amplification de la valeur d’usage

Ces limites m’amènent à évoquer l’intérêt du second modèle de changement sémantique lié à l’augmentation de la valeur d’usage tactique des mots dans des situations déterminées. Pour le dire aussi simplement que possible, ce modèle suppose que de nouveaux termes soient acceptés – et dans certaines conditions qu’ils deviennent dominants – dès lors, et tant qu’ils permettent à ceux qui les utilisent de parler et d’agir avec succès, sans préjuger des facteurs de ce succès qui dépendent toujours de la situation elle-même. Le succès pour un orateur ou un auteur peut simplement consister à gagner l’attention d’un auditoire ou à s’insérer dans un discours en train de se constituer. Il peut aussi signifier le triomphe contre des opposants par la mise en forme d’arguments ou par l’accumulation de gains matériels. Il peut encore intervenir à une large échelle grâce à une victoire électorale ou militaire.

Le manque de connaissances empiriques empêche de comprendre quelle a été la valeur additionnelle de l’usage du mot Revolution dans la guerre des paysans suisses en 1653. Mais, d’un point de vue général, on peut mettre en avant l’hypothèse que, dans le langage politique, les termes abstraits – auxquels on peut ajouter des métaphores telles que la Revolution – ont un attrait et une utilité spécifiques pour les orateurs. Si ces formules sont tant recherchées, c’est sans doute parce qu’elles permettent de ramasser et d’intégrer en une seule prise une grande variété d’expériences. Dans le travail politique de communication, les termes abstraits et certaines métaphores sont parés de grands avantages et, pour revenir aux observations de Tocqueville évoquées plus haut, cela semble vrai en particulier pour les régimes démocratiques (et l’on pourrait en dire autant des dictatures populistes) dans lesquels les gouvernants ont périodiquement besoin d’une attestation de consentement. Pour les acteurs politiques des régimes démocratiques, de même que pour les leaders populistes, l’usage de mots ambigus peut être rentable dans la mesure où ceux-ci leur permettent de changer l’interprétation qu’ils souhaitent en donner suivant les contextes sans pour autant engager de réels changements politiques, et sans que ces réinterprétations sémantiques apparaissent trop évidentes. On peut dès lors expliquer le rayonnement – spécifiquement dans les régimes politiques démocratiques et populistes – de noms collectifs comme Nation, Peuple, People ou même Volksgemeinschaft (« communauté du peuple »), qui sont autant d’expressions susceptibles d’intégrer le spectre social le plus large possible et qui excluent ceux qui ne sont pas nommés ou seulement désignés par un « concept antonyme asymétrique19» légitimant leur éviction ou même leur extermination.

J’ai déjà mentionné un exemple moins dramatique de la transformation de la valeur d’usage stratégique des termes socio-politiques à travers les Classes moyennes ou les Middle classes dans les débats électoraux du début du XIXe siècle. Ceux qui les utilisaient avaient politiquement un avantage parce que ces termes étaient presque à l’état de « signifiants vides » permettant à la fois de n’exclure presque personne et de former des alliances avec la plupart des partenaires souhaités. En dehors de la politique, il existe néanmoins des situations où la précision est requise, la communication juridique par exemple. Dans une cour de justice, il est bien sûr nécessaire, pour produire un propos recevable, d’utiliser les termes par lesquels les juristes « traduisent » un problème social (avec un voisin, un employé ou un ex-époux) en problème juridique, faute de quoi la cause à défendre reste lettre morte. Il n’y a donc aucune règle générale quant aux pré-conditions d’un usage fructueux du langage. Ces règles varient en fonction des cadres de la communication, et l’une des modalités historiques de cette variation est le changement qui s’opère en eux.

Les deux modèles de changement sémantique que j’ai évoqués jusqu’ici, à savoir le changement par perte de plausibilité et le changement par amplification de la valeur d’usage, supposent que l’on puisse identifier des acteurs historiques avec des intentions et des intérêts spécifiques. Il n’est nullement besoin cependant d’affirmer que ces acteurs utilisent le langage de manière instrumentale. Je dirais même que la recherche du succès à travers une stratégie langagière explicite est plutôt un cas exceptionnel. Dans la plupart des cas, en effet, c’est après maints tâtonnements que les orateurs ou les auteurs « découvrent » de nouvelles voies d’expression qui se révèlent fructueuses. On pourrait m’objecter, néanmoins, que les deux modèles d’explication reposent in fine sur l’idée que les changements sémantiques sont le résultat de stratégies élaborées en vue d’un succès. Je ne pourrais qu’avancer l’idée d’une explication débarrassée d’un tel présupposé, en évoquant un dernier modèle de changement sémantique, celui de l’irritation d’une langue en conséquence d’importations de vocabulaires issus d’autres langues.

Le bas Moyen Âge et les débuts de l’âge moderne en Europe offrent un champ d’investigation extrêmement riche concernant ces phénomènes d’importation, de traduction et d’adaptation de vocabulaires provenant de langues différentes. Comme l’a montré Peter Burke, la plupart des territoires européens, et en particulier les villes, étaient dans ces périodes des espaces de communication multilingues (peut-être même plus qu’aujourd’hui)20. Le multilinguisme était en fait habituel en raison de la présence non seulement du latin, lingua franca des élites et des étudiants, mais aussi des langues vernaculaires, souvent plusieurs par territoire. Les langues « nationales » n’avaient pas encore acquis leur modernité, leur forme standardisée – le français étant la première langue à devenir « nationale ». Dans cette situation précédant la standardisation des langues nationales modernes, les cas de circulation de mots d’un langage à un autre et réciproquement, étaient fréquents ; c’est une chose qu’on remarque aisément en lisant notamment les textes « allemands » des débuts de la période moderne. On y discerne souvent un mélange étrange de termes allemands, latins, italiens et français, entre autres. S’agissant de la question du changement sémantique, on pourrait comprendre ces importations de mots « étrangers » dans une langue vernaculaire comme les actes initiaux du changement. Il faut aussi prendre en compte le fait que pour la plupart des locuteurs ou des lecteurs les significations des mots importés étaient loin d’être claires. Il y avait d’une manière générale une grande incertitude sur les significations.

Les mots « étrangers » importés avec ces significations incertaines pouvaient donc être exploités comme un matériau expérimental pour différencier par exemple une signification péjorative d’une signification positive liée à l’emploi d’un mot vernaculaire équivalent. L’importation de mots pouvait ainsi aboutir à une différenciation sémantique. L’histoire de l’introduction du mot français bourgeoisie en allemand est un exemple révélateur21. Il a en effet été utilisé par Marx et d’autres auteurs comme une sorte de qualification négative de ceux qui, dans l’allemand vernaculaire, étaient désignés comme Bürger. L’importation du mot français a de cette façon permis de conserver le mot allemand Bürger libre de toute implication négative. L’introduction au XVIIIe siècle, par l’intermédiaire de traductions, de mots politiques occidentaux dans la langue russe est une autre illustration de ce modèle de changement sémantique22. Au XVIIIe siècle et au début du XIXe le mot importé politika en russe était clairement utilisé péjorativement comme un terme dénonçant l’étranger et des pratiques potentiellement dangereuses. C’est seulement au cours du dernier empire tsariste que le mot a été utilisé dans une voie plus positive, devenant ainsi un concept ouvert à la contestation. Un dernier exemple est fourni par Reinhart Koselleck à propos de la traduction par Martin Luther du terme biblique hébreu Berith par le mot allemand Bund23. C’est cette traduction luthérienne qui, comme l’a montré Koselleck, a donné au mot Bund, auparavant séculier, une connotation religieuse qu’il a conservée jusqu’au XIXe siècle.

Les mots importés de langues étrangères à travers des traductions ou d’autres moyens (ou aujourd’hui à travers les adaptations de langues expertes telles que le langage informatique) permettent donc aux orateurs ou aux auteurs d’opérer des différenciations sémantiques. Dans les premiers temps de l’importation, les choix des utilisateurs peuvent être arbitraires, aléatoires et désinvoltes, et ne sont pas forcément planifiés. Ce n’est qu’à partir du moment où les mots importés acquièrent une signification stabilisée qu’ils peuvent devenir l’objet d’usages stratégiques. Il faut enfin de rappeler qu’en pratique les trois modèles de changement évoqués sont souvent intriqués, bien s’il soit préférable de les distinguer dans un but explicatif et analytique.

L’approche des phénomènes d’intraduisibilité

Les difficultés de la traduction dans les études historiques comparatives et transnationales renvoient à ce qu’on pourrait appeler le problème des intraduisibles. Il s’agit pour moi d’aborder ce dernier problème dans la perspective d’un praticien de l’histoire et non comme un philosophe pourrait le faire. Plus précisément, deux questions peuvent être discutées.

Comment pouvons-nous ou devons-nous appréhender dans la pratique historique des termes issus d’autres langues européennes qui semblent particulièrement difficiles à traduire et presque ancrés dans une culture nationale spécifique ? Cette première question invite à réfléchir sur l’équivalence possible des significations entre des termes quasi-idiosyncrasiques et des termes similaires dans d’autres langues européennes. L’équivalence est d’autant plus problématique que l’on peut parfois être amené à penser que le recours à certains termes de la langue d’arrivée ne correspond pas tout à fait à notre représentation de la traduction adéquate. Je condenserais cette question en une formule en parlant du problème de l’équivalence.

La seconde question est étroitement liée à la première, même s’il paraît plus difficile encore d’y répondre puisque, en tant qu’historiens, spécialistes de science sociale ou ethnologues européens, nous aurions besoin en théorie d’un « métalangage » quasiment neutre pour décrire les ressemblances et les différences entre notre conception occidentale du monde et celle de cultures différentes24. Évidemment, nous ne disposons pas d’un tel métalangage et nous sommes contraints de recourir à nos propres langages européens. Compte tenu de cette impossibilité pratique, la question est de savoir s’il est possible d’éviter totalement l’eurocentrisme (ou sa forme inverse, l’exotisme) dans la description que nous faisons des cultures non-occidentales. Je condenserais à nouveau cette question en une formule en évoquant le problème de l’absence de métalangage ou celui de l’eurocentrisme.

Le problème de l’équivalence

Le problème de l’équivalence se rencontre fréquemment dans les études comparatives « classiques » franco-allemandes, anglo-allemandes ou triangulaires. Il y a ainsi un grand répertoire de termes socio-politiques allemands qui posent des difficultés considérables.

Il suffit de citer les termes allemands Bildung, Beruf, Staat, Bürgertum, ou Kultur, pour s’en tenir à quelques exemples, et de rappeler leurs différentes nuances de signification en particulier au XIXe et au début du XXe siècle, pour comprendre qu’il n’existe pas exactement de « doubles » en anglais ou en français. L’absence de termes équivalents rend difficile, voire impossible, l’utilisation des termes allemands en tant qu’instruments analytiques, ou en tant que points de départ dans les études historiques comparatives.

Nous en avons collectivement fait l’expérience à l’Université de Bielefeld avec le grand projet de recherche dirigé par Jürgen Kocka et Hans-Ulrich Wehler à la fin des années 1980 qui s’était risqué à explorer, dans une perspective comparative, la Bürgertum européenne moderne et contemporaine25. Il nous a fallu un certain temps avant de réaliser que le fait même d’envisager la question dans cette perspective, en utilisant le terme allemand virtuellement intraduisible Bürgertum comme point de départ, nous conduisait à commettre l’erreur impardonnable de la pétition de principe. Débuter la recherche de cette manière supposait d’emblée l’existence d’un Sonderweg allemand.

Disposons-nous de stratégies de recherche nous permettant d’échapper à de tels dilemmes ? Une stratégie à laquelle on pourrait penser spontanément serait l’examen des tentatives de traduction passées, dans l’espoir que cela puisse au moins servir à établir ce que les contemporains de certaines périodes ont pu imaginer comme termes « équivalents ». Ce que l’on découvre la plupart du temps en retraçant de telles histoires de traductions (qui sont bien sûr une partie essentielle de toute histoire croisée) est une série de malentendus, ou pour le dire en euphémisant, une histoire des adaptations créatives, des appropriations et des redescriptions adressées aux lecteurs de cette communauté linguistique au sein de laquelle les termes originaux ont été traduits. Les traductions, en dehors du cas des dictionnaires bilingues peut-être, n’ont pas le plus souvent pour objectif de restituer la signification exacte des termes « étrangers » ; elles ont plutôt pour vocation de rapporter aux lecteurs quelque chose comme un message politique, ou un message d’une autre nature. Ainsi, l’historienne israélienne Fania Oz‑Salzberger a montré dans une remarquable étude que les traducteurs allemands de la philosophie morale écossaise à la fin du XVIIIe siècle avaient pour habitude de traduire les mots anglais Community, Polity et Nation par le mot allemand Staat26. Sous l’effet d’une telle traduction, les termes originaux perdaient la saveur du républicanisme classique dont ils portaient la marque dans les textes écossais et, plus important encore, tout le potentiel critique de la signification des textes écossais était inversé de telle manière qu’elle pouvait recevoir le soutien des autorités étatiques dans les États germaniques. Ce simple exemple suffit à montrer que les histoires de traduction, aussi instructives soient-elles, ne sont que d’un secours douteux pour établir un ensemble de termes équivalents pouvant servir de points de départ aux études comparatives.

Il existe une autre échappatoire au dilemme de l’intraduisibilité et de l’équivalence, même si l’on peut reconnaître qu’elle n’est guère plus satisfaisante, qui consiste à commuter l’approche sémasiologique par l’approche onomasiologique. Cela permettrait d’échapper à l’interminable question de la traduction des intraduisibles. Il s’agirait en fait de ne plus débuter la recherche par des mots ambigus et difficiles, mais d’engager la réflexion à partir de problèmes équivalents avec lesquels les acteurs sociaux ou politiques des communautés linguistiques (nationales) à comparer ont été confrontés. Il s’agirait ensuite de poser les questions pertinentes permettant de trouver les mots appropriés, mobilisés par ces acteurs pour identifier ou résoudre le problème en question. Si l’on prend à nouveau l’exemple de l’histoire de la démocratisation ou des réformes électorales, une approche onomasiologique permettrait d’éviter de commencer la recherche par des mots ambigus tels que Bürger ou Bürgertum. Dans la perspective onomasiologique, plusieurs questions deviennent directement pertinentes afin de trouver les termes équivalents : quelles étaient les auto-descriptions utilisées par les acteurs réclamant une ouverture de la participation politique ? Quelles étaient leurs formules de légitimation ? Quelles étaient les formules utilisées pour rejeter leurs revendications ? À travers une telle approche onomasiologique, on accède à un ensemble de vocabulaires dans différents langages nationaux qui ont été mis au service de buts argumentatifs similaires et qui peuvent, dans la limite de situations analogues, être considérés comme équivalents. Si ce déplacement n’est pas une solution au problème des intraduisibles, il permet néanmoins d’échapper aux problèmes que ceux-ci posent.

Le problème de l’eurocentrisme

Quelques remarques sur le problème de l’eurocentrisme me serviront de conclusion. Il y a tout lieu d’être sceptique à l’idée que celui-ci pourrait être éradiqué. En fait, la plupart des termes apparemment neutres des sciences humaines et sociales sont chargés de significations qu’ils ont essentiellement acquises dans des contextes occidentaux. Il n’est pas jusqu’aux catégories fondamentales de notre perception du monde, telles que les concepts « politique », « religion », « société » ou « individu », qui ne deviennent éminemment problématiques une fois appliquées aux sociétés non européennes ou non occidentales, en particulier dans les périodes coloniales et pré-coloniales.

Les historiens des sociétés non occidentales, les ethnologues et spécialistes des aires culturelles « résolvent » très souvent le problème en insérant dans leurs récits les termes utilisés par les acteurs qu’ils observent. Tel un lecteur incompétent vis-à-vis de leurs langues et de leurs concepts, ils saupoudrent leurs textes de mots japonais, chinois, ourdou, arabes ou malais. En dehors du fait qu’il est fort désagréable de lire de tels textes qui ne permettent aux non spécialistes que d’accéder à une demi-compréhension de la société qui se réfléchit dans ces textes, croire que cette méthode d’écriture annihile l’eurocentrisme est illusoire. Il me semble au contraire, et je suis en cela Margrit Pernau27, que cet usage de « termes indigènes » est seulement une autre forme d’eurocentrisme qui a pour nom exotisme. D’autre part, si l’on mobilise des termes occidentaux – Bürgertum ou Middle class par exemple – pour décrire les formations sociales de l’Inde coloniale, comme Margrit Pernau a tenté de le faire dans le but de rendre possible la comparaison, il convient d’être extrêmement prudent et de prévenir sans cesse le lecteur contre toute conjecture prématurée. Le problème, on le voit, n’est pas si différent du problème de l’équivalence au sein du monde européen ou occidental, même s’il est plus aigu étant donné l’absence de concepts communs issus d’un fonds commun tel que la tradition gréco-latine pour le monde européen ou occidental.

Peut-être qu’à l’avenir, dans la mesure où l’anglais tend à prendre la forme d’une langue véhiculaire globale (comme le latin dans les périodes médiévale et pré-moderne), le problème que j’ai tenté de décrire se posera avec moins d’acuité. Il demeurera néanmoins pour tous ceux dont la tâche est d’étudier le passé.

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1

Willibald Steinmetz, « Neue Wege einer historischen Semantik des Politischen », in W. Steinmetz (dir.), « Politik ». Situationen eines Wortgebrauchs im Europa der Neuzeit, Frankfurt-New York, Campus, 2007, p. 9-40 ;

 

W. Steinmetz, « New Perspectives on the Study of Language and Power in the Short Twentieth Century », in W. Steinmetz (dir.), Political Languages in the Age of Extremes, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 3-51 ;

 

W. Steinmetz, Michael Freeden, « Introduction. Conceptual History : Challenges, Conundrums, Complexities », in W. Steinmetz, M. Freeden, J. Fernández-Sebastián (dir.), Conceptual History in the European Space, New York/Oxford, Berghahn Books, 2017, p. 1-46 ; je remercie Xavier Landrin pour la traduction de cet article.

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2

Barbara Cassin (dir.), Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Paris, Le Robert-Le Seuil, 2004.

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3

« Die Geschichte einer Periode schreiben, heißt Aussagen treffen, die in dieser Periode nie gemacht werden konnten », in R. Koselleck, « Historik und Hermeneutik », Zeitschichten : Studien zur Historik, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2003, p. 16.

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4

Je suis en cela Rudolf Stichweh, voir notamment : « Semantik und Sozialstruktur. Zur Logik einer systemtheoretischen Unterscheidung », Soziale Systeme, 6, 2000, p. 237‑250.

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5

Pour un tour d’horizon plus détaillé voir : Roger Bastide (dir.), Sens et usages du terme structure dans les sciences humaines et sociales, La Hague/Paris, Mouton, 1972 ;

 

ainsi que l’article « Struktur » dans : Joachim Ritter, Karlfried Gründer (dir.), Historisches Wörterbuch der Philosophie, t. 10, Basel, Schwabe, 1998, p. 303-334.

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6

Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 305.

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7

Pour les débats sur le tournant linguistique dans l’historiographie allemande voir : Peter Schöttler, « Nach der Angst : Was könnte bleiben vom “linguistic turn” ? », Internationales Archiv für Sozialgeschichte der Deutschen Literatur, 36, 2011, p. 135-151 ;

 

pour le défi constructiviste, voir la discussion critique de Philipp Sarasin, Geschichtswissenschaft und Diskursanalyse, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2003, p. 100-121 (sur l’histoire du corps humain) et p. 150-176 (sur le concept des « imagined communities ») ;

 

pour l’approche praxéologique, mettant l’accent sur la capacité d’action des individus, voir : Thomas Welskopp, « Die Dualität von Struktur und Handeln. Anthony Giddens’Strukturierungstheorie als “praxeologischer”Ansatz in der Geschichtswissenschaft », in Andreas Suter, Manfred Hettling (dir.), Struktur und Ereignis, Geschichte und Gesellschaft, Sonderheft 19, Göttingen, Vandenhoeck, 2001, p. 99-119.

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8

Niklas Luhmann, « Gesellschaftliche Struktur und semantische Tradition », Gesellschaftsstruktur und Semantik. Studien zur Wissenssoziologie der modernen Gesellschaft, t. 1, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1980, p. 9-71, surtout p. 15-21.

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9

  J.G.A. Pocock, « The concept of a language and the métier d’historien : some considerations on practice », Political Thought and History. Essays on Theory and Method, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 87-105.

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10

Pour de nombreux exemples de ces effets dans les débats britanniques sur les lois électorales, voir : W. Steinmetz, Das Sagbare und das Machbare. Zum Wandel politischer Handlungsspielräume, England 1780-1867, Stuttgart, Klett-Cotta, 1993.

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11

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 2, Paris, Gallimard, 1995, p. 94-102.

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12

Reinhart Koselleck, « Begriffsgeschichte und Sozialgeschichte », Vergangene Zukunft. Zur Semantik geschichtlicher Zeiten, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1979, p. 107-129, p. 113 (« (…) dazu dienten, die ständisch entgliederten Massen neu zu ordnen und zu mobilisieren »).

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13

Karl Mannheim, Ideologie und Utopie, Bonn, F. Cohen, 1929, p. 94 (« Dieses extreme Theoretisierungsbedürfnis entspricht also, soziologisch gesehen, der Klassenstruktur, wo Menschen nicht durch Nähe, sondern durch gemeinsame Lagerung im ausgeweiteten sozialen Raume zusammengehalten werden müssen. »)

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14

Voir : W.Steinmetz, « Gemeineuropäische Tradition und nationale Besonderheiten im Begriff der “Mittelklasse”. Ein Vergleich zwischen Deutschland, Frankreich und England », in Reinhart Koselleck, Klaus Schreiner (dir.), Bürgerschaft. Rezeption und Innovation der Begrifflichkeit vom Hohen Mittelalter bis ins 19. Jahrhundert, Stuttgart, Klett-Cotta, 1994, p. 161-236 ;

 

W. Steinmetz, « “Sprechen ist eine Tat bei Euch” : Die Wörter und das Handeln in der Revolution von 1848 », in Dieter Dowe, Heinz-Gerhard Haupt, Dieter Langewiesche (dir.), Europa 1848. Revolution und Reform, Bonn, J.H.W. Dietz, 1998, p. 1089-1138.

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15

Otto Brunner, Werner Conze, Reinhart Koselleck (dir.), Geschichtliche Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, 8 tomes, Stuttgart, Klett-Cotta, 1972-1997.

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16

Andreas Suter, « Kulturgeschichte des Politischen – Chancen und Grenzen », in Barbara Stollberg-Rilinger (dir.), Was heisst Kulturgeschichte des Politischen ? (Zeitschrift für Historische Forschung, Beiheft 35), Berlin, 2005, p. 27-55.

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17

« Verfahrungen und extremitäten, die wir uns nyt hetten ynbilden können » (A. Suter, « Kulturgeschichte des Politischen », p. 33).

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18

A. Suter, « Kulturgeschichte des Politischen », p. 34.

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19

Voir : Reinhart Koselleck, « La sémantique historico-politique des concepts antonymes asymétriques », Le Futur Passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990, p. 191-232.

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20

Peter Burke, Languages and Communities in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.

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21

W. Steinmetz, « Die schwierige Selbstbehauptung des deutschen Bürgertums : begriffsgeschichtliche Bemerkungen in sozialhistorischer Absicht », in Rainer Wimmer (dir.), Das 19. Jahrhundert, Sprachgeschichtliche Wurzeln des heutigen Deutsch (Institut für Deutsche Sprache, Jahrbuch 1990), Berlin/New York, de Gruyter, 1991, p. 12-40.

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22

Ingrid Schierle, « Semantiken des Politischen im Russland des 18. Jahrhunderts », in W. Steinmetz (dir.), “Politik”. Situationen eines Wortgebrauchs im Europa der Neuzeit, Frankfurt-New York, Campus, 2007, p. 226-247 ;

 

Walter Sperling, « Vom Randbegriff zum Kampfbegriff: Semantiken des Politischen im ausgehenden Zarenreich (1850-1917) », Ibid., p. 48-288.

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23

Reinhart Koselleck, « Bund », in O. Brunner, W. Conze, R. Koselleck (dir.), Geschichtliche Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, Stuttgart, Klett-Cotta, 1972, t. 1, p. 582-671 (601).

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24

Voir sur ce point : Reinhart Koselleck, Ulrike Spree, Willibald Steinmetz, « Drei bürgerliche Welten ? Zur vergleichenden Semantik der bürgerlichen Gesellschaft in Deutschland, England und Frankreich », Begriffsgeschichten, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2006, p. 402-461 (413) ;

 

voir également Jörn Leonhard, « Language, Experience and Translation: Towards a Comparative Dimension », in Javier Fernández Sebastián (dir.), Political Concepts and Time. New Approaches to Conceptual History, Santander, Cantabria University Press, 2011, p. 245-272.

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25

Pour l’approche générale de ce projet d’histoire sociale des années 1980 et 1990 : Jürgen Kocka (dir.), Bürgertum im 19. Jahrhundert. Deutschland im europäischen Vergleich, 3 tomes, München, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1988.

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26

Fania Oz-Salzberger, Translating the Enlightenment. Scottish Civic Discourse in Eighteenth-Century Germany, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 46 et p. 138-166.

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27

Margrit Pernau, Bürger mit Turban. Muslime in Delhi im 19. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck, 2008 ;

 

voir aussi : Monica Juneja et Margrit Pernau, « Lost in translation : Transcending boundaries in comparative history », in Heinz-Gerhard Haupt, Jürgen Kocka (dir.), Comparative and transnational history. Central European approaches and new perspectives, New York, Berghahn, 2009, p. 105-129.