Désir de fascisme ?
Palazzo del Popolo d'Italia, Milano

Palazzo del Popolo d’Italia o Palazzo dell’Informazione, arch. Giovanni Muzio, 1938-1942. Bas-relief de Mario Sironi

« Le fascisme avec une cravate Armani »

A l’occasion du 50e anniversaire de la Libération de l’Italie1, le 25 avril 1995, soit juste un an après la première victoire électorale de Berlusconi, Umberto Eco prononce une conférence à la Columbia University, intitulée « Ur-Fascism », aussitôt publiée par la New York Review of Books (puis en Italie en 1997, et en France en 2000). Il souligne les continuités entre le fascisme d’antan et le fascisme contemporain :

« il serait difficile de voir [les fascistes] revenir sous la même forme dans des circonstances historiques différentes. […] je n’ai aucun mal à admettre que Alliance Nationale (Alleanza nazionale) […] est certainement un parti de droite mais qu’il n’a pas grand-chose à voir avec l’ancien fascisme. […] Toutefois, même si l’on peut renverser les régimes politiques, critiquer les idéologies et leur dénier toute légitimité, on trouve toujours, derrière un régime et son idéologie, une façon de penser et de sentir, une série d’habitudes culturelles, une nébuleuse d’instincts obscurs et de pulsions insondables ».

Pour Eco, la force du fascisme demeure dans sa capacité d’adaptation, dans sa plasticité. Il peut renaître, car il a été une sorte d’archétype commun très flexible :

« Inutile de répondre que le fascisme contenait en soi tous les éléments des totalitarismes successifs, qu’il était une manière de quintessence. Au contraire. La quintessence, le fascisme n’en possédait aucune, et même pas une simple essence. Le fascisme était un totalitarisme fuzzy. Le fascisme n’avait rien d’une idéologie monolithique, c’était un collage de diverses idées politiques et philosophiques, fourmillant de contradictions »2.

C’est la raison pour laquelle « on peut jouer au fascisme de mille façons ». Eco, qui, à la fin de sa conférence, liste quatorze qualités ou ingrédients du fascisme originaire et éternel, n’est pas seul. Quatorze ans plus tard, dans les pages de El Pais, José Saramago déclare :

« Je n’ai aucun doute que Berlusconi veut restaurer le fascisme en Italie. Ce n’est pas un fascisme comme celui des années 1930, fait de gestes ridicules comme lever le bras tendu. Il en a d’autres, tout aussi ridicules. Ce ne sera pas un fascisme en chemise noire, mais avec une cravate Armani »3.

Depuis lors, la situation politique a empiré. Aux élections européennes du 26 mai 2019, la Ligue du Nord (Lega Nord) de Matteo Salvini obtient 34,3 % des suffrages, auxquels il faut ajouter les 6,5 % obtenus par l’autre parti d’extrême droite, Frères d’Italie (Fratelli d’Italia). Dans trois autres pays de l’Union Européenne, la montée des droites radicales est remarquable : en Hongrie, le Fidesz, parti de droite anti-démocratique et anti-immigrés au pouvoir (affilié au groupe parlementaire de droite au parlement européen) recueille 52 % des voix, et le parti d’extrême droite, le Jobbik, 6,3 % ; en Pologne, le parti d’extrême droite Droit et justice, lui aussi au pouvoir, réunit 45,3 % des suffrages ; et au Royaume-Uni, le parti d’extrême droite Brexit de Nigel Farage obtient 31 % des voix. Face à la profusion de « symptômes morbides »4, des chercheurs (Luciano Canfora, Piero Ignazi, Domenico De Masi, Donald Sassoon, Enzo Traverso), des journalistes (Siegmund Ginzberg, Eugenio Scalfari, Bernard Guetta, Furio Colombo, Natalia Aspesi, Gad Lerner), des romanciers et des artistes (Michela Murgia, Andrea Camilleri, Roberto Saviano, Paolo Virzì, Antonio Scurati), comme des personnalités internationales (Madelaine Albright, George Soros), des fonctionnaires (Franco Gabrielli, le directeur général de la police italienne) ou des religieux (le père Zanotelli et même le pape François) ont parlé de « néofascisme », de « fascisation », de « protofascisme » ou de « postfascisme », d’un « fascisme postindustriel », dit aussi « fascisme 2.0 » ou « fascisme du troisième millénaire »5. Ils ont évoqué la possibilité d’un fascisme d’un genre nouveau, qui, loin de remettre en cause de manière frontale la « forme » démocratique, l’exploite pour affirmer des valeurs xénophobes et introduire des procédures autoritaires.

Le 6 décembre 2019, le Centro Studi Investimenti Sociali (Censis), dans son 53e rapport sur la situation socio-économique de l’Italie, a signalé une dérive vers la haine, l’intolérance et le racisme contre les minorités et en particulier contre les Juifs. Il révèle aussi que 48,2 % des Italiens souhaiteraient un homme fort au pouvoir, situé au-dessus du Parlement. Ce souhait, formulé davantage par les travailleurs (62 %), les gens moins instruits (62 %) et les bas revenus (56,4 %), serait provoqué par l’inefficacité de la politique et la distance grandissante entre représentants et représentés, deux éléments qui encouragent l’attente, que l’on croyait reléguée pour toujours au grenier de l’histoire, « de l’homme fort qui règle tout »6. Selon le 32e rapport Eurispes, publié fin janvier 2020, 19,8 % des Italiens pensent que Mussolini était un grand leader qui n’a fait que quelques erreurs7.

Luciano Canfora, qui a dédié deux pamphlets à la question, a repris et développé le diagnostic d’Eco8. Pour lui, le fascisme a été un phénomène ramifié et multiforme, fondé sur le mélange de deux facteurs de séduction : d’un côté, la peur et la discrimination de l’étranger et de la diversité ; de l’autre, des stratégies démagogiques de défense des faibles et de promesses de welfare. Il s’agit par ailleurs d’un phénomène graduel et durable : en 1919, l’Italie a plongé dans le fascisme par glissements successifs ; et, loin de se terminer avec la défaite militaire de l’Allemagne, de l’Italie, et du Japon, le fascisme a continué à vivre en Espagne, au Portugal, en Amérique du Sud, en Indonésie ou en Grèce9. Cette lecture, qui met en lumière la dimension internationale du fascisme, converge avec la définition proposée par d’autres historiens, surtout hors d’Italie. En 2010, Robert Paxton a lui aussi pointé la possibilité d’un renouveau du fascisme dans les pays démocratiques :

« le néofascisme rassemble au fascisme classique par sa crainte de la décadence nationale, sa xénophobie, et son penchant pour la manière forte. Il en diffère par son libéralisme économique, l’absence de projet expansionniste ou guerrier, et son acceptation générale des régimes en place. […] Une catastrophe économique, ou une crise aiguë de la sécurité nationale, pourrait donner des opportunités au fascisme, même dans les démocraties les plus enracinées. Ainsi comprise, l’époque du fascisme n’est pas révolue, même s’il revient sous un autre nom »10.

Plus récemment, Enzo Traverso a évoqué à son tour la dimension non seulement transnationale, mais aussi transhistorique du fascisme, défendant l’idée selon laquelle il peut devenir un concept dépassant l’époque qui l’a engendré, au même titre que d’autres notions de notre lexique politique11.

En Italie, les déclarations de Canfora ont suscité un lever de bouclier, surtout de la part des historiens du fascisme. Pour Emilio Gentile, qui a toujours souligné la dimension totalitaire du fascisme (en opposition aux thèses de Hannah Arendt ou de Renzo De Felice), on peut parler de fascisme seulement lorsqu’il y a coexistence de trois dimensions. La première est organisationnelle : un mouvement de jeunes, issus des classes moyennes, qui cherchent à conquérir le pouvoir en employant en même temps la terreur, la tactique parlementaire et le compromis, pour créer un régime nouveau et détruire la démocratie parlementaire. Une dimension d’ordre institutionnel ensuite : un appareil de police qui contrôle et réprime toute forme de dissension, un parti unique, un système politique fondé sur la symbiose entre le parti et l’État, une organisation corporative de l’économie, une politique extérieure inspirée par la recherche de la puissance. Et enfin une dimension culturelle : une culture fondée sur la pensée mythique, sur le sentiment tragique et activiste de la vie, sur le mythe de la jeunesse comme artifice de l’histoire, une idéologie à caractère anti-idéologique et pragmatique, une conception totalitaire du primat de la politique, une éthique civile fondée sur la subordination absolue du citoyen à l’État12.

À partir de cette définition globale, Gentile a écrit un bref essai, prenant la forme d’un dialogue avec un interlocuteur fictif, pour démontrer que l’idée d’un retour du fascisme n’a aucun sens, sur le plan historique comme sur le plan politique13. Après avoir rappelé que l’usage générique du terme « fasciste » a commencé pendant les années 1920, lors des polémiques des communistes contre les socialistes, avec l’invention de la figure de « l’antifasciste fasciste », il souligne que ce terme a de plus en plus été employé en tant qu’insulte pour délégitimer les adversaires14. Sa définition du fascisme comme régime totalitaire s’accompagne d’une chronologie stricte : la date de naissance qu’il propose ne coïncide pas avec la fondation des Fasci di combattimento en 1919, elle doit être fixée deux ans plus tard, en 1921. D’autre part, on ne peut pas parler d’un retour du fascisme, car cela signifierait qu’en 1945, l’antifascisme n’aurait pas réussi à éradiquer le phénomène. Par ailleurs, tout parallèle entre la Lega -de Salvini et le fascisme est absurde, car, même si les premiers fascistes haïssaient Rome, aucun fasciste n’aurait souhaité la décomposition ou la désintégration de l’unité italienne. Idem pour la comparaison entre fascistes et populistes : les populistes d’aujourd’hui n’ont pas vécu la guerre, ni risqué leur vie ; et, à la différence des dirigeants populistes d’aujourd’hui, Mussolini méprisait le peuple15.

L’historien Alberto De Bernardi partage plusieurs points fondamentaux de l’analyse de Gentile. En ce qui concerne le fascisme, il distingue pour sa part six caractéristiques, liées à sa nature révolutionnaire et totalitaire : le chef charismatique, le parti-milice, le corporatisme, l’étatisme organiciste, la sacralisation de la politique et la dialectique ami-ennemi (avec la destruction violente de ce dernier). Étant donné que ces caractéristiques ne se sont plus reproduites dans leur ensemble, il faudrait en conclure que « le fascisme est mort »16. En revanche, ce qui ne veut pas mourir est l’habitude de crier au fascisme (lancée, dans les années 1920, par les communistes), qui a laissé sur le terrain une quantité considérable de débris dont la République ne s’est jamais complètement libérée. Objets d’usages abusifs d’un point de vue historique, les catégories « fascisme » et « antifascisme » paralyseraient l’initiative politique :

« si chaque adversaire d’aujourd’hui n’est que la réincarnation de celui du passé, quelle stratégie faut-il employer pour le battre ? Retourner en exil, après s’être retiré sur l’Aventin ? Reconstruire les Brigades Garibaldi, refaire l’unité antifasciste avec Fico à la place de De Gasperi ou de Moro ? Ou, à défaut de ces alternatives, se contenter d’une bonne manifestation avec un foulard de l’ Association Nationale Partisans d’Italie (Anpi) autour du cou ? »17.

C’est dans cette perspective que De Bernardi propose de dépasser l’idéal antifasciste :

« peut-être y a-t-il les conditions pour [...] laisser derrière nous tous les récits du XXe siècle de l’histoire de la République et surtout de ses origines et pour cesser d’utiliser des mots et des mythes qui sont maintenant, de manière objective, des outils périmés ».

En d’autres termes, l’antifascisme doit accepter de se résoudre pleinement dans une démocratie « heureusement sans adjectifs »18.

Les questions soulevées par ces positions contrastées, qui ne sont pas restées cantonnés au monde des historiens, sont nombreuses et toutes extrêmement importantes du point de vue historique et politique. À cette occasion, je me limiterai à revenir sur la tension existant entre le paradigme antifasciste et la survivance d’une attitude indulgente, voire complice vis-à-vis du régime mussolinien, dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit d’une spécificité nationale qui jette – me semble-t-il – une lumière particulière sur les enjeux de la discussion historiographique actuelle.

Anteo Palazzo del Cinema, Milano

Anteo Palazzo del Cinema, ancien siège du groupe de district fasciste Gabriele D'Anzunzio, puis siège du Parti communiste italien, arch. Renzo Gerla, Ferruccio Bigi, 1937-1938

L’arc constitutionnel et le paradigme antifasciste

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la Résistance, la Libération et la Constitution ont représenté le fondement symbolique de la République italienne. L’antifascisme est le fondement de « l’arc constitutionnel » comprenant tous les partis politiques qui ont participé à l’élaboration de la Constitution de 1948 (Démocratie chrétienne, Parti communiste italien, Parti socialiste italien, Parti d’Action, Parti socialiste démocrate italien, Parti libéral italien et Parti républicain italien), et qui exclut les groupes ne partageant pas les valeurs antifascistes contenues dans la Constitution elle-même (le Mouvement Social Italien et le parti monarchiste)19. Deux discours incarnent cette vision politique. Lors de la célébration du dixième anniversaire de la Libération, le Président de la Chambre des députés, Giovanni Gronchi, figure éminente de l’antifascisme catholique, définit la Résistance comme un point de référence commun pour les forces démocratiques dans le pays, au-delà des clivages politiques : « il est nécessaire d’œuvrer de part et d’autre, avec pureté d’intention et d’âme, pour que l’héritage de la Résistance ne soit pas dispersé », affirme-t-il alors. Dix ans plus tard, c’est au tour du président de la République, le social-démocrate Giuseppe Saragat. Après avoir séparé les responsabilités des Italiens de celles du fascisme, il réaffirme la continuité entre l’antifascisme et la Résistance. Il précise également que, loin d’être l’expression d’un parti politique, la Résistance a été menée par le peuple entier, organisé en différents partis alliés, de sorte qu’elle représente un acte suprême de réconciliation dans la liberté de la grande majorité des Italiens20. Ce récit institutionnel, adressé à l’intérieur du pays comme à l’étranger, suggère une filiation directe entre l’antifascisme des années 1920 et 1930 et la Résistance née en 1943, et propose l’image d’un antifascisme de masse : la Résistance, à laquelle n’avait participé qu’une petite minorité d’Italiens, est célébrée comme une lutte de libération menée par tout le peuple contre l’envahisseur nazi-fasciste. Il tend donc à nier le consentement généralisé que le fascisme avait obtenu dans de larges secteurs de la société italienne entre 1922 et 1943. Comme l’écrit Nicola Gallerano, la « grille réductrice de l’opposition entre le fascisme et l’antifascisme » encourage un « refoulement substantiel du processus déchirant et contradictoire vécu par la conscience collective pour se libérer de ses compromis avec le fascisme »21.

Même si, à la fin des années 1960, le mouvement des étudiants conteste l’image unitaire et consensuelle de la Résistance22, le « paradigme antifasciste » continue à fonctionner longtemps. En octobre 1973, à la suite du coup d’État au Chili, le leader communiste Enrico Berlinguer prône la formation d’un gouvernement « de large entente », formé par les forces démocratiques et antifascistes. Sa déclaration ouvre la voie aux gouvernements de solidarité nationale et à l’élection à la présidence de la République de Sandro Pertini, ancien chef partisan et président de la Chambre des députés, juste après l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, en 1978. La politique de l’arc constitutionnel, qui avait marginalisé la droite postfasciste, commence à fléchir dans les années 1980, en pleine reprise de la Guerre froide, lorsque le secrétaire du Parti socialiste italien, Bettino Craxi, choisit d’abolir l’antifascisme comme élément discriminant de légitimation politique23. En 1987, il rencontre Gianfranco Fini, successeur de Giorgio Almirante à la tête du Mouvement social italien. Au même moment, l’historien Renzo De Felice donne un long entretien à Giuliano Ferrara, un ancien communiste très lié à Craxi, devenu ensuite l’un des conseillers principaux de Silvio Berlusconi. Publié par le Corriere della Sera en première page, l’entretien est intitulé « Pourquoi la rhétorique de l’antifascisme doit tomber ». Outre qu’il crédite le régime fasciste de plusieurs initiatives positives en ce qui concerne la politique industrielle et la protection sociale, De Felice déclare que le fascisme italien « est en dehors du cône d’ombre de l’Holocauste ». Pour cette raison, il plaide pour une historisation du fascisme (« nous pouvons raisonner, informer, parler du fascisme avec plus de sérénité »), impliquant le dépassement du mythe antifasciste (les préjugés antifascistes « perdent de plus en plus de sens et de valeur »). Cette historisation lui paraît la condition sine qua non pour une révision constitutionnelle dans une perspective présidentialiste : « un discours visant à l’innovation du système politique se heurte naturellement au problème du révisionnisme historique : si nous voulons passer à une nouvelle République, il est évident que nous devons nous débarrasser des préjugés sur lesquels l’ancienne a été fondée ». En d’autres termes, la réforme institutionnelle doit impliquer l’abolition des règles constitutionnelles interdisant la reconstruction du Parti fasciste24.

Or le pays traverse ensuite une profonde crise politique, provoquée par les enquêtes de la magistrature sur le système endémique de corruption ainsi que par l’implosion de l’Union soviétique. En quelques années, après la chute du mur de Berlin, les partis qui avaient été des protagonistes de la lutte contre le fascisme et de l’élaboration de la nouvelle Constitution (Démocratie Chrétienne, Parti Socialiste, Parti Libéral et Parti Républicain) s’écroulent, le Parti Communiste se transforme (avec le « virage de la Bolognina » réalisé par Achille Occhetto), nouvelles formations politiques émergent (la Ligue du Nord et allez l’Italie (Forza Italia), et, last but not least, le Mouvement Social Italien se mue en Alliance nationale (avec le congrès de Fiuggi)25. C’est dans cette situation que Silvio Berlusconi « dédouane » les anciens néo-fascistes : en 1993, il s’exprime pour la première fois dans le débat politique italien pour apporter son soutien à Gianfranco Fini aux élections municipales de Rome ; l’année suivante, il forme son premier gouvernement avec la Ligue du Nord et Alliance Nationale26.

Le « sommerso » de l’Italie républicaine

Indépendamment de toutes ces transformations du début des années 1990, dans le pays, il y a toujours eu une strate souterraine forte et durable (« sommerso ») qui n’adhère pas à l’antifascisme et qui continue à encourager des solutions autoritaires27. En premier lieu, les fascistes ne se sont pas évaporés du jour au lendemain. Dès la fin de la guerre, des anciens de la République de Sociale Italienne (1943-45) – comme Pino Romualdi, Junio Valerio Borghese et Giorgio Almirante – ont commencé à se réorganiser28. L’amnistie pour les crimes de droit commun, politiques et militaires commis sous l’occupation nazie-fasciste, votée en juin 1946 par le Parlement sur la proposition du secrétaire du Parti Communiste et ministre de la Justice Palmiro Togliatti, donne une légitimité à leur action politique29. Après s’être manifestés par quelques gestes spectaculaires (notamment le vol du corps de Mussolini30), ils fondent le Mouvement social italien, avec un programme politique inspiré de la « Charte de Vérone », élaborée lors du premier Congrès du Parti fasciste républicain, en novembre 1943. Comme Almirante le déclare, dix ans plus tard, il s’agissait d’apprendre à « être fascistes en démocratie » : « Nous seuls sommes étrangers, et c’est un titre d’honneur, mais aussi une difficulté effrayante pour cette démocratie [...] Et notre courage a consisté, en 1946, à adhérer en tant que MSI, c’est-à-dire en tant que parti opérant dans cette démocratie »31

Dans les décennies suivantes, le Mouvement Social Italien alterne une politique d’alliance parlementaire avec la Démocratie chrétienne (soutien aux gouvernements Pella, Zoli, Segni, et surtout Tambroni) et des pratiques violentes. Il anime la révolte autonomiste de Reggio Calabria (1970-1971), avec le soutien de la Ndrangheta32. Certains de ses militants, ainsi que ceux d’autres mouvements d’extrême droite (Ordine nuovo, Avanguardia nazionale, Europa civiltà, le Squadre d’azione Mussolini, Ordine nero, et, plus tard, les Nuclei armati rivoluzionari, Costruiamo l’azione, Terza posizione), sont impliqués dans une politique subversive basée sur quatre types d’initiatives : la « stratégie de la tension », à savoir une série d’attentats terroristes visant à créer un état de peur généralisée – à Piazza Fontana à Milan (1969), à Gioia Tauro (1970), à la Préfecture de police de Milan (1973), à Piazza della Loggia à Brescia (1974), sur le train Italicus Express, près de Bologne (1974), à la gare de Bologne (1980) – ; l’organisation de structures secrètes, dans certains cas paramilitaires ; des réseaux internationaux (les structures Gladio ou Stay-behind) ; la planification et la menace de coups d’État – le plan Solo (1964), le plan Borghese (1970), la Rosa dei venti (1973), ainsi que le plan Edgardo Sogno (1974)33. Comme la découverte des listes de la loge maçonnique P2 le démontre, certaines de ces initiatives, soutenues par des membres de l’armée et de l’État, expriment aussi la détermination d’importants secteurs de la classe dirigeante de briser le cadre politico-institutionnel de la République34.

Par ailleurs, la question de la persistance du fascisme dépasse les activités de l’extrême droite35. Une partie importante du pays qui, en 1946, a voté pour la monarchie ou pour le mouvement de Guglielmo Giannini, l’Uomo qualunque, a « subi » la Constitution et demeure réfractaire et substantiellement indifférente à la démocratie36. Comme Piero Calamandrei l’écrit, dès 1952 :

« Le fascisme, en tant qu’ordre politique, est terminé : ses structures extérieures, les colonnes en papier mâché et les arcs de la fausse antiquité, nous le savons, ne reviendront plus. […] Mais la coutume souterraine demeure ; elle circule, serpente, fermente : elle nourrit d’autres vols, encourage d’autres arrogances, suscite d’autres oppressions »37.

Plusieurs témoins de l’époque partagent ces préoccupations : il suffit de penser aux dernières pages de Cristo si è fermato a Eboli38, le plus célèbre ouvrage de Carlo Levi (publié en 1945), ou à l’évocation par le président du Conseil Ferruccio Parri, chef partisan et personnalité éminente du mouvement libéral-socialiste « Giustizia e Libertà », de « l’immense armée parafasciste, le ventre obèse de l’histoire de l’Italie »39.

Dix-sept ans plus tard, au congrès de la Démocratie chrétienne, Aldo Moro confirme cette intuition :

« Les démocrates-chrétiens ont la même raison morale, la même raison politique et donc la même répulsion et résistance à opposer à toute force potentielle de subversion de l’ordre libre de l’Italie démocratique. De plus, notre vigilance et notre résistance doivent être plus grandes, précisément parce que l’ampleur de ce risque pour les institutions ne se compte ni en votes ni en sièges parlementaires et qu’il est également vrai qu’il ne réside pas seulement dans le MSI […]. Nous savons bien, et nous l’avons déjà indiqué, que la racine du totalitarisme fasciste s’enfonce dans le corps social de la nation, là où il y a des privilèges qui ne veulent pas céder le pas à la justice qui progresse fatalement dans une société démocratique, là où il y a des petitesses mentales, de l’égoïsme et des fermetures, là où l’on craint la liberté et où l’on ne croit pas en sa force créatrice, rédemptrice et, en fin de compte, ordonnatrice et garante, là où l’on regarde en surface les choses et le chemin de l’histoire, là où l’on compte imprudemment sur l’efficacité résolutoire illusoire de la force »40.

Cette droite, qui ne peut pas être qualifiée exactement de fasciste, a conditionné en profondeur l’évolution du cadre politique italien41. Ce n’est pas, comme l’indique Francesco Biscione, un phénomène marginal, « un épiphénomène ou une déviation, mais une partie intégrante de l’équilibre des pouvoirs [...], qui a trouvé à plusieurs reprises le moyen d’affecter de manière significative les différentes phases de la vie politique du pays »42. Bien que celle-ci s’exprime rarement, elle est très présente dans la société et elle a une forte influence sur les équilibres électoraux, politiques et de pouvoir.

Comme le montre la citation de Moro, la Démocratie chrétienne a géré de manière extrêmement habile ce « sommerso ». Mais, à partir des années 1990, avec la crise des partis de masse, celui-ci s’est adressé à de nouvelles forces politiques, ou, plus précisément à des personnages symboliques. Tout d’abord, Silvio Berlusconi, qui affiche à plusieurs reprises sa gêne vis-à-vis des procédures complexes de la démocratie parlementaire (l’une de ses expressions préférées étant : « laissez-moi travailler »43) et récupère, en même temps, le thème de l’anticommunisme ainsi que le mépris des lois (la tolérance de l’illégalité). Aujourd’hui, c’est le « capitaine » Matteo Salvini qui rassemble cette droite grâce à un crescendo de mots d’ordre – « les italiens d’abord », « pour les clandestins, la fête est finie » –, jusqu’à la déclaration du 9 août 2019 : « Je demande aux Italiens s’ils veulent m’accorder les pleins pouvoirs, pour faire ce que nous avons promis sans boulet aux pieds ».

Même s’il ne souhaite pas le retour du régime, le « sommerso » a toujours regardé l’expérience fasciste de manière indulgente, voire bienveillante. Il reprend certains des thèmes clés du récit néofasciste : l’héroïsme des soldats italiens (y compris leur résistance à El Alamein), la polémique contre l’anti-fascisme, ainsi que l’accusation formulée contre l’Union Soviétique d’avoir maltraité les prisonniers de guerre. À cet égard, on peut distinguer au moins trois stratégies de défascisation du fascisme : la représentation du fascisme comme dictature d’opérette, l’anti-antifascisme, et le jeu de cache-cache avec le fascisme. Je ne ferai qu’évoquer les deux premières, à partir de nombreuses études historiques disponibles sur le sujet. Ensuite, je m’attarderai plus longuement sur la troisième en me basant sur la chronique italienne de ces toutes dernières années.

Une dictature d’opérette

Dans l’après-guerre, ce fut la représentation du fascisme comme une aventure plus comique que tragique : « une sorte de farce histrionique de simulation collective, récitée vingt ans durant par les Italiens, sous une dictature personnelle, légèrement autoritaire, jusqu’au jour où elle fut dévoyée par l’Allemagne nazie, qui lui inocula le racisme et l’antisémitisme et l’entraîna sur la voie de la perdition »44. Selon cette légende confortable, qui défascise de manière rétroactive le pays, les Italiens auraient adhéré au fascisme plus par naïveté que par réelle conviction. Ils se seraient aussi distingués des soldats allemands par leur humanité. De plus, le régime de Mussolini n’aurait rien de commun avec les régimes d’Hitler et de Staline45.

Cette vision du fascisme est prônée, dès 1945, par une littérature qualunquista (incarnée par les revues L’uomo qualunque de Guglielmo Giannini, Il Candido de Giovannino Guareschi et Giovanni Mosca, et Il Borghese de Leo Longanesi), qui soutient la Démocratie chrétienne mais revendique son indifférence politique et dénigre toute forme d’engagement social46. Elle a été ensuite réélaborée par des journalistes comme Renato Angiolillo, Indro Montanelli et Mario Cervi, plus récemment Arrigo Petacco, Roberto Gervaso ou Antonio Spinosa, qui ont écrit de nombreux best-sellers montrant combien le fascisme avait été un régime à « l’eau de rose » et soulignant que les Italiens n’avaient pas été trop brutaux pendant la guerre47. Comme l’écrit Emilio Gentile :

« Fondé sur rien, le fascisme aurait disparu en ne transmettant aucun héritage si ce n’est la mémoire d’une expérience plus burlesque que tragique, bien qu’elle se fût conclue en tragédie, à laquelle les Italiens avaient participé en victimes inconscientes, se laissant parfois séduire par un Duce bouffi d’orgueil et histrion, qu’ils avaient acclamé comme un grand homme plus par naïveté et conformisme que par réelle adhésion à ses idées et à son régime »48.

L’anti-antifascisme

Le projet de défascisation du fascisme revient en force tout au long des années 1990, avec le dédouanement d’Alliance Nationale. Son leader, Gianfranco Fini, avait toujours revendiqué « les valeurs éternelles et non historisables » du fascisme, commémoré la Marche sur Rome et même exprimé son opposition aux « principes de 1789 »49. Désormais, il demande que sa nouvelle formation politique soit jugée « sur la base de faits et non sur des ascendances historiques ». Il propose dans le même temps de renoncer à l’antifascisme : « Je n’ai aucune raison de nier que l’antifascisme a été un moment historiquement essentiel pour le retour des valeurs de la démocratie, en Italie, mais la tentative de promouvoir l’antifascisme en tant que valeur est une tentative de la gauche, c’est la tentative de Togliatti »50. Il s’agit de remplacer l’opposition fascisme/antifascisme par l’opposition totalitarisme/démocratie – et, pour lui, comme pour De Felice, le fascisme n’a pas été totalitaire51. Dans les années suivantes, il prend ses distances avec son passé : il visite les Fosses ardéatines, et, pendant son voyage en Israël, il déclare que le fascisme a été « le mal absolu du XXe siècle »52. S’agit-il d’un changement réel ou bien d’un simple maquillage ? La réponse n’est pas simple53. Quoi qu’il en soit, et indépendamment de ses intentions personnelles, Fini propose une « mise à jour » de l’image du fascisme, fondée sur plusieurs éléments : des jeux de mots sur les lois raciales (« une erreur qui avait tourné à l’horreur »), un rappel des mérites historiques du régime (la modernisation du pays, les innovations architecturales, les mesures de protection sociale, la lutte contre la mafia), la négation ou le travestissement des aspects violents et coercitifs du régime, et le rejet de l’antifascisme comme valeur politique.

Cette nouvelle vulgate du fascisme n’est pas l’apanage exclusif d’Alliance Nationale. Silvio Berlusconi et ses collaborateurs affichent sans cesse leur indifférence, si ce n’est leur hostilité, à la fête de la Libération du 25 avril, proposant de remplacer cette date par celle du 4 novembre (« victoire » italienne de Vittorio Veneto en 1918), voire du 18 avril (défaite de la coalition de la gauche aux élections nationales en 1948), quand ils n’invitent pas la population à aller à la mer plutôt que de se rendre aux célébrations organisées54. Ils s’attachent à leur tour à donner une image édulcorée du régime. Le 13 septembre 2003, lors d’un long entretien donné à l’hebdomadaire britannique The Spectator, Berlusconi déclare ainsi : « Mussolini n’a jamais tué personne ! Tout au plus, il se contentait d’envoyer des opposants dans des lieux de villégiature »55 (allusion au bannissement d’opposants sur des îles isolées de la Méditerranée)… Deux ans plus tard, son parti invite les italiens à « dire non aux dictatures », lors d’une manifestation pour l’anniversaire de la chute du mur de Berlin. La liste des dictateurs comprend Hitler, Staline, Fidel Castro, Saddam Hussein et Oussama ben Laden – Mussolini y brille par son absence56. En même temps, on commence à célébrer des personnalités du fascisme. Ainsi de Rachele Mussolini, Giuseppe Bottai, Dino Grandi, Italo Balbo ou Giovanni Gentile, et, incroyable mais vrai, de Rodolfo Graziani, responsable de crimes contre l’humanité en Lybie et en Ethiopie57.

L’édulcoration du fascisme implique deux opérations liées entre elles. D’une part, il s’agit de faire petit à petit de l’antifascisme « l’infâme de l’histoire italienne »58. L’attention de l’opinion publique est réorientée sur les victimes de la Résistance. Le massacre des foibe, perpétré par les partisans yougoslaves du maréchal Tito, est comparé à l’Extermination des Juifs par les Nazis59. Et, de manière plus générale, le mouvement de Libération est présenté comme une sorte de mouvement « antidémocratique », à la solde de l’Union Soviétique, coupable d’une gigantesque tuerie (l’assassinat de Giovanni Gentile, le massacre de Porzûs60, les représailles dans le « Triangle rouge », ou « Triangle de la mort », près de Modène en Emilie). Les mois qui ont suivi la défaite des nazis et des repubblichini sont rappelés surtout pour les exécutions sommaires et l’épuration extralégale accomplis par les résistants61. Bref, comme Giorgio Rochat l’a remarqué : pour les forces de centre droit, il ne s’agit plus de critiquer les diverses interprétations et les études menées sur les différents aspects de la Résistance, mais c’est la Résistance elle-même qui, en tant que problème politique, doit être éliminée62. C’est dans ce climat qu’en 2003, le président du Sénat, Marcello Pera, exprime son regret d’appartenir à une génération qui a dû attendre cinquante ans pour s’affranchir de l’histoire officielle écrite par la gauche, et propose une assimilation entre antifascisme et communisme. Cette attaque contre l’antifascisme a en outre été souvent nourrie par des historiens « de talk-show » (comme Giordano Bruno Guerri) ainsi que par des historiens universitaires (à commencer par Renzo De Felice et Ernesto Galli della Loggia63).

 

D’autre part, les actes des fascistes (« les vaincus ») et ceux des partisans (« les vainqueurs ») sont mis sur un pied d’égalité. Cette idée de « réciprocité » a été lancée par Fini lors du congrès de Fiuggi (1995) :

« S’il est juste de demander à la droite italienne d’affirmer sans réticence que l’antifascisme fut un moment historiquement essentiel pour le retour des valeurs démocratiques que le fascisme avait violées, il est également juste et spéculaire de demander à tous de reconnaître que l’antifascisme n’est pas une valeur en soi et que sa fondation et sa promotion (…) étaient le fait des pays communistes et du PCI pour se légitimer pendant l’après-guerre »64.

Depuis, c’est cette logique du « spéculaire » qui prévaut. On prône le projet de construire une nouvelle mémoire publique, en mesure de dépasser l’opposition entre fascisme et antifascisme ainsi que de reconnaître une égale dignité historique et morale aux deux parties. Loin de promouvoir la reconnaissance mutuelle entre mémoires différentes et divergentes, cette « mémoire partagée » devrait imposer un récit public fondé sur l’idée que les Italiens ont toujours été et seront toujours les mêmes : impétueux, généreux et peu réflexifs.... l’un vaut l’autre, quel que soit le choix politique qu’il a fait65. Dans cette perspective, en 2006, Alliance Nationale tente de faire reconnaître, à travers un projet de loi controversé, les miliciens de la République de Salò comme « belligérants » au même titre que l’ensemble des militaires engagés dans les conflits de la Seconde Guerre mondiale. Ce projet a été soutenu aussi par certains membres de la gauche. Le 9 mai 1996, dans son intervention d’investiture à la charge de président de la Chambre des députés, Luciano Violante, à l’époque député du Parti démocratique de la gauche (PDS), déclare :

« (...) Je me demande si l’Italie d’aujourd’hui – donc nous tous – ne devrait pas commencer à réfléchir sur les vaincus d’hier. Non pas parce qu’ils avaient raison ou parce qu’il faudrait accepter, pour des convenances difficiles à déchiffrer, une sorte d’inacceptable égalité des parties ; mais parce qu’on doit s’efforcer de comprendre, en évitant tout révisionnisme falsificateur, les raisons pour lesquelles des milliers de garçons et de filles, en particulier, quand tout était perdu, ont choisi de se ranger du côté de Salò, et non du côté des droits et des libertés »66.

Panificio Automatico Continuo, Milano

Panificio Automatico Continuo, arch. Mario Faravelli & Enrico Cardani, 1925-1926

Jouer à cache-cache avec le fascisme

Au cours des dernières années, la Ligue du Nord a noué des relations de plus en plus étroites avec Casa Pound et avec d’autres groupes néofascistes (tels que Lealtà Azione de Stefano Del Miglio et Giacomo Pedrazzoli, le Movimento Nazionale per la Sovranità de Gianni Alemanno), qui revendiquent de manière explicite l’héritage de la République sociale67. L’alliance se fonde sur le partage d’un ensemble de thèmes communs : une politique xénophobe dirigée contre les migrants, qui seraient coupables d’envahir le pays, de répandre la criminalité et de mettre en œuvre un plan de substitution ethnique (le célèbre plan Kalergi) ; une dénonciation du système financier global, souvent accompagnée de propos antisémites (c’est la faute à l’usurier George Soros !) ; l’exaltation de la nation dans un registre revanchiste et victimaire (c’est la faute aux technocrates de Bruxelles !) ; une rhétorique mystificatrice fondé sur l’idée de racisme inversé (contre les discrimination à l’égard des Italiens !) ; la défense de la famille « faite par une mère et un père » (voir la photo du ministre Lorenzo Fontana aux côtés du pronazi Luca Castellini lors de la marche pour la famille, qui s’est tenue à Vérone, en mars 2019, pour réaffirmer l’importance de la cellule de base de la société, face « aux attaques, notamment LGBT, avec la dénaturation du mariage et l’idéologie du gender ») ; la défense de l’identité religieuse (voir les photos : Salvini embrassant le crucifix ; Salvini arrivant au dernier Congrès de la Ligue en portant une crèche). Parfois, l’escalade de la violence verbale (insultes racistes et antisémites, exaltation de Mussolini et d’Hitler, négation ou dérision de la persécution des Juifs, etc.) va de pair avec l’escalade de la violence physique (chasse aux immigrés, aux LGBTQ, aux Roms, agressions contre des journalistes, vandalisme et profanation de pierres tombales, etc.68). L’épisode le plus grave s’est passé à Macerata, le 3 février 2018 : Luca Traini, militant de la Ligue du Nord, tire sur un groupe d’africains, blessant six d’entre eux (cinq hommes et une femme), afin de « venger » le meurtre d’une jeune femme de dix-huit ans, Pamela Mastropietro, pour laquelle un sans-papiers nigérian avait été interpellé. Ensuite, il s’arrête devant le monument aux morts de la ville, revêtu d’un drapeau italien, tend le bras pour faire un salut fasciste, et crie « Vive l’Italie ! »69.

Par ailleurs, l’apologie du fascisme est devenue un « sport » à la mode70. Laissons de côté les manifestations néofascistes organisées, les pèlerinages à Predappio, la ville natale de Mussolini (environ 3 000 personnes le 28 octobre dernier), les profils facebook néonazis, les twitter d’éloge du régime, les inscriptions murales reproduisant des slogans fascistes (« Boia chi molla », « Col duce sino alla morte », etc.), les chœurs racistes dans les stades, les concerts de musique rock identitaire (Ultima frontiera, Fantasmi del passato, Spqr, Zetazeroalfa)71…. Ce qui semble nouveau c’est le recours banal et apparemment anodin à des symboles fascistes : gâteaux avec le visage d’Adolf Hitler dans une fête d’anniversaire de teenagers72, cappuccinos avec la svastika73, blagues sur Anna Frank74, usage des uniformes de SS (près de Marzabotto, lieu du massacre de civils le plus meurtrier perpétré par les nazis en Europe occidentale, faisant entre 770 et 1830 victimes), tatouages de svastikas à gogo75, déguisements nazis dans un festival de BD76, t-shirt avec l’inscription « Auschwitzland »77, croix gammée dessinée sur la pente d’un champ agricole78, bouteilles de vins avec les portraits d’Hitler et de Mussolini dans des lieux touristiques79, pizzas avec symboles nazis à Rome (commentaires : «Dachau meravigliao», « All You Can Hitler», etc.), publicité de Mein Kampf sur le site d’une agence de web design80 ; bateaux affichant des photos et des slogans de Benito Mussolini81, statuette d’Hitler dans une crèche artisanale de Naples82, calendriers fascistes dans les kiosques à journaux de la plupart des gares, chansons fascistes diffusées dans une patinoire83, autocollants représentant Furio Honsell, membre du parti démocrate, avec l’« uniforme » rayé des déportés dans les camps nazis et l’inscription « maire d’Auschwitz »84, le professeur d’histoire du droit de Sassari demandant des funérailles fascistes, le professeur de philosophie du droit à l’Université de Sienne qui exalte les Protocoles des sages de Sion : « Ce qui compte, ce n’est pas de savoir qui sont les vrais auteurs du document, parce qu’il pourrait vraiment être un “faux” dans un sens technique, mais la question : les faits qui y sont décrits sont-ils vrais ou faux ? Puisque ce qui se passe dans le monde aujourd’hui est la preuve évidente qu’ils sont vrais »85

 

Ces quelques exemples épars démontrent qu’aujourd’hui, en Italie, l’usage de symboles fascistes n’est pas le fait exclusif de quelques extrémistes86. Le fascisme est une « référence » pour des personnes issues de milieux socio-économiques différents, dans des perspectives distinctes. À côte des nostalgiques du régime ou des premières années du mouvement fasciste (comme Gabriele Adinolfi, admirateur de la période 1919-1922), il y a une nébuleuse de gens attirés, de manière plus ou moins réfléchie, par des « morceaux » de fascisme : racisme, xénophobie, culte du chef et de l’homme fort, mépris pour la culture, dénigrement de la démocratie représentative, mythe de la souveraineté (« les Italiens d’abord »). Certains justifient l’éloge de Mussolini (et même de Hitler) au nom de l’humour ; tous invoquent la liberté d’opinion : « Il voulait juste faire une blague, dédramatiser, c’est un truc de garçon », « ce n’est qu’un jeu, qu’une boutade », « une plaisanterie potache », « une maladresse, faite par une personne qui travaille du matin au soir, d’abord à l’usine et ensuite dans les champs », « une personne qui va à la messe chaque dimanche et qui n’appartient à aucun groupe politique, encore moins un fasciste, pour l’amour de Dieu ».

Le cas de la plage de Punta Canna, dans la lagune de Venise, demeure emblématique. Le dimanche 9 juillet 2017, le quotidien la Repubblica a révélé que Gianni Scarpa, le gérant des bains publics (sur un terrain qui est propriété de l’État), diffuse, via haut-parleur, des messages de ce type : « Les gens mal élevés me dégoûtent, les gens sales me dégoûtent, la démocratie me dégoûte. Je suis favorable au régime [fasciste] mais, ne pouvant pas l’appliquer hors de chez moi, je l’applique chez moi ». Des panneaux préviennent : « Service réservé aux clients, sinon… matraque sur les dents », ou encore interdisent l’accès à une cabine au moyen de la mention : « Chambres à gaz ». La photo d’un enfant accompagne ces mots : « Grand-père Benito, je te prie de revenir pour que nous ayons une Italie honnête et propre »87. Les 650 clients des bains publics sont des gens « normaux », employés et cadres aisées, susceptibles de voter pour les partis du centre et de la gauche. Interrogés par la presse, ils ont déclaré n’être pas intéressés par la politique, et avoir choisi cette plage pour des raisons d’esthétique et de propreté. La plupart d’entre eux ont réclamé une certaine tolérance : chacun a droit à son « credo », et le gérant est un personnage sympathique, capable de boutades rigolotes88. Cet état d’âme a été ensuite résumé par le maire adjoint de Chioggia :

« Pourquoi gaspiller les ressources de la police dans ce genre de choses, au lieu de contrôler les squatters qui circulent sur la plage ? Quelqu’un parle d’apologie du fascisme, pour moi il s’agit d’une question borderline, d’autant plus que ni les touristes ni les résidents, et ils ne sont pas tous de droite, ne se sont jamais plaint. Pour ce que j’en sais, il n’y a jamais eu de problèmes d’ordre public. On savait que le propriétaire était un “personnage” avec des sympathies de droite, extravagant, un peu potache. Rien de plus… »89.

Après la publication de l’article, le préfet de Venise a ordonné le retrait de la licence d’exploitation de la plage pour Scarpa. Mais l’histoire ne s’est pas terminée pour autant. L’ancien gérant continue de la fréquenter. L’été dernier, avec le consentement du nouveau gérant, il s’est amusé à encourager les touristes à faire le salut fasciste et à chanter Faccetta nera, la « bande sonore » de la campagne d’Abyssinie (1935-1936) : il faut voir la vidéo pour y croire90.

Confortés par ce genre de signaux, les partis de la droite jouent à cache-cache avec le fascisme. Ils ont développé une double stratégie de communication : utiliser les symboles et les références fascistes et, en même temps, nier l’existence du fascisme. Matteo Salvini paraphrase des expressions « chéries » de Mussolini : « me ne frego », « tant d’ennemis, tant d’honneur », « nous les chasserons sur le rivage », « je veux les pleins pouvoirs », « tiro dritto », etc.91 Il poste des photos de lui en militariste (la plus célèbre est celle avec une mitrailleuse dans sa main92). Il endosse des vêtements Pivert, une marque liée à CasaPound, très en vogue chez les jeunes néo-fascistes93. Il rencontre (et embrasse) le militant Luca Lucci, condamné pour trafic de drogue94. Il fait l’éloge de la période fasciste au nom de la liberté de parole : « Que sous Mussolini beaucoup de choses aient été faites et que le système de pension ait été introduit est une évidence. Bien sûr, les lois raciales et les persécutions ont été l’une des choses les plus folles de l’histoire de l’univers. [...] Peut-on dire que les marais ont été bonifiés à cette époque ? ». Il parle depuis le balcon du Duce à Forlì et twitte le lendemain : « Un spectacle hier soir ! Je commence sous l’eau depuis le balcon donnant sur la place principale de #Forlì ! Si Boldrini l’apprend... »95. Il publie un livre-entretien chez la maison d’édition Altaforte, dirigée par un militant de CasaPound, qui accueille, dans son catalogue, des livres intitulés Diario di uno squadrista toscano ou Il cinema tedesco del terzo Reich96. De leur côté, en avril, Frère d’Italie organise, à Padoue, un dîner social (dans un restaurant public), pour célébrer la publication, par la maison d’édition Passaggio nel Bosco, de La doctrine du fascisme, écrit par Mussolini et Giovanni Gentile en 1932. En guise d’invité d’honneur, Caio Mussolini, l’arrière-petit-fils du Duce. Face aux protestations de l’Anpi et du Parti Démocratique, Davide Mauri, l’organisateur de la soirée, déclare : « Je veux rassurer toutes les organisations qui se sont mobilisées contre nous, pour nous faire taire et nous priver du droit d’opinion et de parole : cet événement aura lieu. Nous ne le ferons pas dans ce club, mais nous nous retrouverons ce soir contre cette tentative de censure politique ». Malgré ces obstacles, le parti n’en démord pas. Le 28 octobre dernier il organise un dîner social pour célébrer l’anniversaire de la Marche sur Rome (avec la participation du maire de Ascoli Piceno).

En même temps, Frères d’Italie et la Lega du Nord pratiquent une sorte de rhétorique de l’inexistentialisme. En novembre dernier, Daniela Santanchè a résumé ainsi la question : « il n’y pas et il n’y a pas eu un problème de fascisme dans cette nation. Les Italiens ont d’autres problèmes »97. Après avoir assuré que le fascisme a été un phénomène historique extrêmement complexe, Giorgia Meloni a déclaré : « Quand le Parti Démocratique passe à la télévision, on parle de sujets d’actualité, quand j’y vais, on m’interroge sur les lois raciales, Mussolini, les guerres puniques, l’Empire romain... »98. Le même concept est répété inlassablement par Salvini. En 2017, après avoir rendu visite au gérant de la plage de Punta Canna99, il déclare :

« Il ne s’agit pas d’une visite politique mais de soutenir une activité professionnelle qui donne du travail à des dizaines et des dizaines de personnes. Je ne suis pas intéressé par les idées de tel ou tel maître-nageur, de tel ou tel établissement de bains. Je souhaite qu’en Italie, on puisse faire des affaires librement et que les idées du passé ne soient pas mises en examen ».

 

En 2019, le message est devenu obsédant : la Libération de l’Italie n’est qu’« un derby entre fascistes et communistes » (23 avril) ; « Ici il n’y a pas d’extrémistes, de racistes, de fascistes. L’Italie est divisée entre ceux qui pensent à travailler et ceux qui continuent à s’occuper des fantômes du passé » (18 mai 2019, meeting avec Geert Wilders (VVD), Joerg Meuthen (Afd), Marine Le Pen (RN)) ; « Pour moi, le salut fasciste et le poing levé sont hors du temps et de l’histoire, tout simplement. Le fait qu’il y ait quelqu’un qui rappelle le passé, à mon avis, en 2019, n’a plus de sens politique. Que vous [les journalistes] soyez capables de rabaisser une manifestation de milliers de personnes avec deux bras ou deux poings ne fait pas honneur au métier de journaliste, mais chacun le pratique comme il le veut » (9 septembre 2019)100 ; « parler du fascisme en 2019 n’a plus de sens » (28 septembre 2019)101 ; « Il n’y a pas de fascistes en Italie. Mais je défends les millions d’Italiens qui sont fiers d’être Italiens, qui exigent le respect de notre histoire, de notre culture... » (6 novembre 2019) ; « Je ne suis pas fasciste, je suis italien et fier d’être italien. Et dans ma maison, vous entrez en sonnant la sonnette » (11 novembre 2019).

Même les racistes n’existent pas : « J’ouvre grand les portes de ma maison, mais si quelqu’un vient ici et commence à dire, puisqu’on est en novembre, “Je n’aime pas Noël”, “Je n’aime pas la crèche”, “Je n’aime pas l’enfant Jésus”, qu’il retourne dans son village. Est-ce du racisme, est-ce du racisme ? » (6 novembre 2019) ; « Je défends le droit [de Balotelli] de jouer tranquillement sans avoir des cris de singe des spectateurs, mais je pense que les Italiens ont des problèmes plus graves et je préfère m’occuper des travailleurs d’Ilva » (10 novembre 2019). Pour le secrétaire de la Ligue du Nord, seuls des gauchistes anachroniques peuvent encore employer des références au passé : « Fasciste, nazi, raciste... Quand ils n’ont pas d’arguments, il ne reste plus à la gauche que ce refrain usé... » (6 mars) ; « Il y a des petits poissons et des gros poissons qui crient au fascisme et au racisme, mais il n’y a ni fascisme ni racisme. Nous nous occupons des impôts, des jeunes au travail, nous faisons des propositions... » (23 novembre 2019) ; « Assez avec raciste, fasciste, nazi : je suis Italien, FIER d’être italien, et, en ce qui me concerne, les frontières d’un pays sont SACRÉES, quoi qu’en disent les petits poissons » (29 novembre, sur Facebook). Lorsqu’un journaliste insiste, l’usage de la redondance permet de ne pas répondre. Corrado Formigli l’exhorte à marquer sa distance vis-à-vis de Casa Pound et lui demande : « Êtes-vous antifasciste ? ». Après avoir traîné un long moment, Salvini lance : « Discuter de ça, c’est du passé. J’étudie le fascisme et le communisme dans les livres d’histoire. Point final. Assez ». Puis : « Je suis contre tous ceux qui ne respectent pas leur prochain. Les garçons de Casa Pound qui ont manifesté à Milan n’ont pas laissé un mégot de cigarette sur le sol. Pas comme ceux des centres sociaux qui cassent les vitres et font des dégâts partout ». Enfin : « Je suis antifasciste, anticommuniste, antiraciste, antitout ce que vous voulez » (28 octobre 2014)102.

La dénégation passe parfois par la diffusion de fausses informations. Le 24 février 2017, lors du rassemblement de clôture de la campagne électorale, Salvini cite une lettre de Pier Paolo Pasolini à Alberto Moravia : « Je me demande, cher Alberto, si cet antifascisme colérique qui se déchaîne dans les rues aujourd’hui à la fin du fascisme n’est pas fondamentalement une arme de distraction que la classe dirigeante utilise contre les étudiants et les travailleurs pour empêcher le dissensus. Pousser les masses à combattre un ennemi inexistant pendant que le consumérisme moderne s’insinue et détériore une société déjà mourante ». Dommage que ce soit une fake-news, mise en circulation sur Facebook par des néofascistes…103

Les déclarations des leaders de la Ligue du Nord et de Frères d’Italie sont soutenues par l’intellectuel organique de l’extrême droite, Marcello Veneziani, qui depuis quelques années accuse la gauche d’avoir « ressuscité le fascisme et l’antifascisme ». Contre le maire de centre-gauche de la ville de Milan, Beppe Sala, il écrit :

« Il y a des marées d’immigrants illégaux […], il y a de plus en plus de criminels impunis, il y a des trafiquants de drogue […], il y a des centres sociaux et des casseurs qui à Hambourg et dans le monde entier détruisent tout et envoient les policiers à l’hôpital, sur internet il y a les sites pédophiles et terroristes, il y a mille troubles et mille urgences dans notre pays et nos villes. Et ce monsieur, sorti de la Bocconi, qui s’est présenté comme un manager et qui devrait administrer la ville la plus pragmatique d’Italie, sort ce délire psycho-politique comme s’il revenait de la boucherie de Piazzale Loreto en 45 »104.

Faut-il signaler qu’à lire cet article la période fasciste serait réduite à piazza Loreto, et donc à l’exposition macabre du cadavre de Mussolini ?!

« History doesn’t repeat itself but it often rhymes » (Expression attribuée à Mark Twain)

On peut critiquer les abus du terme de fascisme, à commencer par les notions de « fascisme de consommation » de Pier Paolo Pasolini105 ou de « fascisme moléculaire » de Felix Guattari106. On peut douter de l’utilité de la catégorie de « fascisme éternel » et on peut regretter certaines simplifications – comme le « jeu » inventé par Michela Murgia, proposant à chaque Italien de mesurer son propre niveau de fascisme107. On peut aussi être insatisfaits de la rhétorique antifasciste et agacés par l’habitude de manier l’invective « fasciste » à tort et à travers. Cela dit, peut-on vraiment dire que le fascisme est né en 1921 et a fini en 1945 ? Croire que, dans l’Italie d’aujourd’hui, l’une des priorités politiques est de se débarrasser de l’idéal antifasciste ? Répéter, comme un refrain rassurant, que l’histoire ne se répète pas ? Bien sûr, les temps ne se rejouent jamais. Bien sûr, aujourd’hui les conditions historiques ne sont pas les mêmes que celles de l’après-guerre de 1914-1918. Bien sûr, l’Italie n’est pas une dictature totalitaire. Mais la mort du régime fasciste n’a pas impliqué automatiquement la mort de l’idéologie fasciste. Des « ingrédients » qui ont contribué à l’avènement du fascisme sont en train de ressurgir et d’être remaniés. Surtout, les forces qui ont prôné la banalisation du régime – et qui n’ont jamais disparues – sont de plus en plus florissantes.

D’un certain point de vue, le débat dépasse le phénomène du fascisme et concerne la question de l’anachronisme. Gentile et De Bernardi proposent une vision linéaire et irréversible du temps historique, fondée sur les figures de début et de fin : les phénomènes historiques sont ancrés dans des périodes historiques fermées et achevées. Dans cette perspective, Gentile insiste sur le fait que l’analogie produit, en matière de connaissance historique, des falsifications ; elle fait partie d’une tendance générale qui vise à remplacer l’histoire scientifique par une « astoriologia » (littéralement : a-historiologie, un néologisme indiquant un nouveau genre de récit historique, fondée sur l’imagination au détriment de l’analyse des faits ; son rapport à l’histoire ressemble à celui de l’astrologie à l’astronomie). Pour sa part, De Bernardi dénonce toute approche anachronique du passé : « S’il y a une leçon de l’histoire, c’est qu’elle ne se répète pas : c’est un ensemble de “faits” matériels, culturels, militaires, politiques, sociaux et mentaux uniques et non répétables, et la tâche spécifique des historiens est de ne pas confondre les éventuelles similitudes entre les événements actuels et les événements passés ». On le sait, l’anachronisme est la bête noire de l’historien : « le nom seul suffit à constituer une accusation infamante, l’accusation – somme toute – de ne pas être un historien puisqu’on manie le temps et les temps de façon incorrecte »108. Cependant, on peut penser le temps historique d’une manière différente, sur le mode de l’imbrication, et accueillir d’autres figures temporelles, comme la survivance, l’accrétion, et la déformation. En ce sens, la question de la répétition ne peut pas être écartée de manière absolue. Le passé reste une possibilité de l’avenir : comme le père d’Hamlet, il peut revenir, de manière subreptice, dans le présent d’où il a été exclu109.

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1

Je remercie Olof Bortz, Eric Michaud et Antonella Romano pour leurs suggestions et remarques critiques.

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2

Umberto Eco, « Ur-Fascism », New York Review of Books, June 22, 1995 (trad. fr. Reconnaître le fascisme, Paris, Grasset, 2017, p. 18-20, 25).

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3

José Saramago, El Pais, 14 octobre 2009. La même année, le Collettivo30, un groupe d’artistes, de chercheurs et de journalistes [en ligne] relance la question sur le plan international : « Et si nous vivions une étrange réédition des années 1920 et 1930 ? Et si, une fois de plus, dans le processus de désintégration de la démocratie, l’Italie se trouvait d’une certaine manière à l’avant-garde ? » (L’uniforme e l’anima. Indagine sul vecchio e nuovo fascismo, Bari, Action30, 2009). Sur les liens entre berlusconisme et fascisme, voir également : Gianpasquale Santomassimo, La notte della democrazia italiana. Dal regime fascista al governo Berlusconi, Milan, Il Saggiatore, 2003 ; Paolo Flores d’Arcais, « Fascismo e berlusconismo », Micromega, 5 septembre 2010.

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4

Cette expression d’Antonio Gramsci a été reprise par Donald Sassoon, Sintomi morbosi. Nella nostra storia di ieri i segnali della crisi di oggi, Milan, Garzanti, 2019.

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5

Cf. Michela Murgia, Istruzioni per diventare fascisti, Turin, Einaudi, 2018 ; Bernard Guetta, L’enquête hongroise (puis polonaise, italienne et autrichienne), Paris, Flammarion, 2019 ; Siegmund Ginzberg, Sindrome 1933, Feltrinelli, 2019 ; Madelaine Albright, Fascisme, a Warning, New York, Harper Collins Publishers, 2018, trad. fr. Fascisme. L’alerte, Paris, Editions Salvator, 2019.

Cf. également les articles suivants : Piero Ignazi, « La voglia di fascismo che cresce grazie alle nostre debolezze », La Repubblica, 1 juillet 2017 ; Roberto Saviano, « Fascism is back in Italy and it’s paralysing the political system », Guardian, February 11, 2018 ; Andrea Camilleri : « Salvini? Sarebbe stato un meraviglioso federale di Mussolini », Corriere Tv, 5 mars 2019 ; Eugenio Scalfari, « Il neofascismo ama la dittatura, è per questo che ama Salvini », La Repubblica, 23 mars 2019 ; Luciano Canfora, « In Italia il fascismo non muore mai », La Repubblica, 24 mars 2019 ; « Papa Francesco : ‘Il sovranismo mi spaventa, porta alle guerre’ », La Stampa, 9 août 2019 ; Natalia Aspesi, « Piazza Fontana: anatomia di una strage nera », La Repubblica, 25 septembre 2019 ; Gad Lerner, « Quel mostro nero che spaventa l’Italia e la Germania », La Repubblica, 20 février 2020. Écouter également l’émission « Siamo tornati fascisti ? », La citta di radio 3 [en ligne]

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6

http://www.censis.it/rapporto-annuale/sintesi-del-53°-rapporto-censis

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7

https://eurispes.eu/news/eurispes-risultati-del-rapporto-italia-2020/

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8

Luciano Canfora, La scopa di don Abbondio, Rome-Bari, Laterza, 2018 ; Luciano Canfora, Fermare l’odio, Rome-Bari, Laterza, 2019.

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9

Luciano Canfora, « ’Fermare l’odio’. Il pericolo del razzismo », Libertà Sicilia, 12 novembre 2019.

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10

Robert Paxton, « Fascisme », in Ch. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia, N. Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, p. 1036.

Voir aussi Robert Paxton, Anatomie du fascisme, 2004 : le fascisme ne repose pas explicitement sur un système philosophique élaboré, mais plutôt sur des sentiments populaires concernant les races maîtresses, leur sort injuste et leur juste prédominance sur les peuples inférieurs. Pour sa part, Enzo Traverso (« Spectres du fascisme. Les métamorphoses des droites radicales au XXIe siècle », Revue du Crieur, no 1, 2015, p. 104-121), souligne la dimension transnationale et transhistorique du fascisme.

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11

Enzo Traverso, « Spectres du fascisme. Les métamorphoses des droites radicales au XXIe siècle », Revue du Crieur, 2015/1, 1, p. 104-121.

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12

Emilio Gentile, Fascismo. Storia e interpretazione, Rome-Bari, Laterza 2002, trad. fr. Qu’est-ce que le fascisme ? : histoire et interprétation, Paris, Gallimard, 2004.

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13

Emilio Gentile, Chi è fascista, Rome-Bari, Laterza, 2019.

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14

Cf. également Gilbert Allardyce, « What Fascism Is Not : Thoughts on the Deflation of a Concept », The American Historical Review, vol. 84, no. 2, 1979, p. 367–388.

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15

Cf. Alessandra Tarquini, « Il fascismo immaginario di Pasolini, Bobbio, Eco », La lettura - Il Corriere della Sera, 4 novembre 2018. Pierluigi Battista, « La grande piazza del 94. E nacque l’idea sbagliata dell’allarme fascismo », Il Corriere della sera, 23 avril 2019 ; Paolo Mieli, « Cosa c’entra il fascismo ? Le evocazioni pericolose », Il Corriere della sera, 29 octobre 2018.

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16

Alberto De Bernardi, Fascismo e antifascismo, Storia, memoria e culture politiche, Rome, Donzelli, 2018, p. 120.

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17

Alberto De Bernardi, Fascismo e antifascismo, Storia, memoria e culture politiche, Rome, Donzelli, 2018, p. 18-19.

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18

Alberto De Bernardi, Fascismo e antifascismo, Storia, memoria e culture politiche, Rome, Donzelli, 2018, p. 167.

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19

Pour une analyse plus approfondie du récit antifasciste, voir : Filippo Focardi, La guerra della memoria, Rome-Bari, Laterza, 2005.

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20

Filippo Focardi, La guerra della memoria, Rome-Bari, Laterza, 2005, p. 156-164, 186-198.

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21

Nicola Gallerano, « Critica e crisi del paradigma antifascista », Problemi del socialismo, n. s., III/7, 1986, p 133. En fait, la question du consentement avait déjà été posée, dans les années 1930, par Palmiro Togliatti (Lezioni sul fascismo [1935], Rome, Editori Riuniti, 1970), qui avait parlé de régime réactionnaire de masse. Elle a été ensuite approfondie par Renzo De Felice dans sa biographie monumentale de Mussolini : Mussolini il Duce, Gli anni del consenso, 1929-1936, Turin, Einaudi, 1974.

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22

Loin de demander les comptes à la génération précédente pour son consentement au fascisme et pour la collaboration à une politique criminelle (comme c’est le cas en Allemagne), la génération de 68 revendique la dimension de classe de la lutte partisane (selon le slogan « La Résistance est rouge, pas démocrate-chrétienne »).

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23

Cf. Sergio Luzzatto, La crisi dell’antifascismo, Turin, Einaudi, p. 50-56.

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24

Voir l’entretien à De Felice dans Filippo Focardi, La guerra della memoria, Rome-Bari, Laterza, 2005, p. 252-258. Sur le rôle joué par De Felice dans le débat public italien, cf. Gianpasquale Santomassimo, « Il ruolo di Renzo De Felice », in E. Collotti (dir.), Fascismo e antifascismo. Rimozioni, revisioni, negazioni, Rome-Bari, Laterza, 2000, p. 415-419. Dans les mêmes années, la critique de l’antifascisme est développée aussi en Allemagne et en France. Voir, entre autres, François Furet, Ernst Nolte, Fascisme et communisme, Paris, Plon, 1998 ; Anne Kriegel, « Sur l’antifascisme », Commentaire, vol. 50, no 2, 1990, p. 299-302.

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25

Alliance Nationale nait en 1992 avec le but d’unir toutes les forces qui s’opposent à la victoire de la gauche. Le programme prévoit une réforme présidentialiste, la renaissance de la fierté nationale, la défense des valeurs de la vie et de la famille, la controverse contre les partis politiques. Voir : Roberto Chiarini, Destra italiana : dall’Unità d’Italia a Alleanza nazionale, Venice, Marsilio, 1995, p. 65.

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26

Malgré ces changements, la politique de l’arc constitutionnel a continué à être défendue, sur le plan institutionnel, par la Présidence de la République (notamment par Carlo Azeglio Ciampi et Giorgio Napolitano, qui ont souligné le caractère patriotique de la Résistance et réaffirmé la démarcation entre fascistes et antifascistes).

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27

Francesco Biscione, Il sommerso della Repubblica : la democrazia italiana e la crisi dell’antifascismo, Turin, Bollati Boringhieri, 2003, passim.

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28

Dénomination assumée par le régime républicain fasciste établi par Mussolini, à la suite du coup d’État du 25 juillet 1943, dans la partie du territoire italien occupé par les Allemands. Son programme, exposé dans le « Manifeste de Vérone », représente la tentative d’un retour aux origines du fascisme. Loin d’être un simple allié passif des nazis, la République Sociale a joué un rôle actif dans la persécution des Juifs.

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29

Une nouvelle amnistie, promulguée en 1953, a étendu les avantages de la loi même aux fugitifs et a libéré pratiquement tous les prisonniers. Le cas le plus célèbre est celui du maréchal Rodolfo Graziani, responsable de crimes de guerre commis dans les campagnes militaires en Libye et en Éthiopie : condamné à une peine de prison de 19 ans, en 1948, il n’a purgé que quelques mois, et, en 1953, il est devenu le « président d’honneur » du MSI. Dans ses mémoires, intitulées Ho difeso la patria (Milan, Garzanti, 1948), il revendique la valeur de l’adhésion à la RSI afin de défendre l’honneur de la patrie. Cf. Angelo Del Boca, « Rodolfo Graziani », Dizionario Biografico degli Italiani, 2002, 58 [en ligne].

Sur les amnisties, voir : Hans Woller, I conti con il fascismo, L’epurazione in Italia, 1943-1948, Bologne, Il Mulino, 1997 ; Marcello Flores, Mimmo Franzinelli, Storia della Resistenza, Rome-Bari, Laterza, 2019.

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30

Voir : Sergio Luzzatto, Il corpo del duce : un cadavere tra immaginazione, storia e memoria, Turin, Einaudi, 1998, (trad. fr. Le Corps du duce. Essai sur la sortie du fascisme, Paris, Gallimard, 2014).

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31

Dans les années suivantes, Almirante revendique, à plusieurs reprises, l’héritage fasciste : « le fascisme est ici, […] pas le paléo-fascisme, mais le fascisme jeune et pérenne », dit-il en 1982. Cf. Piero Ignazi, Il polo escluso. Profilo storico del Movimento Sociale Italiano, Bologne, Il Mulino, 1989, p. 86.

Voir également : Giuseppe Parlato, Fascisti senza Mussolini. Le origini del neofascismo in Italia, 1943-1945, Bologne, Il Mulino, 2006 ; Claudio Vercelli, Neofascismi, Turin, Edizioni del Capricorno, 2019.

Sur la mémoire néo-fasciste : Francesco Germinario, L’altra memoria. L’estrema destra, Salò e la Resistenza, Turin, Bollati Boringhieri, 1999 ; Francesco Germinario, Estranei alla democrazia. Negazionismo e antisemitismo nella Destra radicale italiana, BFS Edizioni, 2001.

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32

Cf. Fabio Cuzzola, Reggio 1970 : storie e memorie della rivolta, Roma, Donzelli, 2007. Entre 1969 et 1973, 95 % des épisodes de petite violence (coups, agressions, dommages) étaient attribuables à des militants de droite (Piero Ignazi, Postfascisti ? Dal Movimento sociale italaino ad Alleanza nazionale, Bologne, Il Mulino, 1994, p. 48).

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33

L’expression « stratégie de la tension » a été formulée par l’hebdomadaire The Observer, en décembre 1969, au lendemain du massacre de piazza Fontana. Cf. Giorgio Galli, La crisi italiana e la destra internazionale, Milan, Mondadori, 1974, chap. 1° ; Mimmo Franzinelli, La sottile linea nera : neofascismo e servizi segreti da Piazza Fontana a Piazza della Loggia, Milan, Rizzoli, 2008.

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34

À cet égard, Norberto Bobbio (La strage di Piazza della Loggia, Brescia, Morcelliana, 2014, p. 56) écrit : « En fait, l’Italie n’est pas gouvernée : elle est sous-gouvernée, gouvernée “d’en bas”, par une puissance sous-jacente, c’est une véritable sous-structure qui supporte une superstructure labile ».

Voir également Leonardo Paggi, (« Violenza e democrazia nella storia della Repubblica », Studi Storici, 1998, vol. 39, no 4, p. 935-952), qui remarque : « les grands appareils bureaucratiques, sortis du fascisme comme les véritables protagonistes de la gestion politique du pays [...] continueront à déprimer et à contrer par leur force d’inertie les principales formes d’organisation politico-démocratique de la République, en encourageant constamment les formes les plus diverses d’illégalisme » (p. 942).

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35

Sur le mouvement de l’Uomo qualunque : Sandro Setta, L’uomo qualunque 1944-1948, Rome-Bari, Laterza, 1975 ; Angelo M. Imbriani, Vento del Sud. Moderati, reazionari, qualunquisti (1943-1948), Bologne, Il Mulino, 1996.

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36

Le 2 juin 1946, les Italiens sont convoqués à un référendum pour choisir la forme institutionnelle du pays. La République a recueilli 12 717 923 voix, alors que la Monarchie en obtient 10 719 284. Lors des élections locales de 1946, le mouvement de Giannini atteint environ 4 % dans le Nord, tandis que dans le Centre et le Sud il obtient 15-20% des voix, et il est le premier parti à Palerme et à Messine (respectivement 24,53 % et 30,60 %). Même si le mouvement ne partage pas les références idéologiques au fascisme, en 1948, une partie de ses électeurs choisi de voter le MSI.

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37

Piero Calamandrei, « Per la storia del costume fascista », Il Ponte, 1952, VIII/10, p. 1337-1348. Après la guerre, l’historien Paolo Alatri avait déjà publié un article intitulé, de manière significative, « Morte apparente del fascismo » (Nuova Europa, 17 juin 1945) : « Le peuple dans son ensemble n’était pas fasciste ; les dignitaires et les fonctionnaires de l’État fasciste n’étaient pas fascistes mais ils étaient obligés de jouer leur rôle pour mendier le droit de vivre ; les ministres et les plus hauts fonctionnaires de l’État n’étaient pas fascistes mais ils avaient endossé ce masque pour que la res publica bénéficiât de leur précieuse compétence technique ou plus simplement, de leur soutien patriotique ; même les plus hauts hiérarques du régime, comme Starace et les autres, n’étaient pas fascistes et ils avaient été eux aussi corrompus et trompés, mais ils avaient changé d’avis à temps ; et l’on aurait presque envie de dire que même Mussolini n’était pas fasciste car à deux pas du peloton d’exécution il implorait qu’on le laissât s’adresser au peuple italien qui est un peuple gentil et intelligent qui aurait tout de suite compris quels incidents banals et quelles petites équivoques l’avaient contraint à étouffer la liberté, à l’engager dans une guerre qu’il ne voulait pas et qui était contraire à ses intérêts, à confirmer son alliance monstrueuse avec les Allemands, ennemis et envahisseurs après le 8 Septembre, à approuver et même à commander et à organiser les plus horribles massacres d’Italiens que l’histoire a rapportés depuis des siècles et des siècles ».

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38

Carlo Levi, Cristo si è fermato a Eboli, Turin, Einaudi, 1945 (trad. fr. Le Christ s’est arrêté à Eboli, Paris, Gallimard, 1948) ; cf. également Carlo Levi, L’orologio, Turin, Einaudi, 1950 (trad. fr. La Montre, Paris, Gallimard, 1952).

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39

Ferruccio Parri, Come farla finita con il fascismo, sous la direction de David Bidussa et Carlo Greppi, Rome-Bari, Laterza, 2019, p. 53.

Le 26 septembre 1945 Ferruccio Parri déclare : « Maintenant, vous voyez le moment politique psychologique. Il y a une vague de mécontentement qui monte contre le gouvernement, contre le régime des partis, et c’est un phénomène dont il ne faut pas s’étonner, car c’est un phénomène naturel, physiologique de la situation italienne. Avec tant de misères et tant de douleurs et tant d’angoisses et un état d’insécurité si répandu, auxquels il faut ajouter les intérêts écrasés par l’antifascisme. Il y a aussi les déçus, les déplacés, les aventuriers ; et il faut considérer l’esprit de ressentiment et de vengeance des personnes touchées. Ainsi il arrive d’assister à un processus de retournement, pour lequel les coupables finissent par juger les juges » (p. 79). Cf. Gian Enrico Rusconi, Resistenza e postfascismo, Bologne, Il Mulino, 1995.

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40

Aldo Moro, La democrazia incompiuta. Attori e questioni della politica italiana (1943-1978), Rome, Editori Riuniti, 1999, p. 117, 172. Sur la continuité des appareils de l’État, voir Claudio Pavone, Alle origini della Repubblica. Scritti su fascismo, antifascismo e continuità dello Stato, Turin, Bollati Boringhieri, 1995.

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41

Francesco Biscione, Il sommerso della Repubblica : la democrazia italiana e la crisi dell’antifascismo, Turin, Bollati Boringhieri, 2003, p. 55.

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42

Francesco Biscione, Il sommerso della Repubblica : la democrazia italiana e la crisi dell’antifascismo, Turin, Bollati Boringhieri, 2003, p. 70.

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43

Déjà en octobre 1994, Berlusconi se plaint de la lenteur du travail législatif et d’une procédure qui « me fera perdre toute la journée du mercredi pour répondre aux questions ».

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44

Emilio Gentile, Fascismo. Storia e interpretazione, Rome-Bari, Laterza 2002 (trad. fr. Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Paris, Gallimard, 2004, p. 13, dont je révise ici quelque peu la traduction).

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45

Cf. Angelo Del Boca, Italiani brava gente ? Un mito duro a morire, Vicenza, Neri pozza, 2005 ; David Bidussa, Il mito del bravo italiano. Persistenze, caratteri e vizi di un paese antico/moderno, dalle leggi razziali all’Italiano del Duemila, Milan, Il Saggiatore, 1994 ; Cristina Baldassini, L’ombra di Mussolini : L’Italia moderata e la memoria del fascismo (1945–1960), Soveria Mannelli, Rubbettino, 2008 ; Filippo Focardi, Il cattivo tedesco e il bravo italiano. La rimozione delle colpe nella seconda guerra mondiale, Rome-Bari, Laterza, 2013.

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46

Cf. Silvio Lanaro, Storia dell’Italia repubblicana. Dalla fine della guerra agli anni novanta, Saggi Marsilio, Venezia, 1992, p. 112-128 ; Bianca Maria Dematteis, « La banalisation du fascisme », Passés Futurs, 2019, 5 : [en ligne].

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47

Cf. Guido Crainz, I programmi televisivi sul fascismo e la Resistenza, dans Enzo Collotti (sous la directon de), Fascismo e antifascismo. Rimozioni, revisioni, negazioni, Rome-Bari, Laterza, 2000, p. 463-491.

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48

Emilio Gentile, « L’héritage fasciste entre mémoire et historiographie. Les origines du refoulement du totalitarisme dans l’analyse du fascisme », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 100, 2008, p. 51-62.

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49

Voir : Piero Ignazi, Postfascisti ? Dal Movimento sociale italaino ad Alleanza nazionale, Bologne, Il Mulino, 1994, p. 76-77, 87.

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50

Voir : Camera dei deputati, Atti parlamentari, XII legislatura, 20 mai 1994, p. 272. Quelques semaines plus tôt, il avait encore exprimé sa dévotion fasciste, en déclarant : « Mussolini a été le plus grand homme d’État du siècle… Il y a des phases dans lesquelles la liberté n’est pas parmi les valeurs prééminentes » (cf. Alberto Statera, « II migliore resta Mussolini », La Stampa, 1er avril 1994).

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51

Pour un examen du débat sur la notion de totalitarisme : Enzo Traverso, Le Totalitarisme. Le XXe siècle en débat, Paris, Le Seuil, 2001.

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52

Voir : Filippo Focardi, La guerra della memoria, Rome-Bari, Laterza, 2005, p. 70-71.

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53

Cf. « Gianfranco Fini, Piero Ignazi discutono del futuro della Destra », Il Mulino, 2009, 4.

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54

Cf. Pietro Scoppola, 25 aprile. Liberazione, Turin, Einaudi, 1995 ; Roberto Chiarini, 25 aprile. La competizione politica sulla memoria, Venice, Marsilio, 2005.

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55

Paolo Franchi, « Cavaliere, ripassi un po’ di storia », Corriere della Sera, 13 septembre 2003. Voir aussi, « Berlusconi : Mussolini fece bene », La Repubblica, 28 janvier 2013.

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56

Oreste Pivetta, « Dittatori, Berlusconi salva Mussolini », L’Unità, 8 novembre 2005. Quelque mois plus tôt, à l’initiative de Forza Italia, le parlement italien a voté l’institution d’un jour de la Liberté, en mémoire de la chute du mur de Berlin. En 2009, il cherche à transformer le 25 avril de fête de la Libération en fête de la Liberté.

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57

Cf. Gaia Pianigiani, « Village’s Tribute Reignites a Debate About Italy’s Fascist Past », New York Times, 28 août 2012 [en ligne].

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58

Pier Giorgio Zunino, L’ideologia del fascismo. Miti, credenze e valori nella stabilizzazione del fascismo, 1989, p. 209.

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59

Les foibe sont des cavités naturelles dans l’arrière-pays de Trieste, et dans lesquelles on a jeté des milliers d’Italiens fusillées par les partisans yougoslaves, en septembre 1943 et au printemps 1945. Elles ont fait l’objet d’une intense campagne médiatique, qui a passé sous silence la répression féroce déchainée contre la Résistance yougoslave par le fascisme. Une Journée du Souvenir, « en mémoire des martyrs des foibe et de l’exode des Istriens, des habitants de Fiume et des Dalmates », a été instituée en 2004, comme pendant de la journée de la mémoire de la libération d’Auschwitz.

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60

Le 7 février 1945, des partisans communistes ont exécuté 17 partisans de la Brigata Osoppo d’inspiration catholique et du Parti d’action. Comme Giovanni De Luna (« La storia sempre nuova dei quotidiani », in E. Collotti (dir.), Fascismo e antifascismo. Rimozioni, revisioni, negazioni, Rome-Bari, Laterza, 2000, p. 447-448) l’a remarqué, même si un jugement du tribunal de Lucques (1952) et un livre de Marco Cesselli (Porzûs : due volti della Resistenza, Milan, La Pietra, 1972) avaient reconstitué le massacre en détail, la presse a parlé de tabou et de censure culturelle.

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61

En ce qui concerne la médiatisation des meurtres commis par les partisans, un rôle fondamental a été joué par le journaliste Giampaolo Pansa. Son Il sangue dei vinti (Milan, Sperling & Kupfer, 2003) est un véritable best-seller, vendu à plus de 450 000 exemplaires. Voir aussi, du même auteur, I figli dell’aquila (Milan, Sperling & Kupfer, 2002), Sconosciuto 1945 (Milan, Sperling & Kupfer, 2005) et La grande bugia (Milan, Sperling & Kupfer, 2006).

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62

Giorgio Rochat, « La Resistenza », in Fascismo e antifascismo cit., p. 273-292.

Pour sa part, Norberto Bobbio exprime son amertume vis-à-vis de l’équidistance entre fascisme et antifascisme (« Democratici e no », La Stampa, 25 avril 1994, republié dans Filippo Focardi, La guerra della memoria, Rome-Bari, Laterza, 2005, p. 270-272). Bobbio revient sur la question dans : De Senectute, Turin, Einaudi, 1996, p. 8-9.

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63

Voir : Renzo De Felice, Rosso e nero, éd. par Pasquale Chessa, Milan, Baldini & Castoldi, 1995 ; Ernesto Galli della Loggia, La morte della patria, Rome-Bari, Laterza, 1996. Dans ces best-sellers, ceux deux historiens ont repris l’idée selon laquelle l’armistice du 8 septembre a représenté une défaite morale de la nation.

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64

Voir : Filippo Focardi, La guerra della memoria, Rome-Bari, Laterza, 2005, p. 285-286.

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65

Voir également Gabriele Turi, La cultura delle destre. Alla ricerca dell’egemonia culturale, Turin, Bollati Boringhieri, 2013, p. 22 ; Tommaso Baris, « Crisi del paradigma antifascista e retoriche politiche delle nuove destre tra Prima e Seconda Repubblica », in S. Colarizi, A. Giovagnoli, P. Pombeni (dir.), Istituzioni e politica, Rome, Carocci, 2014, t. III.

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66

XIII Legislatura della Repubblica italiana. Seduta del 9 maggio, continuata nella giornata del 10 maggio, dans https://storia.camera.it/presidenti/violante-luciano/xiii-legislatura-della-repubblica-italiana/discorso.

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67

Parmi les nombreuses enquêtes journalistiques, voir en particulier : Paolo Berizzi, Nazi Italia. Viaggio in un paese che si è riscoperto fascista, Milan, Baldini e Castoldi, 2018 ; Claudio Gatti, I demoni di Salvini. I postnazisti e la Lega, Milan, Chiare Lettere, 2019.

Sur Casa Pound, voir : Maddalena Gretel Cammelli, Fascistes du troisième millénaire. Un phénomène italien ?, Milan-Udine, Mimesis, 2017.

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69

Cf. Jérôme Gautheret, « En Italie, la petite ville de Macerata frappée de sidération par l’attentat », Le Monde, 7 février 2019. Brenton Tarrant a déclaré s’être inspiré, outre qu’à Breivik, à Traini, pour l’attaque des deux mosquées de la ville de Christchurch, en Nouvelle Zelande.

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70

Cf., entre autres, Vanessa Roghi, « Il neofascismo non è un film », Internazionale, 12 décembre 2014 ; Christian Raimo, « Ritratto del neofascista da giovane », Internazionale, 28 janvier 2018 ; Wu Ming 1, « Pasolini, Salvini e il neofascismo come merce », Internazionale, 4 juin 2018 ;« Italie. Un calendrier Mussolini dans les kiosques, comme si de rien n’était », Courrier international, 2 novembre 2018 ; Mateusz Mazzini « Cinquante nuances du svastika », Tribune de Génève, 16 septembre 2019.

Sur la mode du salut fasciste cf. la satire du comédien Maurizio Crozza : https://www.youtube.com/watch?v=Y6zJQKgpFj0

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71

Sur l’image du fascisme dans les réseaux sociaux, cf. Francesco Filippi, Mussolini ha fatto anche cose buone. Le idiozie che continuano a circolare sul fascismo, Turin, Bollati Boringhieri, 2019.

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73

Il Secolo XIX, 8 février 2109 [en ligne].

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74

Osservatorio dell’antisemitismo, 16 avril 2018 [en ligne].

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75

Osservatorio dell’antisemitismo, 14 juillet 2019 [en ligne].

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76

« Lucca Comics, sfilano vestiti da nazisti », La Repubblica, 3 novembre 2019 [en ligne].

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77

Osservatorio dell’antisemitismo, 15 novembre 2018 [en ligne].

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78

Repubblica, pages de Turin, 4 juin 2019.

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79

Osservatorio dell’antisemitismo, 12 septembre 2019 [en ligne].

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80

Osservatorio dell’antisemitismo, 29 août 2019 [en ligne].

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81

Osservatorio dell’antisemitismo, 9 août 2019 [en ligne].

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82

Corriere del Mezzogiorno, 11 décembre 2018 [en ligne].

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83

Osservatorio democratico sulle nuove destre, 23 février 2019 [en ligne].

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84

Osservatorio dell’antisemitismo, 15 mars 2018 [en ligne].

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85

La même argumentation avait été proposée par Monseigneur Ernest Jouin, responsable de la première édition française du faux : « peu importe que les Protocoles soient authentiques : il suffit qu’ils soient vrais ; les choses vues ne se prouvent pas, la véracité des Protocoles nous dispense de tout autre argument touchant leur authenticité, elle en est l’irréfragable témoin » : cité par Pierre Pierrard, Juifs et catholiques français, Paris, Fayard 1970, p. 243.

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86

Sur la mode du salut fasciste cf. la satire du comédien Maurizio Crozza : https://www.youtube.com/watch?v=Y6zJQKgpFj0

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87

Paolo Berizzi, « La spiaggia fascista di Chioggia. Qui a casa mia vige il regime », La Repubblica, 9 juillet 2017 [en ligne].

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89

Paolo Berizzi, « Il duce balneare a Beppe », La Repubblica, 11 juillet 2017 [en ligne].

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90

Eleonora Biral, « Spiaggia fascista di Sotto. Ecco i video di ferragosto », Corriere del Veneto, 20 août 2019 [en ligne].

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« ’Genty’ racconta in radio la sua gioventù fascista », Corriere del Veneto, 8 novembre 2019 : Giancarlo Gentilini, ancien maire de Trévise, militant de la Ligue, qui n’a jamais caché ses sympathies pour le régime (voir sa photographie posant avec un chapeau de gerarca fasciste [en ligne]), intervient à Radio Cafè. Le journaliste lui demande si le Duce aurait aimé Salvini. Réponse : « Salvini a un peu de dictature dans son ADN et quand il dit “votez pour moi, je veux les pleins pouvoirs et je n’ai besoin de personne”, ça me rappelle la période de ma jeunesse (le ventennio) » [en ligne].

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92

« Salvini: “Sulla foto con mitra polemiche inutili” », Ansa, 21 avril 2019 [en ligne].

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93

Voir l’habillage rituel de Salvini dans la vidéo du « pacte » entre la Ligue et CasaPound au théâtre Brancaccio, à Rome, en mai 2015 [en ligne]. L’une des publicités Pivert montre un jeune dans le paysage du Foro italico, un ensemble autrefois désigné comme Foro Mussolini. Voir également : « Pivert, la marque fasciste de Casa Pound », La Horde, 15 décembre 2017 [en ligne] ; « Salvini allo stadio con il giubbotto che piace ai fascisti del terzo millennio di CasaPound », Huffington Post, 10 mai 2018 [en ligne].

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94

« Milano, il “tesoro” del capo ultrà “elettricista”: sequestrati case, soldi, un locale e un’Audi Q5 », Milano Today, 26 juin 2019 [en ligne].

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95

« Forlì, Salvini parla dallo stesso balcone di Mussolini. E scoppia la polemica », La Repubblica, 4 mai 2019 [en ligne].

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Le propriétaire Francesco Polacchi a déclaré que la maison d’édition est née pour donner la voix à « un sentiment commun qui a disparu des chroniques médiatiques ».

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97

Déclaration de Daniela Santanché à l’émission « Piazza Pulita », La 7, 29 novembre 2019.

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98

« Meloni prende le distanze dal nazismo. E dal Fascismo ? ‘E’ un fenomeno complesso’ », Globalist, 29 novembre 2019 [en ligne].

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99

« Dalla trebbiatrice alla ruspa : la demagogia fascio-populista è la stessa », The Globalist, 1 mai 2018 [en ligne].

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100

« Salvini : ‘Saluti romani alla manifestazione ? Fascismo e comunismo sono fuori dal tempo’ », Open, 10 septembre 2019 [en ligne].

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101

« Salvini a Berlusconi : "Parlare di fascismo non ha senso" », Adnkronos, 28 septembre 2019 [en ligne].

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102

« ’Lei è antifascista ?’ E Salvini non risponde », La7 [en ligne].

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103

Wu Ming 1, « Pasolini, Salvini e il neofascismo come merce », Internazionale, 4 juin 2018.

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104

Marcello Veneziani, « Ossessionati dal Duce : l’Italia è nei guai. Sala, Boldrini e gli altri insistono coi bavagli ‘antifascisti’ », Il Tempo, 9 juillet 2017.

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105

Pier Paolo Pasolini, « L’Italia sta marcendo », Vie Nuove, 6 septembre 1962, 36 ; Pier Paolo Pasolini, « Gli italiani non sono più quelli », Corriere della Sera, 10 juin 1974 ; Pier Paolo Pasolini, « Intervista a cura di Massimo Fini », L’Europeo, 26 décembre 1974.

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106

Félix Guattari, La Révolution moléculaire, Paris, Union générale d’éditions, 1980.

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107

Michela Murgia, Istruzioni per diventare fascisti, Turin, Einaudi, 2018.

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108

Nicole Loraux, « Éloge de l’anachronisme en histoire », Le genre humain, 1993, p. 23.

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109

Et c’est pour cette raison que Nicole Loraux prône l’usage contrôlée de l’anachronisme.