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Le punk rock au secours de Javier Milei

(université San Martín, Buenos Aires - Antropología Social)

Professeur en sociologie et anthropologie

(université San Martín, Buenos Aires)

Dans une pièce sombre, un jeune homme peint à la bombe les mots Punk Rock sur le mur. Sa cigarette et sa peau pâle brillent parmi les posters de dessins animés japonais. La musique stridente se mêle à des scènes du quartier : murs taggés, basket-ball, un adolescent avec un chat. La goutte de clonazépam tombe dans la bouche du chanteur d’Una Bandita Indie. Un gars avec des tatouages s’écrie : « Ne pas être mort est un miracle ! » Il invite à manger de l’asado, à fumer des joints et à aimer sa famille. La chanson « Otro guacho como yo » [« Un autre bâtard comme moi »] évoque la nostalgie de l’adolescence avec les jeux vidéo, le skateboard, la falopa [la drogue] et l’alcool. Le guitariste joue frénétiquement, le rock fait trembler. Avec des yeux de démon, le chanteur célèbre sa propre survie à la société qu’il combat.

Una Bandita Indie de La Plata s’est fait connaître en 2017 avec son premier album, Irónica existencia, typique du genre indie. Si ses paroles annoncent le sarcasme qui reste, à ce jour, la marque de fabrique du groupe, à l’époque l’ironie l’emporte sur les insultes. Ces amateurs du Oi ! des skinheads créent leurs mélodies à partir de chansons autrefois bien connues, surtout par les classes populaires de la génération de leurs parents. Dans chacune de ces chansons, ils exposent des principes idéologiques et politiques qui, ensemble, constituent une idéologie complète. Bien avant que Javier Milei ne soit élu député en 2021, le groupe avait développé un discours à contre-courant de ce qu’étaient devenus des lieux communs du progressisme de masse, dans le contexte des successifs triomphes électoraux du péronisme dans sa version kirchneriste, et de ce que l’extrême droite considérait comme la continuité des politiques de ce dernier à travers un centre-droit caractérisé par sa tiédeur.

Après l’échec des mandats présidentiels de Mauricio Macri (2015-2019) et Alberto Fernández (2019-2023), tous deux représentants de la politique dite « traditionnelle » en Argentine, La Libertad Avanza est apparue comme une option politique capable de capter l’attention de larges secteurs de l’électorat. Fondé par Javier Milei, un économiste devenu populaire grâce à ses interventions extravagantes à la télévision, le parti s’est défini dès le départ comme libéral-libertaire, censé être radicalement différent des autres, avec un style provocateur combinant spectacle médiatique et discours anti-establishment.

Lors des élections législatives de 2021, La Libertad Avanza a réussi à envoyer ses premiers députés au Congrès national, consolidant ainsi sa présence institutionnelle. Javier Milei et Victoria Villarruel, laquelle faisait déjà partie de cet espace avec un profil plus conservateur, sont ainsi entrés au Parlement argentin. Deux ans plus tard, lors du second tour des élections présidentielles d’octobre 2023, le duo Milei-Villarruel l’a emporté avec 55,65 % des voix, contre 44,35 % pour le péroniste Sergio Massa et son candidat à la vice-présidence, Agustín Rossi.

Dans cet article, nous aborderons une dimension spécifique de ce processus politique de radicalisation, définie par l’imbrication d’un plan et d’un concept : d’une part, le plan de la production culturelle, qui accompagne et parfois anticipe l’orientation de la politique, d’autre part la notion de prosumidores [« prosommateurs »] – un néologisme qui combine la production et la réception de certaines industries culturelles –, à partir d’un cas sans doute exemplaire. Una Bandita Indie de La Plata est un groupe de musique punk qui peut être considéré comme un récepteur des grands courants mondiaux de radicalisation, ainsi qu’un agent de production culturelle de moyenne portée qui permet d’observer les opérations de recomposition idéologique et politique dans l’Argentine contemporaine.

Ce que nous allons présenter ici ne doit pas être compris comme l’expression d’une élite intellectuelle influente, mais plutôt comme l’émergence, dans la sphère de la scène musicale underground, d’expressions de droite qui ont vu le jour dans une dialectique qui oscille entre l’appropriation des positions de certains intellectuels et les expressions d’agitateurs dans les réseaux sociaux. Il s’agit, dans une certaine mesure, d’un registre proche du sens commun. En abordant quelques-uns des thèmes exprimés dans les textes du groupe, en cherchant où ils se nourrissent, avec qui ils dialoguent et à qui ils s’adressent, nous explorerons la subjectivation populaire de droite, qui implique une double transformation des «sociologies spontanées » : d’une position « contre les riches » à une position « contre les politiciens », mais aussi un changement dans la critique des stéréotypes : la cible n’est plus les stéréotypes de droite mais ceux de gauche, qui sont désignés comme symboles d’hypocrisie et de décadence

On soulignera d’abord le contexte d’adoption, de resignification et de diffusion des nouvelles droites en pointant les conditions de vie des jeunes des secteurs populaires, notamment leur lien avec les nouvelles formes de travail et avec un État qui, pour eux, est déficient et parfois pervers. La vie quotidienne est le terreau où germent des sensibilités qui valorisent positivement l’autonomie, l’auto-entreprenariat et la liberté, et rend les sujets enclins à percevoir l’État comme un obstacle à l’épanouissement personnel. Ensuite, nous soulignerons l’importance des réseaux sociaux et des nouveaux médias dans la diffusion des idées de droite, en mettant en évidence la manière dont s’est développée une sensibilité politique spécifique qui, des forums numériques, est passée aux sphères les plus visibles, au point d’éroder les opinions officialisées de la nouvelle gauche du XXIe siècle. Enfin, nous nous concentrerons sur Una Bandita Indie... en tant qu’émergeant de ces conditions, et nous explorerons comment, en tant que consommateur et promoteur d’idéologies de droite, le groupe est devenu un nœud culturel qui reflète les échecs de l’État et du progressisme tout en contribuant à donner forme à un sujet populaire antipopuliste.

L’expérience néolibérale

En Argentine, les affinités avec les performances de la droite libertaire se fondent sur des expériences qui se sont généralisées au cours de la dernière décennie en raison de la stagnation, de l’inflation et de l’échec des deux grandes coalitions politiques nées après 2001 : sa croissance actuelle reflète à la fois l’effet d’une prédication dogmatique et l’augmentation du nombre de cadres qui peuvent structurer le mouvement, et les conséquences d’un processus social qui avait déjà permis le triomphe de Macri et qui vient maintenant consolider, élargir et radicaliser le pôle de la « droite renforcée ». Ces dernières années, une génération s’est forgée dont l’expérience commune est d’abord d’avoir traversé la stagnation, puis les désagréments de la pandémie1 et qui entend désormais peser sur le paysage politique du pays avec une force inhabituelle.

 

Dans les focus groups et les entretiens avec des investisseurs en crypto-monnaies, des travailleurs d’applications de livraison et des programmeurs, nous avons découvert l’expansion d’un langage économique/monétaire avec lequel les jeunes décrivent leur expérience de vie à presque tous les niveaux. L’acquisition de ce code implique l’adoption de catégories économiques et de conceptions issues du lexique néolibéral et du marketing d’entreprise, qui, bien qu’elles aient gagné du terrain sur Tik Tok et Instagram, sont présentes encore plus tôt dans une littérature massive qui, pour de nombreux membres de cette génération, représente un monde de classiques. Ces produits culturels valorisent le temps de la même manière que le marché, et promeuvent des pratiques qui permettent aux consommateurs de s’organiser en fonction des exigences actuelles du marché, notamment la constance, la concentration et la disponibilité. La distinction traditionnelle entre temps de travail et temps de loisir s’efface devant une conception où l’utilisation du temps hors travail – le temps de la détente et de la distraction sans écran – est planifiée et justifiée dans le cadre de techniques qui encouragent l’autoproduction d’un « moi » en tant qu’unité économique hautement efficace. Cela se traduit par une recherche de motivation face aux exigences constantes que les entrepreneurs s’imposent dans leur course au succès, même si cela ne signifie plus « être son propre patron », mais simplement devenir plus employable et compétitif sur le marché du travail. Cela donne lieu à une « optimisation de soi » qui englobe non seulement la performance au travail, mais aussi les aspects physiques, esthétiques et émotionnels. La notion d’entrepreneur devient non seulement une catégorie économique, mais aussi une catégorie morale, qui pousse à l’amélioration personnelle par l’autocréation et l’auto-imposition constantes, dans le but d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences afin de gagner plus d’argent et/ou de devenir plus employable.

Ce processus peut être compris comme une auto-optimisation continue2 des caractéristiques et des compétences personnelles par l’engagement, l’autocontrôle et le retour d’information critique, jusqu’à ce que la meilleure version possible de soi-même soit atteinte. Les pratiques d’auto-optimisation couvrent des domaines tels que la forme physique, la nutrition, la beauté, les performances physiques et cognitives, la sexualité et les amitiés. Diverses techniques sont utilisées, facilitées par des livres, des tutoriels, des podcasts de self-help, des dispositifs d’autosurveillance, des suppléments nutritionnels ou des chirurgies esthétiques.

L’intériorisation de stimuli incarnant une version du marché et de ses légitimations génère un tempérament particulier : celui de combattants prêts à faire les sacrifices et les épreuves exigés par l’économie, ou du moins à reconnaître que ce credo est la voie de la réussite. De ce point de vue, on valorise moralement un style de vie qui, sans être guerrier, implique des compétences de commandement telles que la discipline, la force physique et morale, l’intelligence et la vision stratégique.

La perspective de valoriser les individus pour leur capacité à survivre au grand jour contraste avec ce qui est perçu comme une abdication morale dans la « vieille vie » des contrats à long terme et des protections de l’emploi. De nombreux jeunes y voient un mérite supérieur, une capacité d’effort mise en récit. Ce mode de vie, organisé contre la peur de l’échec, du chômage et de la misère, donne à ceux qui le pratiquent une image de supériorité morale. De ce point de vue, l’emploi public, par exemple, est critiqué de manière méprisante, car il représente non seulement un déficit fiscal, mais il est également immoral dans sa prétention à la stabilité, sans le mérite de l’effort et sans encourir les risques d’une concurrence constante sur le marché.

Dans ces nouveaux emplois, tels que la programmation ou la livraison, ce n’est pas seulement la flexibilité des horaires de travail et la possibilité d’un revenu complémentaire qui sont valorisées, mais aussi la possibilité de voir immédiatement que l’effort supplémentaire est récompensé, de même que cette énergie et ces heures supplémentaires que chacun ajoute à sa journée de son plein gré. Les chauffeurs-livreurs, par exemple, sont conscients des risques associés à leur journée de travail, qu’il s’agisse de tomber dans les classements et de manquer des opportunités de gagner plus ou de faire face à des accidents sans assurance, car ces risques sont contrebalancés par la possibilité de faire fructifier leurs efforts dans un environnement de travail « compétitif ».

Cette valorisation de l’autonomie se traduit par un dédain de l’intervention de l’État dans leurs activités professionnelles. Une personne interrogée a déclaré : « Ne me faites pas chier avec des droits qui vous appauvrissent, pourquoi doivent-ils nous régulariser et pas les vendeurs de rue, ceux qui sont payés par l’État sans travailler, ceux qui bloquent les rues ? » La notion de « droits qui appauvrissent » reflète la préoccupation des vendeurs ambulants qui craignent que la régularisation de leur situation professionnelle ne réduise leurs revenus. Leur position découle de cette conjoncture et s’aligne sur une économie informelle qui prospère grâce à la libéralisation des réglementations de l’État et des syndicats, pour offrir des opportunités de travail à ceux « qui veulent travailler ».

Bien qu’elle ait catalysé des tendances existantes, la pandémie a eu sa propre dynamique, cruciale pour comprendre la détérioration des liens entre les jeunes et l’État, avec pour conséquence une « droitisation » de la société. Le présent économiquement ruineux incite à un bilan rétrospectif qui change la perspective sur la gestion gouvernementale de la crise sanitaire. Beaucoup de ceux qui ont soutenu les mesures de soins le regrettent aujourd’hui ou adoptent des positions plus critiques (« ils nous ont enfermés »). Les opinions « négationnistes » se sont développées dans la période post-pandémique à partir d’un présent catastrophique, nourries par la photo de la fête clandestine dans la résidence présidentielle, qui révèle à leurs yeux l’hypocrisie de la politique de soins et prouve que les hommes politiques mènent la vie de vices que tout le monde peut imaginer. La confirmation de la perversion de ceux qui devraient être exemplaires en matière de soins a érodé la confiance dans l’État et la politique, un épisode qui s’inscrit dans une érosion plus large de la relation entre les citoyens et l’État. S’y ajoute, de manière inverse et complémentaire, une trajectoire qui a également été mise en lumière par la pandémie, à savoir le fait que les promesses concernant l’État sauveur, au-delà des vertus et du caractère concret des politiques publiques, ont été contredites par le fait que de nombreuses personnes ont dû essayer de se sauver elles-mêmes. La caractéristique essentielle de la pandémie a été de placer l’État dans une situation impossible, où tout ce qu’il faisait semblait faux, dès lors que le virus, le vaccin et la maladie étaient discutables, et que les raisons d’en discuter étaient à la disposition de tous. Dans ce contexte, la crise de confiance dans l’État s’est aggravée, ce qui a plongé les partis politiques dans la crise, et renforcé les positions libérales à un niveau sans précédent.

Le livreur qui pédale sur les chemins de terre ou accélère sur sa moto dans les zones mal éclairées, l’étudiant qui abandonne sa carrière universitaire pour apprendre le langage Python poussé par le rêve du nomadisme numérique, la jeune femme qui devient entrepreneuse en vendant n’importe quoi sur le site Mercado Libre, des vêtements aux produits artisanaux, ceux qui donnent des cours sur Zoom pour l’étranger et se font payer en cryptomonnaie, tous partagent quelque chose dans leur processus de politisation : leurs expériences avec le public (ce que beaucoup, dans les groupes de discussion, appellent « les trois piliers : l’éducation, la santé et la sécurité ») les conduisent à une critique sociale de « l’état de l’État ». Leur questionnement se concentre sur ce qu’ils perçoivent comme « les mimiques de l’État », et les amène à en souligner les incohérences. Comme le dit Verónica Gago3, il existe un néolibéralisme par le bas qui non seulement n’a pas été convaincu par la relance de l’État-providence, tentée par le kirchnerisme avec un succès limité, mais qui se caractérise aussi par « la prolifération de modes de vie qui réorganisent les notions de liberté, de calcul et d’obéissance, en projetant une nouvelle rationalité et une affectivité collectives4 ».

 

Un autre aspect crucial pour comprendre le processus de subjectivation politique contemporain est l’instabilité monétaire. La critique généralisée de l’inflation et le soutien à la dollarisation comme moyen de sortir de la crise représentent une demande de prévisibilité et d’avenir de la part de la jeunesse. Dans la lignée de la critique des mimiques de l’État, il y a la critique du peso argentin en tant que monnaie en faillite. Selon ces jeunes, tout comme l’État prétend être présent mais se révèle impuissant dans des aspects clés de la vie commune, le peso argentin se révèle être une monnaie en faillite. Ce sentiment les pousse souvent à se réfugier dans des devises étrangères ou des actifs numériques, et là, ils sont à nouveau confrontés aux interventions de l’État pour réguler le marché des devises, ce qui renforce leur perception de l’État comme un obstacle.

Jusqu’ici, nous avons décrit les expériences de vie de contingents croissants de jeunes issus des secteurs populaires argentins. Leurs trajectoires les amènent à identifier l’État comme un obstacle à leur développement personnel, et les politiciens comme une élite perversement privilégiée par cet appareil, qui ne leur apporte qu’échec et frustration. Dans ce contexte, ils sont confrontés aux différents courants de la droite qui, comme nous l’analyserons dans la section suivante, circulent de plus en plus dans le monde numérique.

La droite dans le monde numérique

De plus en plus, des secteurs de la droite remettent en question les idées de la gauche, les qualifiant parfois de conservatrices, et insistent sur le fait que les rebelles, ce sont eux, s’opposant aux discours officiels diffusés par les médias de masse, les écoles et les universités. Pablo Stefanoni5 a souligné la diversité des idéologies regroupées sous les différents termes qui désignent la droite. Toutes ont en commun la promotion de la « bataille culturelle », et l’adoption de traits provocateurs et anti-establishment.

 

Ce phénomène n’est pas entièrement nouveau. Il y a toujours eu des idéologues, des focus groups, des intellectuels publics et des artistes qui ont contribué à diffuser les « vérités » des différents courants de droite, contre le « bon sens de gauche6 ». Ce qui est nouveau, c’est que les nouvelles technologies et une connectivité élevée ont modulé ces propagandes, donnant à ces discours une capillarité et une connexion sans précédent avec diverses communautés à travers le monde. La numérisation et les réseaux sociaux ont démocratisé la capacité d’intervention publique, permettant à des personnes qui n’appartiennent pas nécessairement aux espaces classiques de diffusion du savoir, tels que les universités ou le journalisme, d’intervenir avec force en tant que diffuseurs de tropes associés à certaines idéologies.

Dans les plis des dispositifs, des espaces ont été créés pour la diffusion de courants de pensée qui remettent en question l’hégémonie supposée du politiquement correct. Les formes institutionnalisées de discours ont été lentement mais sûrement érodées par divers canaux en quête de renouveau hégémonique. Les suprémacistes blancs, les accélérationnistes, les libertariens et les néoconservateurs partagent des espaces dans les réseaux sociaux et les forums où ils s’affrontent, se disputent, s’insultent et s’accordent parfois sur un ennemi commun : la « gauche », le « progressisme », le « communisme » et/ou le « marxisme culturel ».

Outre le monde souterrain numérique, la droite a étendu sa présence à des endroits plus visibles de l’espace public numérique. Les influenceurs qui comptent des milliers d’adeptes jouent un rôle clé dans la diffusion de certaines idéologies7. Dans le cas de l’Amérique latine, Gabriel Kessler, Gabriel Vommaro et Martín Paladino8 affirment que le courant dominant de la droite a été conditionné par le « virage à gauche » au début du troisième millénaire, et a laissé le secteur le plus conservateur sans représentants dans les urnes et avec un déficit de légitimité dans l’espace public. Face à cette situation, des influenceurs ont émergé qui représentent les publics « abandonnés » par les droites plus conventionnelles. Certains sont directement liés à la structure politique, tandis que d’autres entretiennent des relations fluides avec des réseaux internationaux. Bien que leurs programmes varient (certains traitent de questions « économiques », d’autres de questions « culturelles »), ce qui les unit est l’ennemi commun, qu’il s’agisse du « marxisme culturel », du « danger populiste » ou de la « chavisation ».

 

De cette manière, les think tanks, les intellectuels, les agitateurs de réseaux et les influenceurs travaillent ensemble pour former un bloc anti-correction politique contre-hégémonique. Comme le montrent Analía Goldentul et Ezequiel Saferstein9, bien que nombre de ces influenceurs soient conscients de leurs différences, la virulence discursive à l’encontre de leurs adversaires politiques s’accompagne d’un appel à la tolérance entre les différents courants idéologiques qui convergent dans la droite politique. À propos de cette convergence, Pablo Stefanoni10souligne les affinités électives entre conservateurs et libertariens, mettant en avant l’opposition aux « mensonges égalitaristes », le mépris du « politiquement correct », la suspicion à l’égard des politiciens, l’inconfort de la démocratie et le rejet des « guerriers de la justice sociale ». En vertu de cette diversité, des courants idéologiques apparemment contradictoires et unis par un ennemi commun forment une machine de guerre rhizomatique, qui cherche à conquérir la société civile avant de se lancer dans la mêlée électorale11.

Ces acteurs adaptent les discours des réseaux internationaux aux réalités locales, déployant un dispositif efficace de diffusion des idéologies et des sensibilités politiques de droite. Dans la section suivante, nous nous intéresserons à un groupe punk de la banlieue de Buenos Aires, que nous comprenons comme un cas spécifique d’appropriation, de signification et de mise en circulation de ces courants transnationaux dans le contexte national.

Une Bandita Indie de La Plata : la droite punk

La production de ce groupe musical peut être considérée comme un processus au cours duquel a été systématiquement remise en cause une strate de significations constituée depuis le début des années 2000 dans l’offre politique, dans de larges groupes de jeunes militants, dans des expressions culturelles massives qui avaient répondu non seulement à la politique officielle mais, surtout, à une demande générée déjà dans les années 1990, à l’apogée du néolibéralisme et de la présidence de Carlos Menem (1989-1999). Les visions de l’économie, de l’histoire et des valeurs qui ont émergé au cours de cette décennie ont consacré le marché, l’ouverture globale, le dépassement du péronisme et les enjeux de la transition démocratique dans le pays (poursuite de la dictature militaire, critique de ses politiques économiques, etc.) Au fur et à mesure que la vague des gouvernements nationaux populaires en Argentine et sur le continent sud-américain s’essoufflait, ces groupes se sont engagés dans un mouvement de démolition/reconstruction du sens commun : revendication de la dictature militaire, du gouvernement de Carlos Menem, critique de l’égalitarisme, postulation d’un suprémacisme socioculturel. L’ensemble des interventions de la Bandita Indie, jusqu’à son propre nom, est symptomatique de l’émergence d’une nouvelle couche de sens commun.

Basés à La Plata, une ville universitaire caractérisée par des valeurs communes progressistes auxquelles a succédé le déclin de la tradition indie (sur la multivocité et la combinaison des significations du terme à La Plata, voir Ornella Alexandra Boix12), les musiciens mettent en scène un contraste entre les éléments doux, romantiques et culturellement pluralistes du genre et une performance qui, avec une logique punk transformée, cherche à se présenter au monde comme des fleurs qui ont poussé dans les ordures du faux jardin progressiste. La Bandita Indie proteste en montrant son malaise avec simplicité. Ils peuvent vénérer l’idéal raciste et la discipline de combat, mais ce qu’ils racontent d’eux-mêmes, ce sont des problèmes de faibles :

 

Il me reste un petit chat,

un petit chien aussi

quatre neurones et Dieu,

j’ai l’angoisse et la migraine

il me reste la nostalgie et

il me reste le punk rock.

Consumés par la consommation, ils se présentent comme les déchets de la société qu’ils critiquent.

La « chronique sale » en tant que forme de protestation est apparue en Argentine à travers des genres qui ne faisaient pas partie du catalogue traditionnel de la musique de protestation, mais qui incarnaient cette attitude de manière objective. La cumbia et le rock de la fin des années 2000 ont fait la même chose pour les générations précédentes, accablées par le chômage et les attaques du néolibéralisme contre les vestiges de l’aide sociale. Cette musique a également cultivé une critique de la classe politique qui a temporairement cédé face à l’abondance de la première décennie des années 2000. Mais face à la stagnation de la deuxième décennie du siècle, ces expressions ont refait surface, ou ont été reconstituées. La tentative d’imposer un récit progressiste « à partir du haut » a été à la fois le stimulant de la réactivité et l’ennemi de ces positionnements. La Bandita Indie est un manifeste contre le progressisme, point par point.

Dans « Tengo un aborto y un perro » [« J’ai un avortement et un chien »], le groupe construit un personnage qu’il considère comme l’archétype du progressisme, pour se moquer de la trivialité de ses revendications : « fuck la famille traditionnelle et le machisme hétéropatriarcal, fuck l’homophobie et la discrimination, fuck le fascisme et le classisme [...] ne me forcez pas à accoucher, ne me mettez pas la pression, je suis le propriétaire de mon corps et c’est moi qui décide quoi faire ». À cette époque, le groupe se concentre sur les problèmes du moment. Dans cette chanson, par exemple, ils font explicitement allusion à la demande de dépénalisation de l’avortement, qui rassemblait divers secteurs de la gauche et du progressisme. De même, la chanson « Where is Santiago Maldonado ? » [« Où est Santiago Maldonado ? »] utilise cette ressource qui consiste à prendre la position de l’adversaire pour le ridiculiser, cette fois en relation avec la disparition en 2017 de l’activiste pro-mapuche13.

Leur deuxième album, 4 en 1, également sorti en 2017, comprend un titre qui est une célébration du capitalisme, un thème récurrent dans ses textes jusqu’à aujourd’hui. Dans « Capitalismo me salvó » [« Le capitalisme m’a sauvé »], un jeune homme au cœur brisé dit à la femme qui l’a abandonné qu’il parvient à surmonter son malheur grâce au consumérisme. Le ton des textes du deuxième album mêle l’ironie à la confrontation explicite et aux insultes. Dans « Zurdo panfletero » [« Gauchiste pamphlétaire »], les adversaires politiques du groupe, les « zurdos », sont décrits comme suit : « Ce sont des pamphlétaires, des fils de pute, ils disent “nous sommes pauvres” en prenant de la coke ». La dénonciation des incongruités du progressisme ou de la gauche est une constante dans la discographie du groupe, même si, peu à peu, ces critiques s’articulent avec plus de virulence, parallèlement à la montée de la « droite de la droite » dans l’espace public numérique et offline.

Le premier tube du groupe, qui a donné le ton punk définitif, est « Javier Milei, el último punk » [« Javier Milei, le dernier punk »]. Sorti début 2018, il annonce que Milei est leur « leader » et leur « grande référence ». De manière visionnaire, le refrain dit « Javier Milei, futur président, Javier Milei, le dernier punk ». La chanson mêle les expressions de l’économiste à un langage sauvage : « au diable les maudits entrepresaures (sic) », « assez de bêtises keynésiennes, le moment libéral est arrivé », « toujours contre la pression fiscale », « toujours contre l’étatisme abusif ». Le fait qu’il soit sorti en 2018 montre clairement que le miléisme a précédé Milei, ce qui dénote l’existence d’une clameur qui n’était pas sans agenda : la rébellion d’Una Bandita Indie n’est pas seulement hostile au progressisme et au péronisme, elle a aussi des affinités partisanes. La charge contre les entrepresaures (entrepreneurs prébendiers et incapables d’innover) et la critique de l’« économie keynésienne » révèlent une sensibilité commune qui ne doit pas son existence aux seules interpellations. En tout cas, elles naissent dans les conversations entre explorateurs culturels de bas niveau (sortes de Mennochios de la droite émergente), qui donnent au discours libertaire une structure de réception et de digestion.

L’une des caractéristiques d’Una Bandita Indie est son lien critique avec l’ « intellectualisme ». Si, d’une part, le groupe rejette les intellectuels et les vulgarisateurs qui sont associés à la gauche, d’autre part, ses textes témoignent d’une appropriation partielle des principaux courants du libéralisme et d’une certaine familiarité avec les auteurs qu’ils rejettent. Ainsi, dans « Fuckultad zurda », [« Fuckulté gauchiste »], le groupe propose une sorte de révolution épistémique, selon l’hypothèse de Pablo Stefanoni14. Contre un professeur d’université qui « se la joue dérangeant et se croit très transgressif », le groupe rejette le point de vue d’acteurs qui, à travers leur hypocrisie et leurs vices, organisent l’hégémonie du progressisme :

Freud prenait de la coke,

Foucault était un dépravé

Marx était plus paresseux

que le gros Baradel15.

Donc pas de problème

si c’est des malades,

mais ce n’était pas nécessaire

d’avoir à les lire.

Dans « Fuckultad zurda : 2da Parte », ils poursuivent la critique du progressisme en racontant les mésaventures d’un jeune homme qui a subi un endoctrinement gauchiste dans toutes les institutions éducatives, de la maternelle à l’université. Ils mentionnent différentes personnalités qui influencent leur façon de penser, notamment Joaquín Bochaca, historien espagnol et négationniste nazi. Ils distinguent ensuite leurs propres références de celles du progressisme :

Je préfère Aldo Rico

à Nico del Caño,

et à Vicky Donda,

Vicky Villarruel,

plutôt qu’un communiste

je prends Laje,

plutôt qu’un keynésien

je prends Milei,

plutôt qu’un gauchiste

je prends Videla,

plutôt qu’un piquetero

je prends Pinochet,

plutôt qu’un progressiste

je prends Donald Trump,

et avant Lacan

je prends la française Le Pen16.

Una Bandita Indie de La Plata - « Fuckultad zurda : 2da Parte »

L’anti-intellectualisme d’Una Bandita Indie de La Plata découle d’une certaine familiarité avec le savoir académique, qui leur permet de s’approprier partiellement ce qu’ils identifient à la gauche et au progressisme, pour ensuite le rejeter. Dans leurs textes, ils mentionnent des auteurs comme Marx, Foucault ou Lacan pour les disqualifier ou se moquer des idéologies politiques qui, selon eux, sont favorables à l’État. Cette « critique de la critique de gauche » résulte d’une appropriation, elle aussi sui generis, de certaines déclarations d’intellectuels ou d’influenceurs de droite (de Hayek à Agustín Laje) dont les idées leur sont parvenues parfois en les lisant, mais plus souvent à travers les réseaux sociaux et des produits culturels autres que les livres. En outre, comme cela s’est produit aux États-Unis avec certains blogueurs après le triomphe de Trump, le succès d’Una Bandita Indie semble avoir été stimulé par la montée en puissance de personnalités telles que Victoria Villarruel, Agustín Laje et Nicolás Márquez dans les espaces offline. Au fur et à mesure que le groupe gagnait des abonnés et des vues, il a commencé à s’engager avec d’autres diffuseurs d’idéologies de droite. Plusieurs de leurs vidéos commencent par des salutations d’influenceurs ou d’intellectuels de droite, ce qui indique leur caractère de prosommateurs : ce sont des récepteurs, mais aussi des diffuseurs de niveau intermédiaire de ces idéologies et sensibilités.

D’autre part, ils accompagnent le tournant historique de l’extrême droite. La proximité démontrée par le groupe avec la symbolique nazie et la revendication explicite de figures de proue des dictatures latino-américaines font place à une certaine approche d’Israël cultivée par l’extrême droite contemporaine. Les paroles du groupe sont pleines de critiques du système de représentation démocratique – ils se revendiquent skinheads et ressemblent à des skinheads, ils ont une chanson dédiée à Jorge Rafael Videla, et ils récupèrent les écrits de philosophes argentins qui ont flirté avec le nazisme, comme Alberto Buela. Simultanément, ou plutôt peu après, ils s’efforcent de prendre leurs distances avec les dirigeants des fascismes du siècle dernier et se moquent des tentatives progressistes pour les y associer. Le détournement du judaïsme est notable : dans des chansons comme Judío solitario en Navidad [Juif solitaire à Noël], le groupe prend la voix d’un Juif qui, ne croyant pas en Jésus-Christ, ne comprend pas le rituel. Le ton de la chanson est assurément ironique et, par le biais d’une exotisation sarcastique, il pointe l’altérité de l’« Hébreu » – un vocable qui, en Argentine, a une résonance antisémite très nette :

Hanouka, c’est bien, mais pourquoi ?

Le Père Noël ne vient jamais chez moi

Et au lieu de manger du jambon

je mange des galettes de pommes de terre cacher.

Au lieu de Silent Night,

je chante "Huhash Dogavish".

Dites-moi pourquoi, putain

Il faut allumer toutes ces bougies !

Je suis juif

Solitaire

Je pourrais être joyeux

Mais je suis un hébreu

À Noël.

Deux ans plus tard, en 2019, le groupe sort Una chica de la colectividad [Une fille de la communauté]. Un jeune homme tombe amoureux d’une femme juive qui lui fait découvrir la fausseté des stéréotypes historiques sur le peuple juif :

J’étais convaincu de ce stéréotype grossier,

qu’ils étaient radins et ne paieraient jamais,

c’est pourquoi j’y suis allé préparé,

avec de l’argent liquide

et j’ai été agréablement surpris,

lorsqu’elle a payé la moitié.

Cependant, la nostalgie des coutumes argentines l’a ramené dans son pays :

Ils ont été très gentils,

les falafels sont très bons

 mais j’ai envie d’un matambre...17

Au revoir Jérusalem !

Israël occupe toujours la place de l’altérité, mais les attributs sexuels de la jeune fille et son amour pour elle amènent le narrateur à abandonner ses préjugés :

Son peuple souffre d’un stigmate

et ça n’a pas de solution,

la fille de la communauté

sera accusée d’être radine,

avant j’avais des préjugés

et j’aimais la révision,

mais, qu’est-ce qu’elle me suce bien,

putain de merde !

 

La photo qui accompagne la chanson sur la chaîne YouTube du groupe représente une femme soldat, vraisemblablement de l’armée israélienne, portant un fusil. Ainsi, malgré le sexisme explicite, le groupe s’éloigne du révisionnisme et anticipe l’alignement sur Israël, sans pour autant abandonner l’esthétique punk-skinhead qui le caractérise encore aujourd’hui.

La même ambiguïté est observée en ce qui concerne l’axe gauche-droite. Dans nombre de leurs textes, le groupe cherche à s’éloigner de cette cartographie politique, conformément à ce que Steve Forti18 a observé à propos de certaines extrêmes droites contemporaines « rouge-brunes ». En ce sens, le groupe peut être vu comme faisant partie de l’expression culturelle que Pierre Rosanvallon appelle la « contre-démocratie », caractérisée par l’« imbrication de pratiques, de tests, de contre-pouvoirs sociaux informels, et aussi d’institutions, visant à compenser l’érosion de la confiance par l’organisation de la méfiance19 ». Une méfiance dont l’objet principal est la démocratie libérale, et qui constitue un symptôme supplémentaire de l’éclatement du « Pacto del Nunca Más », le « Pacte du plus jamais ça » analysé par Marina Franco et Daniel Lvovich20, et de la démocratie en général, selon Tomás Borovinsky, Martín Plot et Daniela Slipak21.

L’identification politique d’Una Bandita Indie est constituée par l’opposition au progressisme, et certains tropes de gauche apparaissent plus fréquemment dans leurs chansons. L’un d’entre eux, comme l’observe Andrea Torriccella22, est le féminisme. Leurs paroles expriment un sexisme qui découle d’une croyance dans le caractère naturel des sexes, et accusent l’entreprise de « déconstruction » de chercher à subvertir l’ordre naturel (et divin, puisqu’ils se réclament parfois aussi du christianisme) :

Génération idiote

Ils se moquent des patriotes

du concept de famille

ils n’ont ni âme ni être

 

Au-delà, leur antiféminisme vient du fait qu’ils considèrent que c’est une idéologie qui va à l’encontre des coutumes des classes populaires :

Très belle théorie

tout ça est très marxiste

un ouvrier te fait un compliment

et tu le dénonces

tes problèmes sont snobs

de bourgeois gauchiste

primomondialiste

En effet, Una Bandita Indie de La Plata considère que le féminisme et le progressisme en général ne sont qu’un simulacre de rébellion qui, en vérité, se met au service du Nouvel ordre mondial qui s’attaque aux valeurs occidentales :

La génération idiote

qui se croit rebelle

et qui sont des prostituées entraînées

par le nouvel ordre mondial.

La vraie rébellion est, à leurs yeux, celle qu’ils représentent. Leur anti-progressisme se fonde sur une cosmologie politique conspirationniste qui identifie un Nouvel ordre mondial menaçant les valeurs traditionnelles occidentales. En ce sens, l’esprit du groupe participe à une perspective décadentiste de plus en plus courante en Argentine, clairement exprimée dans leur chanson « El fútbol de antes » [« Le football d’avant »]. Cependant, dans ce cas, l’histoire de la décadence n’est pas liée, comme dans sa version la plus fréquente, à l’intervention de l’État dans l’économie, qui a marqué la politique économique argentine au cours du siècle dernier23. Le déclin serait lié plutôt à la perte de la masculinité et au mélange des ethnies :

Avant les hommes jouaient,

ils étaient onze tigres prêts à mourir,

aujourd’hui, ils ne font que prendre la pose sans courir,

ils perdent par 10 buts

et ils se fendent d’un tweet !

Avant il y avait de bonnes ethnies,

peu de métissage et un badge de champion,

aujourd’hui des substituts bizarres

de basse provenance,

et une âme de perdant !

Leur antiféminisme peut aussi se lire comme une revanche symbolique sur ce qu’on a appelé la « caste », le Nouvel ordre mondial et ses sbires. Dans « Chetita », en 2019, ils chantent à une femme blanche de l’« aristocratie » :

Tu es de l’aristocratie

tu as un petit chien français

ce n’est pas que je sois marxiste,

mais tu es blanche et tu le sais bien.

Sur leur ton habituel « politiquement incorrect », ils font aussi des descriptions obscènes du corps des femmes. Il s’agit d’une remise en cause non corporatiste des hiérarchies sociales, notamment économiques24.

Leur caractère « conservateur » prend la forme d’une revendication de caractéristiques qu’ils considèrent comme nationales et populaires, de l’idiosyncrasie et de certaines idoles du « folklore », comme Maradona ou Ricardo Iorio, un chanteur de heavy metal. Pour le groupe, le national/populaire est représenté par la formule « 100  % blanc et villero », titre d’un de leurs tubes25. Il s’agit d’un ethno-nationalisme plébéien fondé sur l’idée d’une « ethnicité argentine », qui serait également menacée par le Nouvel ordre mondial. Pour eux, l’essence argentine n’est pas totalement européenne, mais elle n’est pas non plus totalement latino-américaine : « C’est quelque chose de beaucoup plus à nous, de beaucoup plus folk ». Et cette véritable identité nationale « blanche et villera » se trouve dans les barrios ou quartiers, dans le mode de vie humble et résistant des travailleurs, contre lequel s’attaque l’agenda progressiste promu par les centres du pouvoir mondial. Ils apparaissent ainsi comme les défenseurs d’une identité et d’une éthique nationales menacées. Le nationalisme est rebelle, car il s’oppose aux objectifs des élites mondiales en collusion avec les acteurs nationaux. Comme ils l’expriment dans une chanson de leur dernier album :

Dans le quartier

nous détestons les poseurs

les politiciens de merde

de droite ou de gauche

les pédés d’antifascistes

la racaille écologiste

nous détestons ton monde

de rebelle bourgeois.

Il s’agit, pour paraphraser Edward Palmer Thompson26, d’un « conservatisme rebelle », qui toutefois n’est pas contre les lois du marché, mais contre ce qui est compris comme une nouvelle entreprise de colonisation des pratiques et des esprits des sujets : le progressisme. Cependant, cet ethno-nationalisme plébéien ne revendique pas explicitement la supériorité du « 100 % blanc et villero ». Una Bandita Indie..., en phase avec différents courants de la droite contemporaine, se réclame du « droit à la différence », c’est-à-dire à la non-mixité des différentes ethnies.

 

Enfin, la condensation de l’anti-intellectualisme, du populisme ethno-nationaliste et de la cosmologie politique conspirationniste s’exprime dans ce que nous appelons le « masculinisme de marché ». L’expérience du marché génère une moralité spécifique dans le contexte de la critique de l’État et de la politique27. Le « masculinisme de marché » peut être interprété comme un volet spécifique et populaire de cette construction de la moralité. L’évaluation positive de la masculinité est une manière d’affirmer la valeur de savoir survivre aux lois naturelles qui régissent le monde, et qui sont aussi les lois du marché. Demander la protection de l’État, des mouvements sociaux ou de qui que ce soit d’autre, c’est ne pas pouvoir faire face, c’est être puto [« pédé »], c’est être complice – pour reprendre l’expression de Caggiano – de « l’appropriation du plus de l’effort des individus ». Il en va de même pour la décision de quitter le pays :

Je ne suis pas comme ces pédés

qui disent toujours je m’en vais

je reste jusqu’à ce que ça brûle

car j’aime là où c’est chaud.

 

Una Bandita Indie... s’approprie le Do it yourself emblématique de la scène punk britannique pour signaler l’autonomie, non plus comme une aspiration, mais comme un impératif28. Le masculinisme de marché apparaît comme une « culture de l’aguante », ou de la persévérance, en faveur du libre marché. Il exprime à la fois le choix de l’inégalité29 et une éthique de la résistance à l’inégalité. Il ne s’agit pas pour autant d’un appel à la passivité ; au contraire, les hiérarchies sont constamment remises en question, quoique de manière non corporatiste. Leurs paroles, en somme, expriment un nouveau régime d’inégalité méritocratique30 et une économie morale concomitante : il faut résister à l’inégalité, la tolérer, l’endurer stoïquement. Cette attitude coexiste avec un certain darwinisme : ils n’ignorent pas que le monde auquel ils aspirent impliquerait l’adaptation ou la disparition des « putos » ; tout est valable pour récupérer les valeurs de l’Occident. Cependant, il ne faut pas croire que cette défense extrême du libre marché équivaut à une défense des privilégiés. Il s’agit d’un libéralisme populaire, plébéien, de quartier.

 

Conclusion

Si le rock chabón a raconté la crise des années 1990 du point de vue des secteurs populaires, des groupes comme Una Bandita Indie de La Plata incarnent l’expérience de la crise contemporaine. À la fin du deuxième millénaire, le rock chabón avait constitué une revendication d’un monde « dépassé par une restructuration sociale politiquement commandée, et son attachement au “bon vieux temps” avait une valeur politique de résistance qui, plutôt que d’être déclarée ou projetée comme telle, s’actualisait dans la vénération d’une époque que le reste de la société commençait à critiquer31 ». Aujourd’hui, au contraire, des contingents de travailleurs précaires, informels et désaffiliés expriment leur mécontentement de manière assumée et doctrinaire. C’est le produit d’un rapport avec des ressources techniques et symboliques qui permettent non seulement à une génération de s’exprimer, mais aussi d’échapper à des radars conçus pour d’autres captations qui aujourd’hui fonctionnent en vase clos, produisant un regard aveugle.

Una Bandita Indie de La Plata et ses disciples illustrent la façon dont des individus d’origine populaire, dans un contexte technologique et musical spécifique, peuvent contribuer à la formation d’une subjectivité de droite, opposée à la tradition populiste de gauche. Cette nouvelle subjectivité naît de la contradiction qui affecte les secteurs populaires, qui perçoivent la façon dont on tente de compenser l’absence de solutions aux problèmes structurels par un programme qui, pour eux, n’a que peu d’importance ou, du moins, une pertinence moindre. Le problème n’est pas l’offre de droits en soi, mais la présentation de l’offre comme une compensation, une sorte d’acceptation tacite de la persistance des problèmes sous-jacents. Dans cette contradiction perçue et dénoncée s’articule un esprit de restauration conservatrice qui revient avec force aux topiques de la misogynie, du masculinisme et d’une construction raciste de la nationalité, désormais combinés à l’éloge du marché. Le tout dans le cadre d’une critique généralisée de l’économie, de la politique et surtout de l’État, accélérée par la pandémie.

Les composantes contre-démocratiques – au sens d’expressions de censure de la part de la société civile à l’égard des actions de la société politique – ne sont pas nouvelles dans la musique populaire. La nouveauté réside peut-être dans la large diffusion de ces expressions, comparables à celles des rappeurs dans les transports publics : même ceux qui critiquent les riches expriment leur ressentiment à l’égard de la « caste » et dénoncent l’abandon et l’entre-soi des élites politiques. Au lieu de refléter la nostalgie des temps pré-néolibéraux, ils s’alignent sur les idéologies autrefois méprisées par le rock chabón. Cela n’est pas seulement dû à des opérations d’idéologisation réussies par les secteurs dominants ; les sujets ne sont pas des réceptacles passifs de discours extérieurs. Pour qu’un discours soit accepté, il doit avoir un sens, il doit avoir un certain degré d’affinité avec l’expérience des sujets. La condition de réception de ces idéologies est ce que nous appelons l’« expérience néolibérale ».

Enfin, les liens d’Una Bandita Indie de La Plata avec des diffuseurs, des intellectuels et des hommes politiques d’extrême droite suggèrent certaines caractéristiques structurelles de ces nouvelles expressions politiques. Leurs liens avec Milei et les personnes du cercle milésien expriment, par exemple, l’une des caractéristiques de l’extrême droite du XXIe siècle : leur perméabilité aux groupements néonazis32.

 

Dans la première version de ce texte, écrite en 2023, l’année des élections présidentielles, nous indiquions que l’avenir immédiat révélerait « dans quelle mesure ces partis répondent à la fenêtre d’Overton, dans quelle mesure ils peuvent l’influencer et, en définitive, si la présence de Milei au pouvoir favorisera ou non la prolifération de groupes similaires et leur plus grande visibilité dans l’espace public, ou si la trahison du radicalisme promis pendant la campagne amènera ces groupes qui soutiennent aujourd’hui le nouveau gouvernement à se retourner contre lui demain ». Quelques semaines avant la réécriture de ces lignes en 2025, moins de deux ans après le triomphe électoral de La Libertad Avanza, et alors que la présence du groupe sur les réseaux sociaux a énormément diminué, Una Bandita Indie a publié une nouvelle chanson qui est l’intro de leur prochain album, 100% antisocial. La vidéo inclut la description suivante :

« L’album devrait avoir 15 chansons. Et ce morceau est celui qui donne le coup d’envoi. C’est du punk al palo [« à donf »], vertical, qui remet les pendules à l’heure. Les intentions, la crudité, les principes et les (dés)valeurs d’Una Bandita Indie. On y retrouve les mêmes condiments que d’habitude, à une vitesse un peu inhabituelle, flirtant avec le punk hardcore le plus primitif. Une salutation à tous les rats. Je vous souhaite l’harmonie. Comme d’habitude. J’espère que vous sourirez de temps en temps. »

Les paroles annoncent le retour du groupe, et confirment la cohérence qui l’a toujours caractérisé :

Nous chantons pour Videla

et pour la junte militaire

pendant que vous soufflez la bougie

de ce nouvel ordre mondial

...

Fidèle à notre style

100% punk rats

Fidèle à notre style

100% marginaux

Tout cela se déroule dans un contexte de baisse du soutien à Milei (sans que cela se traduise nécessairement par une perte de voix), après que le modèle économique du gouvernement a montré des signes de faiblesse, après la divulgation des premières preuves de corruption présumée. En outre, dès le départ, le gouvernement a intégré dans son équipe un grand nombre de politiciens traditionnels qui faisaient partie de ce que l’on appelle la « caste ». Sans forcer l’interprétation, il est possible d’entrevoir dans le titre du nouvel album du groupe, dans son relatif retrait des réseaux sociaux, dans son désir que ses adeptes puissent « sourire de temps en temps », ainsi que dans son insistance sur son caractère « punk » et « marginal », un certain désenchantement à l’égard de la société, un certain désenchantement à l’égard du gouvernement qu’ils ont soutenu depuis le début, lequel aurait anticipé ce désenchantement qui devient aujourd’hui massif et qui s’exprime, sinon par une migration des votes, du moins par un affaiblissement des convictions et une augmentation des votes blancs.

Soyons clairs. Si notre hypothèse est exacte, il ne s’agit pas, il faut le souligner, d’une transformation idéologique du groupe ou de ses adeptes. Leur manque de représentativité politique n’implique pas l’extinction du répertoire idéologique de leurs paroles. De même que Una Bandita Indie n’a trouvé qu’ex post en Milei et Villarruel des hommes politiques qui canalisaient au moins dans une certaine mesure les convictions de leurs membres, le fait qu’ils soient momentanément orphelins du point de vue politique ne signifie pas qu’ils ne trouveront pas un jour un parti pour les représenter.

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    1

    Pablo Semán et Nicolas Welschinger, « Juventudes mejoristas y liberalismo de masas », in Pablo Semán (dir.), Está entre nosotros, Buenos Aires, Siglo XXI, 2023.

    Retour vers la note de texte 22013

    2

    Daniel Nehring et Anja Rocke, « Self-optimisation : Conceptual, discursive and historical perspectives », Current sociology, vol. 72, n.° 6, 1069-1087.

    Retour vers la note de texte 22014

    3

    Véronica Gago, La razón neoliberal, Buenos Aires, Tinta Limón, 2014.

    Retour vers la note de texte 22015

    4

    Véronica Gago, La razón neoliberal, Buenos Aires, Tinta Limón, 2014, p. 10.

    Retour vers la note de texte 22016

    5

    Pablo Stefanoni, La rebeldía se volvió de derecha, Buenos Aires, Siglo XXI, 2022.

    Retour vers la note de texte 22017

    6

    Philip Mirowski et Dieter Plehwe (dir.), The road from Mont Pèlerin : the making of the neoliberal thought collective, Harvard, Harvard University Press, 2009 ; Chantal Mouffe et Georgina Turner, « Democracia y nueva derecho », Revista mexicana de Sociología, n.°43, 1982 ; Ico Maly, « Metapolitical New Right Influencers : The case of Brittany Pettibone », Social Sciences, vol. 9, n.° 7, 2020 ; Steven Forti, Extrema derecha 2.0, Madrid, Siglo XXI, 2021.

    Retour vers la note de texte 22018

    7

    Ico Maly, « Metapolitical New Right Influencers : The case of Brittany Pettibone », Social Sciences, vol. 9, n.°7, 2020.

    Retour vers la note de texte 22019

    8

    Gabriel Kessler, Gabriel Vommaro, Martín Paladino, « Antipopulistas reaccionarios en el espacio público digital »,  Estudios sociológicos, vol.° 40, n.° 120, p.651-691, 2022.  https://doi.org/10.24201/es.2022v40n120.2213.

    Retour vers la note de texte 22020

    9

    Analía Eugenia Goldentul et Ezequiel Andres Saferstein, « Los jóvenes lectores de la derecha argentina », in Cuadernos del Centro de Estudios en Diseño y Comunicación, n.° 112, 2022, p. 113-131.

    Retour vers la note de texte 22021

    10

    Pablo Stefanoni, La rebeldía se volvió de derecha, Buenos Aires, Siglo XXI, 2022.

    Retour vers la note de texte 22022

    11

    Ezequiel Saferstein, « Entre libros y redes. La batalla cultural de las derechas radicalizadas », in Pablo Semán (dir.), Está entre nosotros, Buenos Aires, Siglo XXI, 2023, p. 123-162.

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    12

    Ornella Alexandra Boix, Indies y profesionales : Sellos y amistades en La Plata, La Plata, Universidad Nacional de La Plata, Facultad de Humanidades y Ciencias de la Educación ; Ensenada : IdIHCS, 2024. https://doi.org/10.24215/978-950-34-2377-6

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    13

    L’« affaire Maldonado » a secoué la politique argentine en 2017, sous la présidence de Mauricio Macri. Santiago Maldonado avait participé à un barrage routier pour la défense des terres ancestrales traditionnellement occupées par la communauté mapuche, barrage qui a été dispersé avec l’intervention de la gendarmerie nationale. Le jeune homme avait disparu pendant plus de deux mois avant d’être retrouvé sans vie dans la rivière Chubut. L’événement a suscité une grande controverse nationale quant à la responsabilité des auteurs : certains ont justifié l’intervention des forces armées et d’autres ont remis en question la politique de la ministre nationale de la Sécurité de l’époque, Patricia Bullrich.

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    14

    Pablo Stefanoni, La rebeldía se volvió de derecha, Buenos Aires, Siglo XXI, 2022.

    Retour vers la note de texte 22026

    15

    Allusion à Roberto Baradel, secrétaire général du SUTEBA de Buenos Aires, le syndicat des travailleurs de l’éducation, classé à gauche.

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    16

    Aldo Rico est un dirigeant d’extrême-droite, ancien militaire putchiste contre le gouvernment de Raúl Alfonsin (1983-1989) ; Nicolás del Caño est un dirigeant du Partido de los Trabajadores Socialistas (PST), un parti trotskyste, classé à l’extrême gauche ; Victoria « Vicky » Donda, née en captivité à la ESMA pendant la dictature, est une dirigeante péroniste, classée à gauche ; Victoria « Vick » Villaruel, dirigeante d’extrême droite et vice-présidente de la Nation, est connue pour sa défense des militaires condamnés pour crimes commis sous la dictature ; Agustín Laje est un essayiste d’extrême droite, proche du président Milei.

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    17

    Plat argentin typique à base de bœuf.

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    18

    Steven Forti, Extrema derecha 2.0, Madrid, Siglo XXI, 2021.

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    19

    Pierre Rosanvallon, La Contre-Démocratie, Paris, Le Seuil, 2006, p. 24.

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    20

    Marina Franco et Daniel Lvovich, « Historia Reciente : apuntes sobre un campo de investigación en expansión », Boletín del Instituto de Historia Argentina y Americana « Dr. Emilio Ravignani », n° 47, 2017, p. 190-217.

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    21

    Tomás Borovinsky, Martín Plot et Daniela Slipak, « Milei y los horizontes de lo político. Crisis de régimen y anhelo de clausura de la incertidumbre democrática. » in Alejandro Grimson (dir.) Desquiciados. Los vertiginosos cambios que impulsa la extrema derecha, Buenos Aires, Siglo XXI, 2024, p. 169-188.

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    22

    Andrea Torricella, « La reacción cultural y la cuestión de género. », in Alejandro Grimson (dir.), Desquiciados. Los vertiginosos cambios que impulsa la extrema derecha, Buenos Aires, Siglo XXI, 2024, p. 147-168.

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    23

    Ezequiel Adamovsky, Historia de la Argentina. Biografía de un país Desde la conquista española hasta nuestros días, Buenos Aires, Planeta, 2020.

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    24

    Guillermo O’Donnell, « ¿Y a mí, qué mierda me importa ? Notas sobre sociabilidad y política en la Argentina y Brasil », in Guillermo O’Donnell, Contrapuntos. Ensayos sobre autoritarismo y democratización, Buenos Aires, Prometeo, 1984.

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    25

    L’adjectif et substantif villero renvoie aux quartiers défavorisés (villas).

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    26

    Edward Palmer Thompson, « La economía "moral" de la multitud en la Inglaterra del siglo XVIII », in Tradición, revuelta y conciencia de clase. Estudios sobre la crisis de la sociedad preindustrial, Barcelona, Crítica E., 1979.

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    27

    Sergio Caggiano, « La extrema derecha y los dilemas de la batalla cultural. Moral, individualismo y sentido de pertenencia », in Alejandro Grimson (dir.), Desquiciados. Los vertiginosos cambios que impulsa la extrema derecha, Buenos Aires, Siglo XXI, 2024. Pablo Semán et Nicolas Welschinger,« Juventudes mejoristas y liberalismo de masas », in Pablo Semán (dir.), Está entre nosotros, Buenos Aires, Siglo XXI, 2023, p. 162-202.

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    28

    Éric Sadin, L’Ère de l’individu tyran, Paris, Grasset, 2020.

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    29

    François Dubet, ¿Por qué preferimos la desigualdad, Buenos Aires, Siglo XXI, 2015.

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    30

    François Dubet, El nuevo régimen de las desigualdades solitarias, Buenos Aires, Siglo XXI, 2023.

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    31

    Pablo Semán, « Vida, apogeo y tormentos del "rock chabón" », in UAM-X - MÉXICO, 2007, p. 245.

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    32

    Steven Forti, Extrema derecha 2.0, Madrid, Siglo XXI, 2021.

    Pour citer cette publication

    Ulises Ferro et Pablo Semán (dir.), « Le punk rock au secours de Javier Milei », Politika, mis en ligne le 06/11/2025, consulté le 10/11/2025 ;

    URL : https://www.politika.io/fr/article/punk-rock-au-secours-javier-milei