En 2005 a eu lieu en France la première transplantation de visage, une opération qui vise à réparer le visage d’une personne défigurée en ayant recours à celui d’un donneur d’organes1. Dans quel contexte scientifique, politique et social cette innovation chirurgicale émerge-t-elle ? L’enquête suit le développement de cette technologie entre 1990 et 2016, en France et au Royaume-Uni. Le Royaume-Uni a été le lieu des premiers débats publics sur les greffes du visage. Ceux-ci se sont tenus, dès 2000, dans un contexte scandé par les annonces enthousiastes de chirurgiens à propos d’une « première chirurgicale » en préparation et les vives contestations de personnes défigurées réunies en association. En France, les expérimentations humaines ont démarré dans un climat de controverses entre scientifiques et institutions chargées de l’éthique de la recherche, mais en l’absence de contestations sociales. À ce jour, les équipes du Royaume-Uni n’ont pas mené le projet de transplantation jusqu’à sa réalisation. En France, onze patients en ont bénéficié, dont trois sont décédés entre une semaine et dix ans après la greffe.
Cette recherche relie la sociologie des sciences, l’anthropologie du corps et de la personne ainsi que les études du handicap avec les approches de la sociologie pragmatique. L’enquête a impliqué une pluralité de méthodes d’observation des milieux impliqués dans les projets de greffe du visage : ethnographie des services hospitaliers où l’opération est performée et des congrès de chirurgie où elle est discutée, archives scientifiques et médiatiques, entretiens avec les professionnels de la médecine, les membres d’agences sanitaires et éthiques, les acteurs associatifs, enfin suivi au long cours des personnes en attente de greffe ou transplantées. En suivant la trajectoire de l’objet au sein de chaque contexte national, cette thèse montre comment les transplantations du visage bousculent à la fois le champ des transplantations d’organes et celui des luttes contre les discriminations basées sur l’apparence. L’analyse permet de comprendre les disputes qui éclatent autour de deux questions principales. D’une part, peut-on recourir au corps d’un donneur d’organes pour une greffe qui apparaît pour beaucoup comme non vitale ? D’autre part, la transplantation du visage fait-elle courir un risque vital au nom d’un problème social, celui des discriminations envers les personnes défigurées ?
Notes
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Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.