Traces et mémoires en devenir d’une pandémie (Italie et France)
Professeur assistant en histoire européenne contemporaine

(Université du Luxembourg - Centre for Contemporary and Digital History (C2DH))

Professoressa Associata in Storia Contemporanea

(Università di Modena e Reggio Emilia - Dipartimento di Studi Linguistici e Culturali)

Azul Argentino en España. © Oiluj Samall Zeid, CC BY-NC-ND 2.0 DEED

Azul Argentino en España.

Le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare l’état d’urgence de santé publique de portée internationale : le Covid-19, un nouveau type de coronavirus dont les premiers cas documentés sont apparus en Chine en décembre 2019 dans la région de Wuhan, se propage dans le monde entier. Le 11 mars 2020, l’OMS évoque une pandémie et appelle les États à prendre des mesures préventives, y compris des restrictions de déplacement nationales et internationales. Dès le 23 janvier, la Chine avait confiné la région de Wuhan.

En Europe, l’Italie est gravement touchée. Sa politique sanitaire se structure alors autour de mesures prises par décrets du président du Conseil des ministres (DPCm). Le 23 février, des mesures d’urgence pour contenir la contagion sont prises dans les communes des régions de la Lombardie et de Venise, renforcées deux jours plus tard par des décrets sur les manifestations sportives, les activités scolaires et de l’enseignement supérieur, la prévention sanitaire dans les instituts pénitentiaires, la réglementation des modalités d’accès aux examens de conduite, l’organisation d’activités culturelles et touristiques. Le 1er mars, plusieurs communes de Lombardie et Vénétie sont décrétées « zones rouges ». Les mesures de prévention sont élargies à d’autres provinces du Nord et une première série de fermetures, de restrictions et de « distanciation sociale » sont prévues, touchant les lieux de culte, les centres commerciaux, les bars et restaurants, les compétitions sportives. Le décret suspend également les congés du personnel sanitaire. Le 4 mars, les écoles sont fermées jusqu’au 15 mars dans toute l’Italie ; le travail à distance est encouragé, les moyens de transport sont aseptisés, une distance d’un mètre est imposée et une série de règles de prophylaxie sont recommandées. Cinémas, théâtres et terrains de sport sont fermés, conférences, réunions et événements sociaux sont suspendus. Les personnes qui ont contracté le virus doivent rester en isolement pendant quatorze jours. Les 8 et 9 mars, un confinement global est décrété : toute manifestation en lieu public est interdite, les compétitions sportives sont interrompues. Les déplacements sont restreints et doivent être justifiés par une autocertification.

Le 1er avril, l’état d’urgence épidémiologique est prolongé jusqu’au 13 avril, mais Giuseppe Conte, alors président du Conseil des ministres, parle de la nécessité de « vivre avec le virus », ouvrant ainsi la « phase 2 » de la gestion sanitaire de l’épidémie en Italie. Certains magasins rouvrent progressivement. Le 26 avril, un nouveau DPCm définit les mesures qui permettront de « vivre avec le virus » : l’importance de la distanciation sociale est réaffirmée, l’accès aux parcs et jardins est restauré, les cérémonies funéraires sont autorisées, avec une limite maximale de 15 personnes, la pratique individuelle des sports devient à nouveau possible. Les restrictions de déplacement sont assouplies, mais les déplacements d’une région à l’autre restent interdits. Les chantiers de construction rouvrent. Le gouvernement commence à travailler sur la définition des modalités, en présence, des examens de fin d’études. Le 16 mai, le confinement est presque totalement levé. À partir du 3 juin, les voyages dans l’Union européenne reprennent. Le 11 juin, « la phase 3 » commence : les restrictions sont encore assouplies et des mesures sont prises pour reprendre les activités sociales et économiques. Le 7 août Giuseppe Conte prolonge certaines mesures pour contrer et contenir la propagation du virus Covid-19 jusqu’au 7 septembre 2020.

Si l’Italie a vécu au rythme des décrets du président du Conseil des ministres, les Français ont suivi les mesures prises en Conseil de défense et annoncées, notamment, par le président de la République, Emmanuel Macron. La France développe sa politique sanitaire avec un décalage de quelques jours avec l’Italie. Alors même qu’un rassemblement évangélique dans le Sud de l’Alsace contribue à un essor de la pandémie en France à la fin du mois de février, en parallèle à d’autres foyers de développement de l’épidémie, Emmanuel Macron et son épouse se rendent au théâtre, le 6 mars, car « la vie continue ». Ce même jour, le préfet du Haut-Rhin (Alsace) introduit des mesures y restreignant les rassemblements. À partir du 9 mars, sont décrétées des dispositions sur l’ensemble du territoire pour limiter les rassemblements de plus de 1 000 personnes. Le lendemain, un Conseil scientifique spécifique est créé pour accompagner les décisions du pouvoir exécutif. Le 12 mars, lors d’une intervention radiodiffusée, Emmanuel Macron annonce une série de décisions : crèches, collèges et universités sont fermées, des dispositions économiques spécifiques (chômage, cotisations sociales) sont décrétées. La Une du Monde du 13 mars montre le point de vue changeant de la France sur l’Italie : « Covid-19 : vue d’Italie, l’insoutenable légèreté de la France ». Cette insoutenable légèreté se termine le 16 mars : suivant l’avis du Conseil scientifique, Emmanuel Macron annonce dans une nouvelle allocution radiotélévisée, après avoir expliqué que la France était « en guerre », un confinement de la population à partir du 17 mars à midi. Les déplacements sont réduits au strict nécessaire et doivent être justifiés par une attestation sur l’honneur, les frontières sont fermées, des dispositions spécifiques pour l’économie sont renforcées, dont le travail à domicile ou des indemnités chômages exceptionnelles, et un système de garde d’enfants pour les soignants est instauré. Au Sud de l’Alsace, un hôpital militaire de campagne est installé, alors que le système hospitalier est dépassé. Le premier confinement français est progressivement levé à partir du 11 mai, certaines mesures limitant les déplacements restant en vigueur. Le déconfinement est achevé le 22 juin, bien que, comme en Italie, de nombreuses mesures restent en vigueur au titre de l’état d’urgence sanitaire.

À l’échelle globale, le 30 mars 2020, 2,63 milliards de personnes vivaient sous confinement1. Alors que les pandémies, comme l’a observé le géophysicien Dario Albarello, « sont des événements “rares” pour lesquels la perception du risque par l’individu disparaît rapidement à mesure que l’événement s’éloigne dans le temps2 », la situation inédite dans l’histoire humaine de 2020 ne peut que nous – historiens et historiennes – interroger. Il existe des précédents d’épidémies ayant laissé des traces dans la mémoire collective, comme la grippe dite « espagnole » (1918-1919). Mais si cette dernière a été soumise à une sorte de censure en raison de la guerre, la pandémie de Covid a produit de nombreuses sources3.

Ainsi, la pandémie a-t-elle été directement étudiée dans son présent, comme mémoire en devenir, entre mémoire traumatique et mémoire ordinaire ou quotidienne4. Parmi les sources disponibles et que nous avons utilisées pour cet article, historiens et historiennes ont pu se pencher sur les traces de l’espace médiatique et notamment des médias sociaux. Twitter (aujourd’hui « X »5), par exemple, permettait d’observer des comptes qui ne sont pas seulement passifs face à la pandémie mais interagissent entre eux dans un lieu virtuel qui n’est pas soumis à l’enfermement. S’y croisent alors deux mémoires : l’ordinaire et la traumatique. Cette étude de la mémoire en devenir implique ainsi une réflexion méthodologique nouvelle : chercheurs et chercheuses n’y sont pas des observateurs détachés et contribuent directement à mettre à disposition des chercheurs futurs des corpus documentant la crise. Nous devenons alors des agents actifs de cette mémoire en formation, confrontés à une urgence quotidienne pour tenter de préserver la mémoire en formation de la pandémie.

Twitter est un contexte social particulier, où s’ancre notre étude. Les retweets, par exemple, révèlent dans quelle mesure certaines représentations sont à la fois partagées et s’y confrontent : chercheurs et chercheuses doivent alors combiner, assembler et entrelacer trois dimensions temporelles – passé, présent et futur. Ces combinaisons s’insèrent dans un déroulement de différents contextes6 : la pandémie et ses traces sur un réseau social numérique précis. Ces contextes sont onlife, c’est-à-dire une interaction complexe et constante entre la réalité matérielle et analogique et la réalité virtuelle et interactive7. Le confinement a poussé ce contexte onlife plus loin, transposant encore plus notre vie quotidienne sur l’écran d’ordinateur.

Le premier confinement, le plus sévère, a suscité de nombreuses interrogations chez les chercheurs et chercheuses, qui se sont traduites par le lancement de très nombreux projets de recherche de toute discipline. Le World Pandemic Research Network, par exemple, recensait en septembre 2022 plus de 1 000 projets en SHS (dans un sens large)8, dont 55 en histoire. Cette base de données n’est, en outre, pas exhaustive. Un exemple franco-italien est le projet Vitrines en confinement – Vetrine in quarantena, co-dirigé par Sarah Gensburger (CNRS/Sciences Po) et Marta Severo (Université Paris Nanterre)9. Il documente les réponses à la pandémie et les expressions politiques par la création participative et collaborative d’archives photographiques de l’espace public. Les initiatrices du projet espèrent créer une vaste documentation visuelle d’une période inhabituelle pour en faire une ressource unique pour les recherches futures. Vitrines en confinement – Vetrine in quarantena et de nombreux autres projets invitent à réfléchir aux questions liées à l’immédiateté des pratiques mémorielles, à la manière dont les gens habitent et peuplent l’espace local public en temps de crise.

Le projet sur lequel se fonde cet article est un peu différent. Le 15 mars 2020, répondant à un sentiment d’urgence, Frédéric Clavert a mis en place une collecte systématique de tweets francophones, tirant parti d’un précédent projet10. Une discussion avec Deborah Paci a ensuite permis d’étendre ce projet au contexte italien.

Collecter des tweets permet d’observer la circulation de l’information11. Cette circulation de l’information est portée par différents mécanismes sociotechniques mis en place par Twitter : la mention, la réponse, le retweet, la citation (voir plus bas). Nous espérons ainsi pouvoir poser un certain nombre de questions : pourquoi les gens publient-ils des messages dans l’espace public, spécifiquement sur Twitter dans un contexte d’enfermement généralisé ? Comment parlent-ils de l’isolement dans ces messages exposés dans l’espace des réseaux sociaux ? Quels mots et phrases utilisent-ils ?

#covid19 : méthodologie et corpus

En posant ces questions, en constituant le corpus que nous avons assemblé pour y répondre – c’est-à-dire en analysant les traces laissées par le Covid sur un média social, Twitter – nous espérons observer les premiers éléments émergeant d’une mémoire en formation. Nous nous situons ainsi dans le cadre des digital memory studies.

Un cadre global : les digital memory studies

Domaine de recherche en plein essor, les digital memory studies12 visent à comprendre comment les médias sociaux, les archives numériques et, plus largement, le web et les interactions qui s’y développent contribuent à reconfigurer la mémoire individuelle et collective. Cette approche fait le constat de l’omniprésence, de l’abondance et de l’immédiateté des médias numériques. Comme l’a observé Andrew Hoskins, la culture de la « post-pénurie » – liée notamment à l’émergence du web, aux projets de numérisation de masse et à leur mise en ligne, à la production de traces numériques en grande quantité touchant à de nombreux aspects de nos vies (big data) – a modifié l’usage du terme « mémoire ». Cet article part du constat que des plateformes telles que Twitter, YouTube, Facebook participent à l’émergence d’une mémoire, qui est désormais distribuée sur le réseau dans le contexte privé et public de toute personne connectée dans l’« infosphère numérique »13. Si les archives traditionnelles proposent une représentation des événements, les pratiques mémorielles sur les médias sociaux font ressortir comment les événements, y compris traumatiques, sont intégrés au quotidien14. Cette culture de l’abondance s’appuie sur l’accès libre à l’information, sur la liberté d’information et sur l’immédiateté de la recherche. Elle affaiblit les mécanismes de mémorisation, notamment par une dépendance à l’utilisation des big data et des dispositifs participatifs. Dans ce contexte, la pandémie et les confinements ont mis en évidence la façon dont « les “modèles naturels” du temps social peuvent s’effondrer et être profondément remodelés15 ». L’une des manières d’étudier ces phénomènes est de se pencher sur les médias sociaux, qui sont parmi les plus importants producteurs de traces mémorielles qui nous intéressent dans ce chapitre.

Qu’est-ce qu’un réseau social numérique ?

Dans un article fondateur, Danah Boyd et Nicole Ellison ont définit ainsi les médias sociaux :

Nous définissons les réseaux sociaux comme des services permettant aux individus (1) de construire un profil public ou semi-public au sein d'un système délimité, (2) de formuler une liste d'autres utilisateurs avec lesquels ils partagent une connexion, et (3) de visualiser et de parcourir leur liste de connexions et celles établies par d’autres personnes au sein du système. La nature et la nomenclature de ces connexions peuvent varier d’un site à l'autre. [...] Ce qui rend les réseaux sociaux uniques, n’est pas qu’ils permettent aux individus de rencontrer des inconnus, mais plutôt qu’ils permettent aux utilisateurs de formuler et de rendre visibles leurs réseaux sociaux16.

Si les usages se développant via internet ont depuis toujours été sociaux17, la définition ci-dessus fait remonter l’origine des réseaux sociaux numériques, parfois appelés « médias sociaux », au site SixDegrees.com (1997)18. Néanmoins, MySpace19 (2003), Facebook (2004, ouvert au grand public en 2006) et Twitter (2006) constituent une rupture, par leur capacité à attirer un très grand nombre d’utilisateurs. Si en 2005, MySpace dépasse 100 millions d’utilisateurs20, Facebook dépasse le premier au cours des années 2008 et 2009 selon les pays. En 2011, Facebook atteint les 600 millions d’utilisateurs. Sa croissance est ensuite continue jusqu’à dépasser les 2,5 milliards d’abonnés avant de connaître un léger recul à la fin de 2021.

Le nombre d’utilisateurs de Twitter est plus modeste, estimé au moment de la rédaction de cet article (début 2023) à un peu plus de 400 millions, la moitié seulement étant actifs21. Le nombre d’abonnés ne fait cependant pas tout : en janvier 2009, un avion évite de justesse l’accident, son pilote arrivant à amerrir dans la baie de l’Hudson. Cette nouvelle a été un moment capital pour Twitter : l’événement y est documenté en direct, par des passagers de l’avion, des journalistes ou des témoins. Twitter se distingue ainsi par une diffusion de l’information « en rhizome22 », à très haute fréquence23. Cette spécificité tient notamment à ce que Twitter est pour l’essentiel public.

La fonctionnalité centrale de Twitter est d’offrir la possibilité à ses utilisateurs, après création d’un compte, de publier un message court de 280 caractères (140 jusqu’en 2017). Ce message peut être reproduit tel quel (retweet) ou avec un commentaire (citation ou quote) par un autre compte. D’autres utilisateurs peuvent y être mentionnés avec leur pseudonyme twitter précédé d’un « @ » (mention). Ils peuvent répondre à un tweet (reply). Depuis 2020, l’émetteur d’un tweet peut toutefois limiter la possibilité d’y répondre. Le retweet, la citation, le thread (développer un argument sur plusieurs tweets en se répondant à soi-même), la mention sont des fonctionnalités qui sont nées, dans les premières années de Twitter, de l’interaction entre la plateforme et ses utilisateurs24. Le hashtag – un mot, un sigle, ou un ensemble de mots sans espace précédés d’un croisillon (#) – est également une fonctionnalité inventée par les utilisateurs de Twitter, aux usages divers : ironiser, par exemple, mais également participer à une discussion globale, comme #metoo l’a été, ou à des discussions à des échelles plus restreintes comme une conférence scientifique.

Retweets, mentions, réponses, hashtags ont façonné ce qu’est aujourd’hui Twitter : un réseau social centré autour de la circulation de l’information, parfois à haute fréquence, qui entrecroise des échelles diverses et des milieux sociaux, nationaux, régionaux variés. Prévu à l’origine comme un outil pour parler de soi et garder contact avec ses amis25, il insistait au début de 2022 nettement plus sur l’information, son slogan devenant Happening now26. Par ces fonctionnalités, Twitter façonne un entrecroisement spécifique des temporalités, caractérisé par l’accélération et la focalisation sur le présent.

Une autre spécificité de Twitter a été sa politique envers les chercheurs jusqu’en juin 202327. Si dès ses débuts, Twitter a eu une politique d’accès à ses données par les tiers plus avancée que d’autre médias sociaux, il a été possible à partir de 2021, pour tout chercheur et après dépôt d’un dossier, d’accéder28 à une interface de programmation29 et de collecter dans l’ensemble de l’historique de Twitter jusqu’à 10 millions de tweets par mois30. Ce dispositif avait l’avantage de permettre une collecte gratuite a posteriori des tweets. Il est possible d’utiliser d’autres fonctionnalités de l’interface de programmation de Twitter – notamment collecter une partie du stream de tweets, c’est-à-dire collecter les tweets en direct, mais avec le risque de ne pouvoir anticiper, par exemple, l’apparition d’un hashtag. Dans notre cas, si le projet a commencé avec une collecte en streaming qui s’est terminée en mars 2023, nous avons, pour cet article, préféré une collecte spécifique de tweets a posteriori, afin d’obtenir deux corpus comparables en italien et en français. Ce mode de collecte ne permet pas d’obtenir les tweets supprimés ou émis par des comptes ayant passé leur statut en mode « privé ». L’une des conséquences est la probable minimisation des controverses, moments où la suppression de messages est habituellement plus importante.

Les deux corpus31 ont été collectés sur la base d’un hashtag (#coronavirus) du 1er janvier au 30 juin 202032. Le corpus italophone est constitué de 1 064 715 tweets et le corpus francophone de 1 204 912 tweets. Dans les deux cas, nous n’avons pu collecter les retweets en raison de limites de l’API (interface de programmation d’application) de Twitter. La répartition dans le temps des deux corpus est indiquée à la figure 1.

Figure 1. Nombre de tweets (sans les retweets) par jour contenant #coronavirus en italien (orange) et en français (bleu)

Figure 1. Nombre de tweets (sans les retweets) par jour contenant #coronavirus en italien (orange) et en français (bleu)

Nous nous sommes concentrés dans cet article sur une analyse du contenu des tweets. Pour la lecture des presque trois millions de tweets, nous avons fait appel à des méthodologies dites de « lecture distante33 », en utilisant le logiciel IRaMuTeQ34. Fondé sur la méthode des « mondes lexicaux35 », IRaMuTeQ s’intéresse notamment à la cooccurrence des mots, ici dans les tweets, et crée des profils (classes ou clusters) regroupant des tweets considérés comme similaires et indique les mots les plus représentatifs de ces classes de tweets. Ces profils, les mots les plus représentatifs qui leur sont attachés ainsi que le fait qu’IRaMuTeQ permette de revenir à chaque tweet (et donc à une lecture proche des sources), autorisent l’utilisateur à interpréter les résultats du logiciel et à avoir une idée précise du contenu de son corpus, y compris quand ce dernier est massif.

Analyse du corpus

Corpus italophone

Figure 2a. Classification hiérarchique descendante (CHD) du corpus italophone

Figure 2a. Classification hiérarchique descendante (CHD) du corpus italophone

Figure 2b. Projection chronologique de la CHD du corpus italophone

Figure 2b. Projection chronologique de la CHD du corpus italophone

La classification hiérarchique descendante opérée sur le corpus italophone (Figure 2a) et sa projection chronologique (Figure 2b) regroupent 14 classes en quatre groupes. Le premier groupe rassemble les classes 1, 2, 12 et 14. Plus précisement, la classe 1 se réfère à tous les aspects de la pandémie qui sont relancés dans les réseaux sociaux : dans ces réseaux et, plus généralement, dans les médias traditionnels, en premier lieu la télévision, il y a une surabondance de vidéos montrant ce qui se passe dans les hôpitaux, les conditions dans lesquelles le personnel hospitalier travaille, les décès qui ont choqué la ville de Bergame, où les images de camions militaires en file transportant des cercueils mortuaires ont marqué l’imaginaire collectif. L’intervention des militaires a été nécessaire car la morgue de Bergame n’était plus en mesure, pendant plusieurs jours, de recevoir les cercueils des victimes du Coronavirus36. Cette classe reflète également un sentiment d’espoir qui est contenu dans les paroles du Pape François. La bénédiction Urbi et Orbi donnée par le pape le 27 mars 2020 devient un événement historique : jamais dans l’histoire de l’Église le pontife ne l’avait donnée sur une place Saint-Pierre déserte, ce qui fait rapidement le tour du monde37. Le sentiment d’espoir est également attesté par l’habitude qu’ont les Italiens de chanter depuis leur balcon tous les jours à 18 heures. Le choix des chansons est très symptomatique de la recherche d’un esprit communautaire, d’une réactivation des relations sociales pour faire face à l’exceptionnalité du moment : de l’hymne national à Bella Ciao, communément utilisés dans les situations communautaires, au répertoire plus large de la musique populaire italienne, d’Adriano Celentano avec Azzurro, à Lucio Dalla, Francesco De Gregori, Lucio Battisti, Fabrizio De André. À cela s’ajoutent les performances live à la guitare, à la basse ou au piano, depuis les balcons.

La classe 2 reflète les préoccupations en matière de santé. La pandémie s’inscrit dans un contexte marqué par la perméabilité des frontières et l’interdépendance des États. Cela reflète la nécessité, dans le domaine de la santé en particulier, pour les États de suivre les principes de transparence et de coopération placés sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui dispose depuis 2005 d’un règlement sanitaire international38. Bien que l’OMS ait élaboré un plan pour contenir la pandémie depuis février, il y a eu un manque de coordination et les mesures prises par les différents États sont arrivées trop tard. Dans les imaginaires du public, l’OMS est apparue comme une institution incapable de répondre à l’urgence, stimulant les soupçons autour d’une forme de responsabilité de l’OMS dans la pandémie. Cette classe fait référence au « péril chinois » et aux théories du complot autour de l’origine du virus. La Chine a ainsi pu être accusée d’avoir introduit le coronavirus, y compris en référence à la mission des experts de l’OMS pour établir l’origine des contagions. L’hypothèse la plus partagée reste celle du passage de la chauve-souris à l’homme par une espèce intermédiaire, mais les rumeurs autour d’un laboratoire de Wuhan jouent un rôle décisif avec, au cœur des discussions, les positions de Donald Trump et de la Russie de Vladimir Poutine. La référence à l’OMS attire l’attention sur l’opinion largement répandue selon laquelle un organisme international est totalement incapable de faire face à une urgence qui montre à quel point la perméabilité des frontières est dangereuse : ce n’est pas un hasard si la croyance commune est que le virus est venu de Chine, un pays lointain qui menace les frontières nationales.

Le second regroupement réunit les classes 3, 6, 7, 8 et 11. La classe 3, par exemple, fait référence aux effets du confinement. Les symptômes du coronavirus sont donnés. Le cas d’un homme de 37 ans originaire de Codogno, premier italien à avoir été diagnostiqué positif au Covid-19 est évoqué. Les comptes Twitter parlent de ce qui est autorisé pendant le confinement : la possibilité de courir et de s’entraîner entre les murs de la maison. D’autre part, ils insistent sur l’impossibilité d’avoir des relations sociales, de sortir pour boire une bière avec les amis. On parle du fait qu’on ne peut pas aller au cinéma mais qu’il faut se contenter de voir un film à la maison. La possibilité d’être malade mais asymptomatique est également mentionnée.

La classe 6 fait référence aux changements qui affectent la vie quotidienne et ont un effet majeur sur la vie de chacun et la classe 7 à la première contagion qui inquiète mais qui est aussi sous-estimée et suscite la surprise. Nous sommes aux premiers stades de la pandémie. La classe 8 contient de nombreuses formes verbales qui font référence au fait d’avoir du mal à comprendre ce qui se passe et contient des expressions scabreuses.

La classe 11 concerne les mesures économiques prises par Giuseppe Conte en faveur des travailleurs et des entreprises. Il est souvent fait mention des conférences de presse de Conte en référence à l’état des paiements prolongés, ainsi qu’au Mécanisme européen de stabilité (MES).

Le troisième groupe rassemble les classes 4, 9 et 10. La classe 4 se réfère au report des championnats de football (séries A et B), aux seules formes d’entraînement autorisées (individuelles), mais aussi au Grand Prix de Formule 1, au MotoGP et au basket-ball. On parle de la suspension de l’édition 2020 du salon automobile de Paris et des Jeux olympiques de Tokyo. La position prise par le ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque, Vincenzo Spadafora, fait l’objet de nombreuses discussions. Enfin, il est question du footballeur de la Juventus Emanuele Rugani, le premier joueur à être tombé malade du Covid. Nous n’en sommes qu’aux premiers stades de la pandémie, mais la nécessité de revenir à la vie normale se fait immédiatement sentir. Comme l’a fait remarquer l’anthropologue Bruno Barba, « qu’est-ce que le sport peut bien nous apporter, alors que des centaines de personnes meurent chaque jour ? Une position compréhensible, aujourd’hui, mais qui ne tient pas compte d’un fait naturel : la vie, et pas seulement le spectacle, doit continuer. Et le sport, comme le football, c’est la vie39 ».

La classe 9 fait référence aux cas de personnes tombant malades du Covid, aux chiffres, au nombre de décès, à l’urgence qui semble imparable. Les mises à jour sont également fournies par région (notamment Emilie-Romagne, Lombardie, Piémont, Pouilles, Toscane). La classe 10 fait référence à l’allocation de fonds pour soutenir les travailleurs, les entreprises et les primes.

Le dernier groupe est constitué des classes 5 et 13. Plus précisément, la classe 5 concerne la fermeture d’écoles mais aussi de magasins, de bars et de restaurants. La question de savoir quand et comment les rouvrir se pose. Les membres de Twitter se plaignent de ceux qui enfreignent le confinement et de la nécessité d’une autocertification.

Si nous nous penchons sur la projection dans le temps de ces classes (Figure 2b), les profiles 3, 6, 7, 8 et 11 sont particulièrement pertinents dans les premiers temps de la crise, y compris les premiers jours du confinement : sur Twitter, l’on commence en Italie à parler, ainsi, des origines de la crise sanitaire (en Chine à Wuhan) puis sur le confinement et ses effets. Prévalent ensuite les classes 4, 9 et 10 – les mesures sur les compétitions sportives, mais également l’énonciation quotidienne des chiffres sur la pandémie – d’un côté et 1, 12 et 14 – le suivi des événements dans les hôpitaux, dont celui, emblêmatique, de Bergame, mais aussi la progresison de l’épidémie et les interrogations diverses sur ses origines – de l’autre. Nous sommes ici au cœur du confinement : si ces classes marquent certaines interrogations sur les origines de la pandémie et les mesures pour les contrer, elles montrent aussi l’ancrage des pratiques numériques dans le quotidien du confinement, notamment en faisant référence aux chants sur les balcons (classe 9). Enfin, la fin de la période ici analysée (jusqu’en juin 2020) est marquée par une plus grande pertinence des classes 3, 15 et dans une moindre mesure 2. Si les deux premières évoquent toujours les mesures prises, par exemple de fermeture des écoles, elles évoquent également leur réouverture, c’est-à-dire la sortie du confinement.

Corpus francophone

Dans le cas français (Figures 3a et 3b), nous avons une division en quatorze classes, que l’on peut regrouper en quatre groupes. Le premier groupe touche à la seule classe 14 : il s’agit des tweets faisant le décompte quotidien des nouveaux cas, des personnes hospitalisées et décédées suivant la logique parfois quantophrénique qui s’est emprise des pays les plus touchés.

Le second groupe comprend les classes 1, 4, 7, 8, 9, 12 et 13. La classe 1 est celle des controverses qui ont traversé le débat notamment politique français : les masques et leur pénurie40, l’usage de l’hydroxychloroquine (souvent abrégée en chloroquine) prôné notamment par Didier Raoult, professeur et directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditéranée Infection à Marseille, et la question des futurs vaccins.

Les classes 12 et 13 sont liées aux interventions télévisuelles d’Emmanuel Macron, la contestation de la légitimité de sa présidence (12), interventions qui ont rythmé le confinement et la suite de la crise, ainsi qu’à certains aspects du confinement (13) avec les hashtags de type #restezchezvous, mais également la pratique des applaudissements tous les soirs à 20 heures en hommage aux soignants.

La classe 4 ressort à nouveau du registre de la controverse : autour de ministres et notamment d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé et de la Prévention au début de la crise, qui a démissionné pour prendre la tête de liste de la République en Marche, le parti présidentiel, pour les élections municipales à Paris (premier tour le 15 mars – le second tour a ensuite été reporté). Sont rappelés aussi dans les tweets de ce profil la période des Gilets jaunes, mouvement contestataire né à l’automne 2018 et qui s’est poursuivi jusqu’à la crise sanitaire.

Les classes 7, 8 et 9 se rapportent plus aux relations sociales pendant le confinement : éviter les contacts pour ne pas transmettre la maladie, avec en arrière-plan la peur de mourir du Covid (7). La classe 8 est plutôt constituée de tweets contestant non pas le confinement, mais bien le fait de ne parler et de ne vivre que du confinement. Enfin la classe 9, difficile à interpréter sans en regarder les tweets les plus caractéristiques, se réfère aux débats sur l’origine du virus (en laboratoire ou non). Ainsi, les classes 1, 4, 7, 8, 9, 12 et 13 sont-elles toutes traversées par diverses controverses qui se sont déployées dans le débat public pendant le grand confinement, tout en relevant, pour certaines, d’aspects quotidiens, comme les applaudissements des soignants les soirs.

Figure 3a. Classification hiérarchique descendante (CHD, méthode Reinert) du corpus francophone

Figure 3a. Classification hiérarchique descendante (CHD, méthode Reinert) du corpus francophone

Enfin, le troisième groupe est constitué des classes 2, 3, 5, 6, 10 et 11. La classe 2 concerne les mesures du confinement, touchant notamment à la fermeture puis à la réouverture des écoles, mais aussi aux frontières, aux compétitions sportives, etc. Ces tweets comprennent parfois des commentaires critiques ou ironiques sur ces mesures. La classe 3 évoque les mesures économiques prises – ce qui en France a été appelé le « quoi qu’il en coûte », d’une expression utilisée par Emmanuel Macron pendant l’une de ses interventions télévisées – et leur coût, ainsi que les risques de récession liés aux mesures de confinement. Il est notable que ce profil contienne aussi des éléments européens (dont des mentions de la banque centrale européenne). La classe 5 évoque les réglementations spécifiques du travail pendant le confinement, et en particulier le télétravail. La classe 6 concerne plus particulièrement l’information sur le covid-19. Les classes 10 et 11 portent clairement sur l’organisation de la lutte contre la pandémie.

Figure 3b. Classification hiérarchique descendante (CHD, méthode Reinert) du corpus francophone

Figure 3b. Classification hiérarchique descendante (CHD, méthode Reinert) du corpus francophone

Si nous projetons ces classes dans le temps (Figure 3b), nous voyons que certaines d’entre elles marquent le début du confinement : les classes 2, 4, 7, 8, 9 et 10 sont plus pertinentes en début de période (dont les débuts du confinement). Les grandes décisions prises (classe 2), l’organisation de la lutte contre la pandémie (10) rythment ainsi les discussions sur Twitter des débuts du confinement. La vie quotidienne sous ce dernier, les relations sociales (entravées) par ces mesures rythment aussi ce début de période. Les classses 5, 6 11 et 13 prennent le relais des précédents en début de confinement et se poursuivent pour la plupart pendant l’ensemble du confinement. Elles reprennent des thématiques déjà invoquées par les classes précédentes, en y ajoutant notamment l’organisation du travail en confinement, les questions d’informations sur la pandémie, l’organisation du confinement et de la lutte contre le virus.

La classe 1 apparaît en décalage, plus tardivement dans le confinement : la controverse initiée par le Professeur Didier Raoult autour de l’hydroxichloroquine est discutée à partir du 22 mars. La temporalité des controverses suit ainsi le rythme de certains des événements comme la visite surprise d’Emmanuel Macron à Didier Raoult en avril 202041. Enfin, la particularité de la classe 14, celle de l’énumération des décès et des cas de Covid-19, est d’être plus pertinente en début et en fin de période.

France et Italie : deux parcours dans la crise

Les classifications hiérarchiques desendantes (Figures 2a et 3a) effectuées sur les deux corpus permettent de mettre en valeur certaines similitudes entre les deux pays. Elles sont marquées notamment par le fait que les deux confinements, bien que décalés de quelques jours, ont fait l’objet de mesures similaires d’une part, par le fait que les systèmes de santé des deux pays ont été mis sous pression et été au bord de la rupture d’autre part, même si les images de camions suppléant la morgue de Bergame semblent avoir plus marqué – du moins d’après cette analyse – que leur équivalent français, l’installation d’un hôpital de campagne dans le Haut-Rhin.

Il nous semble cependant que les dissemblances sont plus frappantes encore. Si certaines classes de nos analyses sont ancrées dans la réalité quotidienne du confinement, les manifestations relatées sont différentes : chants sur les balcons côté italien ; applaudissement des soignants côté français. L'analyse de ces différences doit tenir compte des traditions politiques et culturelles respectives.

Plus particulièrement, le rapport au politique, dans deux démocraties aux régimes sensiblement différents, nous semble particulièrement divergent. L’analyse côté français montre des débats perclus de controverses de différentes natures : la personnalité du président de la République et de certains des ministres du gouvernement de l’époque et en premier lieu, plus que le Premier ministre, les ministres de la Santé Agnès Buzin puis Olivier Véran. En France, le confinement et la crise sanitaire arrivent après une crise sociale importante qui a débuté en 2018, celles des Gilets jaunes, et après des élections présidentielles, en 2017, marquées par un fort score de l’extrême-droite sur fond de restructuration du champs politique français, qui voit l’affaiblissement, si ce n’est l’effondrement, de certains partis de gouvernement traditionnels comme le Parti socialiste à gauche et Les Républicains à droite. La centralisation importante de l’État français est inscrite dans les tweets : il y a peu de références à la situation locale, alors que la pandémie a touché le territoire français de manière différenciée. Même le Sud de l’Alsace et plus particulièrement les cas d’Altkirch et de Mulhouse dans le Haut-Rhin dont la situation a été aussi dramatique que celle de Bergame, n’est que peu présent dans les classes que nous avons obtenues42. L’Italie, État central mais où les régions pèsent nettement plus qu’en France, où la pandémie a également frappé de manière différenciée entre le Nord et le Sud, leur laisse plus de place, ce qui transparait dans les tweets, notamment lorsqu’ils évoquent le Nord de l’Italie. Si la situation politique de l’Italie avait quelque chose de comparable à la France à cette époque, avec un gouvernement de coalition excluant une extrême-droite forte, les tweets analysés relèvent une moindre polémisation de cette situation politique.

Dans les deux cas, les interrogations, le doute confinant parfois à la théorie du complot, sont présentes, mais force est de constater – un autre ancrage dans le réel – que les classes liées à ces controverses sont nettement plus présentes en France qu’en Italie. Le débat sur l’hydroxychloroquine porté par le médecin marseillais Didier Raoult, le contexte médiatique français de l’époque – des médias complotistes ou proches du complotisme comme RT France, depuis interdit de diffusion, ou le site France Soir – associé à certaines tendances du mouvement des Gilets jaunes ou certaines tentatives politiques de récupération de ce mouvement, montrent une France, sur Twitter, tiraillée, divisée, dans le cadre plus général des toxic data43 : Twitter encourage et amplifie les controverses.

On pourrait aussi s’interroger sur le rapport à la frontière et à l’Europe dans les deux corpus. Dans tous les cas, la fermeture des frontières est accueillie de manière positive, après trois décennies de Schengen, au point que l’on peut se demander si la pandémie a aussi servi à remettre en cause les acquis européens dans les deux pays ?

Conclusion

Les médias sociaux s’ancrent dans une réalité et pour la recherche ici présentée dans deux réalités nationales différentes : deux contextes politiques et institutionnels donnent ainsi des tonalités distinctes aux analyses effectuées sur les deux corpus constitués autour de la crise sanitaire et le grand confinement du printemps 2020. Cependant, si ce qui se passe sur Twitter, pour notre étude, est ancré dans la réalité, cette dernière s’y exprime dans un cadre précis, celui de ce média social qui encourage la circulation de l’information à haute fréquence qui lui est caractéristique. Il en résulte des traces numériques massives, les tweets, likes, mentions, etc. Si cet ancrage des médias sociaux dans des réalités politiques (et sociales) différentes questionne la manière dont la crise sanitaire sera mémorialisée, transformée dans les mémoires collectives française et italienne, le fonctionnement de Twitter lui-même aura ainsi sa propre influence. C’est en cela que les médias sociaux, cette nouvelle écologie médiatique, opèrent une forme de médiatisation de la mémoire. S’il est difficile d’émettre des hypothèses précises, nous pouvons avancer que ce que nous voyons sur Twitter préfigure des contenus mémoriels futurs bien différents en France et en Italie.

Toutefois, les limites de notre démarche et de notre méthodologie, qui doivent être complétés par d’autres approches, donnent certaines idées de ce qui a déjà été oublié, ou du moins, de ce qui a été noyé dans le flux d’information continue qu’est (était) Twitter. En effet, en comparaison d’analyses préliminaires que nous avions effectuées et non reproduites ici, notre démarche écrase certaines voix. Par exemple, les analyses sur un corpus francophone plus vaste mais centré sur les premières semaines du confinement avaient montré qu’une partie de la population française, musulmane, s’interrogeait sur les façons de respecter le ramadan malgré les contraintes du confinement. Les métiers qui avaient été qualifiés de « second rang » – les métiers nécessaires, liés à la santé, mais non directement confrontés aux patients atteints du Covid et hospitalisés mais indispensables au bon fonctionnement, notamment, des services d’urgence, n’apparaissent que très peu dans les deux corpus.

La mémoire collective, fruit d’interactions sociales, de la pandémie a-t-elle ainsi été orientée, en tout cas telle qu’elle s’exprime sur Twitter, vers d’autres éléments que ces métiers.

Cette recherche montre en outre à quel point les mesures de confinement prises pour contrer la pandémie ont redéfini les frontières sociales, ont changé les lieux avec l’interdiction des activités de sociabilité. La pandémie a encouragé une forme de stigmatisation du danger et a autorisé chacun à créer sa propre explication des phénomènes, donnant naissance parfois à des fake news. Cependant, la médiatisation des relations dans la sphère publique conduit à un retour du social que l’individualisme économique avait cherché à détruire44.

D’un point de vue méthodologique, si nous devons aussi laisser les événements liés à la pandémie actuelle sédimenter, nous pouvons, grâce à l’utilisation de sources numériques en temps quasi réel, ces traces des grandes plateformes du web, émettre des hypothèses sur des pistes de recherche à partir du rôle des médias sociaux, d’autant plus que la pandémie a amplifié encore l’utilisation massive des nouvelles technologies. Au-delà de cette recherche, il peut y avoir bien d’autres pistes à suivre pour l’historien et l’historienne : le lien entre liberté et sécurité, la perception du rôle des institutions européennes, la manière de penser et de vivre les espaces collectifs dans des conditions où la liberté individuelle et collective est restreinte. L’articulation des trois dimensions temporelles devient une exigence de l’historien qui vit en temps de crise. L’éthique de l’historien consiste en une articulation des temps de l’histoire : « l’étude du passé a un sens, non pas en soi, mais seulement en relation avec la compréhension critique du présent et la construction d’un autre avenir45 ».

Note : L’introduction, conclusion et « France et Italie : deux parcours dans la crise » ont été rédigés par Frédéric Clavert et Deborah Paci de manière équivalente. La partie « Un cadre global : les digital memory studies » a été rédigée par Deborah Paci, « Qu'est-ce qu’un réseau social numérique ? » par Frédéric Clavert. L’analyse du corpus italophone a été écrite par Deborah Paci, celle du corpus francophone plus précisément par Frédéric Clavert.

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1

Service Checknews, « Covid-19 : combien de personnes sont confinées dans le monde ? », Libération, 31 mars 2020 (consulté le 27 novembre 2023).

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2

Dario Albarello, « Politiche di prevenzione sismica e gestione dell’emergenza in Italia nel decennio 1960-1970 », in Gianni Silei (dir.), Tutela, sicurezza e governo del territorio in Italia negli anni del centro-sinistra, Milano, Franco Angeli, 2016, p. 37.

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3

Gianni Silei, « Quali lezioni dalla crisi del Covid-19 ? Un approccio storico », in Alessandra Guigoni et Renato Ferrari (dir.), Pandemia 2020. La vita quotidiana in Italia con il Covid-19, Danyang, M&J Publishing House, 2020, p. 14.

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4

Sarah Gensburger, Memory on My Doorstep: Chronicles of the Bataclan Neighborhood, Paris 2015-2016, Louvain, Leuven University Press, 2019, p. 17.

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5

Nous avons écrit cet article avant le rachat de Twitter par Elon Musk, à l’automne 2022. Depuis, Twitter est devenu X et les moyens utilisés pour collecter les données de cet article ne sont plus à disposition, sauf à payer des sommes hors de portée de la recherche publique. Voir : Collectif, « Les conversations sur les médias sociaux sont des expressions démocratiques qui ne sauraient être cachées à la recherche », Le Monde, 16 juin 2023, (consulté le 28 juin 2023). Cette tribune a été cosignée par l’un des auteurs du présent article.

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6

Andrea Carlino, « Politiche del tempo all’epoca del coronavirus », in Alessandra Guigoni et Renato Ferrari (dir.), Pandemia 2020. La vita quotidiana in Italia con il Covid-19, Danyang, M&J Publishing House, 2020, p. 57.

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7

Luciano Floridi, The Fourth Revolution. How the infosphere is reshaping human reality, Oxford, Oxford University Press, 2014.

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10

Frédéric Clavert, « Face au passé : la Grande Guerre sur Twitter », Le Temps des médias. Revue d’histoire, vol. 31, 2018, p. 173‑186.

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11

Dominique Boullier, « Les sciences sociales face aux traces du big data », Revue française de science politique, vol. 65, n° 5, 2015, p. 805-828.

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12

Pour une approche plus complète des digital memory studies, nous proposons au lecteur de se reporter à l’introducion d’Andrew Hoskins du livre qu’il a dirigé sur le sujet : Andrew Hoskins (dir.), Digital memory studies: media pasts in transition, New York, Routledge, 2018.

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13

Luciano Floridi, The Fourth Revolution. How the infosphere is reshaping human reality, Oxford, Oxford University Press, 2014.

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14

Yvonne Liebermann, « Born digital : The Black lives matter movement and memory after the digital turn », Memory Studies, vol. 14, 2020, p. 717.

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15

Astrid Erll, « Afterword : Memory worlds in times of Corona », Memory Studies, vol. 13, 2020, p. 862.

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16

Danah M. Boyd et Nicole B. Ellison, « Social Network Sites: Definition, History, and Scholarship », Journal of Computer-Mediated Communication, vol. 13, n° 1, 2007, p. 211.

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17

Valérie Schafer, « Les réseaux sociaux numériques d’avant… », Le Temps des médias, vol. 31, n° 2, 2018, p. 121‑136.

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18

http://sixdegrees.com/ (en ligne). La première capture réussie par la Wayback Machine de ce site date de 1998 (https://web.archive.org/web/19980416101322/http://sixdegrees.com:80/)

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19

https://myspace.com/ (en ligne). La première capture réussie par la Wayback Machine de ce site date de 2003, année de son lancement (https://web.archive.org/web/20031004101518/http://myspace.com/).

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20

« Myspace », Wikipedia, Wikimedia Foundation, 23 novembre 2023 (consulté le 27 novembre 2023).

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21

Pascaline David, « Twitter : qui sont ses utilisateurs ? », Le Monde, 1er mai 2022 (consulté le 16 septembre 2023).

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22

Dominique Boullier et Frédéric Clavert, « Avec les réseaux sociaux numériques, l’événement devient un fait social », Le Temps des médias, n° 31, 2018, p. 230‑241.

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23

Dominique Boullier, « Les sciences sociales face aux traces du big data », Revue française de science politique, vol. 65, n° 5, 2015, p. 805‑828.

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24

Jean Burgess et Nancy K. Baym, Twitter: A Biography, New York, New York University Press, 2020.

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25

« Twitter is a service for friends, family, and co–workers to communicate and stay connected through the exchange of quick, frequent answers to one simple question: What are you doing? » voir : https://web.archive.org/web/20071031213351/http://twitter.com/

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26

Voir twitter.com (consulté le 6 octobre 2022). Dans les captures récentes de la Wayback Machine, le slogan a pu évoluer, mais reste sensiblement le même. Voir par exemple une capture du 27 février 2022 : https://web.archive.org/web/20220227000259/https://twitter.com/.

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27

Le rachat de Twitter, à l’automne 2022, par Elon Musk a eu pour conséquence la fermeture de cet accès gratuit aux données de Twitter pour les chercheurs et chercheuses à partir de juin 2023.

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29

Une interface de programmation (Application Programming Interface) est un dispositif logiciel permettant à deux applications (Twitter d’un côté, le logiciel twarc que nous utilisons de l’autre) d’échanger des fonctionnalités ou, notamment, des données dans notre cas.

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30

D’autres possibilités larges de collecte existaient auparavant (jusqu’à plusieurs millions de tweets par jour), mais l’on ne pouvait remonter au-delà d’une semaine dans l’historique de Twitter, du moins si l’on respectait les conditions d’utilisation de ce réseau.

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31

Nous avons utilisé la fonction de l’API de Twitter permettant de spécifier une langue. Toutefois, cette fonction n’est pas parfaite et, souvent, d’autres langues peuvent être présentes, bien que de manière très minoritaire.

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32

La collecte sur la base des hashtags et/ou mots-clés a des limites qui ont été décrites dans : Evelien D’heer, Baptist Vandersmissen, Neve Wesley De et al., « What are we missing? An empirical exploration in the structural biases of hashtag-based sampling on Twitter », First Monday, vol. 22, n° 2, 2017.

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33

Franco Moretti, Graphs, Maps, Trees: Abstract Models for Literary History, Londres, Verso, 2007 ; Frédéric Clavert, « History in the era of massive data », Geschichte und Gesellschaft, vol. 46, 2021, p. 175‑194.

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34

Pierre Ratinaud et Stéphane Dejean, « IRaMuTeQ : implémentation de la méthode ALCESTE d’analyse de texte dans un logiciel libre », Modélisation Appliquée aux Sciences Humaines et Sociales, Toulouse, 2009.

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35

Max Reinert, « Une méthode de classification descendante hiérarchique : application à l’analyse lexicale par contexte », Les cahiers de l’analyse des données, vol. 8, n° 2, 1983, p. 187‑198 ; Max Reinert, « Les “mondes lexicaux” et leur “logique” à travers l’analyse statistique d’un corpus de récits de cauchemars », Langage et société, vol. 66, n° 1, 1993, p. 5‑39.

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36

Paolo Berizzi, « Bergamo, non c’è più posto: 70 mezzi militari portano le salme fuori dalla regione », la Repubblica, 18 mars 2020 (consulté le 27 novembre 2023).

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38

Gianni Silei, « Quali lezioni dalla crisi del Covid-19 ? Un approccio storico », in Alessandra Guigoni et Renato Ferrari (dir.), Pandemia 2020. La vita quotidiana in Italia con il Covid-19, Danyang, M&J Publishing House, 2020, p. 16.

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39

Bruno Barba, « Come cambia il mondo (e il calcio) », in Alessandra Guigoni et Renato Ferrari (dir.), Pandemia 2020. La vita quotidiana in Italia con il Covid-19, Danyang, M&J Publishing House, 2020, p. 144.

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40

Franck Nouchi, « Coronavirus : les graves insuffisances françaises », Le Monde, 19 mars 2020 (consulté le 27 novembre 2023).

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41

Olivier Faye et Alexandre Lemarié, « La visite surprise d’Emmanuel Macron à l’infectiologue controversé Didier Raoult », Le Monde, 9 avril 2020 (consulté le 27 novembre 2023).

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42

La gravité de la pandémie en Alsace explique probablement que le quotidien régional Les Dernières Nouvelles d’Alsace, ait été à l’initiative d’une sorte de mémorial dès le mois de juillet 2020. Emmanuel Viau et Céline Rousseau, « Notre mémorial des disparus du Covid-19 en Alsace », DNA, 13 juillet 2020 (consulté le 27 novembre 2023).

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43

David Chavalarias, Toxic data : comment les réseaux manipulent des opinions, Paris, Flammarion, 2022.

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44

Andrea Carlino, « Politiche del tempo all’epoca del coronavirus », in Alessandra Guigoni et enato. Ferrari (dir.), Pandemia 2020. La vita quotidiana in Italia con il Covid-19, Danyang, M&J Publishing House, 2020, p. 60.

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45

Andrea Carlino, « Politiche del tempo all’epoca del coronavirus », in Alessandra Guigoni et Renato Ferrari (dir.), Pandemia 2020. La vita quotidiana in Italia con il Covid-19, Danyang, M&J Publishing House, 2020, p. 59.

Dario Albarello, « Politiche di prevenzione sismica e gestione dell’emergenza in Italia nel decennio 1960-1970 », in Gianni Silei (dir.), Tutela, sicurezza e governo del territorio in Italia negli anni del centro-sinistra, Milan, Franco Angeli, 2016.

Bruno Barba, « Come cambia il mondo (e il calcio) », in Alessandra Guigoni et Renato Ferrari (dir.), Pandemia 2020. La vita quotidiana in Italia con il Covid-19, Danyang, M&J Publishing House, 2020.

Dominique Boullier, « Les sciences sociales face aux traces du big data », Revue française de science politique, vol. 65, n° 5, 2015, p. 805‑828.

 

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Gianni Silei, « Quali lezioni dalla crisi del Covid-19 ? Un approccio storico », in Alessandra Guigoni et Renato Ferrari (dir.), Pandemia 2020. La vita quotidiana in Italia con il Covid-19, Danyang, M&J Publishing House, 2020, p. 16.