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Vers un retour à la politique parlementaire ?
Professeur des universités

(Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Cessp)

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Personne n’avait anticipé la composition de l’Assemblée nationale élue en juin 2022 : dix groupes parlementaires, pas de majorité présidentielle absolue, 89 députés du Rassemblement national. Quelles sont les explications de cette fragmentation ? Quels sont les scénarios possibles ? En quoi le RN sera transformé par cette expérience lorsque viendra une nouvelle échéance présidentielle ?

Si la situation n’est pas inédite (la première assemblée de la Ve République n’avait pas de majorité, pas plus que celle de 1988, au début du second septennat de François Mitterrand), elle n’en est pas moins différente : pas de pression identique de la crise algérienne comme pendant la première législature, plus de système bipolaire comme pour la législature 1988-1993, marge de manœuvre plus grande des parlementaires depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Pourtant, à l’encontre des prédictions les plus communes qui diagnostiquent un blocage inéluctable, la Ve République demeure la Ve République, initialement construite pour gouverner sans majorité stable. Dès lors, la coalition rapide des oppositions n’est pas le plus probable. On pourrait bien assister plutôt à des accords ponctuels patiemment construits (si le personnel politique de la majorité apprend à gouverner autrement que pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron), à une parcimonie de la production législative et, plus globalement, à un retour de la politique parlementaire.

Cela n’empêche pas de se demander à nouveau, et sur des bases nouvelles, s’il convient de réformer la Ve République et s’il ne faudrait pas changer de système pour s’accorder aux évolutions de la société et aux institutions des autres pays de l’Union européenne.

Notes

 

Michel Debré (1912-1996) : Résistant, gaulliste, sa carrière politique (il a été sénateur, député, ministre, maire, conseiller général, candidat malheureux à la présidentielle etc..) commence sous la IVe République et s’achève en 1992. Diplômé de l’École libre des sciences politiques, ancêtre de l’IEP de Paris, docteur en droit, il pilote le groupe de travail chargé de l’écriture de la Constitution de 1958. Il devient le premier Premier ministre de la Ve République après l’élection du Général de Gaulle à la Présidence (8 janvier 1959-14 avril 1962).

 

Michel Rocard (1930-2016) : Socialiste dès la fin des années 1940, il rompt avec la SFIO dirigée par Guy Mollet, en raison de sa politique algérienne. Très actif au sein du Parti socialiste unifié (PSU), il en est même le candidat à la présidentielle de 1969. Après la présidentielle de 1974 où François Mitterrand est le candidat de l’union de la gauche, il entre au PS, fin 1974. Il y incarne ce que l’on appelle la « deuxième gauche », décentralisatrice et moins favorable à une économie dirigée. Ministre pendant le premier septennat de François Mitterrand, il est Premier ministre (10 mai 1988-15 mai 1991) après sa réélection.

 

Édith Cresson (née en 1934) : Après avoir été plusieurs fois ministre dès mai 1981, elle est la première femme à être devenue Première ministre (15 mai 1991-2 avril 1992), et la seule jusqu’à la nomination d’Élisabeth Borne. En 1995, elle a été choisie par François Mitterrand pour être Commissaire européenne.

 

Pierre Bérégovoy (1925-1993) : Proches des jeunesses socialistes dès la guerre, résistant, il fréquente un temps le PSU, avant d’adhérer au Nouveau Parti socialiste (fondé en 1969, à l’origine du PS). D’abord ouvrier, il a connu une grande ascension sociale qui l’a mené jusqu’à la direction-adjointe de Gaz de France. Membre côté PS des négociateurs du Programme commun, il est secrétaire général de l’Élysée en 1981, puis régulièrement ministre. Il est le dernier Premier ministre du deuxième septennat de François Mitterrand (2 avril 1992-29 mars 1993). Pris dans la tempête médiatique lié à un prêt pour son appartement de la part de Roger Patrice-Pelat, ami de Mitterrand et lui-même inculpé pour un délit d’initié, Pierre Bérégovoy se suicide le 1er mai 1993.

 

Article 49-3 : « le 3e alinéa de l’article 49 […] prévoit l’engagement de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Le Premier ministre peut recourir à cette procédure pour l’adoption des lois de finances et de financement de la sécurité sociale mais aussi pour un autre projet ou une proposition de loi par session. Le texte est alors considéré comme adopté sauf si une motion de censure [voir ce terme] déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent l’engagement de la responsabilité du gouvernement est votée. » in Bastien François, Les Mots clés du droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2017.

 

Cohabitation : Terme qui décrit une situation où la majorité de l’Assemblée nationale est politiquement opposée à celle du président de la République. Le Premier ministre doit donc être choisi au sein de la majorité parlementaire et le président est limité dans son action aux compétences définies par la Constitution. C’est donc le Premier ministre qui définit la politique gouvernementale mais « il doit composer avec le président de la République » (Bastien François, op. cit.) en matière de politique étrangère, européenne et de défense. Sous la Ve République, il y a eu trois cohabitations : 1986-1988 (François Mitterrand président PS et Jacques Chirac, Premier ministre, RPR) ; 1993-1995 (François Mitterrand président PS et Édouard Balladur, Premier ministre, RPR) ; 1997-2002 (Jacques Chirac président RPR et Lionel Jospin, Premier ministre, PS). Les cohabitations sont rendues plus improbables par la réduction du mandat présidentiel à 5 ans (référendum en 2000) et surtout par l’inversion du calendrier électoral (réforme de 2002) par laquelle les législatives succèdent désormais à la présidentielle.

 

Épistocratie : du grec épistémè (science), désigne un système politique où ceux qui possèdent des diplômes élevés, en raison de leur savoir, devraient détenir le pouvoir.

 

Fronde, Frondeurs : surnom donné par la presse aux députés socialistes (puis aux anciens ministres) hostiles à la politique gouvernementale, qu’ils jugent trop droitière, pendant le mandat de François Hollande. Cette opposition se durcit lorsque Manuel Valls devient Premier ministre en mars 2014, et plus particulièrement lorsque celui-ci utilise l’article 49-3 (voir ce terme) pour faire passer la Loi Travail. Celle-ci, jugent-ils, « comporte un risque grave d'atteintes aux droits des salariés et à notre modèle social ». Ralliant principalement des élus EELV (Europe Écologie Les Verts), FdG (Front de Gauche) et PCF (Parti communiste français), le groupe réunit 56 élus, manquant (ou souhaitant manquer) le dépôt d’une motion de censure (voir ce terme) de quatre voix.

 

Motion de censure : « motion par laquelle l’Assemblée nationale met en cause la responsabilité politique du gouvernement. Son adoption entraîne la démission de celui-ci. Une motion de censure peut être déposée soit de façon spontanée à l’initiative des députés (art 49, alinéa 2), soit en réaction à l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un texte à l’Assemblée nationale (art 49, alinéa 3). Elle doit être signée par un dixième au moins des députés. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée nationale, de sorte que l’abstention équivaut à un rejet de la motion de censure. » in Bastien François, op. cit.

 

NUPES : Nouvelle union populaire écologique et sociale. Alliance électorale entre EELV, Générations, LFI (La France insoumise), PC, PCF scellée à la veille des législatives de juin 2022 et qui a consisté à présenter un candidat de la NUPES par circonscription. Elle a également donné naissance à un intergroupe parlementaire, chaque parti gardant par ailleurs son propre groupe parlementaire.

 

Lecture : « Phase de délibération d’un projet ou d’une proposition de loi devant une assemblée. La première lecture porte sur l’ensemble du texte. Lorsque le texte n’a pas été adopté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, les lectures peuvent se poursuivre par le mécanisme de la navette [le va-et-vient entre les deux chambres jusqu’à l’adoption en termes identiques]. » in Bastien François, op. cit.

 

Ordonnances : « Normes relevant organiquement du pouvoir exécutif — les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’État — et matériellement du domaine de la loi. Les ordonnances sont prises sur le fondement d’une loi d’habilitation qui fixe un délai limité durant lequel, pour l’exécution de son programme, le gouvernement est autorisé à édicter des normes qui sont normalement du domaine de la loi. Elles entrent en vigueur dès leur publication. […] Dans l’esprit des constituants, le recours aux ordonnances devait être exceptionnel et correspondre à des situations d’urgence. » in Bastien François, op. cit.

 

Ouverture : terme employé en 1988 après la réélection de François Mitterrand pour décrire l’entrée dans le gouvernement, faute de majorité parlementaire, de ministres n’appartenant pas initialement à la majorité présidentielle, comme Michel Durafour, Jean-Pierre Soisson ou Jacques Pelletier, membres de l’UDF (voir ce nom).

 

Questeurs : « Membre[s] du bureau de l’Assemblée ou du Sénat chargé[s] des services financier et administratifs de son assemblée » (Bastien François, op. cit). Ils appartiennent au Bureau de l’Assemblée nationale composé d’un président, en l’occurrence pour ce début de législature d’une présidente (Yaël Braun-Pivet, la première de l’histoire de l’Assemblée nationale), de six vice-présidents, de trois questeurs et de douze secrétaires.

 

Réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 : engagée sous Nicolas Sarkozy, sur la base du rapport d’un Comité présidé par Édouard Balladur et composé de personnalités et de constitutionnalistes. Elle vise à redonner quelques pouvoirs au parlement (en limitant par exemple le recours au 49-3 ou par le référendum d’initiative partagée, organisé à l’initiative d’1/5ème des membres du parlement soutenus par 1/10ème des électeurs inscrits), à encadrer les pouvoirs du président de la République (pas plus de deux mandats consécutifs, examen de certaines nominations par les commissions compétentes du Sénat et de l’Assemblée nationale…), à donner des pouvoirs aux citoyens, notamment grâce à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Celle-ci reconnaît « le droit à toute personne partie à un procès de contester la constitutionnalité d’une disposition législative applicable au litige ou constituant le fondement des poursuites et portant atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». (Bastien François, op. cit.)

 

RPR : Rassemblement pour la République. Le RPR est le parti de droite issu du gaullisme qui a porté les noms successifs d’UNR fondée en 1958 pour soutenir le Général de Gaulle, UD-Vè en 1967, UDR en 1968, RPR en 1976, lors de la prise de contrôle du parti par Jacques Chirac. Sous la IVe République, Charles de Gaulle avait créé le RPF (Rassemblement du peuple français), en activité entre 1947 et 1955.  En 2002, le RPR s’est fondu dans l’UMP (Union pour un mouvement populaire) avec plusieurs partis de droite, UMP aujourd’hui rebaptisée LR (Les Républicains).

 

Système bipolaire : Organisation du système partisan de la Ve République autour de quatre partis de force comparable (par exemple, PCF, PS, RPR, UDF), des années 1970 au milieu des années 1980. On parle parfois, comme le juriste et politiste Maurice Duverger en 1973, de « quadrille bipolaire » ce qui acte aussi la disparition (en réalité provisoire) du centre.

 

UDF : Union pour la démocratie française. Fondé en 1978 pour soutenir le Président Valéry Giscard d’Estaing de partis de droite non gaullistes et de centre-droit, tous pro-européens.

À propos de Bastien François

Bastien François est professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il co-dirige le master « Transformations des démocraties contemporaines : transitions écologiques ». C’est un spécialiste de sociologie politique (il est notamment l’auteur, avec Jacques Lagroye et Frédéric Sawicki, de Sociologie politique, Dallloz / Presses de Sciences Po, 6e éd. 2012) et de droit constitutionnel (voir en particulier Le Régime politique de la Ve République, La Découverte, 5e éd. 2010, et Les Mots-clés du droit constitutionnel, Dalloz, 2017). Il s’intéresse actuellement aux articulations entre transitions écologiques et architectures institutionnelles (par ex. Inventer la démocratie du XXIsiècle. La chambre citoyenne du futur, avec Loïc Blondiaux, Dominique Bourg et autres, Les Liens qui libèrent, 2017). Il a récemment codirigé, avec Antoine Vauchez, Politique de l’indépendance. Formes et usages contemporains d’une technologie de gouvernement, Septentrion, 2020.

    (dir. avec Antoine Vauchez) Politique de l'indépendance. Formes et usages contemporains d'une technologie de gouvernement, Villeneuve d'Ascq,  Presses universitaires du Septentrion, 2020 ;

     

    Les Mots-clés du droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2017 ;

     

    La VIe République, pourquoi, comment ?, Paris, Les petits matins, 2015 ;

     

    (avec Agnès Michel) La Démocratie près de chez vous, Paris, Les petits matins, 2012 ;

     

    La Constitution Sarkozy, Paris, Odile Jacob, 2009 ;

     

    (avec Arnaud Montebourg) La Constitution de la 6e République. Réconcilier les Français avec la démocratie, Paris, Odile Jacob, 2005 ;

     

    Pour comprendre la Constitution européenne, Paris, Odile Jacob, 2005 ;

     

    (avec Jacques Lagroye et Frédéric Sawicki) Sociologie politique, Paris, Dalloz et Presses de Sciences Po, 2002, 2006, 2012 ;

     

    Misère de la Ve République, Paris, Denoël, 2001, Points-Seuil, 2007 ;

     

    Quinquennat : conséquences politiques, Paris, Economica, 2000 ;

     

    (dir. avec Guillaume Drago et Nicolas Molfessis) La Légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1999 ;

     

    (dir. avec Eric Neveu) Espaces publics mosaïques : acteurs, arènes et rhétoriques des débats publics contemporains, Rennes, PUR, 1999 ;

     

    Le Régime politique de la Ve République, Paris, La Découverte, 1998, 2004, 2006, 2008, 2010 ;

     

    Naissance d'une Constitution. La Ve République (1958-1962), Paris, Presses de Sciences Po, 1996.

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    Pour citer cette publication

    Bastien François, « Vers un retour à la politique parlementaire ? » Dans FrédériqueMatonti et Laurent Jeanpierre (dir.), « Élections », Politika, mis en ligne le 12/07/2022, consulté le 26/10/2022 ;

    URL : https://www.politika.io/fr/article/retour-a-politique-parlementaire