Après des décennies d’invisibilisation, les habitants mapuche des zones urbaines au Chili sont en train de devenir, à travers leurs associations, des acteurs essentiels de la vie politique locale. Dans le Chili de l’après-dictature, les gouvernements démocratiques se sont engagés dans un renouveau des relations avec les populations indiennes, et en particulier le peuple Mapuche. Sa plus grande part est aujourd’hui installée dans les quartiers périphériques de Santiago, où elle a constitué un complexe réseau d’associations à caractère ethnique. Cette présence urbaine est pourtant restée invisible pendant de longues décennies, en raison notamment de l’attachement des institutions chiliennes à une vision ruraliste et archaïque du monde indien. Partant de ce constat, cette enquête croise deux enjeux centraux :
- la transformation du discours étatique comme des politiques publiques relatives aux peuples indiens ;
- le changement du rôle et des stratégies des organisations mapuche urbaines sous ces nouvelles conditions de reconnaissance.
L’ethnographie réalisée au sein d’organisations mapuche de Santiago est le matériau de base pour s’attacher à l’analyse du politique à l’heure de l’interculturalité au Chili. Une telle approche, attentive aux dimensions de l’ordinaire et du quotidien, permet d’enquêter sur la place que les membres d’associations mapuche peuvent occuper au sein de la vie politique d’une municipalité, et le rôle qu’ils font jouer à leur appartenance identitaire pour entretenir ce jeu politique.
Histoire Mapuche
À l’arrivée des Espagnols au XVIe siècle, le peuple Mapuche occupait un territoire qui comprenait toute la région centre-méridionale de l’actuel Chili. Leur territoire a représenté la dernière, impénétrable frontière face à laquelle la conquête espagnole s’est arrêtée. Pendant plusieurs décennies les Mapuche ont maintenu leur souveraineté face aux colonisateurs. Avec l’indépendance du Chili, en 1810, l’autonomie des territoires et ils ont géré leurs relations avec ces derniers à travers des négociations politiques. Avec l’indépendance du Chili, en 1810, l’autonomie des territoires mapuche est devenue un obstacle au projet d’unification nationale. Pour résoudre la situation le nouvel État chilien a lancé une campagne de conquête, qui s’est achevée en 1883 avec l’occupation de l’ensemble du territoire mapuche et l’extermination de plus de la moitié de sa population. Les survivants ont été confinés dans des réserves rurales, représentant à peine 6 % de leur territoire originel. Le bouleversement des structures productives, sociales et politiques a conduit à une progressive paupérisation de la population mapuche, migrant en partie dans les principaux centres urbains du pays. Durant la plus grande partie de l’ère républicaine et jusqu’à la fin de l’époque dictatoriale (1973-1989) le peuple Mapuche a été l’objet d’une politique systématique d’assimilation, « d’invisibilisation » et de liquidation de la part de l’État.
Cacique Cariman et sa famille, 1859.
Les politiques inaugurées dans les années 1990 n’ont offert que des réponses axées sur une revitalisation culturelle et un développement économique. Les associations mapuche ne se soustraient pas à une telle logique assistentialiste, mais elles semblent défier ce cadre culturaliste en se constituant comme interlocuteurs à part entière des pouvoirs administratifs locaux. Parallèlement à un constant travail de légitimation de leur présence dans le milieu urbain, leurs membres aspirent à une participation directe dans la vie politique et la gestion des services au niveau local1.
Une figure de transition : Marcela Lincovil
Jeune femme de 35 ans, née à Santiago, où elle vit et travaille, Marcela Lincovil est fortement investie dans le projet de récupération et diffusion de sa culture : elle est aujourd’hui présidente de l’association mapuche Kallfulikan. Originaires de la région de l’Araucanie, ses parents, membres de l’association, en sont les référents principaux pour ce qui concerne la connaissance des pratiques, de la langue, et de la cosmovision mapuche. Cependant, Marcela n’a as été encouragée à l’apprentissage de la langue mapuche ni familiarisée aux traditions pendant son enfance ; son intérêt pour elle ne s’est développé qu’aux portes de l’âge adulte. Figure reconnue au sein de l’association, auprès de l’administration locale et des services municipaux, Marcela gère tous les contacts avec les fonctionnaires et les représentants du gouvernement local. Son expérience et son expertise lui ont permis de tisser un réseau très vaste, bien au-delà de la municipalité. Sa connaissance du milieu politique locale et sa visibilité en tant que représentante indienne ont été des appuis importants pour entreprendre un engagement politique plus direct. Ces dernières années, elle a présenté en plusieurs occasions sa candidature au conseil municipal et aux élections législatives. Aucune des deux tentatives n’a été couronnée de succès. Selon les membres de l’association, sa démarche a malgré tout marqué un changement important vis-à-vis des institutions locales : Marcela a démontré que les Mapuche étaient capables de s’organiser et de s’exprimer politiquement, sans passer par l’intermédiation de politiciens de profession. En tant que membre formée et experte dans les codes des deux mondes, elle est en somme, au sein de l’association, une figure de transition.
Discours de Marcela Lincovil.
Notes
1
Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.