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Passages coloniaux. Bangui, le centre-ville et le musée « Barthélemy Boganda »

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Fresques sur les murs d’enceinte du musée Boganda réalisées par le peintre José Martial Ventaire (Onze carats). Bangui, juin 2022. © Andrea Ceriana Mayneri

Fresques sur les murs d’enceinte du musée Boganda réalisées par le peintre José Martial Ventaire (Onze carats). Bangui, juin 2022.

 

L’histoire n’est pas tout le passé, mais

elle n’est pas, non plus, tout ce qui reste du passé.                                                                   

Maurice Halbwachs1

Le musée Boganda

Le musée Boganda vu de la rue du Languedoc. Bangui, juillet 2019. Capture d’écran d’après les tournages conservatifs d’Edie Laconi pour le documentaire « Bonne nuit Boganda » (A. Ceriana Mayneri, E. Laconi), en cours de réalisation.

À partir de la moitié des années 2000, j’ai eu accès à différentes reprises au musée national des arts et traditions populaires « Barthélemy Boganda », qui s’élève dans le centre-ville de la capitale centrafricaine, Bangui, et prend son nom du président fondateur de la République. Dans un premier moment de mon propre parcours, cela m’a semblé important de visiter les collections ethnographiques exposées au musée, dans les pauses de recherches qui se développaient alors principalement dans l’intérieur du pays. Plus tard, à mesure que ma réflexion se tournait vers la manière dont le passé est retravaillé par la mémoire collective parmi les populations en Centrafrique, mon regard sur les artefacts exposés a aussi changé. Ces objets ont progressivement cessé d’avoir, à mes yeux, une valeur historique et ethnographique per se : mon attention a été davantage retenue par le décalage entre, d’une part, la mise en valeur du passé, promue à travers l’exposition d’objets rattachés aux « arts et traditions populaires », et, d’autre part, les discours récurrents dans l’espace public et privé centrafricain qui, au contraire, tendent à prendre les distances des traditions, jusqu’au point de les identifier ouvertement avec des formes de sorcellerie. Autrement dit, sans entrer ici dans le détail de ces recherches antérieures, le musée avec son exposition permanente est devenu progressivement lui-même un terrain de recherches, qu’on peut utilement faire dialoguer avec d’autres dynamiques en dehors de ces salles2.

Les violences qui s’annoncent en Centrafrique à la fin de l’année 2012, dont l’intensité s’est révélée par maints aspects inédite, ont profondément affecté le musée Boganda qui a été amené de facto à fermer ses portes aux visiteurs. À l’époque, des disparités d’accès aux droits et aux services fondamentaux ont exacerbé des griefs plus anciens, en alimentant les violences intercommunautaires dans tout le pays, ainsi que l’apparition d’une multitude de groupes armés qui n’ont pas cessé de se combattre ou de se coaliser de façon instrumentale. Dans ce contexte, au mois de décembre 2013, au milieu des dévastations et des morts qui se multipliaient dans les rues de Bangui, le bâtiment du musée national a été pillé, à l’instar de ce qui s’est passé dans d’autres administrations publiques. Ces événements marquent un tournant dans l’histoire de l’institution, qui n’avait jamais fermé depuis son inauguration, en décembre 1966. Les dégâts ont intéressé l’édifice au niveau du toit, des fenêtres et des portes, qui étaient tous déjà détériorés. En revanche, dans l’ensemble, les collections ethnographiques ne semblent pas avoir été touchées, en restant éparpillées dans les salles privées de fenêtres3. Quelques mois plus tard, ces objets ont été entreposés dans des dizaines de caisses en bois entassées dans les salles et les couloirs.

Lorsque en 2016 et en 2017 j’ai pu revenir au musée, cette situation se prolongeait donc depuis des années. Malgré des efforts et quelques changements (sur lesquels on reviendra) la condition de nombreux artefacts n’a pas changé au moment d’écrire ces pages, plus de sept ans après leur encoffrement : des pièces reposent encore dans les caisses avec différents documents, dans des conditions qui, non seulement ne favorisent pas leur conservation mais, dans certains cas, accélèrent leur détérioration. Des éléments du décor, par exemple les vitrines et des socles, sont aussi très endommagés et demeurent abandonnés au sol.

Dans les pages suivantes, je tâcherai de contextualiser la détresse actuelle du musée Boganda, en interrogeant, plus largement, le sens de l’institution depuis sa fondation, au lendemain de l’indépendance, jusqu’aux pillages et aux difficultés des dernières années. Je m’appuierai sur les rencontres avec les deux fondateurs étrangers du musée Boganda, Geneviève Dournon et Simha Arom, ainsi que sur l’analyse de documents issus de leurs archives privées. Cet éclairage sur les dynamiques politique et culturelle qui sous-tendent la création d’un musée ethnographique, ouvre ensuite sur l’analyse des tendances générales des décennies suivantes, pendant lesquelles le musée a été davantage délaissé, à la fois, par l’État – l’institution, un temps rattachée à la présidence de la République dépend aujourd’hui du ministère des Arts, de la culture et du tourisme – mais aussi par le public auquel il s’adressait initialement. En l’absence de documents administratifs ou d’archives sur place, pour reconstituer des moments de la trajectoire du musée je croiserai des informations issues d’une littérature grise (portant sur la capitale centrafricaine plus en général) avec des données issues de ma propre fréquentation du musée Boganda et avec d’autres témoignages recueillis à Bangui.

Dans l’ensemble, il serait tentant de résumer le caractère marginal de cette institution en se bornant à évoquer son origine – le musée étant arrivé, comme bien d’autres musées en Afrique, « dans la valise » d’étrangers – ou les effets de la crise politico-militaire actuelle. J’estime, en revanche, que le complexe muséal dans son ensemble, composé des restes de l’exposition permanente et du bâtiment colonial qui les accueille, invite à interroger, non seulement les butoirs d’un projet de patrimonialisation du passé centrafricain, mais aussi, les tortueux chemins empruntés par la mémoire et l’oubli, par le refoulement et par le silence qui émanent des traces matérielles du passé, y compris celles du passé colonial. En appréhendant, dans la dernière partie de l’article, le musée et son bâtiment à travers les notions de « ruine » et de « décombre » – plus précisément, à partir du décalage entre les deux – je n’entends pas nier les efforts faits dans les dernières années pour relever, une fois de plus au cours de son histoire, l’institution culturelle et ce qu’elle représente. Ces deux notions permettent néanmoins de saisir, de manière certes provisoire, un aspect de l’opiniâtre présence du colonial dans le présent centrafricain : une présence insidieuse, qui peut coexister à côté d’autres expériences plus ouvertement contestataires envers le legs d’un passé controversé.

Les vies antérieures du bâtiment

Le bâtiment qui accueille le musée Boganda surgit à quelques centaines de mètres du point kilométrique zéro (« PK0 ») qui, par convention, indique le centre-ville de Bangui. Il est situé au croisement de la rue de l’Industrie avec la rue du Languedoc : mis à part les grandes avenues qui traversent la ville, l’attribution d’un nom demeure limitée à quelques rues autour du PK0 et est un legs direct de l’urbanisation coloniale. En effet, tout le centre-ville (inclus dans le plus vaste 1er arrondissement) porte les traces du projet urbain et social colonial, qui se réverbère aussi sur le bâtiment du musée.

Les Européens de Bangui

« Les Européens de Bangui (août 1907) ». Album « Photographies du Congo français, de l’Administrateur Georges Bruel – 1906-1908 ».

La réorganisation des espaces habités a été un enjeu majeur du développement, d’abord du poste (fondé en 1890) puis de la cité de Bangui. Dans un premier temps, jusqu’aux années 1940, des « villages indigènes » (ainsi définis dans les plans d’urbanisme) sont séparés mais restent proches des lieux qu’occupent les Blancs (autour de l’actuel PK0)4. Après la seconde guerre mondiale, l’administration réorganise l’espace de la ville à travers la création de quartiers populaires dits « indigènes », davantage éloignés du centre colonial. Ce dernier est donc le fruit d’une hiérarchisation de l’espace et d’une différenciation des paysages urbains : le vocabulaire discriminant appuie la législation contraignante dans ce processus de fabrication d’un entre-soi colonial, à travers la ségrégation des populations exclues5.

Comme le suggère Odile Goerg, on peut utilement renverser la perspective coloniale et penser que « la ville réelle se développe hors de la ville légale, par contraste et opposition »6. Pour le cas de Bangui, effectivement, Marie-France Adrien-Rongier a souligné comment, malgré l’obstination de l’administration urbaine qui, encore dans les années 1980, pensait la ville en opposant un ordre central à un défaut d’urbanité des autres quartiers, c’est bien à partir de ces derniers que chaque banguissois définit son « identité urbaine », parce que c’est là que se trouvent les repères qui soutiennent l’organisation sociale et familiale, en perpétuant en outre les liens avec les communautés établies dans le reste du pays7. C’est donc le « centre » qui est en quelque sorte l’antithèse de la ville, tant il semble délaissé par les populations, selon une tendance qui ne s’est jamais inversée, dans la capitale centrafricaine comme dans d’autres villes africaines d’origine coloniale.

Le schématisme de cette opposition, toutefois, ne doit pas gommer l’existence d’espaces intermédiaires, dont l’administration coloniale définit les limites urbaines en même temps que celles des catégories sociales pour lesquelles ces espaces sont initialement conçus : in primis la catégorie d’« évolués ». De cette « tripartition […] de la ville »8, qu’incarnent lotissements et nouvelles constructions, on a un exemple saisissant à Bangui, à quelques mètres du musée Boganda avec le quartier dit, aujourd’hui encore, « des évolués », fait de maisons en ciment érigées en 1947-19489.

Le bâtiment du musée porte les signes de cette phase du programme colonial d’ingénierie sociale. Le style architectural de l’édifice sur deux niveaux (auquel on accède au rez-de-chaussée en passant sous une véranda et qui dispose d’un deuxième accès latéral, d’où part l’escalier amenant à l’étage avec balcon) est caractéristique des « bâtiments utilitaires » construits par l’administration française. Il s’agissait souvent d’infrastructures scolaires ou médicales (hôpital, dispensaire) qui existent dans certains cas encore : effectivement, parmi les employés du musée, l’information a été répétée à travers les décennies, d’après laquelle le bâtiment aurait été occupé autrefois par une clinique médicale. Reste, à côté de la mémoire vernaculaire du lieu et de ses utilisations – dont on aura un autre exemple plus loin, par le lien établi avec la figure de Boganda – cette présence architecturale coloniale dans un quartier dont Thierry Bangui souligne le caractère « vétuste » et « défectueux », tant des bâtisses que des voies publiques : « Il suffit de sillonner cette partie de la capitale – écrit l’architecte centrafricain – pour se rendre compte, à vue d’œil, qu’on est en présence d’un patrimoine – témoin du passé – en ruine »10. On y reviendra.

Le centre-ville de Bangui demeure aujourd’hui le lieu où siègent les administrations, parfois dans des bâtiments de l’époque coloniale, tels par exemple la mairie et le palais présidentiel né de la transformation de l’ancien hôtel du Gouverneur, ainsi que des commerces et des édifices résidentiels destinés principalement à la population d’« expatriés » à Bangui. Globalement très peu habité (au début des années 2000, moins du 2% de la population banguissoise résidait dans le 1er arrondissement), le centre-ville se vide le soir, lorsque les employés et les travailleurs – dont ceux du musée Boganda – regagnent leurs habitations dans les quartiers, voire, désormais, à cause de la pression sur le foncier, les communes à plusieurs kilomètres de distance. La nuit, cet espace urbain n’est peuplé que par des enfants qui vivent dans les rues, et est traversé par les véhicules des clients des restaurants prisés ou du personnel des ONG auquel est interdit de se déplacer à pied pour des raisons de sécurité.

Le bâtiment destiné à devenir musée national s’inscrit donc dans un espace urbain façonné par le programme colonial et articulé, symboliquement mais aussi matériellement, avec l’exercice de l’autorité, du pouvoir et d’un certain contrôle sur les populations qui en sont écartées. Cette dynamique se prolonge après l’indépendance, lorsque le bâtiment accède au domaine public immobilier en accueillant les services du ministère centrafricain des Affaires étrangères. C’est à ce moment qu’une dynamique patrimoniale totalement inédite apparaît dans, et autour de cet espace bâti.

Le musée national, le passé ethnographique

Comme le changement de toponymes, de drapeau ou d’hymne national, la création d’un « musée national » est un geste politique qui contribue à la substitution d’un nouvel ordre symbolique à l’ancien ordre colonial11. En Centrafrique, ce type de geste croise inévitablement la nécessité de rendre hommage à Barthélemy Boganda – cette figure primordiale de la lutte anticoloniale dans l’ancien Oubangui-Chari – décédé dans un accident d’avion le 29 mars 1959. Cet événement dramatique intervient dans un moment charnière, entre, d’une part, la naissance de la République, que Boganda avait proclamée à l’intérieur de la communauté promulguée par la constitution française d’octobre 1958, et, de l’autre, la pleine indépendance acquise le 13 août 1960 lorsqu’il était déjà décédé. Cela a grandement contribué à faire de cette disparition brutale un véritable traumatisme collectif, qui n’a plus cessé de nourrir le processus de mémorialisation autour de Boganda. Depuis désormais plus d’un demi-siècle, sa figure cumule des traits, autant du « héros national », fortement investi d’une charge populaire du fait de son charisme, que du « père de la nation » et du « père de l’indépendance », en lien avec ses rôles et ses succès politiques officiels12. Ce travail mémoriel se décline en outre de manière fortement hagiographique, en s’appuyant sur la biographie de l’orphelin (ses parents avaient été tués sous le régime du travail forcé) devenu le premier prêtre catholique « oubanguien » (ordonné le 27 mars 1938), mais aussi sur sa mort tragique qui a favorisé la transfiguration sacrificielle et même christique de sa figure. 

Cette mémoire continuellement retravaillée tend inexorablement à gommer les contradictions de l’homme qui s’est tenu, au cours de sa vie, entre plusieurs identifications culturelles. Klaas van Walraven a utilisé le terme d’« aliénation » pour décrire les sentiments contrastés face à ses origines, que le jeune Boganda avait consignés dans des cahiers manuscrits de ses années de séminariste13. Plus tard, déjà prêtre, Boganda a été particulièrement sévère à l’égard notamment des cultes locaux qu’il considérait comme des « monstruosités qui dégradent la race noire » et dont il a matériellement détruit des objets durant ses années de prêtrise14. Ce qui ne l’a pas empêché, plus tard, de s’appuyer sur le registre de l’invisible pour asseoir son charisme devant les populations centrafricaines.

Dans la réception populaire et dans la transmission mémorielle de sa figure, ces complexes caractères disparaissent, au profit d’une célébration nostalgique des succès du politicien anticolonialiste capable di tirer profit, pour soi et pour le pays, de sa position entre des mondes divergents – un aspect, ce dernier, accentué par le mariage de Boganda avec une française, Michelle Jourdain, et la naissance de leurs enfants15. Ainsi, en Centrafrique, depuis plus de cinquante ans, on se réfère à la figure de Boganda par le truchement de quelques épisodes biographiques, phrases ou gestes, cités de manière compulsive16 : lorsque son nom n’est pas évoqué par pur opportunisme politique, les populations s’en servent surtout pour dire l’ampleur des déceptions et des souffrances qu’elles ont endurées depuis sa mort.

Après l’accident d’avion, le gouvernement, désormais présidé par David Dacko (qui revendique un lien parental avec Boganda), envisage d’ériger des monuments et d’attribuer le nom du défunt à un musée national. Ce dernier, toutefois, n’existe pas encore : l’idée de sa création a seulement été formulée par des chercheurs étrangers présents dans le pays, faisant écho, probablement, à l’intention exprimée par le Gouvernement17. Il faut attendre le séjour à Bangui d’un expert israélien pour que ces intentions se concrétisent : Simha Arom, né à Düsseldorf en 1930, est un corniste de l’orchestre symphonique de la radio de Jérusalem lorsqu’il est contacté par le ministère israélien des Affaires étrangères, qui lui propose de partir en tant que « conseiller technique » auprès du gouvernement centrafricain18.

À l’époque, l’État d’Israël est l’un des principaux acheteurs des diamants centrafricains, tandis que le gouvernement de Dacko connaît des difficultés pour développer les administrations et l’économie du pays, y compris le secteur agricole. Le « Traité d’amitié » entre les deux pays, établi au mois de décembre 1962 à la suite d’une visite de Dacko en Israël, comprend un « accord de coopération technique » (signé par les ministres des Affaires étrangères des deux pays, Maurice Dejean et Golda Meir) qui porte, entre autre, sur « l’étude du développement agricole, minéral et industriel », ainsi que sur « le développement de la culture et l’enseignement scientifique »19. C’est donc dans ce cadre qu’Arom débarque à Bangui, le 30 novembre 1963, avec comme mission initiale de créer une fanfare nationale. Sur place, il s’intéresse tout particulièrement aux chants et aux musiques populaires. Il est rejoint par une documentaliste française, Geneviève Dournon : ensemble, ils rédigent un nouveau projet pour la création d’un musée national. Les deux jettent ainsi les bases d’un chantier patrimonial destiné à rester, en grande partie, unique dans le pays : ils insistent sur la valeur des traditions centrafricaines, définies un « patrimoine inestimable mais fragile », qu’ils envisagent de « protéger » aussi bien des changements induits par « le progrès » que des destructions opérées par des représentants des religions européennes20. L’institution dont ils suggèrent la création possède donc, dès sa conception, une forte vocation ethnographique orientée, à la fois, vers la mise en valeur des cultures matérielles centrafricaines, et vers l’archivage et la présentation des traces d’un passé en voie de disparition. Ainsi, le mot « musée » est traduit en sango, langue nationale et véhiculaire de la Centrafrique, par l’expression dâ ti akotâra, la « maison des ancêtres ».

Lorsque Dacko  approuve le projet, Arom est nommé chef d’un « département des arts et traditions populaires »21 auquel le gouvernement attribue des salles du bâtiment de la rue du Languedoc occupé par le ministère des Affaires étrangères. En septembre 1966, le département obtient des pièces complémentaires qui sont rapidement transformées en salles d’exposition avant l’inauguration qui a lieu trois mois plus tard, le 1er décembre 1966, en présence du colonel Jean-Bedel Bokassa qui, au début de l’année, avait renversé militairement Dacko. À partir de ce moment, on peut distinguer différents usages du passé qui s’entrecroisent dans ce bâtiment du centre-ville banguissois.

Inauguration du musée Boganda

Inauguration du musée Boganda, 1er décembre 1966. Derrière J.-B. Bokassa, G. Dournon et S. Arom. Archives privées de S. Arom.

À l’intérieur, la focalisation sur les cultures matérielles (l’exposition permanente est intitulée « L’homme centrafricain, sa vie, ses travaux ») s’appuie sur l’évocation d’un passé ethnographique de-historicisé : la prise en compte des dynamiques coloniales et de leurs effets – qu’Arom et Dournon avaient bien citées dans leur projet parmi les raisons justifiant la nécessité  de créer un musée national – s’estompe finalement au profit de l’exposition d’artefacts représentatifs d’activités ordinaires des populations de l’arrière-pays. Ces choix, partagés par bien d’autres institutions muséales qui naissent au même moment en Afrique22, sont à comprendre dans le contexte politique et culturel des années de décolonisation. Dans le récit national que la nouvelle institution banguissoise se charge de relayer, l’objet ethnographique doit témoigner une « authenticité » idéalisée et des valeurs « traditionnelles » partagées au-delà des particularismes ethniques23. Les salles, organisées autour de cinq thématiques principales (et non selon des partages ethno-géographiques), accueillent des centaines d’artefacts « qui appartiennent à [la] culture ancestrale » des populations mais surtout des « spécimens encore utilisés », rattachés à des activités matérielles quotidiennes bien connues du public centrafricain qui, dans les intentions initiales, aurait pu « combler des lacunes » dans la présentation en apportant directement des compléments d’explication pendant les visites24.

Exposition permanente

Musée Boganda, exposition permanente, détails. Bangui, 1966. Archives privées de Simha Arom.

C'est donc autour de l’évocation de la figure de Boganda que se concentrent les quelques références à la lutte anticoloniale et à la fabrication de la nation. Les statuts du musée, fixés par décret, prévoient en effet que l’institution œuvre pour « exalter la République centrafricaine et son fondateur 25». Avec leurs collaborateurs sur place, Arom et Dournon montent, à l’entrée du musée, une « salle consacrée à la mémoire du président Boganda » présentant quelques objets liés à sa figure : des photos, des journaux qui parlent de l’accident d’avion, le bréviaire des années de prêtrise, des manuscrits, un drapeau centrafricain (que le président avait lui-même conçu), devant lesquels les visiteurs doivent passer avant d’accéder aux salles des « arts et traditions populaires 26». Le lien entre le musée et l’homme politique est cependant plus articulé, parce qu’à Bangui, il se dit volontiers que l’édifice a été, à l’époque coloniale, outre une clinique médicale, une demeure personnelle du président défunt. En l’état de mes connaissances, il m’est impossible d’accréditer cette supposition : mais ce qui compte ici, me semble-t-il, est surtout le lien institué par des habitants de la ville entre le lieu et la mémoire de Boganda.     

À l’extérieur, le bâtiment qui renferme le projet patrimonial ethnographique est donc pourvu d’une dimension commémorative : une dimension qu’il partage avec d’autres monuments érigés au moment de la décolonisation, telle la statue du président non loin du musée, ou le mausolée près de son village natal. De surcroit, dès l’ouverture du musée Boganda au public, le caractère monumental du bâtiment est accentué par la différence avec la « maison des ancêtres », autrement dit avec l’exposition permanente à son intérieur. Au contraire des collections d’« arts et traditions populaires », auxquelles on accède en payant une entrée (différente pour les « nationaux » et les « expatriés ») et dont l’intelligibilité est médiée par une autorité savante (à la fois celle des conservateurs qui accompagnent la visite et celle scripturale des vignettes explicatives), le musée-monument s’offre d’une toute autre manière aux regards, aux commentaires et aux usages plus divers, y compris les plus « profanes » : sa cour arborée a été et demeure un lieu de passage, de vente, d’approvisionnement en eau pour les petits commerçants qui chaque jour arriment leurs marchandises aux barreaux de la clôture, pour leurs clients et pour les simples passants.

Carte postale

« Statues Banda. Bois – Hauteur 83 et 100 cm. Musée Boganda, Bangui ». Carte postale réalisée pour l’ouverture du musée (1966). Collection de l’auteur.

Déclin de la « maison des ancêtres »

Les ressources écrites et les témoignages disponibles permettent seulement d’avancer des hypothèses quant aux principales tendances de la vie du musée Boganda et de sa réception parmi les populations, dans les cinq décennies qui séparent l’inauguration du déclin des années 2010.

Avec le départ d’Arom et Dournon, rentrés en France à la fin de l’année 196727, la direction de l’institution est confiée au centrafricain Évariste Myndelet. Un autre français, Pierre Vidal, dont Arom avait déjà envisagé le recrutement, est nommé « conservateur des collections ethnographiques » : il menait depuis des années des fouilles archéologiques, de façon que les collections intègrent, au début des années 1970, des pierres taillées issues des sites mégalithiques du Nord centrafricain. À la même époque, des animaux naturalisés (dont un gorille et un crocodile) font aussi leur entrée au musée. Dans des documents administratifs, Arom et Dournon mentionnaient effectivement le « désir exprimé » par le président Dacko de voisiner le département des arts et traditions populaires « d’autres départements comme celui de la faune et de la flore, dans un parc aménagé en jardin zoologique » ; les deux chercheurs avaient aussi proposé de créer, au sein du musée, un département archéologique et un département historique (consacré à la constitution d’archives orales et écrites du passé récent des populations centrafricaines)28. Ces extensions du musée national n’ont jamais été réalisées. Quant à l’exposition permanente, elle n’a pas connu des changements de fond et est donc restée liée à l’ordonnancement thématique, au dispositif scénique et, au fond, au message politique élaborés par Arom et Dournon. Des campagnes d’acquisitions ont continué à être organisées, mais les fiches ethnographiques conservées au musée témoignent un fléchissement dans la collecte ainsi que dans l’enregistrement et la présentation des pièces. D’autres objets ont aussi été entreposés au musée, sans être répertoriés parmi ses possessions : c’est le cas de deux trônes du couronnement de Bokassa, ainsi que des restes de son lit, mais aussi d’autres pièces, par exemple des monnaies et une médaille commémorative de la « France libre », dont il n’est pas possible de dire quand et pourquoi elles ont été amenées dans ces salles.  

L’intérêt du public banguissois, plus soutenu au moment de l’inauguration, tend aussi à s’estomper. En 1971 déjà, lors d’une expérience faite par l’O.R.S.T.O.M. parmi presque cinq cents écoliers de Bangui, âgés de 11 à 16 ans, invités à dessiner et décrire la ville et les quartiers qu’ils connaissent, le musée Boganda n’apparaît que marginalement : six fois, pour la précision, loin derrière les centaines de mentions réservées aux établissements scolaires de la ville, dont l’université que le président Bokassa venait de faire construire29. Des mémoires de fin d’études des années 1970 et 1980, consacrés au musée et aux politiques patrimoniales centrafricaines, confirment cette tendance en proposant des chiffres recueillis auprès du personnel employé de l’époque. Le « déclin », ou la « chute » des entrées sont régulièrement cités dans ces analyses d’étudiants qui les relient, parmi d’autres raisons, à deux facteurs : le manque de renouvellement dans le choix des objets exposés, d’une part, et, de l’autre, « l’état de délabrement » de la bâtisse coloniale qui accueille le musée, où l’eau filtre de la toiture et des conduites défectueuses30.

Cependant, outre le sous-investissement chronique de l’État dans les politiques patrimoniales et les difficultés économiques d’une partie des habitants de la capitale, d’autres raisons peuvent être avancées pour expliquer la distance qui sépare les populations de l’institution muséale. La patrimonialisation du passé centrafricain, que les concepteurs du musée mettent en branle dans les années 1960, est contemporaine d’autres dynamiques socio-culturelles, qui révèlent l’existence d’un autre rapport au passé et aux « traditions ». Dans les salles d’exposition, la mise en scène des objets met en avant des activités et, à travers elles, des contextes et des valeurs qui, en dehors du musée, connaissent au même moment des transformations majeures. Ainsi, des employés retraités, lorsqu’ils mentionnent le modeste intérêt suscité par la « maison des ancêtres », évoquent aussi la réserve d’une partie de la population qui, voulant se démarquer de ce qui est associé aux contextes ruraux et traditionnels, n’attribue pas toujours aux collections exposées une valeur pédagogique d’exemple pour le présent. Au contraire : comme Arom lui-même l’a écrit dans un travail scientifique plus tardif, en Centrafrique des répertoires traditionnels (y compris des répertoires musicaux), ainsi que des formes et des styles (par exemple, dans la statuaire) sont sortis, tout au long du XXe siècle, de leurs domaines originaux, souvent ésotériques, pour intégrer, dans certains rares cas, un espace public et, parfois, ludique31 ; le plus souvent cependant, ils sont tout simplement tombés en désuétude, oubliés ou résolument identifiés aux forces « sorcellaires » et, en tant que tels, fustigés sinon détruits. Un travail de condamnation et d’éradication des assises socioreligieuses des sociétés oubanguiennes, ainsi que de destruction ou d’extraction de leurs objets cultuels, a eu lieu dans le pays depuis la fin du XIXe siècle, de la main de certains missionnaires et religieux catholiques et protestants (dont Boganda), ainsi que de différents administrateurs, colons ou voyageurs dans ces terres. Tout au long du XXe siècle, d’autres « impulses iconoclastes »32 ont continué à surgir en Centrafrique : ils ont été attisés par le succès de certaines figures, définies localement des « prophètes », qui, suivant un modèle récurrent dans ces régions d’Afrique équatoriale, ont associé la promesse d’un renouveau social, parfois explicitement d’un renversement de rôles entre Blancs et Noirs, avec l’abandon et l’éradication des cultes anciens33. Ces tendances, ont été ultérieurement stimulées par l’expansion des mouvements de réveil et des églises néo-pentecôtistes, qui font de la condamnation sans appel des « traditions » un argument décisif. Ces dynamiques sont perceptibles dans le destin des artefacts rituels exposés au musée. Globalement peu nombreux – parce que, ainsi qu’en témoigne une fiche descriptive établie dans les années 1960, ces objets de culte avaient été à l’époque déjà amplement détruits par les populations locales – ces artefacts muséaux ont disparu, ou ont progressivement perdu leurs étiquettes explicatives originales. De façon que, à la moitié des années 2000, ceux qui restaient exposés étaient rassemblés dans des vitrines et sous des panneaux mentionnant des « fétiches » et la « sorcellerie »34 – un terme, ce dernier, qu’Arom et Dournon avaient expurgé de leur travail pour le distinguer des conceptualisations moralisantes introduites par l’ethnographie coloniale et missionnaire35.

Peu fréquenté par le public auquel il voulait s’adresser, souffrant du sous-investissement qui frappe les administrations publiques en général, le musée Boganda se dégrade progressivement, tant au niveau de l’exposition des collections, qu’à l’extérieur : le bâtiment s’enfonce inexorablement dans le terrain circonstant infiltré par des ruisseaux qui deviennent des mares pendant la saison des pluies. Dans les années 1990 c’est la coopération allemande qui prend en charge la rénovation globale du complexe muséal ; à la même époque, à la demande du musée et avec l’appui de chercheurs français, les archives sonores d’Arom, qui avaient été perdues, sont numérisées et ramenées à Bangui (d’où elles ont ensuite disparu une deuxième fois). Dans les années 2000, intervenant auprès de populations minoritaires, une ONG italienne a rénové en particulier la « salle pygmée », mais, au même moment, un rapport scientifique définissait déjà l’état des collections publiques du musée comme « préoccupant 36». Les tumultes centrafricains des dernières années ont accéléré ces dynamiques et précipité la dérive du projet de patrimonialisation du passé.

Les dernières affres du musée Boganda

La question des responsabilités politico-administratives dans la dérive de l’institution publique peut légitimement être posée, mais elle doit d’abord être resituée dans le contexte d’une crise politique, militaire et humanitaire particulièrement profonde. Pour rappel, le coup d’État de mars 2013 trouve son origine dans les intérêts coagulés dans des régions septentrionales à majorité musulmane, éloignées et marginalisées par le régime de Bangui : il a rapidement amené, au sein même de l’appareil d’État, à un mélange de « fonctionnement rebelle et [de] banditisme » ainsi qu’à la multiplication d’exactions sur les populations37. En réponse, des milices « d’auto-défense » se sont constituées dans l’arrière-pays, initialement à partir de l’Ouest centrafricain, ce qui a encore accéléré la fracture entre les communautés. Des repères discriminatoires tels l’ethnie, la langue, la région d’origine ou le registre de l’autochtonie antimusulmane ont appuyé les violences qui n’ont plus cessé de se propager38. Dans l’ensemble, les dévastations, les pertes de vies humaines, les déplacements forcés ont été à l’origine d’innombrables souffrances, y compris parmi les employés du musée Boganda et leurs familles. Quant à l’État centrafricain, ses limites se mesurent à son incapacité à contrôler un territoire dont la plus grande partie demeure sous l’emprise de groupes armés, jadis opposés mais qui n’hésitent plus à s’unir de manière opportuniste39. En retour, la crise a ouvert la voie à la multiplication des financements de la communauté internationale, à celle des opérations humanitaires, ainsi qu’à l’arrivée de différents acteurs militaires, à commencer par l’opération Sangaris de l’armée française (2013-2016), en passant par la mission des Nations unies en Centrafrique (la MINUSCA, créée en 2014 et renouvelée en 2021), jusqu’à l’apparition du groupe militaire privé Wagner lié aux intérêts russes. Cette présence mercenaire se redouble de celle tout aussi récente, mais plus officielle, de la diplomatie du Kremlin qui, en 2018, entre autres actions de propagande, a appuyé l’organisation du concours « miss Centrafrique » dont les répétitions ont été accueillies dans des salles vides du musée Boganda40.

Depuis le sac de décembre 2013, lorsque le musée a été investi par les pilleurs, les caisses en bois où ont été retirées les collections se sont empilées les unes sur les autres : les objets et différents documents y demeurent soumis aux conditions climatiques et aux insectes xylophages qui ont consumé, de manière probablement irrécupérable, certaines pièces. 

Statue

Statue Banda. Musée Boganda, juillet 2021.

Quant au bâtiment, après les pillages, il a été longtemps entouré d’un échafaudage en bois et la façade, ainsi que les murs de l’intérieur, ont été repeints. Dans la cour infiltrée d’eau nagent des poissons. Cette situation ne peut pas non plus être considérée comme exceptionnelle : sans même parler des autres lieux culturels et d’enseignement de Bangui, dans l’enceinte du musée, dans un petit bâtiment à part, siège par exemple la bibliothèque nationale qui, depuis sa création par décret en octobre 1981, n’a jamais possédé aucun livre (faute entre autre d’une loi sur le dépôt légal), ce qui n’empêche pas les employés d’ouvrir et de fermer ses portes quotidiennement, ainsi que le prévoit leur fonction.

Des projets de rénovation du musée, portés par des acteurs étrangers et des représentations diplomatiques à Bangui, ont été élaborés mais ils se sont interrompus sans aboutir, ni à la réouverture complète des caisses, ni au récolement des collections, ou à la restauration des pièces les plus gravement endommagées. Ces problèmes continuent à se poser huit ans après le pillage du bâtiment et malgré l’ouverture, en 2021 et 2022, de quatre salles où la direction, appuyée par des bénévoles qui interviennent au musée, a réexposé des objets et des animaux naturalisés.

Abel Koton, le directeur du musée depuis 2017, a en outre réactivé la valeur monumentale et commémorative de ce lieu en faisant réaliser sur le mur d’enceinte des fresques qui représentent des moments de la vie de Boganda : ces épisodes (de la prêtrise au mariage avec Michelle Jourdain et jusqu’à l’accident d’avion et à l’édification du mausolée au village natal) que le travail de mémorialisation collectif a retenu dans la complexe trajectoire biographique du « père de la nation » centrafricaine. Visibles depuis la rue, et cela sans besoin de payer le prix d’une entrée, ces peintures attirent parfois l’attention des passants et des écoliers qui s’arrêtent pour prendre une photographie ou des notes à partir des légendes. Dans un contexte scolaire qui manque cruellement de livres, des enseignants suggèrent aussi aux élèves de se rendre devant ce mur pour recopier des dates et des noms et pour observer des visages et des scènes qu’ils ne pourraient voir autrement.

Fresques sur les murs d’enceinte du musée Boganda réalisées par le peintre José Martial Ventaire (Onze carats). Bangui, juin 2022. © Andrea Ceriana Mayneri

Fresques sur les murs d’enceinte du musée Boganda réalisées par le peintre José Martial Ventaire (Onze carats). Bangui, juin 2022.

Décombres coloniales

L’effort pour saisir le musée Boganda en tant qu’objet anthropologique se heurte à des difficultés particulières, qu’il convient maintenant de résumer avant de proposer une piste théorique pour les contourner. La reconstitution de sa trajectoire historique offre, certes, de précieux éléments pour une muséographie attentive aux similitudes et aux différences avec d’autres expériences muséales sur le continent. En même temps, une telle approche laisse ouverte une question fondamentale : peut-on appréhender le déclin du musée banguissois, la succession de projets de relèvement et de nouvelles crises, l’enfermement prolongé des objets ethnographiques, l’éloignement des institutions et du public autrement qu’à travers le vocabulaire, rudimentaire et inadéquat, du disfonctionnement, de la crise permanente, de la faillite ? Une solution consisterait à interroger plus longuement la dimension institutionnelle du musée : de l’envisager, en d’autres termes, comme un espace circonscrit où se donnent à voir le fonctionnement profond de l’action publique, ainsi que l’intérêt de l’État, celui des acteurs internationaux et, par-là, en définitive, les décalages entre normes affichées et pratiques sociales ordinaires dans l’administration publique de ce pays équatorial41. Cependant, un autre risque se présente alors : celui de limiter la description du musée, institution publique comme tant d’autres en Centrafrique, où sans cesse se négocient les rapports entre l’État, les fonctionnaires et les intervenants internationaux, en négligeant la réflexion sur les traces du passé qui s’entrecroisent, non sans contradictions, autour de ce lieu. Si on choisit d’emprunter le chemin qu’indiquent ces traces, il faut se résoudre à considérer le musée Boganda, non comme un espace d’exposition diminué mais, au contraire, comme un lieu doté d’une particulière fécondité heuristique, quel que soit son état de dégradation (ou de relèvement) et, peut-être, encore plus en raison de sa condition de détresse. C’est pourquoi il m’a semblé opportun d’adopter dans ces pages un prisme qui englobe, au-delà des fonctions muséales d’exposition et de conservation, la matérialité même du bâtiment, son inscription dans la ville actuelle et dans ce qu’elle révèle de la période coloniale42. Ce n’est qu’à partir de ce prisme, qu’on peut commencer à interroger le sens du musée dans l’histoire centrafricaine et celui qu’ont pu lui attribuer (ou lui refuser) des habitants de la ville.

Dans l’exploration autour du musée ainsi conçu au sens large, certains termes sont revenus à plusieurs reprises, tels « les restes » (d’un projet de patrimonialisation du passé ; des collections ethnographiques) ou « la ruine » (de certaines pièces ; d’une partie du bâtiment ; du centre-ville colonial). En dépassant les explications qui mettraient uniquement en avant le poids des négligences politiques ou celui de la crise politico-militaire, on s’emploiera donc désormais à préciser la nature de la fécondité rattachée à ces ruines.

Il m’importe avant tout d’en souligner la différence avec « la fécondité des ruines » explicitement théorisée par Anne-Marie Losonczy à propos des restes de l’église du village de Bellavista au Chocó, en Colombie, qui fut le théâtre d’un massacre de civils : dans ce dernier cas, ce sont les rescapés qui, en s’opposant au discours de l’État, souhaitent conserver les débris en tant que traces visibles des violences subies43. Un processus de patrimonialisation « par le bas » vient ainsi appuyer le travail par lequel une communauté se mesure à son traumatisme, en développant une stratégie divergente et contestataire des modèles mémoriaux normatifs et institutionnels. La situation à Bangui est manifestement autre : mais l’exemple (auquel on pourrait rapprocher celui du village d’Oradour-sur-Glaine en France44) permet de souligner, a contrario, certaines propriétés du contexte centrafricain. Le modeste intérêt, et dans certains cas le franche désintérêt que suscite le musée Boganda, tant à l’intérieur, au niveau des collections, qu’à l’extérieur, où prime la dimension commémorative, peuvent d’abord être inscrits parmi ces « détournements » de l’idéologie monumentale (axée « sur l’idée d’un arrêt volontaire du temps ») à travers lesquels se donne à voir, selon Daniel Fabre, « l’historicité de fait des sociétés qui vivent à l’intérieur et aux côtés du monument 45». On l’a vu : suivant un modèle récurrent dans la muséographie des années après les indépendances, le projet banguissois a été effectivement marqué, dès ses débuts, par la volonté de préserver les traces d’un passé ethnographique essentialisé et de leurs faire jouer un rôle de memento pour le présent et le futur. Toute l’histoire de l’exposition permanente (du moins la partie qu’il nous est possible de reconstituer aujourd’hui), jusqu’à l’entassement de caisses qui ont occupé pour des années les salles, témoignent, outre que de très concrètes négligences, les contradictions de ce programme bâti sur la référence paradoxale à un passé qui n’a trouvé qu’un écho modeste dans le public pressenti. Quant aux multiples références à la figure fondatrice de Boganda qui font de ce lieu, en même temps, un espace plus clairement monumental, elles semblent indiquer que le lien avec l’histoire du parcours de décolonisation, pour tenu qu’il soit dans la situation actuelle, pourrait peut-être être réactivé autour du bâtiment qui fut une demeure du fondateur de la République. À l’heure actuelle, au cœur des quelques actions de réhabilitation déjà réalisées, comme dans les déclarations politiques sur la situation du musée, c’est l’immanquable référence au passé ethnographique qui prime, en oblitérant tout renvoi à des événements historiques coloniaux autrement plus controversés46.

Devant les restes de ce projet muséal, de certains artefacts et de l’espace qui avait vocation à les protéger, le terme de « ruine » – par lequel l’architecte T. Bangui se réfère plus largement à l’ensemble des bâtiments coloniaux du centre-ville – semble en partie approprié, mais celui de « décombre » s’avère aussi pertinent. À condition de préciser que l’enjeu n’est pas d’insister ultérieurement sur un processus de décadence, en méconnaissant les différents efforts qui sont faits aujourd’hui pour contrer cette dégradation, mais de s’appuyer sur le décalage conceptuel entre les registres de la ruine et des décombres pour tenter d’approcher davantage l’insidieuse présence du passé colonial qui parcourt ces lieux banguissois.

Andreas Huyssen, auquel on doit des pages sur la ville en tant que « palimpseste 47 » a écrit, à propos des ruines architectoniques, qu’elles s’avèrent une combinaison indissoluble de pulsions spatiales et temporelles à même d’attiser le sentiment nostalgique. Cette remarque d’ordre général, sert ensuite à Huyssen pour distinguer, du rapport qui a pu être institué, au XVIIIe et au XIXe siècle encore, avec des « ruine authentiques », celui propre du capitalisme tardif, où le lien entre mémoire et trauma est devenu crucial et la ruine, en abandonnant la « référence aux éléments de décadence, d’érosion et retour à la nature », fait l’objet de récupérations, de préservations, d’esthétisations. Ce qui reste exclu de cette dernière dynamique est précisément le « détritus » – « the ruin of the twenty-first century is either detritus or restored age 48» – la « décombre » (rubble) : autrement dit, la ruine, au cœur de plusieurs opérations de récupération, résulte de la transformation politico-culturelle de la décombre qui, elle, est plutôt le produit brut d’une certaine force destructive exercée sur des choses et des personnes49.

Adoptant la perspective d’une histoire universelle des ruines, Alain Schnapp signale une distinction similaire mais fonde sa pertinence, non pas dans des transformations internes au monde Occidental, et plutôt dans l’ouverture vers ces contextes postcoloniaux dans lesquels la ruine – issue du rapport que des hommes (antiquaires, poètes, simples visiteurs, passants et, j’ajoute, chercheurs) instituent avec elle – cesse d’exister, d’« avertir » (de monere) : à sa place, demeurent le silence, donc aussi l’indifférence, et les décombres50. Mais c’est finalement dans la manière dont l’anthropologue argentin Gastón Gordillo (aussi cité par Schnapp) travaille la notion de décombre, que je puise des éléments de comparaison pour le cas banguissois. Gordillo fonde en effet son travail dans une expérience ethnographique primordiale : dans la région argentine nord-occidentale du Chaco, l’idée de ruine, que l’auteur mobilise initialement pour investiguer les restes du colonialisme espagnol et de l’entreprise missionnaire dans ces terres, ne trouve pas d’écho auprès des personnes qui vivent à proximité de ces débris matériels provenant du passé. Le chercheur attribue aux ruines une valeur liée à leur capacité métonymique de représenter le passé et l’histoire ; ses accompagnateurs et interlocuteurs, ne procèdent pas à une telle abstraction et décrivent ces débris comme des nœuds de matériaux disparates qui composent l’environnement dans lequel ils vivent. En problématisant davantage l’analyse des processus de ruination déjà menée par Ann Stoler51, Gordillo distingue ainsi nettement entre ruin et rubble52. À la première, peut effectivement être attribuée une propriété évocatrice qui, toutefois, n’est pas nécessairement reconnue par les personnes qui se tiennent quotidiennement au milieu des décombres du passé. Aux ruines – par exemple celles du projet muséal et ethnographique centrafricain qu’on tente aujourd’hui de redresser – peuvent facilement être associées des valeurs historiques, en tant qu’avertissement (l’historia magistra vitae, pierre angulaire du programme muséal à Bangui et ailleurs) ; les décombres, au contraire, pèsent sur la vie ordinaire des personnes qui les habitent et qui ne méconnaissent pas pour autant leur ancienneté.

Si au musée Boganda (mais la même remarque vaut pour d’autres lieux banguissois) le colonial est refoulé par la patrimonialisation d’un passé ethnographique que certains projets voudraient encore raviver, cependant sa présence s’annonce partout dans les espaces que les employés, les rares visiteurs et les simples passants traversent et occupent quotidiennement, avant de regagner au soir les quartiers habités de la capitale. Le musée enfermé dans son bâtiment colonial demeure aujourd’hui, au cœur de Bangui, un lieu séparé à l’intérieur d’un espace urbain clivé : malgré les ambitions initiales, qui présentaient l’institution comme une occasion de rencontres et de réflexions autour de la diversité culturelle, le musée Boganda reflète les asymétries qui marquent, depuis plus d’un siècle, l’organisation spatiale et sociale de la capitale. En cela, ces espaces du centre-ville relèvent des « décombres » et non pas des ruines. Ce qui semble attesté par une autre initiative de l’État centrafricain qui, en 2006, a amorcé une tentative de patrimonialisation du centre-ville colonial de Bangui, inclus dans une liste indicative de biens susceptibles d’être proposés à l’Unesco pour inscription dans le patrimoine mondial53. L’initiative n’a pas eu de suite et l’idée que cette partie de la ville « en ruine » puisse être mise en valeur comme témoignage du passé colonial n’a plus été reprise : en revanche, à côté des décombres de l’époque coloniale – rues, maisons, bâtiments, croisements – s’élèvent, avec une vigueur que, dans les dernières années, l’économie liée au conflit n’a que démultipliée, de nouveaux gratte-ciel et des constructions destinées à d’autres administrations publiques ou privées ou à accueillir les étrangers de passage dans le pays. Ainsi que l’a écrit l’historien de l’architecture Johan Lagae à propos du tissu urbain de Kinshasa, la capitale du Congo voisin de la Centrafrique, l’imbrication d’architectures relevant de différents programmes socio-économiques, histoires coloniales et mémoires postcoloniales « exige l’élaboration de narratives dont le caractère est souvent trop complexe ou même “embrouillé” [messy] » pour que l’on puisse en tirer facilement des leçons pour des politiques patrimoniales54. En revanche, on peut s’appuyer sur le caractère « embrouillé » de ces enchevêtrements, qui défient toute tentative de patrimonialisation, pour tirer une dernière leçon, parmi d’autres possibles, de la trajectoire du musée Boganda.

En mettant en avant la matérialité de ce lieu, qui porte inscrites tant de traces du passé entrelacées, mon intention n’a pas été de nier la capacité que peuvent avoir des acteurs de la ville en général, et ceux du musée plus particulièrement, d’agir sur et avec l’héritage du passé : nul peut dire si, et comment cette institution évoluera dans le futur ou anticiper aujourd’hui les réappropriations qui pourront intéresser ce qui reste de ses collections ou des autres objets du passé déposés dans ses salles. J’ai surtout voulu signaler le terrain visqueux dans lequel ces actions présentes et futures doivent s’enraciner : un terrain qui, s’agissant de la Centrafrique, ne permet pas toujours de pratiquer la réappropriation, le détournement et la subversion du passé colonial. C’est pourquoi, il m’a semblé judicieux d’ouvrir l’analyse à la considération des silences et des refoulements, de la place de l’oubli et de celle de l’indifférence qui peuvent entourer les traces matérielles du passé, y compris celles du passé colonial. La présence, insidieuse et opiniâtre, de ce dernier dans le présent centrafricain, n’en est que renforcée, sans porter préjudice de l’efficacité d’autres expériences qui, au même moment, peuvent être plus clairement contestataires envers les legs d’une histoire controversée.

Considérer les usages du passé qui s’entrecroisent et se superposent autour des restes de l’exposition permanente implique de questionner d’autres régimes d’historicité qui ne s’accommodent pas vraiment avec la patrimonialisation du passé ethnographique inaugurée au lendemain de l’Indépendance55. Il s’avère donc d’autant plus fécond de sortir de ces salles pour observer l’inscription du musée dans la partie coloniale de la ville : ce qui invite à interroger la présence physique des décombres coloniales où des clivages se matérialisent, qui pèsent sur le paysage banguissois et sur la société centrafricaine plus largement. Les aléas des politiques de patrimonialisation qui ont alternativement intéressé ce complexe muséal – les collections ethnographiques et l’édifice d’origine coloniale – rappellent les mots par lesquels Walter Benjamin se réfère aux « biens culturels » en tant que « témoignage » d’une oppression, d’une spoliation, d’un processus qui, en écartant les « vaincus » de leur jouissance et de leur transmission, porte en triomphe un butin et l’érige en « héritage culturel de l’humanité ». Lorsqu’il s’arrète au milieu du musée Boganda, et fixe son regard sur ces témoignages matériels, le chercheur – qu’il se reconnaisse ou non dans l’historien matérialiste dont écrit le philosophe – se tient comme « un spectateur réservé »56.

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    1

    Maurice Halbwachs, La Mémoire collective [1950], Paris, Albin Michel, 1997, p. 113.

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    2

    Andrea Ceriana Mayneri, « Agonie, perte ou renouveau d’une esthétique oubanguienne ? », Images Re-vues,  n° 15, 2018.

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    3

    Il est impossible d’établir avec certitude l’état actuel de ces collections : d’une part, parce qu’il n’existe aucun inventaire mis à jour et, de l’autre, parce que, au moment d’écrire ces pages, aucune opération de récolement n’a pu être complétée après les événements de 2013.

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    5

    Je reprends ici les termes d’Odile Goerg, « Domination coloniale, construction de la “ville” en Afrique et dénomination », Afrique & histoire, vol. 5, n° 1, 2006, p. 15-45.

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    6

    Odile Goerg, « Domination coloniale, construction de la “ville” en Afrique et dénomination », Afrique & histoire, vol. 5, n° 1, 2006, p. 40.

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    7

    Marie-France Adrien-Rongier, « Les kodro de Bangui : un espace urbain “oublié” », Cahiers d’études africaines, vol. 21, n° 81-83, 1981, p. 93-110.

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    8

    Odile Goerg, « Domination coloniale, construction de la “ville” en Afrique et dénomination », Afrique & histoire, vol. 5, n° 1, 2006, p. 36.

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    9

    « Seize agglomérations, souvent désignées par le nom du chef de canton ou de quartier, se dispersent dans le périmètre urbain (…). Ainsi la ville blanche s’entoure, à distance respectueuse, d’une série de villages (…). Mais un village d’“évolués” et d’ouvriers est en cours de construction (...). Les cases sont en dur et soignées » : ainsi s’exprime en 1946 un géographe, Jean Dresch, après avoir visité la ville. Cité par Yves Boulvert, Bangui 1889-1989. Points de vue et témoignages, Paris, ministère de la Coopération et du développement, 1989, p.198.

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    10

    Thierry Bangui, « L’architecture coloniale du centre-ville de Bangui (République Centrafricaine) : essai sur un patrimoine urbain en décadence », Les Cahiers d’Outre-Mer, n° 261, 2013, p. 118.

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    11

    Nora Greani, « Monuments publics au XXIe siècle. Renaissance africaine et nouveaux patrimoines », Cahiers d’études africaines, vol. LVII-3, n° 227, 2017, p. 499. 

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    12

    Hélène Charton, Marie-Aude Fouéré, Présentation du dossier « Héros nationaux et pères de la nation en Afrique », Vingtième siècle. Revue d’Histoire, n° 118, 2013. Boganda fut député de l’Oubangui-Chari à l’Assemblée nationale française, maire de Bangui, président du Grand conseil de l’Afrique équatoriale française, chef du premier gouvernement centrafricain.

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    13

    Klaas van Walraven, « The Diaries of Barthélemy Boganda, Priest and Politician in French Equatorial Africa (1910-1959) », History in Africa, vol. 44, 2017, p. 257. 

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    14

    J’ai proposé une analyse de ce travail de destruction dans Sorcellerie et prophétisme en Centrafrique. L’imaginaire de la dépossession en pays banda, Paris, Karthala, 2014, notamment p. 93-95.

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    15

    « Aux yeux du peuple, il participait des deux puissances. Il était le plus instruit des fils du pays ; prêtre, il était en rapport avec le monde invisible, il pouvait découvrir des choses cachées qui maintenaient les indigènes dans un état d’infériorité. Marié à une Blanche, il devenait l’égal des Blancs, c’était un homme hors du commun. La question des rapports entre Boganda et l’Église doit tenir compte de tous ces éléments qui s’entremêlaient étroitement et dont Boganda était très conscient », Côme Kinata, « Barthélémy Boganda et l’Église catholique en Oubangui-Chari », Cahiers d’études africaines, vol. XLVIII-3, n° 191, 2008, p. 562.

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    16

    La figure de Boganda peut certes être rapprochée, y compris du point de vue de sa transmission mémorielle, à d’autres figures politiques, comme l’abbé Fulbert Youlou (premier président de la République du Congo) ou Patrice Lumumba. Cependant, en Centrafrique, le souvenir de Boganda a suivi un parcours unique, de façon que, après sa mort, aucune figure politique n’a pu prétendre à la même renommée, quoique toutes aient été obligées de se mesurer avec l’exemplarité associée au « père de la nation ».

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    17

    En témoigne une « Note sur la création d’un musée centrafricain des arts et des traditions populaires à Bangui. Présentée par Louis Molet, ethnologue. Bureau d’études et de recherches du Ministère du plan », Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (O.R.S.T.O.M.), Bangui, 24 juillet 1959, 4 pages. Document dactylographié.

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    18

    Dans La Fanfare de Bangui. Itinéraire enchanté d’un ethnomusicologue, Paris, La Découverte, 2009, Arom est revenu sur sa propre trajectoire depuis ses premières années centrafricaines.

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    19

    « Journal officiel de la République centrafricaine », 15 décembre 1962.

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    20

    « Projet pour la création d’un musée des arts populaires et du folklore centrafricains. Présenté par Simkha [sic] Arom, premier prix du conservatoire national de musique de Paris, expert israélien auprès du gouvernement de la République centrafricaine », Bangui, août 1964, 15 p., document dactylographié. Archives personnelles de S. Arom.

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    21

    La situation administrative du musée au moment de sa création est la suivante : l’institution est directement rattachée à la présidence de la République, y compris financièrement, et sa gestion est confiée à un conservateur. C’est Arom qui est nommé à ce poste et son nom est aujourd’hui cité au musée, outre que comme fondateur, comme premier directeur de l’institution.

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    22

    Julien Bondaz, L’Exposition postcoloniale. Musées et zoos en Afrique de l’Ouest (Niger, Mali, Burkina Faso), Paris, L’Harmattan, 2014.

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    23

    Anne Gaugue, « La mise en scène de la nation dans les musées d’Afrique tropicale », Ethnologie française, vol. 29, n° 3, 1999, p. 337-344. Comme l’écrivait la co-fondatrice du musée Boganda, la « maison des ancêtres » s’efforce de représenter, en rupture avec les découpages ethniques de l’époque coloniale, « un ensemble plutôt que souligner des particularismes », Geneviève Dournon-Taurelle, « La création du Musée Barthélémy Boganda, Bangui », Museum, vol. XXII, n° 2, 1969, p. 75.

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    24

    Les cinq salles d’exposition étaient consacrées aux thèmes suivants : rythmes, travail et techniques, rites et coutumes du passé, activités domestiques de la femme, activités enfantines. Au moment de l’inauguration, les collections comptent quelques 1200 objets qu’Arom et Dournon ont collectés pendant des tournées dans l’arrière-pays. Geneviève Dournon-Taurelle, « La création du Musée Barthélémy Boganda, Bangui », Museum, vol. XXII, n° 2, 1969, p. 75-76.

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    25

    « Journal officiel de la République centrafricaine », décret 64/180 du 18 juin 1964 fixant les statuts du musée Boganda.

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    26

    Les informations sur cette salle viennent de « Le musée Boganda de Bangui. Origines, réalisations, difficultés, suggestions (Confidentiel) », document dactylographié, Bangui-Paris, août 1967, 11 p. et annexe, archives personnelles de S. Arom. Après des années de fermeture, une nouvelle salle consacrée à la mémoire de Boganda a été ouverte au mois de mai 2022 : à l’aide d’une enceinte portable, les visiteurs peuvent entendre sa voix ainsi que l’hymne national centrafricain. 

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    27

    Après la création du musée centrafricain, Geneviève Dournon a été conservatrice des collections instrumentales du musée de l’Homme à Paris, de 1967 à 1993. Simha Arom a intégré le CNRS et est aujourd’hui une figure internationale majeure de l’ethnomusicologie.

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    28

    « Le musée Boganda de Bangui. Origines, réalisations, difficultés, suggestions (Confidentiel) », document dactylographié, Bangui-Paris, août 1967, 11 p. et annexe, archives personnelles de S. Arom.  

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    29

    Jacques Binet, « Image de la ville… vue par les écoliers de Bangui (RCA) », Bulletin du Secrétariat des missions d’urbanisme et d’habitat, n° 68, janvier 1972.

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    30

    Parmi ces mémoires (qui tendent parfois à répéter les mêmes informations) je cite ici en particulier celui de Marcel Ngaya, « Musées et promotion du patrimoine culturel en République centrafricaine », mémoire de fin de cycle de formation, Centre régional d’action culturelle, Lomé, 1981-1982.

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    31

    Arom se réfère en particulier aux instruments musicaux qui, dépouillés de leurs valeurs rituelles, deviennent des « jouets musicaux » pour enfants : Simha Arom, « La “mémoire collective” dans les musiques traditionnelles d’Afrique Centrale », Revue de musicologie, tome 76, n° 2, 1990, p. 149-162.

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    32

    J. D. Y. Peel « The Iconoclastic Impulse in Yoruba Culture », Religion and Society: Advances in Research, n° 8, 2017, p. 30-41 (texte publié et commenté par R. Fardon et R. Sarró).

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    33

    Andrea Ceriana Mayneri, «  « Ngoutidé, “l’illuminé de Lioua”. Destruction de fétiches et représentations de la sorcellerie en Centrafrique », Cahiers d’études africaines, LIV-3, n° 215, 2014, p. 739-768.

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    34

    Observations personnelles, Bangui, musée Boganda, 2005, 2006. En 2022, un masque est exposé et associé, dans la note explicative d’accompagnement, à la figure de Mamy Wata.

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    35

    Pour une analyse des transformations récentes du musée, je renvoie le lecteur à : « Palimpseste centrafricain. Ruines et mémoires au “musée Boganda” de Bangui », Politique africaine, n° 165, 2022, p. 117-142.

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    36

    « Patrimoine esthétique et artistique centrafricain. Recherches anthropologiques », Bangui, UNESCO, novembre 2007 (inédit), p. 30.

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    37

    Emmanuel Chauvin, Christian Seignobos, « L’imbroglio centrafricain. État, rebelles et bandits », Afrique contemporaine, n° 248, 2013, p. 120, 144.

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    38

    Andrea Ceriana Mayneri, « La Centrafrique, de la rébellion Séléka aux groupes anti-balaka (2012-2014) : Usages de la violence, schème persécutif et traitement médiatique du conflit », Politique africaine, vol. 134, n° 2, 2014, p. 179-193.

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    39

    Il a été estimé que, lors de l’élection présidentielle de décembre 2020, seulement quelques 700 000 personnes ont pu s’exprimer sur 1,8 millions d’inscrits sur les listes électorales, les restants en ayant été empêchés par les groupes armés.https://www.iris-france.org/154166-republique-centrafricaine-le-regime-touadera-pourra-t-il-passer-les-legislatives-sans-encombre/

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    41

    Giorgio Blundo, Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), État et corruption en Afrique. Une anthropologie comparative des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Paris, Karthala, 2007.

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    42

    Krzysztof Pomian a écrit récemment à propos de certaines « tendances générales » de l’analyse muséographique, qu’elles « ne sont qu’une partie de l’histoire des musées. Elles permettent de l’appréhender dans une perspective mondiale, tout en laissant de côté la dimension humaine de la création des musées : les passions, les croyances, les attentes, les événements surprenant et la routine quotidienne (...). Tout cela ne peut être étudié qu’en prenant les musées dans la singularité de leurs trajectoires à travers les grands problèmes intellectuels et les mesquines difficultés financières, la politique internationale et les intrigues bureaucratiques, la question de l’acquisition des objets, de l’architecture, de l’éclairage, de l’accrochage et de la mise en vitrine, de la ventilation, des réserves, des aires de repos, des vestiaires et des toilettes ». Le musée, une histoire mondiale. 1 Du trésor au musée, Paris, Gallimard (Bibliothèque illustrée des histoires), 2020, p. 49-50.  

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    43

    Anne-Marie Losonczy, « De la fécondité des ruines. Patrimonialisation et sanctification d’un village noir détruit (Chocó, Colombie) », Civilisations, n° 65, 2017, p. 163-180.

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    44

    Oradour-sur-Glaine, au Nord de Limoges, a été attaqué le 10 juin 1944 par une unité de la Waffen SS : la quasi-totalité de la population fut massacrée et le village fut pillé et incendié. Les ruines, classées monument historique en 1946, sont inclues, depuis 1999, dans un « centre de la mémoire » ouvert aux visiteurs.

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    45

    Daniel Fabre parle aussi de « la multiplicité des usages profanes du monument qui se trouve habité malgré lui » : voir « Habiter les monuments », in D. Fabre, A. Iuso (dir.), Les monuments sont habités, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2010, p. 25. Une personne démunie vit dans une salle au rez-de-chaussée du musée Boganda : à Bangui, se matérialise dramatiquement ce que Fabre a conceptualisé comme « l’effet Gavroche », du nom du personnage de Les Misérables qui vit dans l’éléphant creux de la Place de la Bastille, vestige d’un monument projeté par Bonaparte.

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    46

    D’autre part, une ambition de la direction actuelle serait plutôt celle d’ouvrir un jour une salle d’exposition où ressembler les memorabilia (ceux qui se trouvent déjà au musée et d’autres dispersé dans la ville) liés à la figure de Bokassa et à la période impériale.    

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    47

    Andreas Huyssen, Present Pasts. Urban Palimpsests and the Politics of Memory, Stanford University Press, Palo Alto, 2003.

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    48

    Andreas Huyssen, « Nostalgia for Ruins », Grey Room, n° 23, 2006, p. 10.

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    49

    En se référant aux villes détruites pendant la deuxième guerre mondiale, Huyssen écrit encore : « Bombings, after all, are not about producing ruins » : « Nostalgia for Ruins », Grey Room, n° 23, 2006, p. 8.

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    50

    Alain Schnapp, Une histoire universelle des ruines. Des origines aux lumières, Paris, Éditions du Seuil, 2020 : notamment p. 36, p. 597.

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    51

    Dans le travail de Ann Stoler, le terme ruination renvoie, plutôt qu’aux vestiges du passé, au processus par lequel ces restes demeurent agissants dans le présent, après le moment décolonial et la fin des impérialismes. Ann Laura Stoler, Imperial Debris. On Ruins and Ruination, Durham, Duke University Press, 2013 (en particulier le chapitre initial « “The Rot Remains”. From Ruins to Ruination », p. 1-35).

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    52

    Gastón R. Gordillo, Rubble. The afterlife of destruction, Durham, Duke University Press, 2014. Marc Augé a proposé la même distinction mais dans le cadre d’une réflexion qui problématise davantage le problème des « ruines » : Le Temps en ruines, Paris, Galilée, 2003.

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    53

    Voir <https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/4011/> . Tel que précisé sur le site de l’Unesco, le contenu de chaque liste indicative relève de la responsabilité exclusive de l’État partie concerné : dans le cas centrafricain, les rédacteurs mentionnent des édifices ou lotissements de Bangui construits à l’époque coloniale, dont le quartier dit « cité des évolués » et des « villages autochtones » ; une comparaison est établie avec le patrimoine colonial bâti de l’île de Saint Louis et de l’île de Gorée au Sénégal.

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    54

    Johan Lagae, « Kinshasa. Tales of the tangible city», ABE Journal - Architecture beyond Europe, n° 3, 2013, p. 46. Ma traduction.

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    55

    Robin Boast a proposé une critique générale de l’idée de musée postcolonial en tant que « zone de contact » (d’après la formule célèbre de James Clifford). Il pointe les contradictions structurelles de ce type de dispositif « où la périphérie parvient parfois à quelques petits, momentanés et stratégiques avantages, mais où c’est le centre au final qui gagne ». Robin Boast, « Neocolonial collaboration : museums as contact zones revisited », Museum Anthropology, vol. 34, n° 1, 2011, p. 66.

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    56

    Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », in Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 431-433.

    S.A. (Bruno Martinelli, Lambert Bonezoui, Valérie Tanga, Andrea Ceriana Mayneri, Aleksandra Cimprič), « Patrimoine esthétique et artistique centrafricain. Recherches anthropologiques », Bangui, rapport Unesco sur requête nationale, novembre 2007 (document inédit).

     

    Marie-France Adrien-Rongier, « Les kodro de Bangui : un espace urbain “oublié” », Cahiers d'études africaines, vol. 21, n° 81-83, 1981, p. 93-110.

     

    Simha Arom, « La “mémoire collective” dans les musiques traditionnelles d’Afrique Centrale », Revue de musicologie, tome 76, n° 2, 1990, p. 149-162.

     

    —, La Fanfare de Bangui. Itinéraire enchanté d’un ethnomusicologue, Paris, La Découverte, 2009.

    Marc Augé, Le Temps en ruines, Paris, Galilée, 2003.

    Thierry Bangui, « L’architecture coloniale du centre-ville de Bangui (République Centrafricaine) : essai sur un patrimoine urbain en décadence », Les Cahiers d’Outre-Mer, n° 261, 2013, p. 105-122.

     

     

    Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », in Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 427-443.

    Jacques Binet, « Image de la ville… vue par les écoliers de Bangui (RCA) », Bulletin du Secrétariat des missions d’urbanisme et d’habitat, n° 68, janvier 1972.

    Giorgio Blundo, Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), État et corruption en Afrique. Une anthropologie comparative des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Paris, Karthala, 2007.

    Robin Boast, « Neocolonial collaboration : museums as contact zones revisited », Museum Anthropology, vol. 34, n° 1, 2011, p. 56-70.

    Julien Bondaz, L’Exposition postcoloniale. Musées et zoos en Afrique de l’Ouest (Niger, Mali, Burkina Faso), Paris, L’Harmattan, 2014.

    Yves Boulvert, Bangui 1889-1989 : un siècle de croissance de la ville à partir des cartes, plans, photographies aériennes, images satellitaires. Cadre physique du développement urbain de Bangui. Avantages et inconvénients du site. Évolution urbaine, Paris, IGN, 1989, 15 p. multigr.

     

    —, Bangui 1889-1989. Points de vue et témoignages, Paris, ministère de la Coopération et du développement, 1989.

    Hélène Charton, Marie-Aude Fouéré, Présentation du dossier « Héros nationaux et pères de la nation en Afrique », Vingtième siècle. Revue d’Histoire, n° 118, 2013, p. 3-14.

    Andrea Ceriana Mayneri, Sorcellerie et prophétisme en Centrafrique. L’imaginaire de la dépossession en pays banda, Paris, Karthala, 2014.

     

     

    —, « Ngoutidé, “l’illuminé de Lioua”. Destruction de fétiches et représentations de la sorcellerie en Centrafrique »,  Cahiers d’études africaines, LIV-3, n° 215, 2014, p. 739-768.

     

     

    —, « La Centrafrique, de la rébellion Séléka aux groupes anti-balaka (2012-2014) : usages de la violence, schème persécutif et traitement médiatique du conflit », Politique africaine, vol. 134, n° 2, 2014, p. 179-193.

     

     

    —, « Agonie, perte ou renouveau d’une esthétique oubanguienne ? », Images Re-vues,  n°15, 2018.

     

     

    —, « La ruine et la mémoire dans le “musée Boganda” de Bangui : un espace palimpseste de Centrafrique », Politique africaine, n° 165, 2022, p. 117-142.

    Emmanuel Chauvin, Christian Seignobos, « L’imbroglio centrafricain. État, rebelles et bandits », Afrique contemporaine, n° 248, 2013, p. 119-148.

    Geneviève Dournon-Taurelle, « La création du Musée Barthélémy Boganda, Bangui », Museum, vol. XXII, n° 2, 1969, p. 69-80.

    Daniel Fabre, « Habiter les monuments », in D. Fabre, A. Iuso (dir.), Les Monuments sont habités, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2010, p. 17-49.

    Anne Gaugue, « La mise en scène de la nation dans les musées d’Afrique tropicale », Ethnologie française, vol. 29, n° 3, 1999, p. 337-344.

    Odile Goerg, « Domination coloniale, construction de la “ville” en Afrique et dénomination », Afrique & histoire, vol. 5, n° 1, 2006, p. 15-45.

    Gastón R. Gordillo, Rubble. The afterlife of destruction, Durham, Duke University Press, 2014.

    Nora Greani, « Monuments publics au XXIe siècle. Renaissance africaine et nouveaux patrimoines », Cahiers d’études africaines, vol. LVII-3, n° 227, 2017, p. 495-514.

    Maurice Halbwachs, La Mémoire collective [1950], Paris, Albin Michel, 1997.

    Andreas Huyssen, Present Pasts. Urban Palimpsests and the Politics of Memory, Stanford University Press, Palo Alto, 2003.

     

    —, « Nostalgia for Ruins », Grey Room, n° 23, 2006, p. 6-21.

    Côme Kinata, « Barthélémy Boganda et l’Église catholique en Oubangui-Chari », Cahiers d’études africaines, vol. XLVIII-3, n° 191, 2008, p. 549-566.

     

    Johan Lagae, « Kinshasa. Tales of the tangible city», ABE Journal - Architecture beyond Europe, n° 3, 2013, p. 46.

    Anne-Marie Losonczy, « De la fécondité des ruines. Patrimonialisation et sanctification d’un village noir détruit (Chocó, Colombie) », Civilisations, n° 65, 2017, p. 163-180.

    Marcel Ngaya, Musées et promotion du patrimoine culturel en République centrafricaine, mémoire de fin de cycle de formation, Centre régional d’action culturelle (C.R.A.C.), Lomé, promotion 1981-1982.

    J. D. Y. Peel, « The Iconoclastic Impulse in Yoruba Culture », Religion and Society: Advances in Research, n° 8, 2017, p. 30-41.

    Krzysztof Pomian, Le Musée, une histoire mondiale, t. 1, Du trésor au musée, Paris, Gallimard (Bibliothèque illustrée des histoires), 2020.

    Alain Schnapp, Une histoire universelle des ruines. Des origines aux lumières, Paris, Seuil, 2020.

    Ann Laura Stoler, « The rot remains. From ruins to ruination », in A. L. Stoler, Imperial debris. On ruins and ruination, Durham, Duke University Press, 2013, p. 1-35.

    Klaas van Walraven, « The Diaries of Barthélemy Boganda, Priest and Politician in French Equatorial Africa (1910-1959) », History in Africa, vol. 44, 2017, p. 237-264.

    Pour citer cette publication

    Ceriana Mayneri, Andrea (dir.), « Passages coloniaux. Bangui, le centre-ville et le musée « Barthélemy Boganda » », Politika, mis en ligne le 27/06/2022, consulté le 25/10/2022 ;

    URL : https://www.politika.io/fr/article/passages-coloniaux-bangui-centreville-musee-barthelemy-boganda