(Université de Valparaiso, Chili)
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Déclin de la mémoire dominante et émergence d’un mémorial social (1990-2022)
Fondo Kena Lorenzini. Museo de la Memoria y los Derechos Humanos.
Le passé récent du Chili. L’histoire, le temps et la mémoire vus comme un problème politique et épistémologique
L’ordre de reddition inconditionnelle donné à Salvador Allende par les détachements putschistes, le matin du 11 septembre 1973, a inscrit l’histoire de notre pays dans ce qu’Enzo Traverso a, en 2019, appelé la « violence globale1 », une forme de domination basée sur l’extermination des opposants. Depuis le coup d’État, des formes de guerre totale (massacres à grande échelle) ont été étendues à un niveau micro-territorial, utilisant, dans un objectif de déshumanisation, les dernières technologies associées à l’adoption de formes modernes de monopole d’État sur les armes, de rationalité productive dans les entreprises, de division du travail, de contrôle des élans sociaux et de neutralisation des normes éthiques afin d’installer, sans contrepoids existant, le néolibéralisme.
La destitution du gouvernement de Salvador Allende par le coup d’État de 1973 et le déploiement de la dictature militaro-civile (1973-1990) ont mis fin à une période de débats sur la croissance, mis en place par le libéralisme démocratique de la première moitié du XXe siècle au Chili. L’alliance entre le régime d’Augusto Pinochet et les défenseurs d’une vision néolibérale a détruit l’institution républicaine, brisant le mouvement populaire par des crimes de masse, mettant ainsi en œuvre le projet des pouvoirs économiques qui visaient à optimiser la reproduction élargie du capital en y agrégeant les classes subalternes2. Une « ingénierie » sociale basée sur la violence d’État et le recours à un état d’exception permanent a coupé court au projet républicain établi au cours du XXe siècle. Par un coup de frein dans un premier temps, puis un retour en arrière historique, une situation sécuritaire s’est mise en place dans le pays afin de restaurer l’ordre oligarchique du passé3, le présentant comme un nouvel avenir, au sein d’une soi-disant « démocratie protégée » fondée sur la constitution de 1980 et sur un système néolibéral, instauré via « une politique d’accords » passés entre les entreprises, le courant pinochetiste et la transnationalisation du capital4.
La tension originelle de cette démocratie restaurée, tant dans sa définition que dans les termes utilisés à son propos – que l’on retrouve dans les expressions « démocratie semi-souveraine5 » et « démocratie incomplète6 » –, constitue un ensemble de « nœuds » historiques ancrés dans l’histoire récente du Chili ; ceux-ci la considèrent nécessairement comme un passé « utilisable », mais qui se présente d’une façon diffuse et risquée. Un passé présent que la révolte d’octobre 2019 a, en pleine crise du régime, commencé à fissurer7.
Par expérience de l’obsolescence, effet d’une accélération du temps due à la globalisation, et comme une projection du paradigme de l’holocauste8, le recours à la mémoire – si évident dans les sociétés actuelles, qui souhaitent récupérer leur histoire –, comporte ici des imbrications complexes d’ordre économique, culturel, social et politique. Elles sont liées à la domination et aux effets des disjonctions temporelles imposées par les politiques de déshumanisation et de ségrégation économique du régime dictatorial. L’histoire récente du Chili s’établit autour des drames du passé et d’une contemporanéité9, tous deux traumatisants, car indissolublement liés à un présent néolibéral, celui de la période postdictatoriale. Un passé rempli d’obstacles, imposés par les silences convenus entre les pouvoirs en place, les lacunes de la justice et les politiques de mémoire ainsi que d’éducation, focalisées sur l’État et sur le maintien de l’ordre, éloignées de toute mémorial vivant.
Face à la densité des phénomènes vécus et aux conditions contradictoires dans lesquelles ils ont été expérimentés – sur le plan matériel comme sur le plan du discours : la perte, les dégâts sociaux, les inégalités, les espoirs d’avenir frustrés et l’émergence de nouveaux présents porteurs d’avenir –, se déploient différentes mémoires qui se disputent entre elles le souvenir dudit passé et l’organisation du présent. Ces controverses mémorielles ont apporté au débat public des référents identitaires et politiques ainsi que des valorisations éthiques et historiques, avec des objectifs variés, tels que : clôturer le passé et redéfinir le présent, défendre des projets politiques fondés sur le droit et l’égalité entre tous et appuyer, dans certains cas, de nouvelles revendications sociales reconnaissant les droits de l’homme comme base de la démocratie.
Dans le cadre du recours au souvenir, observons les politiques de mémoire menées par les gouvernements qui se sont servis du récit dominant de la guerre froide, établi en 200310. Celui-ci – qui explique la soi-disant « rupture démocratique de 1973 » comme une conséquence du manichéisme de relations internationales sises dans un monde bipolarisé – contient deux thèses chères à l’opinion publique conservatrice. L’une considère la violence comme un constituant naturel de la société, qui émerge inévitablement dans les périodes de crise, l’autre regarde l’arrivée du gouvernement d’Unité populaire comme le point culminant de la décadence historique de l’État républicain, associant celle-ci à l’ouverture progressive aux droits sociaux11 réalisée tout au long du XXe siècle. Ces récits ont pour caractéristique de se focaliser sur l’État, d’expliquer les événements à partir de forces historiques qui dépassent les décisions politiques et, enfin, de faire la promotion de la classe politique ainsi que de la démocratie établie à partir de 1990.
Un récit de la mémoire citoyenne s’est développé en parallèle, prenant à chaque fois de l’ampleur via des mouvements mémoriels impulsés par des victimes de violations des droits de l’homme, des membres de leur famille, de leurs héritiers et de divers autres mouvements. Ceux qui, à travers différentes stratégies d’expression de la mémoire (rituels, représentations théâtrales, témoignages écrits, archives de la répression provinciale, cartographie des politiques d’extermination, méthodes d’enseignement dans des lieux déterminés) jointes au champ de mémoire des droits de l’homme12, récupèrent des acteurs de la vie sociale et recueillent des témoignages de l’action militante (tant des membres de l’Unité populaire que de la vie quotidienne sous la dictature), mettent en valeur les défenseurs des droits, remettent en cause les récits dominants établis par le pouvoir et, en révélant leur persistance dans l’époque postdictatoriale, questionnent les fondements éthiques du régime.
La relation entre ces deux façons – étatique et citoyenne – d’élaborer l’histoire récente du Chili se retrouve dans tous les débats politiques. En ces temps de récupération du souvenir, elles dominent l’agenda public, alimentent continuellement la recherche dans le domaine de la mémoire et de l’historiographie, fixant l’attention des débats sociétaux sur la violence politique, les mouvements de gauche, les associations de défense des droits de l’homme et, enfin, sur les actes de résistance des femmes, des jeunes, etc. Elles déploient une histoire et une mémoire publique, tels des processus à la fois permanents et variables qui accompagnent l’ensemble de la période postdictatoriale13. Ils stimulent la mémoire, comme une ressource qui vient passer en revue les possibilités offertes par l’histoire récente pour penser la politique. En tant que phénomène pouvant transcender les fonctions commémoratives, les mémoires ont rendu possibles les questionnements éthico-politiques dirigés vers l’ordre en place ainsi que de nouvelles manières de comprendre les causes de la situation actuelle, en relation avec son passé originel et avec d’autres passés.
Mémoire dominante et « mémorialisation ». Configurations, vides et déplacements dans le Chili postdictatorial
À notre avis, les récits dominants – promus par les politiques de mémoire et les commémorations citoyennes émergentes qui ont traversé la période 1990-2022 – s’élaborent en assemblant avec cohérence divers registres de mémoire, avec leurs différends et leurs intérêts spécifiques, partageant une dynamique qui articule de plus en plus explicitement la mémoire avec les différents usages des droits de l’homme, comme source de réflexion et d’analyse politique dans l’espace public.
Quant au développement de ces deux grands récits, bien que nous observions entre eux une continuité de sens – qui permettrait d’intégrer dans le débat public, partant du besoin de vérité et de justice, des éléments de l’histoire récente –, nous pouvons toutefois identifier deux périodes. L’une, de 1990 à 2010, dans laquelle l’histoire de l’Unité populaire et de la dictature militaro-civile revient dans l’actualité, non sans tensions, comme une demande de justice de la part d’une citoyenneté consciente de son passé, qui refuse d’oublier les politiques d’extermination, de désavouer les projets sociaux et n’accepte pas d’être niée en tant que sujet politique. L’autre, qui va de 2010 à 2022, voit le présent se tourner vers le passé afin de dénoncer la continuité entre la dictature et les processus dits de transition, de la part de citoyens qui veillent à dévoiler les complots du pouvoir et les crises de l’après-dictature. Le cycle s’achève avec le processus constitutionnel de 2022, dans lequel s’affrontent les défenseurs de l’ordre établi et ceux qui prétendent le transformer en agitant de nouveau l’histoire récente. Ce processus aboutit à la défaite de ces derniers, qui visaient la transformation, prolongeant de fait la crise du régime postdictatorial.
La période 1990-2010
À partir de 1990, les gouvernements de la Concertation des partis pour la démocratie fondèrent leur gouvernance à la fois sur une mise à distance calculée de l’histoire et sur un pari pour la modernité, comme source de cohésion et de durabilité démocratique. En parallèle, la politique de mémoire devait définir un socle historique commun et l’articuler avec la politique à mener. Ce processus a révélé des tensions liées à la conception de violation des droits de l’homme, à l’avenir démocratique proposé, à l’objectif de parvenir à une croissance équitable, au refus de la droite et du courant de l’ancien dictateur de juger les violations des droits et de satisfaire les demandes des victimes, dans le cadre d’une politique de justice transitionnelle. La coalition au pouvoir a parié sur une consolidation de la démocratie, confiante dans le fait que, par sa dynamique, le « jeu politique » ouvrirait un espace de manœuvre et, grâce à des accords élargis, délimiterait le champ du « possible »14. Cependant, le passé continue à vivre dans le présent par les inégalités du système économique, par « la politique des accords », par la présence de Pinochet à la tête de l’armée, puis comme sénateur à vie – ce qui constituera, du moins jusqu’à son arrestation en 1998, un témoignage constant de « passé dans le présent » –, par la faible représentativité du système politique et, enfin, par une justice en dette vis-à-vis des victimes15.
Les politiques mémorielles élaborées par le gouvernement de Patricio Aylwin, dans une période d’« irruptions erratiques de la mémoire16 », sont à notre avis dues à la complexité du contexte de la transition et au cadre politique dans lequel le dirigeant dut agir. Celui-ci correspondait à une vision oligarchique et « pinochetiste » qui limitait la possibilité d’une politique de mémoire au principe pragmatique de la négociation, à la vérité, mais dans la mesure du possible et aux concepts de pardon et de réconciliation, hérités de la chrétienté hispanique. La possibilité d’une récupération de la mémoire des politiques de déshumanisation mises en œuvre par la dictature a été soumise au sort d’une solidarité religieuse et communautaire, prête à se réhabiliter elle-même par le biais d’un acte déclaré de contrition que le président lui-même, en 1991, fut le premier à vouloir offrir.
Ces fondements se retrouveront dans le rapport de la Commission nationale Vérité et Réconciliation, dit Rapport Rettig (1991), qui centrait son récit historique sur le contexte de la période précédant le coup d’État (1965-1973) et qui, attribuant les causes de la violence aux mouvements sociaux et réduisant la dictature (1973-1990) à un ensemble de factions militaires, absolvait les auteurs de crimes en taisant leurs noms17. Ce rapport présentait la disparition des personnes comme une histoire sans bourreaux, actions ni intentions explicites qui auraient permis de comprendre le complot ayant abouti à l’extermination de citoyens, en particulier les femmes, les marxistes et les analphabètes18. À cela s’ajoutent la teneur métaphysique du récit et la défense d’une « vérité » à laquelle aucun nom n’était donné, qui devait néanmoins être acceptée, telle une injonction venant d’en haut19. Appelant les citoyens des « créatures de Dieu » (sic), le Rapport a utilisé le discours dominant de l’inévitabilité de la violence et du « chaos politique institutionnel », conséquence du déclin de l’État républicain, rejetant sur l’Unité populaire la responsabilité de la crise. Ces thèses s’inscrivaient dans la lignée des schémas historiographiques conservateurs, consolidés dans le courant du XXe siècle et utilisés abondamment pendant la période dictatoriale. Ils furent éclipsés dans les années 2000, lors des procès ouverts en justice, et en 2003, dans les actes de commémoration des trente ans du coup d’État militaire.
Le Rapport présentait ce passé comme un temps de causalités historiques inévitables, défendues par les partisans d’Augusto Pinochet, dans lequel une vérité était inscrite : confirmer la mort et la disparition forcée de plus de 2000 Chiliens et indiquer les lieux où ils « demeuraient », puis préconiser des politiques de réparation. Cette conception s’éloignait de la mémoire vivante des victimes qui réclamaient justice. Il s’agissait de rétablir la paix sociale au moyen d’une réconciliation imposée par le biais du pardon. Stratégie insuffisante, de toute évidence, étant donné qu’il n’y avait pas de corps20.
Face à cela, les mouvements de proches des victimes maintinrent fermement le slogan « Ni pardon ni oubli » comme une revendication de justice et de mémoire vivante. Dans un tel contexte de demande de vérité de la part des victimes, la réponse des défenseurs de la dictature entre 1990 et 200421, oligarchique dans son essence, a consisté à rejeter les droits de l’homme comme référence politico-légale, à nier les violations et à justifier le terrorisme d’État comme une « punition » de la gauche – celle-ci devant s’excuser, lorsque l’Unité populaire était au pouvoir, d’avoir transgressé « l’ordre » et provoqué cette crise historique. Cette position s’est accompagnée d’une vision née de la Concertation des partis pour la démocratie, qui consistait à considérer les droits de l’homme comme une limitation du pouvoir22 et, pour consolider la transition démocratique, pensait pouvoir s’appuyer sur les institutions plutôt que sur les différents agents sociaux23.
Le gouvernement de Ricardo Lagos (2000-2006), la commémoration des trente ans du coup d’État (2003) et le mandat de Michelle Bachelet (2006-2010) ont vu advenir ledit « temps de la mémoire24 ». L’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres, le 10 octobre 1998, a ouvert un nouveau débat sur l’histoire récente, l’absence de justice et la reconstitution d’une citoyenneté endommagée. À partir du droit international et de l’imprescriptibilité des droits de l’homme, divers mouvements ont remis en question la réalité démocratique du pays et mis au défi l’État-nation chilien de traduire, sans plus attendre, le passé devant la justice, dans un contexte où les droits de l’homme se sont imposés comme une référence juridique et politique commune à tous, s’attirant ainsi une reconnaissance nouvelle. Dans ce contexte, la stratégie suspecte consistant, d’une part, en la lettre de pardon de Pinochet – élaborée par le cercle de l’Union démocratique indépendante (UDI)25 dans l’objectif de rassembler des forces – et, d’autre part, en la tentative ratée de table ronde de 1999 – qui avait convoqué les organisations de défense des droits de l’homme et les représentants des forces armées pour fournir des informations sur les politiciens exécutés et disparus – a été reportée par le retour au Chili du dictateur, en 2000.
Le retour de Pinochet déclencha des poursuites judiciaires contre lui et contre les auteurs de crimes commis sous la dictature26. Cela contribua à délégitimer la droite, qui commença à lentement prendre ses distances par rapport à son chef de file27. En conséquence de quoi, anticipant la proposition du gouvernement de Ricardo Lagos, elle élabora une nouvelle forme de pardon qui consistait à fusionner les principaux éléments du système politique oligarchique – dont il a déjà été fait mention – avec les principes néolibéraux, proposant une grâce personnelle en échange d’argent. Ainsi, en juin 2003, l’UDI a offert des compensations monétaires aux proches des disparus, à la condition que les procédures d’enquête et de justice soient définitivement closes28. Un acte individuel et volontaire, en échange de l’abandon des procès, céderait la place à la réparation économique et au pardon. À partir d’une vision « mercantile » de la citoyenneté, le droit à la justice se voit relégué à une relation contractuelle entre des parties privées, déplaçant l’application des droits de l’homme d’un niveau universel à une sphère de décision privée. Opposant les victimes et leurs proches, ce pardon fut considéré comme une forme dévoyée de justice. La proposition a été critiquée par une grande partie de la classe politique ainsi que par l’Association des proches des détenus disparus (AFDD, pour son sigle en espagnol), qui a déclaré :
« Comment pouvez-vous penser que recevoir une somme d’argent puisse faire taire la douleur et la blessure, et me faire oublier mon frère disparu ? C’est impossible. Qu’est-ce qui est le plus dérangeant, la proposition elle-même ou qu’elle vienne de l’UDI ? […] La proposition, qui est immorale. Mais qu’elle vienne de la droite la plus récalcitrante, la plus engagée dans les violations des droits de l’homme est une injure supplémentaire, une nouvelle agression ; c’est ajouter de la douleur à la douleur. [...] Le fait est que l’UDI a réellement proposé cela, utilisant de façon dévoyée un événement traumatisant pour la vie des proches de détenus-disparus. C’est là que réside sa perversité. Ils prétendent ainsi clore les poursuites et le proche reçoit un certificat de décès, c’est-à-dire de mort présumée, celle-là même que Pinochet a essayé d’imposer, sans y parvenir. Ainsi disparaît le concept de l’enlèvement permanent, signifiant que les procès n’ont abouti à rien29. »
On se souvient peu de cette stratégie. D’une certaine manière, elle a été éclipsée par une mise en place active de mémoriaux, organisée en 2003 par les partis politiques et par la société civile, dans le cadre des cérémonies du 30e anniversaire du coup d’État. Dans plusieurs médias, les mémoires réclamèrent d’une part, pour Salvador Allende, la place de leader historique de l’imaginaire social républicain et, d’autre part, la récupération de l’histoire des partis politiques concernés ainsi que des expériences vécues, mémoire des citoyens et des partis rassemblés autour du souvenir de l’effondrement républicain30.
Valparaíso, Chili.
Via le programme « Pas d’avenir sans passé » (2003), Ricardo Lagos allait déployer un ensemble de mesures liées à la mémoire et à la réparation, y compris la déclaration du « Nunca Más » (« Plus jamais ça ») de l’armée en 2003, visant à restaurer l’État républicain en intégrant l’histoire récente dans la continuité du présent démocratique du « nouveau gouvernement socialiste31 ». Parmi ces mesures figure le rapport Valech de 2004, sur les tortures et les incarcérations illégitimes, dont la partie historique sera la pierre angulaire. Le rapport a présenté la politique de déshumanisation en se basant sur deux faits : le témoignage et la trace corporelle de la torture. Il a centré son récit historique sur les violations des droits de l’homme pendant la dictature et validé le témoignage comme un moyen d’accès individuel et collectif à l’histoire, remplaçant la vérité abstraite par une expérience sociale partagée par les victimes encore en vie. Il a décrit le déploiement du terrorisme d’État à travers tout le pays, identifiant ses cycles, signalant les lieux de torture et les différents types de prisons illégales comme des formes de violation des droits perpétrées par l’État et ses agents, dont la jeunesse chilienne fut la victime pendant les années 1970 et 1980. Le souvenir prit une dimension nouvelle dès que l’on fit participer les citoyens à un débat public, qui intégra tous les secteurs de la société, sur la responsabilité morale de celle-ci face au souvenir de la douleur, face à la destruction du corps des individus et du corps politique. Cependant, cette ouverture n’allait pas pouvoir intégrer le souvenir du passé récent, qui se base sur un cadre explicatif fondé sur les droits et ouvert à une réflexion d’ordre éthico-politique. Cette mémoire testimoniale a été englobée dans une nouvelle mémoire dominante, celle de la Guerre froide, qui n’allait pas prendre en compte les forces historiques complexes présentes dans les récits associés au Rapport Rettig (1991), mais les déplacer vers une querelle idéologique issue du contexte extérieur et bipolaire de l’époque, et non vers les débats propres à l’histoire de la société chilienne.
Ces récits ont été déployés lors de divers événements, mis en place par le gouvernement et la classe politique. Lors du séminaire organisé en 2004 par l’armée chilienne et intitulé « Armée et droits de l’homme : un engagement pour le XXIe siècle », les dirigeants de gauche comme de droite ont réaffirmé que la guerre froide, comprise comme faisant partie de la « logique du siècle », avait été transposée à la dynamique interne du pays, renforçant le pouvoir des idéologies. Ricardo Núñez, dirigeant du Parti socialiste, a déclaré :
« La guerre froide s’est installée chez nous comme le dernier coup de feu du conflit mondial. Elle nous a marqués au fer rouge et a dramatiquement fait vaciller notre nation au moment des événements du 11 septembre 1973. Lors de ce processus historique, quel rôle ont joué les idéologies ? Quelles étaient les véritables motivations qui animaient les acteurs de cette époque ? Nous devons garder à l’esprit que les pays et les empires existant à cette époque, soit avaient entrepris leurs actes au nom de justifications idéologiques, soit avaient fondé leurs prétentions hégémoniques sur des idéaux.32 »
Pour sa part, Andrés Allamand, leader de la droite, a déclaré :
« Les idéologies qui s’écartèrent de la démocratie, la méprisèrent ou aspirèrent à la remplacer ont deux traits communs, le mépris du droit et le recours à la force, voire, peut-être, un troisième : l’utopie de croire que l’on peut contrôler la force lorsqu’elle est séparée du droit [...], si le pays ignore à nouveau les faits qui ont engendré l’horreur, il sera toujours exposé à les voir se répéter [...]. L’horreur n’est pas apparue du jour au lendemain. Elle couvait avec l’affaiblissement de la démocratie chilienne, la validation de la violence politique, l’irresponsable enthousiasme révolutionnaire envers la solution armée, l’encouragement systématique à la haine de classe, la forte influence de la Guerre froide, bref, “l’ivresse idéologique” qui a tué la tolérance qui existait entre nous.33 »
Le Rapport se situait dans la droite ligne de la une vision structurante de l’histoire récente (1970-1990), caractérisée par la légitimation de la violence, celle-ci étant considérée comme une force irrépressible qui nous aurait conduits à une guerre civile34, désormais gouvernée par des forces extérieures à la politique locale. Ce récit dominant, promu par les dispositifs de mémoire et de réparation, a été présenté comme le souvenir officiel qui permettait l’élaboration du « Nunca Más » de l’armée en 2003, tentant de blanchir l’institution, sans succès compte tenu de la dénonciation ultérieure de son chef d’état-major comme complice dans les violations des droits de l’homme35. Le récit a en outre été validé, lors de l’ouverture du musée de la Mémoire et des Droits de l’homme en 201036, par le texte de présentation de son exposition permanente, ainsi que par les programmes scolaires – quoiqu’avec de nombreuses lacunes –, via les adaptations portées à la biographie des principaux acteurs de l’époque.
Bien que les droits de l’homme aient été appliqués de façon limitée dans les tribunaux et que le gouvernement de Michelle Bachelet ait convoqué une seconde Commission Vérité en 2010, les carences de ce récit, la lenteur de son intégration dans les discours officiels et les tensions créées par les politiques répressives exercées, entre autres, dans le conflit mapuche n’ont pas contribué à consolider les droits de l’homme dans la mémoire officielle afin que celle-ci se convertisse en un fondement de la démocratie, permettant d’aller au-delà de la vision initiale, établie dans les années 1990, qui considérait les droits de l’homme comme une limite au pouvoir.
Ce vide a été comblé en 2003-2004 par des initiatives néoconservatrices, recouvertes d’un vernis libéral, qui ont rendu une fois encore la gauche responsable de l’effondrement démocratique passé. Mettant en avant la « fragilité » de la communauté politique – comme la crise politique de 1973 l’a démontré –, les droits de l’homme furent assimilés à des droits individuels, arguant qu’il existait deux sortes de responsabilité : l’une, fonctionnant comme conscience individuelle, qui « assume » et l’autre qui « exige » (de la part des autres). Ainsi, la décision prise par les victimes d’opter pour la justice face aux crimes contre l’humanité aurait pour effet de provoquer une nouvelle crise dans la communauté politique. Il fut à nouveau défendu une vision toute-puissante, caractéristique du régime colonial, désormais appliquée aux libertés civiques, qui éviterait aux auteurs de crimes d’avoir à assumer leurs responsabilités.
« […] la responsabilité exigée ici est un concept juridique, elle suppose que quelqu’un a été meurtri et qu’il a le droit de demander réparation à son agresseur. Mais cette notion, transférée sur le terrain politique, est totalement inopérante pour avancer vers la réconciliation. L’exigence d’une responsabilité est au cœur du cercle vicieux dans lequel nous nous trouvons. Les opposants au régime militaire exigent que tous ceux qui ont fait partie de celui-ci reconnaissent leur responsabilité en matière de respect des droits de l’homme. À leur tour, les partisans du gouvernement militaire répondent que ceux qui doivent assumer leurs responsabilités sont justement ceux qui ont créé les conditions ayant rendu nécessaires les violations des droits de l’homme. La réponse ne prend pas plus d’une seconde : ceux qui ont semé le vent ne peuvent pas se plaindre de récolter la tempête. Cet argument ne mène nulle part !37 »
En bref, ces récits alliant mémoire et politique38 ont abouti à une constante remise en question des droits de l’homme ; ceux qui les défendaient, organisés en communautés, réseaux de sites et de mémoriaux ont subi, à partir de 2017, des actes de vandalisme de la part de fascistes, dont le but était de détruire toute exercice de mémoire. Les créations de sites et de mémoriaux furent encouragées par les gouvernements de Ricardo Lagos et de Michelle Bachelet, ouvrant un nouvel espace pour des pratiques actives de la mémoire, qui allaient en outre gagner en puissance lors de la période postérieure. Elles se caractérisent de la façon suivante : promouvoir les souvenirs du passé récent de la part des militants, des victimes et de la société opérer dans des conditions inégalitaires, c’est-à-dire dépourvues de tout financement légal, déployer un dynamisme argumentaire d’ordre à la fois scientifico-existentiel et esthétique qui s’adresse à l’ensemble de la société et, enfin, mettre en lien le passé dictatorial et le présent postdictatorial.
La période 2010-2022
Cette décennie a été caractérisée par l’arrivée au pouvoir, en 2010, du premier gouvernement de droite de l’après-dictature, dirigé par Sebastián Piñera jusqu’en 2014, puis par le retour raté de Michelle Bachelet de 2014 à 2018 et, enfin, de 2018 à 2022, par le « piñerisme », submergé à partir de 2019 par une crise du régime.
Les signes d’une faiblesse argumentaire étaient déjà perceptibles en 2013, lors des commémorations du 40e anniversaire du coup d’État. Bien qu’aient été maintenus les cadres explicatifs des politiques de mémoire, mis en forme dans le récit né de la Guerre froide, l’exercice de la mémoire allait être pratiqué, dans le débat public, autour de trois axes. Le premier concernait le contexte de la dictature comme cause de la situation actuelle ; il a été lancé par les mouvements des droits de l’homme ainsi que par d’autres mouvements apparus dans les années 2011-201339. Le deuxième portait sur l’affirmation de l’existence d’une politique répressive dans les territoires40. À la différence de la période antérieure, cela donna lieu à des témoignages diffusés dans des documentaires et des séries télévisés, des séminaires académiques, etc. Ils offrirent des exemples, à échelle humaine, de l’horreur des actes perpétrés par le terrorisme d’État41. Un troisième axe, enfin, traitait de l’histoire récente en tant que fondement éthique et condition de légitimité de l’action politique dans le présent, un projet qui vit dans la démission forcée – déjà commentée – du général Juan Emilio Cheyre de l’organe de direction du Service électoral chilien son événement le plus significatif. L’appel public en faveur de son départ, puis les poursuites judiciaires à son encontre ont mis en relief la crise et le déclin de la politique d’accords entre la classe politique et les institutions militaires42.
Ces trois axes ont ouvert un nouveau débat sur la nature du pardon et sur l’implication de ceux qui furent appelés des « complices passifs » – ou « collaborateurs »43 – dans les violations des droits de l’homme. Le terme, introduit par Sebastián Piñera, reprenait une critique quant à la qualité de la démocratie établie durant la transition et mettait en évidence la crise de la sphère publique de la post-transition, démontrant que les violations des droits de l’homme avaient cessé d’être, au moins jusque-là, une affaire de victimes seules pour constituer la base d’une revendication sociale, interpelant la classe politique sur sa congruence éthique et politique. Le recours au pardon se fit à nouveau valoir pour faire face aux faits de l’histoire récente, maintenant en cela la posture de la période 2003-2004. Il fut réclamé par un spectre politique varié – bien que peu étendu –, composé d’une partie de la droite affiliée au général Pinochet et de quelques représentants de la gauche. Cette demande exprimait à nouveau sa vacuité, mettant en lumière une confusion éthique et politique quant à savoir qui devait demander pardon et à qui :
« Assumer les fautes commises, tant en propre que sur le plan institutionnel, et demander pardon est une chose ardue. Pourquoi est-il important de le faire ? Parce que cela nous empêche d’oublier. L’histoire du XXe siècle montre que la seule chose qui peut aider à garantir le “Nunca Más” [“Plus jamais cela”] est de voir le passé vivre dans le présent.44 »
Les organisations de proches de détenus et de disparus ont maintenu leur position citoyenne consistant à ne pas commuer une sentence de justice en pardon ni à les confondre. Au vu de leur expérience, elles savent que « le pardon ne signifie pas l’impunité ; les demandes de pardon sont toutes dénuées de contenu, parce qu’aucune n’a appelé à la fin du pacte de silence, aucune n’a dit que la vérité et la justice devaient exister, aucune n’a dit où se trouvaient les disparus ni qui étaient les militaires et les civils impliqués dans ces crimes45 ».
De même, la responsable politique Lorena Pizarro a déclaré : « […] c’est un pays qui n’a pas cru à l’histoire qu’on lui a racontée pendant des années ; il ne s’agit nullement là d’un sujet du passé : la vérité, la justice et la mémoire sont fondamentales pour construire un pays capable de se regarder sans honte dans le miroir, sans criminels et sans impunité ; il faut pouvoir se regarder en face pour construire un pays dont les priorités sont le respect et la défense des droits de l’homme.46 »
Il y eut aussi des réflexions qui, loin des préceptes moraux et religieux sur le pardon qui ont caractérisé la période 1990-2003, remirent ouvertement en question son utilité et mirent à mal sa prétendue capacité à garantir la réconciliation, l’acceptation du passé et le bon fonctionnement de la démocratie :
« Je veux dire qu’il ne s’agit pas du pardon de Dieu. Ni du pardon civil face à la transgression d’une loi. Ni d’une demande de personne à personne, car la politique n’est pas un exercice personnel mais collectif. De quel pardon parlons-nous ? Ou bien, ce qui revient au même, la politique est-elle le lieu le plus approprié pour demander pardon ? Ou est-ce que, lorsque nous demandons pardon en politique, nous le faisons pour quelque chose qui n’a rien à voir avec l’idée de pardon ni avec l’idée de politique ?47 »
Introduisant la politique comme référence pour aborder la question du pardon, il a été affirmé :
« Cela signifie-t-il que personne, que ce soit en politique ou dans l’histoire, comme disent les ingénus, ne te pardonnera ? Bien sûr que l’absolution peut exister en politique, lorsqu’il y a un vrai repentir. Mais il doit être clair que, dans un tel cas, le repentir ne peut avoir lieu lors d’un acte public. La raison en est que la politique est avant tout un lieu d’action. Dis autrement, la nature même de la politique est l’action politique. La réflexion et la méditation n’y ont de sens que lorsqu’elles se traduisent en actions politiques. Par conséquent, demander pardon en politique sans que cela soit précédé ou suivi d’actions est un acte banal ou inutile. Je le répète : un alibi. À quoi nous sert la demande de pardon d’un homme politique chilien s’il continue d’être affilié à un parti dont la majorité considère que le coup d’État de 1973 était une action légitime ? Qui peut croire à la demande de pardon d’un politicien de gauche s’il continue à être membre d’un parti qui reste silencieux face aux crimes commis par des dictateurs de “gauche” ? Le pardon, en politique, a un autre nom : il s’appelle rectification. Rectifier est, en outre, une propriété de la pensée. Un politicien qui agit sans réfléchir est une honte pour la politique, au même titre que celui qui pense sans agir. Demander pardon en politique sans avoir rectifié sa conduite est un acte impardonnable, aussi impardonnable que celui du croyant demandant pardon à Dieu sans s’être repenti des actes qui l’amènent à demander pardon. Inversement, s’il a été procédé à une rectification d’ordre politique, il ne sera pas nécessaire de demander pardon à quiconque. Je ne sais pas quels individus sont les pires : ceux qui, incapables de se corriger, n’ont pas besoin de demander pardon, parce que la faute sera toujours celle des “autres” et jamais celle de “nous autres” ou ceux qui demandent pardon comme simple substitut à une rectification qu’ils n’ont jamais opérée.48 »
Le contexte de la discussion amenait à une réflexion sur l’histoire récente, comme base de la solidité éthique attendue de la part des classes dirigeantes. Le terme de « complices passifs » – désignant les personnes qui, n’ayant pas directement participé aux actes de violation des droits de l’homme, auraient néanmoins pu agir pour les empêcher – est venu aggraver la crise au sein de la coalition gouvernementale. Il fut rejeté par la droite pinochetiste et par les membres du parti au pouvoir, dans la mesure où un questionnement éthique plus approfondi allait se mettre en place, adressé aux professions (journalistes, médias et juges) qui, du fait de leur rôle social, auraient pu éviter, via la communication et les moyens juridiques dont ils disposaient, l’instauration de la répression dans les territoires, mais ne l’ont pas fait :
« Ce que le président a fait, c’est montrer que ce qui avait été historiquement mêlé (les modernisations et les violations des droits de l’homme) n’avait aucune raison d’être lié, ni conceptuellement ni politiquement (si l’on excepte le cas de ceux qui, par leurs actes, ont démontré le contraire). Le geste du président, outre son effet moral indéniable, a un sens politique évident : il trace une ligne claire et ferme entre une droite qui condamne le coup d’État et ses conséquences et une droite qui, pour des raisons générationnelles et idéologiques, refuse de le faire. C’est comme si le président avait soudainement dit : il y a une ligne invisible entre nous – lui et ceux qui, faisant partie de son gouvernement, le suivent – et vous, les cadres traditionnels de la droite : Larraín, Novoa, Melero, Cardemil.49 »
Le thème central de la controverse fit ressortir la crise morale vécue par la République depuis 1990, dans un contexte où la mémoire de la période dictatoriale remettait en question la qualité de la démocratie ainsi que de la classe politique qui l’a mise en œuvre, au sein de laquelle deux groupes pouvaient être identifiés : l’un, constitué des bénéficiaires du modèle actuel, indépendamment de son origine dictatoriale ou du fait qu’il a été élaboré dans l’après-dictature, et l’autre, composé à la fois de ceux qui accréditèrent le régime et des indifférents, ce « tiers état », cette masse des gens qui, par leur passivité, ont consenti à un usage illégitime du pouvoir. Sachant qu’en outre, au cours de la période postdictatoriale, des pratiques préjudiciables à la démocratie s’étaient installées, qui ne s’expliquaient pas seulement par le coup d’État, mais par une abdication des principes démocratiques de la part de ceux qui étaient, dans l’exercice de la citoyenneté, mandatés pour les récupérer.
« Pour sortir d’une crise d’identité morale, l’exigence principale est la sincérité dans l’acceptation de la responsabilité, de la part de ceux qui ont mené le processus ; celle-ci n’est pas annulée par la simple prononciation du mot pardon. Les manières républicaines et institutionnelles exigent, pour assainir la démocratie, des initiatives et des changements dans les institutions elles-mêmes, outre les changements générationnels de ceux qui les représentent.50 »
Ces pratiques seront discutées publiquement, à partir de 2015, mettant au jour le financement illégal de la politique, un parlement qui légifère pour favoriser les privilèges des grands entrepreneurs, les collusions, l’extraction frauduleuse des richesses de la terre et les souffrances imposées aux différentes communautés. Déjà dénoncées depuis 2013, ces pratiques avaient entraîné l’augmentation des inégalités et le déficit de cohésion sociale qui provoquèrent la révolte de 201951.
Au cours du deuxième mandat de Sebastián Piñera (2018-2022), l’histoire dominante déjà définie fut maintenue, dans un contexte international marqué par l’importance accordée aux droits de l’homme – contexte pris en compte lors du second mandat de Michelle Bachelet –, dont l’objectif était de favoriser la reconnaissance des diverses communautés. Celle-ci fut confirmée par la création d’un sous-secrétariat, qui rejoindra par la suite le ministère de la Justice et des Droits de l’homme. Au cours de cette période, diverses initiatives ont été prises pour opérer, avec un succès mitigé, des coupures discursives afin de réduire l’accès à l’histoire récente, déjà définie depuis la guerre froide (dans les biographies « officielles » des principaux acteurs), obtenir du parlement des limitations à l’influence du musée de la Mémoire et de l’INDH (2018)52 et, enfin, proposer le projet – qui a d’ailleurs échoué – de création d’un musée de la Démocratie (2019), dont l’objectif était d’éliminer la mémoire publique de l’histoire récente et d’assurer la pérennisation du régime postdictatorial en tant que démocratie légitime. Dans le cadre des discussions qui eurent lieu autour de cette proposition, un chroniqueur intellectuel de droite, collaborateur du CEP53, a déclaré dans le journal El Mercurio :
« L’idée est bonne, un bon antidote à la tendance parfois contagieuse que nous avons, au Chili, de nous croire détenteurs de la vérité. Nous n’en sommes pas arrivés à une guerre de tous contre tous, mais il est certain que nous avons vécu des périodes de violence et, ces dernières années, nous avons souffert de l’arrogance de certains détenteurs de la vérité, parmi les générations les plus récentes. Bien qu’ils soient non violents (ils n’ont pas l’intention de nous fracasser la tête avec une hache), ils nous ont toutefois menacés avec des rétro-pelleteuses et ont voulu nous convaincre que les consensus passés n’étaient que le résultat de minables tractations, dans lesquelles les principes sacrés avaient été oubliés, et ce, dans l’unique but de jouir du pouvoir. Sebastián Piñera, qui nous annonce un gouvernement modéré, ouvert au consensus, est la personne indiquée pour lancer le projet d’un musée de la Démocratie. Nous en avons besoin. Nous avons connu de très longues périodes de démocratie réussie, à une époque où certains des pays les plus admirés d’Europe vivaient sous le joug de monarchies autoritaires ou de dictatures fascistes. Qui se souvient de cela aujourd’hui ? Qui se sent rempli d’une fierté justement méritée ? Pourquoi vouloir parler de notre transition qui, en 1990, a inauguré 25 années de grands succès. Car c’est là que des compatriotes de tous horizons, qui se voyaient comme les uniques détenteurs de la vérité, ont eu l’humilité, la grandeur et la sagesse de s’ouvrir à la vérité des autres, de parcourir la moitié du chemin pour venir les rencontrer. Il est inacceptable que, par une sorte de chantage moral digne des talibans, asséné par des esprits aigris, cette époque soit dépeinte comme une époque de compromis cynique. J’ai toujours fait l’éloge du musée de la Mémoire. Il est vrai qu’en général, je suis de ceux qui pensent que nous devrions, au lieu de créer de nouveaux musées, enrichir ceux qui existent déjà, trop mal pourvus. Mais je soutiens l’initiative de Piñera. Si le musée de la Mémoire est nécessaire pour empêcher que soient commises d’autres atrocités impardonnables, celui de la Démocratie est nécessaire pour que ce qui a été obtenu ne soit pas perdu, surtout en ces temps où tant d’hommes politiques affichent un mépris inquiétant pour la démocratie représentative. Je ne pense pas seulement aux députés plus ou moins chavistes du Front large. Je pense à un Guillier, lorsqu’il dénigre les partis politiques et, en tant que bon populiste, prétend avoir un contact direct avec les citoyens.54 »
La consolidation dudit champ de mémoire des droits de l’homme55, constitué de recherches historiographiques56, de sciences sociales57 et productions esthétiques, jointes au développement des travaux de mémoire sur l’emprisonnement politique ainsi que sur les lieux de torture et, enfin, de communautés sociales travaillant sur le souvenir a contribué à renforcer l’accès à la mémoire dans la société civile58. À partir d’une conscience citoyenne basée sur les droits et les formes de reconnaissance, des récits se formèrent pour venir se placer, depuis la situation néolibérale actuelle, dans la continuité de la dictature, avec des promesses de démocratie non tenues et le succès économique annoncé par la transition. Le souvenir a intégré, en lui donnant différents degrés d’importance, l’histoire du terrorisme d’État, entre 1973 et 1990, comme faisant partie d’un projet politique, reconnaissant des pratiques et des périodes de neutralisation ainsi que d’extermination de la gauche et des adhérents à l’Unité populaire, mises en œuvre par les agents de la dictature59.
Santiago du Chili, 2019.
Les mémoires militantes (jeunes, partis et mouvements), celles provenant de groupes spécifiques (ayant, soit à cause de leur genre soit à cause de leur dissidence, subi une répression de la part du régime dictatorial), celles portant sur les souvenirs de la dictature et transmises aux générations suivantes, celles liées aux conflits de genres dans l’après-dictature (qui remettent en question les politiques appliquées envers cette partie de la population et mettent en marche, afin de renforcer leur identité, un processus de déconstruction de ces politiques) et, enfin, celles traitant des violations des droits, tant dans l’histoire récente qu’à plus long terme, toutes ces mémoires convergent au sein d’une actualité complexe, remplie d’expériences d’injustices, qui, d’un point de vue inter et transdisciplinaire, produit des écrits mémoriels60. Ceux-ci forment des récits de mémoire qui établissent des liens entre l’histoire nationale et l’histoire locale, et intègrent des perspectives d’analyse qui révèlent des connaissances et des cultures déjà en développement depuis les années 2000, aujourd’hui désignées comme ad hoc. Des perspectives qui, à partir d’analyses culturelles qui donnent à voir, dans le passé comme dans le présent, des femmes, des enfants, des jeunes et des défenseurs des droits (entre autres), associent le témoignage de la vie quotidienne du temps de la dictature à la violence et l’esthétique à la politique.
Dans un contexte de développement des marques de la mémoire, l’absence de nouveau cadre officiel du souvenir révèle l’exacerbation de la crise de l’ordre institutionnel néolibéral, déjà mise en évidence dans les différents mouvements sociaux qui se produisirent entre 2006 et 2019. C’est ainsi que le musée de la Mémoire développa, entre 2016 et 2017, une politique plus active de liens sociaux et d’éducation dans les territoires qui allait remettre en question le cadre de la mémoire officielle originelle (centrée sur l’État et les rapports de Vérité et Justice) et, en même temps, contester ses auteurs pour n’avoir pas su intégrer des perspectives critiques dans leurs récits de mémoire historique :
« Brodsky61 a tout à fait raison lorsqu’il expose les différentes controverses sur le musée de la Mémoire et des Droits de l’homme de Santiago du Chili. Il défend avec éloquence son cadre historique, basé sur les travaux des commissions pour la Vérité, qui commence avec le coup d’État militaire du 11 septembre 1973 et se termine en 1990. Le musée met l’accent sur la mémoire de la dictature de Pinochet, blâmant le terrorisme d’État et ses violations systématiques des droits de l’homme. Sa mission est de montrer les archives ainsi qu’une documentation détaillée de cette période, sans aller jusqu’à raconter l’histoire du Chili, avec son indéniable racisme ainsi que sa violence coloniale et postcoloniale. J’ai moi-même eu des doutes quant au fait d’exclure du récit du musée les années Allende et l’Unité populaire. En fait, il est intéressant de noter que, dans les débats qui eurent lieu dans le pays, les critiques à propos du récit historique du musée venaient autant de la droite que de la gauche ; de la droite, afin de justifier le coup d’État militaire, et de la gauche, pour garder vivant le souvenir d’Allende. L’insolubilité de cette controverse donne de la crédibilité à l’argument de Brodsky, qui souhaitait laisser en suspens le contenu politique de l’exposition afin, en échange, de mettre en évidence les violations des droits de l’homme, cherchant un équilibre entre “comprendre” et “se souvenir”. Il faut cependant préciser qu’Allende n’est pas totalement absent : son dernier discours radiophonique, pendant le bombardement de La Moneda, inaugure la section consacrée aux témoignages marquants de ces années.62 »
Les violations massives des droits de l’homme commises par Sebastián Piñera lors de la révolte sociale de 2019 signifièrent le retour du sceau oligarchique dictatorial, imposant à nouveau des formes de guerre totale, tant à l’échelle nationale que territoriale, et dépassant les limites qui avaient été atteintes par la dictature dans les domaines de la torture, de l’emprisonnement et de l’assassinat. Cette fois, sans la moindre distinction de lieu ni d’âge – celui des hommes, des femmes et des enfants –, la violence sur les corps s’est déployée, en particulier ceux des femmes, à toute heure de la journée, reproduite à l’infini par les réseaux sociaux, en se concentrant avec détermination à aveugler la jeunesse. Une violence extrême a, sans médiation discursive, fait revenir le passé dictatorial dans l’actualité (« Quand je me suis réveillé, le coup d’État était toujours là. Augusto Monterroso63 »), créant une sorte d’arrêt dans le temps, qui réactiva avec plus de force les souvenirs populaires et sociaux de l’histoire du XXe siècle, désormais liés à ceux du présent. Le retour des pratiques dictatoriales n’a pas réussi à faire taire les récits fragmentés, exprimés dans les mobilisations de rues du pays ; celles-ci, mettant le peuple en première ligne, rendaient compte de ses luttes contre les formes historiques d’exploitation sociale, tout en insistant sur les formes actuelles d’exploitation, telles que l’endettement. Elles dénonçaient les formes de violence imposées aux femmes ainsi que leur assujettissement, tant sous la dictature que dans l’actualité, leurs expériences quotidiennes vécues comme un état d’exception permanent, dénonçant l’État et le gouvernement. Elles s’exprimèrent ainsi :
« Ils tirent, violent et torturent, comme sous la dictature » ; « Daniela Carrasco la Mimo, violée et assassinée » ; « Flics violeurs ! » ; « Ils nous ont même enlevé la peur ! » ; « Le Chili est son peuple » ; « Gouvernement assassin » ; « Ils voulaient nous enterrer, mais nous sommes comme les graines ! » ; « État ! Le cuivre et le lithium pour la santé, le logement et l’éducation » ; « Le peuple ne pille pas le peuple. Piñera, démission ! » ; « Qu’ils fichent le camp ! La lutte continue » et « Piñera, dictateur ! » ; « Ne pas ressentir de colère est un privilège » ; « Piñera est mis à prix64 » ; « Si l’histoire nous est volée, nous en écrirons une autre » ; « Faites confiance au peuple pour écrire la constitution du peuple » ; « Assemblée constituante, maintenant !65 »
La crise du régime, révélée par la révolte de 2019, ainsi que la mise en place de la répression et des violations massives des droits de l’homme – dans les termes déjà décrits plus haut – signifiaient à la fois la fin d’une époque et le retour de la menace dictatoriale, accompagnée de la perte des droits fondamentaux. Le retour du passé, non comme une évocation, mais comme un fait toujours présent. La répétition d’une histoire dénuée de récit explicatif. L’accord politique qui avait permis le processus constitutionnel a cédé la place à un retour en arrière, qui vit les défenseurs de la dictature et de l’après-dictature défier ceux qui aspiraient à une transformation.
La nouvelle proposition constitutionnelle a été récemment rejetée, lors du plébiscite du 4 septembre 2022. On débat encore pour savoir s’il s’agit là, de la part des élites dirigeantes et intellectuelles, d’une rupture avec les intérêts du peuple. Depuis 2019, le chemin parcouru s’est révélé complexe, entre deux années de pandémie – avec un confinement prolongé – et une crise économique de plus en plus aiguë. Les défenseurs du régime en crise ont déployé sur les réseaux des tentatives de réécriture de l’histoire qui, de nouveau, tentèrent de justifier le passé récent dictatorial et postdictatorial par une crise de la gauche. Pendant ce temps, la production de mémoriaux se poursuit. Nous ne disposons pas de récit officiel, seules subsistent quelques évocations du président Gabriel Boric à Allende et à d’autres leaders démocratiques du XXe siècle. Il parvient, dans un contexte d’une extrême complexité, à les rattacher historiquement à son projet de gouvernement déjà affaibli.
Quelques considérations finales. Entre un passé en construction et un présent en désintégration
L’émergence de récits sur l’histoire récente et les débats publics qui s’ensuivirent, au cours de la période 1990-2022, viennent s’inscrire dans un passé traumatique, marqué par le coup d’État de 1973, et la régression historique – présentée comme une avancée –, conservatrice et néolibérale que fut la dictature d’Augusto Pinochet. Les possibilités d’élaboration du souvenir pour cette période se présentent comme hautement conditionnées par les contradictions inhérentes à ses propres origines, celles du terrorisme d’État et de la politique de déshumanisation qui avaient pour objectif de consolider un ordre néolibéral injuste et discriminatoire. Les querelles entre la mémoire dominante, centrée sur l’État et la Guerre froide, et les récits basés sur le mémorial social montrent les trajets que doit emprunter, pour être admise, la vérité sur les violations des droits de l’homme. Sous le gouvernement de Patricio Aylwin, elles sont passées du statut de vérité innommable et non incarnée – également associée à la peur imposée par le pinochetisme (châtiments) – à leur prise en compte en tant qu’événement, qui nécessite néanmoins une explication historique pour se voir publiquement justifié. De la même manière, les concepts chrétiens de pardon et de réconciliation se sont révélés vides de sens et inopérants, jusqu’à disparaître du débat public. Les diverses formes de mémoriaux émergeants – testimoniale, biographique, dé-constructive, collective, genrée, ethnique, territoriale, etc. – et le champ de mémoire des droits de l’homme ont montré plus de dynamisme et d’efficience à partir des années 2000, jusqu’à aujourd’hui. Nous pouvons dire que leur impact sur le débat public a été renforcé, tandis que, avec la crise de régime, le récit dominant a été vidé de son sens. Ces mémoriaux firent jouer ensemble divers types d’expression citoyenne : celle des mouvements de la gauche du XXe siècle, celle des revendications de justice et de restitution de la citoyenneté – affaiblie sous la dictature – ainsi que celle des différents mouvements sociaux de l’après-dictature.
La période 1990-2010, qui vit l’histoire de l’Unité populaire et de la dictature militaro-civile revenir dans l’actualité, était caractérisée par la mémoire dominante de la guerre froide (qui englobait la légitimation de la violence et la décadence de l’État républicain). Caractérisée par une faible intégration des droits de l’homme dans sa culture politique, elle fit en sorte de diminuer les responsabilités de la classe dirigeante et de faire vivre les accords passés dans un cadre politique oligarchique, qui favorisait la coexistence d’un secteur conservateur et pinochetiste avec un courant appelé, en démocratie néolibérale, de « centre-gauche ». Cette forme de mémoire a été combattue par les mouvements de défense des victimes par deux moyens : premièrement, une exigence de vérité et de justice devant les tribunaux, secondement, un appel à la mémoire politique, aux témoignages des victimes du terrorisme d’État et à la militance de gauche, reflétés par divers mouvements sociaux et événements marquants. Cette militance a, dans les controverses liées à la mémoire, posé certains actes forts : en 1991, face au Rapport Rettig, et en 1998, par l’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres en 1998 ; de même, en 2003, en pleine commémoration du 30e anniversaire du coup d’État militaire – qui réhabilita Salvador Allende comme leader du peuple –, elle s’est opposée avec droiture à la stratégie du pardon fomentée par le courant conservateur. Elle a, enfin, donné une forme aux témoignages de l’horreur, lors de la mise en place du programme « Pas d’avenir sans passé », à l’occasion de la déclaration du « Plus jamais cela de l’armée » en 2003 et au cours des débats provoqués par la publication du rapport Valech, en 2004. Le récit officiel de la mémoire n’a pas réussi à rassembler l’ensemble de la société ; les mémoriaux basés sur les rapports Vérité et Justice – sensés, dans la situation oligarchique actuelle, redonner sa place à une citoyenneté bafouée – ont résisté à ces tentatives d’explications en faisant appel au travail réalisé (expériences) et au travail d’analyse en cours.
Au cours de la période suivante (2010-2022), le regain d’intérêt pour le passé s’est poursuivi, dans la continuité des citoyens du XXe siècle qui exigeaient vérité et justice, encouragé par les recherches menées dans le champ de la mémoire des droits de l’homme. Celles-ci fournirent les cadres permettant d’analyser et de comprendre les processus de la dictature et leurs impacts sociaux. À cela se sont ajoutés de nouveaux mouvements citoyens qui dénoncèrent la continuité entre la dictature et les processus de transition, ceux-ci étant considérés comme les instruments politiques de la classe dirigeante pour consolider les inégalités et les privilèges. Durant cette période, l’élargissement de la mémoire permit, à partir de 2011, de faire connaître au grand public les politiques d’extermination, à partir d’expériences vécues et grâce à de nombreuses élaborations de souvenirs associés aux territoires et aux identités, de la part de divers agents sociaux. Ceux-ci eurent recours à l’histoire récente et à d’autres passés afin de renforcer les projets et les actions des mouvements sociaux qu’ils représentaient. Une étape cruciale a été la commémoration, en 2013, du 40e anniversaire du coup d’État, qui fut l’occasion de critiquer, sur le plan éthique, la classe dirigeante et ses politiques oligarchiques. Une critique des organismes liés à la politique officielle de mémoire – musée de la Mémoire et INDH – a également été effectuée au cours de l’année 2018. Les lieux et les communautés de mémoire ont joué un rôle décisif dans l’articulation de ces deux mouvements, via une stratégie constante de mise en relation du passé et du présent.
Une question incontournable a été celle des constantes références à la mémoire et aux droits de l’homme durant la période postdictatoriale. Si l’on considère les crise aiguës et réitérées du régime, entre 2019 et 2022, on peut constater, à partir de l’analyse des souvenirs, que le signe précurseur le plus clair de la crise avait déjà été mis en évidence dès la commémoration du 40e anniversaire du coup d’État, en 2013, lorsque la mémoire hégémonique de la Guerre froide et la rhétorique vide du pardon se sont évaporées face au poids des témoignages de la répression (diffusés via des émissions télévisées et des documentaires), qui touchèrent un large public. Dans ce contexte, la société s’est tournée vers le passé pour en rappeler la déshumanisation et, interrogeant les temps présents, a prononcé une sévère critique éthique de la classe politique dirigeante. Un point à souligner à partir d’aujourd’hui, en 2022, est le suivant : bien que les derniers mémoriaux sociaux prennent les droits de l’homme comme référence pour obtenir une reconnaissance, celle-ci s’est élaborée à partir de perspectives sectorielles, nécessitant par conséquent certains renforcements pour acquérir légitimité et reconnaissance, comme élément d’un collectif uni face aux structures néoconservatrices et fascistes actuelles qui ont tenté, sans succès, de diffuser dans la société des thèses négationnistes et d’implanter de nouvelles formes de guerre totale.
Notes
1
Enzo Traverso utilise le concept de violence globale pour désigner les formes de violence déployées dans les deux conflits mondiaux du XXe siècle et dans ceux qui leur sont dérivés : les guerres de décolonisation et la Guerre froide. Elles se caractérisent par l’implication d’une population nombreuse sur de vastes territoires, par le recours à l’extermination de l’adversaire et par la mise en œuvre de pratiques déshumanisantes, appuyées sur des technologies industrielles, dans l’objectif d’imposer aux vaincus un nouvel ordre politique, économique et culturel. Voir, « Interpretar la era de la violencia global », Nueva Sociedad, vol. 280, 2019 ; et L’Histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle, Paris, La Découverte, 2010.
2
Luis Corvalán, Del anticapitalismo al neoliberalismo en Chile. Izquierda, centro y derecha en la lucha entre los proyectos globales. 1950-2000, Valparaíso, América en Movimiento, 2018.
3
Un ordre caractérisé par le retour d’une vision régénératrice de la nation, héritée du XIXe siècle, fondée sur l’extermination de l’ennemi et sur une religiosité qui attribue au terrorisme d’État une mission rédemptrice. Ces traits sont typiques des fascismes latino-américains. Enzo Traverso, « Interpretar la era de la violencia global », Nueva Sociedad, vol. 280, 2019, p. 171.
4
Fabian González et Graciela Rubio, « Education, history, and memory in the Chilean school: A perspective on Chile’s recent history from the narratives of high school students », in Sebastián Plá et E. Wayne Ross (dir.), Social Studies and Citizenship Education in Latin America, New York, Routledge, 2022, p. 37-51.
5
Carlos Hunneus, La democracia semisoberana: Chile después de Pinochet, Santiago, Taurus, 2014.
6
Manuel A. Garretón y Roberto Garretón, « La democracia incompleta en chile: La realidad tras los rankings internacionales », Revista de Ciencia Política, vol. 30, no. 1, 2010, p. 115-148.
7
Le 18 octobre 2019 vit surgir une protestation sociale qui toucha tous les secteurs de la société chilienne, diverse, massive et soutenue, menée contre les profondes inégalités instituées par le néolibéralisme et cristallisées durant les trente dernières années. Face aux conflits qu’elles ont générés et aux demandes sociales qui en découlaient, les élites ont montré à la fois leur résistance et leur faiblesse, c’est-à-dire leur incapacité à répondre au sein du cadre démocratique participatif. L’État néolibéral, coopté par les élites, a contribué à la dévitalisation de la sphère publique en tant que référence partagée, pour favoriser la marchandisation et l’individualisation de la vie en société, creusant ainsi le fossé entre la politique et le politique. Matías Bargsted et Nicolás Somma, « La cultura política. Diagnóstico y evolución », in Carlos Hunneus et Octavio Avendaño (dir.), El sistema político de Chile, Santiago, LOM, 2018, p. 194-224. Plusieurs manifestations ont mis en évidence la crise du modèle. Celle de 2006, tout d’abord, avec le mouvement dit « des pingouins », ces élèves du secondaire dressés contre un État dont les aides financières, en matière d’éducation, favorisaient la concurrence et approfondissaient la segmentation de l’enseignement ainsi que les inégalités sociales. Elle a ensuite été suivie, entre 2011 et 2018, dans la capitale comme dans les provinces, par des manifestations composées de mouvements divers – indigènes, liés à un territoire, écologiques, féministes, etc. –, qui présentèrent des revendications économiques, culturelles, politiques et institutionnelles. On considère que leur absence de cohésion n’a pas permis, jusqu’à présent, de déboucher sur les transformations nécessaires. Celles-ci auraient permis de jouir d’une société plus égalitaire sur le plan social (conflits économiques) et politique (conflits politico-institutionnels) ainsi que plus respectueuse de sa croissante diversité et pluralité (conflits culturels) Mauro Basaure et Alfredo Joignant, « Las raíces de la conflictividad y radicalización de la protesta en Chile: lo que sabemos y lo que no », CIPER, 2019.
8
Andreas Huyssen, En busca del futuro perdido. Cultura y memoria en tiempos de globalización, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 2001.
9
Henry Rousso, La dernière catastrophe, Paris, Gallimard, 2013.
10
Année de la commémoration des trente ans du coup d’État militaire de 1973.
11
Ces récits, qui font partie de l’historiographie conservatrice, sont omniprésents dans la société – y compris dans l’univers académique –, touchant tous les domaines du savoir.
12
Steve Stern, Memorias en construcción: Los retos del pasado presente en Chile 1989-2011, Santiago, Museo de la Memoria y los Derechos Humanos, 2013.
13
La définition des différentes mémoires et les controverses qui en résultent sont fomentées par la société civile autant que par l’État. Voir : https://www.facebook.com/ReddeSitiosdeMemoria, http://villagrimaldi.cl/ et https://www.londres38.cl/1937/w3-channel.html
14
Norbert Lechner, Las sombras del mañana: la dimensión subjetiva de la política, Santiago, LOM, 2002.
15
Graciela Rubio, « Memoria histórica, ciudadanía y crisis moral de la esfera pública. Chile a 40 años del golpe militar de 1973 », Revista Clivajes, vol. 2, 2014, p. 1-29.
16
Alexander Wilde, « Un tiempo de memoria. Los derechos humanos en la larga transición chilena », in Katherine Collins et Alfredo Joignant (dir.), Las políticas de la memoria en Chile: Desde Pinochet a Bachelet, Santiago, Ediciones Universidad Diego Portales, 2013, p. 55-84.
17
Le projet constitutionnel de 2022 a inscrit, dans ses dispositions générales, la garantie du respect et de la promotion des droits de l’homme.
18
Envers lesquels s’exprima la toute-puissance et la « conscience unique » des tribunaux de guerre.
19
Elle fut accompagnée, pour justifier la douleur, d’une rhétorique toute chrétienne qu’est la martyrologie. Le discours de l’ancien président Patricio Aylwin et de ses conseillers considérait la nation comme une entité unique, constituée d’êtres créés par Dieu, dont la trajectoire historique se définissait par la recherche du salut qui, compte tenu de l’expérience historique du « peuple chrétien », peut passer par le martyre. Le pardon fonctionnerait alors comme un restaurateur de la démocratie et un moyen de réconciliation. Cependant, la réalité allait s’imposer de façon plus crue étant donné que, d’une part, personne ne se déclara comme « repenti » et que, d’autre part, les proches des victimes ne pardonnèrent rien et exigèrent que justice soit faite. Graciela Rubio, Memoria, política y pedagogía. Los caminos hacia la enseñanza del pasado reciente en Chile, Santiago, LOM-UMCE, 2013.
20
Cela renvoie au statut « intemporel » des détenus disparus, à l’absurdité de la disparition, aux limites légales et au concept – inventé de toutes pièces – de l’« enlèvement permanent ».
21
Conception basée sur le discours conservateur, issu de l’Espagne coloniale du XIXe siècle, axé sur l’ordre de l’État et le pouvoir des élites vertueuses. L’histoire de notre pays a toujours entendu le terme politique de réconciliation dans le sens de domination sur les vaincus, impliquant un apprentissage tactique sur la façon d’utiliser tous les moyens et procédés possibles (commutation des peines, grâces, amnisties, retour des exilés, avec ou sans réparation) permettant de rétablir la légitimité de l’État au détriment du citoyen et de sa mémoire. Ainsi, la rupture politique de 1973 et le retour à la démocratie de 1990 auraient pu faire place à la réconciliation ; un tel aboutissement – conforme à la tradition historique de soumission des vaincus – n’a cependant pas pu se faire, car le respect des droits de l’homme a cette fois été posé comme condition première à une réconciliation entre égaux.
22
Ángel Flisfisch, Derechos humanos política y poder, Documento de trabajo Flacso preparado para el seminario, Los derechos humanos y las ciencias sociales en América Latina realizado con motivo de la XII asamblea general de CLACSO, Santiago. 1983.
23
Le pragmatisme politique et une vision « salvatrice » de l’histoire, niant le respect des droits de l’homme comme principe de coexistence, ont sapé les politiques de mémoire et la restauration de la démocratie. En 2007, Patricio Aylwin a déclaré qu’on ne pouvait en apprendre davantage sur les disparus, « pour la simple raison qu’ils ont été tués et leur corps, jeté à la mer […]. Ce n’est pas du relativisme, mais du réalisme [...] si l’on regarde ce qu’il s’est passé dans ce pays après la dictature, en le comparant à n’importe quel autre, personne ne peut nous donner des leçons et prétendre avoir fait davantage que nous pour faire aboutir la vérité et établir des responsabilités. » (interview de Patricio Aylwin, El Mercurio, Santiago du Chili, 26 août 2007).
24
Alexander Wilde, « Un tiempo de memoria. Los derechos humanos en la larga transición chilena », in Katherine Collins et Alfredo Joignant (dir.), Las políticas de la memoria en Chile: Desde Pinochet a Bachelet, Santiago, Ediciones Universidad Diego Portales, 2013, p. 55-84.
25
Lettre préparée par la droite pinochetiste afin d’apaiser les débats passionnés, provoqués par l’incarcération et le procès d’Augusto Pinochet à Londres, et limiter leurs conséquences sur la stabilité de l’État ainsi que sur l’ordre en cours. La lettre montrait un Pinochet doté d’un regard historique « autocritique », utilisant la rhétorique du pardon : « Ceux d’entre nous qui croient au pardon et à la véritable réconciliation doivent continuer à travailler dur pour l’avenir. Le jour n’est pas loin où une nouvelle génération de compatriotes, regardant l’histoire de leur pays, découvrira l’importance de la prouesse d’avoir construit une société de Chiliens libres et dignes, une patrie meilleure pour tous – et non pour un secteur ou pour un parti, qui est celle que nous fûmes sur le point de connaître [...]. Alors que, sur ce continent et en particulier dans les pays qui me condamnent par des procès fallacieux, le communisme a assassiné des millions d’êtres humains au cours de ce siècle, je suis persécuté pour l’avoir vaincu au Chili, sauvant le pays d’une guerre civile potentielle. [...] Je suis totalement innocent de tous les crimes et faits qui m’ont été irrationnellement imputés. » (Augusto Pinochet, Lettre aux Chiliens, 1998).
26
Selon Wilde, le programme des droits de l’homme du ministère de l’Intérieur, créé en 1996 et qui avait discrètement soutenu le développement des causes judiciaires, a commencé à produire ses effets. Il sera renforcé par le gouvernement de Ricardo Lagos (2000-2006). Alexander Wilde, « Un tiempo de memoria. Los derechos humanos en la larga transición chilena », in Katherine Collins et Alfredo Joignant (dir.), Las políticas de la memoria en Chile: Desde Pinochet a Bachelet, Santiago, Ediciones Universidad Diego Portales, 2013, p. 55-84.
27
Ce phénomène a été exacerbé par l’affaire Riggs qui, en 2004, a mis en évidence le vol perpétré contre l’État par Augusto Pinochet et sa famille.
28
Il a également été envisagé une rencontre entre les auteurs de crimes et les familles des victimes afin que ces dernières pardonnent aux premiers.
29
Asociación de Familiares de Detenidos Desaparecidos (AFDD), « Carta de la Asociación de Familiares de Detenidos Desaparecidos », Revista Ercilla, vol. 36, no. 3216, 2003, p. 36.
30
Steve Stern, « De la memoria suelta a la memoria emblemática: hacia el recordar y el olvidar como proceso histórico », in Mario Garcés et al. (dir.), Memorias para un nuevo siglo. Chile: miradas a la segunda mitad del siglo XX, Santiago, ECO, 2000, p. 11-33.
31
Le gouvernement de Ricardo Lagos a cherché à récupérer la mémoire républicaine par le « blanchiment de La Moneda ». Le siège du gouvernement a été repeint en blanc, ce qui a changé la physionomie de l’édifice grisâtre bombardé en 1973. Dans ce qui fut une sorte de cérémonie, effectuée en 2003 devant les caméras de télévision, le président a symboliquement rouvert l’entrée du siège du gouvernement par la porte située au n° 80 de la rue Morandé, utilisée autrefois par le président Salvador Allende. Pour certains, le « blanchiment de La Moneda » ne fut qu’une opération de relations publiques, prétendant faire oublier ce qui, pour une partie de la population, ne peut l’être.
32
Ricardo Núñez, El Impacto de las Ideologías en el Respeto de los Derechos Humanos en el siglo XX, Santiago, CEP, 2005, p. 536.
33
Andrés Allamand, El Impacto de las Ideologías en el Respeto de los Derechos Humanos en el siglo XX, Santiago, CEP Chile, 2005, p. 44.
34
Norbert Lechner et Pedro Güell, « La construcción social de las memorias en la transición chilena », in Elizabeth Jelin et Susana G. Kaufman (dir.), Subjetividad y figuras de la memoria. Memorias de la represión, Buenos Aires, Siglo XXI., 2006, p. 17-46.
35
Cette intention sera discréditée, judiciairement et moralement, par la mise en accusation du général Juan Emilio Cheyre pour avoir participé à des violations des droits de l’homme, commises dans le cadre de ladite « caravane de la mort ». Ce détachement militaire, dirigé par le général Sergio Arellano Stark, a parcouru le pays au cours des premières années de la dictature avec pour objectif d’assassiner et de faire disparaître des prisonniers politiques. Cheyre fut accusé de complicité dans l’enlèvement et le meurtre de 15 personnes. Ces faits se produisirent en octobre 1973, alors qu’il était lieutenant au régiment de La Serena. Cheyre fut commandant en chef de l’armée de 2002 à 2006, dirigea l’Institut d’études internationales de l’université pontificale catholique du Chili, pour rejoindre ensuite le conseil de Servel, le Service électoral du Chili, qu’il dut quitter en 2016, lorsqu’il fit l’objet d’une enquête. Il fut poursuivi et, en 2019, condamné à trois ans de prison pour avoir couvert des exécutions (voir : Eva Vergara, « Chile: procesan y arrestan a excomandante jefe del ejército », apnews.com, 7 février 2019).
36
Précédé de la loi qui a créé l’Institut national des droits de l’homme (INDH) en 2009.
37
Andrés Allamand, El Impacto de las Ideologías en el Respeto de los Derechos Humanos en el siglo XX, Santiago, CEP Chile, 2005, p. 44.
38
Position d’Allamand, maître d’œuvre d’une politique d’accords qui posèrent des limites aux réformes du système démocratique établi depuis les années 1990 et qui proposèrent comme réalisables des changements acceptés par le courant pinochetiste et par la Concertation des partis pour la démocratie. Voir les transferts entre dictature et démocratie effectués par divers mandataires dans : José Del Pozo, Diccionario Histórico Político de la Dictadura Cívico Militar en Chile. Período 1973-1990 y sus prolongaciones hasta hoy, Santiago du Chili, LOM, 2018. La version nouvelle du pardon énoncée en 1990 apparaît désormais, dans l’idéologie néolibérale, comme un acte de conscience individuelle non réglementé, ni éthiquement ni juridiquement. La responsabilité assumée partage avec le pardon son caractère personnel et libre ; il faut alors « attendre » que ceux ayant violé les droits de l’homme (en se basant sur l’argument sur-idéologisé que ce sont « les autres » qui ont commencé) se décident à assumer leurs responsabilités. Andrés Allamand, El Impacto de las Ideologías en el Respeto de los Derechos Humanos en el siglo XX, Santiago, CEP Chile, 2005.
39
Mouvements sociaux – parmi ceux déjà mentionnés – en faveur de l’éducation, mouvements des proches des détenus disparus, de l’Église catholique, auxquels il faut ajouter l’Institut national des droits de l’homme ainsi que le musée de la Mémoire et des Droits de l’homme.
40
Il s’agit ici de l’action de l’État pour créer, organiser et financer les lieux qui, dans tout le pays, servirent aux actions cautionnées par la dictature : emprisonnements, tortures, exterminations et disparitions de personnes (voir le concept proposé par Theodor Adorno, Qué significa elaborar el pasado? Ensayos de la propaganda fascista. Psicoanálisis del antisemitismo, Buenos Aires, Paradiso Voces y cultura, 2005).
41
Une minisérie raconte l’histoire de Carmen Hertz, avocate accusant une longue carrière en faveur de la lutte pour les droits de l’homme. Cette œuvre, ainsi que d’autres, eurent un grand impact sur le public et mirent en évidence la réalité de la répression dans les territoires. À ces productions, il faut ajouter les travaux de Patricio Guzmán – Nostalgia de la Luz [Nostalgie de la lumière] (2010), El botón de nácar [Le bouton de nacre] (2015), La cordillera de los sueños [La Cordillère des songes] (2019) et Mi país imaginario [Mon pays imaginaire] (2022) –, qui explorent la richesse de la mémoire liée à cette période de régression historique et de violence concentrationnaire. Des émissions, présentées sur les chaînes nationales, abordèrent également différentes périodes de la répression dictatoriale, intégrant des témoignages de victimes et présentant le musée de la Mémoire comme un lieu de référence pour le souvenir : “Chile, las imágenes prohibidas” [Chili, les images interdites] (2013) et la série “Los archivos del Cardenal” [les archives du cardinal] (2011), qui reprend, du point de vue des défenseurs des droits de l’homme, l’histoire du vicariat de la solidarité durant la politique d’extermination.
42
L’accusation contre le général a été portée à la télévision par un fils survivant qui, en septembre 2013, a exigé sa démission, renversant la politique d’accords et de compromis passés entre l’armée et les gouvernements de la Concertation des partis pour la démocratie.
43
John Elster, Rendición de cuentas. La justicia transicional en perspectiva histórica, Buenos Aires, Katz Editores, 2006.
44
Sergio Micco, « Que el pedir perdón sea bienvenido », La Segunda, 7 septembre 2013.
45
Asociación de Familiares de Detenidos Desaparecidos (AFDD), « Carta de la Asociación de Familiares de Detenidos Desaparecidos », Revista Ercilla, vol. 36, no. 3216, 2003.
46
El Mostrador, « AFDD: ‘La justicia y la memoria son fundamentales para construir un país que se mire a la cara’ », El Mostrador, 8 septembre 2013.
47
Fernando Mires, « El perdón como coartada », El Mostrador, 13 septembre 2013.
48
Fernando Mires, « El perdón como coartada », El Mostrador, 13 septembre 2013.
49
Carlos Peña, « Cheyre y el pasado », El Mercurio, 18 août 2013.
50
El Mostrador, « Los 40 años del Golpe y la crisis de la moral pública chilena », El Mostrador, 6 septembre 2013.
51
Graciela Rubio, « Proceso constituyente y memoria social. El retorno del pueblo para un nuevo futuro. Chile 2019-2020 », in César De Vicente Hernando et Paulina Ramírez Lorca (dir.), Ahí donde todo comienza. Indagaciones sobre la Cantata Santa María de Iquique, Libros Corrientes – Centro de Documentación Crítica, 2020, p. 195-208.
52
Une lettre, adressée au ministre de la Justice par un groupe de députés appartenant à son courant politique, souhaitait faire pression sur le gouvernement afin qu’il assume un rôle de premier plan dans les questions relatives aux droits de l’homme, dans un contexte de tensions manifestes entre les positions idéologiques conservatrices et l’élargissement des droits réclamé par diverses organisations. Ce même groupe de parlementaires demanda également que des organisations telles que le musée de la Mémoire ou l’Institut national des droits de l’homme maintiennent une « position neutre de service public, au-dessus de la tendance politique du gouvernement en place ». Il exigea en outre, sans succès, le départ immédiat du directeur du musée de la Mémoire afin que le poste soit temporairement assumé par une « personne technique » et « apolitique », pour que le musée soit un lieu de rencontre « tourné vers l’avenir ». Voir : El Desconcierto, « Diputados UDI piden salida del director del Museo de la Memoria para que sea “un lugar de encuentro y con mirada de futuro” », El Desconcierto, 22 mai 2018.
53
Le CEP (Centro de Estudios Públicos) est un centre de recherches d’inspiration libérale créé en 1980, pendant la dictature. Sa mission est de définir des sujets de discussion, de développer des études traitant des politiques publiques, des idéologies et des processus mis en œuvre depuis la dictature jusqu’à nos jours, et d’en faire une diffusion spécialisée. Ses directeurs ont été des ministres ou des collaborateurs des gouvernements de droite.
54
David Gallagher, « El museo de la democracia », El Mercurio, 21 juillet 2017.
55
Steve Stern, Memorias en construcción: Los retos del pasado presente en Chile 1989-2011, Santiago du Chili, Museo de la Memoria y los Derechos Humanos, 2013.
56
Les productions destinées à « historiciser » la mémoire se sont développées depuis 2003 chez divers éditeurs à grande diffusion. Elles sont composées de récits biographiques et autobiographiques qui assimilent passé dictatorial et temps présents. En 2008, année du centenaire de la naissance de Salvador Allende, cette tendance s’accentue. Voir : Peter Winn, Steve Stern, Federico Lorenz et Aldo Marchesi, No hay mañana sin ayer. Batallas por la memoria histórica en el Cono Sur, Santiago du Chili, LOM, 2014, p. 205-326.
57
Plusieurs initiatives ont vu le jour, tel le Programme de recherche interdisciplinaire sur la mémoire et les droits de l’homme, constitué en 2016 afin d’étudier, de manière interdisciplinaire et collaborative, les effets politiques, sociaux, psychologiques, culturels et juridiques des périodes de violence politique intense, ainsi que la construction et la manifestation des processus mémoriels. Il est composé de diverses unités académiques de l’Université Alberto Hurtado, qui mènent des recherches dans lesquelles convergent différentes connaissances et expertises. Le Programme organise des activités et participe à des réseaux nationaux ainsi qu’internationaux afin de recenser les perspectives, les acteurs, les communautés et les différentes formes de répercussions possibles d’un sujet si complexe, qui suppose un défi permanent et a pour horizon le respect des droits humains fondamentaux.
58
En 2017, différents lieux de mémoire ont été patrimonialisés afin d’être préservés – en tant qu’éléments constitutifs d’un patrimoine des droits de l’homme – et protégés de l’extension immobilière ainsi que des politiques de gentrification néolibérale.
59
20 años sitio de memoria. Parque por la Paz Villa Grimaldi, Santiago, Parque Cultural Villa Grimaldi y Consejo Nacional de la Cultura y las Artes, 2017.
60
Voir les études analysant les liens entre l’histoire récente et l’explosion sociale de l’année 2019 : Lina Meruane, Zona ciega, Santiago, Ed. Penguin, 2021. Chronique politique, critique littéraire et biographie : Manuel Délano, Sebastián Alaniz, Karen Trajtemberg et Cristian Cuevas, Los años que dejamos atrás. 1988-1990. La transición chilena y La transición inacabada. El proceso político chileno. 1990-2020, Santiago du Chili, Ed. Catalonia, 2021. Mémoire, terrorisme d’État et déshumanisation : Nancy Guzmán, La venda sexy. La casa de la calle Irán 3037. Crónica de un centro de tortura, Santiago du Chili, Ed. Montacerdos, 2021 et Bonnefoy Miralles Páscale, Rodrigo Rojas De Negri. Hijo del exilio, Santiago du Chili, Ed. Penguin, 2021. Mémoires des gauches, reliant les jeunesses des décennies 1960 et 1980, le mouvement Pingouin et la révolte de 2019 : Vidaurrazaga Manríquez Ignacio, El Mir de Miguel. Crónicas de Memoria, vol. 1, 1960-1972, Santiago du Chili, Negroeditores, 2021. Sur les genres, dans des textes hybrides faisant dialoguer des historiens de l’art et interviews sur les biographies de femmes artistes sous la dictature et l’après-dictature : Lucia Egaña et Paulina Varas, na cartografía extraña. Producciones narrativas entre migración y arte, Santiago du Chili, Metales Pesados, 2021. Et, enfin, biographies des femmes artistes sous la dictature et l’après-dictature : Montero Claudia et Goecke Ximena (dir.), Entramado desafiante. Memoria, feminismo y arte, Valparaiso, Centro de Estudios Interdisciplinarios sobre Cultura Política, Memoria y Derechos Humanos – Université de Valparaiso, Chili, 2022.
61
Ricardo Brodsky fut directeur du musée de la Mémoire et des Droits de l’homme. Il dut démissionner de son poste pour avoir émis, dans le cadre d’une affaire de financement illégal de partis impliquant la société SQM ainsi qu’un large éventail de l’appareil politique, des documents désignés comme faux d’un point de vue idéologique.
62
Andreas Huyssen, « Prólogo », in Ricardo Brodsky, Las trampas de la memoria, Santiago du Chili, Flacso, 2018, p. 15.
63
Épigraphe utilisée poétiquement par le philosophe chilien Sergio Villalobos-Ruminott qui, paraphrasant l’écrivain Augusto Monterroso, décrivait le retour de l’expérience dictatoriale dans sa totalité, vécue en ces jours d’octobre 2019. Sergio Villalobos-Ruminott, Anatopía de la insurrección. (Revuelta de la teoría), Ediciones La moneda falsa, 2019.
64
« Il est mis à prix » : expression populaire signifiant, ici, que la tête du président est mise à prix ou offerte à quiconque souhaite le destituer et l’éliminer.
65
Graciela Rubio, « Proceso constituyente y memoria social. El retorno del pueblo para un nuevo futuro. Chile 2019-2020 », in César De Vicente Hernando et Paulina Ramírez Lorca (dir.), Ahí donde todo comienza. Indagaciones sobre la Cantata Santa María de Iquique, Libros Corrientes – Centro de Documentación Crítica, 2020, p. 224.
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