(IEP de Bordeaux, Université Bordeaux Montaigne - CEMMC)
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Romano Martinis, La Classe morte de Tadeusz Kantor (1975)
Entre politiques historiques et pratiques sur le terrain
Principaux dépositaires du « savoir enseigné » au niveau national, les manuels scolaires reflètent « les connaissances […] dont la société juge l’acquisition nécessaire à la perpétuation de ses valeurs et qu’elle souhaite en conséquence transmettre aux jeunes générations »1. Dans le contexte de la Russie postsoviétique, les débats que cristallisent les livres d’histoire depuis trois décennies témoignent du rôle que le récit du passé joue dans cette transmission de valeurs2. Cependant, les manuels scolaires édités à Moscou peuvent donner une image incomplète de l’histoire transmise dans les écoles. Or les musées, « dispositifs de représentation du passé »3 présents dans de nombreux établissements éducatifs russes, permettent de voir les usages scolaires de l’histoire au-delà des manuels et des programmes4.
Les musées scolaires russes se situent en général dans une pièce qui leur est dédiée ou, plus rarement, dans une salle de classe. Ils sont créés, entretenus et animés par les enseignants et les élèves. Dans certaines écoles, la participation des élèves au fonctionnement d’un musée est réduite voire inexistante ; dans d’autres, la préparation des expositions et des visites est une activité périscolaire à part entière. Un musée scolaire russe peut être historique en partie seulement, ou bien être consacré à une autre discipline, comme la littérature (notamment autour de la vie et de l’œuvre d’un écrivain). Il existe aussi des musées scolaires des beaux-arts ou d’arts décoratifs ; d’autres relèvent des sciences ou de l’histoire naturelle et proposent des expositions sur l’archéologie, la géologie, la biologie. Toutefois, la grande majorité des musées des écoles russes sont des musées d’histoire. Pour autant, ces derniers ne sont pas systématiquement placés sous la responsabilité d’un professeur d’histoire – parmi les responsables des musées, on trouve des enseignants de toutes disciplines. L’un des plus connus de Saint-Pétersbourg, le musée Et les muses ne se sont pas tues de l’école no 235, dédié à la vie culturelle pendant le siège de Leningrad, a été créé par un professeur de sport5. Un musée scolaire historique très visité du sud de la Russie est depuis de nombreuses années dirigé par un professeur de littérature6.
Les musées scolaires consacrés à l’histoire sont des lieux complexes, qui peuvent être approchés sous plusieurs angles. Les sciences de l’éducation peuvent y voir un support pédagogique pour l’enseignement de l’histoire ; la muséologie et l’histoire de la culture matérielle peuvent s’intéresser de près aux contenus des expositions et des collections. Pour l’histoire publique, ces lieux présentent un intérêt particulier car ils associent de nombreux acteurs et attirent un public varié : enseignants et élèves, mais aussi familles d’élèves, habitants du quartier, associations et autorités locales.
Au même titre que les manuels d’histoire, les monuments et les musées publics, ces musées scolaires peuvent être considérés comme des « lieux de mémoire »7. Le concept de Pierre Nora, permettant d’« étudier une large palette de phénomènes »8 est particulièrement pertinent ici parce qu’il vise d’abord des dispositifs « extrêmement idéologiques, pleins de nationalisme et loin d’être neutres ou dépourvus de jugements de valeur », « créés, inventés ou repensés pour servir l’État-nation »9. Cependant, le nombre très élevé de musées scolaires, leur éparpillement à travers le vaste territoire de la Fédération de Russie multiethnique et multiculturelle, ainsi que la variété des héritages historiques suggèrent que les visions du passé proposées par ces musées ne peuvent être que plurielles.
La présente étude appréhende ces musées comme des outils d’enseignement de l’histoire qui s’inscrivent dans une autre temporalité que les manuels ou les supports pédagogiques élaborés par les enseignants. Elle explore la façon dont les thématiques et les titres des expositions s’articulent avec les politiques historiques. Il s’agit d’analyser comment ces lieux essayent d’immortaliser l’histoire nationale et locale dans un contexte d’instabilité du discours officiel à propos du passé. Dans quelle mesure et de quelle façon ces changements affectent les contenus des expositions ? Les musées scolaires représentent une source inestimable d’informations sur les interprétations des politiques historiques sur le terrain – et ainsi sur les limites de ces politiques.
Les termes « politique historique » ou « histoire officielle » seront ici privilégiés aux notions telles que « grand récit »10 ou « master narrative »11, car, bien que ces dernières prévoient également une fonction légitimatrice, elles sous-entendent une adhésion plus large que celle dont bénéficiaient certaines politiques historiques postsoviétiques. Le terme « politique historique » qui s’inspire de la notion allemande « Geschichtspolitik » a été largement adopté par les chercheurs russes qui s’intéressent à la façon dont la politique et l’histoire s’articulent en Russie12. Les débats sur les rapports entre les notions « politique historique » et « politique mémorielle » se poursuivent13. Ils suggèrent que l’expression « politique mémorielle » peut désigner des processus plus larges, ou de nature différente, que « politique historique ». Dans tous les cas, nous estimons que cette dernière expression est appropriée pour décrire les phénomènes placés au cœur de cette étude, car elle traduit l’idée d’un interventionnisme de l’État dans le domaine de l’histoire académique, publique et scolaire.
La mobilisation des différentes ressources, notamment administratives et économiques, par le « parti au pouvoir » dans le but d’instrumentaliser le passé14 caractérise l’URSS comme la Russie des années 2000-2010. En URSS, l’État-parti a progressivement instauré le monopole quasi absolu sur l’histoire académique, scolaire et publique. Les questions importantes relevant de différentes autorités étaient soumises à l’approbation des structures compétentes du PCUS. Certes, dans l’URSS stalinienne15 comme poststalinienne16, les lectures et les appropriations du discours idéologique pouvaient être très variées. Cependant, l’institution scolaire représentait une vitrine de ce discours. Si des pratiques éphémères pouvaient y échapper17, tout ce qui s’inscrivait dans la durée, comme les manuels ou les musées scolaires, pouvaient difficilement s’en écarter.
Dans la Russie des années 2000 et surtout 2010, des mécanismes plus complexes, opaques et moins intrusifs ont peu à peu été mis en place. Ils comprennent les différentes formes d’encadrement de l’histoire académique, publique et scolaire, et d’influence dans ce domaine. Parmi les acteurs de la nouvelle politique historique, on peut nommer le président et son Administration18, les ministres, mais aussi de nombreux « sous-traitants » formellement indépendants, tels que sociétés savantes, think-tanks et fondations. Les années 1990 ont représenté à cet égard une exception, car à cette époque, les représentations du passé étaient définies par plusieurs forces et acteurs concurrents (partis politiques, autorités régionales, divers mouvements, ONG, etc.), ce qui incite à parler plutôt des politiques mémorielles19.
Les répertoires des musées scolaires du Centre fédéral de tourisme de jeunesse constituent la principale source exploitée dans le cadre de l’étude20. Ces tableaux, disponibles pour 41 sujets de la Fédération de Russie21, ont permis de recueillir des informations sur 5204 musées, ce qui représente environ la moitié des musées scolaires russes. Leur nombre total s’élèverait à 11 00022, ce qui veut dire qu’environ un quart des 41 300 écoles23 posséderaient un musée. Les fiches sur chaque musée contiennent les informations suivantes : date d’enregistrement et numéro du certificat ; localité (ville, village…) ; nom de l’établissement ; nom du musée, orientation thématique ; principales sections ; année d’ouverture ; adresse ; nom de l’enseignant responsable. L’étude s’appuie surtout sur une analyse quantitative de ces tableaux, notamment en ce qui concerne l’âge, la localisation, et l’orientation des musées. En outre, les titres des expositions ont fait l’objet d’une analyse thématique et lexicale.
Ces données ont cependant quelques limites. Incomplètes pour certaines régions, elles n’enregistrent aucun musée créé après 2014 et ne sont donc pas à jour. De même, les musées qui ont fermé avant la collecte de ces données, notamment dans les années 1990, n’y figurent pas. Elles reflètent par ailleurs l’état d’un musée à un moment donné et ne permettent pas de connaitre son évolution. L’analyse des répertoires des musées a donc été ponctuellement complétée par l’analyse des sites web d’établissements scolaires. En effet, la loi sur l’éducation adoptée en 2012 oblige les établissements d’enseignement russes de créer et d’entretenir un site Internet24. Le site d’une école offre parfois des informations détaillées sur les expositions, l’histoire et les actualités de son musée. Certaines pages proposent des photos, des vidéos, des diaporamas et même des visites virtuelles en 3D. Enfin, une étude sur le terrain a été entreprise en octobre 2019 dans le kraï de Krasnodar, et trois entretiens ont été menés avec les professeurs responsables des musées scolaires : deux à Krasnodar et un dans le village de Krasnaïa Poliana situé dans le Caucase du Nord et administrativement rattaché à Sotchi.
L’histoire des musées scolaires en Russie
La présence d’un ou plusieurs musées dans de nombreuses écoles russes est le résultat de différents processus qui ont marqué les deux derniers siècles de l’histoire de l’enseignement secondaire en Russie. Dans la Russie impériale, le système de l’éducation laïque qui s’est mis en place au cours du XVIIIe siècle était en partie influencé par le modèle allemand. Or, les établissements scolaires allemands de l’époque étaient souvent dotés d’un musée25. Un autre modèle dont s’inspire l’école laïque russe est l’université, qui, en Russie comme ailleurs, pouvait posséder des collections scientifiques, notamment botaniques et minéralogiques. Ainsi, vers la fin du XIXe siècle, plus de 150 établissements scolaires russes accueillaient un musée26. Par ailleurs, le premier musée de Sibérie qui a ouvert ses portes à Irkoutsk en 1782 était un musée scolaire27.
Au début, les collections, perçues comme supports pédagogiques, relevaient surtout de l’histoire naturelle. Cependant, grâce à la reconnaissance, bien que limitée, du rôle des « études du pays natal » [rodinovedenie] dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie, les musées scolaires se sont enrichis de collections ethnographiques. Malgré tous les bouleversements que le système éducatif a connus suite à la révolution bolchévique de 1917, les « études locales » [kraevedenie] constituaient toujours une dimension importante dans la formation de la jeunesse. Si le mouvement spontané et populaire d’ethnographes régionaux, après avoir connu un âge d’or dans les années 1920, a été étouffé sous le contrôle administratif et idéologique, l’école était au contraire encouragée à poursuivre ce type d’activités. Les établissements scolaires accueillaient des expositions présentant des artisanats locaux, ainsi que les découvertes faites dans le cadre des expéditions touristiques et ethnographiques des écoliers. Ces dernières se sont beaucoup développées à partir de 1932, avec la création de la Station centrale pour les excursions et le tourisme d’enfants auprès du Commissariat du peuple à l’Éducation28.
La Grande guerre patriotique29 a radicalement changé le rôle et l’orientation des musées scolaires en URSS. Dès les années 1950, certains établissements voient apparaître des « coins de gloire militaire », petits espaces commémoratifs qui rendent hommage aux anciens élèves ayant combattu pendant la guerre. À partir du milieu des années 1960, époque marquée par la naissance d’un grand culte centralisé de la guerre de 1941-194530, de nombreux « coins de gloire militaire » dont la création est désormais officiellement encouragée par le Komsomol, deviennent musées à part entière. Ils jouent un rôle actif dans la diffusion de la matrice symbolique de la guerre et dans la glorification de ses héros en apportant une dimension locale au grand récit officiel31. Leurs expositions s’enrichissent de nombreuses nouvelles pièces : armes, munitions, casques, uniformes, effets personnels des soldats, ainsi que lettres et objets qui reconstituent la vie quotidienne pendant la guerre. Ces pièces représentent le fruit de l’activité d’un vaste mouvement qui était connu à l’origine sous le nom d’« éclaireurs rouges » [krasnye sledopyty], avant de devenir « le mouvement de recherche » [poiskovoe dviženie].
Né en 195732, ce mouvement est devenu l’un des piliers de l’éducation patriotique soviétique. Il réunissait principalement des élèves du secondaire encadrés par des enseignants et par des chefs et cheftaines Pionniers. Ce mouvement fédérait des « brigades de recherche » [poiskovye otrjady] qui organisaient des expéditions et des fouilles sur les anciens champs de bataille et recueillaient les informations sur les anciens combattants. Bien qu’à l’origine, les « éclaireurs rouges » pouvaient s’intéresser à tous les aspects de l’histoire et de la culture locale, le mouvement s’est progressivement focalisé sur la guerre de 1941-1945, notamment grâce aux grandes campagnes, telles que l’expédition nationale des écoliers et de la jeunesse Écrire les chroniques de la Grande guerre patriotique lancée en 198133.
Les musées scolaires offraient une possibilité unique de mettre en valeur les découvertes historiques et les objets trouvés par les brigades de recherche, d’autant plus que souvent, les deux activités allaient de pair et étaient encadrées par les mêmes enseignants. Ainsi, les années 1970-1980 ont vu apparaître, à travers toute l’URSS, des centaines de nouveaux musées scolaires, consacrés en majorité à l’histoire de la Grande guerre patriotique. La procédure de certification [pasportizacija] établie dans les années 1970 leur permettait d’obtenir un statut officiel et d’augmenter leur visibilité. Dans de nombreux villages reculés, le musée de l’école était le seul et unique lieu susceptible de raconter l’histoire de la localité et de ses habitants, et la frontière entre le statut d’un musée scolaire et celui d’un musée public était parfois purement formelle.
Après la chute de l’URSS, de nombreux musées scolaires ont fermé en Russie, parfois en même temps que les établissements qui les hébergeaient. Certains nouveaux musées sont néanmoins apparus au cours des années 1990, malgré l’absence de soutien ou d’encouragement de la part de l’État. Comme avant, leurs expositions étaient surtout consacrées à la Grande guerre patriotique, d’autant plus que le « mouvement de recherche », leur traditionnelle source d’approvisionnement en objets et en informations, n’a point disparu avec la Pérestroïka et la fin de l’URSS. Les membres des brigades, les poiskoviki, incarnaient désormais la volonté de retrouver les corps des soldats abandonnés sur les champs de batailles et d’opposer leurs biographies au récit officiel trop désincarné de la guerre. La création de nouveaux musées scolaires s’est fortement intensifiée depuis le début des années 2000, époque d’un réengagement progressif de l’État dans le domaine de l’histoire et de l’éducation. La nouvelle conception de l’éducation patriotique des jeunes encourage l’ouverture de musées dans des établissements scolaires. En 2017, lors d’une conférence sur le sujet, il a été suggéré que le classement des meilleurs établissements scolaires de Moscou tienne compte de la présence d’un musée, lorsque celui-ci contribue à l’éducation patriotique des élèves34.
Il est en effet significatif que les informations sur le musée se trouvent souvent dans la rubrique « éducation patriotique » ou « éducation militaire et patriotique » du site d’un établissement. Dans la Russie des années 2000 et 2010, la notion du patriotisme peut être revêtue, en fonction des contextes, de significations très variées (ethnocentrique, religieux, écologiste, etc.). Il peut tout à fait s’inscrire dans un discours contestataire35. Cependant, dans le cadre scolaire, l’idée du patriotisme est très souvent dotée d’une connotation militaire36. Cette tendance a été critiquée dès le milieu des années 2000 par Léonid Katsva, professeur d’histoire et auteur des manuels37, ainsi que par le journal consacré à l’école Pervoe sentiabria. Il faut cependant se garder d’y voir la réponse directe aux programmes quinquennaux d’éducation patriotique des citoyens mis en place depuis 2000, bien que leur composante militaire soit très forte. Les enseignants les voient souvent comme des coquilles vides38. Malgré cela, leur perception personnelle du patriotisme rejoint souvent ces programmes dans la volonté de préparer les élèves à « défendre la Patrie » et de mettre en avant l’histoire militaire. En effet, les trois responsables des musées scolaires interrogés étaient sincèrement persuadés que la mise en valeur des batailles et des héros de la Grande guerre patriotique contribue positivement à l’éducation des jeunes. Ces accents militaires n’impliquent pas nécessairement une adhésion inconditionnelle au projet politique actuel. Les clubs « militaires et patriotiques » [voenno-patriotičeskie kluby], souvent affiliés à des écoles, peuvent par exemple s’appuyer sur le passé monarchique ou sur la nostalgie de l’URSS, et intégrer ainsi une forme de contestation implicite39. Comme de nombreux musées scolaires, ces clubs représentent des lieux où se créent des liens sociaux.
Si certains musées scolaires russes sont « figés » (l’enseignant ou l’élève formé fait visiter des expositions qui n’ont pas changé depuis des décennies), d’autres vivent et se renouvellent et permanence. Les collections sont enrichies grâce aux expéditions organisées par la « brigade de recherche » ou le club patriotique de l’école, du quartier ou du village ; grâce aux habitants locaux qui sont sollicités par les élèves, ou qui apportent spontanément au musée ce qu’ils considèrent comme faisant partie de l’histoire40 ; grâce aux projets de recherches individuels des élèves soumis aux très nombreux concours régionaux et nationaux. Beaucoup de musées scolaires entretiennent un tissu de partenariats plus ou moins formels. C’était le cas de trois musées de Kouban que nous avons étudiés. Le musée de l’école no 30 de Krasnodar cultive des liens étroits avec une association des anciens combattants du quartier, ainsi qu’avec les anciens élèves. L’un d’eux, devenu journaliste, a offert au musée les copies des images d’archives représentant la ville pendant l’occupation41. Le musée de l’école no 24 de Krasnodar, dont l’exposition principale est consacrée au célèbre colonel de l’armée de l’air de la Grande guerre patriotique Timofeï Khrioukine, a établi un contact avec le fils de l’aviateur. Celui-ci a offert au musée les copies des documents des archives familiales42. Un ancien élève de l’école no 65 de Krasnaïa Poliana a financé l’achat de plusieurs objets de valeur pour son musée qui ne cesse de grandir43.
Le musée de l’école no 65 de Krasnaïa Poliana (Sotchi).
Les collections riches et bien présentées sont une source de motivation pour ouvrir le musée scolaire à un public plus large que les élèves de l’établissement, pour lesquels il s’agit d’abord et avant tout d’un support pédagogique. De nombreux musées scolaires accueillent des groupes des établissements voisins (écoles secondaires, maternelles et lycées professionnels) et d’autres invités (vétérans, écrivains, artistes, délégations officielles, y compris étrangères). Ils participent aux journées portes ouvertes de l’école et à la Nuit des Musées. Cependant, les musées scolaires russes peuvent difficilement rivaliser avec les musées publics à cause de leur emplacement. Ils se trouvent dans des bâtiments dont l’accès est restreint par les dispositifs de lutte contre le terrorisme et de protection des élèves. L’invitation ou l’autorisation d’un professeur ou du directeur de l’établissement est nécessaire pour organiser une visite. D’ailleurs, les deux musées scolaires très populaires mentionnés dans l’introduction ont un point en commun : ils se trouvent dans un local séparé du bâtiment principal de l’école et sont accessibles depuis l’extérieur.
Choisir son passé
Les répertoires des musées scolaires de Russie, ainsi que les sites de certains établissements qui peuvent fournir des informations plus détaillées sur le contenu des expositions, témoignent de la grande diversité d’aspects du passé qui y sont abordés. Les expositions peuvent explorer l’histoire nationale ou locale, l’histoire de l’éducation en général ou celle d’une école en particulier, la biographie d’une personne illustre, l’histoire et la culture des groupes ethniques autochtones, etc.
Certains musées couvrent une période assez large, témoignant parfois de l’étonnante facilité avec laquelle les enseignants puisent dans le passé impérial, soviétique et postsoviétique pour construire un récit susceptible d’inspirer la fierté. Cette volonté de mettre en valeur les différentes époques est en partie tributaire de la politique historique des années 2000 et 2010 qui s’articule autour d’une « narration éclectique »44 basée sur la continuité entre les différentes étapes de l’histoire de l’État russe.
Dans les musées scolaires, cet éclectisme crée une mosaïque d’éléments parfois contradictoires. Ainsi, dans des régions historiquement marquées par la présence des cosaques, de nombreuses expositions valorisent cette dimension de l’histoire locale. À côté de ces sections, on en trouve parfois d’autres qui glorifient les mouvements des Pionniers et des jeunesses communistes, même si l’inimitié entre les cosaques et le régime bolchévique est bien connue. De même, un musée peut mettre simultanément en valeur le passé soviétique marqué par un athéisme militant, et l’héritage religieux, orthodoxe, musulman ou bouddhiste. Ainsi, le musée de l’école du village Borok de l’oblast de Kostroma accueille, parmi d’autres, des expositions sur l’« Histoire de l’organisation des Pionniers » et sur la « Culture orthodoxe ». Dans le musée de l’école du village Polianskoïé de l’oblast de Koursk on trouve des expositions intitulées « L’orthodoxie dans l’histoire de la région » et « La période de l’organisation des kolkhozes et les succès laborieux de la période soviétique ». Le musée de l’école du village Kostrova de la même région héberge les expositions « Le mouvement des partisans [rouges] pendant la guerre civile » et « Ma patrie orthodoxe ».
De nombreux musées scolaires russes se limitent toutefois à l’histoire de l’époque soviétique, et dans leur immense majorité, ils gardent des traces profondes des politiques historiques soviétiques. Les expositions rendent hommage aux combattants « rouges » de la guerre civile, aux travailleurs des usines et des kolkhozes, aux mouvements des jeunesses communistes. Trois exemples permettent de voir que le discours officiel soviétique a durablement marqué le récit du passé dans les musées scolaires fondés avant ou après la chute de l’URSS.
Le premier exemple concerne la présentation des organisations des jeunesses communistes : celle des Pionniers, qui accueillait les jeunes âgés de 9-14 ans, et le komsomol pour les jeunes de plus de 14 ans. La fin de l’URSS sonne le glas de la présence de ces structures dépendantes du PCUS au sein des établissements scolaires. L’interdiction formelle d’accueillir des cellules des partis politiques est inscrite dans la première loi sur l’éducation postsoviétique45 qui reflète la volonté de désidéologiser l’enseignement secondaire. Cependant, 8,2 % des musées recensés contiennent au moins une exposition consacrée aux Pionniers et/ou au komsomol. Certes, on peut avancer un argument selon lequel les mouvements des jeunesses communistes font partie intégrante de l’histoire de la grande majorité des établissements scolaires, et à ce titre il est tout à fait logique de leur consacrer une exposition. Cependant, ces organisations représentent parfois l’unique aspect du passé de l’établissement qui est évoqué. Il arrive aussi que les titres des expositions invitent à considérer cette page de l’histoire sous un angle explicitement positif : « Le glorieux mouvement des Pionniers » (musée fondé en 1979, république de Tatarstan), « L’écho des belles années chez les Pionniers ; ma jeunesse chez les komsomols » (musée fondé en 2002, république de Tatarstan), « Être Pionnier signifie être le premier » (musée fondé en 2007, kraï de Krasnoïarsk, et musée fondé en 2005, oblast de Smolensk), ou encore « Les Pionniers, notre passé et notre avenir » (musée fondé en 2002, république de Tatarstan).
Le second exemple concerne la présentation de la Grande guerre patriotique. Environ 70 % des musées analysés accueillent au moins une exposition dédiée à la période 1941-1945. L’aspect patrimonial tout comme l’aspect discursif de ces expositions véhiculent la mémoire de la guerre telle qu’elle s’est constituée à l’époque soviétique. Ainsi, les pièces affichées évoquent principalement la dimension militaire de l’évènement : cartes d’opérations, étendards des unités de l’armée, photographies du matériel militaire et des combats, armes et munitions. La vie quotidienne et le sort des différentes catégories de la population pendant la guerre ne sont pas toujours abordés46. Cela s’inscrit tout à fait dans la tradition soviétique : dans les manuels scolaires d’histoire publiés entre 1952 et 1988, seulement 10 % à 20% du texte des chapitres sur la Grande guerre patriotique était consacré à la vie des populations civiles sous l’occupation (en dehors du mouvement des partisans), ou à l’arrière-front.
Un stand du musée de l’école no 30 de la ville de Krasnodar.
De plus, les titres des stands reproduisent un certain nombre de formules rituelles typiques du discours soviétique à propos de la Grande guerre patriotique. Ainsi, la phrase « Rien n’est oublié, personne n’est oublié » du texte composé par la poète Olga Bergholtz pour le mémorial des victimes du siège de Leningrad inauguré en 1960, apparaît dans 186 musées. Ils ont combattu pour la Patrie, titre du célèbre film soviétique de 1975, est repris par 156 musées. La phrase « Le monde sauvé se souvient », qui provient de la chanson « Les moscovites » composée en 1957, a servi de titre d’exposition dans 29 musées, dont certains ont été fondés dans les années 2000 et 2010 – ce qui témoigne de la difficulté à élaborer un nouveau langage pour évoquer le conflit qui a marqué l’histoire nationale.
Enfin, la perception de la guerre d’Afghanistan (1979-1989) atteste que les acteurs sur le terrain peuvent, malgré l’évolution du discours officiel, rester attachés aux lectures soviétiques des évènements. Les politiques mémorielles de la fin de la Pérestroïka affichaient une vraie remise en cause du discours officiel légitimant cette opération militaire. Selon la nouvelle vision officielle de la guerre, formulée en 1989 et toujours en vigueur47, la décision d’introduire les troupes soviétiques en Afghanistan « mérite une condamnation politique et morale »48. Dans les sondages menés en 2005, 2010 et 2014, la guerre en Afghanistan apparaît comme le plus injuste des conflits dans lesquels la Russie a été impliquée au cours du XXe siècle49. Cette rupture discursive survenue à la fin de l’époque soviétique a peu affecté les musées scolaires, très nombreux à commémorer la guerre en Afghanistan et les anciens élèves morts au combat. Parmi les titres des expositions, une formulation s’avère particulièrement intéressante : « Ils ont accompli leur devoir international ». Elle apparaît dans cinq musées, tous fondés après la chute de l’URSS : le premier a été créé en 1998, les quatre autres dans les années 2000. Il s’agit d’un vestige du discours soviétique qui tendait à présenter toute intervention militaire de l’URSS à l’étranger en termes d’obligation à soutenir « le prolétariat international ». Les fondateurs des musées scolaires ont ainsi pris la liberté d’introduire une formulation allant à l’encontre de la vision officielle de l’évènement, et se sont montrés précurseurs de la très récente intention de remettre en question cette vision.
Lieux de mémoire, lieux de l’oubli
L’attachement aux paradigmes soviétiques peut en partie s’expliquer par l’idée dominante et largement partagée par les hommes d’État russes, selon laquelle l’enseignement de l’histoire implique une vision foncièrement positive du passé national50. Les enseignants en charge des musées scolaires semblent partager cette approche. Certes, certains musées intègrent les récits des tragédies très locales, tout en évitant d’évoquer les controverses qui y sont associées51. Ainsi, un hommage à l’équipage du sous-marin atomique Koursk qui a péri en 2000 est rendu au musée de l’unique école du village Vidiaevo (oblast de Mourmansk) où vivait la plupart des familles des marins. De même, la principale exposition du musée de la nouvelle école de Beslan (Ossétie du Nord) est consacrée aux victimes de l’attentat perpétré en septembre 2004 dans l’ancienne école no 1 de la ville. Dans l’ensemble néanmoins, les musées scolaires russes traduisent une grande difficulté à intégrer des éléments peu glorieux ou contradictoires du passé, même si ces derniers ont profondément marqué l’histoire régionale ou locale. Lieux de mémoire, ces musées sont aussi de véritables lieux de l’oubli.
Cet oubli peut être illustré par les musées situés dans des régions historiquement non-slaves, et notamment dans des républiques et des districts autonomes. En Russie, au moins 10 % du volume total d’heures d’enseignement doit être consacré à la « composante régionale (ou ethnique ou régionale) »52, qui peut être répartie entre différentes matières (telles que l’histoire, la géographie, la littérature ou l’art), ou bien constituer une matière séparée. Les politiques éducatives régionales encouragent les établissements à mettre en valeur l’histoire et la culture des peuples autochtones, y compris dans les musées scolaires. Cependant, la présentation de ces ethnies y est souvent folklorisée, et les conflits qui ont accompagné leur soumission et le rattachement de leurs territoires à la Russie sont oubliés ou escamotés. Si la responsable du musée de l’école de Krasnaïa Poliana a mentionné, lors de la visite guidée individuelle53, le départ forcé des groupes ethniques Tcherkesses dans les années 1860, cette page de l’histoire locale n’est pas représentée dans la partie textuelle des expositions. Le stand qui raconte la guerre du Caucase (1817-1864) frappe par sa partialité. Les images présentent surtout les Russes, notamment l’empereur, les princes et les généraux. Bien que l’image du principal chef du camp opposant, Chamil (qui n’est pas appelé ici « Imam Chamil »), soit présente, elle est accompagnée d’extraits de deux lettres, rédigées après sa capitulation et son exil à Kiev, dans lesquelles il exprime sa gratitude, son respect et sa soumission à l’empereur et à sa « nouvelle Patrie », la Russie. On s’étonne par ailleurs de la seconde image de cette partie du stand qui représente « Chouaïnat, la femme de Chamil » : la polygamie de Chamil se trouve elle aussi occultée. De manière générale, la crainte d’attiser les tensions ethniques et religieuses ne favorise pas la présentation objective de l’expansion territoriale russe, et incite souvent à l’exclure du récit.
L’extrême rareté d’informations sur les dimensions répressives du régime soviétique constitue un autre aspect, sans doute le plus frappant, de cette amnésie. Seuls 33 musées parmi les 5204 recensés (0,6 %) contiennent des expositions consacrées aux répressions, à la grande Terreur, aux camps du réseau Goulag et aux déportations. Ce constat est sans doute lié à l’absence de condamnation ferme et explicite des crimes du communisme dans la Russie postsoviétique et au discours ambigu du pouvoir actuel lorsqu’il s’agit d’évoquer la figure de Staline54. Les chefs d’État russes continuent certes à condamner la terreur stalinienne55 – même si ces condamnations se font de plus en plus rares. Mais Staline a été volontairement réintroduit dans le culte de la Grande guerre patriotique. Vladimir Poutine prône une approche « équilibrée » de l’histoire, qui ne diminue pas les crimes du stalinisme et n’exclut pas non plus les mérites de Staline dans la restauration de la puissance russe56. Dans tous les cas, le gouvernement post-eltsinien se garde de rejeter en bloc l’héritage de l’époque de Lénine et de Staline57. Sur ce point, les musées scolaires sont en phase avec les politiques historiques qui n’encouragent pas la diffusion de la mémoire des répressions. La situation actuelle de l’ONG Mémorial, déclarée « agent étranger » en 2013, ne facilite pas les choses. Le concours annuel de travaux de lycéens organisé par l’ONG incite les jeunes à explorer les pages tragiques de l’histoire locale ou familiale. Depuis 2016, le concours subit toute sorte de pressions, informelles comme officielles, ce qui n’encourage pas les enseignants à y faire participer leurs élèves. Or, les recherches d’élèves font partie des principales sources qui alimentent les collections des musées scolaires et poussent à créer de nouveaux stands.
Seuls de rares musées, situés en général dans des villages reculés de Sibérie ou d’Extrême-Orient, osent parfois aborder cette page du passé local. Ainsi, le musée du village Tomtor dans le district d’Oïmiakon (République de Iakoutie) qui se nomme officiellement « Musée de littérature et d’études locales » est en réalité consacré aux poètes et écrivains déportés à Kolyma. Depuis sa fondation en 1992, il est dirigé par Maria Boyarova, une professeure pleine d’enthousiasme58 et auteure d’un livre sur les poètes et les écrivains que les répressions ont forcées à s’installer dans la région59. Les expositions consacrées aux victimes locales des répressions ou à ceux qui ont purgé leur peine dans la région peuvent être trouvées dans plusieurs autres musées scolaires, par exemple dans le musée de l’école du village Bitchoura en Bouriatie.
Les déportations des années 1930 et 1940 pour des raisons ethniques représentent un autre aspect des politiques répressives staliniennes que les musées scolaires peinent à aborder, bien qu’il s’agisse d’un fait connu et bien étudié en Russie. Selon le géographe et ethnographe Pavel Polian, dix ethnies ont été victimes des « déportations totales » à l’époque soviétique : les Coréens, les Allemands, les Ingriens, les Karatchaïs, les Kalmouks, les Tchétchènes, les Ingouches, les Balkars, les Tatars de Crimée et les Turcs Meskhètes60. Plusieurs dizaines d’autres ont subi des déportations partielles. La majorité des déportations a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. « Envoyés au bas de l’échelle sociale et géographique »61, ces ethnies ont été privées de tous les droits et instances représentatives dont ils bénéficiaient au sein du système fédéral soviétique. Une série de décrets, dont les premiers datent de 1956, a permis à certains « peuples punis » de recouvrer leurs droits et parfois même l’autorisation de revenir sur leurs terres. Il a fallu attendre 1989 pour que ces transferts forcés soient condamnés par le Soviet Suprême62. Bien que depuis le « dégel », la question des déportations est abordée d’une façon marginale et fragmentaire par l’histoire académique soviétique63, elle n’est pas évoquée dans des manuels scolaires d’histoire, même ceux de la Pérestroïka64. L’historiographie postsoviétique peine à son tour à explorer ce sujet dans toute sa complexité65, et les musées scolaires russes ne se sont pas empressés à s’en emparer.
Selon les données dont nous disposons, les déportations ethniques sont évoquées dans quatre musées scolaires : un en République de Tchétchénie (titre de l’exposition : « Les objets ayant connu la déportation »), un dans le kraï de Krasnoïarsk ( « Les répressions : les villages déportés ») et deux en république de Karatchaïevo-Tcherkessie (« Au sujet de la déportation du peuple Karatchaï » et « Au sujet de la déportation des peuples du Caucase »66). Comme dans le cas d’expositions dédiées aux camps du Goulag et à la grande terreur, ce faible intérêt pour les déportations contraste fortement avec l’ampleur du phénomène qui a fait des milliers de victimes.
La Shoah sur les territoires soviétiques occupés par l’Allemagne nazie constitue un autre élément du passé ignoré par les enseignants en charge des musées scolaires. Comme dans le cas des répressions staliniennes, cette ignorance est liée à l’ambiguïté des politiques historiques. Si à l’échelle mondiale, ou tout au moins occidentale, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est indissociable de celle de la Shoah67, ce n’est pas le cas en Russie qui se caractérise par une très faible intégration du récit de l’extermination systématique des Juifs par l’Allemagne nazie et ses alliés dans la mémoire nationale de la Grande guerre patriotique. Dans l’omniprésent discours à propos de la guerre, les références à la Shoah font figure d’exception. Cela est d’autant plus paradoxal qu’à l’ouest et au sud du territoire actuel de la Russie se trouvent des zones qui ont été occupées pour une période plus ou moins longue pendant la guerre. Les Einsatzgruppen, parfois avec l’aide des polices locales, y ont entrepris une extermination méticuleuse des Juifs. Le nombre de victimes de la Shoah sur le territoire de la Russie dans ses frontières de 1941 s’élève à 144 000 personnes68, et 24 sujets fédéraux de la Russie actuelle ont été touchés par la mise en œuvre de « la solution finale » pendant la guerre.
Contrairement à l’URSS, la Russie postsoviétique n’a jamais manifesté d’opposition, tout au moins formelle, à la diffusion de la mémoire du génocide des Juifs par les nazis. Dans le discours politique, cette mémoire est même parfois instrumentalisée dans les « guerres de mémoire », où elle sert à défendre le récit officiel russe de la Seconde Guerre mondiale face à certains pays est-européens, comme la Pologne69. La place très réduite de la Shoah (connue en Russie sous le nom « Holocauste ») dans la mémoire publique de la guerre peut être appréhendée dans le contexte de l’attachement à la trame soviétique du récit de la Seconde Guerre mondiale. Même si les causes de l’oubli des actes du génocide des Juifs sur le territoire soviétique sont multiples, tout comme les facettes de cet oubli (« oubli-refoulement », « oubli-manipulation », « oubli-destruction »…70), la raison principale réside dans la difficulté à admettre que certains peuples ont été « davantage victimes » que d’autres, car cela irait à l’encontre du mythe de la guerre menée par les nazis contre le « peuple soviétique ». L’historiographie soviétique insistait sur le fait qu’Hitler prévoyait d’asservir et d’exterminer les Slaves et plus largement les peuples de l’URSS71, et les monuments sur des lieux d’extermination et de sépulture, dont la présence n’était guère systématique, parlaient tout simplement de « citoyens ».
Les musées scolaires russes confirment cette difficulté à incorporer la Shoah dans le récit de la guerre. Ses raisons sont multiples : l’attachement des acteurs à la narration soviétique de la Grande guerre patriotique, la difficulté à aborder ses aspects non-militaires et notamment l’occupation, et parfois l’ignorance même du génocide par les enseignants72. Les données dont nous disposons à ce jour ne permettent pas de révéler la présence d’un seul musée scolaire qui serait entièrement consacré à la Shoah ou qui comprendrait, parmi d’autres, une section conséquente sur la Shoah. Les musées scolaires qui évoquent l’un de ses aspects sont rarissimes : il peut s’agit d’une vitrine, d’un dossier à consulter, ou des pièces d’exposition présentant la biographie d’une victime, d’un survivant, d’un Juste local, d’un acte de résistance.
Ainsi, à l’époque soviétique, le musée de l’école no 1 d’Oust-Labinsk (kraï de Krasnodar) présentait la vie du Pionnier Moussia (Abram) Pinkenson, connu pour avoir commencé à jouer l’« Internationale » sur son violon au moment où il allait être fusillé, à l’âge de 11 ans, sur la rive de Kouban avec d’autres juifs évacués à Oust-Labinsk. L’un des trois musées de l’école no 55 de Riazan accueille une section consacrée à la vie du professeur d’échecs Viktor Dralkine, enfant de guerre, dont la mère avait caché une femme juive pendant l’occupation. Le musée de l’école no 75 de Tcheliabinsk est consacré aux enfants prisonniers des camps de concentration (les musées scolaires présentent souvent les époques et les phénomènes historiques à travers les figures d’enfants et l’enfance en général, afin de toucher leur jeune public). Même si le musée aborde divers aspects du système des camps nazi, le mot « Holocauste » n’apparaît pas dans les titres des expositions. Ces rares mentions du génocide des Juifs en URSS dans les musées des écoles « ordinaires » ne reflètent ni l’ampleur de la Shoah, ni sa dimension internationale. Seuls les musées de certaines écoles juives, telles que l’école no 1621 Lauder Etz Chaim de Moscou ou l’école Or Avner de Rostov-sur-Don73, mettent l’accent sur la judéité de nombreuses victimes du nazisme.
Dans tous les cas cités précédemment, les lacunes dans la présentation du passé sont liées aux ambivalences des politiques historiques qui, sans nier les éléments évoqués, n’encouragent pas leur mémorialisation. La présentation des guerres de Tchétchénie dans des musées scolaires tchétchènes relève, quant à elle, d’une véritable « politique de l’oubli »74. Sur les dix-neuf musées répertoriés de la république, neuf contiennent des expositions consacrées à la Grande guerre patriotique et un musée aborde les guerres du Сaucase du XIXe siècle. Seuls deux évoquent la guerre récente dans des expositions aux titres très évasifs comme « Ô ma Tchétchénie natale, combien tu as souffert ! » et « Les évènements de 1994-2003 ». Cela s’accorde parfaitement avec la politique historique régionale qui consiste à déplacer l’accent sur la guerre de 1941-1945 et à exclure les guerres de Tchétchénie de l’histoire publique de la région75.
Au cours des dernières décennies, le regard officiel que la Russie porte sur son passé a connu plusieurs changements radicaux. L’idéologie soviétique s’est substituée à la fragile construction mémorielle qui cherchait à renouer avec la Russie impériale, tout en glorifiant la victoire de l’URSS dans la Grande guerre patriotique. Les politiques historiques des années 2000 et 2010 ont été marquées par la volonté de puiser dans les différentes époques des expériences « positives » susceptibles d’inspirer la fierté.
Ainsi, les musées scolaires russes fondés pendant la période soviétique ont été témoins de plusieurs revirements dans le regard officiel sur le passé national. On peut noter toutefois que les politiques historiques des années 1990 qui encourageaient la revalorisation du passé impérial et notamment des éléments libéraux et démocratiques de ce passé n’ont laissé presque aucune trace dans ces dépositaires de la mémoire nationale, régionale et locale. Parmi les rares exceptions, on peut nommer le musée du village Bolchie syry (kraï de Krasnoïarsk) qui consacre un stand au marchand et industriel sibérien Guennadi Ioudine : la glorification d’une telle figure serait impensable dans un musée scolaire soviétique. Cependant, dans des musées qui abordent la période d’avant 1917, celle-ci est le plus souvent présentée à travers les aspects ethnographique (présentation de l’habitat, des artisanats, etc.), militaire (guerres ou héritage cosaque), culturel ou confessionnel. En revanche, le récit officiel et les pratiques discursives soviétiques ont durablement marqué les expositions des musées scolaires de la Russie, même ceux qui ont été fondés après la chute de l’URSS.
Il serait donc inexact de considérer les musées scolaires comme un prolongement direct des politiques historiques. L’histoire « officielle », celle des manuels, s’y mêle aux narrations que les acteurs sur le terrain souhaitent transmettre aux élèves pour mettre cette activité de patrimonialisation au service de l’éducation patriotique. C’est en effet sous l’angle de l’éducation patriotique qu’il convient d’aborder ces différents choix faits par les responsables des musées. Le discours qui accompagne la présentation des évènements et des époques insiste sur les valeurs telles que l’amour de la Patrie et de sa région natale, le courage, le sacrifice, la fidélité. La présentation se fait souvent au détriment des interprétations complexes proposées par l’histoire académique, et du discours politique inconstant ou hésitant. Très souvent, la vision du passé véhiculée par les musées scolaires rejoint les politiques historiques lorsqu’il s’agit d’oublier les évènements tragiques, et contredit ou anticipe ces politiques pour offrir une image positive de l’histoire nationale.
Pourquoi le récit du passé fourni par les musées scolaires doit-il obligatoirement être « patriotique » ? Certaines analyses attribuent volontiers aux dirigeants russes, et en premier lieu à Vladimir Poutine, cette volonté d’instrumentaliser l’histoire scolaire afin de forger des citoyens dociles, fiers de leur pays et de son passé. L’étude des musées scolaires démontre que la réalité est beaucoup plus complexe. La présentation de certains évènements, tels que la guerre en Afghanistan, a permis de constater que les acteurs sur le terrain n’ont pas attendu les années 2000 et 2010 pour offrir un récit positif et non-conflictuel du passé. Au contraire, ils se sont largement appuyés sur les pratiques discursives soviétiques. Le concept bourdieusien d’habitus mobilisé par la sociologue Anna Sanina76 dans son analyse des pratiques de l’éducation patriotique en Russie peut aider à expliquer ces choix. Les facteurs démographiques et sociaux, tels que l’âge moyen élevé des enseignants, se mêlent ici à l’héritage institutionnel – la mission éducative de l’institution scolaire n’a jamais été remise en cause après la chute de l’URSS77. Ainsi, la mise en valeur du passé national est perçue comme un moyen d’accomplir cette mission, indépendamment des politiques historiques en cours.
Notes
1
Alain Choppin, Les Manuels scolaires. Histoire et actualité, Paris, Hachette Éducation, 1992, p. 19.
2
Voir par exemple Olga Konkka, À la recherche d’une nouvelle vision de l’histoire russe du XXe siècle à travers les manuels scolaires de la Russie postsoviétique (1991-2016), thèse de doctorat, Bordeaux 3, 2016 ; Joseph Zajda, Globalisation and National Identity in History Textbooks. The Russian Federation, Dordrecht, Springer, 2017.
3
Dominique Poulot, Patrimoine et Musées l’institution de la culture, Paris, Hachette, 2014, p. 10.
4
Cette recherche a été réalisée avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
5
Svedenija o muzee [Informations sur le musée], en ligne, consulté le 22 avril 2020.
6
Entretien avec Marina Bondarenko, professeur de littérature et responsable du musée de l’école no 65 de Krasnaïa Poliana (Kraï de Krasnodar), le 27 octobre 2019.
7
Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, vol. 1, La République, Paris, Gallimard, 1984.
8
Astrid Erll, « Cultural memory studies: an Introduction », in Astrid Erll, Ansgar Nünning, Sara B. Young (dir.), Cultural Memory Studies. An International and Interdisciplinary Handbook, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2008, p. 10.
9
Pim den Boer, « Loci memoriae - Lieux de mémoire », in Astrid Erll, Ansgar Nünning, Sara B. Young (dir.), Cultural Memory Studies. An International and Interdisciplinary Handbook, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2008, p. 21.
10
Edina Szalay, « Grand récit », in David Herman, Manfred Jahn, Marie-Laure Ryan (dir.), Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, Abingdon-New York, Routledge, 2010, p. 209.
11
Michael Bamberg, « Master Narrative », in David Herman, Manfred Jahn, Marie-Laure Ryan (dir.), Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, Abingdon-New York, Routledge, 2010, p. 287-288.
12
Par exemple : Andrej Kolesnikov, « Istoričeskaja politika v Rossii: počemu ona razobščaet, a ne obʺedinjaet [La politique historique en Russie: pourquoi elle divise au lieu d’unir] », Carnegie Moscow Center, août 2017.
13
Voir par exemple : Eric Meyer, « Memory and Politics », in Astrid Erll, Ansgar Nünning, Sara B. Young (dir.), Cultural Memory Studies. An International and Interdisciplinary Handbook, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2008, p. 173‑180 ; Aleksei Miller, « Russia : Power and History », Carnegie Moscow Center Working Papers, vol. 2, 2010, p. 13‑25 ; Vasilij Molodjakov, « Istoričeskaja politika i politika pamjati [Politique historique et politique de mémoire] », in Gennadij Bordjugov (dir.), Istoričeskie issledovanija v Rossii III. Pjatnadcat’ let spustija [Recherches historiques en Russie : quinze ans plus tard], Moscou, AIRO-XXI, 2011, p. 15‑35 ; Olga Malinova, « Politika pamjati kak oblast’ simvoličeskoj politiki [Politique de mémoire comme domaine de la politique historique] », in Aleksei Miller, Dmitrij Efremenko (dir.), Metodologičeskie voprosy izučenija politiki pamjati [L’étude de la politique de mémoire : questions méthodologiques], Moscou; Saint-Pétersbourg, Nestor istoria, 2018, p. 27‑53.
14
Cette définition est basée sur les critères établis par Alekseï Miller, qui a introduit le terme « politique historique » dans les travaux académiques russes. Aleksej Miller, Marija Lipman (dir.), Istoričeskaja politika v 21 veke [Politique historique au XXIe siècle], Moscou, Novoe literaturnoe obozrenie, 2012, p. 17-19.
15
Sheila Fitzpatrick, Le Stalinisme au quotidien. La Russie soviétique dans les années 1930, Paris, Flammarion, 2002.
16
Alexei Yurchak, Everything was Forever, Until it was No More. The Last Soviet generation, Princeton, Princeton University Press, 2006.
17
Anna Zadora rapporte le témoignage d’un ancien professeur d’histoire de la région de Sverdlovsk dans les années 1960-1970. Il dit avoir organisé des jeux de rôle sous forme de débats entre Lénine et Trotski ou Lénine et Staline, tout en sachant que « de telles expérimentations pédagogiques pouvaient encourir des sanctions dures ». Anna Zadora, Construction d’une identité nationale biélorusse au prisme du système éducatif, thèse de doctorat, Université de Strasbourg, Strasbourg, 2010, p. 178.
18
Voir, par exemple, Igor Lys, « Poutine institutionnalisé » : portrait de l’administration du président russe, en ligne, consulté le 30 novembre 2020.
19
Telles qu’elles sont définies par Olga Malinova, « Politika pamjati kak oblast’ simvoličeskoj politiki [Politique de mémoire comme domaine de la politique historique] », in Aleksei Miller, Dmitrij Efremenko (dir.), Metodologičeskie voprosy izučenija politiki pamjati [L’étude de la politique de mémoire : questions méthodologiques], Moscou; Saint-Pétersbourg, Nestor istoria, 2018, p. 33.
20
Les répertoires des musées scolaires sous formes de tableaux séparés pour chaque région étaient publiés sur l’ancienne version du site du Centre fédéral de tourisme de jeunesse [en ligne]. Ils ont été téléchargés le 16 juin 2018 mais ne sont plus disponibles en ligne. La nouvelle version du site, beaucoup plus moderne, contient un répertoire unique des musées scolaires russes [en ligne]. Cependant, le nombre de musées répertoriés dans cette nouvelle base de données est pour l’instant assez réduit.
21
C’est ainsi que l’on dénomme les régions de la Russie, qui en compte aujourd’hui 85. Voici les sujets fédéraux pour lesquels les données ont été analysées : République de Bouriatie, République de Karatchaïévo-Tcherkessie, République de Carélie, République des Komis, République des Maris, République de Mordovie, République du Tatarstan, République de Touva, République de Khakassie, République de Tchétchénie, Kraï de l’Altaï, Kraï du Kamtchatka, Kraï de Krasnodar, Kraï de Krasnoïarsk, Kraï de Stavropol, Oblast de l’Amour, Oblast de Belgorod, Oblast de Briansk, Oblast de Vologda, Oblast de Voronej, Oblast d’Ivanovo, Oblast de Kostroma, Oblast de Kourgan, Oblast de Koursk, Oblast de Lipetsk, Oblast de Mourmansk, Oblast de Nijni Novgorod, Oblast d’Orel, Oblast de Penza, Oblast de Pskov, Oblast de Rostov, Oblast de Samara, Oblast de Saratov, Oblast de Sakhaline, Oblast de Smolensk, Oblast de Sverdlovsk, Oblast de Tambov, Oblast de Toula, Oblast de Tioumen, Oblast de Tcheliabinsk, Oblast de Iaroslavl.
22
Aleksandr Ozerov, « Škol’nye muzei v sisteme vospitanija učaščihsja [Les musées scolaires dans le système de l’éducation des élèves] », Vestnik detsko-junošeskogo turizma, 2010, vol. 4, no 1‑2, p. 16‑17.
23
Natal’ja Bondarenko, Leonid Gohberg, Natal’ja Kovaleva, Obrazovanie v cifrah [Education en chiffres], Moscou, NIU VChE, 2019, p. 37.
24
Zakon Rossijskoj Federacii ob Obrazovanii [Loi de la Fédération de Russie sur l’Éducation], art. 28.21
25
Branko Šuštar, « Škol’nye muzei Evropy : mnogoobrazie podhodov [Musées scolaires de l’Europe : pluralité d’approches] », Voprosy muzeologii, 2012, vol. 6, no 2, p. 80‑96.
26
Olga Petruškina, Škol’nye muzei : učebnoe posobie [Le manuel des musées scolaires], Samara, MGPU, 2016, p. 11.
27
Evgenij Leonov, « Istoričeskij aspekt pojavlenija i razvitija škol’nyh muzeev v Rossii [Aspect historique de l’émergence et de l’évolution des musées scolaires en Russie] », Vestnik Kemerovskogo gosudarstvennogo universiteta kul’tury i iskusstv, 2011, vol. 17, no 2, p. 40‑49.
28
Marina Juhnevič, Ja povedu tebja v muzej [Je t’emmènerai au musée], Moscou, Rossiiskij institut kul’turologii, 2001, p. 100‑101.
29
Appellation commune en URSS, puis en Russie et dans certains pays de l’espace postsoviétique pour désigner l’engagement soviétique dans la Seconde Guerre mondiale entre 1941 et 1945.
30
Nina Tumarkin, The Living & the Dead. The Rise and Fall of the Cult of World War II in Russia, New York, BasicBooks, 1994, p. 135.
31
Andrej Bušmakov, « “Pust’ živët v vekah besprimernyj podvig sovetskogo naroda v Velikoj Otečestvennoj vojne !” Pamjat’ o vojne i sovetskaja istoričeskaja politika v 1965-1980 gg. [“Que vive dans les siècles l’exploit sans pareil du peuple soviétique dans la Grande guerre patriotique!” Mémoire de la guerre et la politique historique soviétique dans les années 1965-1980] », Kul’turnyj kod, 2019, no 3, p. 106 ; Ekaterina Mel’nikova, « Rukami naroda: sledopytskoe dviženie 1960-1980 gg. v SSSR [Par les mains du peuple : le mouvement des éclaireurs en URSS dans les années 1960-1980] », Antropologičeskij forum, 2018, no 37, p. 41, 44.
32
Ekaterina Mel’nikova, « Rukami naroda: sledopytskoe dviženie 1960-1980 gg. v SSSR [Par les mains du peuple : le mouvement des éclaireurs en URSS dans les années 1960-1980] », Antropologičeskij forum, 2018, no 37, p. 30‑32.
33
Le Komsomol encourageait les groupes des jeunes, et en particulier des écoliers, à recueillir les témoignages des anciens combattants, partisans et travailleurs de l’arrière-front, à collectionner les objets liés à l’histoire de la guerre.
34
O školʹnyh muzejah na vysokom urovne [Les musées scolaires sont évoqués dans les hautes sphères], en ligne, consulté le 24 juin 2018.
35
Voir par exemple Françoise Daucé, Myriam Désert, Marlène Laruelle, Anne Le Huérou, et Kathy Rousselet, Les usages pratiques du patriotisme en Russie, Centre d’études et de recherches internationales, 2010, vol.32 ; Myriam Désert, « Être patriote dans la Russie postsoviétique », Critique internationale, 1 mars 2013, no 58, p. 53‑71 ; Myriam Désert, Que veulent les manifestants en Russie ?, en ligne, consulté le 1 mars 2021.
36
Olga Konkka, « Quand la guerre s’invite à l’école : les modèles et les pratiques de la militarisation de l’enseignement secondaire en Russie », Russie.Nei.Reports, no 118, mars 2020.
37
Leonid Kacva, « Prepodavanie istorii v sovremennoj rossijskoj srednej škole : problemy i perspektivy [Enseignement de l’histoire dans l’école secondaire russe actuelle : problèmes et perspectives] », Voprosy obrazovanija, 2005, no 2, p. 148‑163.
38
Anna Sanina, Patriotic Education in Contemporary Russia. Sociological Studies in the Making of the Post-Soviet Citizen. E-book, Stuttgart, ibidem Press, 2017.
39
Marlene Laruelle, « Patriotic Youth Clubs in Russia. Professional Niches, Cultural Capital and Narratives of Social Engagement », Europe-Asia Studies, vol. 67, no 1, 2 janvier 2015, p. 20.
40
Diane Slëzkine, Zimnik : du Baïkal au Béring, Courtomer, les Carnets de l’aléatoire, 2017, p. 144.
41
Entretien avec Anjela Lechoukova, professeur de géographie et responsable du musée de l’école no 30 de Krasnodar, le 26 octobre 2019.
42
Entretien avec Elena Dechevyh, professeur d’histoire et responsable du musée de l’école no 24 de Krasnodar, le 24 octobre 2019.
43
Entretien avec Marina Bondarenko, professeur de littérature et responsable du musée de l’école no 65 de Krasnaïa Poliana (Kraï de Krasnodar), le 27 octobre 2019.
44
Olga Malinova, « Constructing the “Usable Past” : the Evolution of the Official Historical Narrative in Post-Soviet Russia », in Niklas Bernsand, Barbara Törnquist-Plewa (dir.), Cultural and Political Imaginaries in Putin’s Russia, Brill, 2019, p. 93.
45
Zakon Rossijskoj Federacii ob Obrazovanii [Loi de la Fédération de Russie sur l’Éducation], 1992.
46
Lorsque cet aspect a été évoqué dans les entretiens avec les responsables des musées scolaires, ils ont reconnu que la dimension militaire dominait largement dans leurs expositions, et qu’ils pourraient s’intéresser davantage au quotidien des civils pendant la guerre.
47
Des tentatives de justifier l’intervention soviétique en Afghanistan apparaissent dans certains manuels scolaires des années 2010, et un projet de décret annulant la déclaration de 1989 a été proposé en 2018.
48
Déclaration du Congrès des députés du peuple du 25 décembre 1989.
49
Spravedlivye i nespravedlivye vojny [Guerres justes et injustes], en ligne, consulté le 24 novembre 2014.
50
Olga Konkka, À la recherche d’une nouvelle vision de l’histoire russe du XXe siècle à travers les manuels scolaires de la Russie postsoviétique (1991-2016), thèse de doctorat, Bordeaux 3, 2016, p. 97‑117.
51
Pour Beslan, voir notamment le témoignage de la fondatrice du musée, in Evgenija Priemskaja, « My vyhodili na rabotu s ešče ne snyatymi shvami [Nous allions travailler avec les sutures non cicatrisées] », Isvestija, 1er septembre 2019.
52
Federal’nyj bazisnyj učebnyj plan i primernye učebnye plany dlja obrazovatelʹnyh učreždenij RF, realizujuščih programmy obščego obrazovanija. [Curriculum fédéral de base et modèles de curricula pour les établissements d’enseignement général de la Fédération de Russie], 2004.
53
Entretien avec Marina Bondarenko, responsable du musée de l’école no 65 de Krasnaïa Poliana (Kraï de Krasnodar), le 27 octobre 2019.
54
Samuel Greene, Maria Lipman, Andrei Ryabov, « Engaging History : The Problems & Politics of Memory in Russia and the Post-Socialist Space », Carnegie Moscow Center Working Papers, 2010, no 2, p. 7 ; Marlène Laruelle, Le Nouveau nationalisme russe. Des repères pour comprendre, Paris, L’Œuvre éditions, 2010 ; Korine Amacher, « La mémoire du stalinisme dans la Russie de Poutine : continuité ou rupture ? », Esprit, décembre 2010, no 12, p. 75‑76 ; Lev Gudkov, « Time and History in the Russians’ Consciousness (part 2) », The Russian Public Opinion Herald, vol. 2, no 104, 2010, p. 59 ; Richard Sakwa, Putin : Russia’s choice, Abingdon-New York, Routledge, 2008, p. 217‑218 ; Gennadij Bordjugov (dir.), Istoričeskie issledovanija v Rossii III. Pjatnadcat’ let spustija [Recherches historiques en Russie : quinze ans plus tard], Moscou, AIRO-XXI, 2011, p. 20‑21.
55
Par exemple, les discours de Vladimir Poutine à Boutovo (2007) et à Katyn (2010) et le discours de Dimitri Medvedev diffusé via son blog (2009).
56
Maria Ferretti, « Obretennaja identičnost’. Novaja “oficial’naja istorija” putinskoj Rossii [L’identité retrouvée. La nouvelle “histoire officielle” de la Russie de Poutine] », Neprikosnovennyj zapas, no 4, 2004.
57
Aleksej Tepljakov, « Epoha repressij : sub’ekty i ob’ekty [Époque des répressions : sujets et objets] », in Gennadij Bordjugov (dir.), Istoričeskie issledovanija v Rossii III. Pjatnadcat’ let spustija [Recherches historiques en Russie : quinze ans plus tard], Moscou, AIRO-XXI, 2011, p. 224.
58
Informacija o škole [Informations sur l’école], en ligne, consulté le 23 avril 2020. La visite du musée de l’école est racontée dans Diane Slëzkine, Zimnik : du Baïkal au Béring, Courtomer, les Carnets de l’aléatoire, 2017, p. 56‑58.
59
Marija Bojarova, Moj kraj, vospetyj muzoj stradanija i ljubvi [Mon pays chanté par la muse de la souffrance et d’amour], Iakoutsk, Bitchik, 2009.
60
Pavel Poljan, « Deportacii i etničnost’ », in Nikolaj Pobol’, Pavel Poljan (dir.), Stalinskie deportacii : 1928-1953, Moscou, MFD Materik, 2005, p. 5‑19.
61
Juliette Cadiot, Marc Elie, Histoire du Goulag, Paris, La Découverte, 2017, p. 40.
62
Deklaracija Verhovnogo Soveta SSSR « O priznanii nezakonnymi i prestupnymi repressivnyh aktov protiv narodov, podvergšihsja nasil’stvennomu pereseleniju, i obespečenii ih prav », 1989.
63
Džamal Rahaev, « Vlast’, istoriografičeskoe soobščestvo i socialʹnaja pamjat’ o deportacii: opyt preodolenija prošlogo v balkarskoj i karačaevskoj istoriografii [Pouvoir, communauté historiographique et mémoire sociale de la déportation: expérience du dépassement du passé dans l’historiographie des Balkars et de Karatchaïs] », Caucasus Survey, vol. 2, no 1‑2, 2014, p. 14‑26.
64
Jurij Korablev, Ivan Fedosov, Youri Borisov, Istorija SSSR [Histoire de l’URSS]. Učebnik dlja 10 klassa, Moscou, Prosvechtchenie, 1988.
65
Džamal Rahaev, « Vlast’, istoriografičeskoe soobščestvo i social’naja pamjat’ o deportacii : opyt preodolenija prošlogo v balkarskoj i karačaevskoj istoriografii [Pouvoir, communauté historiographique et mémoire sociale de la déportation: expérience du dépassement du passé dans l’historiographie des Balkars et de Karatchaïs] », Caucasus Survey, vol. 2, no 1‑2, 2014, p. 14‑26.
66
En l’absence d’informations détaillées sur le contenu des expositions dans les registres et sur les sites des établissements, il est parfois difficile d’établir s’il s’agit des déportations du XIXe ou du XXe siècle.
67
Voir, par exemple, Jeffrey C. Alexander, « On the Social Construction of Moral Universals: The “Holocaust” from War Crime to Trauma Drama », European Journal of Social Theory, vol. 5, no 1, 2002, p. 5‑85 ; Daniel Levy, Natan Sznaider, « Memory Unbound : The Holocaust and the Formation of Cosmopolitan Memory », European Journal of Social Theory, vol. 5, no 1, 2002, p. 87‑106 ; Aleida Assmann, « The Holocaust – a Global Memory ? Extensions and Limits of a New Memory Community », in Aleida Assmann, Sebastian Conrad (dir.), Memory in a Global Age. Discourses, Practices and Trajectories, London, Palgrave Macmillan UK, 2010, p. 97‑117.
68
Il’ja Al’tman, Holokost i evrejskoe soprotivlenie na okkupirovannoj territorii SSSR [L’Holocauste et la résistance juive sur le territoire occupé de l’URSS], Moscou, Fond Holokost, 2002.
69
Cette confrontation qui dure depuis le milieu des années 2000 a atteint son paroxysme en 2019, lorsque Vladimir Poutine a déclaré que la Pologne portait une part de responsabilité du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Neformalʹnyj sammit SNG [Sommet informel de la CEI], en ligne, consulté le 30 novembre 2020.
70
Johann Michel, « Peut-on parler d’une politique de l’oubli? », Usages publics du passé, avril 2010.
71
Nathalie Moine, « Defining “war crimes against humanity” in the Soviet Union », Cahiers du monde russe, vol 52, no 2, 2012, p. 441‑473.
72
Voir, par exemple, les témoignages des enseignants dans Diskussija posle otkrytogo pokaza fil’ma « Holokost – klej dlja oboev? » [Discussion après la diffusion du film « Holocauste est une colle pour le papier peint? »], RIA Novosti, 2013.
73
La présentation de la Shoah dans musée de l’établissement est évoquée dans Irina Rebrova, Re-Constructing Grassroots Holocaust Memory. The Case of the North Caucasus, Berlin-Boston, Walter de Gruyter, 2020, p. 207.
74
Johann Michel, « Peut-on parler d’une politique de l’oubli? », Usages publics du passé, avril 2010.
75
Aude Merlin, « Remembering and forgetting in Chechnya today : Using the great patriotic war to create a new historical narrative », in Chechnya at War and Beyond, 2014, p. 37‑57.
76
Anna Sanina, Patriotic Education in Contemporary Russia. Sociological Studies in the Making of the Post-Soviet Citizen, Stuttgart, ibidem Press, 2017.
77
Dominique Thoirain, « L’éducation, priorité du système scolaire russe », Revue internationale d’éducation de Sèvres, no 5, 1995, p. 133‑141 ; Dominique Thoirain, « De l’URSS à la Russie : mutations de l’école et de ses valeurs », Spirale - Revue de recherches en éducation, vol. 23, no 1, 1999, p. 195‑202.