Les deux grandes guerres de Mohandas Gandhi
Professeur d’histoire européenne contemporaine

(Trinity College Dublin)

Jusqu’ici, dans cette série d’articles sur l’inscription de la Première Guerre mondiale dans la Seconde, envisagée au niveau des destins individuels, le choix de nos acteurs politiques, intellectuels et artistiques est resté exclusivement européen. En conséquence, cette imbrication expérientielle des deux grands conflits l’un dans l’autre est passée par des catégories relativement familières : celles qui les caractérisent aisément en Europe (Russie comprise) comme « front », « victoire », « défaite », « deuil », « pacifisme », « occupation », « résistance », « bombardements aériens », « libération », etc. Mais le monde colonial a été profondément touché, lui aussi, par ces guerres. Si la Première est déjà mondiale en raison des mobilisations coloniales (tant militaires qu’économiques) en vue de combats ayant lieu pour l’essentiel en Europe et au Proche-Orient (avec toutefois une campagne en Afrique de l’Est qui s’étend sur plus de quatre années), la Seconde l’est de manière bien plus définitive. Car le conflit militaire s’étend à l’Asie de l’Est et du Sud-Est et au Pacifique, entraînant à sa suite la décolonisation des empires européens.

Qu’en est-il alors si, en guise de conclusion à notre réflexion sur les destins politiques et les temporalités personnelles à travers les deux guerres mondiales, nous élargissons notre focale au-delà de l’Europe, vers l’Inde en particulier, et plus précisément encore vers un acteur majeur du monde colonial d’un conflit à l’autre : Mohandas Gandhi ?

Le Mahatma Gandhi est connu en tant qu’apôtre de la « non-violence » (une doctrine mi-religieuse, mi-politique) dans les luttes anticoloniales, en tant que chantre du pacifisme. Pour une génération désenchantée par la Grande Guerre, il est l’héritier de Léon Tolstoï, le « sage de l’Orient » – il suffit de penser au Mahatma Gandhi de Romain Rolland, publié en 19241. Gandhi offre alors une solution originale à une question aussi moderne et brûlante que la lutte anticoloniale et l’indépendance nationale en renonçant à la violence, et par conséquent à la guerre. Ce faisant, il inverse l’inféodation du monde extra-européen aux valeurs de la « civilisation » occidentale (sentiment éprouvé par beaucoup d’intellectuels dans les colonies) en s’inspirant d’un ensemble de pratiques et de valeurs puisées dans la littérature védique hindoue et dans les traditions de l’Inde. Elles se résument à la pratique du satyagraha, c’est-à-dire la résistance non-violente dans la poursuite de la vérité, politique ou autre, avec la conviction que tuer ou blesser autrui revient à détruire son âme et à semer de la violence pour le futur. Là est la clé des stratégies adoptées par Gandhi tout au long de sa carrière pour lutter contre le pouvoir colonial.

C’est en 1906, comme avocat en Afrique du Sud où il était parti, jeune homme, et où il est resté pendant vingt et un ans (de 1893 à 1914), qu’il a inventé cette forme de résistance politique. Sur place, il avait construit sa carrière en défendant les droits de la communauté indienne, venue en Afrique du Sud dans le cadre de l’empire britannique2. Quand Gandhi part pour l’Angleterre en juillet 1914 et regagne l’Inde en janvier 1915, il dispose d’une réputation et d’une expérience politique qui lui confèrent déjà un statut de héros, non seulement en Afrique du Sud mais aussi en Inde, dans sa province natale : le Gujarat. Né en 1869, il appartient à la même génération que Käthe Kollwitz (traitée dans cet atelier par Annette Becker). C’est donc à l’âge mûr qu’il aborde la Première Guerre mondiale ; puis, dans sa vieillesse, la guerre suivante.

Plongeons littéralement – in medias res en quelque sorte – dans l’entre-deux-guerres, au moment où Gandhi est en contact avec les mêmes milieux pacifistes que Vera Brittain (dont Bruno Cabanes a précédemment fait le portrait) et où la renommée que lui vaut sa campagne non-violente contre la domination britannique en Inde depuis son retour au pays lui donne une influence symbolique majeure. C’est ce même Gandhi qui écrit par deux fois à Hitler en juillet 1939 et en décembre 1940 (incité probablement à le faire par des amis pacifistes britanniques) en le priant « au nom de l’humanité, d’arrêter la guerre », et en lui disant : « Vous ne laissez aucun héritage à votre peuple dont il puisse être fier. » À sa manière, il n’avait pas tort ! Mais les autorités coloniales confisquèrent les deux lettres, qu’Hitler ne recevra jamais3.

Toutefois, douze ans auparavant (en 1928 exactement), un échange avec l’anarchiste religieux hollandais Bart de Ligt, fondateur des War Resisters International (un des organismes pacifistes les plus influents parmi ceux nés de la Grande Guerre) nous avertit du paradoxe possible qui sous-tend l’inscription de Gandhi dans « ses » deux guerres mondiales. À la fin des années 1920, un nouveau pacifisme – militant, absolu – était apparu en parallèle avec celui, plus ancien et plus modéré, qui insistait plutôt sur le droit international, l’arbitrage des conflits et l’apaisement des esprits afin de parvenir à bannir la guerre des relations entre États. Mais ce pacifisme d’un nouveau style fondait son refus absolu de la guerre sur une non-violence morale ou religieuse dont l’urgence et l’exigence procédaient de l’horreur provoquée par le combat industrialisé et les hécatombes de 1914-19184. C’est de ce pacifisme-là que Gandhi, fort de son rejet de la violence dans la vie politique nationale comme internationale, était devenu un symbole.

Or, Bart de Ligt signale sa déception en apprenant que le leader de la non-violence avait soutenu activement les Britanniques au cours de la Première Guerre mondiale, comme il l’avait fait précédemment lors de la guerre des Boers (1899-1902). En effet, en 1917-1918, Gandhi luttait pour le Swaraj – c’est-à-dire le Home Rule – ou l’autonomie nationale de l’Inde  – au sein de l’empire, sur le modèle des Dominions « blancs » : Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Afrique du Sud. Dans cette logique, il avait répondu de manière apparemment plus que positive à la remobilisation de l’Inde appelée par les Britanniques en 1917-1918 afin de faire face à la crise provoquée par la dernière offensive allemande sur le front ouest en France. Dix ans plus tard, face aux critiques de Bart de Ligt, Gandhi se voit alors obligé de justifier son passé5.

L’Inde avait été impliquée à fond dans l’effort de guerre impérial en 1914-1918. Avec ses 300 millions d’habitants, la colonie avait fourni plus d’un million de soldats et de travailleurs, principalement pour les théâtres de guerre du Proche-Orient (Palestine et Mésopotamie). Son économie avait approvisionné les Britanniques en or, en matières premières et en produits industriels, tout en subissant une inflation qui était le fléau économique suscité par la guerre. L’Inde avait connu en conséquence des perturbations économiques locales, la disette et même la faim dans certaines régions. Gandhi avait lancé plusieurs campagnes de protestation non-violentes (des satyagrahas locaux) afin de répondre à cette détresse économique subie par les paysans et les ouvriers.

Lanciers indiens à Haïfa, 1918

Lanciers indiens à Haïfa, 1918.

Mais en 1917, le Premier ministre britannique appelle l’Inde à consentir à un plus grand effort encore. Le recrutement bat donc son plein l’année suivante, au prix d’un recrutement resté basé sur le volontariat mais soumis à une lourde pression administrative et coercitive, surtout dans le Pendjab et sur la frontière du nord-ouest, deux provinces de forte tradition militaire. Et l’année suivante, Gandhi se lance dans une campagne effrénée en faveur du recrutement pour l’armée indienne (armée encadrée par les Britanniques et organisée sur une base de discrimination raciale, sans officiers supérieurs indiens) avec, en vue, le renforcement en hommes des régiments déjà présents en France, au Proche-Orient et en Afrique de l’Est ainsi que l’augmentation de la main-d’œuvre sur les champs de bataille (les « coolies »), rôle auquel les travailleurs indiens étaient voués tout particulièrement 6. Gandhi va jusqu’à demander que chaque village fournisse vingt soldats, et vingt de plus si les premiers devaient mourir :

 On nous considère comme un peuple lâche. Si nous voulons nous libérer de ce reproche, il faut que nous apprenions à manier les armes. Le partenariat dans l’empire est notre but définitif. Nous devrions […] sacrifier nos vies pour défendre l’empire […] Si l’empire est victorieux, surtout avec l’aide de notre armée [l’armée de l’Inde], il est évident que nous gagnerons les droits que nous voulons [c’est-à-dire le Swaraj]7.

 

Un tel texte exprime toute l’infériorité indienne, ressentie et intériorisée, par rapport au pouvoir colonial, et ici exprimée à travers une masculinité définie à l’aune des vertus guerrières (« on nous considère comme un peuple lâche »). Nous y retrouvons aussi la tentative, classique, de colonisés tentant d’établir un contrat moral et politique avec le pouvoir colonisateur, aux termes duquel ce dernier céderait l’indépendance à des sujets devenus dignes de cette dernière en vertu de leur service militaire pendant la guerre et, partant, de leur virilité ainsi prouvée.

Après-coup, Gandhi offrit plusieurs justifications de sa démarche de 1918. D’abord, dit-il, il se référait dès cette date aux valeurs du satyagraha en précisant que celui-ci n’était en rien l’arme des faibles. Au contraire, en remontant aux textes védiques, il montrait que c’était celle des forts. Seuls les guerriers qui savaient pratiquer la violence héritaient de la force morale (et politique) venant de la renonciation à celle-ci. Répondant dix ans plus tard à Bart de Ligt, il explique de surcroît qu’en 1918, il n’avait pas encore défini son opposition à la domination britannique en termes de non-violence. Ce n’est qu’avec sa première campagne politique de satyagraha, lancée en 1919, qu’il peut affirmer en 1928 : « Ma position à l’égard [de l’administration britannique] est totalement différente aujourd’hui et je ne participerais pas de manière volontaire à ses guerres, quand bien même je risquerais la prison et même la pendaison8. »

Affiche de recrutement britannique en Inde en 1914-1918

Affiche de recrutement britannique en Inde en 1939-1945.

Pourquoi un tel changement ? La réponse est à trouver dans un texte de Gandhi datant d’août 1920, La Doctrine de l’épée. Texte écrit pour clarifier ce qu’il entendait par cette campagne nationale de satyagraha lancée contre les Britanniques. Gandhi y accepte que l’autodéfense [anticoloniale] par la violence soit justifiée dans certaines circonstances. Mais dans l’Inde de 1920, il considère que ce n’est point le cas :

La non-violence est infiniment supérieure à la violence, le pardon plus viril que la punition […] Je comprends ceux qui demandent la juste punition du général Dyer et de ses compères. Ils les déchireraient en morceaux s’ils le pouvaient. Mais je ne crois pas que l’Inde soit sans espoir. Je ne me crois pas, moi, sans espoir. Seulement, je voudrais utiliser la force de l’Inde et de moi-même pour un meilleur but9

Ce nom du général Dyer nous donne la clé. Gandhi fait ici référence au célèbre massacre de Jallianwala Bagh d’avril 1919 à Amritsar, dans le Pendjab. Le gouvernement britannique avait non seulement refusé d’accorder le « Home Rule » à l’Inde à la fin de la guerre, mais il avait maintenu, et même renforcé, les pouvoirs exceptionnels du temps de guerre par un acte du conseil législatif colonial (le Rowlatt Act). Après avoir lancé sa campagne de résistance non-violente (grèves et manifestations comprises), Gandhi s’est trouvé confronté à la répression sanglante menée par le général Dyer (au prix de plus de 400 morts) lors d’une manifestation dans la capitale des Sikhs dans le Pendjab10.

 

Plaque commémorative du massacre de Jallianwala Bagh.

Plaque commémorative du massacre de Jallianwala Bagh, Amritsar, en avril 1919.

C’est le tournant. La Grande Guerre n’aura donc pas amorcé une ère de réformes en Inde, et lui aura moins encore procuré le statut de « Dominion », à l’égal du Canada ou de l’Australie. Pour Gandhi, alors que le conflit n’avait pas été à ses yeux dépourvu de signification politique au plan international, et qu’en 1918 il avait attribué une supériorité morale à la cause des Alliés, seules comptent dorénavant les promesses brisées et les violences infligées, au mépris du service au combat des soldats indiens à l’étranger. Autant de violences symbolisées par Amritsar.

Le paradoxe relevé par Bart de Ligt est donc levé, ou tout au moins expliqué. La non-violence défendue de manière acharnée par Gandhi découle d’une Grande Guerre vécue par lui selon d’autres principes, d’autres calculs, et notamment selon un contrat politique unilatéral qui lui faisait faire une exception par rapport à son pacifisme – une exception pour une cause juste – mais à condition de recevoir en retour l’estime du pouvoir colonial, démontrée par l’octroi de l’indépendance. La trahison de ce contrat moral justifia à plus forte raison le déclenchement de la campagne contre le Rowlatt Act et, à la suite du massacre d’avril 1919, provoquant le premier grand appel de Gandhi à la désobéissance civique nationale, entre 1920 et 1922. Ceci lui valut deux ans de prison (1922-1924). L’histoire officielle de cette campagne, publiée par l’administration coloniale en 1925, jugea qu’il s’était agi de « la résistance la plus importante à l’autorité britannique […] depuis la grande rébellion de 1857 » et qu’elle était due directement aux répercussions de la Grande Guerre11.

Ce qui frappe, dans un tel contexte, est plutôt la continuité entre le tournant d’Amritsar et la Seconde Guerre mondiale. En dépit de sa lettre à Hitler, Gandhi n’était pas un naïf. Il faisait bien la distinction entre la domination britannique en Inde et ce que représentaient l’Allemagne nazie et le Japon impérial. Dans une série d’écrits publié à Londres (Je demande à chaque Britannique), il explique que même si l’Inde se trouvait aux prises avec un empire britannique détesté, l’expansionnisme allemand et japonais ne devrait trouver aucun soutien en Inde12. Qui plus est, Gandhi, qui avait vécu et étudié à Londres, imprégné de culture britannique et entretenant de fortes amitiés avec des Anglais, notamment dans les milieux libéraux, ne pouvait pas rester indifférent au bombardement de Londres et à l’invasion qui (à la différence de la guerre précédente) menaçait la Grande-Bretagne en 1940-1941.

Précisément, à partir de décembre 1941, l’entrée en guerre du Japon menaça l’Inde elle-même, notamment quand Singapour (avec ses troupes indiennes) tomba en février 1942. La côte est de l’Inde se voit bombardée la même année et la conquête de la quasi-totalité de la Birmanie (alors colonie britannique) par les Japonais amène la guerre jusqu’à la frontière du pays. À la différence de 1914-1918, la mobilisation de l’Inde a ceci de nouveau qu’il s’agit, cette fois, d’une mobilisation proto-nationale pour sa propre survie, en même temps que pour la défense de l’empire britannique.

Le fait que l’ennemi soit une puissance asiatique ouvre aussi la possibilité d’une alliance avec elle dans une perspective « anti-impérialiste ». C’est l’option choisie par Subhas Chandra Bose, le politicien bengali qui, au sein du Congrès national indien (le principal mouvement nationaliste), s’oppose à la non-violence prônée par Gandhi et part mener la lutte pour la « libération » de l’Inde aux côtes des Japonais. Et en effet, l’option d’une résistance « non-violente » si les Japonais devaient envahir le pays (et que Gandhi avait déjà proposée aux Britanniques pour leur propre cas en 1940) soulève des doutes parfaitement compréhensibles au sein du Congrès13.

Ceci rend plus remarquable encore la réaction de Gandhi à la Seconde Guerre mondiale en ce qui concerne l’Inde, une réaction fondée sur les leçons apprises lors de la sortie du conflit précédent et du massacre d’Amritsar. Une fois de plus, en septembre 1939, et comme en 1914, le vice-roi proclame l’entrée en guerre pour l’Inde sans consulter les acteurs politiques du pays. Toutefois, malgré son engagement personnel et profond par rapport à la non-violence, Gandhi approuve la résolution formelle du Congrès d’apporter son soutien moral et matériel à l’effort de guerre (dans l’esprit d’une lutte contre le fascisme et l’impérialisme), en échange d’une déclaration formelle de l’indépendance future de l’Inde dès la fin des hostilités, incluant la création d’une assemblée constituante : c’est là une invitation faite aux Britanniques de faire coïncider leur cause de champions auto-proclamés de la démocratie avec la fin du colonialisme. Mais malgré la sympathie pour cette vision des choses au sein des milieux politiques progressistes en Grande-Bretagne, ni Churchill à Londres, ni le vice-roi à Delhi, Lord Linlithgow, n’acceptent une telle perspective.

Dès lors, cette fois-ci, Gandhi se refuse à répéter sa campagne unilatérale en faveur de l’effort de guerre britannique, comme il l’avait fait en 1917-1918. Au contraire, malgré l’entrée en guerre du Japon, malgré les accusations de trahison de la cause antifasciste lancées par ses amis britanniques, et en dépit des vives critiques de Muhammad Ali Jinnah et de la Ligue Musulmane (principale organisation politique de la forte minorité musulmane qui redoutait une Inde indépendante sous la domination hindoue), Gandhi incite le Congrès National Indien à voter la célèbre résolution du 8 août 1942 invitant les Britanniques à « quitter l’Inde ». À la suite de cette résolution, il déclenche son troisième grand satayagraha politique de désobéissance civique (le second, qui refusait l’impôt sur le sel, avait été lancé le jour même de l’anniversaire du massacre d’Amritsar, le 6 avril 1930). Comme les deux satayagrahas précédents, celui de 1942 provoque l’emprisonnement de Gandhi (pendant deux ans, comme en 1922), ainsi que celui des autres dirigeants du Congrès.

Il a fallu à Gandhi un courage et une confiance en soi remarquable pour lancer, en pleine guerre, cette campagne de désobéissance (devenue massive) face aux Britanniques. Mais il me semble que l’on peut lire le deuxième conflit mondial de Mohandas Gandhi à la lumière de la critique de Bart de Ligt, au titre de réponse à sa propre réaction lors du premier conflit mondial, marquée par sa campagne en faveur du recrutement militaire en 1918 : réponse qui s’inscrit directement dans la ligne politique tracée depuis le tournant d’Amritsar en 1919. Dès le premier conflit, Gandhi avait employé l’arme de la résistance non-violente (déjà expérimentée en Afrique du Sud) à des fins de justice sociale. Mais en ce qui concernait l’enjeu politique de la guerre, il tendait la main au pouvoir colonial de manière unilatérale en prônant une mobilisation militaire redoublée en échange d’un futur « Home Rule » pour l’Inde. Ce faisant, il subvertissait son propre credo en faveur de la non-violence pour une revalorisation virile des colonisés.

En réalité, ce credo n’était en rien l’équivalent du pacifisme d’un Bart de Ligt ou de celui des autres pacifistes « absolus » de l’entre-deux-guerres. Mais à partir de sa grande déception face au manque de réformes politiques profondes après la Grande Guerre, Gandhi, grâce à son charisme propre, fera du satayagraha un outil extraordinaire de mobilisation des masses rurales, restées jusque-là en dehors du jeu politique. En 1939-1942, ayant proposé une nouvelle fois (avec le Congrès National Indien) d’aligner une guerre pour la démocratie sur un engagement clair de fin de la colonisation de l’Inde, et ayant vu cette proposition refusée par les Britanniques, Gandhi lança son satayagraha politique en faveur de l’indépendance pendant la guerre même, et donc contre l’effort de guerre britannique. Avec la sortie de Gandhi et de ses collègues de prison en 1944, puis avec la fin de la guerre et l’arrivée au pouvoir du Parti Travailliste à Londres l’année suivante, l’indépendance (tout comme la partition du sous-continent entre Hindous et Musulmans) ne sera plus qu’une question de temps.

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1

Romain Rolland, Mahatma Gandhi , Paris, Stock, 1924.

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3

Ramchandra Guha, Gandhi: The Years that Changed the World, New York, Vintage Books, 2019, p. 556.

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4

Norman Ingram, The Politics of Dissent: Pacifism in France, 1919-1939, Oxford, Oxford University Press, 1991; Martin Ceadel, Pacifism in Britain, 1914-1945 : The Defining of a Faith, Oxford, Oxford University Press, 1980.

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5

Bart de Ligt, « My Correspondence with Gandhi », Neue Generation, juillet 1930, traduit de l’allemand en anglais par Piet Dijkstra et Brian Bromwell, dans Christian Bartolf (dir.), The Breath of Life: The Correspondence of Mahatma Gandhi (India) and Bart de Ligt (Holland) on War and Peace, Berlin, Gandi-Informations-Zentrum, 2000, p. 63-69.

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6

Radikha Singha, The Coolie’s Great War: Indian Labour in a Global Conflict, 1914-1921, Oxford, Oxford University Press, 2020.

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7

Santanu Das, India, Empire and First World War Culture: Writings, Images, and Songs, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 56-67 (citation, p. 63); Judith Brown, Gandhi’s Rise to Power: Indian Politics, 1915-1922 , Cambridge, Cambridge University Press, 1972, p. 123-59.

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8

Mohandas Karamchand Gandhi, « My Attitude to War » (1930), in Mohandas Karamchand, The Power of Nonviolent Resistance. Selected Writings, Londres, Penguin, 2019, ed. Tridip Suhrud, p. 162-164.

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9

Mohandas Karamchand Gandhi, The Doctrine of the Sword. The Law of Suffering in Modern Politics, Londres, Peace Pledge Union, s.d., p. 2.

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10

Kim Wagner, Amritsar 1919: An Empire of Fear and the Making of a Massacre, New Haven, Yale University Press, 2019.

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11

P. C. Bamford, Histories of the Non-Cooperation and Khalifat Movements, Delhi, Government of India, 1925, p. xiii.

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12

Mohandas Karamchand Gandhi, I Ask Every Briton, Londres, Baines and Scarsbrook, 1943.

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13

Srinath Raghavan, India’s War: The Making of Modern South Asia, 1939-1945, Haryana, Penguin, 2016.