Le séminaire « Approches contemporaines de la conversion », animé à l’EHESS de 2015 à 2019 par Jean-Philippe Heurtin et Patrick Michel, avait pour objectif de s’interroger à nouveaux frais sur cet obscur objet qu’est la conversion. Cette dernière s’appréhende habituellement par référence à un univers religieux dans lequel son inscription semble s’imposer. La conversion, est alors pensée comme un moment de rupture tant instantanée que totale entre un avant et un après. Éprouvée comme un mouvement essentiellement individuel et intime, elle est réputée engager l’être tout entier. Elle se présente comme un mouvement de critique radicale du monde, de la réalité ou de soi-même, et porte avec elle la promesse d’un changement, individuel en premier lieu, puis potentiellement collectif. Les quatre années de ce séminaire ont permis de montrer que les phénomènes reconnus comme relevant de la « conversion » correspondent, en fait rarement à cette forme. Religieux mais aussi politique et consumériste, nombreux sont les territoires de la conversion. Depuis le prisonnier (re)converti à l’islam jusqu’aux « convertis » au développement personnel, en passant par le « fils du peuple » roumain dé-converti au stalinisme, La conversion et ses convertis multiplie les approches et les éclairages.
Ce texte de Marie-Claire Lavabre fait partie de La conversion et ses convertis. Production et énonciation du changement individuel dans le monde contemporain, ouvrage issu du séminaire et publié par le Centre Maurice-Halbwachs.
Jean-Philippe Heurtin et Patrick Michel (dir.), La Conversion et ses convertis. Production et énonciation du changement individuel dans le monde contemporain, Politika/CMH, 2021.
Il y a comme une évidence à mobiliser la catégorie de conversion pour évoquer l’adhésion – par définition d’un non-communiste au communisme – ou à l’inverse, certaines formes de désaffiliation (Compagnolo 1997, p. 49-70)1. Fondée ou non, cette évidence – parfois trop peu dépliée – mérite d’être interrogée, et ce d’autant plus qu’elle est très souvent adossée au présupposé d’une spécificité radicale des organisations communistes, d’une part, à une comparaison ou analogie entre communisme et religion, d’autre part.
À s’en tenir cependant aux définitions des dictionnaires, la notion de conversion apparaît assez largement polysémique (Dictionnaire Littré, Tome 1). Le terme s’applique à une grande variété de phénomènes, parmi lesquels, en premier lieu ou pas, le religieux (Dictionnaire historique de la langue française, 1, 1992). De son origine latine (conversio), il conserve l’idée de retournement, de changement de direction ou de mouvement (Dictionnaire français-latin, Gaffiot) pour devenir transformation, mutation, métamorphose, « passage d’une croyance considérée comme fausse à la vérité présumée » (Dictionnaire Petit Robert, 1, 1993). Il renvoie alors à l’adhésion et au changement d’opinion, et dès lors, engage la subjectivité des individus autant qu’une forme d’objectivité par l’attestation d’un collectif, porteur de ladite vérité. En cette dernière acception, religion et politique sont également concernées (Rousseau 2009), quand bien même le modèle de la conversion religieuse paraît prévaloir. Par ailleurs, les processus de conversion, sans être absents, loin de là, des approches sociologiques de la socialisation, semblent être l’objet d’un regain d’intérêt, alors même que « leur fréquence sociale n’est probablement pas très élevée » (Darmon 2007, p. 118). En témoignent nombre de recherches ou de publications récentes, qui s’inscrivent, de fait, dans des réflexions sur les institutions qui encadrent l’individu à chaque étape de son existence, ou qui s’inspirent, plus ou moins explicitement, des vertus de la micro-analyse, « au ras du sol » (Revel 1989) et à l’échelle des biographies ou des trajectoires individuelles, pour éclairer comment la transformation des individus s’inscrit dans le social et peut, en retour, l’éclairer2. Le cas du communisme est à cet égard fécond sinon exemplaire (Raynaud 2017 ; Kestel 2012 ; Mink et Szurek 1999).
Entrer en communisme comme on entre en religion
« Ce fut un changement de foi, de culte… une croyance morte, ossifiée était remplacée par une foi vivante, vibrante […] Pour moi, il était désormais clair comme le jour que je devais aller à la rencontre des jeunes gens ardents de mon âge et partager avec eux ma foi et ma vérité, nous unir, nous rassembler, “nous instruire toujours plus” ».
« Je lus Terres vierges de Tourgueniev et mes yeux se dessillèrent : je compris que les révolutionnaires n’étaient pas les hommes maléfiques dénoncés par les autorités mais des individus qui luttaient pour la liberté, pour le peuple. Cette prise de conscience entraîna une révolution complète dans ma pensée. Je me mis à lire avec avidité ».
Ces deux citations, dans les premières pages de l’ouvrage de Yuri Slezkine La Cité éternelle. Une saga de la Révolution russe, instituent d’emblée la conversion au cœur du propos. Elles sont respectivement attribuées à Félix Kon (Slezkine 2017, p. 47) et Sergueï Mitskievitch (idem, p. 48). L’un et l’autre, nés dans les années 1880 et 1890, sont des bolcheviks de la première génération. Le premier, Félix Kon, est issu d’une famille juive de nationalistes polonais, pour laquelle, écrit-il dans ses mémoires, le patriotisme avait déjà été « un substitut de religion ». Le second, Sergueï Mitskievitch, est fils d’officier et lui-même officier. Prises de conscience et lectures le mènent à « la découverte de la clé de la compréhension de la réalité ». D’autres exemples suivront car « les conversions en série à toute une gamme d’options nationales ou cosmopolites étaient fréquentes dans la périphérie occidentale de l’Empire » (p. 47). Yuri Slezkine fait le récit du destin d’un groupe de dirigeants bolcheviques, de l’ascension à la chute et à la répression, en passant par l’entre-soi du pouvoir au sein de la « maison éternelle ». Cette référence, très fragmentaire, à un ouvrage imposant, n’a ici d’autre vertu que de mettre au jour le caractère donné pour intrinsèquement religieux du communisme. Comment devient-on communiste ? Yuri Slezkine consacre deux longs chapitres à l’idée que les bolcheviks sont des « prédicateurs » (chapitre 2), animés par « la foi » (chapitre 3). Un chapitre est encore consacré à l’attente du « grand jour » (chapitre 4). Amplement argumenté autant que lourdement documenté, l’ouvrage signale d’emblée une analogie originelle entre pensée chrétienne et communisme voire socialisme (p. 166).
On entrerait donc en communisme comme on entre en religion, aux origines que figure la Révolution bolchevique comme à l’époque florissante du communisme en France (Lazar 1998 ; Wieviorka 2011). Encore faut-il décrire, documenter et qualifier la logique de la conversion à l’œuvre dans l’adhésion à une organisation communiste. Est-elle – sur le modèle souvent décrit de la conversion religieuse – le fait de l’évènement, de la rencontre fortuite et de la révélation qui s’en suit, telles « les étranges conversions immédiates » (Laurens 2009) de Paul Claudel ou d’André Frossard3 ? Est-elle processus de transformation, dans la rupture comme dans la continuité assumée ? La conversion pourrait-elle n’être qu’un mot comme la conviction qui lui est si souvent associée4 ? Et si on peut convenir avec Mona Ozouf, dans un entretien avec François Furet (1994), qu’il y a « mille manières de sortir du communisme et mille manières d’être transfuge » – option de vocabulaire alternative à la conversion quand il s’agit de sortir du communisme – n’y a-t-il pas aussi mille manières d’entrer en communisme ?
Les formes de l’adhésion
L’identification des circonstances, l’analyse des raisons, des formes, des degrés de l’adhésion constituent un thème privilégié de la littérature sur le communisme de manière générale et sur le Parti communiste français en particulier (Kriegel 1985 ; Lavau 1981 ; Molinari 1991 ; Lavabre 1994 ; Lazar 1998). S’ajoute à ces analyses, quand il ne les nourrit pas, l’important corpus des autobiographies de communistes (Lavabre et Lazar 1984 ; Lavabre 1986 ; Pennetier et Pudal 2002 et 2017). À l’exception – au demeurant discutable – de ceux qui se disent « nés communistes » – issus d’une famille communiste, ayant vécu dans une municipalité communiste, venus du monde ouvrier le plus souvent –, dont l’adhésion a pu être qualifiée par Annie Kriegel d’« existentielle » ou, dans la typologie établie par Georges Lavau, relever de l’« adhésion-imprégnation », ceux qui deviennent communistes n’adhèrent – au sens de se lier, faire corps ou coller à – que plus ou moins aux diverses dimensions de l’univers, du projet et du passé communistes. Ces auteurs distinguent encore l’adhésion politique ou idéologique et relevant chez certains intellectuels d’une « dynamique de conversion » (Kriegel 1985, p. 174), de l’adhésion de régularisation, de rectification ou d’émotion (Lavau 1981). Ces deux typologies ne se superposent pas. Annie Kriegel s’attache à rendre compte des degrés d’intégration à la « micro-société » voire à la « contre-société » que le parti constitue. Georges Lavau s’efforce de décrire les diverses figures de l’adhésion à un parti dont il convient de souligner la fonction dans le système politique français sans en présupposer la spécificité, au risque d’accréditer l’image que les communistes veulent donner d’eux-mêmes d’un « parti pas comme les autres ». Deux constats sont néanmoins partagés : d’une part, l’adhésion au sens quasi-juridique, banal du terme, – qui vaut pour toute organisation politique – ne serait dans l’univers communiste qu’un cas particulier ; d’autre part, la socialisation antérieure, par la famille, le milieu scolaire ou professionnel constitue le terreau favorable ou non de la socialisation qui s’effectue, dans tous les cas, au sein du Parti communiste (Lavabre 1994).
« Je suis communiste. Pourquoi pas vous ? ». Ce mot d’ordre du Parti communiste français des années 1970 souligne paradoxalement que l’adhésion n’est que l’origine du devenir communiste : les aspirations, sociales, morales et politiques que partagent avec les communistes les non-communistes, les « gens » selon une formule nouvellement introduite à la même époque dans le vocabulaire communiste, ne sont que des formes vides qui attendent leur contenu communiste. Encore y faut-il l’éducation dispensée par le parti et le travail sur soi consenti par le nouvel adhérent. Adhérer, se lier, faire corps : le non-communiste peut bien devenir communiste parce que des liens sociaux d’existence le lient déjà à des communistes, à une communauté communiste, de vie ou de circonstance. Mais il ne le demeure que si l’adhésion renforce les liens, les double bientôt d’une commune manière d’agir, de croire et de penser le monde, d’espérer l’avenir, d’interpréter le présent et le passé. À cet égard, la volonté de banaliser l’adhésion – alors même qu’elle pourrait exprimer la réalité des liens sociaux ou des affinités électives qui lui préexistent dans la plupart des cas – se heurterait-elle finalement aux attentes de l’organisation communiste ? L’adhésion, qui permet de dire « nous, les communistes », serait-elle le plus souvent vécue – à l’exception présumée, toujours, de ceux qui pouvaient se dire nés communistes – comme une rupture, un commencement ou une renaissance ? Et que dire dans ce cas de ce flot continu de désaffections ou désaffiliations qui ont permis dès l’origine de qualifier le Parti communiste français de parti « passoire » ? Faut-il symétriquement mettre l’accent sur l’évènement qui déclenche la rupture, la penser au prisme du dessillement salvateur ou l’interpréter à la lumière « d’un enchainement de transformations subjectives »5 ?
Analogies et comparaisons
Les quelques jalons qui viennent d’être posés relèvent à certains égards de lieux communs. Ils autorisent certainement la thématique de la conversion comme un des modes de l’adhésion au communisme. Mais ils suggèrent également, explicitement ou implicitement, une référence au modèle de la conversion religieuse. En témoigne également le titre choisi par François Furet pour son Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Le passé d’une illusion (Furet 1995), allusion à L’avenir d’une illusion (Freud 1927) et à la réflexion de Freud sur les religions, soit à l’idée que l’illusion n’est pas tant une erreur qu’une croyance fondamentalement motivée par le désir.
Religions séculières et religions politiques
La « religion séculière » a notamment trouvé sa fortune dans l’assimilation des deux totalitarismes, nazi et stalinien. Les usages ou les développements de ce concept en forme d’« oxymore » (Angenot 2010), les interprétations et les controverses, le décryptage des intentions et des contextes, ont été amplement compilés et analysés (Lazar 1994 ; Angenot 2010 ; Mudsielac 2010). L’examen de la pertinence de la notion aboutit le plus souvent à sa validation appliquée au « fascisme, nationalisme, communisme », sous réserve de la prise en considération d’une différence irréductible : « les religions séculières absolutisent l’immanent » quand les religions révélées se signalent par « la présence d’une Transcendance » (Ries 1975).
La comparaison entre nazisme et communisme, largement développée à la suite du Livre noir du communisme (Courtois 1997) et de l’importation en France de la querelle des historiens allemands sur « la singularité de l’extermination des juifs par le régime nazi » (Coll. 1988), invite à revenir sur l’illusion investie dans l’adhésion. Mérite à cet égard d’être signalée la brève contribution de Leszek Kołakowski (1998) au débat sur les deux totalitarismes. Il y souligne, avec grand sérieux, une différence majeure entre nazisme et communisme, soit la dimension fondamentalement mensongère du communisme. Et d’en commenter les conséquences : le communisme a souvent déçu ses partisans, confrontés à la dissonance entre croyance et réalité, humanisme affiché et violence avérée des pratiques. Il a exclu ses militants, mangé ses enfants et entraîné dans le même mouvement l’engendrement de ses adversaires et son effondrement de l’intérieur. Le nazisme, en revanche, moins trompeur en ce qu’il « disait plus ou moins ce qu’il était », manifestait clairement objectifs et moyens. Aussi a-t-il été défait de l’extérieur, par la guerre, ce qui, par ailleurs, ne préjuge en rien, de la rancœur et de l’amertume qui ont pu suivre6.
Église et Parti communisme
Corollaire de l’analogie entre communisme et religion, celle entre Église (catholique) et Parti communiste est plus diffuse. Elle a également donné lieu à une vaste littérature et nombre de débats (Lazar 1994). Il suffit ici de mettre en exergue l’idée selon laquelle le communisme français a constitué une « grande entreprise de sens, proposant une forme de réenchantement du monde grâce à la croyance politique et aux pratiques qu’elle induisait » (Lazar 1998), tout en se gardant, autant qu’il est possible, de la « la tentation du parallèle facile » ou des « rapprochements sommaires, justifiés trop souvent en raison de la pauvreté du langage par de simples métaphores » (Kriegel 1985, p. 177).
Bernard Pudal (1992) s’est néanmoins attaché à décortiquer les tenants et les aboutissants de ces parallèles et rapprochements. Dans un texte de synthèse, informé par la réflexion sociologique sur la comparaison, l’analogie et la métaphore, d’Émile Durkheim et Max Weber à Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, conversions, déconversions et reconversions ne sont pas d’emblée au cœur du propos. L’essai d’Emmanuel Terray, Le troisième jour du communisme, est cependant cité pour l’usage explicite de l’analogie religieuse, laquelle structure une réflexion rétrospective en forme de plaidoyer autocritique sur les motifs de ses engagements politiques passés, aspiration millénaire à la justice et à l’égalité et générosité doublée d’aveuglement (Lazar 1994, p. 147). La réflexion de B. Pudal se veut surtout démonstration qu’on peut tout à la fois tenir à distance la notion de religion séculière, comme métaphore globale, somme toute d’un faible bénéfice sur le plan sociologique, et penser analogiquement deux systèmes, l’un et l’autre à « vocation universaliste » en dégageant, trait à trait, leurs caractéristiques communes : « ce type de problématisation du phénomène communiste pensé analogiquement au religieux, en l’occurrence au catholicisme (qui semble le plus immédiatement applicable dans le cas français) ne devrait avoir d’autre fonction qu’heuristique. Il s’agit tout simplement de penser certains aspects du fonctionnement du Parti communiste et du communisme sans préjuger de la question de savoir si, oui ou non, le communisme est une “religion séculière” » (Pudal 1992). L’analogie heuristique ainsi dégagée en autorise d’autres, à commencer par la caractérisation du Parti communiste français comme « institution totale ouverte » (Verdès-Leroux 1983, Lavabre et Lazar 1984). Mais, plus essentiel, elle ouvre encore à une analogie « structurale sous-tendue par une habitude mentale » et à deux hypothèses. La première invite à considérer « la perpétuation ou si l’on préfère l’effet d’inertie, chez un même individu ou pour un ensemble significatif d’agents sociaux, d’une éducation religieuse sur l’engagement communiste », la seconde à analyser « cette fois dans l’histoire du mouvement ouvrier, l’ensemble des emprunts inconscients ou délibérés à l’univers catholique » (Pudal 1992). Cette conclusion programmatique s’achève sur l’illustration de « l’habitude mentale » comme « ensemble de dispositions qui serait au principe de l’engagement religieux et de l’engagement communiste » par le cas de Louis Althusser, informé par un passage de son ouvrage autobiographique, L’avenir dure longtemps (2007)7.
Pour séduisantes qu’elles soient, ces hypothèses en l’état ne règlent pas la question qui nous occupe ici. Celle-ci se trouve, soit évacuée, en même temps que la religion séculière, soit réduite à la conversion entendue comme transformation dans la continuité, du catholicisme au communisme. Pour autant, les analogies dégagées pourraient être référées à d’autres traditions religieuses. Les « affinités électives » entre communisme et judaïsme, notamment, ont également été soulignées, en raison d’une commune conception de l’histoire et du temps, illustrée par le messianisme (Kriegel 1977, p. 33, in Frémontier 2002, p. 18 ; Wieviorka 2011).
Ces différentes réflexions et hypothèses invitent finalement à l’examen d’un certain nombre de cas dits de conversion au communisme, notamment documentés par les matériaux autobiographiques ou biographiques et les récits de vie. Ceux-ci, à l’intersection de la subjectivité des individus et des caractéristiques de l’organisation, pourraient être plus spécifiquement renvoyés aux « cadres de la mémoire communiste », c’est-à-dire aux conditions d’énoncé et aux modalités de l’évocation du passé dans l’univers communiste (Lavabre 1994)8.
Les cadres de la mémoire communiste
Des cadres de l’intelligibilité, de l’organisation et de la socialisation peuvent être distingués. Les cadres de l’intelligibilité renvoient au sens de l’histoire tel que lié au référentiel marxiste comme discours idéologique de légitimation qui se donne comme vrai, fondé sur la science, en tant qu’ils vont de pair avec une vision téléologique et une écriture finalisée de l’histoire, collective mais également individuelle. Les cadres de l’organisation relèvent quant à eux du secret et partant de l’initiation, de la hiérarchie fondée sur l’agrégation sélective d’un certain nombre de militants à un noyau stable et symétriquement des exclusions et du renouvellement permanent, des relations mutuelles au sein du parti, dont la confiance et l’exigence de la transparence qui engendre l’autocritique, voire l’aveu (Kriegel 1972 ; Lavabre 1994 ; Pennetier et Pudal 2002). Enfin, les cadres de la socialisation renvoient à ce qui a déjà été évoqué de l’adhésion, en soulignant cette fois que le Parti communiste peut encore être qualifié de « groupe d’adhésion » en ce sens que la socialisation communiste peut engager non seulement une réinterprétation du monde, un travail d’homogénéisation des représentations et potentiellement une réduction de la diversité, mais un « esprit de parti », comme règle structurante et témoignage du lien (Lavabre 1994). Le « Parti », comme « groupe d’adhésion » est aussi instance de certification ou de confirmation de celui-ci (Darmon 2007).
Biographies et autobiographies
Le genre autobiographique, s’il n’est pas spécifique du monde communiste, lui est consubstantiel, au point qu’on a pu qualifier les régimes de type soviétique et la RDA en particulier de « biocratie » (Lindenberger 2003), ou encore de « socio-biocratie » (Pudal et Pennetier 2017). La formule fait, bien sûr, d’abord référence à l’exercice autobiographique au sein de l’institution, soit la « bio » que tout militant accédant à la moindre responsabilité se devait de rédiger chaque année. Examen de conscience et autocritique, mais aussi instrument de vérification des origines sociales, politiques et religieuses, des fréquentations, en un mot de contrôle de la conformité, de la fidélité, de la force de l’adhésion, la « bio » est encore acceptation d’une discipline pour le militant et source d’information en vue de la promotion et de la sélection des cadres du parti (Pennetier et Pudal 2002 et 2017). On trouverait d’ailleurs dans ces autobiographies de parti, dont quelques-unes ont été transcrites à l’appui d’une réflexion sur l’engagement communiste (Pennetier et Pudal 2017) nombre de trajectoires de militants, connus ou non, qui pourraient venir illustrer un propos sur la conversion, dès lors qu’il s’agit aussi pour ces militants de rendre compte des prémisses et conditions de leur adhésion. Et de fait, la catégorie de conversion est cette fois explicitement mobilisée ou plus généralement suggérée dans les commentaires des auteurs à propos de la figure d’un « anarchiste converti » (idem, p. 77), d’une « conversion : du catholicisme au communisme » (idem, p. 249) voire de « quelques destins de Juifs communistes » à la « recherche d’une terre promise » (idem, chapitre 8). Mais, l’exemple décidément paradigmatique du passage du catholicisme au communisme permet de conclure que « cette conversion, comme toute conversion, s’effectue dans un processus continu qui aurait sans doute pu emprunter d’autres voies […] La conversion idéologique ne se réalise pas sous le coup d’une révélation, elle implique un travail sur soi fait de lectures multiples et de “conversations” » (idem, p. 262).
Au-delà de ces matériaux exceptionnels, il convient de préciser quelques caractéristiques des partis communistes, dont le Parti communiste français, particulièrement significatives, au moins formellement jusqu’au milieu des années 1980 (Lavabre et Platone 2003). À défaut de revenir sur l’ensemble des traits communs entre parti et Église (Pudal 1992), deux d’entre elles méritent d’être soulignées.
La première renvoie à une pratique et à des usages de l’autobiographie à visée didactique, soit l’existence d’un corpus hagiographique. Dès le début des années 1930, deux collections « mémoires révolutionnaires » et « épisodes et vies révolutionnaires » indiquent l’importance que le PCF accorde à cette forme anecdotique de l’histoire, « la plus populaire, la plus goûtée du grand public » (Lavabre 1986). Ainsi, Fils du peuple (1937), autobiographie – controversée en tant que telle – de Maurice Thorez, régulièrement rééditée jusqu’en 1960, relève tout à la fois de l’histoire officielle du parti, du récit de formation d’un héros communiste donné comme « miroir du peuple communiste » (Mer 1977), et d’un modèle narratif originel. Les éditions sociales ouvrent ainsi dans les années 1960 une collection consacrée aux « Souvenirs » des militants et des dirigeants exemplaires. Ces vies communistes dédiées à l’édification des militants, peuvent être lues sans trop forcer le trait à l’aune de la « vie des Saints ». Dans tous ces récits, quelle qu’en soit la forme (récit de vie, récit de formation ou témoignage ponctuel), le « je » est un « nous ». Pour ne prendre que quelques exemples, les titres, au premier chef, De l’ombre à la lumière (Florimond Bonte, 1965), mais aussi Le chemin que j’ai suivi (Jacques Duclos, 1968), Une vie de militant communiste (Robert Francotte 1973), La voie que j’ai suivie (Lucien Midol 1973), Ma vie s’appelle liberté (Étienne Fajon 1976), etc.9, illustrent assez bien la seconde des hypothèses de B. Pudal sur les emprunts « inconscients ou délibérés » au catholicisme. Rationalisation de l’itinéraire vers l’adhésion aux valeurs communistes, refus de la misère et de l’injustice, d’une part, classe ouvrière, savoir et progrès, d’autre part, sont des thèmes récurrents. Le communiste, issu du peuple, s’engage par choix, connaît la nécessité et la possibilité de changer le monde. Il est passé, avec l’adhésion au parti de l’ombre à la lumière et sa vie de combat lui apporte une forme de plénitude et de bonheur (Lavabre 1986 ; Pennetier et Pudal 2002). Enfin, force est de noter une croyance centrale, croyance parce que de l’ordre de l’évidence non vérifiée – la fusion de la classe et du parti, comme parti de la classe ouvrière, parti ouvrier, parti des ouvriers (Lavabre 1994) –, révélation et anticipation d’un monde heureux, solidaire aujourd’hui, libéré demain.
La deuxième caractéristique, déjà suggérée, relève de l’existence d’un entre-soi et d’une communauté communistes qu’illustraient notamment l’organisation de base en « cellules » ou la métaphore de « la famille ». Elle renvoie encore à une identité politique en forme d’injonction : « communiste 24 heures sur 24 ». François Furet témoigne ainsi que, pour être sorti discrètement du Parti communiste et s’être imposé longtemps cette ligne de conduite – à l’instar d’ailleurs d’Annie Kriegel –, sa rupture n’en avait pas moins été une réorganisation totale de son existence en ce sens qu’il n’avait pas seulement quitté un parti mais un « monde », de relations, de fréquentations quotidiennes et d’interactions sociales (Furet 1994).
Du catholicisme au communisme
La trajectoire édifiante d’un cadre communiste
En 1950, à l’occasion du trentième anniversaire de la naissance du Parti communiste français, Jean Fréville avait livré une « histoire » des origines du congrès de 1920 intitulé La nuit finit à Tours. Le titre de l’ouvrage de Florimond Bonte, De l’ombre à la lumière (1965) en est doublement l’écho. S’il relate sur le mode autobiographique l’itinéraire, de l’enfance à l’âge adulte, qui l’avait mené d’un catholicisme « ardent » au Sillon puis au Parti communiste français en 1920, il n’en consacre pas moins plusieurs chapitres à l’histoire collective et politique de la période.
Un premier chapitre ironiquement intitulé « la belle époque des années 1900 », engage le récit de l’enfance à Roubaix-Tourcoing, là où vivaient les travailleurs du textile : « La grande majorité d’entre eux étaient catholiques comme leurs patrons. Mes parents l’étaient aussi. […] Ils pratiquaient tous deux leur religion avec une ardente ferveur ». Le ton de l’ouvrage est donné : « Ils trouvaient dans leur religion, qui leur prêchait la patience et la résignation, la soumission et l’obéissance aux grands de ce monde, la force de supporter sans maugréer, leur situation miséreuse ». Après avoir dénoncé les accapareurs, la collaboration « visible, pénétrante, tracassière, tyrannique » entre le patronat et l’épiscopat, les dames patronnesses préoccupées de trouver dans les familles ouvrières le garçon le plus doué susceptible de devenir curé, F. Bonte enchaîne sur une série de déclarations de prêtres et de dignitaires catholiques s’insurgeant contre la misère ouvrière. Suivent classiquement les années de formation, l’influence de son oncle, « assez aisé », curé d’un petit village, ouvert aux idées nouvelles et influencé par le catholicisme social, ami intime de l’instituteur. Son intercession le fera admettre dans un collège catholique : « mes condisciples étaient riches ; moi, j’étais pauvre ». Et de conclure : « Dès ma plus tendre enfance, j’étais confronté avec les duretés de la vie, les inégalités et les injustices sociales ». Il se met à lire avec passion les pères de l’Église et tire « une joie intense » et « un plaisir énorme » à confronter les fils de patrons à « ces pages sévères qui flagellaient les riches et condamnaient leurs richesses » (idem, p. 37). Venu du peuple, fils d’ouvrier, il dit avoir rêvé d’héroïsme et associe dans un même hommage Spartacus, Blandine la martyre et Bara, « ce jeune hussard de l’armée républicaine, magnifique exemple du plus pur amour de la patrie et de la tendresse la plus filiale ». Mais il ne pouvait néanmoins être question de devenir socialiste : « ni matériellement, ni moralement, je dirais même, ni physiquement, ni spirituellement, les conditions n’étaient remplies ». Ce sont donc des « circonstances », quelques condisciples dont les parents étaient des catholiques sociaux qui lui firent connaître l’existence du « Sillon » et d’un petit groupe d’ouvriers et d’intellectuels catholiques qui voulaient « tracer dans la terre de France le sillon de la liberté, de l’égalité et de la fraternité » (idem, p. 53). En accord avec ces « ardents catholiques » œuvrant à l’avènement d’une société « véritablement démocratique », le jeune Bonte adhère encore à l’idée qu’il fallait se « transformer soi-même et que la société nouvelle ne serait jamais si nous n’étions pas d’abord capables de la réaliser dans notre propre conscience » (idem, p. 59). Suit la restitution de ses premiers contacts avec des travailleurs chrétiens, aimés et admirés, et, partant, avec un milieu ouvrier où se côtoyaient catholiques et socialistes : « la clarté se faisait peu à peu dans mon esprit. De l’ombre, j’entrais dans la lumière ». La Première Guerre mondiale, l’expérience du feu, puis de l’internement dans un camp de prisonniers en Allemagne, le contact avec des Russes haïssant le tsarisme et « vénérant » Lénine, l’occasion donnée d’accéder à des lectures marxistes dont Le manifeste du Parti communiste sont donnés pour avoir fait le reste : « je faisais miennes toutes ces conceptions. Leur acceptation n’était pas pour moi une rupture brutale avec le passé. Non, c’était l’aboutissement d’une longue et difficile évolution qui m’avait amené de l’ombre à la lumière et conduit aux sources du socialisme » (idem, p. 159). Si le texte dans son ensemble ne déroge pas à quelques exposés lourdement didactiques sur la controverse Guesde-Sangnier10, la condamnation du Sillon par le pape Pie X11 ou les origines de la Grande guerre, pour finalement s’achever avec « les grandes leçons d’un demi-siècle d’histoire », il n’en reste pas moins la démonstration d’une totale linéarité entre « catholicisme ardent », ce par quoi il faut entendre sincère, et communisme. Le catholicisme social, dès lors point de passage obligé de la continuité revendiquée, n’aura été ici qu’une illusion vite démentie par l’Église catholique elle-même.
Le récit de F. Bonte est certes habité par le ressentiment lié à l’enfance pauvre et humiliée mais il porte plus encore la trace de la socialisation catholique :
« J’avais confiance, instinctivement, sentimentalement. J’étais persuadé que la grande Révolution socialiste marquerait le début d’une ère nouvelle dans l’histoire de l’humanité, […]. J’avais la conviction que […] le monde des exploités ne tarderait pas à se mettre en mouvement […]. Et j’attendais avec impatience le jour où, libéré de ma captivité, je pourrais participer à la lutte effective pour la réalisation de l’idéal communiste, que je considérais comme le plus beau qu’un être humain ait jamais pu concevoir. Je constatais en effet que cet idéal avait animé les esprits des plus grands philosophes de l’Antiquité, qu’il avait été au fond des consciences des premiers chrétiens dans leurs catacombes, qu’il s’était trouvé partout dans les œuvres des encyclopédistes, qu’il avait peuplé les rêves et les chimères des utopistes, précurseurs des socialistes, et qu’il avait été développé, expliqué, justifié, de manière conséquente et scientifique, dans les ouvrages de Karl Marx et de Friedrich Engels » (Florimond Bonte, De l’ombre à la lumière, 1965, p. 164-165).
Dans cette longue citation, le vocabulaire même de la confiance, de la conviction, de l’attente, de l’idéal, la vision téléologique de l’histoire qui se réalise ici dans l’avènement d’un savoir nouveau, incontestable parce que scientifique, tout témoigne d’une forme de conversion. De même l’affirmation, déjà soulignée et sans nul doute essentielle, de la nécessité de se « transformer soi-même » pour qu’advienne la société nouvelle (idem, p. 59). Pour autant, le terme de conversion n’est jamais employé, pas plus que la foi d’origine n’est jamais explicitement reniée. Seule la continuité est revendiquée. Cette autobiographie, comme toutes les autobiographies destinées à l’édification des militants ou « souvenirs autorisés » (Lavabre, 1994), tient tout à la fois de la part de retour sur soi qu’on veut bien y lire, pour encadrée et coulée dans le bronze de l’orthodoxie du moment qu’elle puisse être, et de l’anticipation par l’auteur de ses effets, soit la construction d’un modèle de vie et l’affirmation d’une adhésion renouvelée12. Ce à quoi fait écho la préface que Louis Billoux a consacré à cet ouvrage : « Comment l’enfant issu d’une famille catholique est devenu un militant communiste sans renier ses premiers rêves. Ce n’est pas un cas si rare, direz-vous ? C’est vrai, et pourtant cela méritait d’être conté ».
L’autobiographie d’un intellectuel communiste
Louis Althusser à son bureau, rue d’Ulm, mars 1956
À revenir ici au cas de Louis Althusser, rien, sinon le passage du catholicisme au communisme, ne le rapproche de Florimond Bonte, ni l’ancrage historique, l’origine et le devenir, ni les raisons du retour sur soi, et moins encore le statut du texte autobiographique. Louis Althusser semble avoir écrit L’avenir dure longtemps (1992), en quelques semaines seulement, entre mars et mai 1985, soit cinq ans après le meurtre de sa femme Hélène. Quand cette « épreuve atroce » a fait basculer la vie du philosophe dans la tragédie, ce texte autobiographique est aussi déconcertant que la folie qui en constitue la matière. Il apparaît de ce fait comme « la seule possibilité pour le sujet de se décliner comme fou, puis meurtrier, et pourtant, toujours philosophe et communiste »13. Lire cette douloureuse introspection, qui mêle souvenirs, affects, fantasmes et « hallucinations », à la lumière d’une interrogation sur la qualification de son adhésion au Parti communiste, constitue une réduction abusive. L’auteur livre toutefois un récit suffisamment précis de sa trajectoire du catholicisme au communisme. « L’élève exemplaire », puis « le scout de France et naturellement chef de patrouille », l’enfant catholique « sage, trop sage, et pur, trop pur » (idem, p. 52), devient étudiant, à Lyon, en hypokhâgne où il rencontre Jean Guitton, « fort chrétien » et « admirable pédagogue, s’il n’était grand philosophe » (idem, p. 84). Il se forge ses premières vues sur la politique et le communisme, l’année suivante en khâgne, sous l’influence d’un professeur d’histoire, Joseph Hours. Celui-ci encore appelé affectueusement « le père Hours » est décrit comme très engagé, admirateur de Maurice Thorez et « présentant cette singularité d’être un catholique convaincu, mais jacobin et naturellement gallican, farouchement opposé à l’ultramontanisme du parti européen où il voyait toujours l’héritage du Saint- Empire » (idem, p. 86-87). Le jeune Althusser forme alors « seul » un « grand dessein », lié aux mouvements d’action catholique, et entreprend de créer un cercle de JEC (Jeunesse étudiante chrétienne). À l’occasion de retraites organisées dans un couvent trappiste, il se découvre « fasciné par la vie des moines, voués à la chasteté, au travail manuel et au silence » (idem, p. 88). Reçu au concours en 1939, mobilisé, prisonnier en Allemagne, il n’entre à l’École normale supérieure qu’en 1945. Il rencontre Hélène en 1946. Celle-ci, communiste depuis 1930, mais ayant perdu tout contact avec le parti en 1939 – peut-être même exclue à cette occasion –, est donnée pour avoir eu « une vraie passion, totale, exigeante pour la classe ouvrière »14 (idem, p. 112). À cette époque, note L. Althusser, « j’étais toujours croyant » (idem, p. 114).
« Je peux bien le dire, c’est en grande partie par les organisations catholiques de l’action catholique que je suis venu au contact de la lutte des classes et donc au marxisme. Mais n’ai-je déjà pas indiqué l’étonnante ruse de l’histoire qui, par le biais de l’exposé de la question sociale et de la “politique sociale de l’Église”, initia au socialisme même d’innombrables fils de bourgeois, et de petits bourgeois (y compris paysans dans la Jeunesse agricole chrétienne), par peur panique de les voir passer au “socialisme” » (Louis Althusser, L’avenir dure longtemps, 1992, p. 197).
Ainsi formé, comme d’autres, à « la question sociale » au sein de l’Église et, dans son cas, à la question politique par « le père Hours », il devenait facile, écrit-il, de passer au marxisme puis d’entrer au Parti communiste : « Cette voie fut celle de dizaines de milliers de militants des jeunesses étudiantes, ouvrières et agricoles chrétiennes (JEC, JOC, JAC) qui découvrirent des cadres de la CGT ou du Parti, la plupart du temps à travers la Résistance » (idem, p. 197)15. Mais, souligne-t-il encore, « je conservai ma “foi” jusqu’en 1947 environ » ou quelques lignes plus loin : « je restai néanmoins croyant jusqu’en 1947 environ » (idem, p.198). Très vite cependant, diverses expériences, notamment intimes, mais également politiques avec la création difficile d’un syndicat de normaliens allaient le mener à résumer le christianisme « dans le Christ, dans son “message” évangélique et dans son rôle révolutionnaire » (idem, p.199) et bientôt, à l’idée que le Christ étant une « médiation », il n’était cependant « que la médiation du néant », donc « Dieu n’existait pas ».
Louis Althusser parle donc, on le voit, assez longuement et à diverses reprises de l’empreinte catholique, de ses premières rencontres avec le communisme peu de temps avant qu’il ne formule l’abandon de la foi mais rien, semble-t-il, n’autorise là encore à parler de conversion sinon une brève allusion, quasiment incidente16. Pour l’essentiel, le récit que L’avenir dure longtemps permet de reconstituer, décrit un cheminement par étapes, rencontres et lectures successives et illustre de manière convaincante, de fait, l’hypothèse formulée par B. Pudal d’une « habitude mentale », soit des dispositions participant du catholicisme et du communisme.
On peut toujours interpréter ou surinterpréter, et finalement voir l’initiatrice – sinon un genre d’image sainte du communisme17 – dans la figure majeure d’Hélène, communiste désavouée par son parti, en dépit de la protestation récurrente de l’auteur : « Jamais Hélène ne fit la moindre pression sur moi, tant dans le domaine philosophique que dans le domaine politique (idem, p. 112). Protestation réitérée, sans nul doute dans « l’illusion de la liberté » (Suaud 1978) et néanmoins nuancée : « C’était bien moi et personne d’autre qui prenait l’initiative, moi qui me vantais à l’occasion de ne pas avoir eu de maître en philosophie, et pas même en politique (sauf Hours, Courrèges, Lesèvre et Hélène) » (Althusser,1992, p. 166). On peut préférer souligner le rôle plus précoce de Joseph Hours, qui tout catholique et démocrate-chrétien qu’il ait été, semble bien avoir eu une influence déterminante en politique et « plus encore qu’il ne le sentait et ne l’aurait voulu, profondément favorable à la gauche » (Agulhon 1987, p. 14).
Annie Kriegel (1991), dans ses mémoires, signale par ailleurs le nombre très important de catholiques chez les normaliens d’après la Seconde Guerre mondiale, la puissance des organisations dont ils disposaient et leur ouverture à un « engagement temporel dans la cité », stimulé par des théologiens et penseurs dotés d’une autorité considérable. D’où, « la primauté du débat entre catholiques et communistes », concomitante de l’éclipse de la SFIO en milieu étudiant et, partant, l’explication de « la double appartenance ou passage et conversion d’un univers à l’autre » (Kriegel 1991, p. 327). Citant le cas Althusser, « le plus connu », elle revient sur l’empreinte catholique et politique des années lyonnaises pour récapituler : « Né en 1918, et donc beaucoup plus âgé que la moyenne des autres élèves, longtemps militant d’Action catholique, il n’était en 1945-1946 qu’un membre ordinaire du “groupe Tala”. C’est sous l’influence de sa femme, Hélène Rytmann, qu’au dire de Jean Guitton à qui Althusser s’expliqua dès 1947 de son évolution, il devint athée et communiste » (Kriegel 1991, p. 327), formellement en 1948. Le récit d’A. Kriegel diffère de celui d’Althusser, notamment sur le rôle d’Hélène, rapporté par J. Guitton18. Elle ne cite pas Joseph Hours, mais d’autres figues lyonnaises, catholiques et résistantes. En revanche, elle souligne le milieu spirituel, catholique et politique, dans lequel baigne L. Althusser au moment de son adhésion formelle, en 1948.
De fait, à résumer les éléments tirés de cette autobiographie kaléidoscopique, L. Althusser, catholique fervent et « prince tala »19, côtoie le catholicisme social au cours de ses études, passe la guerre dans un camp de prisonniers en Allemagne, y rencontre pour la première fois « un communiste, un seul » (Althusser, L’avenir dure longtemps, 1992, p. 103), Pierre Courrèges, puis intègre l’École normale, change de milieu de vie : « Je suis donc venu au communisme par Courrèges et mes anciens Lyonnais résistants […] et naturellement par toute la dramatique expérience d’Hélène » (idem, p. 199). Cette dernière récapitulation s’achève par la mention d’une plongée dans les textes marxistes, et, parce qu’il avait été « très croyant », il s’intéresse très vite « à Feuerbach et à l’Essence du christianisme » (idem, p. 199). Néanmoins, on trouvera dans un autre texte, dans un ouvrage bien antérieur (1976)20 mention de l’adhésion au Parti communiste comme « d’une rééducation longue, douloureuse, difficile » mais néanmoins désirable (Verdès-Leroux 1983, p. 124).
Or, il y a de fait une distance considérable entre celui qui circonscrit sa vie militante à la sphère du politique – fût-ce en y consacrant beaucoup de temps et d’énergie – et ceux, parmi lesquels l’intellectuel communiste constitue une figure privilégiée (Kriegel 1985), qui s’engagent dans un effort de formation et d’éducation politique, voire de réforme personnelle (Lavabre 1994, p. 274). D’autres exemples pourraient encore être mobilisés ici, et notamment l’exercice d’égo-histoire de Michelle Perrot (1987), autre récit d’un passage du catholicisme au communisme. Entre convergences et différences, il semble plus adéquat, après l’examen d’un ouvrage didactique et édifiant de cadre communiste, d’une autobiographie d’intellectuel communiste, réflexive pour ne pas dire hors normes, du seul fait de sa dimension tragique et fortement introspective, de s’attacher à la figure plus ordinaire d’une militante communiste de base.
Michèle, militante de base
L’histoire de Michèle21, institutrice, adhérente depuis 1953, longtemps maire communiste de son village, avant que son époux, également communiste, professeur d’histoire, ne lui succède dans cette fonction, a été enregistrée le jour même de la première rentrée scolaire à laquelle, retraitée, elle n’allait pas participer. Cette circonstance particulière a donné à cet entretien le ton particulier du retour sur soi, de l’exploration rétrospective et souvent hésitante de sa trajectoire du catholicisme au communisme. C’est l’histoire d’une rupture voire d’une trahison et d’une réparation réalisée dans l’adhésion au Parti communiste.
« Comment te dire … Moi, je dois dire que je suis fille de cheminot, d’un père qui ne militait absolument pas, qui n’était pas politisé, qui n’était pas syndicaliste… Quand j’ai eu l’âge, enfin… je suis allée au lycée, quand j’ai eu l’âge de réfléchir un petit peu, la première qui m’a choquée… non pas choquée, pas perturbée, quelque chose enfin qui a attiré mon attention, qui m’a fait réfléchir, ce sont les grèves de mineurs, les grèves dans les houillères en 47… C’est là en quelque sorte que j’ai pris conscience des luttes ouvrières. Alors finalement, ce qui comptait le plus, enfin ce qui me semble important, je pense que ce sont les moments où le parti a pris position… Je sais bien que le parti, il aide toujours la classe ouvrière, mais enfin les moments où il a été amené à défendre d’une manière très nette, d’une façon visible par tout un chacun, parce que dans le parti on défend les ouvriers tous les jours mais ça ne se voit pas […] Dans le passé, bon, bien sûr, il y a des choses que j’ai apprises ou lues dans des livres, qui sont certainement très importantes, mais j’avoue que je ne sais pas. Tout à l’heure, je disais qu’on était communiste avec ses tripes, je crois que je suis de ce genre-là, je ne suis pas tellement la communiste raisonnée, je n’ai pas de racines très intellectuelles de ce côté-là. »
Dès ce premier fragment tout est dit ou presque. Ne pas avoir « de racines très intellectuelles de ce côté-là », c’est dire d’emblée le refus d’une certaine manière « raisonnée » de faire de la politique, alors même que c’est le lycée, l’âge et la réflexion, dit-elle, qui font découvrir à cette fille d’ouvrier, les luttes ouvrières et, partant, le Parti communiste. C’est pourquoi les événements sont importants quand ils révèlent cette évidence, à ceux qui, nés ouvriers, ne sont pas nés communistes. Mais c’est aussi dénier, dans le même mouvement, la double rupture, sociale et politique, d’avec le milieu d’origine. C’est pourquoi encore, les événements « politiques », qui demandent à être décryptés, analysés, qui demandent lecture et formation, ne suscitent pas son intérêt. Elle développe en revanche une conception du militantisme plus proche du don de soi et du travail social, utile aux gens qu’elle côtoie, en allant « acheter son pain ou en discutant avec une mère d’élève » et loin des « grands discours » et du « verbiage » qui s’adressent aux intellectuels, aux étudiants, aux gens qui ont l’habitude des idées, comme son époux. Michèle se situe entre deux mondes : d’un côté, « ces gens-là » qui ne sont plus les siens mais dont elle se sent proche, de l’autre « les intellectuels » qui manient le concept et le verbe, dont elle s’est approchée, sans jamais franchir la ligne au-delà de laquelle on peut discuter, trancher, en un mot avoir une compétence politique. Plus tard, elle expliquera encore qu’au moment de la déstalinisation, elle s’est posée beaucoup de questions mais a refusé de juger, comme beaucoup qui avaient de « bonnes raisons », de classe, d’être communistes. Et de citer une anecdote révélatrice du « réflexe formidable » de ceux qui, ignorants de la politique votent autrement que leur patron, « sans savoir trop pourquoi mais en sachant quand même qu’il y a le bien, le mal, il y a le patron et l’exploité ».
« Et puis, je garde peut-être de mes ancêtres cette méfiance aussi… Bien qu’étant institutrice, je garde toujours cette méfiance […], une réticence peut-être de par mes parents, mes grands-parents ». Et pourtant, l’égoïsme de son père la révoltait autant que le « cocon sans générosité » de son enfance catholique, dont elle ne dit pas grand-chose sinon pour évoquer non sans mépris une pratique ritualisée et « les bouquets de fleurs à Monsieur le curé ». Et de fouiller ses souvenirs à la recherche du moindre indice annonciateur de son devenir : un instituteur communiste arrêté par les Allemands, Stalingrad et la victoire de l’Armée rouge. Elle dit avoir compris, à la lumière de son adhésion au parti, que ses parents avaient été « exploités », comme ses grands-parents, aliénés de surcroît par la religion « qui leur conseillait d’attendre un monde meilleur ».
« Avec un communisme comme le mien, je crois que je serai communiste jusqu’à la fin de mes jours […], la classe ouvrière sera toujours la classe ouvrière. […] La classe ouvrière étant ce qu’elle est, moi, je resterai avec elle. […] Moi, tout à l’heure, je disais que je me sentais obligée de faire une liste ouvrière dans le village en 1957. Je pense à la mémoire de mes grands-parents, je me dis que je n’ai pas le droit [d’être de droite], ce serait vraiment les trahir. Ils ont été exploités mais au moins que ça m’ouvre les yeux, que ça serve à quelque chose, leur grain de sable qui entre dans l’histoire. […] C’est toute mon enfance, toutes mes générations d’avant qui me remontent et je pense qu’il faut aider ces gens-là parce que moi je pense que mon père est resté agressif, égoïste jusqu’à la fin de ses jours, parce qu’on ne l’a jamais aidé. […] Moi, le parti, ça m’a libérée, j’ai eu les pieds sur terre, je le sentais bien que j’étais mal dans ma peau. […] J’avais entrebâillé les portes, il fallait que je les ouvre, il n’y avait que le parti qui pouvait me satisfaire. […] Je crois que je ne peux pas m’en aller parce que j’y suis enchaînée. […] De par mon passé, je ne peux pas être autre chose que communiste. »
L’adhésion au communisme requalifie le passé parce qu’elle permet de comprendre, voire de réparer. Michèle a reçu en héritage la condition ouvrière et la méfiance « de ses ancêtres », qui n’étaient ni politisés, ni généreux, ni ouverts sur le monde. Mais elle a « accédé au savoir », a changé de milieu puis « ouvert les portes », évitant ce faisant de « vraiment trahir » : la double rupture avec la religion de l’enfance et l’origine sociale se trouve niée par l’affirmation d’une fidélité qui se révèle moins politique qu’existentielle, ancrée dans le don de soi et l’aide quotidienne qu’elle apporte à « ces gens-là ».
Peut-on, là encore, parler de conversion ? Si Michèle se déclare aujourd’hui athée, elle est peu prolixe sur les étapes qui la mènent du catholicisme de l’enfance, hérité de la branche maternelle, au communisme – nulle mention par exemple d’un passage par le catholicisme social. Et seul le recoupement des dates qu’elle livre en ordre dispersé, çà et là, permet de recomposer le contexte de son adhésion au sens quasi juridique en 1952, selon toute vraisemblance après sa rencontre avec « l’intellectuel » qu’elle épousera peu après. Au point qu’on peut suspecter « une mémoire empruntée » (Halbwachs 1950) ou du moins influencée dans le récit qu’elle livre de son enfance catholique. Car elle est, comme F. Bonte, née dans le monde ouvrier. Ni l’un ni l’autre ne sont nés communistes. Pour l’un comme pour l’autre néanmoins, la révélation et l’évidence de la fusion de la classe et du parti, toujours réaffirmée, remplit de multiples fonctions : réparer un passé d’humiliation, affirmer la supériorité du communisme et dans le même mouvement relégitimer l’origine sociale, comprendre et dès lors relire le passé à la lumière d’un savoir présent, assurer une continuité.
À revenir à la question des formes de l’adhésion, A. Kriegel pouvait souligner que celle-ci engageait le plus souvent une réflexion sur un problème « captivant », en raison du « degré de réforme personnelle auquel incite le fait d’adhérer au communisme » (Lazar 1998, p. 36). Sans doute est-ce là le point commun des trois cas examinés, que tout pourrait opposer, hors le passage du catholicisme au communisme et la rupture, de circonstances et de compagnonnages, d’avec le milieu d’origine. Situés d’emblée à l’intersection de la subjectivité des individus et des caractéristiques de l’organisation (voir supra), ces récits de vie relèvent bien de cet exercice dans lequel des individus se rassemblent à leur ressemblance, selon l’expression de Georges Gusdorff. Composites, pour partie retour sur soi, exposé des circonstances, voire souvenirs fictifs ou petits arrangements, ils n’envisagent pas leur passage du catholicisme au communisme comme une conversion, laquelle les ramènerait à un état antérieur et à un vocabulaire, perçus comme stigmatisants ou susceptibles de l’être, avec lesquels ils ont rompu au terme d’un cheminement et d’une « réflexion », libre, éclairée, intelligente, dont ils décrivent les étapes. L’adhésion n’est-elle dite conversion que dans la mesure où elle est « réinterprétation du monde » à la mesure et à la lumière de « la réforme personnelle » (Lavabre 1994) ? On met alors l’accent sur un genre d’aptitude à se plier à cette exigence, ce qui renvoie encore à une même « habitude mentale » (voir supra), commune à l’Église et au Parti communiste. Encore faudrait-il pouvoir en mesurer le degré, au-delà de ce que disent parfois ou ne disent pas le plus souvent, les anciens catholiques qui sont passés « de l’ombre à la lumière ». Encore faudrait-il ne pas limiter la réflexion à ces passages du catholicisme au communisme. Car, on peut tout autant changer d’angle et se demander, si dans ces cas, comme dans d’autres, la conversion ne tient tout simplement pas à la probabilité, dans des circonstances données, sociales ou politiques, d’une reconversion – éventuellement avantageuse, ne serait-ce que dans l’existence d’une communauté d’accueil valorisante, de savoirs ou de savoir-faire acquis ? Le « déclassement par le haut », le changement de milieu ou de contexte politique constituent alors des éléments à prendre en considération (Matonti et Poupeau 2004), qui relativisent la pertinence de la catégorie de conversion en tant que telle.
Avoir été communiste : conversion, déconversion ou reconversion
Les passages du catholicisme au communisme examinés ci-dessus réduisent donc sensiblement la capacité descriptive de la conversion pour en rendre compte, dès lors qu’il convient toujours de l’assortir de critères spécifiques à un certain mode d’engagement ou de souligner que l’analogie avec la conversion religieuse, immédiate, ne rend pas compte du caractère processuel qui se dégage dans tous les cas.
À se tourner maintenant vers les « ex » ou anciens communistes, il faut d’abord revenir au constat qu’il y a de nombreuses manières de rompre avec le communisme ou de quitter le Parti communiste. Les uns s’éloignent progressivement ou partent « sur la pointe des pieds », d’autres plus brutalement à l’occasion d’un événement, le XXe congrès du PCUS et la révélation des crimes de Staline en 1956 ou l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie en 1968. Le plus souvent, l’évènement en question ne fait que valider un doute ou un malaise antérieur. Certains resteront politiquement proches, rejoindront le cercle large des sympathisants critiques et à tout le moins continueront à se réclamer de la gauche. D’autres, de glissement en glissement, se retrouveront plus tard à la droite de l’échiquier politique. La grande majorité d’entre eux reste silencieuse22. Quelques-uns, des intellectuels souvent, mais aussi des ouvriers restés militants, écrivent leurs mémoires, attestant de la diversité des parcours23. Tous24, néanmoins, « subordonnent l’individuel au collectif et inscrivent leur expérience dans l’histoire » (Lavabre et Lazar 1986, p. 116), s’efforcent d’expliquer rationnellement leur engagement passé, notamment par les circonstances et, sauf exception, n’envisagent pas leur adhésion au communisme comme une rupture sans transition, née de l’instant25. De fait, rares sont ceux, sous réserve d’inventaire plus exhaustif, qui peuvent décrire leur adhésion passée et encore moins leur désaffiliation et désaffection comme une conversion.
Le cas particulier d’Arthur Koestler
Arthur Koestler, Le Zéro et l'infini, Paris, Calmann-Levy, 1945
Arthur Koestler, déjà évoqué, a décrit sa conversion dans des textes autobiographiques ou de fiction romanesque. Il fait à cet égard figure de modèle privilégié. Stéphane Laurens (2009, p 4-6) et Jean-Marc Négrignat (2008, p. 5-75) se fondant sur ces écrits26 décrivent l’un et l’autre la « conversion » d’A. Koestler, telle que détaillée par lui-même :
« Je sentis un déclic dans mon cerveau et fus secoué comme par une explosion mentale. En disant que l’on a “vu la lumière”, l’on ne rend que bien faiblement du ravissement spirituel du converti. […] Désormais, plus de problème sans réponses : les doutes et les débats font partie d’un passé de déchirement, de l’époque déjà lointaine où l’on vivait dans la triste ignorance et l’univers insipide de ceux qui ne savent pas. »
Sur le même registre, on trouve encore la « rencontre avec un être supérieur », dénué de doute, « une méthode universelle de pensée » qui prétend expliquer et porter remède, un « système qui refuse de se modifier » mais reste assez « plastique », l’entrée dans un « cercle magique », etc. Le vocabulaire employé, pour descriptif qu’il puisse être de la transformation subjective opérée avec l’entrée en communisme n’en porte pas moins clairement une interprétation rétrospective du communisme comme religion. Dès lors, l’usage de la catégorie de « conversion » par les anciens communistes est à prendre avec précaution : il signale peut-être plus sûrement une « déconversion », un changement de perspective et de clef de lecture, qu’il n’informe sur les modalités de l’adhésion.
Roger Garaudy, permanences et variations
La trajectoire de Roger Garaudy, « éclectique »27, « déroutante »28, est marquée par une évolution politique radicale – du communisme à un antisionisme qui le mènera au négationnisme – mais également par des conversions successives, stricto sensu, soit de nature religieuse et revendiquées comme telles. Conférencier brillant, cultivé et attachant pour certains, idéologue officiel, intellectuel médiocre et confus pour d’autres, sa longue carrière de communiste, de 1933 à son exclusion en 1970, est amplement documentée par différents textes autobiographiques, mais aussi par des travaux universitaires (Fleury 2004 ; Gauvin 2018). Né en 1913, de père et de mère athées, il se convertit une première fois au protestantisme, semble-t-il, à 14 ans, et milite dans une association de jeunesse chrétienne. Cette première conversion précède de peu sa rencontre avec les textes marxistes – contemporaine de discussions soutenues avec des théologiens – et son adhésion à 20 ans au Parti communiste. Il y rencontre quelques années plus tard, en 1937, Maurice Thorez qui exercera sur lui une influence durable. Une deuxième conversion, au catholicisme, liée à sa découverte de la théologie de la Libération, fait suite à son exclusion du Parti communiste français en 1970. Enfin, il se convertit, pour la troisième fois, à l’islam en 1982. La complexité du personnage fait qu’on peut tout aussi bien mettre l’accent sur ses revirements voire sur ses trahisons politiques ou souligner les continuités qui le caractérisent.
Roger Garaudy revient à deux reprises sur sa trajectoire dans Le Monde. Un entretien avec Henri Fesquet29, intitulé « La dimension prophétique est fondamentale pour l’art, pour la foi et la politique », à la suite de la publication d’un de ses nombreux ouvrages, L’alternative, est daté de 1972, soit deux ans après son exclusion du PCF. Un article, « Pourquoi je suis musulman », est publié en 1983, soit un an après sa conversion à l’islam30. Dans l’un comme dans l’autre, R. Garaudy revient brièvement sur ses origines, ses choix, pour le christianisme à l’adolescence, pour le marxisme et le communiste quasi-simultanément.
En 1972, il souligne « ses efforts, pendant quarante ans pour tenir les deux bouts de la chaîne, pour ne sacrifier ni celui qui mettait l’accent sur l’efficacité de la vie, ni celui qui mettait l’accent sur son ouverture » et sa « certitude permanente de leur complémentarité. […] Il ne s’agit donc pas d’une “conversion” mais d’une prise de conscience des implications de l’action révolutionnaire. Ce n’est pas une aventure personnelle, c’est un phénomène d’époque, une réponse à la question : sur quoi fonder notre espérance et notre combat ? ». Et d’enchaîner sur un plaidoyer pour la foi, politique et religieuse, en une « vie autre » dont le sens serait donné par « l’action » et la promotion de « la dimension première de l’homme : le futur », soit une société, née d’une révolution autre, appelée « socialisme d’autogestion, considérant chaque homme comme une centre d’initiative et de création, et lui garantissant l’espace nécessaire pour exercer sa fonction spécifiquement humaine d’anticipation de ses fins de dépassement. Dans tout autre révolution la conscience continuerait à être apportée à l’homme du “dehors” ou “d’en haut”, par un parti ou une église »31.
En 1983, R. Garaudy réaffirme que devenir chrétien et adhérer au PCF, ne lui « paraissait nullement contradictoire, mais nécessaire, complémentaire », pour retrouver un sens à sa vie et à l’histoire mais également pour pallier l’absence d’une « véritable doctrine sociale chrétienne » et chercher dans le marxisme « une méthodologie de l’initiative historique ». Et de souligner qu’il ne « regrette nullement ce double choix » et n’en a « honte devant personne : dans les grands problèmes du siècle il m’a mis, pour l’essentiel, du côté de ceux qui luttent pour l’avenir et pour l’espérance ». Passant curieusement du « je » au « nous », il revient ensuite sur le dialogue entre chrétiens et marxistes, fait allusion à sa querelle avec L. Althusser32, à la révélation de l’échec du socialisme soviétique et de la fin de la grande espérance d’un aggiornamento de l’Église ouverte par Jean XXIII : « Nous n’avons cessé de tenir de toutes nos forces, les deux bouts de la chaîne, avec mon frère Dom Helder Câmara33, avec des poignées de chrétiens et de militants, surtout du Tiers-Monde. » Dès lors, dit-il encore, le dialogue chrétiens-marxistes lui est apparu « provincial », et il a pris conscience en approchant les cultures non occidentales des potentialités de l’islam, « non par une découverte soudaine » mais anticipée, préparée, dès 1946 par un premier essai « enthousiaste » sur la civilisation arabo-islamique. Et de conclure après avoir évoqué le Coran et l’unité de la grande tradition juive, chrétienne et musulmane, l’université de Cordoue et le problème des rapports entre la foi et la politique : « Venir à l’Islam n’est pas pour moi renier Jésus ni Marx, mais trouver ce point que j’ai toujours cherché, où l’acte de création artistique, l’action politique et la foi, ne font qu’un », et parvenir ce faisant « à la plus haute joie : celle d’être resté, à près de 70 ans, fidèle au rêve de mes 20 ans ». Comment interpréter, qualifier cette trajectoire déconcertante ? Fait-t-elle de R. Garaudy un genre de spécialiste de la conversion en série ou plutôt des revirements sans reniements, des variations sur fond de permanence ? Ses plaidoyers soulignent la continuité, comme d’autres, autrement que d’autres. Car il ne s’agit pas seulement ici de la continuité d’un combat qui trouve son issue dans le parti pris politique ou dans la conciliation de la foi religieuse et de la foi politique. Il s’agit plutôt, semble-t-il, d’une continuité certes reconstruite mais puissamment revendiquée comme telle, « au-delà des sarcasmes et des menaces »34 d’un individu, « intellectuel illégitime » (Gauvin 2018) qui cherche et trouve à chaque étape, voire à chaque déception, de nouvelles « communautés »35 : le scoutisme protestant à l’adolescence, le communisme ensuite, le catholicisme avec la théologie de la libération et finalement l’islam. De fait, en quête de légitimité et de légitimation, R. Garaudy livre finalement des gages en 1997 en publiant les lettres de ses « témoins ». Les toutes premières lignes de l’introduction qu’il rédige alors sont pour partie une redite, la fierté s’ajoutant à la joie, pour partie une reformulation de sa trajectoire, dont le communisme en tant quel tel est évacué au bénéfice du seul marxisme :
« Ma plus grande fierté est d’avoir conscience, à 84 ans, d’être resté fidèle aux rêves de mes vingt ans. Seuls des plumitifs marmonnant le “bréviaire de la haine” se sont acharnés à écrire “l’histoire de mes variations”, en collectionnant les étiquettes : chrétien, marxiste, musulman, sans imaginer qu’on puisse changer de communauté – surtout lorsqu’elles vous excluent – sans pour autant changer de but36. Ma joie fut de sentir combien j’étais compris, au cours de ma vie et de ma lutte contre tous les intégrismes, par quelques-uns des plus hauts esprits de ce siècle. » (Roger Garaudy, « Introduction », Mes témoins, 1997).
Affiche du PCF pour les élections législatives de 1956
Dont acte. Cas d’évidence, R. Garaudy nous en apprend-t-il finalement quelque chose de la conversion ? A-t-on d’ailleurs affaire à des conversions au sens fort du terme, telles qu’assorties d’un « certain degré de réforme personnelle » (Kriegel 1985), d’une vision du monde finalement remaniée ? Rien n’est moins sûr. Reste que foi, religion et politique, données pour indissociables, sont au principe d’une revendication de continuité.
Annie Kriegel, ruptures et fidélités
Annie Kriegel, si souvent citée dans ce texte en tant que spécialiste du communisme ou en tant que témoin, est également revenue sur sa trajectoire dans un ouvrage à dire vrai composite, autobiographique, réflexif sinon autocritique, nourri d’observations et d’archives personnelles, d’analyses historiques et de références, sur l’être et l’avoir été communiste (Kriegel 1991). Sur le plan factuel, la biographie d’A. Kriegel est largement documentée dans le détail de ses étapes37, et a été largement commentée. Son itinéraire est certes marqué par la rupture idéologique, radicale, avec le PCF et plus largement le communisme, à ne considérer que le point de départ – son engagement précoce, à 17 ans, dans la Résistance communiste –, et le point d’arrivée – ses éditoriaux dans Le Figaro et son « ardente adhésion à l’État d’Israël » (Rebérioux 1995). Mais il frappe tout autant par nombre de fidélités pérennes, d’expérience ou de génération, revendiquées comme telles, tant dans ses mémoires que dans les témoignages et les hommages dont elle a été l’objet. Il apparaît infiniment plus complexe que ne le laissent parfois à penser les jugements sur cette « forte personnalité », trop souvent réduite à la permanence d’un « tempérament » placé sous le signe de « la passion », et, dès lors, créditée d’avoir succombé au « zèle du converti ».
Les chapitres intitulés « Permanente III » (Kriegel 1991, p. 561-606) et « Ruptures » (p. 610-630) intéressent plus particulièrement ce propos dédié à la conversion. Du premier chapitre, on peut retenir sa vigoureuse contestation de la classification par Maurice Agulhon des sorties du communisme dont « passer à droite en faisant du communisme “le Mal unique ou du moins le Mal principal” » (Kriegel 1991, p. 58638) ». Elle revient alors sur le bilan de la politique menée dans les années 1948-1950 qu’elle dressait, en tant que permanente à l’éducation et à la lutte idéologique dans la Fédération de la Seine, pour souligner, bravache, qu’il ne lui paraît « pas même aujourd’hui entaché d’un irrémédiable et sot aveuglement » car il montre « comment il ne convient pas de calquer l’analyse des méfaits du communisme en Occident, bien que sa nature et ses principes y fussent les mêmes que ceux du communisme en général, sur les horreurs maintenant bien repérées du système soviétique » (idem, p. 588). Elle évoque ensuite, sans transition, les déconvenues des années 1951-1953, dont l’affaire des Lettres françaises et de la mise en cause d’Aragon39 : quoi qu’il en soit des détails de l’implication d’A. Kriegel dans la défense d’Aragon, le chapitre suivant s’ouvre sur « la brutalité du congé » qui lui a été signifié. Elle est, de fait, « déchargée » de ses responsabilités fin 1953. Le pluriel du titre « Ruptures » signale d’emblée qu’il s’agit de faire retour sur son propre cas mais également sur d’autres, de sa génération ou d’ailleurs. Commentant les effets, chez beaucoup de permanents, du « retour à la production », dont l’acharnement, souvent, « à convertir la peine de mort politique dont les avait frappés un parti, qui n’étant pas au pouvoir, ne disposait d’aucun bras séculier, en une peine réelle […] », elle souligne : « Je n’avais pas le sentiment d’avoir fauté ni péché. […]. On voit ici à nouveau combien la comparaison du Parti avec un ordre religieux est forcée, surtout quand il s’agit du parti français dont les militants en général et moi en particulier n’avaient reçu dans leur enfance aucune espèce d’instruction religieuse » (idem, p. 611). Le repli sur une vie de famille heureuse, la « maison », l’enseignement au lycée puis la recherche – dans le cadre du CNRS dès 1955 – sont encore données pour « les chances » dont elle a disposé pour que la succession des événements, à partir de la réconciliation de Moscou avec Tito et le XXe congrès du PCUS – qui provoque sa rupture formelle en 1956 – lui devienne l’occasion de « mûrir sa réflexion sur le phénomène communiste » (idem, p. 622). Elle revient à cette occasion sur ces nombreux « ex-communistes » qui ont tenté « avec plus ou moins de bonheur » de se faire historiographes d’eux-mêmes et de leur « malaventure » (idem, p. 625) pour néanmoins saluer le talent de beaucoup d’entre eux contre ceux qui qualifient conjointement de « totalitaires » communistes et ex-communistes.
Son engagement puissant au PCF – dont témoignent les responsabilités exercées –, sa rupture et les étapes de son évolution ultérieure, font certes l’objet de longs développements dans ses mémoires, souvent fondés sur les traces écrites des positions qui furent les siennes. Les attachements durables n’en sont pas moins très présents. La dédicace à Charles Wolmark, résistant fusillé en 1944, dans Les Communistes français, en 1985 comme en 1968, en est un témoignage40. Annie Kriegel y revient et consacre encore plusieurs pages de ses mémoires à ce compagnon de la JC-MOI grenobloise :
« Dans l’ordre commun qui était le nôtre – le combat pour le communisme comme seule alternative à la barbarie dans laquelle le monde avait sombré –, il a incarné avec une pleine authenticité, une idée du communisme qu’il me fallut beaucoup de temps et de peine, “sans lui et contre lui”, pour arracher non de mon cœur et de mon intelligence, mais de mon âme, pour la reconnaitre fausse, mensongère, irréelle autant qu’irréaliste » (Kriegel 1991, p. 240-241).
Plus étonnante est son évocation bienveillante sinon quasi-empathique de Jeannette Vermeersch : « Il reste que Jeannette Vermeersch fut une femme qui mérite d’être retenue comme le modèle de la militante ouvrière dans la première moitié du siècle » (idem, p. 558). Évoquant une rencontre à la fin des années 1980, elle témoigne : « L’une et l’autre vieilles dames, bien que je fusse sa cadette, indulgentes l’une à l’autre malgré nos opinions désormais opposées […]. Je l’écoutais me redire avec la même naïve et native âpreté ce qu’avait été ce monde-là, ce monde dont elle ne pouvait admettre qu’il fût englouti… » (idem, p. 558-559). En retour, plus tardifs, certes, dans l’ordre des rencontres, Michel Verret41 et Maurice Agulhon42 (Courtois et al. 1994, p. 11-27), camarades de parti et d’études, ne cachent ni la distance politique qui les sépare quelques décennies plus tard, ni l’admiration pour une « fille de cette trempe et de cette expérience » (idem, p. 15), ni le respect que leur inspire la fidélité dont elle fait preuve, « à sa manière » (idem, p. 16), voire la considération qu’elle manifeste, « loin d’un réquisitoire anticommuniste », pour le « petit cadre communiste d’origine populaire » (idem, p. 24-25).
Faut-il néanmoins parler de conversion à l’anticommunisme ? Possiblement, à condition de souligner que le changement de perspective relève du jugement politique et apparaît ne pas en excéder les limites. Faut-il souligner une déconversion à petits pas, comme le suggère Madeleine Rebérioux (1995) ? Ou plutôt, envisager un « transfert passionnel » – (idem, 1995), la reconversion d’un engagement politique dans l’appétit, non moins passionné, de comprendre, par l’étude, l’objet de l’adhésion passée et, plus tard, dans une autre cause, « la pérennité de l’État d’Israël » (Kriegel 1991, p. 746), non pas religieuse, mais familiale et d’identité retrouvée en premier lieu, politique en second ?
Conclusion
Au terme de ces considérations, à certains égards abusivement réductrices, fondées sur quelques cas de communistes ou d’anciens communistes dont la diversité n’est que toute relative, toutes liées à une histoire datée du communisme français, que conclure ? Comme toute étude de cas, celles-ci ont été construites à partir de la question posée, celle de la conversion, et l’exposé qui en est fait est fondé sur une sélection d’éléments jugés significatifs. Dès lors, comme toute étude de cas, fondées de surcroît sur des récits autobiographiques, celles-ci sont sujettes à controverse (Fédida et Villa 1999). À chercher des conversions dans le monde communiste qu’on puisse penser analogiquement à la conversion religieuse, on ne peut que boucler la boucle et en revenir à l’identification de critères communs à l’une et l’autre. Car, à l’exception du cas d’A. Koestler, d’une autre époque et d’un autre lieu, documenté par la fiction autant que par l’autobiographie, on ne trouve pas dans ces récits de ces cas troublants de « conversion immédiate », ni dans l’adhésion ni dans la désaffection. En revanche, quelques critères peuvent accréditer une analogie mesurée avec la conversion religieuse. L’usage de la métaphore de l’ombre à la lumière peut en constituer un, dès lors qu’il y a mention d’une relecture du passé ou d’un souci de réforme personnelle pour parfaire l’adhésion. Le goût de la retraite, de l’ordre monacal ou de l’austérité, qu’on trouve parfois mentionné dans la narration des années d’adolescence, pourrait également être distingué. Un autre en est incontestablement sinon une cause à défendre, du moins l’accent mis sur un milieu d’accueil, une « communauté » au sens fort du terme qui vient fortifier d’abord, puis valider une croyance politique qui, en tant que telle, est sans doute du même ordre que la croyance religieuse, dès lors que le réel est impuissant à l’entamer. Ainsi en va-t-il notamment de la fusion de la classe et du parti, par ailleurs donnée comme raison chez bien des militants dont la conviction a résisté à la révélation des crimes de Staline en 1956 (Lavabre 1994). Au-delà de la pure description de certaines formes d’adhésion au communisme ou de désaffection, la moisson est donc finalement assez maigre. Si la conversion n’est qu’un mot, commode, pour désigner un processus de changement, il n’y a pas lieu de le récuser. Encore faut-il admettre qu’il n’a d’autre valeur que sommairement évocatrice. Dans les cas d’adhésion comme de désaffection, les continuités, sinon les fidélités, les variations sur fond de permanence, semblent dominer, tandis que le récit des étapes de la transformation subjective est une constante.
Mais que dire alors de la trajectoire d’un Paul Rassinier, communiste à 17 ans, en 1923, exclu en 1932, adhérent à la SFIO en 1934, pacifiste mais néanmoins résistant, torturé, déporté, que rien ne semblait prédisposer à devenir dès les années 1950 le père fondateur du négationnisme, « aveugle et consentant » (Brayard 1996) ? Personnalité dédoublée selon Pierre Vidal-Naquet (idem, préface, p. 16), ou à tout le moins ambiguë, il demeure assez largement une énigme. Mais le mécanisme de cette mutation est éclairant, tel que résumé par Florent Brayard : « Il devint ce que les autres croyaient qu’il était, se mit à dire ce que les autres avaient cru qu’il avait dit, se conforma à son image. […] Le scandale advenu, il ne tînt qu’à Rassinier de poursuivre dans la même voie pour prouver qu’il avait raison, même dans ce qu’il n’avait pas dit, en somme » (idem, p. 446-447). Toutes choses égales par ailleurs, ce cas limite, outre qu’il se manifeste comme un concentré des qualités qui motivent l’intérêt pour les phénomènes de conversion, illustre, comme d’autres, le rôle prééminent des interactions sociales pour rendre compte des trajectoires de rupture. À cet égard, le cas de Doriot et de son passage du communisme au « fascisme français » (Kestel 2012) aurait mérité d’être cité, tel qu’analysé du double point de vue de la trajectoire individuelle d’un ancien dirigeant du Parti communiste, exclu, déçu et bientôt renégat et de l’assignation identitaire à un parti défini comme « fasciste ». La « grande conversion » des communistes de l’Est (Mink et Szurek 1999) aurait pu également venir nourrir cette réflexion. Ces différents exemples d’un changement, semble-t-il, radical de vision du monde, de cause, et de communauté manifestent aussi des éléments de continuité ou des éléments d’explication qui disqualifient pour partie l’usage du terme conversion au profit de celui de reconversion, de dispositions individuelles certainement mais à la condition que celles-ci puissent être reconnues dans un autre univers social. Les communistes de l’Europe de l’Est, pour certains d’entre eux collectivement « convertis » à l’économie de marché et à la démocratie libérale, sont aussi les témoins, analysés comme tels, de ce que la longévité du communisme n’est pas allée sans capacité d’adaptation et de diversification des communistes dans « le moment tardif du régime, celui qui permet d’en saisir la mutation » (idem, p. 19). Ils nous rappellent encore que le changement social peut être une contrainte contextuelle qui engendre le changement individuel, tel que la catégorie de conversion s’efforce de le décrire sans pour autant l’épuiser.
Notes
1
Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.
2
Sur ce point d’ordre méthodologique voir Loïc Le Pape (2005).
3
« Entré là sceptique et athée d’extrême gauche, et plus encore que sceptique et plus encore qu’athée, indifférent et occupé de bien autre chose que d’un Dieu que je ne songeais même plus à nier ». Citant A. Frossard (1969, p. 13), S. Laurens poursuit en soulignant que c’est une nouvelle vie, dans un autre monde qui s’ouvre à lui : « Cinq minutes plus tard, lorsqu’il sort, il est converti. Il est “catholique, apostolique, romain” » (p. 3).
4
Selon une formule de Paul Valéry : « Conviction, mot qui permet de mettre avec une bonne conscience le ton de la force au service de l’incertitude ».
5
Voir Charles Suaud (1978, p. 10 et 11), cité dans l’argumentaire d’une journée d’étude consacrée à « “Devenir Soi-même” : Travail sur soi et ressorts institutionnels de la transformation biographique », Paris, ENS, 31 mai 2018.
6
Voir sur ce point le témoignage de Stig Dagerman, Automne allemand, Paris, Acte Sud, 2004.
7
Louis Althusser est mort en 1990. Les textes autobiographiques qui constituent cet ouvrage ont été confiés par la famille à l’IMEC et publiés en 2007.
8
Marc Lazar, se fondant sur la réflexion de Danièle Hervieu-Léger, retenait encore comme traits communs entre communisme et religion « l’expression d’un croire, la mémoire d’une continuité, la référence légitimatrice à une version autorisée de cette mémoire, c’est-à-dire une tradition » (Lazar 1994, p. 156).
9
Pour une recension exhaustive et les références des autobiographies communistes de cette période et des années qui suivent, jusqu’en 2001 voir Pennetier et Pudal (2002, p. 240-246).
10
Voir le chapitre 10 sur la « grande controverse Guesde-Sanguier » sur christianisme et socialisme, p. 69-84 (F. Bonte, De l’ombre à la lumière, 1965).
11
Voir le chapitre 13 sur « la condamnation du Sillon par le Pape Pie X », p. 110-126 (F. Bonte, De l’ombre à la lumière, 1965).
12
Ce n’est donc pas sans raison qu’on peut tout à la fois admettre le récit de l’enfance humiliée de Florimond Bonte, enfant pauvre parmi « les riches » et s’agacer avec Annie Kriegel du caractère stéréotypé et dès lors unilatéral ou abusif du dit récit : « Comment après cela [l’expérience de l’École normale supérieure], ne pas se méfier a contrario des notations amères de tant de biographies et autobiographies de dirigeants communistes, tel Lucien Midol, Georges Cogniot ou Florimond Bonte […] ? Car enfin l’École des arts et métiers de Châlons-sur-Marne pour le premier, l’École normale supérieure pour le second, le collège catholique de Tourcoing pour le troisième, ce n’étaient tout de même pas des “nids de gentilshommes” » (Kriegel 1991, p. 283).
13
Ces informations et citations sont extraites de la présentation de l’ouvrage par Olivier Corpet et Yann Moulier Boutang (L. Althusser, L’avenir dure longtemps, 1992, présentation p. I à IX).
14
En italiques dans le texte. Tous les italiques qui apparaissent dans les citations sont dans l’ouvrage dont elles sont extraites.
15
Cette longue citation de la page 197, résumée ci-dessus, est celle que mobilise également Bernard Pudal (1992).
16
« En tout cas, ceux qui ont pu imaginer que je fus converti au communisme par Hélène doivent savoir que ce fut par Courrèges » (Althusser, L’avenir dure longtemps, 1992, p. 103). L’influence d’Hélène est plusieurs fois évoquée et niée dans le texte mais la thématique de la conversion en tant que telle n’est plus mentionnée. Voir infra.
17
Interprétation parfois évoquée du meurtre d’Hélène.
18
Le point est peut-être moins anecdotique qu’il n’y paraît (voir supra, note 15). Mais la logique de cette analyse veut qu’on rapporte, et non qu’on vérifie les dires de l’auteur en croisant les sources. De surcroît, si interprétation il y aurait à commenter cette contradiction entre des propos tenus en 1947 et ceux d’une autobiographie tardive, elle ne relèverait pas de ce propos.
19
« Mais s’il n’était pas insensible à ce que l’Église appelait alors la question sociale, il se situait pour l’heure résolument à droite et s’affirmait monarchiste, sans appartenir à aucune organisation ».
Voir notice Althusser Louis par François Matheron, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 30 mai 2020 dans le Maitron [en ligne]
20
Voir L. Althusser, Positions, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 37 in Verdès-Leroux (1983, p. 124).
21
Michèle est une militante communiste rencontrée dans les années 1980 à l’occasion d’une enquête par entretiens sur la mémoire communiste (Lavabre 1994). Son entretien, particulièrement riche, a donné lieu à une analyse spécifique dont ce texte reprend nombre d’éléments (Lavabre 1992).
22
Pour une typologie des sorties du communisme, voir infra, M. Agulhon (1987).
23
Si l’écriture autobiographique ne concerne pas, loin de là tous les anciens communistes, ils sont néanmoins extrêmement nombreux à avoir témoigné de leur expérience militante. Dès lors, il ne peut être question ici que d’illustrer un propos à partir de quelques cas, plus connus que d’autres, choisis au prisme de la conversion, dont il serait cependant hasardeux de tirer des conclusions générales.
24
Sont notamment commentées dans cet article, les mémoires de quelques anciens communistes dont des intellectuels, Lily Marcou et Emmanuel Leroy Ladurie, et des militants ouvriers, Jules Fourrier et Roger Codou. Cette brève analyse souligne encore, notamment à partir des mémoires de R. Codou, militant d’origine ouvrière, la prégnance de la socialisation communiste dans l’écriture autobiographique.
25
Emmanuel Leroy Ladurie, dont les valeurs étaient issues « du scoutisme catholique », fils d’un père ministre à Vichy avant d’entrer dans la Résistance, adhère au PCF en 1949 : « Ma planète enfantine et chouanne s’était désintégrée, au contact de l’univers laïque puis stalinien. C’était une conversion, une métanoïa ; elle approchait, par brefs instants, l’expérience mystique de la transe. Toutes proportions gardées, je devenais Saint Paul sur le chemin de Damas, ou Claudel derrière son pilier de Notre-Dame » (Leroy Ladurie E., 1982, Paris-Montpellier : PC-PSU, 1945-1963, Paris, Gallimard, p. 35).
26
Voir Arthur Koestler, notamment La Corde raide. Le Dieu des ténèbres, Les militants.
27
Voir Philippe Robrieux, « Roger Garaudy », Histoire intérieure du Parti communiste français, Biographies, chronologie, bibliographie, Tome IV, Paris, Fayard, 1984.
28
Voir notice "Garaudy Roger, Jean, Charles" par Michel Dreyfus, le Maitron, [en ligne] version mise en ligne le 1er juin 2009, dernière modification le 15 juin 2012.
29
Roger Garaudy, « La dimension prophétique est fondamentale pour l’art, pour la foi et la politique », Entretien avec Henri Fesquet, Le Monde, 11 août 1972.
Henri Fesquet a été journaliste et chroniqueur religieux du Monde entre 1950 et 1983 (Le Monde, Nécrologie, 5 mai 2011).
30
Roger Garaudy, 1983, « Pourquoi je suis musulman », Le Monde, 30 juillet 1983.
31
Souligné par l'auteure.
32
Dite « querelle de l’humanisme » (Pudal 2009).
33
Evêque brésilien, connu pour avoir pris le parti des « pauvres ».
34
Souligné par l'auteure.
35
Voir également à ce propos la description du point de vue de la psychanalyse de l’itinéraire social et politique d’une catholique devenue communiste puis témoin de Jéhovah : Marie-Jeanne Sauvé, « La relation à l’autre dans la/une conversion religieuse », Annales de l’Université de Toulouse Le Mirail, tome XV, 1979, p. 83-109.
36
Souligné par l'auteure.
37
Voir notice "Kriegel Annie (née Becker, Annie, Juliette, épouse Besse Annie puis Kriegel)" par Pascal Cauchy, le Maitron [en ligne] version mise en ligne le 17 mai 2011, dernière modification le 7 octobre 2020
38
Voir Maurice Agulhon (1987).
39
Aragon, directeur des Lettres françaises est désavoué pour avoir accepté de publier un portrait de Staline par Picasso en mars 1953, après la mort de Staline et en hommage à celui-ci.
40
Dédicace à la mémoire de Charles Wolmark, né à Varsovie le 23 janvier 1921, fusillé à Charnècles (Isère) le 30 juillet 1944 : « Il m’avait enseigné tout ce qu’il savait : la classe ouvrière, le Parti, Staline, la France, le courage, le malheur. Fidèlement, sans lui et contre lui, j’ai dû continuer à apprendre. “Ce n’est pas gai”, disait-il en riant car il riait toujours. Du moins, je crois. Ou peut-être était-ce moi en ce temps-là » (Kriegel 1968).
41
Dédicace à la mémoire de Charles Wolmark, né à Varsovie le 23 janvier 1921, fusillé à Charnècles (Isère) le 30 juillet 1944 : « Il m’avait enseigné tout ce qu’il savait : la classe ouvrière, le Parti, Staline, la France, le courage, le malheur. Fidèlement, sans lui et contre lui, j’ai dû continuer à apprendre. “Ce n’est pas gai”, disait-il en riant car il riait toujours. Du moins, je crois. Ou peut-être était-ce moi en ce temps-là » (Kriegel 1968).
42
Texte de compte rendu des mémoires d’Annie Kriegel, publié dans la Revue française de science politique, vol. 42, n° 1, février 1992.
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