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La société civile, ses modes d’action et la mobilisation de droite
professeur de science politique

(University of Florida - College of Liberal Arts & Science)

Quiconque s’interroge sur la mobilisation de la droite conservatrice et radicale, issue de la base, qui se déploie sous nos yeux, doit la contextualiser en fonction du type de régime et des personnes au pouvoir qui se trouvent face à elle. Le but de ce texte est d’élaborer un cadre théorique à partir de la notion de « mode d’action de la société civile » que nous avons explicitée ailleurs1. Ces modes sont au nombre de 4 : insurrectionnel, institutionalisé, autoritaire et pare-feu.

 

 

La notion de mode d’action étant définie par la nature de la règle et l’identité de celui ou de celle qui l’applique, elle est parfaitement adaptée à ce genre de contextualisation. Dans les paragraphes qui suivent, je montre les différents rôles qu’a joué la mobilisation de la droite conservatrice et radicale suivant différents modes d’action, ce qui permet de caractériser et de systématiser différents types de mobilisation de la droite politique dans le temps et l’espace.

Une société civile qui s’insurge

Une société civile qui s’insurge existe par opposition à un régime autoritaire.

Le délitement du gouvernement autoritaire commence par une phase de libéralisation au cours de laquelle les restrictions de la liberté d’expression et d’association sont réduites. Cette libéralisation naît d’une scission de l’élite dirigeante provoquée par une crise du pouvoir2. Si la crise n’a pas été précipitée par les manifestations de la société civile, c’est la diminution des restrictions qui amène la société civile à agir. Par conséquent, quelle que soient les origines de la crise, la mobilisation de la société civile est intrinsèque aux crises de pouvoir des régimes autoritaires.

Ces processus impliquent une large gamme de groupes de la société civile, dont les associations professionnelles, les syndicats, les proto-partis et les groupes d’intérêt. Ces mobilisations couvrent un vaste spectre idéologique et englobent la plupart des groupes, en particulier ceux qui sont concentrés dans les zones urbaines. Elles comprennent également les forces politiques de droite. Les démocratisations de la troisième vague ont eu tendance à suivre ce modèle que Mark Beissinger a qualifié de « révolution civique sociale urbaine3 ».

Ces défis peuvent avoir différents résultats : transition démocratique, rééquilibrage d’une autocratie, transition vers une nouvelle forme d’autoritarisme. La voie de la démocratisation passe par la neutralisation des acteurs radicaux de la société civile et de leurs revendications extrémistes car elle exige une forme de compréhension ou de compromis vis-à-vis des éléments réformistes présents parmi les dirigeants autoritaires en place. Ce qui, en général, amène à marginaliser les acteurs politiques d’extrême droite dont les revendications sont souvent maximalistes, notamment dans les scénarios postcommunistes. Les conservateurs plus modérés sont donc amenés à jouer un rôle important dans la transition et dans l’environnement politique post-transition.

Il existe des exceptions, auxquels cas ce sont les forces plus radicales qui se retrouvent aux commandes après la transition. Lors du Printemps arabe, par exemple, les groupes islamistes fondamentalistes ont joué un rôle essentiel dans le processus de démocratisation. Qu’il s’agisse des Frères musulmans en Égypte ou du parti Ennahda en Tunisie, ces formations ont été indispensables pour renverser la dictature. Cela dit, il est vrai qu’Ennahda a fait preuve de modération après la transition, d’où l’intermède démocratique beaucoup plus long en Tunisie qu’en Égypte4.

Quand la société civile échoue à obtenir une réforme démocratique plus profonde de la part du régime, il arrive que la libéralisation soit suivie par un rééquilibrage de l’autoritarisme. Dans certains cas, si le gouvernement est conservateur, les organisations de la société civile conservatrices ou d’extrême droite peuvent apporter leur soutien à une forme de dictature réformée. Elles se contentent de la libéralisation qui a eu lieu sans revendiquer davantage de réforme, isolant ceux qui militent pour un changement plus important et coupant court au processus de démocratisation qu’elles réduisent à une version réformée de la dictature existante.

La libéralisation d’un régime autoritaire peut aussi amener à la naissance d’un régime autoritaire alternatif. À l’heure actuelle, la forme de néo-autoritarisme la plus courante est la forme patrimoniale5. Le nationalisme a tendance à servir de couverture idéologique efficace au patrimonialisme. Les mouvements nationalistes de droite s’adaptent sans problème aux réseaux patrimoniaux. C’est ce qui s’est passé dans les États qui ont succédé à l’Union soviétique dont la nomenklatura n’a pas hésité à endosser la rhétorique du nationalisme et de la démocratie6. Les régimes nés de la chute de l’URSS ne se sont jamais démocratisés ; les anciennes élites ont simplement consolidé et privatisé leur emprise sur le pouvoir. Quant à la Russie, c’est un exemple encore plus frappant puisqu’elle comprend des groupes d’extrême droite qui contribuent à asseoir le pouvoir autoritaire : le clan Kadyrov qui dirige la Tchétchénie au nom de Poutine, le groupe Wagner (une milice de mercenaires privée au service de la politique étrangère et des intérêts militaires russe) créé par feu Evgueni Prigojine, le philosophe Alexandre Douguine et autres porte-paroles du néo-eurasisme.

La société civile institutionnalisée

La société civile institutionnalisée existe à la fois dans les régimes démocratiques et dans certains régimes autoritaires modérés en tant que composante centrale du système d’articulation et de représentation des intérêts. Elle agit de façon à garantir les intérêts collectifs de ses patrons et/ou de ses membres. Elle comprend les syndicats, les groupes d’intérêts, les mouvements sociaux, les organisations non gouvernementales (ONG), les associations d’employeurs, les fondations, les associations professionnelles, etc. Et elle fonctionne de deux façons. Première façon : grâce aux voies institutionnalisées qui représentent des intérêts, tels que lobbying, activisme et mise à l’agenda, elle cherche à peser sur les décisions des partis politiques, des agences exécutives et des législateurs. Seconde façon : elle s’engage dans des projets circonscrits, souvent institutionnalisés, dont le but est d’attirer l’attention sur telle ou telle cause, d’influencer la feuille de route politique ou d’entraver un processus qu’elle juge contraire aux intérêts de cette cause7.

Dans une démocratie institutionnalisée stable, les mouvements d’extrême droite ont le droit d’exister, de militer, de recruter, de mobiliser et de manifester. L’histoire des États-Unis ne manque pas d’exemples, qu’il s’agisse du Ku Klux Klan, de la John Birch Society ou du Bund germano-américain, un mouvement pro-nazi né entre les deux guerres. Si les conditions sont normales, ces organisations sont marginales par rapport à la concurrence entre partis. Cela dit, dans l’histoire des États-Unis, le Ku Klux Klan a contribué à imposer un régime de parti unique et à interdire le droit de vote aux Afro-Américains, alimentant pendant plusieurs décennies un autoritarisme infranational dans un système en théorie démocratique8. En Europe, des mouvements comparables, résolument anti-islamiques, ont vu le jour, que ce soit les PEGIDA (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, soit les Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident) en Allemagne, ou le British National Party au Royaume-Uni.

photo de la banderole de Pegida

Participants à une manifestation de Pegida à Francfort, le 21 avril 2015. La banderole 1 indique : « Pegida-Allemagne. Sans violence et pacifique ». La banderole 2 indique : « Et même si tu baves… la presse mensongère reste la presse mensongère ».

 

La société civile autoritaire

Il existe deux variantes de société civile autoritaire : celle qui vise à exercer le pouvoir et celle qui soutient le pouvoir en place.

Première variante : la société civile autoritaire désigne les Organisations de la société civile d’un régime démocratique renforçant les partis qui cherchent à affaiblir ou à renverser la démocratie. Seconde variante : elle désigne les mouvements sociaux ou les partis situés aux extrêmes. L’exemple le plus classique est la marche sur Rome, organisée par les fascistes, qui a ouvert la porte du pouvoir à Mussolini en 1922. Ou l’Allemagne de Weimar qui a vu des tentatives de prise de pouvoir comparables, qu’il s’agisse du putsch de Kapp ou du putsch de Munich. Dernier exemple dont certaines composantes sont proches : la prise de pouvoir communiste en Tchécoslovaquie en 1948.

Aujourd’hui, les partis populistes tâchent de former des associations de sympathisants au sein de la société civile afin d’avoir des renforts pour lutter contre leurs adversaires au pouvoir, s’emparer de ce pouvoir par les urnes, et défendre leur programme dont le but est de minimiser le contrôle démocratique s’ils devaient y arriver. De ce point de vue, les meilleurs travaux empiriques sont ceux qui se penchent sur la Hongrie et la Pologne, deux cas de recul démocratique.

En Hongrie, c’est la création de clubs de discussion, appelés « cercles civiques », à l’échelle nationale, qui a permis de diffuser le message du Fidesz dans le pays. En même temps, un mouvement plus à droite, le Jobbik, a commencé à essaimer. Puis en 2006, le Premier ministre Ferenc Gyurcsány a été surpris en train d’avouer qu’il avait menti sur l’économie lors de sa campagne de réélection, suite à cela le Fidesz et le Jobbik se sont mobilisés et sont descendus dans la rue, lançant une vaste campagne de protestation qui a provoqué des batailles rangées opposant les manifestants et la police au pied du parlement. La crise a déstabilisé le gouvernement et entraîné sa chute prématurée. Il a été remplacé par le gouvernement de Gordon Bajnai, un dirigeant indépendant qui avait le soutien des socialistes, minoritaires à l’Assemblée. La voie était ouverte pour la victoire du Fidesz aux élections de 20109. Depuis, le Fidesz dirige la Hongrie et a mis en place un régime « autoritaire compétitif ».

photo d'un foule de dos lors d'une manifestation

 Manifestation antigouvernementale sur la place Kossuth, à Budapest (Hongrie), le 10 octobre 2006. La démonstration a été organisée par le Fidesz-KDNP, avec une allocution de Zsolt Semjén (chef du groupe parlementaire du KDNP).

La Pologne a connu une initiative comparable aux « cercles civiques » avec les Clubs de La Gazette polonaise (Gazeta Polska, un hebdomadaire de droite). Par ailleurs, il existait des mouvements liés au catholicisme traditionnel, notamment le père Tadeusz Rydzyk et son empire médiatique (qui comprend une radio, une chaîne de télévision et un journal). De leur côté, les cercles d’extrême droite ont politisé la célébration de l’indépendance de la Pologne (11 novembre 1918) afin de promouvoir leur feuille de route10. Enfin, le PiS a eu l’habileté de soutenir des initiatives socialement conservatrices et religieuses en faveur des enfants et de la scolarité, et en 2015, à l’occasion des élections présidentielles et législatives, il a réussi à mobiliser ces populations contre la coopération, pourtant limitée, entre le gouvernement de la Platforma Obywatelska (Plateforme civique) qui gouvernait et l’Union européenne s’agissant de l’accueil des réfugiés11. Fort de cette popularité, le PiS a remporté les élections de 2015 et s’est maintenu au pouvoir pendant deux mandats consécutifs, menant une politique synonyme de recul démocratique, qui, cependant, n’a pas provoqué de faillite.

La société civile pare-feu

La société civile pare-feu est celle qui correspond aux situations où la démocratie est menacée. Rappelons que la démocratie est protégée par trois types de responsabilité : la responsabilité verticale garantie par les élections, la responsabilité horizontale garantie par la séparation des pouvoirs, la responsabilité sociale garantie par le contre-poids de la société civile. Les démocrates sont d’autant aptes à défendre la démocratie que ces trois types de responsabilité sont garantis, cela dit, si les responsabilités horizontale et verticale sont mises à mal par une politique autocratique, la responsabilité sociale permet de les garantir et de jouer le rôle de rempart jusqu’aux élections suivantes. Les organisations de la société civile ont plusieurs façons de préserver la démocratie : surveiller les mesures prises par la bureaucratie étatique afin d’attirer l’attention sur les abus de pouvoir, contester les actions en justice menées par un exécutif autocratique et organiser des manifestations. Certes, il est difficile de renverser des dirigeants élus, surtout des dirigeants autocratiques, en descendant dans la rue, néanmoins, les manifestations ternissent leur réputation et sapent leur popularité, réduisant leurs chances de réélection12.

Aujourd’hui, la plupart des actions pare-feu menées par les organisations de la société civile visent à protéger les mécanismes de responsabilité contre les assauts des populistes visant la démocratie libérale. La majorité de ces organisations sont centristes, libérales du point de vue social, ou de gauche. Du côté de la résistance, cependant, il est courant de voir des conservateurs défendre la démocratie face aux discours populistes de droite. Le groupe de Visegrád (V4) est un foyer d’action typique de cette tendance.

En Pologne, la campagne de la Coalition citoyenne qui a renversé le PiS a largement bénéficié du Comité pour la défense de la démocratie (KOD) qui a organisé des manifestations pour défendre la Constitution et l’État de droit, de la mobilisation impressionnante de la Grève des femmes qui défendaient les droits reproductifs, et des juges et des avocats qui entendaient préserver l’indépendance judiciaire. Les actions entreprises par ces organisations ont directement modifié les schémas de mobilisation de l’électorat, privant le PiS d’une majorité de coalition, malgré sa victoire à la majorité relative13.

photo d'une foule manifestant dans la nuit

Marche de la Grève des femmes à Varsovie, le 30 octobre 2020. La pancarte principale indique : « Ce gouvernement fait tomber les femmes ».

En Slovaquie, les manifestations gigantesques provoquées par le meurtre du journaliste d’investigation Jan Kuciak et de sa compagne, Martina Kušnírová, en 2018, ont contribué à renverser le gouvernement SMER de Robert Fico14. En Tchéquie, le mouvement baptisé « Un million de moments pour la démocratie » a organisé plusieurs manifestations importantes avant que les partis réagissent en s’unissant pour vaincre l’ANO et Andrej Babiš en 202115. Le seul pays où ce type d’activisme suivi a échoué à déloger un dirigeant de droite est la Hongrie. Le régime de Viktor Orbán a non seulement un quasi-monopole sur les grands médias, mais il a une majorité constitutionnelle au Parlement qui lui permet de manipuler les élections et de modifier la loi pour affaiblir l’opposition. La Hongrie est donc un cas de figure qui montre les limites de l’exercice de la seule responsabilité sociale une fois les liens horizontaux et verticaux minés par le gouvernement en place16. Le courage, l’organisation et l’engagement en faveur de la démocratie de la part des militants et des organisations de la société civile ne suffisent pas à éviter la dictature.

Enfin, il existe des régions du monde dont les dirigeants de gauche n’hésitent pas à fouler au pied la responsabilité démocratique et à instaurer un patrimonialisme qui leur permet de s’enrichir, eux et leurs partisans, auxquels cas certaines organisations conservatrices sont en première ligne pour défendre la démocratie. En Amérique latine, par exemple, la résistance à Chávez et Maduro au Venezuela, et à Ortega au Nicaragua, couvre un large spectre idéologique, et inclut des groupes d’intérêt économiques et les partis politiques conservateurs. Les démocrates conservateurs sont une composante essentielle de la société civile pare-feu quand ce sont les dirigeants en place qui cherchent à mettre à mal la responsabilité démocratique.

Pour conclure : un cinquième mode ?

De nos jours, dans la plupart des démocraties établies, le système des partis est en train se réaligner et de s’éloigner de la stabilité de l’après-guerre fondée sur la rivalité entre le centre-gauche et le centre-droit, et l’alternance entre eux. Il s’ensuit une polarisation et une scission entre les partis qui défendent le statu quo démocratique libéral et ceux qui souscrivent aux idées de la droite populiste. Ce phénomène s’explique par une profonde crise de la représentation qui fragilise la démocratie libérale. De fait il y a longtemps que de nombreux électeurs estiment que les partis établis ne les écoutent plus et ne défendent plus vraiment leurs intérêts.

Les partis sont divisés sur de nombreuses questions essentielles. Sur l’immigration, le droit des femmes et la notion de genre, notamment, les divergences sont très marquées. Quant à la science et l’expertise, elles sont devenues un sujet de discorde : les questions de médecine et de santé publique, ainsi que le problème du réchauffement climatique et les réponses à y apporter, sont aussi un facteur de polarisation. En revanche, dans le domaine économique, la frontière est moins nette. Les progressistes sont divisés entre les partis déterminés à refonder le capitalisme et ceux qui sont fidèles aux principes fondamentaux de l’ordre néo-libéral. Les populistes ont beau exploiter le sentiment d’insécurité économique, en pratique, certains défendent davantage l’« aide sociale pour les personnes nées sur place », alors que d’autres souscrivent à l’utopisme du marché.

Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas les différences de politiques qui divisent vraiment les partis. C’est la question du régime. Les progressistes défendent la démocratie, et tiennent à ses procédures – État de droit, responsabilité, neutralité bureaucratique et indépendance judiciaire – et aux normes informelles qui en sont les garantes. Les populistes affirment qu’ils plaident en faveur d’une démocratie plus substantielle qui serait la vraie réponse au mécontentement de la population. Ils sont prêts à enfreindre à la fois les règles formelles et les normes informelles pour gagner et mettre en œuvre leur programme, alors que les progressistes cherchent à protéger les garde-fous et la règle du précédent qui sont les piliers de la démocratie.

Cette polarisation a des conséquences critiques pour la société civile. Car ces deux familles politiques ont chacune leurs organisations de sympathisants qui se mobilisent en faveur du programme du parti le plus proche, contribuent à galvaniser les électeurs et mènent une politique contestataire quand le pouvoir est détenu par leurs adversaires. C’est pourquoi la société civile est devenue un domaine verticalement segmenté et politisé où la contestation est permanente, et la société civile autoritaire et la société civile pare-feu sont prisonnières de la rivalité qui les oppose17.

photo d'image de foule en manifestation

Confrontation à l’entrée du parc Emancipation lors du rassemblement « Unite the Right » à Charlottesville, le 12 août 2017.

Cette configuration a des effets qui sont connus et dangereux pour la démocratie. Que ce soit dans l’Europe de l’entre-deux-guerres ou dans l’Amérique latine de la guerre froide, la société civile a été victime de ce type de polarisation entre partis, mais la logique à l’œuvre à l’époque était différente. En Europe, les partis réactionnaires ont mobilisé les groupes traditionnels de la société civile contre la démocratie, mais ils ont provoqué une contre-mobilisation des grands partis organisés de gauche. Le scénario était tel que les partis centristes au pouvoir se sont délités, ce qui a ouvert la voie à la dictature dans de nombreux pays en Europe du Sud, en Europe centrale et en Europe de l’Est. Les États d’Europe occidentale ont mieux résisté parce qu’ils avaient des ressources plus importantes pour affronter les défis auxquels la démocratie était confrontée. En Amérique latine, la gauche, galvanisée par le triomphe de la révolution cubaine, a sous-estimé le coût de la prise du pouvoir. Il s’en est suivi une surréaction conservatrice de la part de gardes prétoriennes qui a mis fin à la démocratie électorale à cause d’une mauvaise évaluation de la tangibilité d’une prise de pouvoir révolutionnaire de la gauche18.

Heureusement, nous n’en sommes pas là. Les populistes ont tendance à rogner sur la démocratie plutôt qu’à fomenter des coups d’État ou des putschs. Il n’empêche, la durée de vie de la démocratie ne dépend pas seulement de la présence d’une société civile assez forte pour défendre la responsabilité horizontale et verticale ou mobiliser les votants contre le populisme au moment des élections. Tant que les partis politiques n’auront pas résolu la crise de représentation qui explique l’attrait des promesses des démagogues, le populisme sera partie intégrante du système des partis. Et le jour où les populistes l’emporteront, ils prendront des mesures faites pour saper les mécanismes de responsabilité qui garantissent l’indépendance et la stabilité de la démocratie.

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    1

    Michael Bernhard, « What Do We Know about Civil Society and Regime Change Thirty Years after 1989? », East European Politics, vol. 36, n.° 3, 2020, p. 341-362. doi:10.1080/21599165.2020.1787160.

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    2

    Guillermo O'Donnell et Philippe C. Schmitter, « Tentative Conclusions about Uncertain Democracies », in Guillermo O'Donnell, Philippe C. Schmitter et Laurence Whitehead (dir.), Transitions from Authoritarian Rule, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1986, Part IV, p. 1-72 ; et Adam Przeworski, Democracy and the Market, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.

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    3

    Mark R. Beissinger, The Revolutionary City : Urbanization and the Global Transformation of Rebellion, Princeton, Princeton University Press, 2022.

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    4

    Elizabeth R Nugent, After Repression: How Polarization Derails Democratic Transition, Princeton, Princeton University Press, 2020.

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    5

    Stephen E. Hanson et Jeffrey S. Kopstein, The Assault on the State: How the Global Attack on Modern Government Endangers Our Future, Hoboken, Polity Press, 2024.

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    6

    Henry E. Hale, Patronal Politics: Eurasian Regime Dynamics in Comparative Perspective, New York, Cambridge University Press, 2015 ; et Lucan A. Way, « Authoritarian State Building and the Sources of Regime Competitiveness in the Fourth Wave: The Cases of Belarus, Moldova, Russia, and Ukraine », World Politics, vol. 57, n.° 2, 2005, p. 231-261. https://dx.doi.org/10.1353/wp.2005.0018.

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    7

    Sidney Tarrow, « Cycles of Collective Action: Between Moments of Madness and the Repertoire of Contention », Social Science History, vol. 17, n.° 2, 1993, p. 281-307. https://doi.org/10.2307/1171283.

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    8

    Robert Mickey, Paths Out of Dixie: The Democratization of Authoritarian Enclaves in America's Deep South, 1944-1972, Princeton, Princeton University Press, 2015

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    9

    Bela Greskovits, « Rebuilding the Hungarian Right Through Conquering Civil Society : The Civic Circles Movement », East European Politics, vol. 36, n.° 2, 2020, p. 247-266 ; Laura Jakli, Bela Greskovits et Jason Wittenberg, « Asymmetric Mass Mobilization and the Vincibility of Democracy in Hungary », Comparative Political Studies, 2025. https://doi.org/10.1177/00104140241312093 ; Dae Soon Kim, « The Rise of European Right Radicalism: The Case of Jobbik », Communist and Post-Communist Studies, vol. 49, n.° 4, 2016, p. 345-357. https://doi.org/10.1016/j.postcomstud.2016.08.001 ; Anna Seleny, « Revolutionary Road: 1956 and the Fracturing of Hungarian Historical Memory », in Michael Bernhard et Jan Kubik (dir.), Twenty Years After Communism: The Politics of Memory and Commemoration, New York, Oxford University Press, 2014, p. 37-59.

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    10

    Voir à ce sujet Frédéric Zalewski, « Les Marches de l’Indépendance à Varsovie. Recompositions et transformations des droites extrêmes depuis les années 2000 en Pologne », Cultures & Conflits, n.° 117, 2020, p. 35-59.

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    11

    Stanley Bill, « Counter-Elite Populism and Civil Society in Poland: PiS’s Strategies of Elite Replacement », East European Politics and Societies, vol. 36, n.° 1, 2022, p. 118-140. https://doi.org/10.1177/0888325420950800 ; Agnieszka Graff et Ela Korolczuk, Anti-Gender Politics in the Populist Moment, Londres, Routledge, 2021 ; Marta Kotwas et Jan Kubik, « Symbolic Thickening of Public Culture and the Rise of Right-Wing Populism in Poland », East European Politics and Societies, vol. 33, n.° 2, 2019, p. 435-471. https://doi.org/10.1177/0888325419826691 ; Daniel Płatek et Piotr Płucienniczak, « Civil Society and Extreme-right Collective Action in Poland 1990-2013 », Revue d’études Comparatives Est-Ouest, vol. 47, n.° 4, 2016, p. 117-146 ; Daniel Płatek et Piotr Płucienniczak, « Mobilizing on the Extreme Right in Poland : Marginalization, Institutionalization, and Radicalization », in Kristan. Jacobsson et Ela Korolczuk (dir.), Civil Society Revisited: Lessons from Poland, New York, Berghahn Books, 2017, p. 286-313 ; Yasuko Shibata, Discrimination for the Sake of the Nation : The Discourse of the League of Polish Families against “Others” 2001-2007, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2013 ; Marcin Ślarzyński, « Rola klubów Gazety Polskiej w sukcesie politycznym Prawa i Sprawiedliwości w 2015 roku. Aktorzy lokalni czy actor ogólnokrajowej sfery publicznej III RP? », Przegląd Socjolgiczny, vol. 67, n.° 2, 2018, p. 139-158 ; Piotr Kocyba, « Poland—Changing Patterns of Protest Mobilisation in a Polarised Society », in Claudiu Crăciun et Henry P. Rammelt (dir.), Power and Protest in Central and Eastern Europe, Cham, Palgrave Macmillan, 2025, p. 217-246. https://doi.org/10.1007/978-3-031-77888-9_9.

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    12

    Lindsay Mayka, « Civil Society Mobilization against Equal Citizenship in Latin America », in Valerie J. Bunce, Thomas B. Pepinsky, Rachel Beatty Riedl et Kenneth M. Roberts (dir.), Global Challenges to Democracy : Comparative Perspectives on Backsliding, Autocracy, and Resilience, Cambridge, Cambridge University Press, 2025, p. 143-158 ; et Mark R. Beissinger, « Civil Society Resistance to Democratic Backsliding », in Valerie J. Bunce, Thomas B. Pepinsky, Rachel Beatty Riedl et Kenneth M. Roberts (dir.), Global Challenges to Democracy: Comparative Perspectives on Backsliding, Autocracy, and Resilience, Cambridge, Cambridge University Press, 2025, p. 196-214.

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    13

    Michael Bernhard, « Post-Communist Democracy, Civil Society, and the Problem of Accountability », in Valerie J. Bunce, Thomas B. Pepinsky, Rachel Beatty Riedl et Kenneth M. Roberts (dir.), Global Challenges to Democracy : Comparative Perspectives on Backsliding, Autocracy, and Resilience, Cambridge, Cambridge University Press, 2025, p. 176-195.

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    14

    Miroslava German Sirotnikova, « Jan Kuciak: A Murder that Changed Slovakia », balkaninsight.com, 5 août 2020. https://balkaninsight.com/2020/08/05/jan-kuciak-a-murder-that-changed-slovakia/

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    15

    Kateřina Vráblíková, « Czech Republic—From Apathy to Mass Mobilisations, 1989-2022 », in Claudiu Crăciun et Henry P. Rammelt (dir.), Power and Protest in Central and Eastern Europe, Cham, Palgrave Macmillan, 2025, p. 109-136.

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    16

    Márton Gerő et Szabina Kerényi, « Hungary—The Changing Roles of Civil Society and Social Movements Facing Autocratization », in Claudiu Crăciun et Henry P. Rammelt (dir.), Power and Protest in Central and Eastern Europe, Cham, Palgrave Macmillan, 2025, p. 161-190.

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    17

    Márton Gerő et Szabina Kerényi, « Hungary—The Changing Roles of Civil Society and Social Movements Facing Autocratization », in Claudiu Crăciun et Henry P. Rammelt (dir.), Power and Protest in Central and Eastern Europe, Cham, Palgrave Macmillan, 2025, p. 161-190.

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    18

    Sheri Berman, « Civil Society and the Collapse of the Weimar Republic », World Politics, vol. 49, n.° 3, 1997, p. 401-429. https://doi.org/10.1353/wp.1997.0008 ; Nancy G. Bermeo, Ordinary People in Extraordinary Times : The Citizenry and the Breakdown of Democracy, Princeton, Princeton University Press, 2003. https://muse.jhu.edu/book/75884 ; Giovanni Capoccia, Defending Democracy: Reactions to Extremism in Interwar Europe, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2007 ; et Kurt Weyland, Revolution and Reaction: The Diffusion of Authoritarianism in Latin America, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.

    Pour citer cette publication

    Michael Bernhard, « La société civile, ses modes d’action et la mobilisation de droite » Dans ValentinBehr et Alihan Mestci (dir.), « Mobilisations conservatrices et réactionnaires », Politika, mis en ligne le 08/10/2025, consulté le 13/10/2025 ;

    URL : https://www.politika.io/es/node/1607