Depuis l’automne 2022, une femme, Giorgia Meloni, issue de l’extrême-droite est devenue présidente du Conseil des ministres en Italie. Pour comprendre cette accession, il faut tout d’abord revenir sur la victoire de la droite italienne et sa capacité déjà ancienne à s’unifier, à la différence de la gauche. Au-delà de cette continuité, la nouveauté réside dans le succès de Fratelli d’Italia, le seul parti qui n’avait pas participé au gouvernement de Mario Draghi et auquel l’ensemble de la droite et de l’extrême droite s’est rallié. Plus généralement, cette réussite trouve ses origines dans la redéfinition du jeu politique après l’effondrement au milieu des années 1990 du système issu de la fin de la Seconde Guerre mondiale et avec l’intégration des partis post-fascistes au jeu politique institutionnel, à l’occasion de l’entrée en politique puis de l’arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi. C’est pourquoi, à la différence des membres du Rassemblement national en France, Giorgia Meloni est une professionnelle de la politique expérimentée. Jouant du ressort classique en Italie de « l’antipolitique », bénéficiant d’une gauche pour le moment désunie, mais obligée de donner des gages à l’Union européenne, quelles transformations pourrait-elle entraîner dans la société italienne ?
Notes
Giorgia Meloni
Professionnelle de la politique d’extrême-droite, née en 1977 et actuellement présidente du Conseil des ministres d'Italie (l’équivalent de Premier ministre) depuis le 22 octobre 2022. Elle a appartenu au Mouvement social italien (MSI), à l’Alliance nationale puis au Peuple de la liberté. Élue députée pour la première fois en 2006, elle été ministre de la Jeunesse dans le quatrième gouvernement conduit par Silvio Berlusconi (2008-2011). Depuis 2014, elle dirige le parti d'extrême droite Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), qu’elle a cofondé en 2012. Autrice du best-seller Giorgia Meloni, Io sono Giorgia. Le mie radici, le mie idee, Milano, Rizzoli, 2021 (traduction française: Mon itinéraire, autobiographie d’une leader politique conservatrice, Chora Éditions, 2022).
Silvio Berlusconi
Né en 1936 à Milan, homme d'affaires italien ayant fait fortune dans l’immobilier puis dans les médias. À travers sa holding familial Fininvest, il contrôle notamment trois chaînes de télévision, le très important groupe de presse Mondadori et même pendant près de trente ans, l’AC Milan. En 1994, il fonde Forza Italia, avec des cadres issus de Fininvest et devient le leader de la droite italienne, en s’alliant avec La Ligue du Nord et le MSI. Plusieurs fois président du Conseil des ministres de 1994 à 1995, de 2001 à 2006, et de 2008 à 2011, il a été député européen et sénateur. Exclu du Sénat pour fraude fiscale en 2013, condamné à une peine d’inéligibilité, compromis dans plusieurs affaires sexuelles, il a été réélu sénateur en octobre 2022. Silvio Berlusconi est décédé le 12 juin 2023.
Mario Draghi
Né en 1947 à Rome, économiste (formée à La Sapienza à Rome et au MIT), professeur des universités, il a commencé une carrière plus « politique » comme directeur général du Trésor (1991-2001), gouverneur de la Banque d’Italie (2006-2011), puis président de la Banque centrale européenne (2011-2019). Entre-temps (2002-2005), il avait été vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs. Appelé à former un gouvernement par le président de la République italienne, Sergio Mattarella, il fut, soutenu par une coalition de la quasi-totalité (à l’exception notable de Fratelli d’Italia) des partis de gauche et de droite jusqu’à la Ligue, président du Conseil des ministres d'Italie du 13 février 2021 au 22 octobre 2022.
Gianfranco Fini
Professionnel de la politique italien, né en 1952. Il a été président du parti néofasciste Mouvement social italien (MSI), puis fondateur du parti d'extrême droite Alliance nationale en 1995, dont il a gommé progressivement les références à ses origines fascistes. Longtemps allié de Berlusconi qui l’a soutenu dès sa candidature à la mairie de Rome en 1993, il a même participé en 2009 à la fusion d’Alliance nationale avec Forza Italia, avant de rompre avec lui en 2010. Cette alliance avec Berlusconi lui a permis, ainsi que sa progressive transformation en homme de la droite libérale, d’entrer au gouvernement en 2001 comme vice-président du Conseil des ministres, d’être ministre des Affaires étrangères (2004-2006) et président de l’Assemblée nationale (2008-2013).
Beppe Grillo
Né en 1948, humoriste et acteur, banni de la RAI en 1987 pour avoir moqué le Parti socialiste italien et son leader Bettino Craxi. Animateur d’un blog à succès très suivi, lançant les V-Day (pour Vaffanculo-Day) qui visaient les professionnels de la politique condamnés, il s’est progressivement reconverti lui-même en dirigeant politique, en créant le Mouvement Cinq étoiles en 2009, qui a obtenu de nombreux succès électoraux entre 2013 et 2019. En 2017, il a abandonné la direction de son mouvement à Luigi Di Maio. Le Mouvement Cinq étoiles est actuellement dirigé par Giuseppe Conte, qui a été président du Conseil de juin 2018 à février 2021.
Matteo Salvini
Professionnel de la politique né en 1973 à Milan. Il a débuté comme journaliste dans la presse de La Ligue du Nord, dont il est devenu le leader (secrétaire fédéral) en 2013. Il infléchit la ligne du parti (qu’il appelle simplement La Ligue de manière révélatrice) vers une ligne plus nationaliste et souverainiste que séparatiste. Allié avec le Mouvement cinq étoiles, il devient après les législatives de 2018, vice-président du Conseil des ministres et ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Giuseppe Conte (Mouvement cinq étoiles). Espérant gouverner seul après ses succès électoraux aux Européennes un an plus tard, il provoque la chute du gouvernement Conte à la fin de l’été 2019, mais sans obtenir d’élections législatives anticipées. En 2021, son parti entre dans le gouvernement transpartisan dirigé par Mario Draghi. Réélu sénateur à l’automne 2022, il est vice-président du Conseil des ministres et ministre des Infrastructures et des Transports dans le gouvernement Meloni.
Alliance nationale (AN)
Alleanza Nationale était un parti politique italien d'extrême droite créé en 1995 héritier du Mouvement social italien (MSI). La formation politique, présidé par Gianfranco Fini jusqu’en 2008, puis par Ignazio La Russa (futur co-fondateur de Fratelli d’Italia), se dissout en mars 2009 pour se fondre dans Le Peuple de la liberté.
Démocratie chrétienne (DC)
La Democrazia Cristiana était un parti politique italien centriste et catholique, héritier du Parti populaire italien dissous par le régime fasciste, et fondé dans la clandestinité en 1942. Le parti, au cœur de la construction européenne, grâce à son leader historique Alcide de Gasperi, est au centre de la vie politique italienne jusqu’en 1994. La DC s’allie ponctuellement avec le Parti socialiste italien dans les années 1960 et esquisse même une alliance avec le Parti communiste italien (le « compromis historique ») à la fin des années 1970, l’autre grande force politique italienne depuis l’après-guerre. Les révélations sur la corruption de nombreux leaders du parti — « Tangentopoli » (« La cité des pots de vin ») — voire sur leurs liens avec la mafia (dont le Président du conseil Giulio Andreotti a été soupçonné) dans le cadre de l’opération Mains propres (« Mani Pulite ») ont conduit à son effondrement électoral (ainsi qu’à celui du PSI). La DC a alors éclaté entre plusieurs organisations politiques sans jamais retrouver son poids électoral.
Forza Italia (FI)
Forza Italia est un parti politique de droite, créé en 1994 par Silvio Berlusconi, qui a ensuite fusionné avec Alleanza Nazionale en 2009 avant d’être recréé sous son premier nom en 2013.
Frères d’Italie (FdI)
Fratelli d’Italia est un parti politique italien d'extrême droite créé en décembre 2012 par Giorgia Meloni et Ignazio La Russa, venus l’un et l’autre du MSI. Il est le produit de la scission entre le Peuple de la liberté et le courant national-conservateur de l'ancien parti Alliance nationale. Le parti, membre de la coalition de droite aux élections de 2018 et de 2022, avec Forza Italia et la Ligue du Nord, est dirigé par Giorgia Meloni depuis 2014 et défend en particulier la souveraineté nationale, la lutte contre l’immigration et les traditions nationales.
Ligue du Nord (LN)
Officiellement la Ligue du Nord pour l'indépendance de la Padanie (Lega Nord per l'Indipendenza della Padania). Parti politique italien, d’abord goupusculaire, principalement issu de la Ligue Lombarde, créée au milieu des années 1980, et de petits mouvements régionalistes rebaptisé Ligue du Nord en 1991 sous la direction d’Umberto Bossi. Le parti défend des positions régionalistes, fédéralistes, xénophobes et eurosceptiques, avant sous la direction de Matteo Salvini d’avoir des positions plus classiquement nationalistes, notamment destinées à conquérir les électeurs du Sud de l’Italie, stigmatisée par la vieille Ligue du Nord.
Mouvement Cinq étoiles (M5S)
Le Movimento 5 Stelle est une formation politique italienne fondée en 2009 par Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio qui revendique d’être ni de droite ni de gauche et ne se définit pas comme un parti politique. Elle défend notamment la démocratie directe par opposition à la démocratie représentative. Le M5S conquiert des mairies comme celle de Rome, dirigée par Virginia Raggi entre 2016 et 2021. En 2018, le mouvement devance les autres partis aux élections générales et forme un gouvernement de coalition avec La Ligue d’abord jusqu’au départ de Salvini puis, en 2019, avec le Parti démocrate et deux autres groupes politiques. Déclinant régulièrement, le M5S est arrivé en troisième position lors des élections générales de 2022. Il est aujourd’hui présidé par l’ancien Président du conseil, le juriste Giuseppe Conte.
Mouvement social italien (MSI)
Le Movimento sociale italiano est un parti politique explicitement néofasciste, fondé en décembre 1946 après la chute de la République sociale italienne (appelée aussi République de Salò) et l'interdiction du Parti national fasciste par le gouvernement provisoire et les Alliés. Longtemps dirigé par Giorgio Almirante, puis par son dauphin, Gianfranco Fini, il s’est autodissout en 1995 pour former Alleanza Nationale.
Parti communiste italien (PCI)
Le Partito Comunista Italiano a été créé en 1921, un temps dirigé par le philosophe Antonio Gramsci, puis dissout en 1926 par Mussolini. Survivant dans la clandestinité et en exil, très actif dans la résistance italienne, il est dirigé dès les années 1930 jusqu’à sa mort en 1964 par Palmiro Togliatti. Plus ouvert que son homologue français dès les années 1950, moins inféodé à Moscou que lui, il est la deuxième grande force politique italienne, sans jamais participer aux gouvernements à l’exception de l’immédiat après-guerre. Lors de son vingt-et-unième Congrès en 1991, avant la chute du régime soviétique, une motion majoritaire favorable à un « tournant » réformiste propose sa transformation en Parti démocrate de gauche (PDS), la minorité créant le Parti de la refondation communiste (PRC).
Parti Démocrate (PD)
Le Partito Democratico est un parti politique italien, classé en général au centre gauche, dont la création en 2007 résulte de la réunion de courants issus de la gauche anciennement communiste et des fractions progressistes de la démocratie chrétienne. Défait assez nettement lors des élections de 2018, il est resté dans l’opposition ces dernières années. Le résultat décevant aux élections générales italiennes de 2022, a entraîné un changement de leadership, Elly Schlein, issue de l'aile gauche du parti, remportant la primaire ouverte pour l'élection de secrétaire, le 27 février 2023.
Peuple de la liberté (PdL)
Créée par Silvio Berlusconi pour les élections générales de 2008 comme une coalition, Il Popolo della Libertà rassemble deux formations politiques, Forza Italia, et Alleanza Nazionale, qui fusionnent l’année suivante pour constituer un seul parti. Ce parti est à son tour dissout en 2013 par son fondateur dans Forza Italia.
Alfio Mastropaolo
Professeur émérite à l’université de Turin, au sein du département Cultures, politique et société. Il a enseigné la science politique et travaille sur la démocratie, les élites politiques et le populisme. Il a été professeur invité à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et dans les Instituts d’études politiques d’Aix-en-Provence, Bordeaux et Paris. Voir sur Politika.io, l'article d'Alfio Mastropaolo « C’est une révolte ? Non, c’est une révolution. Les élections nationales du 4 mars 2018 en Italie ».
Vittorio Mete
Professeur associé de science politique à l’université de Florence et auteur de plusieurs ouvrages sur l’antipolitique et l’hostilité diffuse aux institutions démocratiques dans l’Italie contemporaine.
Fonds de relance européen
Le plan de relance européen de 2020 (baptisé « Next Generation EU ») est un accord trouvé par les vingt-sept États membres de l'Union européenne à l'issue du Conseil européen du 17 au 21 juillet 2020. Il vise à compenser les effets économiques et sociaux de la pandémie de Covid-19. Son montant a été fixé à 750 milliards d'euros à quoi s’ajoute un budget européen pluriannuel renforcé pour la période courant de 2021 à 2027.
Gouvernement technique
Gouvernement constitué majoritairement d’experts ou de hauts fonctionnaires techniciens comme le fut, ces dernières années, le gouvernement dirigé par Mario Monti, au pouvoir entre décembre 2012 et avril 2013, uniquement composé de personnalités indépendantes et sans aucun parlementaire en son sein.
À propos de Jean-Louis Briquet
Jean-Louis Briquet est politiste, directeur de recherche CNRS au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP). Il enseigne à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et à l'EHESS. Ses travaux portent sur les pratiques politiques officieuses (clientélisme, corruption, criminalité politique), sur le métier politique local et sur la sociologie politique de l'Italie contemporaine.
Bibliographie
Bibliographie de Jean-Louis Briquet
(avec Laurent Godmer), Ancrages politiques, Presses universitaire du Septentrion, Villeneuve-d'Ascq, 2022.
« Une entreprise de mobilisation antipolitique. Le Mouvement 5 étoiles en Italie », in Alain Dieckhoff, Christophe Jaffrelot, Élise Massicard, dir., Populismes au pouvoir, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 49-62.
(avec Alfio Mastropaolo), Politica in Italia. Edizione 2007, Bologne, Il Mulino, 2007, (trad. anglaise : Italian Politics. The Center-Left Poisened Victory, New-York-Oxford, Berghan Books, 2008).
(avec Gilles Favarel-Garrigues), Milieux criminels et pouvoir politique. Les ressorts illicites de l’État, Paris, Karthala, 2008 (trad. anglaise : Organized Crime and the State. The Hidden Face of Politics, New York, Palgrave-MacMillan, 2010).
Mafia, justice et politique. L’affaire Andreotti dans la crise de la République (1992- 2004), Paris, Karthala, 2007.
(avec Romain Bertrand et Peter Pels), Cultures of Voting. The Hidden History of the Secret Ballot, Londres, Hurst, 2006.
(avec Philippe Garraud), Juger la politique. Entreprises et entrepreneurs critiques de la politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.
(avec Frédéric Sawicki), Le Clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
La Tradition en mouvement. Clientélisme et politique en Corse, Paris, Belin, 1997.