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À l’aube de toute chose ? Une encyclopédie des formes du politique selon Graeber et Wengrow
Maître de conférences

(EHESS - Laboratoire d’anthropologie sociale)

Publié en 2021, traduit en plus de trente langues, The Dawn of Everything a constitué un événement majeur dans le débat public sur le passé ancien1. L’anthropologue David Graeber et l’archéologue David Wengrow y font entendre une voix dissonante parmi la profusion de livres sur le sujet. Les données accumulées par le progrès des fouilles et analyses, plaident-ils, ne sont pas réductibles à l’horizon des modes de vie éprouvés au présent. Elles remettent en cause ces conceptions restreintes de l’évolution sociale, comme une suite ordonnée et orientée, et permettent d’en inspirer le dépassement.

Cette lecture critique commence par présenter les trois grandes hypothèses qui soutiennent selon moi cette mise en évidence d’une diversité négligée de la politique préhistorique : l’oscillation sociale, l’effervescence cosmopolite et la coalescence du soin et de la domination. Il montre ensuite en quoi cette démarche demeure néanmoins limitée par une narration qui s’inscrit, sans toutefois l’assumer, dans une vieille tradition du contre-récit. Si Graeber et Wengrow rendent toute sa place à l’archéologie comme le lieu d’une expérience anthropologique à part entière, ils se gardent bien de rompre avec les fondamentaux d’une historiographie prisonnière d’un vaste jeu de dissociation et d’identification. Peut-être même la subissent-ils plus encore que certains de leurs illustres prédécesseurs.

En préface de sa candidature malheureuse au concours de l’Académie de Dijon sur « l’origine et les fondemens [sic] de l’inégalité parmi les hommes », Jean-Jacques Rousseau lançait un regard sévère sur la littérature alors foisonnante sur la question. « Parmi les plus graves écrivains à peine en trouve-t-on deux qui soient du même avis », commençait-il, « sans parler des Anciens Philosophes qui semblent avoir pris à tâche de se contredire entre eux sur les principes les plus fondamentaux »2. Sans doute cette indignation était-elle un peu forcée. Après tout, ce « scandale » ne justifiait-il pas qu’il intervienne à son tour dans la controverse ? Le rappel préalable de cette incertitude généralisée lui permettait en tout cas de discréditer des conceptions du droit naturel soumises à l’opinion et à la mauvaise foi, tout en en appelant à une histoire plus rigoureuse des dispositions morales et politiques.

À bien des égards, Au commencement était... de David Graeber et David Wengrow renoue avec cette position polémique, en critiquant l’actuelle prolifération d’essais qui prétendent tous, et chacun à leur manière, trouver dans un passé immémorial de quoi établir un diagnostic en général très consensuel du temps présent. Steven Pinker, Yuval Harari, Robin Dunbar, Jared Diamond, Walter Scheidel, Francis Fukuyama et Ian Morris sont nommément visés comme autant de variations d’une telle mystification de l’évolution sociale. Ils sont comme ces philosophes que Rousseau accusait de « rechercher des règles dont, pour l’utilité commune, il serait à propos que les hommes convinssent entr’eux […] sans autre preuve que le bien qu’on trouve qui résulterait de leur pratique universelle3 ». Au fond, pour Graeber et Wengrow, l’objectif est le même : conjurer la transformation de la norme en loi. La grande différence, bien sûr, est que la dispute ne concerne plus des spéculations sur la nature humaine, mais la variabilité des formes sociales documentées depuis deux siècles par l’anthropologie et l’archéologie.

Il peut donc sembler étrange que voir Rousseau désigné responsable d’un unanimisme contemporain qui n’attribuerait une origine aux inégalités que pour mieux naturaliser leur existence comme contrepartie du progrès. Outre que cela fait peu de ses aspirations à l’égalité, n’est-ce pas confondre deux situations historiographiques ? En homogénéisant ainsi le débat, Graeber et Wengrow exposent d’autant mieux les faiblesses empiriques d’essayistes qui, sur certains points, semblent bel et bien se complaire à n’être guère plus informés qu’à l’époque de Rousseau. Mais en faisant remonter leur diagnostic à un état préalable à l’existence même de ces connaissances positives, ils ramènent inévitablement l’interprétation de ces dernières au vieil horizon des dispositions fondamentales de l’humanité. En l’occurrence, à « l’inégalité » comme fatalité évolutive Graeber et Wengrow opposent une notion de « liberté », qui permet certes de retracer l’envers cette fresque, mais n’en demeure pas moins ahistorique et déjà donnée. Ils participent en somme au retour actuel des grands récits, mais sous une forme moins critique et réflexive qu’ils pouvaient l’être quand ils s’assumaient comme tels. Quand par exemple Rousseau spéculait sur « l’origine » des inégalités pour mieux exposer la vacuité de ceux qui la justifient par la nécessité des lois.

Vaut-il mieux dénoncer la servitude comme une convention ou défendre la liberté comme un universel ? En prenant parti pour la seconde option, la « nouvelle histoire de l’humanité » de Graeber et Wengrow risque de reproduire sur le lecteur sur la même impression désabusée que le constat d’ouverture du Second Discours. Celle de justifier à leur tour les « règles » qu’ils estiment les plus à propos « pour l’utilité publique ». Parce qu’il surjoue la rupture et se force à ignorer sa propre parenté avec ces débats passés, Au commencement était… finit par en répercuter certaines tares. Il compromet ainsi son propre apport analytique vis-à-vis de la connaissance historique : non seulement la possibilité de prescrire différentiellement le politique – cet objectif-là n’a rien de neuf – mais la diversité constitutive de ces prescriptions. Avant de revenir sur son rapport paradoxal avec l’héritage rousseauiste, il convient donc de préciser ce qui distingue radicalement sur ce point l’œuvre de Graeber et Wengrow du reste de la production contemporaine.

Trois hypothèses pour renouveler le champ de l’évolution sociale

Il faut commencer par reconnaître aux deux auteurs une attitude salutaire. Le très vaste tour d’horizon qu’ils proposent n’a pas pour seul effet d’illustrer une thèse ou d’en assoir l’autorité par un effet de masse. Il témoigne d’une générosité scientifique aussi rare que féconde. « À mieux comprendre ce que racontent les preuves archéologiques », soutiennent-ils, « force est de constater que la vie sociale et politique des premiers humains était infiniment plus complexe et plus excitante que ne l’imaginerait n’importe quel théoricien moderne de l’état de nature »4. Cet appel jubilatoire à dépasser les « limites de notre imagination » pour « embrasser le champ des possibles » suffit à distinguer ce livre au sein du genre terriblement rabâché des grandes synthèses évolutives5. Contrairement aux simplifications qu’implique généralement la quête de traits communs entre passé et présent, Graeber et Wengrow exposent ce que chaque étude de cas peut avoir de déroutant pour notre conception de l’évolution sociale6. Le tableau qui en découle est parfois forcé pour les besoins de la démonstration – les spécialistes sauront le leur rappeler –, mais il est aussi bien plus en phase avec les problèmes réellement soulevés par la recherche archéologique.

En eux-mêmes, les faits compilés n’ont d’ailleurs rien d’original. Certains comptent parmi les noms les plus célèbres de l’archéologie (Uruk, Chavín, Stonehenge...), d’autres ont fait récemment l’objet d’un intérêt renouvelé (les « mégasites » trypilliens du Néolithique ukrainien, Arslantepe et les principautés des marges mésopotamiennes, Poverty Point et les grands tertres de l’Est nord-américain...). De même, aucune des interprétations qui en sont proposées n’est entièrement neuve, ainsi que le rappellent les auteurs pour devancer les sceptiques. Seulement, rien de tout cela n’avait encore fait l’objet d’un exposé aussi volontairement exhaustif et comparatif pour être mis en perspective avec la théorie sociale. Ce regard croisé qui multiplie contrepoints et rapprochements tranche allégrement dans un discours évolutionniste autrement soucieux d’ordre et de classification. Il nuit aussi à l’énoncé de la démonstration. Quelques hypothèses fortes viennent heureusement structurer en profondeur ce foisonnement. Bien qu’elles ne soient pas énoncées comme telles par les auteurs, il est possible d’en identifier trois principales, très larges. Si larges, à vrai dire, qu’elles auraient sans doute chacune mérité un livre à part entière...

La première hypothèse, la plus clairement énoncée et la plus structurante pour le reste de l’argument, concerne le caractère oscillatoire de l’organisation politique. Elle est d’abord avancée dans le cadre d’un rapprochement entre les sociétés du Paléolithique supérieur européen, contemporaines de la dernière période glaciaire, et la « double morphologie sociale » théorisée par Marcel Mauss pour expliquer la saisonnalité très marquée du mode de vie des Inuits nord-américains7. Parce que ces économies de chasse-cueillette partagent l’année entre une phase estivale de dispersion pour l’exploitation des ressources alimentaires et une autre d’agrégation associée à leur consommation festive et collective, elles permettent à un même groupe de faire l’expérience régulière de la diversité de modes d’organisation politique, organisés à différentes échelles et régulés selon différentes normes. Pas plus que Mauss, qui établissait déjà des parallèles avec d’autres sociétés américaines en zones plus tempérées ainsi qu’avec les rythmes annuels de la modernité occidentale pour formuler « une loi [...] d’une très grande généralité8 », Graeber et Wengrow ne se laissent toutefois pas enfermer dans un strict déterminisme technique ou environnemental concernant les chasseurs/pécheurs en milieux froids. L’hypothèse du caractère oscillatoire ne se limite pas ici aux structures sociales de l’Europe paléolithique, notoirement difficiles à appréhender selon les grilles d’analyse classique de l’archéologie. On doute qu’elle apporte à elle seule une solution aux divergences actuelles concernant de potentiels signes de hiérarchie dans la richesse de certaines sépultures ou l’exclusivité de certaines grottes ornées9. Elle invite plutôt à rompre avec l’idée même d’une société « égalitaire » trop simplement définie par l’absence des marqueurs univoques de l’inégalité, afin d’affirmer le principe d’une plasticité politique transversale à l’ordre strictement séquentiel de l’évolution sociale.

À la fois vécue de manière consciente et dotée d’une sorte de spontanéité, cette plasticité est la donnée fondamentale de la « nouvelle » manière de théoriser le changement social promue par le livre. Elle constitue pour ainsi dire la déviation primordiale, le clinamen de toutes les transformations à suivre. La polarité politique et économique des saisons peut bien s’inverser, l’amplitude de leur variation peut bien s’amenuir, l’important est qu’elles donnent à expérimenter tantôt la domination dans un contexte « égalitariste » tantôt sa contestation dans une société « hiérarchisée ». L’institution momentanée d’une force de « police » dans les regroupements de chasse aux bisons cheyennes ou pawnees, décrits par Robert Lowie dans un célèbre article, peut ainsi être rapprochée du « carnavalesque » au sens bakhtinien d’une capacité à ménager des espaces de subversion ou de renversement symbolique des valeurs10. Du côté de l’interprétation de l’égalitarisme, cette « encyclopédie des formes politiques » intégrée à la structure même du tissue social fournit une élégante solution à la critique souvent émise à l’encontre de théories anarchisantes qui, comme celle de Pierre Clastres, semblent obligées de postuler une prescience de l’État pour expliquer que certaines sociétés en conjurent l’émergence11. Par rapport à d’autres manières contemporaines de résoudre ce problème, en montrant par exemple que cette anticipation peut s’appuyer sur le vécu des relations à une extériorité (humaine ou non), cette réponse se distingue toutefois par son attachement à l’optique durkheimienne du social comme « totalité une », renfermée sur son propre devenir12. Mais c’est peut-être pour l’étude de l’émergence de la « complexité » sociopolitique, loin de l’ethnographie américaniste où elle a été initialement développée, que cette plasticité politique s’avère peut-être la plus heuristique. On peut en effet se demander avec Graeber et Wengrow si le ritualisme très marqué des sociétés néolithiques d’Europe et du Proche-Orient, avec leur architecture monumentale et leur centre cultuel, ne rendrait pas mieux compte d’une « souplesse écologique » qu’on s’accorde de plus en plus à leur reconnaitre que des effets longtemps présumés uniformes de l’agropastoralisme naissant. De même, le rôle de la mobilisation du travail collectif dans la formation du pouvoir étatique mériterait d’être reconsidéré, à l’encontre du cliché orientaliste de l’embrigadement despotique de masses, comme des épisodes festifs d’égalisation momentanée des conditions.

Plus diffuse, mais peut-être aussi plus radicale dans ses implications, la deuxième hypothèse regroupe une série de phénomènes que l’on pourrait regrouper sous le terme d’effervescence cosmopolite. Elle vient progressivement compléter la première en qualifiant la manière dont le pôle agrégatif du mouvement oscillatoire s’impose comme norme plus ou moins pérenne de la vie sociale. Elle répond, en somme, au grand problème durkheimien des effets durables de l’effervescence collective, de son hypostase. Graeber et Wengrow refusent toutefois d’y chercher l’ombre transcendantale, non encore sécularisée, de la nation homogène. Leur originalité tient à ce qu’ils mettent en avant l’échange, le jeu et l’hospitalité comme forces sociales initiales de ce mouvement. Ce cosmopolitisme, dont ils retracent la racine dès la circulation à très longues distances d’objets au Paléolithique, leur permet de penser ce processus d’intégration culturelle à l’intérieur de ce que les archéologues appellent dans les cas les plus manifestes des « sphères d’interaction ». Le contact et la circulation sont partie prenante de cette dynamique et non sa résultante. C’est sous cet angle, et là encore sous le parrainage intellectuel de Mauss et sa notion de « civilisation » comme communauté « arbitraire » de pratiques constituée par l’emprunt ou son refus, que Graeber et Wengrow proposent d’interpréter le foisonnement des modes de vie pendant la plus grande partie de l’Holocène. De là à faire de la définition des « aires culturelles » (Obeid, Lapita, Hopewell, Jōmon, Minos...) « le grand fait de l’archéologie moderne », ainsi qu’ils le présentent, cela nécessite quelques concessions à une vieille conception identitaire sur lesquelles on reviendra plus tard13. Mais il est certain que cette capacité des sociétés de la préhistoire tardive à explorer des voies tout à la fois nouvelles et interconnectées, devenant à leur tour un facteur de transformation sur leur voisinage, est un fait d’une portée injustement négligée par la synthèse anthropologique et les tentatives de classification de la variation culturelle sur le temps long.

L’histoire politique post-glaciaire et pré-étatique serait ainsi marquée par le dynamisme intrinsèque de « communautés morales étendues », tantôt confédérant des conditions diverses à grande échelle, tantôt générant de la complémentarité ou de la distinction à partir d’une expérience commune, mais toujours sur la base de principes radicalement immanents. Omniprésente tout au long de l’argumentation, la question de l’échelle reste néanmoins un grand impensé du livre. Le préjudice est notable dès qu’il s’agit de comprendre le rapport entre, d’une part, des communautés culturelles traitées comme des totalités agissantes dotées d’une forte capacité de choix et, de l’autre, des sphères d’interpénétration qui en cristallisent les orientations, soit dans de vastes condensats hétérogènes (telles que les cités multiculturelles « démocratiques » de Mésopotamie ou Mésoamérique), soit par la diffusion homogène dans l’espace d’entités plus modestes (comme la culture chalcolithique d’Obeid, au Proche-Orient, que les auteurs qualifient de premier âge du « village global »)14. Comme David Wengrow lui-même l’a montré dans ses précédents travaux sur l’investissement symbolique des objets du quotidien ou la modularité figurative dans les cultures visuelles de l’Orient ancien15, les jeux d’échelle fournissent d’indispensables infrastructures cognitives aux pratiques de gouvernement comme à leur contestation. À défaut d’une telle analyse, comment contrer l’argument qui fait de l’inégalité sociale le corollaire tragique de toute organisation passée un certain seuil de grandeurs ?

Le danger est de s’en remettre alors à une sorte de volonté transhistorique. En l’occurrence, la réflexion de Graeber et Wengrow gravite autour du site de Cahokia, dans la vallée du Mississippi, aujourd’hui dans la banlieue de Saint-Louis. Depuis ce point, aux XIe et XIIe siècles, un court mais intense épisode d’urbanisation fédère des populations diverses autour de grands rituels politiques et exerce une hégémonie culturelle sur tout le sud-est du continent. Or ce phénomène n’est pas la bizarrerie évolutive que l’on a longtemps voulu y voir. Il est encadré par deux exemples d’organisation non-étatique à grande échelle : la « sphère d’interaction » d’Hopewell des premiers siècles de notre ère, d’une part, puis des confédérations iroquoise et wendat rencontrées par les colons européens, de l’autre. Il s’agit donc moins de comprendre un soudain et mystérieux saut quantitatif, et de déterminer par-là s’il s’agit d’une chefferie hypertrophiée ou proto-État, que de comprendre des transformations dans les modalités de pratiques de gouvernement à cette échelle. Mais en présentant Cahokia comme un « effort conscient » en vue d’une entreprise « totalitaire »16, Graeber et Wengrow s’attachent surtout à la qualifier d’un point de vue moral, sans autres clefs de compréhension que notre faculté d’identification à son rejet.

Cela ne signifie pas pour autant que les auteurs se contentent de répercuter dans le temps et dans l’espace une même expérience singulière, qu’incarneraient de manière monolithique l’État, l’Empire ou le Marché, contre des dispositions sous-jacentes plus vertueuses. L’Amérique de Cahokia illustre comment un tel cycle d’émergence et d’abandon peut reposer sur d’autres types d’institutions cosmopolites que celles que l’on associe habituellement à ces constructions politiques : les jeux intercommunautaires, l’organisation en clans, le partage de référents cosmologiques… Loin d’être idéalisées, ces forces ouvrent de nouvelles perspectives, dans d’autres contextes, sur l’émergence de la domination à partir de pratiques qui ne le sont pas nécessairement. C’est ainsi que les auteurs pensent l’origine de la propriété privée comme l’extension, au domaine ouvert de l’échange, d’une « structure d’exclusion » propre à l’administration du sacré (retrouvant, sans les citer, des intuitions déjà explorées par Fustel de Coulanges ou Robertson Smith), plutôt que comme l’expression d’une souveraineté individuelle (« le premier qui, ayant enclos un terrain... »)17. C’est ainsi qu’ils renouent avec le vieil esprit des épopées pour considérer l’émergence du pouvoir charismatique comme le résultat d’une émulation par le sport et la compétition, engendrant une « politique héroïque » étrangère à la logique même de la concentration urbaine des pouvoirs. C’est ainsi, enfin, que l’exercice légitime et même « divin » d’une violence sans limites est interprété comme solidaire du même principe transgressif que l’étrangeté d’un souverain « sacralisé », au pouvoir contraint, mis à l’écart et tenu responsable de la prospérité de ses sujets (selon la thèse frazérienne classique de la royauté sacrée)18.

L’envers de l’effervescence cosmopolitique est donc la diversité des régimes de valeur associés localement à la constitution des inégalités. Graeber et Wengrow l’explorent à travers une combinatoire de « trois formes élémentaires de la domination, aux origines bien distinctes », que l’on devine librement inspirées des trois formes wébériennes de l’autorité, selon qu’elle se fonde sur le charisme, l’information ou la violence. S’opposant à sa téléologie urbaine de l’État19, le ramenant commodément à un « amalgame » d’éléments hétérogènes20, cette grille commence par distinguer des régimes dits « de premier ordre », parce qu’ils s’appuient sur l’une de ses formes sans autre levier de domination. Significativement – on y reviendra – ce sont trois sociétés précolombiennes qui sont choisies pour illustrer les trois dimensions : le charisme, avec le sport-spectacle comme vecteur de compétition politique chez les Olmèques ; l’information, avec la maîtrise de connaissances ésotériques à Chavín de Huántar ; la violence, avec l’exercice d’une souveraineté divine individuelle chez les Natchez. Elle permet ensuite de penser les variations qu’incarnent des exemples plus classiques de formation proto-étatique, ou « régimes de deuxième ordre », qui conjuguent deux de ces forces par l’exclusion de la troisième : les premiers temps de l’Égypte pharaonique, où le monopole souverain de la violence est soutenu par une intendance religieuse, sans nécessiter de pouvoir charismatique ; la Mésopotamie des dynasties archaïques, où le charisme royal s’appuie sur l’efficacité sans faille d’un savoir bureaucratique, abandonnant la souveraineté aux dieux ; et les Mayas de la période classique, où l’exercice guerrier et cynégétique de la violence est le vecteur d’une souveraineté héroïque, sans prétention à l’administration de vaste territoire.

Il ne fait aucun doute que cette typologie procède d’une simplification structurelle, où chaque proposition n’est vraie qu’en relation à une autre. Sa virtuosité repose, en dernière instance, autant sur ce qu’elle exclut que ce qu’elle mobilise. D’ailleurs, elle ne cache aucunement s’appuyer sur des oppositions schématiques anciennes, comme la célèbre opposition des monarchies égyptiennes et mésopotamiennes par Henri Frankfort21, tout en puisant dans la marge d’interprétation de cas encore mal compris – les Olmèques, Chavín – ou biaisés par des effets de description, comme ceux des Français fascinés par l’absolutisme fragile du « roi-soleil » des Natchez22. Mais elle constitue le haut moment de l’ambition comparative du texte, car elle offre enfin un exposé didactique des principes qui affleurent ailleurs. Elle laisse ainsi, tranquillement, les catégories usuelles de la pensée évolutionniste – les rois, l’État, la ville, le prestige, la religion... – éclater dans leur diversité constitutive.

La troisième hypothèse, la plus originale et la plus personnelle, est malheureusement aussi la moins développée. Elle s’affirme à la fin du livre comme une réponse à l’inflexion que l’accumulation de cas-limites fait peser sur le problème classique de l’évolution sociale. Puisqu’il n’est pas possible de déterminer une origine unique à l’inégalité sociale, déjà présente en substance dans la multiplicité des institutions qui la précèdent, Graeber et Wengrow renversent la question. Comment se retrouve-t-on bloqué dans une configuration historique incapable ne serait-ce que d’imaginer renouer avec le dynamisme intrinsèque de ces équilibres toujours précaires entre les différentes formes de la domination ? Comment en arrive-t-on à un tel sentiment de totalité, condamnée à projeter son ombre sur le passé pour mieux se justifier ? C’est sur ce point que leur contribution est la plus originale et provocatrice, puisqu’elle embrasse l’ambivalence des forces sociales que leur modèle implique et qui aurait pu sembler un frein à l’argumentation : c’est dans leur association contre-intuitive avec le soin que ces relations fragiles de domination se stabilisent.

Ici encore, les auteurs rompent avec la quête de ruptures fondatrices en retraçant l’histoire profonde du phénomène jusqu’au Paléolithique européen. Certaines tombes de cette période distinguent en effet, par la richesse du mobilier funéraire, la complexité du rite, voire le simple fait de l’inhumation dans des contextes où elle n’était pas généralisée, des individus dotés de caractéristiques physiques « hors-normes » voire handicapantes. Ces pratiques, plus diverses que ne le permet leur exposé dans ce livre, sont difficiles à interpréter sans une réflexion plus large sur les notions de dépendance et de singularité qui ne trouvent aucun écho chez Graeber et Wengrow23. L’association paléolithique entre l’exceptionnalité reconnue de certains corps et le soin qui leur est dû dans la mort préfigure ici les incroyables démonstrations d’affection accompagnant le trépas du souverain dans les formations proto-étatiques. Seulement, dans ce dernier cas, la reconnaissance fonctionnerait à rebours. En retournant vers la dépouille du monarque les effets concrets de la sollicitude qu’il était censé porter à ces sujets de son vivant, elle légitimerait le caractère fondamentalement ambigu d’un pouvoir s’affirmant à la fois comme garant de la prospérité collective et comme régime potentiellement cruel de coercition. Symétriquement, l’étrangeté primordiale du roi, source de son exceptionnelle puissance et outil de son confinement, se trouverait par-là transfigurée en une autorité paternelle, selon une analogie du reste très classique quoique soulevant ici encore des problèmes irrésolus d’échelles24. Ce soin mortuaire porté à un corps à nul autre pareil sert cependant moins les prétentions individuelles à la souveraineté divine que la pérennité et l’extériorité des forces dont il est le véhicule. « Et si c’était ça l’État », se demandent finalement les auteurs, « la création d’une machine sociale complexe combinée à une violence exceptionnelle, l’une et l’autre prétendument tournées vers le soin et la dévotion »25.

Sous cet angle instrumentale, l’hypothèse initiale consistant à penser de concert le soin et la domination demeure toutefois à l’état d’ébauche. Osons l’expliciter davantage que ne le font les auteurs : support d’une mémoire obsédante et d’un soin démesuré, le cadavre du souverain permet d’extraire certaines propriétés politiques des oscillations perpétuelles du corps social. On imagine Graeber et Wengrow réticents à penser les ressorts « idéologiques » de cette proposition, car à aucun moment ils n’expliquent comment ce pacte mortifère parvient à engager l’ensemble d’une communauté. Ils abordent cependant deux phénomènes qui permettent de dessiner le contour d’un processus plus large, que l’on pourrait qualifier de hiérarchisation des valeurs compassionnelles. Dans le cas où la formation étatique se focalise d’abord sur la personne du roi, le « sacrifice » ou « meurtre rituel » de victimes destinées à assurer son soin dans l’au-delà permettrait de transformer des étrangers en parents, égaux face à la mort et liés par le plus intime et total des dévouements. À travers ces « morts d’accompagnements », comme aurait dit plus justement Alain Testart26, l’institution royale tisse avec ses sujets une relation de dépendance qui s’exprime dans les deux sens, ce qui justifie de « briser les barreaux de la cage rituelle »27 dans laquelle l’enfermait sa fonction sacrée et l’autorise à assumer un pouvoir effectif et centralisateur. Dans les cas toutefois où la souveraineté demeure contenue par l’appareil rituel, cette même idéologie du soin peut être projetée vers la sphère extérieure de l’administration des biens communs. En détournant et dépersonnifiant des politiques préexistantes d’intendance villageoise, l’État s’arrogerait le bénéfice symbolique de l’organisation collective des conditions matérielles d’existence et s’érigerait en intermédiaire indispensable à l’organisation de toute vie cosmopolite. Il assume ainsi, seul, la coalescence du soin et de la domination à travers un processus de « bureaucratisation de la promesse ».

Une autre manière de formuler cette dernière hypothèse serait donc de considérer qu’elle substitue au gouvernement de la terre, en vérité déjà présent dans les formations pré-étatiques, un gouvernement des êtres jusqu’alors confiné à la cosmologie28. Cette approche renverse la représentation moderne de l’État, car elle le dépouille de ses fonctions les plus nobles (mutualiser les conditions, à travers par exemple la division du travail) au profit de prérogatives bien moins confortables (pérenniser les relations de dépendance). On pourrait ainsi interpréter l’hommage que la conclusion réserve à Franz Steiner et sa thèse sur la manière dont l’institutionnalisation de la charité à l’égard des réfugiés peut paradoxalement précipiter l’établissement d’un pouvoir arbitraire. Apparemment soucieux de se tenir à l’écart des deux derniers siècles, Graeber et Wengrow se gardent toutefois de clarifier les parallèles que leur développement suggère avec des sujets aussi centraux dans le débat contemporain que la biopolitique, l’état d’exception ou la pénétration de l’intimité. Cet évitement est d’autant plus marquant que ces controverses ont souvent fait d’archaïsmes supposés, comme la « promesse », le « pastorat » ou le « sacrifice », des enjeux du dépassement des théories libérales classiques de la souveraineté29. Sans doute, en excluant la modernité de la discussion sur des formes du politique qui la concerne pourtant, les auteurs s’épargnent de pénibles confrontations avec la réalité vécue des phénomènes. Ils se distinguent aussi d’une radicalité suspecte à de nombreux yeux, tout en bénéficiant de la position commode de ne parler du présent qu’à travers les discours qu’il produit sur le passé. À défaut, il n’offre au lecteur qu’à méditer une version revigorée, mais non moins cryptique, de l’intuition hocartienne déjà ancienne selon laquelle, derrière l’hégémonie d’une domination qui parvient à éclipser tout autre horizon qu’elle-même, se trouve « la volonté de faire durer indéfiniment le rituel »30.

D’aucuns verront dans ces trois hypothèses la projection de nouvelles obsessions sur des problèmes déjà datés. C’est oublier à quel point ceux-ci étaient solidaires de préoccupation qui ont laissé dans l’ombre de vastes pans du sujet. C’est oublier aussi le caractère résolument classique des références sur lesquelles Graeber et Wengrow fondent leur démonstration, à la jonction des traditions durkheimienne et frazérienne, et à l’exclusion de la théorie critique contemporaine. On s’étonne en réalité que ces liens n’aient pas été approfondis plus tôt, ou plutôt qu’ils aient été abandonnés, par la pensée évolutionniste. Si l’on peut toujours douter de la pertinence interprétative de ces propositions, pour chacun des contextes évoqués, on ne peut donc que souhaiter qu’elles soient critiquées sur la base d’un tel retour à ces questions et matériaux.

Car en somme, le principal mérite de ce livre est de montrer que les contextes archéologiques sont des champs de problématisation de la connaissance anthropologique à part entière. Ils ne sont ni réductibles à une incomplétude qui rendrait leur étude dépendante de l’importation de modèles clefs en main, ni condamnés à servir de point d’entrée à l’élaboration des universaux les plus abstraits. Ils alimentent la réflexion de leurs caractéristiques propres. Nombre d’équivalences ici présupposées mériteraient d’être affinées pour rendre justice à cette déconcertante densité empirique – entre autorité, coercition et aliénation, par exemple, ou entre stratification et hiérarchie31. Mais les auteurs réussissent malgré tout à opposer au linéarisme de l’évolution sociale autre chose que la multiplicité des voies de la domination ou sa compensation par l’invocation romantique d’un esprit de résistance. Ils y parviennent par un rappel constant de l’ambivalence fondamentale des configurations politiques impliquées dans les stades d’une trajectoire historique. Travaillée par des forces contradictoires, chacune contient en germe sa fin ou sa transformation potentielle. Au fatalisme qui pèse sur une histoire des inégalités se constituant inexorablement à partir d’un fond indifférencié, Graeber et Wengrow opposent une variabilité, non plus de type, mais de formes, où l’expression toujours incomplète du pouvoir n’arrive jamais à totalement épuiser les formes de la liberté qui participent des mêmes processus évolutifs : celles « de partir, de désobéir et de changer d’organisation sociale ».

En bref, ce livre fait crédit au passé de l’intelligence politique dont on est capable et dont on avait même fini par négliger l’importance au présent. Et bien qu’il peine à préciser les conditions de mises en pratique de cette créativité sociale, bien que ses hypothèses semblent ainsi circonscrire un problème qui reste entier, cette exigence joyeuse, sans une once de résignation, restera comme l’un des testaments intellectuels de David Graeber, disparu prématurément avant la finalisation de l’ouvrage.

Un art consommé de la controverse

Un si vaste panorama flatte l’intelligence. Il confère une confortable impression d’externalité close, savamment configurée, qui ne s’aventure dans le domaine de l’expérience que par un subtil jeu d’ombres projetées. L’exercice atteint forcément ses limites. Ne sachant trancher entre le style du pamphlet et celui de l’encyclopédie, il peut donner le sentiment d’un catalogue désordonné de cas et d’intuitions dont il est attendu du lecteur qu’il piste les renvois pour reconstituer les hypothèses disséminées. Ces va-et-vient sont-ils le résultat de la conversation entre les deux auteurs ? Le livre se refuse à embrasser son statut de dialogue transdisciplinaire qui aurait fait son charme. Pour autant, la structure n'est pas portée par un souffle narratif particulier. Elle doit sa cohérence à un plan globalement chronologique, du Paléolithique à l’État, interrompue par de longues digressions sur l’Amérique précoloniale et le retour d’inexplicables marottes comme la géométrie. Sa quête d’exhaustivité le conduit à évoquer des thèmes comme la divination ou l’ancestralité d’une manière bien trop allusive, et en fin de compte parfaitement superflue, pour qu’il soit possible de transmettre leur caractère autrement fondamental. De même, la tentative bien mal référencée d’aborder la condition féminine sonne comme un maladroit passage obligé. Les approximations récurrentes et les impasses sur la généalogie de certaines idées finissent d’installer le regard dans une position de surplomb qui manque parfois cruellement d’incarnation32. Si bien que l’on peut se demander qui, au sein du public élargi auquel le livre s’adresse, ira au terme d’un si gros volume ; tandis que, sur le tableau académique, un exposé à la fois plus didactique et plus approfondi des thèses aurait bénéficié d’un développement beaucoup plus court.

Afin de mieux circonscrire le périmètre des critiques qui s’appliquent à ce texte, il convient donc de lever un possible malentendu. Au commencement était... n’est pas vraiment un livre d’archéologie, ni par son approche scientifique ni par sa volonté de vulgarisation. Il ne dit rien de la matérialité des sites et de leur contexte, ni de la manière, jamais réductible à une observation directe ou à un document historique, dont des phénomènes sociaux se traduisent à la fouille. Ceci explique les impasses sur des thématiques aussi incontournables que le rôle de la technique, l’histoire de l’art ou la relation à l’environnement. Quelle image évoquera-t-il des lieux comme Arslantepe ou La Venta dans l’esprit du lecteur ? Quel rôle joue la dernière glaciation, sans parler de la variété de ses effets à d’autres latitudes que l’Europe, dans l’établissement du caractère oscillatoire ? Quelle place revient au style dans une définition politique des « aires culturelles » et des « civilisations » ? Ces questions pourraient sembler une ouverture bienvenue du livre, mais elles étaient essentielles aux raisonnements dont il s’inspire. Elles illustrent en fait le parti-pris qui l’engage et le détermine, dès l’incipit, avec cette étonnante confession selon laquelle « l’essentiel de notre histoire nous est inconnu et le restera à jamais »33– un peu comme si le mystère, et non l’expérience concrète du passé, devait demeurer comme prérequis historiographique.

Tenus par une fresque chronologique, exhaustive au point d’en être allusive, les auteurs n’ont d’autres choix que de s’en remettre à un artifice pour animer le spectre des formes politiques. La notion de « schismogenèse », librement adaptée de Gregory Bateson, joue le rôle de deux ex machina agissant comme un principe ubiquiste de création de traits nouveaux. Analytiquement, elle n’a pour autre fonction que de traduire avec, l’autorité savante du néologisme, l’idée d’une diversification par distinction mutuelle. Ainsi privée de la dimension dynamique et systémique qu’implique le concept dans la description des relations continues entre des individus ou des groupes34, elle se déploie alors dans un esprit très proche de la personnalisation des sociétés typique de l’âge d’or du culturalisme américain35. Bien qu’il serve ici à expliquer le changement plutôt que l’identité, ce télescopage des dispositions individuelles à l’action et des processus de décision collective conduit inévitablement à une forme d’essentialisation. Ce recours assumé à la tradition historiciste boasienne est étonnant tant il contraste avec la théorie sociale qui fournit, tout au long du livre, la trame des hypothèses exposées plus haut. Un tel éclectisme estompe des dissonances internes, lorsqu’il convoque par exemple la notion de « sphère d’interaction » sans préciser qu’elle fut précisément développée par des archéologues soucieux de repenser la nature du phénomène d’Hopewell contre l’héritage kroeberien des « aires culturelles »36. Il conduit également les auteurs à s’adonner à une reconstruction fantaisiste de la géographie culturelle du Proche-Orient néolithique, autour d’une opposition entre plaines et piedmonts que n’aurait pas reniée un orientaliste du XIXe siècle37. Et surtout, faisant l’impasse sur les questions d’échelles, il fonde une conception psychologisante de la culture qui finit par reconnaitre la primauté d’une volonté collective sur les forces cosmopolites. De quoi conférer une saveur troublante à la curieuse citation de Jung, placée en exergue du livre, sur la « métamorphose des Dieux » comme processus intérieur.

En somme, cette référence à la schismogenèse exprime le souci d’expliquer ce qui se passerait d’explication si, s’en tenant à « l’arbitraire » maussien, les auteurs se contentaient d’inférer par comparaison des hypothèses à confronter à des contextes qui restent à étoffer. Il ne s’agit de contester ni la réalité des phénomènes ainsi décrits ni leur importance dans l’exploration de diverses configurations sociales, mais de questionner l’utilité d’une telle qualification dans une démonstration qui semblait pourtant pouvoir s’en passer et qui ne fournit aucun des outils pour en saisir les implications. La schismogenèse offre ce qui manque à l’ambition évolutionniste de vérifier des lois générales : un moteur qui, à l’instar de la sélection naturelle en biologie, confère une valeur analytique à ce qui ne serait autrement qu’une systématique statique du changement. Elle répond, autrement dit, à la volonté d’établir une théorie unifiée de l’évolution sociale. Le problème est que, de même que toute autre entreprise de ce type, sa compréhension du changement repose ultimement sur un déficit de réflexion sur l’historicité des contextes. À cet égard, la schismogenèse n’est qu’une autre façon de substituer la variabilité dans l’espace à celle dans le temps. Elle entretient une vision kaléidoscopique d’un passé sans texture, d’un cosmopolitisme monolingue, d’un soin sans relation... Pas plus que les sources ethnographiques, les faits archéologiques ne sont présentés comme le résultat de la confrontation, imparfaitement retranscrite, avec une altérité d’autant plus déroutante qu’elle est commensurable. Le tour de force, ici, est de piocher dans ce que le culturalisme a produit de plus particulariste pour finalement renouer avec une force décuplée avec l’attitude positiviste, dominante et masculine, qui est celle de tous les grands récits évolutionnistes contemporains. C’est tout le paradoxe d’un livre aussi attaché à faire la démonstration d’un champ ignoré des possibles, non seulement dans l’organisation sociale, mais aussi dans l’imagination politique, que de rester aussi dépendant des discours qui structurent les horizons contemporains.

Or ce positionnement est tout sauf neutre. Il relève autant d’une hubris intellectuelle de tout saisir, d’ailleurs assumée sans détour dès le titre, que de la stratégie éditoriale. Il explique peut-être même paradoxalement le succès public du livre et, serait-ce par ricochet, son importance dans l’histoire des idées. Il suffit pour s’en convaincre de le comparer à l’ouvrage, à l’emprise tout aussi vaste, mais contenue par une thématique définie, que David Graeber avait consacré avec Marshal Sahlins à la royauté et dans lequel un bon nombre des hypothèses du présent ouvrage était déjà discutées38. Les lectorats ne se recouvrent pas totalement, certes, mais cela permet justement de mieux comprendre ce qui distingue les deux approches. Il y a en fait dans le geste même des auteurs d’Au commencement était... quelque chose de leur théorie : une intention agonistique d’oscillation et de redynamisation du champ dans laquelle il s’inscrit, une volonté d’y entretenir une tension interne et génératrice : une schismogenèse. Quitte à ce que l’on en retienne donc moins les thèses que l’affirmation, par comparaison un peu vaine, abattue d’entrée de jeu comme on dénonce un complot, selon laquelle depuis Rousseau les grandes reconstructions de « l’histoire humaine sont fausses ».

En opposant ainsi leur « nouvelle histoire » à des discours qui se contenteraient de rabâcher naïvement des schémas imaginés au siècle des Lumières, les auteurs font en fait surtout preuve d’une certaine lucidité politique : avoir compris et accepté que l’évolutionnisme social est resté le courant intellectuel dominant de l’anthropologie, publique et savante, dès qu’il s’agit de sa contribution à l’histoire. Mais ils n’expliquent pas pourquoi l’accroissement considérable des connaissances empiriques ces deux derniers siècles n’a apparemment pas remis en cause cet héritage. D’une part, il est difficile de rapporter leur entreprise critique à ce seul processus étant donné le caractère souvent ancien des données discutées et les résistances que leurs interprétations rencontraient déjà en leur temps. D’autre part, la volonté d’opposer un récit à un autre a bien moins à voir avec l’accumulation de données contradictoires qu’avec une tradition spéculative, plus ancienne que l’évolutionnisme lui-même, traversée par une tendance intrinsèque à l’inversion systématique. À cet égard, l’insistance avec laquelle Graeber et Wengrow tentent notamment de se démarquer de Rousseau, dans les cent premières pages du livre, est trop marquée pour ne pas trahir une proximité embarrassée.

Certes, les connaissances superficielles du XVIIIe expliquaient la versatilité du débat dans lequel intervenait ce dernier, mais son intervention s’adressait d’abord à ce qui était perçu comme des conjectures gratuites. Il est frappant que Rousseau mobilise l’archéologie, mais comme métaphore appliquée aux discours, puisqu’il suffirait selon lui « d’écarter la poussière et le sable qui environnent l’édifice » pour « qu’on aperçoit la base inébranlable sur laquelle il est élevé »39. À l’encontre de la confiance aveugle en un procès de civilisation qui s’affirmait avec le siècle, il fondait ainsi son raisonnement rétrospectif sur les deux seules choses dont il était certain de ne pas douter : la conservation (ou l’amour) de soi et la « pitié » pour son prochain (on parlerait sans doute aujourd’hui de compassion). Cette position illustre l’ambivalence de la question de l’origine chez Rousseau, comme expression d’une sorte de loi naturelle, fondamentalement ahistorique, et néanmoins socle d’une possible réforme de la société dans l’histoire. Tous les exemples versés au dossier, y compris les colportages les plus suspects, n’avaient d’autre réalité que cela : confronter la volatilité des opinions sur l’ordre politique à l’aune de cette « base inébranlable », commune quoique recouverte par « la poussière et le sable ». Si la connaissance historique ne semble pas avoir remis en cause les grands cadres du débat, cela ne signifie pas que ceux-ci se soient maintenus malgré tout comme le suggère l’idée d’une « histoire fausse », mais peut-être parce que l’on se plaît à oublier que l’essentiel de la démonstration se situe à un autre niveau.

Graeber et Wengrow n’ignorent pas totalement cette dimension. Ils s’en ressaisissent même en en faisant la traduction et la réappropriation d’une critique américaine « indigène » (lire, autochtone) à l’encontre de la modernité européenne. Il s’attarde pour cela sur la figure de Kandiaronk, un chef wendat dont les talents oratoires propres à sa fonction diplomatique et la repartie personnelle auraient beaucoup marqué les colons français, eux-mêmes rompus à l’art fleurissant de la conversation, qu’il était amené à fréquenter dans la région de Montréal. Ses arguments seraient devenus connus de tout le siècle des Lumières par l’intermédiaire des Dialogues avec un sauvage du baron de Lahontan, un influent livre publié en 1703 dans lequel l’interlocuteur autochtone est directement inspiré de Kandiaronk, voire, selon Graeber et Wengrow, en retranscrirait directement les propos. Cette proposition est aussi bienvenue dans un ouvrage de vulgarisation que sa formulation est brutale dans le champ de l’histoire intellectuelle. Mais là n’est pas le fond du problème. Ici, elle permet surtout de relier la « critique indigène » aux hypothèses proto-évolutionnistes en partant du principe – très conjectural étant donné les distances et les durées concernée, mais somme toute efficace dans ce cadre narratif – que Kandiaronk s’exprime en tant que récipiendaire de la longue histoire politique de l’est de l’Amérique du Nord. Celle-ci ayant vue à Cahokia la centralité et la stratification sociale être défaite par les mêmes forces cosmopolites qui l’avait établie, Kandiaronk disposerait d’une expertise propre à édifier des sujets d’Ancien Régime, au premier chef desquels les penseurs d’une révolution à venir. Aussi ce détour est-il l’occasion de réintroduire le rapport à l’histoire pour rendre ces discussions comptables sur un plan qui les arrange plus.

La triangulation par l’Amérique coloniale n’invite donc ni à un développement historiographique ni à réfléchir aux implications du contact culturel en Nouvelle-France, elle sert très classiquement à redéfinir un rapport à l’intérieur de la tradition intellectuelle européenne. Si l’objectif était de mettre en évidence l’influence des autochtones américains sur la pensé politique du vieux continent, on ne peut que s’étonner de l’importance accordée à cette date couperet de 1703 qui passe sous silence un siècle de tradition, des « Cannibales » de Montaigne aux Nouveaux dialogues des morts dans lesquels Fontenelle, vingt ans avant Lahontan, posait Moctezuma en contradicteur éclairé de Cortés. Indépendamment de savoir à quel point il reflète les arguments de Kandiaronk, le succès du Dialogue de Lahontan s’explique en ce qu’il est déjà un trope littéraire au moment de sa publication. Or, l’omniprésence du « sauvage » dans la première moitié du XVIIe siècle ne se limite pas à un rôle de contre-modèle ou d’initiateur d’une nouvelle radicalité politique, il incarne également un certain idéal de la société de cours, une figure aristocratique, ce qui ne l’empêche d’ailleurs aucunement d’être critique de l’absolutisme. Son écho résonne jusque dans l’air le plus connu du classicisme lyrique français, lorsque Rameau dans ses Indes galantes établit la supériorité morale de son protagoniste amérindien, du même nom d’Adario que celui que Lahontan attribue à Kandiaronk, face aux envahisseurs européens. L’exaltation de l’intime et des affects dans cette histoire d’amour prend à témoin le spectateur sur des sentiments plus profonds que l’opposition fondamentale des modes de vie. Le chœur final des Sauvages ne laisse à cet égard que peu de place au doute : « S’ils sont sensibles, s’ils sont sensibles, Fortune, ce n’est pas au prix de tes faveurs ».

Cette économie politique des émotions, si centrale dans la pensée des Lumières, depuis l’importance de la pitié dans l’état de nature jusqu’à la sensibilité de l’Adario de Rameau, est précisément ce qu’ignorent Graeber et Wengrow lorsqu’ils créditent Rousseau d’avoir en quelque sorte trahit Kandiaronk pour imaginer à sa place un « sauvage » plus « stupide » que « noble », incapable d’anticiper les conséquences politiques de ses actions, prisonniers de mécanismes qui le dépasse40. Nul doute que cette mystification habite la plupart des écrits que ce livre critique avec justesse, mais elle paraît au moins tout autant le résultat d’une histoire ultérieure à Rousseau que l’identification sincère à laquelle ce dernier s’adonne. Et si elle s’enracinait déjà dans le progressisme matérialiste contemporain d’un Turgot, ainsi que le soutiennent Graeber et Wengrow, encore faut-il s’interroger sur ces limites. Que motivait par exemple Françoise de Graffigny, l’autrice d’une Lettres d’une Péruvienne, ici présentée comme le meilleur exemple d’une appropriation littéraire de la critique autochtone, d’ignorer le conseil de Turgot de faire de l’éducation à la civilisation du personnage principal un modèle réduit de l’évolution des sociétés ? Qu’est-ce qui l’empêche sinon, justement, cette idéalisation du « sauvage » ? Or celle-ci réside moins dans l’évocation nostalgique d’une égalité par défaut qui serait l’horizon indépassable des Lumières, que dans la solidarité actée entre le choix du personnage de ne pas se soumettre aux mœurs « supérieures », en l’occurrence du mariage, et sa préférence maintenue pour le despotisme éclairé de l’Empire inca. Ce qui n’apparaît jamais dans la critique de Graeber et Wengrow, ce sont ces subtils processus d’identification et la manière dont ils traduisent les conflits internes de l’époque. Si bien qu’ils paraissent virtuellement donner raison à Turgot dans cette querelle, en assumant à leur tour qu’il est bien question d’évolution sociale dans l’attitude du personnage amérindien, pour mieux le critiquer.

Et pourtant, cela ne les empêche pas d’inviter le lecteur à se considérer – ainsi qu’eux-mêmes, on le conçoit – plus proche d’un autochtone américain du début du XVIIe siècle que ne l’était n’importe lequel de ses contemporains européens41. Seulement ce rôle n’est plus dévolu aux mœurs, mais à la « liberté », présentée comme valeur cardinale de la critique autochtone oubliée de ceux qui l’ont travestie. La fixation sur Rousseau permet donc de dialectiser de l’intérieur le champ de réflexion ouvert par les Lumières sur la diversité des formes du politique dans le temps et (surtout) dans l’espace : avec Rousseau contre Turgot, contre Rousseau avec Adario. La posture critique du philosophe genevois ouvre un champ de controverses à investir, mais en négligeant tout ce qui chez lui n’épousait pas totalement les aspirations d’une classe bourgeoise disposée à prendre le pouvoir, de même que tout ce qui pouvait y préfigurer une quelconque sensibilité romantique, en l’érigeant en somme en représentant d’un statu quo encore à venir, Graeber et Wengrow peuvent faire de Kandarionk un faire-valoir pour mieux se réapproprier les Lumière en tant que matrice d’un évolutionnisme raisonnant sur la base d’une confrontation entre des formes politiques parfaitement analogues. Ils peuvent se situer dans une opposition interne à ce champ, qui s’en trouve ainsi renforcée, plutôt que dans un dialogue avec les forces qui s’y opposait dès le début et que leurs propres hypothèses ne cessent pourtant d’évoquer : de la supériorité morale de l’Inca « obligé de subvenir à la subsistance de ses peuples » chez Graffigny42, à la récupération de la figure indienne porteuse d’une liberté contre-révolutionnaire chez Chateaubriand43, à la « branloire pérenne » du monde qu’avec Montaigne on préférerait à la recherche rousseauiste d’une « base inébranlable » de l’édifice social44.

Ce serait donc un bien mauvais procès que de voir dans cette « critique indigène » qu’un simple moyen opportuniste de critiquer les Lumières en les décolonisant. Au contraire, elle est l’instrument qui permet de se réinscrire en leur sein, selon un procédé déjà éprouvé par David Graeber sur son livre sur les pirates à la fois comme précurseurs et détracteur du libéralisme politique45. Cela vaut parfois la peine de « trahir » les intentions affichées d’une critique, disait-il dans ses Remarques sur les « Remarques » de Wittgenstein sur Frazer, pour achever la « purification » d’une œuvre autrement irréparable46. Il y a un peu de ça ici. Le passage par l’Amérique conduit finalement les auteurs à embrasser l’attitude méprisante des Lumières vis-à-vis du passé prémoderne, commodément incarné par les Jésuites, qui, ne disposant pas du vocabulaire adéquat de l’égalité, aurait été incapable de penser l’émancipation et la justice. La relativité du regard est décidément bien ordonnée. Ainsi, « la proposition de l’égaliberté », fondée en dernière instance sur l’individualisme utilitaire47, devient-elle le dénominateur commun et l’unique horizon d’un récit dans lequel finit inévitablement par se dessiner en creux le portrait de l’individu moderne libérale, de ses craintes et de ses certitudes, jaloux de ses privilèges qui le rendent – en effet – « libre de partir, de désobéir et de changer d’organisation sociale ». Or, n’en déplaise à Graeber et Wengrow, tant que l’on s’en tient à cette unique idée de la liberté, tant que l’on refuse de l’accompagner d’une contestation de la manière dont elle hiérarchise les valeurs ainsi que le faisait Rousseau en insistant sur la « pitié », ni la propriété privée ni la domination masculine ne furent jamais un problème.

On comprend alors mieux la « nouveauté » d’Au commencement était... Loin d’opérer une rupture épistémologique ou réflexive, elle reprend à son compte la capacité rationaliste des Lumières à générer des « contre-histoires » qui assument de prendre à rebours les récits existants, dans un double mouvement qui relativise leur prétention à énoncer des universaux tout en en réaffirmant d’autres. Leur succès tient moins à l’exploration rigoureuse d’une trame évolutive différente qu’à la démonstration, à partir souvent des mêmes exemples, des mêmes coordonnées axiologiques et d’un même vocabulaire, qu’une autre histoire humaine est possible. C’est à ce titre qu’il faut entendre l’hommage appuyé au politologue « anarchiste » James C. Scott, dont la proposition de relecture des origines de l’État échappe aux critiques que Graeber et Wengrow réserver aux autres entreprises de ce type48. En faisant des « barbares » résistants aux marges des villes le vivier jamais tari de bifurcations politiques potentielles, la théorie de Scott est pourtant rigoureusement incompatible avec la leur, qui fait de ces mêmes marges guerrières le berceau d’une souveraineté monarchique mettant fin aux expériences démocratiques urbaines. Mais elle fonde son propos critique sur la même cohérence interne au discours existant, retournée contre lui-même.

À la suite d’un Pierre Clastres ou d’un Marshall Sahlins (qui fut le directeur de thèse de David Graeber), Au commencement était... ressuscite plutôt la figure convenue du « sauvage » américain, comme pivot à la fois lointain et familier d’un décentrement critique. À cet égard, il est un autre auteur, plus surprenant, qui illustre mieux encore ce rapport compliqué à l’évolutionnisme et à son difficile dépassement. Ici comme ailleurs réduit à l’énonciation des stades évolutifs dans ce qu’ils ont de plus caricaturaux, Lewis Morgan a tiré de sa fréquentation de la confédération iroquoise autant que de son œuvre comparative une tout autre grille d’analyse du politique. Dans son ouvrage plus empirique sur l’architecture autochtone d’Amérique du Nord, il identifiait en effet le « communisme in living » et les « lois de l’hospitalité » (ou de manière dérivée la commensalité et la propriété collective indivise) comme les deux fonctions opposant toutes les configurations sociales du continent, depuis le stade supérieur de sauvagerie du Grand Bassin jusqu’au stade moyen de la barbarie de Mésoamérique, à leurs équivalents de l’Ancien Monde. Et de conclure, en ardent défenseur d’un républicanisme intrinsèquement américain, s’opposant aux vieilles nations inégalitaires d’Europe, par un parfait retournement dialectique : « liberté, égalité et fraternité étaient les trois impérieux principes qui régissaient cette organisation [de la gens amérindienne] »49.

Les problèmes irrésolus de ce livre rejoignent ainsi les grands dilemmes auxquels se confronte l’anthropologue qui, sommé de décrire des rapports sociaux dans l’absolu, ne peut se détacher des relations qu’il entretient avec son objet d’étude, comme de celles auxquelles il aspire pour lui-même. À défaut de reconnaitre et discuter les premières, Graeber et Wengrow investissent pleinement les secondes, qui ont pour avantage d’offrir un cadre d’intelligibilité immédiat et d’organiser avantageusement les oppositions, y compris, et peut-être même surtout, au sein d’une trame évolutive. Ce faisant, ils s’inscrivent dans une tradition dont Morgan, loin de l’épouvantail que de bonne guerre il participe à agiter, demeure la grande figure tutélaire américaine50. Au risque peut-être d’alimenter une démarche dont tôt ou tard la contre-révolution intellectuelle en cours saura se ressaisir.

Encore que cette filiation et ses potentielles ramifications futures ne se donnent à voir qu’une fois passé le mauvais sort que leur réserve l’édition française, désireuse d’affirmer l’autorité du nouveau genre évolutionniste. De même que la traduction d’Against the Grain de Scott (c’est-à-dire aussi bien « contre le grain » qu’« à rebrousse-poil »), par un très convenu Homo domesticus, aplati et universalise un propos s’appliquant justement à mettre en valeur la conflictualité et la variabilité de la condition domestique ; de même l’ironie de The Dawn of Everything (À l’aube de toute chose) se perd dans la pompe évangélique d’un Au commencement était… Or, de commencement, il n’y a en a pas chez Graeber et Wengrow. Leur thèse, s’il fallait en retenir qu’une, consiste à reconnaitre la primordialité du politique sur toute forme d’institution sociale. S’ils se défendent d’écrire un nouveau discours naturalisant sur « l’origine des inégalités », leur livre n’en demeure donc pas moins, comme chez Rousseau, mais la sensibilité en moins, une sincère médiation critique sur ses « fondemens ».

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    1

    David Graeber & David Wengrow. Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, traduit de l’anglais par Élise Roy, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021. Ce texte est une version largement remaniée et actualisée d’un compte-rendu publié en anglais dans Social Analysis (https://www.berghahnjournals.com/view/journals/social-analysis/67/2/sa670204.xml). Je remercie Hans Steinmüller et Matthew Carrey pour leur commentaires sur cette précédente publication, Daniella Scancella sur la présente, et Rémi Labrusse pour m’avoir invité à remettre l’ouvrage sur le métier pour une parution française.

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    2

    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam, Marc Michel Rey, 1755, p. lx.

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    3

    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam, Marc Michel Rey, 1755, p. lxiii.

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    4

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 30.

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    5

    David Graeber, David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 38-39.

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    6

    J’ai développé cette critique dans : Rémi Hadad, « Inactualités de la révolution néolithique : Rousseau, l’Anthropocène et les nouveaux riches de la préhistoire », L’Homme n°234-235, 2020 ; voir en particulier p. 295-296.

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    7

    Marcel Mauss et Henri Beuchat, « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos. Étude de morphologie sociale », L’Année sociologique, n°9, 1904-1905, p. 39‑132. Ce point a fait l’objet d’une publication scientifique préalable : David Wengrow et David Graeber, « Farewell to the “childhood of man”: ritual, seasonality, and the origins of inequality », Journal of the Royal Anthropological Institute, vol. °21, n. °3, p. 597-619.

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    8

    Marcel Mauss et Henri Beuchat, « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos. Étude de morphologie sociale », L’Année sociologique, n°9, 1904-1905, p. 125-128.

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    9

    Voir notamment les contributions dans : Emmanuel Guy (dir.), Une aristocratie préhistorique ? L’égalitarisme des sociétés du Paléolithique récent en question, hors-série de PALEO, Les Eyzies-de-Tayac, Musée national de Préhistoire, 2021.

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    10

    Robert H. Lowie, « Some aspects of political organization among American Aborigines », Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, n°78, 1948, p. 11‑24 ; Mikhaïl Bakhtine, François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1982 [1970].

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    11

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 155.

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    12

    Cf. Eduardo Viveiros de Castro, Politique des multiplicités. Pierre Clastres face à l’État, 2019, Bellevaux, Dehors ; Natalia Buitron, « Autonomy, Productiveness, and Community: The Rise of Inequality in an Amazonian Society », Journal of the Royal Anthropological Institute, vol.° 26, n. °1, 2020, p. 48‑66 ; Olivier Allard, « Faut-il encore lire Clastres ? », L’Homme, n°236, 2020, p. 159‑176.

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    13

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 549.

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    14

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021 – p. 536 sur Obeid, chap.8-9 sur la démocratie urbaine.

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    15

    David Wengrow, The Origins of Monsters: Image and Cognition in the First Age of Mechanical Reproduction, Princeton, Princeton University Press, 2013 ; David Wengrow, « The evolution of simplicity: aesthetic labour and social change in the Neolithic Near East », World Archaeology, vol. °33, n.° 2, 2001, p. 168‑188.

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    16

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 594-595, p.602-603.

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    17

    Numa-Denys Fustel de Coulanges, La Cité antique. Études sur le culte, le droit, les institutions de la Grèce et de Rome, Paris, Hachette, 1866, livre II « La famille », chap. 6 ; William Robertson Smith, Lectures on the Religion of the Semites, Londres, Adam & Charles Black, 1901 [1889], lecture IV : « Holy places in their relation to man » ; Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam, Marc Michel Rey, 1755, p. 95.

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    18

    Ce dernier point était l’objet du précédent livre de David Graeber, co-écrit avec Marshall Sahlins, On Kings. Chicago, HAU Books, 2017 ; traduit en français après Au commencement était… ; intitulé Sur les rois, Bordeaux, La Tempête, 2023.

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    19

    Selon la thèse énoncée de manière canonique par Vere Gordon Childe, « The Urban Revolution », The Town Planning review, vol. 21, n.° 1, 1950, p. 3‑17.

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    20

    David Graeber, David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 466.

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    21

    Henry Frankfort, Kingship and the Gods: A Study of Ancient Near Eastern Religion as the Integration of Society & Nature, Chicago, The University of Chicago Press, 1948.

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    22

    Sur ce dernier exemple, voir : Gilles Havard, Les Natchez. Une histoire coloniale de la violence, Paris, Tallandier-Flammarion, 2024.

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    23

    Voir par exemple : Helène Coqueugniot, « L’enfant ‘différent’ au Paléolithique », Les nouvelles de l’archéologie, n.°165, 2021 ; Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination, Paris, La Découverte, 2019.

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    24

    Cf. Hans Steinmüller, « Sovereignty as Care: Acquaintances, Mutuality, and Scale in the Wa State of Myanmar », Comparative Studies in Society and History, vol. °64, n° 4, 2022, p. 910‑933.

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    25

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 518.

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    26

    Alain Testart, La Servitude volontaire (2 tomes : Les morts d'accompagnement et L'origine de l'État), Paris, Errance, 2004.

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    27

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 511.

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    28

    Elle complète ainsi l’ultime thèse de Marshall Sahlins sur la hiérarchie dans les sociétés égalitaires : « The original political society », Hau: Journal of Ethnographie Theory, v. °7, n.  2, p. 91-128.

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    29

    Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Clamann-Lévy, 1983 [1958] ; Giorgio Agamben, Homo Sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997 [1995] ; Michel Foucault, Sécurité, Territoire, Population. Cours au Collège de France. 1977–1978, Paris, Gallimard/Seuil, 2004.

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    30

    Arthur Maurice Hocart, Au commencement était le rite. De l’origine des sociétés humaines, Paris, La Découverte, 2005 ; cf. David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 546.

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    31

    Sur cette question, cf. Laurent Berger, « La naissance de la hiérarchie à l’aune du chamanisme », L’Homme, n°238, 2021, p. 141-116.

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    32

    Renforcée par de grossières fautes de traduction : les ignames des Lapita devenant des patates douces, les maisons néolithiques en terre cuite [sic], les glands [corn] californiens transformés en maïs, etc.

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    33

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 13.

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    34

    Y compris dans sa formulation initiale appliquée aux groupes plutôt qu’aux individus, voir Gregory Bateson, « Culture Contact and Schismogenesis », Man, n°35, 1935, p. 178-183.

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    35

    Difficile de ne pas penser à Ruth Benedict (Patterns of Culture, Londres, Routledge & Keegan, 1935) à la lecture du chapitre 5, opposant sociétés amérindiennes de Californie à celle de la côté Nord-Ouest.

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    36

    Lewis Binford, « Archaeological Systematics and the Study of Culture Process », American Antiquity, vol.  31, n.° 2, 1965, p. 203-210.

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    37

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, chap. 6. Sur le Proche-Orient néolithique comme lieu de tension entre le culturalisme et sa critique en archéologie, voir Eleni Asouti, « Beyond the Pre-Pottery Neolithic B interaction sphere », Journal of World Archaeology, n°20, 2005, p. 87-126.

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    38

    David Graeber et Marshall Sahlins, On Kings, Chicago, HAU Books, 2017 (depuis traduit en français : Sur les rois, Bordeaux, la tempête, 2023).

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    39

    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam, Marc Michel Rey, 1755, p. lxviii-lxix.

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    40

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, p. 100.

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    41

    David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021, voir par exemple p. 62.

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    42

    François de Graffigny, Lettres d’une Péruviene, Paris, À peine, 1747, p. 167.

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    43

    François Hartog, Anciens, Modernes, Sauvages, Paris, Galaade, 2005.

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    44

    Michel Jeanneret, Perpetuum mobile. Métmorphoses des corps et des oeuvres de Vinci à Montaigne, Paris, Macula, 1998.

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    45

    David Graeber, Les Pirates des Lumières ou la véritable histoire de Libertalia, Montreuil, Libertalia.

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    46

    Publié dans Ludwig Wittgenstein, Mythe et Langage. Remarque sur le Rameau d’or de Frazer, Bordeaux, la tempête, 2025.

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    47

    Etienne Balibar, La Proposition de l’égaliberté. Essais politiques (1989-2009), Paris, PUF, 2010.

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    48

    James C. Scott, Homo Domesticus. Une histoire profonde des premiers États, Paris, La Découverte, 2029 [2017].

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    49

    Lewis H. Morgan, Houses and House-Life of the American Aborigines. Government Printing Office, 1881, p. 276. Sur son positionnement dans la contexte historique et politique américain de la seconde moitié du XIXe siècle, voir en français Anne Raulin, « Sur la vie et le temps de Lewis Henry Morgan », L’Homme, n. 3, 2010, p. 225‑246.

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    50

    Philip Joseph Deloria, Playing Indian. Yale Historical Publications, New Haven, Yale University Press, 1998.

    Pour citer cette publication

    Hadad, Rémi (dir.), « À l’aube de toute chose ? Une encyclopédie des formes du politique selon Graeber et Wengrow », Politika, mis en ligne le 04/12/2025, consulté le 04/12/2025 ;

    URL : https://www.politika.io/en/node/1634