Le constitutionnalisme au Moyen-Orient
Post-doctorant

(EHESS/Polonsky Academy, Van Leer Jerusalem Institute - CETOBAC)

Le constitutionnalisme, mouvement politique à l’échelle mondiale au XIXᵉ siècle, s’est également imposé au Moyen-Orient, et en particulier dans l’Empire ottoman1. Suivant une définition purement légaliste, il a promu un règlement dans lequel le pouvoir politique est à la fois légitimé et limité par des lois. En ce sens, il était étroitement corrélé aux tentatives d’établir une administration fondée sur des principes rationnels et légaux qui a marqué la transformation étatique au Moyen-Orient. Cependant, le constitutionalisme revêt aussi un sens plus large : il se présente alors comme le véhicule principal de la redéfinition du politique sous les principes de la souveraineté populaire. Il se trouve ainsi lié à l’émergence des concepts et des institutions démocratiques, comme la citoyenneté, la représentation politique, la division des pouvoirs – et se rapproche des tendances libérales ou républicaines de la philosophie politique occidentales. Décrivant un mouvement contradictoire et inachevé, il irrigue néanmoins les révolutions constitutionnelles perse (1906) et ottomane (1908), qui donnent lieu à une expérience démocratique réelle dans la majorité du Moyen-Orient, et lèguent par cela un héritage politique capital au XXᵉ siècle – héritage qui connaît, depuis les événements du « Printemps arabe », une résurgence politique certaine.

Jusqu’à présent, les études rendent compte soit de l’apport du constitutionnalisme au processus de centralisation de l’État et développement de l’administration moderne, soit de sa contribution aux réflexions sur la compatibilité de l’islam et des valeurs démocratiques. En revanche, il a été très peu étudié en relation à l’histoire intellectuelle, et sa signification politique pour le Moyen-Orient n’a peut-être pas été suffisamment mise en lumière2. À partir de son évolution dans l’Empire ottoman, ce texte se propose de contribuer à une nouvelle lecture du constitutionalisme et de ses incidences dans l’espace moyen-oriental. 

Bateliers Istanbul

Bateliers devant la Nouvelle Mosquée à Istanbul, 1888.

Sultans de la dynastie ottomane

Les sultans de la dynastie ottomane.

Conceptions prémodernes de contrôle du pouvoir et de consultation

L’idée que le pouvoir du souverain était assujetti à des lois et à l’exercice d’un certain contrôle a existé dans les empires islamiques bien avant l’émergence du constitutionnalisme moderne. L’islam bornait en effet l’exercice du pouvoir, qui devait être conforme à la charia – même si la possibilité d’interpréter la loi divine offrait au souverain des marges de manœuvres assez larges. La tradition islamique prévoyait aussi le principe de « consultation », désigné en arabe par les termes Choura et Mashwara, et en turc par les mots Şûra et Meşveret. Les références textuelles principales en étaient deux passages du Coran (III, 153/159 ; XLII, 36/38), corroborés par un grand nombre de hadiths (paroles attribuées au prophète Mahomet) demandant au calife de rechercher l’avis de la communauté des croyants avant de prendre des décisions. Des pratiques électorales et consultatives en vigueur aux premiers temps de l’islam étaient également citées pour souligner le devoir du souverain de consulter la communauté3. 

Toutefois, contrairement à ce que les fondamentalistes musulmans et les observateurs orientalistes semblent suggérer conjointement aujourd’hui, la religion n’a jamais été la seule base de la vie politique et sociale dans les pays musulmans. La légitimité politique principale des États islamiques fut l’idéal de la justice, tel qu’il était exprimé dans le « Cercle de Justice ». D’origine gréco-persane, cet aphorisme proposait un ordre impérial correspondant à la nature cyclique de la société et de l’économie agraires. Dans ce cadre, le pouvoir impérial repose sur la force armée, permettant au souverain de réaliser des conquêtes comme de garantir l’ordre et la justice. La justice, c’est d’abord le bien-être des sujets, en particulier celui des paysans, qui stimule la production économique, et garantit la prospérité de l’État. Cela assure l’existence d’une armée forte qui donne au souverain les outils pour faire régner la justice. Il était ainsi de l’obligation du sultan d’être à l’écoute de ses sujets pour les protéger des abus et de tout pouvoir arbitraire4. Ce cercle vertueux de la justice était régulièrement mis en avant par des écrivains pour décrire un idéal de règne juste auquel le sultan était tenu, et pour proscrire l’exercice despotique du pouvoir. 

Cercle de justice

Abdurrahman Badawi (ed.), Fontes Graecae Doctrinarum Politicarum Islamicarum, 1954. Kınalızade Ali Çelebi, Ahlâk-i Âlâî, 1228/1832–3

Cercle de Justice, Ibn Khaldun

Cercle de Justice

Ibn Khaldun, al-Muqaddimah, 15th c. MS, British Library Add. 9574, s. 29v.

Ce concept de « justice » issu de la philosophie politique moyenne-orientale a fortement marqué la pensée de l’Empire ottoman. Émergeant comme une puissance en Anatolie de Nord-Ouest au début du XIV siècle, des expansions territoriales importantes au cours de deux siècles suivants, dans les Balkans et au Moyen-Orient, permirent ensuite à l’État ottoman de se transformer en empire. Il hérita de la tradition impériale islamique qu’il intégra à sa philosophie politique. L’image du « despotisme oriental » élaborée dans la philosophie des Lumières était loin de correspondre à la structure réelle du pouvoir ottoman. Au principe du Cercle de Justice en tant que légitimation de l’autorité politique s’ajouta une certaine quête de légalité, se référant à une période impériale glorifiée du passé, parfois identifiée comme le règne du sultan Süleyman (1520-1566) ou celui d’Alexandre le Grand. Des ulema et des bureaucrates se sont faits les défenseurs d’une conception légaliste à partir du XVIIᵉ siècle, opérant aussi une certaine distinction entre l’État et le souverain. Le pouvoir du sultan était également contrebalancé par le corps militaire des Janissaires. En dépit de la perte de leur importance militaire à partir du XVIIᵉ siècle, ils pouvaient exercer un contrôle du pouvoir impérial notamment en donnant voix au mécontentement des populations urbaines vis-à-vis des mesures impériales considérées comme iniques, et en appelant les sultans à respecter « la loi ancienne » pour faire régner la justice. Leur intervention pouvait aller jusqu’à la déposition d’un sultan accusé d’avoir méconnu la loi5. 

Par ailleurs, une forme de consultation fut bel et bien pratiquée au sein de l’Empire ottoman dans différentes institutions administratives, par des pétitions, des enquêtes impériales, et des « conseils consultatifs » (Meclis-i Şûra/Meşveret). Composés d’hommes d’État haut-placés, et parfois aussi des représentants des corporations professionnelles ou des communautés religieuses, ces derniers étaient des assemblées sporadiques, où l’on cherchait à trouver un consensus sur les décisions à prendre. Ces conseils connurent une nette prolifération au cours du XVIIIᵉ siècle, à une époque où l’Empire ottoman se trouvait dans une situation militaire et économique de plus en plus précaire. Ils étaient ainsi clairement l’expression d’une conscience de crise6. 

En somme, des interrogations sur le contrôle du pouvoir, la légalité de l’autorité impériale ou les mérites des pratiques consultatives existaient bien dans la philosophie politique du Moyen-Orient avant le XIXᵉ siècle. Elles ont représenté une inspiration importante pour l’élaboration des principes constitutionnalistes. Dans la première moitié du XIXᵉ siècle, se manifeste par exemple une forte insistance sur la « justice ». Parallèlement, les principes islamiques de consultation ont donné naissance à toute une littérature revendiquant la compatibilité des valeurs politiques modernes avec l’islam – par des réinterprétations assez libres des principes anciens, censées appuyer la formulation d’une nouvelle conception de la politique radicalement différente.

Le principe de Meşveret n’avait toutefois jamais inclus l’éventualité d’une consultation du peuple, et se référait uniquement aux hauts dignitaires. Une pratique consultative élargie était au contraire dénoncée comme entraînant la paralysie de la politique, et par voie de conséquence le désordre, l’interruption du Cercle de Justice. Dans la conception politique classique l’idée de justice était le plus souvent liée à l’exercice absolu du pouvoir, car seul un souverain fort était considéré en mesure de garantir la protection des faibles. Dans aucun traité il n’était question de mettre en cause la prérogative du sultan à légiférer : la consultation avec des personnages politiques qualifiés était présentée comme une affirmation du droit souverain au sein d’une stratification hiérarchique de la société en catégories immuables. De même, l’idéal de justice et la loi ancienne représentaient des références rétrogrades, ne prenant leur sens qu’au sein d’une conception cyclique et immobile du temps et de la politique.

Pour l’essentiel, c’est donc l’ébranlement de cette conception prémoderne qui mena à l’émergence du constitutionnalisme en tant que mouvement politique dans le Moyen-Orient au cours du XIXᵉ siècle, mouvement dont l’inspiration principale était étrangère et renvoie aux nouvelles formes de l’influence occidentale.

La montée en puissance, sur les plans économique et militaire, de l’Europe de la révolution industrielle et la restructuration du monde sous une domination occidentale altérèrent d’une façon décisive les rapports de force entre l’Empire ottoman et l’Europe. Un constat de supériorité de l’Occident eût tôt fait de s’imposer au sein de l’élite ottomane, suscitant en retour un questionnement sur les raisons de la faiblesse de l’Empire. D’où le souhait de revoir l’organisation interne de l’État afin de réformer en profondeur la société ottomane et la rapprocher du nouvel idéal de « civilisation »7. Cette transformation fut appuyée par les puissances européennes, l’Angleterre et la France au premier chef, qui estimaient que l’existence d’un État centralisé et d’un marché unifié s’étalant des Balkans au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord étaient avantageux pour la pénétration économique de ces régions. La réforme ottomane fut de la sorte étroitement liée à l’intégration de l’Empire dans l’économie capitaliste et au processus d’uniformisation mondiale selon des normes occidentales. 

Les Tanzimat et la reconfiguration de l’espace politique ottoman

Avant de se développer au niveau de l’État central, de nouvelles formes de mobilisation politique se manifestèrent dans plusieurs provinces ottomanes, souvent accompagnées de l’émergence de la référence constitutionnaliste. Dès 1797, l’écrivain grécophone Rigas Vélestinlis-Pheraios, inspiré par les idées de la Révolution française, proposa de former un État constitutionnel confédératif couvrant les Balkans et l’Anatolie. Dans les années 1820, la guerre d’indépendance grecque fut elle aussi menée au nom de l’idéal constitutionnaliste, et put pour cette raison devenir une référence du libéralisme international. En 1838, la première loi organique de l’Empire ottoman, nommée « Constitution turque », fut promulguée par décret du sultan et se référait à l’organisation de la Principauté autonome de Serbie.

La crise grecque en particulier fut un événement décisif pour pousser l’État central à s’engager dans un processus de transformation. Commencé à partir des années 1820 sous le règne de Mahmud II (1808-1839), il fut élargi après sa mort dans la période connue sous le nom de Tanzimat, littéralement « réorganisation ». La politique de réforme affirmait la souveraineté de l’État central dans un empire pris depuis deux siècles dans un mouvement de décentralisation, à tel point que l’autorité de la capitale n’était souvent que formelle et que des potentats locaux faisaient valoir leur autonomie. Elle se donnait pour but de créer un nouveau rapport direct entre l’État et les sujets, d’établir un ordre rationnel-légal, et reposait ainsi sur un programme de centralisation et d’élargissement du pouvoir étatique par l’adoption des normes occidentales. 

L’idée de donner un support écrit aux pratiques administratives et de codifier le pouvoir étatique naquit dans ce contexte. L’une des premières tentatives en ce sens date du début du règne de Mahmud II : une assemblée réunissant l’administration centrale et des notables provinciaux s’accorda sur un document délimitant les pouvoirs du sultan en contrepartie de la reconnaissance de son autorité dans les provinces ottomanes. Connu sous le nom de Sened-i İttifak (Charte d’Alliance), ce document est considéré dans l’interprétation légaliste comme le premier texte constitutionnel de l’histoire turque. À l’instar de la Magna Carta, à laquelle il est souvent comparé, le Sened-i İttifak n’a pas été suivi d’effets. Son importance se révèle rétrospectivement, comme le symptôme d’une nouvelle conscience politique distinguant l’État du sultan et proposant un cadre nouveau pour l’exercice du pouvoir8. 

La volonté d’élargir la réforme au-delà de la bureaucratie supérieure et de l’inscrire dans la durée mena à l’émergence de considérations pragmatiques qui sont devenues les piliers du constitutionnalisme. Le premier d’entre eux, c’est le contrôle du pouvoir : l’enjeu était de redéfinir les autorités étatiques au sein d’un paysage politique en transition. Se manifestait dans ce but un souci de développement et de rationalisation des pratiques administratives, ainsi que les premiers sédiments de l’idée d’une division des pouvoirs. Le second pilier, l’intégration du peuple dans le projet global de réforme, se présentait comme une nécessité pour affirmer l’autorité de l’État dans les différentes régions de l’Empire, aux différents échelons de la société, et visait à terme une redéfinition des rapports politiques. 

Dans un premier temps, l’idée constitutionnaliste émergea cependant bien sous un angle essentiellement instrumental. Dans le sillage de la libéralisation économique inaugurée par le traité commercial anglo-ottoman de 1838, la nouvelle classe de hauts bureaucrates occidentalisés poussa à une déclaration officielle qui reformulerait le rapport entre le sultan et ses sujets et donnerait en même temps à la haute bureaucratie une autonomie élargie. En novembre 1839, l’Édit impérial de Gülhane fut proclamé. Il prévoyait une série de réformes administratives, touchant entre autres à la collecte d’impôt et au service militaire. Il se référait directement au statut des Ottomans, en garantissant la vie et la dignité des tous les sujets. L’Édit, formulé dans le langage politique traditionnel, témoignait encore la prégnance de la conception prémoderne de justice : il proclamait notamment un nouveau règne « juste » qui réunirait la « communauté des croyants »9. Il n’en reste pas moins que le document possédait une qualité nouvelle qui opérait au sein de nouveaux paramètres capitalistes et engendrait une rupture nette avec la tradition ottomane. 

De fait, la référence principale du discours sur la justice était désormais l’idéal de civilisation plutôt que l’islam. Pour l’élite étatique, l’Empire et l’Europe partageaient ce nouvel idéal résolument tourné vers l’avenir. De même, le firman établit, pour la première fois dans l’Empire, le droit à la propriété pour tous les Ottomans. Ces éléments nouveaux furent en outre confirmés par la cérémonie même de la proclamation de l’Édit, lors de laquelle le nouveau sultan Abdülmecid (1839-1861) s’engagea publiquement à respecter ces principes. Le sultan n’apparaissait ainsi plus comme souverain par la grâce de Dieu et protecteur du bien-être de ses sujets, mais comme un souverain devant respecter les droits des Ottomans. En 1856, le deuxième document majeur des Tanzimat, le « Firman impérial de réforme », précisa le principe de réforme. Il était pour partie une concession aux grandes puissances qui avaient soutenu l’Empire ottoman contre la Russie dans la Guerre de Crimée, et reflétait en même temps l’intégration supposée de l’Empire au sein du « Concert européen », régi par des idéaux politiques et économiques libéraux. Il développait l’idée d’égalité entre les Ottomans musulmans et non-musulmans déjà esquissée dans l’Édit précédent. Tous les Ottomans étaient déclarés égaux devant la loi – un changement d’ampleur sismique dans le monde musulman10. À la différence de l’Édit de 1839, le Firman impérial ne faisait pas usage de la langue islamique, ce qui témoigne de la marginalisation rapide des conceptions politiques traditionnelles.  

D’abord centrées sur l’administration étatique centrale, la politique de réforme commença alors à toucher la population d’une façon plus directe par l’application des mesures annoncées dans les édits de 1839 et 1856. Parmi celles-ci, on peut citer l’instauration d’impôts directs, le lancement d’un système scolaire public, l’introduction du service militaire ou encore une série de réformes juridiques (fortement influencées par le modèle français) qui visait l’établissement d’une structure légale intégrée et uniforme, basée sur la propriété privée et l’égalité de tous les Ottomans masculins. De fait, le Firman de 1856 définit les libertés civiques et la citoyenneté moderne dans les territoires ottomans. De cette période date aussi l’établissement des conseils représentatifs au niveau provincial, censés représenter la population, où siégeaient des députés élus par des notables.

Pourtant, ces changements ne furent nullement décidés en vue d’introduire des institutions ou des pratiques démocratiques11. Ils représentèrent plutôt une tentative de la nouvelle classe de hauts bureaucrates pour affirmer son pouvoir politique vis-à-vis du palais tout en accommodant les puissances européennes. Il n’en demeure pas moins que le principe du contrôle du pouvoir constitue un dogme de la transformation ottomane. De même, on constate une redéfinition graduelle des Ottomans de sujets en citoyens, redéfinition qui se nourrissait de l’idée qu’il fallait intégrer le peuple dans la réforme et qui allait déboucher sur le principe de la représentation politique. 

Avant même le premier édit des Tanzimat en 1839, une nouvelle conception de la politique avait commencé à faire son chemin au Moyen-Orient. Des évocations positives des pratiques parlementaires des pays européens circulaient en effet dans l’Empire ottoman dès les années 1820, par le biais de récits, rédigés en règle générale par des voyageurs ou des diplomates. Ils liaient la force de l’Occident à l’intégration de l’énergie du peuple dans les affaires de l’État au travers des pratiques représentatives. Ces écrits proposaient ainsi une réflexion sur la nature du rapport entre l’État et le peuple. L’écrivain égyptien Rifa’a al-Tahtawi (1801-1873) livra la première description détaillée du parlementarisme dans son récit de voyage de Paris en 1834. Dans les mêmes années, le diplomate ottoman Sadık Rifat (1800-1858) rédigea une série de memoranda révélatrice des nouvelles conceptions politiques qui commençaient à faire leur chemin dans l’Empire. 

Par référence, semble-t-il, aux débats constitutionnalistes européens des années 1830, Rifat, sans faire preuve d’une véritable inspiration libérale, mettait en avant le souci d’efficacité de la réforme ottomane, selon lequel la prospérité du peuple et son intégration au projet de transformation rendraient la politique de changement stable. Néanmoins, on y constate l’introduction de plusieurs concepts nouveaux dans le langage politique ottoman : il concevait les Ottomans comme des « citoyens », supposait l’existence d’une « nation », parlait du « peuple », de la « liberté » et des « droits civiques ». Dans ses écrits, la distinction ne s’opère plus uniquement entre le sultan et l’État, mais entre l’État et le peuple. Il en découle somme toute une nouvelle conception de la politique : le peuple est redéfini comme objet de la politique ; l’État et le peuple (ou la nation) n’apparaissent pas encore comme des catégories dont les intérêts peuvent diverger, mais, l’autonomie du peuple et de la nation est bien affirmée. Pour Sadık Rifat, non seulement le peuple et la nation existent indépendamment de l’État, mais l’État existe pour servir le peuple. À ses yeux, le secret d’un État fort résiderait précisément dans la concordance de l’État et des citoyens. Les pays européens auraient réussi cette fusion : pour rattraper leur développement, la même mission s’imposait à l’État ottoman12. 

Les idées exprimées chez Rifat ne constituent pas encore une théorie politique cohérente. Ses écrits démontrent toutefois que les traits idéologiques du constitutionalisme ottoman étaient en gestation dès les années 1830. Pendant des années, ceux-ci sont restés cantonnés à l’échelon supérieur de l’État. Mais la redéfinition du statut des Ottomans par les édits des Tanzimat et l’épanouissement de l’espace public moderne, ouvrant de possibilités élargies de communication, ont facilité la diffusion de nouveaux concepts politiques. Les édits des Tanzimat, contrairement à l’intention de leurs auteurs, ont permis le développement d’un nouveau langage politique, approprié par des acteurs différents, centré sur l’égalité, la liberté et les droits civiques. Ce langage devint le véhicule ouvrant la voie à des revendications politiques. D’où le conflit interprétatif, sur le sens même des Tanzimat, mettant aux prises une lecture purement administrative du programme de réforme et sa définition comme un processus politique global d’émancipation13. 

Les Jeunes Ottomans, la Première Période constitutionnelle et le cas d’Égypte

L’expérimentation administrative des idées constitutionnelles se poursuivit au cours des années 1860, mélangeant le souci d’établir un ordre légal-rationnel et les revendications politiques d’une élite émergente. En 1861, la province autonome de Tunisie se dota d’une loi organique, souvent présentée comme la première constitution du monde musulman. Au fond, elle n’instaurait qu’une sorte de conseil national contrebalançant le pouvoir du souverain local, sans se référer au principe de la représentation politique. Au sein de l’Empire, des règlements internes des communautés religieuses non musulmanes virent le jour (1862 pour les Grecs, 1863 pour les Arméniens, 1865 pour les Juifs). Prenant le nom de « constitution », ceux-ci étaient conformes à l’autonomie dont jouissaient les communautés dans l’Empire ottoman et servaient aux nouvelles élites séculières pour faire valoir leur autorité vis-à-vis de l’establishment traditionnel. La constitution arménienne, en particulier, fut un catalyseur pour des réflexions constitutionnalistes au niveau impérial ottoman.

Surtout, de mesure administrative, le constitutionnalisme se transforma en mouvement politique avec l’émergence de l’opinion publique comme nouvel acteur de la politique ottomane. Le lancement des premiers journaux privés dans les années 1860 fit de la presse un espace de débat politique intense au point que le gouvernement établit des régulations restrictives. À la fin de la décennie, ces évolutions donnèrent lieu à l’émergence des Jeunes Ottomans, premier mouvement constitutionnaliste du Moyen-Orient, aussitôt persécutés par l’État. Dans leurs journaux, ils s’adressaient à la classe lettrée et déployaient un langage politique centré sur la liberté et la patrie, doublé d’une critique du gouvernement. Par leur engagement, l’idée de constitution reçut une détermination normative, idéologique et s’imposa comme une force citoyenne.

Les considérations d’abord pragmatiques du constitutionnalisme – le contrôle du pouvoir, l’intégration du peuple –, devinrent des principes politiques. Pour les Jeunes Ottomans, la faiblesse de l’Empire et son infériorité vis-à-vis des grandes puissances n’étaient attribuables qu’à la mauvaise gestion du pays par un gouvernement non-représentatif, à un exercice arbitraire du pouvoir dont le maintien était rendu possible par la politique intéressée des pays européens. La fusion entre l’État et les citoyens à travers la représentation politique, le contrôle effectif du pouvoir étatique constituaient à leurs yeux les conditions de la réforme ottomane. Cet assemblage de la critique de la situation présente et de principes politiques généraux donna à la notion de constitution une dimension utopique : elle portait désormais la promesse d’une renaissance de l’Empire ottoman comme un pays fort, souverain, protégé contre l’ingérence européenne.

L’idée de constitution se révèle ainsi être à la fois un moyen d’occidentalisation et une critique de la domination impérialiste de l’Europe sur le Moyen-Orient. Dans cette perspective, le constitutionnalisme était conçu par les Jeunes Ottomans non comme une idée importée de l’Occident mais comme une valeur conforme à la tradition islamique. Ils furent ainsi les premiers à proposer une interprétation islamique du constitutionnalisme, en mettant en relief l’accord entre la philosophie politique occidentale et les principes islamiques. Cette interprétation fut reprise et élargie par différents protagonistes du réformisme musulman dans les années suivantes, tels Jamal ad-Din al-Afghani (1839-1897) ou Muhammad Abduh (1849-1905). À l’instar des Jeunes Ottomans, ils se souciaient de présenter l’islam comme une religion ouverte au progrès, à l’opposé des visions occidentales la décrivant comme arriérée et inapte aux changements (de même, par conséquent, que les sociétés musulmanes). La prolifique littérature sur la compatibilité entre islam et démocratie prit ses débuts avec les interventions de ces intellectuels dans les années 1860 et 1870.

Les idées constitutionnelles devinrent plus populaires au cours des années 1870 lorsque des crises économiques, financières et politiques commencèrent à secouer l’Empire ottoman. En 1875, l’État ottoman dut se déclarer en faillite, et l’année suivante deux sultans furent déposés avant qu’Abdülhamid II (1876-1909) ne soit intronisé. Sur le plan diplomatique, la Russie menaça de déclarer la guerre avec pour prétexte la protection des chrétiens dans les Balkans. Le 23 décembre 1876, le sultan promulgua par décret impérial la Constitution ottomane. Cette déclaration surprise visait en premier lieu à déjouer les machinations des grandes puissances, alors réunies à Istanbul pour trouver une issue au conflit diplomatique : l’Empire entendait, grâce à sa constitution, se présenter comme une puissance civilisée en avance sur une Russie encore despotique14. La Constitution ottomane ne peut toutefois être considérée comme le fruit d’une simple manœuvre : elle reflète aussi l’évolution des conceptions politiques au sein de la société ottomane. 

Constitution ottomane en Bulgarie

Constitution ottomane en bulgare.

Première à instaurer un régime parlementaire hors des Amériques et de l’Europe (si l’on met à part l’histoire complexe de la République du Libéria), elle garantissait les droits fondamentaux des Ottomans, sanctionnait le principe de la représentation politique et accordait un pouvoir législatif au parlement. Elle est généralement épinglée par les historiens pour son manque de « maturité » dans l’affirmation de la souveraineté populaire, notamment parce qu’elle assurait la sacralité du sultan et lui donnait des pouvoirs exécutifs importants. C’est oublier que les Ottomans suivaient l’exemple constitutionnel le plus copié et adapté alors, à savoir la constitution belge de 1831, dont l’objectif (inspiré de la Charte constitutionnelle de 1814) était clairement d’affirmer la légitimité du souverain, et d’accommoder système monarchique et principe parlementaire15. Du reste, le Parlement ottoman à peine créé, les événements allaient démontrer que la Constitution entraînait un changement crucial dans la façon de concevoir la politique. 

Le premier Parlement ottoman, composé de la Chambre des Députés et du Sénat, se réunit le 19 mars 187716. Il démontra aussitôt qu’il n’allait pas se contenter d’une simple fonction consultative en faisant preuve d’un esprit d’opposition au gouvernement qui surprit tout le monde17. Le principe parlementaire semblait bien établi et animait la contestation dans l’espace public, la presse devenant de plus en plus critique vis-à-vis du pouvoir, au point que l’on a présenté cette période comme celle d’une « république jeune-turque »18. Quelques semaines seulement après l’ouverture du Parlement, l’Empire entra en guerre contre la Russie, conflit dont les effets furent désastreux. L’existence d’une instance d’opposition devint très problématique pour le gouvernement : le sultan Abdülhamid II, qui pourtant avait accédé au trône avec la promesse de promulguer la constitution et de respecter l’ordre parlementaire, suspendit le Parlement ottoman le 14 février 1878, mettant un terme à la première expérimentation démocratique de l’Empire. Cette brève expérience n’en a pas moins constitué un héritage politique important : les principes de la Constitution s’imposèrent comme des références politiques majeures.  

Révolte Urabi

La révolte Urabi.

L’épisode constitutionnel suivant eut lieu en Égypte. Pour la première fois, le constitutionnalisme y apparut comme un mouvement populaire. La mise en place d’une tutelle financière des puissances européennes sur l’État égyptien en 1876, exaspérant le mécontentement populaire, suscita une crise politique. Le colonel Ahmed Urabi s’établit comme le représentant de ce mécontentement et sut le canaliser dans une direction constitutionnaliste. Se portant en 1881 à la tête d’une révolte, il imposa un nouveau système politique au khédive Tawfik19. Le 7 février 1882, l’assemblée égyptienne nouvellement élue adopta une loi organique. Sa valeur symbolique était forte : c’était la première fois qu’une constitution n’était pas promulguée par le souverain, mais déclarée par une assemblée de représentants20. 

Premier Parlement ottoman

Ouverture du parlement ottoman 1877.

Le destin de cette constitution fut cependant plus court encore que celui de la Constitution ottomane. La France et la Grande-Bretagne estimèrent leurs intérêts menacés et condamnèrent le régime constitutionnel. Dès juillet 1882, elles passèrent à l’acte en bombardant Alexandrie. Urabi établit un gouvernement au Caire, mais son armée de paysans dut se replier devant les forces britanniques en septembre. Une alliance entre la classe des propriétaires et les grandes puissances mit fin à la première expérimentation constitutionnelle populaire du Moyen-Orient. Le pouvoir de l’élite autour du khédive fut restauré et l’Égypte formellement déclarée sous occupation britannique. L’exemple égyptien établit ainsi un précédent qui allait marquer l’histoire du constitutionnalisme au Moyen-Orient au XXᵉ siècle : pour protéger leurs intérêts, les puissances occidentales se montraient prêtes à s’allier avec des élites locales antidémocratiques et à intervenir contre des mouvements constitutionnels.

Le régime hamidien, les Jeunes Turcs, et la Révolution iranienne

L’expérience égyptienne dut avoir eu pour effet de conforter Abdülhamid II dans sa décision de suspendre la constitution. La nécessité d’établir un nouvel ordre à la suite de la guerre russo-turque de 1877-78 donna au sultan la marge de manœuvre pour imposer un pouvoir autocratique. Au début de son règne, il dut commissionner des livres pour légitimer le retour au pouvoir absolu et se présenter comme un monarque « juste », seule autorité à pouvoir garantir la cohésion et la souveraineté de l’Empire21. Dans les années suivantes, il établit un gouvernement en excluant toutes formes d’instances représentatives. Son régime fut marqué par la surveillance et l’exil des opposants, la mise à l’écart de tout débat politique. L’idée constitutionnaliste se déplaça pour être reformulée au sein d’un espace public alternatif : les années 1890 virent l’émergence des Jeunes Turcs qui sont devenus un mouvement constitutionnaliste de masse. 

Le mouvement connut sa percée lors de la crise arménienne de 1895 quand les grandes puissances semblaient être décidées à mettre fin à l’indépendance de l’Empire ottoman. Dès lors, les Jeunes Turcs allaient incarner l’opposition au régime hamidien. Constitués par beaucoup d’exilés, principalement à Paris, les Jeunes Turcs, afin de faire valoir leurs positions, établirent des journaux clandestins diffusés dans l’ensemble du territoire ottoman ainsi que dans les Balkans et le Caucase. Le débat politique étant largement proscrit dans l’Empire, c’est surtout dans leurs journaux que les idées constitutionnelles furent discutées. Les tendances constitutionnalistes mises en avant depuis la première moitié du XIXᵉ siècle furent chez eux systématisées, devenant le ressort d’une force politique puissante.

Rassemblés au sein d’un mouvement extrêmement disparate, les Jeunes Turcs se retrouvaient autour de trois convictions : une idéologie de progrès, imprégnée de scientisme, selon laquelle l’ordre scientifique représentait le futur de la société ; une opposition virulente au sultan Abdülhamid, désigné comme le principal responsable de l’état arriéré de l’Empire ottoman ; un appel au rétablissement du système constitutionnel, présenté comme le remède à tous les maux de l’Empire. Cette combinaison s’est avéré être un moyen de mobilisation efficace. Les Jeunes Turcs attaquaient le sultan comme la figure d’une ère révolue qui méprisait la volonté de la nation et dont le règne n’était pas conforme aux besoins des temps modernes. Son régime avait plongé l’Empire dans l’obscurantisme et dans un état d’infériorité vis-à-vis de l’Occident. Or le despotisme ne désignait pas seulement le pouvoir d’un individu égoïste mais aussi un véritable système, qui corrompait la société et empêchait les Ottomans de reconnaître leurs véritables intérêts. Le retour au régime parlementaire garantirait par contraste la fraternité de tous les peuples de l’Empire, la prospérité, et l’indépendance vis-à-vis des grandes puissances. La constitution s’affirmait donc comme un projet révolutionnaire, seul à même de réaliser la fusion entre le gouvernement et le peuple et de créer une société civilisée.

Chez les Jeunes Turcs se retrouve aussi une dimension du constitutionnalisme, déjà esquissée dans des projets précédents sans avoir été exprimée jusqu’alors en toute clarté : la nécessité d’établir, avec le régime politique constitutionnel, une culture politique adéquate. Tandis que chez leurs prédécesseurs la déclaration d’une constitution supposait une sorte d’automatisme politique, les Jeunes Turcs, prenant acte des échecs des expériences constitutionnelles passées et de la complexité de la société moderne. Ils estimaient alors qu’une nouvelle architecture politique ne serait viable que si elle se fondait sur une culture citoyenne appuyant le régime parlementaire. Ils faisaient preuve à cet égard d’une obsession pour l’éducation, dans la lignée de l’élan pédagogique des Lumières, qui dénote également une tentative d’encadrer la portée émancipatrice du constitutionnalisme. Ils élaborèrent en ce sens un concept de citoyenneté, centré non sur seuls les droits des Ottomans, mais aussi sur leurs devoirs – définis comme une responsabilité de chacun vis-à-vis de la patrie et de la civilisation universelle.

Contrairement aux Jeunes Ottomans, les Jeunes Turcs n’ont pas cherché à proposer une synthèse entre la théorie constitutionnelle occidentale et la tradition islamique. On se contentait de noter que la constitution et la loi islamique n’étaient pas opposées. De fait, la réflexion autour du constitutionnalisme islamique ne fut pas poursuivie dans la culture politique ottomane et turque après les Jeunes Ottomans ; cette tentative pour donner une dimension islamique au constitutionnalisme fut essentiellement poursuivie par des intellectuels arabes et iraniens.

Constitution de 1876

La carte postale pour la révolution jeune-turque de 1908 représentant la « liberté » et la « fraternité » entre les différentes communautés de l’Empire ottoman.

Cette tradition est en revanche très nettement à l’œuvre dans le constitutionnalisme iranien entre 1906 et 1911 : l’une des spécificités de ce mouvement constitutionnaliste est en effet de reposer une participation importante des religieux. La révolution iranienne se situe plus largement dans un cycle mondial de révolutions inauguré par la révolution russe de 1905, cycle qui, jusqu’à ce que la Première Guerre mondiale éclate, a affecté plus d’un quart de la population mondiale (Russie 1905, Iran 1906, Empire ottoman 1908, Portugal 1910, Mexique et Chine 1911)22La constitution adoptée en décembre 1906 par une assemblée de délégués élus à la suite d’une mobilisation de masse refléta l’influence des religieux dans le souci de conformer ses principes à la charia. Cette approche islamique du constitutionnalisme doit néanmoins être distinguée des interprétations fondamentalistes qui se sont ensuite développées au cours du XXe siècle : en 1906, la loi divine était censée mettre des limites à la constitution mais ne représentait pas la base de la législation23. 

Constitutionalists-by-British-Embassy-in-Tehran.

Téhéran, été 1907.

Source : http://www.payvand.com/news/13/aug/1034.html

Le concours des religieux n’en était pas moins ambigu. Lorsque le régime constitutionnel échoua à apporter l’ordre escompté, leur soutien diminua. Sur ordre du Chah, et avec l’accord de la Russie et de la Grande-Bretagne (qui s’étaient départagées l’Iran en sphères d’influence), le parlement fut pris d’assaut en juin 1908. L’Iran entra dans une période de désordre qui clivait la société et fragilisait le pays, réduisant la constitution à un document sans beaucoup d’effets politiques, quand bien même elle resta en vigueur jusqu’à la Révolution islamique de 1979.

La Révolution jeune-turque de 1908 et la Seconde Période constitutionnelle

Au moment où le bâtiment du parlement iranien était pris d’assaut à Téhéran, la révolution constitutionnelle se mit en marche dans l’Empire ottoman. Une révolte militaire lancée par les Jeunes Turcs en Macédoine se transforma en une véritable révolution. Le 23 juillet, confiant dans la mobilisation qu’il avait déclenchée, le Comité Union et Progrès (CUP), principale organisation jeune-turque, déclara la restauration de la Constitution ottomane de 1876.

L’onde de choc se propagea dans l’ensemble du Moyen-Orient et des Balkans24. Le slogan de la Révolution française, « Liberté, Égalité, Fraternité », était brandi partout ; une société nouvelle semblait avoir vu le jour. Des élections générales eurent lieu à l’automne. Le 17 décembre 1908, une foule de 300 000 personnes se rassembla pour assister à l’ouverture du Parlement ottoman. La Chambre renoua rapidement avec l’esprit contestataire de la première période constitutionnelle et fit preuve d’une grande confiance politique. Elle exerçait des compétences qui dépassaient le cadre restrictif imposé par la Constitution, en formant et défaisant des cabinets, en assumant entièrement le pouvoir législatif. Par un glissement politique, la souveraineté populaire représentée par la Chambre ottomane devint la légitimité de la politique ottomane. Cette seconde période constitutionnelle connut cependant une histoire mouvementée.

Carte postale 1908
Mouchoir 1908

« Liberté, égalité, fraternité » : carte postale et mouchoir, 1908.

Une première épreuve eut lieu en avril 1909, lorsqu’une révolte provoquée par des religieux et des déçus de la révolution éclata à Istanbul. Dans le chaos créé, la tension ethnique refit surface et plusieurs dizaines de milliers d’Arméniens furent tués dans la ville d’Adana. L’armée dut intervenir pour supprimer la contre-révolution et rétablir l’ordre constitutionnel. Le sultan fut identifié comme le responsable de la révolte : le Sénat et la Chambre, réunis en assemblée nationale, décidèrent de sa déposition. Abdülhamid II n’était pas le premier sultan ottoman à être déposé, mais il fut le premier à être déchu au nom de la nation. Ce fut en quelque sorte l’apogée de la révolution : la souveraineté populaire représentée par le Parlement était affirmée contre le principe monarchique ; le système constitutionnel en ressortit renforcé.

L’énorme espoir investi dans la constitution sorti néanmoins fragilisé de cet épisode de contre-révolution. Il inaugura, de fait, différents traits qui allaient marquer l’histoire du Parlement ottoman, et, plus généralement, avoir un impact important sur le constitutionnalisme dans le Moyen-Orient au XXᵉ siècle.

En premier lieu, les massacres d’Adana suscitèrent des doutes quant à la capacité du parlement à s’imposer comme instance politique transcommunautaire et à répondre aux besoins et aux aspirations de tous les citoyens. Les différentes communautés de l’Empire continuèrent à travailler au sein du cadre constitutionnaliste, mais leur tendance à créer simultanément des espaces politiques alternatifs devint plus prononcée, tandis que l’État s’enfonça au fur et à mesure dans une politique ethno-religieuse définissant les musulmans, et en particulier les Turcs, comme les véritables pilier de l’Empire au détriment d’autres groupes ottomans25. Ensuite, l’élite politique devint plus méfiante à l’égard du peuple, doutant de son attachement au principe parlementaire : la contre-révolte avait été déjouée par l’armée et non par la population elle-même. Cette appréciation allait renforcer l’orientation autoritaire de la pensée constitutionnelle ottomane. Enfin, pour la même raison, les militaires sont alors devenus un acteur politique à part entière. L’armée fut érigée en gardien du système parlementaire, créant un lien quasi-organique entre l’armée et le parlement – ce dernier pouvant être mis sous tutelle militaire. 

Ces différentes tendances posaient des défis complexes au courant libéral du constitutionnalisme. Avec la déstabilisation progressive de l’ordre politique à la suite de la Guerre tripolitaine (1911-1912), des deux Guerres balkaniques (1912-13) et enfin de la Première Guerre mondiale, ces défis s’avérèrent en effet insurmontables ; les tendances autoritaires l’emportèrent. En janvier 1913, un coup d’État militaire mené par le CUP défit la Chambre. Elle se reconstitua à l’été 1914, mais, en raison de la guerre, la session parlementaire fut écourtée à quelques mois. Le CUP établit de fait un régime dictatorial qui opérait largement au-dessus du contrôle parlementaire, même si les institutions n’étaient pas abolies. 

L’expérience constitutionnelle ottomane laissa ainsi un héritage contradictoire au Moyen-Orient. Outre le fait qu’elle démontra que le constitutionnalisme était un idéal inachevé et fragile, exposé à des dangers intérieurs et extérieurs, elle généra une nouvelle forme d’autoritarisme, qui n’est pas étrangère aux paradoxes constitutifs de la démocratie parlementaire depuis la Révolution française. De fait, le CUP ne développa pas son régime autoritaire en reniant les principes du constitutionnalisme et de la souveraineté populaire. Il s’estimait plutôt comme le meilleur représentant des intérêts nationaux dans un contexte de crise qui requérait des politiques autoritaires. Cet exemple allait établir un modèle de régime politique, dictatorial mais moderne, prégnant dans l’histoire du constitutionnalisme au Moyen-Orient. 

Épilogue. L’héritage ottoman du constitutionalisme au Moyen-Orient

L’histoire du constitutionnalisme après la chute de l’Empire ottoman fut tout aussi mouvementée. L’occupation de la majeure partie du Moyen-Orient par la France et la Grande-Bretagne et l’émergence des États-nations orientèrent la lutte constitutionnaliste dans de nouvelles directions. Elle était aux prises avec les velléités divergentes de forces diverses : des groupes religieux et monarchiques qui avaient au mieux une approche instrumentale du constitutionnalisme, des nouveaux groupes nationalistes essayant d’asseoir leur position d’élite, des puissances impérialistes prêtes à se retourner contre les régimes parlementaires si leur politique risquait de toucher à ses intérêts. L’ensemble de ces forces pouvaient se retrouver pour combattre la mouvance socialiste, laquelle se proposait de reprendre la lutte constitutionnelle et d’élargir sa dimension utopique. 

Le cas d’Israël mis à part, c’est dans la République de Turquie que le constitutionnalisme a connu la plus grande continuité. Dans l’après-guerre, la Turquie était le seul État indépendant de l’ancien Empire ottoman. Si le pays a vécu une période de parti unique jusqu’en 1950 et a connu d’innombrables crises politiques marquées notamment par l’ingérence de l’armée – laquelle, revendiquant le rôle de gardien de la constitution hérité de l’expérience ottomane, a suspendu la constitution à trois reprises (1960, 1971 et 1980) –, le système parlementaire et des pratiques démocratiques, loin d’être exemplaires, y ont néanmoins connu une stabilité unique dans la région. À nos jours, la référence constitutionnelle est régulièrement mise en avant pour demander le respect des principes de l’État de droit et des libertés civiques de tous les citoyens dans la quête d’une société plus démocratique, par opposition à un autoritarisme populiste de plus en plus prononcé. 

En Iran, la guerre civile et l’intervention des puissances étrangères au cours de la période constitutionnelle initiale ont laissé un héritage politique plus fragile. Pendant la majeure partie du XXᵉ siècle, le parlement iranien fut réduit à un rôle fantoche, le pouvoir étant concentré entre les mains des Chahs, soutenus par les puissances occidentales. Ce fut l’une des principales raisons de la montée de l’islamisme, qui s’est présenté comme un mouvement politique alternatif au constitutionnalisme existant. La constitution adoptée à la suite de la Révolution islamique de 1979 est directement inspirée de la constitution de la Vᵉ République française en ce qu’elle prévoit une république présidentielle autoritaire26. La constitution iranienne est cependant unique de par la prédominance du religieux sur la politique qu’elle institutionnalise, établissant ainsi un système théocratique. 

Dans les pays arabes, le constitutionnalisme a connu un développement bien plus ardu. La politique de la France et de la Grande-Bretagne ayant divisé la région en mandats qui visait à ethniciser les populations et à s’allier avec des élites traditionnalistes locales, a rendu difficile la résurrection de l’héritage libéral du constitutionnalisme au moment de l’indépendance des États arabes. Ce cadre politique a donné naissance à des régimes autoritaires qu’on a tendance à associer avec la culture politique arabe contemporaine. En appuyant leur pouvoir sur l’armée, et en établissant un régime à parti-unique, ceux-ci se présentent comme des répliques de l’exemple autoritaire ottoman. Pour autant, alors qu’au début du XXᵉ siècle un idéal global de justice animait encore la politique, les parlements apparaissent un siècle plus tard comme de simples simulacres de souveraineté populaire. Les pratiques électorales, elles, ont été converties en instruments de légitimation des systèmes existants. Si la poursuite des politiques de développement économique a su garantir en partie la stabilité nationale – et ce au prix d’une répression des voix discordante –, les difficultés économiques et la montée du népotisme ont discrédité ces régimes.

À ce titre, il n’est pas étonnant que les aspirations de renouveau politique exprimées lors du Printemps arabe ne soient pas nées au sein des institutions établies, mais en dehors des circuits de la politique officielle. En dépit de résultats incertains sur le long terme, les mobilisations de masse, sans précédent par leur ampleur, qui ont porté le Printemps arabe démontrent que les idées historiquement liées à la lutte constitutionnelle animent toujours l’imaginaire politique. Le rejet de la corruption, de l’insécurité et du pouvoir arbitraire, ainsi que les appels à la représentation et à la justice sont toujours des vecteurs de mobilisation politique importants. Au-delà des débats répétitifs et stériles sur la culture autoritariste du Moyen-Orient ou la compatibilité entre l’Islam et la démocratie, l’avenir politique résidera dans la façon dont les hommes et les femmes concernés vont reformuler, transformer et augmenter ces vecteurs pour développer des projets politiques nouveaux. 

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1

Ce travail a bénéficié d'une aide de l'Agence nationale de la recherche (ANR-12-GLOB-003), dans le cadre du programme "Matières à transfaire. Espaces-temps d'une globalisation (post-)ottomane".

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2

Deux ouvrages récents sont Elizabeth Thompson, Justice Interrupted. The Struggle for Constitutional Government in the Middle East, Cambridge, Harvard University Press, 2013 et Charles Kurzman, Democracy Denied, 1905-1915. Intellectuals and the Fate of Democracy, Cambridge, Harvard University Press, 2008.

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3

Bernard Lewis, « Mashwara », Encyclopedia of Islam, 2e édition vol. 6, p. 724-725.

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4

Linda T. Darling, A History of Social Justice and Political Power in the Middle East. The Circle of Justice from Mesopotamia to Globalization, Londres, Routledge, 2013.

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5

Nicolas Vatin et Gilles Veinstein notent qu’entre le régicide d’Osman II (1618-1622) et le règne de Mahmud II (1808-1839), non moins de la moitié des quatorze sultans ottomans furent déposés. Nicolas Vatin, Gilles Veinstein, Le Sérail ébranlé. Essai sur les morts, dépositions et avènements des sultans ottomans. xivᵉ-xixᵉ siècle, Paris, Fayard, 2003, p. 63-64. Voir aussi : Baki Tezcan, The Second Ottoman Empire. Political and Social Transformation in the Early Modern Word, New York, Cambridge University Press, 2010.

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6

Carter Findley, « Madjlis al-Shura », Encyclopedia of Islam, 2e édition, vol. 5, p. 1082-1083.

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7

Erdal Kaynar, « Occidentalisation », in F. Georgeon, N. Vatin, G. Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 2015, p. 871-873 ; Şerif Mardin, The Genesis of Young Ottoman Thought. A Study in the Modernization of Turkish Political Ideas, Princeton, Princeton University Press, 1962, p. 177-180.

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8

Niyazi Berkes, The Development of Secularism in Turkey, Montreal, McGill University Press, 1964, p. 90-91. Le texte est accessible sur le site web du parlement de la République de Turquie, attestant de l’importance que l’on attribue au document (en ligne : https://www.tbmm.gov.tr/kultursanat/yayinlar/yayin001/001_00_004.pdf)

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9

Butrus Abu Maneh, « The Islamic Roots of the Gülhane Rescript », Welt des Islams, vol. 34, n° 2, 1994, p. 173-203; Frederick Anscombe, « Islam and the Age of Ottoman Reform », Past and Present, n° 208, 2010, p. 158-199.

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10

Pour le cheikh-ul-islam, l’autorité religieuse islamique suprême de l’Empire ottoman, la déclaration du firman fut une journée de deuil et de chagrin pour les musulmans, tandis que le patriarche de l’Église orthodoxe grecque s’offusqua à l’idée que les chrétiens grecs seraient désormais égaux avec les Juifs, notant qu’il avait préféré l’inégalité prescrite par la hiérarchie islamique. Voir Şükrü Hanioğlu, A Brief History of the Late Ottoman Empire, Princeton, Princeton University Press, 2008, p. 72-75).

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11

Elizabeth Thompson, Justice Interrupted. The Struggle for Constitutional Government in the Middle East, Cambridge, Harvard University Press, 2013, p. 35-38.

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12

Arai Masami, « Citizen, Liberty and Equality in Late Ottoman Discourse », in N. Clayer, E. Kaynar (dir.), Penser, agir et vivre dans l’Empire ottoman et en Turquie. Études réunies pour François Georgeon, Louvain, Peeters, 2013, p. 3-13 ; Şerif Mardin, The Genesis of Young Ottoman Thought. A Study in the Modernization of Turkish Political Ideas, Princeton, Princeton University Press, 1962, p. 179-187.

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13

On notera ainsi que dans la révolte rurale du Mont Liban de 1858-1860, les paysans mettaient en avant une quête d’égalité et d’autogestion exprimée à travers des références systématiques au Firman impérial de 1856 et aux promesses de liberté et d’égalité des Tanzimat. Ussama Makdisi, The Culture of Sectarianism. Community, History, and Violence in Nineteenth-Century Lebanon, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 101-102 ; Elizabeth Thompson, Justice Interrupted. The Struggle for Constitutional Government in the Middle East, Cambridge, Harvard University Press, 2013, p. 61-76.

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14

François Georgeon, Abdülhamid II. Le sultan-calife, Paris, Fayard, 2005, p. 64-65.

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15

Robert H. Davison, Reform in the Ottoman Empire. 1856-1876, Princeton, Princeton University Press, 1963, p. 388. Cf. Martin Kirsch, Monarch und Parlament im 19. Jahrhundert. Der monarchische Konstitutionalismus als europäischer Verfassungstyp, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, p. 27-35.

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16

Cf. Hasan Kayalı, « Elections and the Electoral Process in the Ottoman Empire, 1876-1919 », International Journal of Middle East Studies, n° 27/3, 1995, p. 265-286.

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17

Henry George Elliot, Some Revolutions and Other Diplomatic Experiences, Londres, John Murray, 1922, p. 252-253. Cf. Robert Devereux, The First Ottoman Constitutional Period. A Study of the Midhat Constitution and Parliament, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1963.

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18

Bernhard Stern, Jungtürken und Verschwörer. Die innere Lage der Türkei unter Abdul Hamid II, Leipzig, Grübel & Sommerlatte, 1901, p. 153-158.

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19

Le khédive est le souverain égyptien, qui était alors en partie dépendant de l’Empire ottoman.

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20

Nathan J. Brown, Constitutions in a Nonconstitutional World, Albany, State University of New York Press, 2002, p. 26-29.

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21

Abdülhamit Kırmızı, « Authoritarianism and Constitutionalism Combined : Ahmed Midhat Efendi Between the Sultan and the Kanun-i Esasi », in C. Herzog, M. Sharif (dir.), The First Ottoman Experiment in Democracy, Würzburg, Ergon, 2010, p. 53-65.

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22

Cf. Charles Kurzman, Democracy Denied, 1905-1915. Intellectuals and the Fate of Democracy, Cambridge, Harvard University Press, 2008, p. 4-5.

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23

Said A. Arjomand, « Islam and Constitutionalism since the Nineteenth Century : the Significance and Peculiarities of Iran », in S. A. Arojomand (dir.), Constitutional Politics in the Middle East, Londres, Hart, 2008, p. 33-34.

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24

Pour un aperçu, voir François Georgeon (dir.), L’Ivresse de la liberté. La Révolution de 1908 dans l’Empire ottoman, Louvain, Peeters, 2012.

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25

Bedross Der Matossian, Shattered Dreams of Revolution. From Liberty to Violence in the Late Ottoman Empire, Stanford, Stanford University Press, 2014.

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26

Said A. Arjomand, « Islam and Constitutionalism since the Nineteenth Century : the Significance and Peculiarities of Iran », in S. A. Arojomand (dir.), Constitutional Politics in the Middle East, Londres, Hart, 2008, p. 53.

Butrus Abu Maneh, « The Islamic Roots of the Gülhane Rescript », Welt des Islams, vol. 34, n° 2, 1994, p. 173-203.

Frederick Anscombe, « Islam and the Age of Ottoman Reform », Past and Present, n° 208, 2010, p. 158-199.

Said A. Arjomand (dir.), Constitutional Politics in the Middle East, Londres, Hart, 2008.

Said A. Arjomand, « Islam and Constitutionalism since the Nineteenth Century : the Significance and Peculiarities of Iran », in S. A. Arojomand (dir.), Constitutional Politics in the Middle East, Londres, Hart, 2008, p. 33-62.

Niyazi Berkes, The Development of Secularism in Turkey, Montreal, McGill University Press, 1964.

Nathan J. Brown, Constitutions in a Nonconstitutional World, Albany, State University of New York Press, 2002.

Linda T. Darling, A History of Social Justice and Political Power in the Middle East. The Circle of Justice from Mesopotamia to Globalization, Londres, Routledge, 2013.

Robert H. Davison, Reform in the Ottoman Empire. 1856-1876, Princeton, Princeton University Press, 1963.

Robert Devereux, The First Ottoman Constitutional Period. A Study of the Midhat Constitution and Parliament, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1963.

Henry George Elliot, Some Revolutions and Other Diplomatic Experiences, Londres, John Murray, 1922.

Carter Findley, « Madjlis al-Shura », Encyclopedia of Islam, 2e édition, vol. 5, p. 1082-1083.

 

François Georgeon, Abdülhamid II. Le sultan-calife, Paris, Fayard, 2005.

François Georgeon (dir.), L’Ivresse de la liberté. La Révolution de 1908 dans l’Empire ottoman, Louvain, Peeters, 2012.

Şükrü Hanioğlu, A Brief History of the Late Ottoman Empire, Princeton, Princeton University Press, 2008.

Erdal Kaynar, « Occidentalisation », in F. Georgeon, N. Vatin, G. Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 2015, p. 871-873.

Hasan Kayalı, « Elections and the Electoral Process in the Ottoman Empire, 1876-1919 », International Journal of Middle East Studies, n° 27/3, 1995, p. 265-286.

Abdülhamit Kırmızı, « Authoritarianism and Constitutionalism Combined : Ahmed Midhat Efendi Between the Sultan and the Kanun-i Esasi », in C. Herzog, M. Sharif (dir.), The First Ottoman Experiment in Democracy, Würzburg, Ergon, 2010, p. 53-65.

Martin Kirsch, Monarch und Parlament im 19. Jahrhundert. Der monarchische Konstitutionalismus als europäischer Verfassungstyp, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999.

Charles Kurzman, Democracy Denied, 1905-1915. Intellectuals and the Fate of Democracy, Cambridge, Harvard University Press, 2008.

Bernard Lewis, « Mashwara », Encyclopedia of Islam, 2e édition, vol. 6, 1991, p. 724-725.

Ussama Makdisi, The Culture of Sectarianism. Community, History, and Violence in Nineteenth-Century Lebanon, Berkeley, University of California Press, 2000.

Şerif Mardin, The Genesis of Young Ottoman Thought. A Study in the Modernization of Turkish Political Ideas, Princeton, Princeton University Press, 1962.

Arai Masami, « Citizen, Liberty and Equality in Late Ottoman Discourse », in N. Clayer, E. Kaynar (dir.), Penser, agir et vivre dans l’Empire ottoman et en Turquie. Études réunies pour François Georgeon, Louvain, Peeters, 2013, p. 3-13.

Bedross Der Matossian, Shattered Dreams of Revolution. From Liberty to Violence in the Late Ottoman Empire, Stanford, Stanford University Press, 2014.

Nader Sohrabi, Revolution and Constitutionalism in the Ottoman Empire and Iran, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2011.

Bernhard Stern, Jungtürken und Verschwörer. Die innere Lage der Türkei unter Abdul Hamid II, Leipzig, Grübel & Sommerlatte, 1901.

Baki Tezcan, The Second Ottoman Empire. Political and Social Transformation in the Early Modern Word, New York, Cambridge University Press, 2010.

Elizabeth Thompson, Justice Interrupted. The Struggle for Constitutional Government in the Middle East, Cambridge, Harvard University Press, 2013.

Nicolas Vatin, Gilles Veinstein, Le Sérail ébranlé. Essai sur les morts, dépositions et avènements des sultans ottomans. XIVᵉ-XIXᵉ siècle, Paris, Fayard, 2003.