Politiques de la préhistoire

Préhistoire : à la fois ce qui étend le règne de l’histoire et ce qui s’en distingue. Au-delà de la simple distinction entre un avant et un après l’invention de l’écriture, la notion de préhistoire a signifié l’ouverture d’un abîme dans la temporalité des sociétés qui se désignaient elles-mêmes comme modernes. Depuis son invention au XIXe siècle, adossée à une sensibilité nouvelle aux profondeurs du temps (le « deep time » des géologues anglais), elle n’a pas cessé de se loger au cœur des débats qui traversaient le présent. La rareté et le sens fragile des faits archéologiques ont favorisé l’instrumentalisation politique et morale d’un horizon par nature indistinct. Au vide épistémologique a fait pendant un plein idéologique, dont les contenus ont d’ailleurs varié, accompagnant l’évolution des représentations et des situations historiques. 

Politiques de la préhistoire, au pluriel. La doctrine du progrès, les questions de la technique, du pouvoir, des déterminants de l’art et de la pensée symbolique, les controverses entre matérialisme et spiritualisme, les opinions racialistes et nationalistes de tous ordres s’y sont investies et y ont cherché une légitimation, par la mise au jour diversement fantasmée d’un plan originel. Au sein de la préhistoire humaine, la distinction entre Paléolithique et Néolithique – c’est-à-dire, dans les représentations communes, entre chasseurs-cueilleurs et agriculteurs-pasteurs –, a constitué une nouvelle grille de lecture du sens de la destinée humaine, censée se diriger vers la maîtrise techno-politique du monde, pour le meilleur et pour le pire.

Aujourd’hui, peut-être plus que jamais, la préhistoire habite les débats contemporains. À tous les niveaux de la culture, dans les représentations visuelles comme dans les discours, son écho retentit plus ou moins clairement : on articule la pensée nouvelle de l’Anthropocène à l’idée d’une fin du Néolithique ; on nourrit et l’on conjure à la fois les angoisses apocalyptiques par une fascination avivée pour les origines. 

En proposant des articles inédits, des traductions et des entretiens avec des préhistorien·ne·s, des artistes, des philosophes et des représentant·e·s des autres sciences sociales, cet atelier se propose de donner sa résonance la plus large à l’idée de préhistoire, en interrogeant à la fois sa constitution comme champ du savoir, sa productivité dans la construction des représentations de la modernité et ses positionnements politiques dans le présent.

 

Atelier coordonné par Rémi Labrusse