Introduction
Cet article traite de la relation entre l’« universalisme spirituel » et l’antiracisme au Japon et en Inde à la fin du XIXe et au début du XXe siècle dans le contexte des mouvements spirituels et moraux transnationaux. Il décrit la manière dont ces mouvements ont considérablement influencé l’antiracisme mondial au début du XXe siècle. Fondé sur l’égalité universelle des nations, l’internationalisme antiraciste se développe à partir d’une remise en question de la conception hiérarchique des races et des civilisations, classées en fonction de leur développement matériel. L’histoire de cette révision commence avec le Parlement mondial des religions, qui se tient à Chicago en 1893, et continue jusqu’au Premier Congrès universel des races (CUR), qui se tient à Londres en 1911. Elle se prolonge même jusqu’à la Commission internationale de coopération intellectuelle (1922-1946) qui conduit à la création de l’UNESCO (1946). L’« universalisme spirituel » joue un rôle important dans cette transition.
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le Japon et l’Inde ont tous deux tenté de réfléchir à leur identité nationale et de la redéfinir en fonction de leur culture et de leur religion1. Ils ont cherché à démontrer leur particularité culturelle en tant que nations, mais aussi à affirmer la valeur universelle de leur culture et de leur religion. Cette évolution a conduit à la formation du bouddhisme moderne, de l’hindouisme moderne (néo-hindouisme) et à celle d’autres mouvements religieux au Japon et en Inde. Ces mouvements ont revendiqué l’universalité de leurs valeurs spirituelles, au-delà des croyances et des institutions. Les intellectuels japonais et indiens ont cherché à participer à des « zones de pensée cosmopolites » et à contribuer à l’élaboration d’un nouvel avenir mondial dans lequel leurs nations prendraient la place respectable qui leur revenait de droit2. De ce point de vue, l’histoire moderne peut être interprétée comme « une interaction d’universalismes multiples et concurrents »3.
On considère souvent que le fondement intellectuel de l’antiracisme repose sur l’égalité des droits associée au siècle des Lumières européen4 et à la rationalité laïque. Or, de la fin du XIXe au début du XXe siècle, au Japon, en Inde et ailleurs, les « universalismes spirituels » ont souvent servi à reconnaître et à revendiquer l’égalité par-delà les frontières culturelles, nationales et impériales. En d’autres termes, c’est par le biais de ces « universalismes spirituels » que les Japonais et les Indiens ont tenté d’exprimer leur « cosmopolitisme vernaculaire » – un cosmopolitisme fondé non pas sur l’universalisme de la raison abstraite, mais sur les universalismes de l’affect et de la foi découlant d’une double connaissance du vernaculaire et du mondial5.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les spiritualismes universels au Japon et en Inde ont trouvé une résonance mutuelle, car ils étaient tous deux liés au nationalisme et à la critique du racisme euro-américain. Ils étaient également en relation avec d’autres mouvements antiracistes critiquant la suprématie des Lumières promue par les blancs chrétiens. Cependant, après la guerre russo-japonaise, le nationalisme japonais et son affirmation du panasiatisme ont fini par être associés à l’impérialisme. Dans ce processus, des théories racistes revendiquant l’égalité de la civilisation japonaise avec celle de l’Occident, ainsi que sa supériorité par rapport aux autres nations asiatiques, furent mises en avant pour légitimer la domination coloniale japonaise. Entre-temps, en Inde, les discours et les débats sur le spiritualisme universel continuèrent à jouer un rôle pour tenter d’instaurer l’égalité des nations au niveau international, ainsi que l’harmonie et la coexistence de différents groupes sociaux (fondés sur la religion, la caste et la classe) au sein du pays, comme on peut le remarquer dans les mouvements gandhien et ambedkarien. La base spirituelle du nationalisme indien s’est maintenue, bien qu’elle soit souvent confondue aujourd’hui avec l’idée de la suprématie hindoue.
L’« universalisme spirituel », qui cherchait à instaurer l’égalité raciale et ethnique, a progressivement perdu sa pertinence politique après la Seconde Guerre mondiale. On ne saurait cependant ignorer la portée de cet héritage, qui n’a cessé d’influencer de manière significative les mouvements mondiaux en quête d’égalité. Certes, le fondement de l’égalité des êtres humains ne pouvait être recherché à partir des corps, trop divers dans leurs phénotypes, mais la philosophie des Lumières, qui pose la rationalité séculière comme essence de l’humanité6, corroborait trop souvent la suprématie des Blancs d’origine européenne. Aussi les mouvements qui voulaient établir l’égalité raciale ont-ils cherché l’essence de l’humanité dans quelque chose qui se situait au-delà des corps et de la rationalité, et qu’ils ont identifié comme le « spirituel ».
Nationalisme et religion : Le bouddhisme moderne de Kinza Hirai
À la fin du XIXe siècle, au Japon, le mouvement pour l’abolition des « traités inégaux »7 a accompagné les mouvements bouddhistes modernes. En Inde, le nationalisme anticolonial s’est associé à la formation de l’hindouisme moderne. Ces mouvements ont été des tentatives pour construire, contre le colonialisme européen, un nouvel ordre mondial basé sur l’égalité des religions et des nations. Les mouvements spiritualistes et occultistes ont, de leur côté, joué un rôle important en tant que médiateurs entre l’Occident et l’Orient, ainsi qu’entre la science et le mysticisme8. Par exemple, la Société théosophique (fondée en 1875 à New York) a servi de catalyseur pour relier et inspirer divers mouvements mondiaux, même si elle n’était pas exempte de dérives sectaires9.
Ces mouvements, qui cherchaient l’universalisme dans une dimension spirituelle dépassant les différences de races, étaient profondément liés aux nationalismes culturels et politiques de pays comme le Japon et l’Inde. Autrement dit, la principale préoccupation de ces nationalismes à la fin du XIXe siècle fut de faire reconnaître la valeur de leur culture et de leur religion. C’est sur la base d’une égalité culturelle que le Japon et l’Inde ont cherché à obtenir la justice politique et juridique, c’est-à-dire l’égalité des droits politiques pour leurs peuples. On le perçoit clairement dans les déclarations de Kinza Hirai (1859-1916) et de Swami Vivekananda (1863-1902) au Parlement mondial des religions, qui s’est tenu en 1893 à Chicago.
Parmi les participants japonais au Parlement mondial des religions, Hirai fut, dit-on, le plus apprécié du public, même si la star de ce parlement fut sans conteste l’Indien Swami Vivekananda, qui éclipsa tous les autres. Retraçons d’abord brièvement la vie et le travail de Kinza Hirai.
Kinza Hirai
Walter R. Houghton (dir.), Neely’s History of the Parliament of Religions and Religious Congresses at the World’s Columbian Exposition, Chicago, F. T. Neely, 1893, p. 169.
Hirai naît en 1859 à Kyoto, huit ans avant la Restauration de Meiji. Reflétant l’identité sinueuse du Japon moderne, sa vie prend plusieurs virages successifs. Très tôt, il reçoit une éducation moderne, avec enseignement de l’anglais, mais son dégoût pour les examens et autres systèmes institutionnalisés l’amène à quitter l’école. En 1881, Hirai fonde la Kiyukai (« Société alarmiste ») et lance un journal appelé Kiyushigen (« Journal alarmiste ») dans lequel il critique le christianisme pour avoir empêché le Japon d’accéder à l’indépendance. Dans un article intitulé « Le christianisme : être ou ne pas être », il affirme que le but des missionnaires n’est « autre que de conquérir le cœur des gens par la religion et d’obtenir notre terre sainte par des moyens non militaires »10. Il souhaite résister au colonialisme en combattant le christianisme et en faisant renaître le bouddhisme.
En janvier 1885, Hirai crée l’Oriental Hall, une école anglaise inspirée du bouddhisme, exprimant une position contraire à la Doshisha English School, basée sur le christianisme et créée en 1875 par Jo Niijima (Joseph Hardy Neesima). En tant qu’école anglaise fondée sur le bouddhisme, l’Oriental Hall reflète ainsi la combinaison de nationalisme et d’internationalisme spécifique à la pensée de Hirai. Son programme d’études comprend The Study of Sociology de Spencer, On Liberty de John Stewart Mill et A Buddhist Catechism d’Olcott. Ayant étudié dans sa jeunesse à l’Oriental Hall, Masaharu Anesaki, le premier professeur d’études religieuses à l’Université de Tokyo, a écrit sur le souvenir ému qu’il gardait de cette éducation11.
Hirai noue également des liens avec la Société théosophique qui, à l’époque, promeut le renouveau bouddhiste dans le Ceylan colonial et en Inde. Avec Zenshiro Noguchi, il invite Henry Steel Olcott et Anagarika Dharmapala au Japon en 1889. Olcott (1832-1907) a fondé la Société théosophique avec Helena Petrovna Blavatsky (1831-1891), quant à Dharmapala (1864-1933), c’est un membre ceylanais du mouvement théosophique qui n’a que vingt ans lorsqu’il se rend au Japon. En 1891, ce dernier fondera la société Maha Bodhi avec le journaliste et poète britannique Sir Edwin Arnold, afin de ressusciter le bouddhisme en Inde et de restaurer l’ancien temple bouddhiste à Bodh Gaya. En tant que représentant du bouddhisme ceylanais, Dharmapala participera au parlement de Chicago et atteindra une popularité qui ne sera dépassée que par celle de Vivekananda12.
Du 9 février au 28 mai 1889, Olcott et Dharmapala séjournent au Japon et organisent une série de conférences et de réunions visant à susciter, dans différents milieux, une prise de conscience bouddhiste unifiée. Bien que son accueil initial soit enthousiaste et qu’Olcott considère sa visite au Japon comme un grand succès, sa réception ultérieure parmi les bouddhistes japonais sera en réalité très mitigée13. En 1893, à son retour du parlement de Chicago, Dharmapala revient au Japon. Lors de ce séjour, il sollicite l’appui des Japonais au mouvement de renaissance bouddhiste indien à Bodh Gaya. Shūkō Asahi, un moine du temple Tentokuji, lui répond en lui faisant don d’une statue de Bouddha qui aurait été réalisée par Jōchō, un célèbre sculpteur bouddhiste du XIe siècle14. Le mouvement de renaissance de Bodh Gaya mené par Dharmapala se poursuit et, pendant plus d’une décennie, ce dernier tentera de placer et de faire vénérer dans le temple de Bodh Gaya cette statue de Bouddha provenant du Japon.
Kinza Hirai et Swami Vivekananda à Chicago
Du 11 au 27 septembre 1893, à Chicago, se tient le Parlement mondial des religions. Les délégués bouddhistes du Japon sont Soen Shaku et Ashitsu Jitsuzen de la secte Rinzai, Horyu Toki de la secte Shingon, Banryu Yatsubuchi de la secte Jodoshinshu Honganji, ainsi que les laïcs, Zenshiro Noguchi et Yozo Nomura, venus en tant qu’interprètes, accompagnés de Kinza Hirai. Parmi les délégués japonais figurent également Reiichi Shibata, représentant le shintoïsme, Hiromichi Ozaki, de Doshisha, et Nobuta Kishimoto, alors étudiant à Harvard, représentant le christianisme.
Les délégués bouddhistes du Japon au Parlement mondial des religions (1893).
Premier rang, de gauche à droite : Toki Horyu, Yatsubuchi Banryu, Shaku Soen et Ashitsu Jitsuzen.
Deuxième rang, de gauche à droite : Nomura Yozo et Noguchi Zenshiro.
Walter R. Houghton (dir.), Neely’s History of the Parliament of Religions and Religious Congresses at the World’s Columbian Exposition, Chicago, F. T. Neely, 1893, p. 37.
À l’Exposition universelle de Chicago, dont le Parlement des religions fait partie, Kakuzō Okakura (1862-1913) et Ernest Francisco Fenollosa (1853-1908), qui ont tous deux fondé l’École des beaux-arts de Tokyo en 1889, ont en grande partie conçu la décoration intérieure du Hōōden ou Pavillon du Phénix où l’architecture et les arts japonais sont présentés15. Partageant les mêmes idées universalistes et les mêmes valeurs spirituelles et esthétiques, Hirai et Fenollosa noueront plus tard une relation d’amitié16.
Le 13 septembre 1893, Hirai donne une conférence intitulée : « La position réelle des Japonais vis-à-vis du christianisme ». Dans le cadre de cette conférence, il souligne l’impopularité du christianisme au Japon, liée à son attitude hypocrite et à ses liens avec l’impérialisme. Il décortique les traités inégaux entre le Japon et les États-Unis et critique la morale chrétienne qui se cache derrière. Si le christianisme insiste sur les droits de l’homme et l’éthique, déclare-t-il, il ne comprend pas « pourquoi les pays chrétiens ont ignoré les droits et les avantages de quarante millions d’âmes du Japon pendant quarante ans, depuis que les traités sont entrés en vigueur »17. Selon Hirai, cette inégalité de traitement repose sur certains arguments, à savoir que le Japon « n’est pas encore civilisé » et que les Japonais sont « idolâtres et païens »18. Il remet ainsi en cause l’équation présupposée de la chrétienté et de la civilisation. En contraste avec cette attitude moralisatrice des chrétiens, il fait référence au caractère ouvert et synthétique de la religion japonaise :
« Qu’ils soient païens ou autres, il est un fait que, depuis le début de notre histoire, le Japon a reçu tous les enseignements avec un esprit ouvert ; les instructions qui venaient de l’extérieur se sont mêlées à la religion indigène en toute harmonie ... ; comme le montre l’ode populaire :
Wake noburu
Fumoto no michi wa
Ooke redo,
Onaji takane no
Tsuki wo mini kana, »
ce qui signifie : « bien qu’il y ait de nombreuses routes au pied de la montagne, si on atteint le sommet, on voit la même lune »19.
Il affirme en outre : « en réalité, la religion synthétique, ou “pensée de l’Entité” est la spécialité japonaise, et je n’hésiterai pas à l’appeler “Japonisme”.20 » En guise de conclusion, Hirai cite la Déclaration d’indépendance américaine : « Nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous les hommes sont créés égaux, » et dit ensuite que les citoyens de « ces glorieux États-Unis libres... peuvent comprendre quelque peu notre position, et de même que vous avez demandé justice à votre mère patrie, nous aussi, nous demandons justice à ces puissances étrangères. » Enfin, il déclare : « Nous, les quarante millions d’âmes du Japon, qui nous appuyons fermement et avec persévérance sur la base de la justice internationale, attendons encore d’autres manifestations quant à la moralité du christianisme.21 »
Sa conférence, fort appréciée du public, sera rapportée comme suit dans le Chicago Herald, le 14 septembre 1893 :
« De nombreux applaudissements suivirent ses déclarations, et mille cris de “honte !” furent entendus lorsqu’il souligna les torts que ses compatriotes avaient subis à cause des pratiques du faux christianisme. Lorsqu’il eut terminé, le Dr. Barrows (pasteur chrétien libéral de la Première Église presbytérienne de Chicago, président du Parlement) lui saisit la main, et le révérend Jenkin Lloyd-Jones (unitarien à Chicago, secrétaire du Parlement) lui passa le bras autour du cou, tandis que le public acclamait avec véhémence et agitait chapeaux et mouchoirs dans un excès d’enthousiasme22. »
Hirai donne sa deuxième conférence, intitulée « Religion synthétique », le 26 septembre. Il affirme que « la religion est, a priori, la croyance en une entité inconnue » et que, si nous comprenons cette essence de la religion, « toutes les religions du monde sont synthétisées en une seule religion ou “Entité” ». Il dit que cette « Religion synthétique » constitue en effet l’esprit inhérent au Japon. Il décrit sa vision de l’unité de toutes les religions en utilisant des expressions qui rappellent la secte Rinzai du bouddhisme à laquelle il appartenait à l’époque. Hirai déclare : « arrêtez votre débat sur les différences religieuses. Tuez Gautama.... Ne faites pas attention au Christ.... Déchirez la Bible »23. Il parle ici de la vérité universelle comme objectif final au-delà de tout fétichisme religieux. Il cesse même de promouvoir le bouddhisme et traite toutes les religions comme étant égales. Nous assistons ici à une expression de l’« universalisme spirituel » moderne, qui résonne avec les opinions de Swami Vivekananda et Kakuzō Okakura24.
Lors de la séance de clôture, Hirai s’exprime ainsi : « Nous ne pouvons qu’admirer la tolérance et la compassion des peuples de l’Occident civilisé. Vous êtes les pionniers de l’histoire de l’humanité. Vous avez réussi à réunir les religions du monde, et nous pensons que votre prochaine étape sera d’atteindre l’objectif idéal de ce Parlement, la réalisation de la justice internationale »25. Ce commentaire peut être interprété comme une adresse à l’« Occident civilisé », afin qu’il prouve sa valeur dans son attitude envers les autres nations.
En affirmant l’éthique universaliste qui imprègne toutes les vraies religions, Hirai remet en cause le cadre évolutif de la supériorité culturelle de l’Occident et du christianisme, que présupposent les organisateurs du Parlement. Au lieu de tenter de démontrer que le bouddhisme ou la religion japonaise sont aussi avancés que la culture chrétienne, Hirai parle du caractère ouvert et synthétique de la religion japonaise comme de sa vertu, niant ainsi la hiérarchie des religions, et appelle le public à la justice et à la vérité universelles fondées sur la morale du christianisme. Il renverse donc le cadre évolutif occidental et demande aux chrétiens s’ils partagent les mêmes valeurs universelles de justice et de vérité qui existent dans toutes les vraies religions.
Soulignons que la position de Hirai diffère de celle des délégués bouddhistes et du gouvernement japonais. Pour ces délégués bouddhistes, le Parlement est l’occasion de propager le bouddhisme japonais26. Ils expriment un sentiment de rivalité religieuse vis-à-vis du christianisme tout en se mettant en conformité tacite avec le cadre comparatif offert par les organisateurs27. Le souci du gouvernement japonais, en revanche, est de prouver que le Japon mérite un statut égal à celui des autres nations européennes dans la hiérarchie du développement, se conformant ainsi à l’échelle des valeurs occidentales28. Gozo Tateno, le ministre plénipotentiaire japonais à Washington DC, déclare ainsi : « Il est juste qu’il (le peuple japonais) accueille l’Exposition universelle comme un moyen de prouver qu’il a atteint une position digne du respect et de la confiance des autres nations »29.
Bien que Hirai demande également la révision des traités inégaux et partage certaines préoccupations politiques avec le gouvernement japonais30, le type d’égalité qu’il envisage repose sur l’égalité des vérités que l’on retrouve dans toutes les religions. Ainsi donc, si pour les délégués bouddhistes, il s’agissait de comparer les valeurs religieuses et pour le gouvernement japonais d’accroître le statut du pays dans la hiérarchie des nations, pour Hirai, le plus grand souci est d’affirmer la justice et la vérité sur la base de valeurs spirituelles universelles31. Ces différences sont importantes dans la mesure où elles préfigurent les aspects ambivalents du panasiatisme japonais de la période ultérieure : un universalisme asiatique, axé sur la solidarité et l’évolutionnisme matériel, qui désigne le Japon comme le leader de l’Asie. De fait, fondée sur l’« universalisme spirituel », la position de Hirai trouve plus d’écho chez Swami Vivekananda et Dharmapala32 que chez les autres délégués japonais.
Swami Vivekananda devient de loin le plus populaire des orateurs du Parlement des religions. Faisant écho à la « religion synthétique » de Hirai, Vivekananda affirme pour sa part la conviction que « toutes les religions sont vraies » et cite un texte sacré hindou : « Comme les différents ruisseaux ayant leurs sources en différents endroits mêlent tous leurs eaux dans la mer, ainsi, ô Seigneur, les différents chemins que les hommes empruntent à travers différentes tendances, aussi diverses qu’elles paraissent, tortueuses ou droites, mènent tous à toi »33. Cette image poétique de différents cours d’eau atteignant le même océan rappelle le poème japonais que cite Hirai sur les nombreuses routes qui mènent au même sommet de montagne. Vivekananda soutient la coexistence de différentes religions dans l’hindouisme, présentant ce dernier comme une religion ouverte et tolérante, rappelant une fois de plus le syncrétisme japonais mis en avant par Hirai. Finalement, Vivekananda va au-delà de l’hindouisme et parle d’une « religion universelle. » Il dit :
« Les Hindous n’ont peut-être pas réussi à réaliser tous leurs plans, mais s’il devait y avoir une religion universelle, ... ce serait une religion qui ne ferait aucune place à la persécution ou à l’intolérance dans son régime, et qui reconnaîtrait une divinité en chaque homme ou femme, et dont toute la portée, toute la force, serait centrée sur l’aide à l’humanité pour qu’elle réalise sa nature humaine34. »
Virchand Gandhi, Anagarika Dharmapala, Swami Vivekananda, G. Bonet Maury et Nikola Tesla (de gauche à droite), au Parlement mondial des religions (1893).
Nous avons ici affaire à un « universalisme spirituel » moderne qui reconnaît le caractère divin de tous les humains et en appelle à une justice universelle au-delà de toute « persécution ou intolérance »35.
Hirai et Vivekananda sont souvent considérés comme ayant promu le bouddhisme et l’hindouisme dans le cadre de leur nationalisme culturel. Ce constat n’est pas totalement faux, mais nous devons également noter que leurs perspectives dépassent les affirmations nationalistes et promeuvent la valeur universelle de l’humanité fondée sur la spiritualité. De telles perspectives rendent poreuse et floue la frontière entre les différentes religions, races et nations, et permettent ainsi une communication transfrontalière. Pour Hirai et Vivekananda, l’universalité de l’esprit divin dans toute l’humanité est l’idéal commun qui autoriserait le programme de compréhension interreligieuse et de justice internationale au-delà du racisme et du colonialisme36.
Les échanges culturels entre le Japon et l’Inde : l’universalisme asiatique
Combinées à la recherche d’un monde meilleur au-delà du racisme et du colonialisme, les aspirations culturelles et spirituelles du Japon et de l’Inde se firent l’écho l’une de l’autre et conduisirent à de riches interactions entre Kakuzō Okakura, Swami Vivekananda et Rabindranath Tagore (1861-1941), entre autres37.
Après les États-Unis et son grand succès au Parlement de Chicago, Vivekananda se rend en Europe et retourne en Inde via Ceylan en janvier 1897. Le 1er mai 1897, il établit la Mission Ramakrishna, basée sur le principe de l’Advaita (non-dualité), principe du Vedanta qui voit l’essence divine en tout.
Après son voyage à Ceylan, Vivekananda fait un discours critique sur le bouddhisme lors d’une série de conférences à Madras38. Il parle de la « dégradation bouddhiste » qui a donné naissance à des rituels et des écrits dégradés en Inde, et déclare : « Toute l’œuvre de l’Inde est une reconquête, par le Vedanta, de cette dégradation bouddhiste ». Pour lui, le processus est en cours39. Interrogé par des amis américains, surpris par ses critiques à l’égard du bouddhisme, Vivekananda explique que, bien qu’il aime Dharmapala, « il serait tout à fait erroné pour lui de se lancer dans des querelles au sujet de la civilisation indienne » et qu’il est convaincu que « ce qu’ils appellent l’hindouisme moderne avec toute sa laideur n’est que du bouddhisme manqué40 ». Vivekananda dit aussi qu’il est déçu par les bouddhistes de Ceylan, et qu’il « ne sera que trop heureux si les Ceylanais emportent le reste de cette religion avec ses idoles hideuses et ses rites licencieux41 ». Il changera cependant de position à l’égard du bouddhisme. Il dira : « une révolution totale s’est produite dans mon esprit sur la relation entre le bouddhisme et le néo-hindouisme42 ». Cette révolution se produira à l’occasion de son association avec Okakura et de leur voyage ensemble à Bodh Gaya en 1902, juste cinq mois avant son décès.
Okakura fait la connaissance de Swami Vivekananda grâce à Mlle Josephine MacLeod43 (1858-1949), amie américaine et fervente adepte de Vivekananda. Okakura, Tokuno Oda – un abbé bouddhiste de la secte Shinshu Otani –, et Mlle MacLeod se rendent à Calcutta en 1902 afin d’inviter Vivekananda au Japon pour un projet de « Parlement asiatique des religions » à Kyoto, qui ne se concrétisera pas44. Okakura et son parti arrivent à Calcutta le 6 janvier et partent immédiatement à Belur Math pour voir Vivekananda. Okakura et Vivekananda développent une relation amicale lors de leur première rencontre45. Le 27 janvier 1902, Vivekananda emmène Okakura et son groupe à Bodh Gaya. Ils y arrivent le 28 janvier et y restent jusqu’au 4 février. Lors de ce voyage, Vivekananda et ses invités logent dans la maison du Mahant hindou et observent la situation. Okakura se rendra ensuite deux autres fois à Bodh Gaya, en avril et probablement en août, pour tenter d’acquérir un terrain afin d’y construire un temple bouddhiste. La détérioration de la santé de Vivekananda ne lui permet pas d’accompagner Okakura46.
Au Parlement de Chicago, Vivekananda a évoqué la nécessité de rétablir les liens entre l’hindouisme et le bouddhisme. Il a dit : « Shâkya Muni n’est pas venu pour détruire, il était l’accomplissement, la conclusion logique, le développement logique de la religion des hindous ». Il a ajouté que lorsque le bouddhisme a disparu en Inde, le brahmanisme a perdu « ce zèle réformateur, cette merveilleuse sympathie et cette charité pour tous, ce merveilleux paradis que le bouddhisme avait apporté aux masses et qui avait rendu la société indienne si grande …. 47». Il a conclu ainsi :
« L’hindouisme ne peut pas vivre sans le bouddhisme, ni le bouddhisme sans l’hindouisme. Alors, réalisez ce que la séparation nous a montré : les bouddhistes ne peuvent pas se passer du cerveau et de la philosophie des brahmanes, ni les brahmanes du cœur des bouddhistes. Cette séparation entre les bouddhistes et les brahmanes est la cause de la chute de l’Inde... Joignons alors le merveilleux intellect des brahmanes au cœur, à l’âme noble, au merveilleux pouvoir humanisant du Grand Maître (Bouddha) »48.
Cette opinion favorable au sujet du bouddhisme se perd après sa visite à Ceylan, en janvier 1897. Vivekananda va même jusqu’à dire, dans une interview donnée en février de cette année-là : « Tout au long de l’histoire de la race hindoue, il n’y a jamais eu de tentative de destruction, seulement de construction. Une seule secte a voulu détruire, et elle a été expulsée de l’Inde : c’étaient les bouddhistes49 ». Cependant, il garde un regard positif sur le bouddhisme japonais à partir de son expérience au Japon. Il déclare : « le bouddhisme japonais est totalement différent de ce que vous voyez à Ceylan. C’est le même que le Vedanta. C’est un bouddhisme positif et théiste, et non le bouddhisme athée négatif de Ceylan50».
Après sa visite à Bodh Gaya avec Okakura et Oda, Vivekananda semble avoir acquis une nouvelle perspective – « une révolution totale » – qui réconcilie la nécessité de reconnecter le bouddhisme à l’hindouisme et la compréhension empirique de la différence entre le bouddhisme ceylanais et le bouddhisme japonais. Après ce voyage, il déclare : « L’école Mahâyâna est même advaitiste. ... Je tiens le Mahâyâna pour la plus ancienne des deux écoles du bouddhisme51». Il souligne également que « le culte de Shiva, sous diverses formes, précède les bouddhistes » dans les sites bouddhistes actuels52. Puis il ajoute : « Il semble que les Tibétains et les autres bouddhistes du Nord viennent ici depuis toujours pour vénérer Shiva [...] Dans aucun de nos grands temples, les bouddhistes ne sont considérés comme des non-hindous », ce qui implique probablement une continuité historique entre le culte de Shiva et le bouddhisme Mahayana53.
En revanche, le bouddhisme du Sud ou bouddhisme Theravada, qui s’est développé après le bouddhisme Mahayana, exerce, selon l’avis de Vivekananda, une influence destructrice et dégradante sur l’Inde et doit donc être expulsé du pays. « Les lignes de travail » que Vivekananda prévoit de laisser derrière lui pour que ses disciples les achèvent, sont fondées sur une « révolution totale » au sujet de la « relation du bouddhisme et du néo-hindouisme ». Très probablement, son nouvel objectif est de lier à nouveau le bouddhisme Mahayana, qui contient l’esprit du Vedanta ainsi que « la merveilleuse sympathie et la charité pour tous », à l’hindouisme populaire représenté par le culte de Shiva, afin de construire un néo-hindouisme qui détiendrait l’esprit védantique de la connaissance, professerait l’amour universel de l’humanité et gagnerait le soutien populaire de la nation indienne54. Cette vision relierait le Vedanta à l’hindouisme populaire et l’Inde hindoue à l’Asie bouddhiste Mahayana. La vision de l’universalisme spirituel de Vivekananda s’étendra plus profondément dans la société indienne et plus largement vers l’Asie de l’Est jusqu’à sa mort, en juillet 1902.
Pendant neuf mois, Okakura reste en Inde et se retrouve étroitement associé à Vivekananda, Rabindranath Tagore et ses proches. Cela conduit à de riches interactions culturelles entre les intellectuels et les artistes japonais et indiens. Le « cosmopolitisme asiatique » émerge, affirmant un universalisme alternatif basé sur la spiritualité et l’esthétique. Le cosmopolitisme asiatique reconnait la valeur spirituelle commune de l’Asie, en la mettant en contraste avec la culture matérielle instrumentale de l’Occident. Il s’accompagne de critiques sévères de l’impérialisme occidental et du racisme.
Le livre d’Okakura sur l’histoire artistique et culturelle de l’Asie, The Ideals of the East with Special Reference to the Art of Japan (1903), proclame le cosmopolitisme asiatique de manière éloquente.
« L’Asie est une. L’Himalaya divise, en accentuant leurs différences, deux puissantes civilisations, la chinoise avec son communisme de Confucius, et l’indienne avec son individualisme des Védas. Mais même les barrières enneigées ne peuvent interrompre un seul instant cette large étendue d’amour pour l’Ultime et l’Universel, qui est l’héritage commun de la pensée de toutes les races asiatiques, leur permettant de produire toutes les grandes religions du monde, et les distinguant de ces peuples maritimes de la Méditerranée et de la Baltique, qui aiment s’attarder sur le Particulier, et chercher les moyens de la vie, et non la fin55. »
Ce livre fut édité et présenté par Sœur Nivedita (Margaret Elizabeth Noble, 1867-1911) qui rencontra Okakura chez Tagore. Sœur Nivedita avait passé son enfance et sa première jeunesse en Irlande. Disciple de Swami Vivekananda, elle consacra sa vie à l’éducation des femmes indiennes et à la cause du nationalisme indien. Nous voyons ainsi comment le cosmopolitisme asiatique basé sur la spiritualité reliait le nationalisme japonais et le nationalisme indien par-delà les frontières raciales.
Kakuzō Okakura
Dans The Awakening of Japan (1904), la critique d’Okakura au sujet du racisme et de l’impérialisme occidentaux devient plus explicite. Il y affirme que « la gloire de l’Occident est l’humiliation de l’Asie56» et critique le « Désastre blanc » de l’impérialisme occidental, comme étant un contrepoint au récit du « Péril jaune57». Nous voyons donc un exemple de « race en tant que résistance » dans lequel une catégorie raciale est utilisée comme « une stratégie discursive pour exposer la discrimination raciale existante (ou contemporaine)58».
Bien que les idéaux d’Okakura soient basés sur la spiritualité et la beauté asiatiques, ses paroles seront citées et exploitées plus tard par les expansionnistes impériaux japonais. Le discours d’Okakura, son intention mise à part, est à double tranchant, car il peut soutenir à la fois l’antiracisme transnational et l’impérialisme dans d’autres nations asiatiques.
Rabindranath Tagore évoque ainsi son souvenir d’Okakura en 1929 :
« Il y a quelques années, j’ai vraiment rencontré le Japon lorsqu’un grand esprit original, issu de ces rivages, est venu parmi nous [...] Grâce à lui, la voix de l’Orient est venue jusqu’à nos jeunes gens. Ce fut un événement important et mémorable dans ma propre vie. Il leur a demandé de se donner pour mission de contribuer à une expression de l’esprit humain qui soit digne de l’Orient. Il est de la responsabilité de chaque nation de se révéler au monde »59.
Notons ici le commentaire positif de Tagore au sujet d’Okakura et d’une conception panasiatique de la spiritualité humaine, totalement différente du nationalisme impérialiste cherchant l’auto-expansion du pouvoir et de la richesse.
Tel était, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, le cosmopolitisme asiatique au Japon et en Inde, fondé sur l’« universalisme » spirituel. Ce cosmopolitisme critiquait le racisme et l’impérialisme occidentaux et appelait les nations asiatiques à se soulever et à exprimer leurs ressources spirituelles pour prouver leur valeur devant le monde. Cependant, ce type d’universalisme panasiatique allait bientôt jouer un rôle secondaire ou, pire encore, servir de couverture idéologique aux menées de plus en plus impérialistes du Japon après la guerre russo-japonaise (1905-1906). L’intensification politique des nationalismes au Japon et en Inde s’est ensuite accompagné de développements divergents, traduisant les différences de positions politiques de ces deux pays.
La séparation des voies
La victoire du Japon dans la guerre contre la Russie a encore renforcé les mouvements nationalistes anticoloniaux en Asie, stimulant les mouvements panasiatiques et panislamiques60. Toutefois, la montée des nationalismes dans les pays asiatiques a également entraîné des divergences, et des différences de position politiques sont apparues.
Comme le souligne avec justesse Prasenjit Duara, à la suite de Bunzo Hashikawa, le panasiatisme au Japon comporte deux aspects : « La conception solidaire et non dominante du rôle du Japon dans la relance de l’Asie, ainsi que la conception du Japon comme [...] leader harmonisateur ou synthétiseur61 ». En d’autres termes, un aspect du panasiatisme japonais entrait en résonance avec l’« universalisme spirituel » et, par conséquent, avec la solidarité envers les peuples asiatiques sur un pied d’égalité, tandis qu’un autre aspect était associé à l’insistance sur l’égalité de statut avec l’Occident dans la hiérarchie évolutive, plaçant le Japon au-dessus des autres nations asiatiques. Après la guerre entre le Japon et la Russie, le panasiatisme japonais a de plus en plus mis l’accent sur ce dernier aspect tout en conservant le premier : il a placé le Japon au même niveau que l’Occident dans le cadre de l’évolution darwiniste sociale tout en critiquant l’impérialisme occidental et en prenant conscience des relations culturelles avec les autres nations asiatiques. Le Japon se présentait de plus en plus comme la seule nation capable de synthétiser le développement matériel européen et les valeurs spirituelles asiatiques. Le sens de la spiritualité asiatique est alors passé du renforcement de la diversité créative basée sur la vérité universelle à la valorisation de l’ethos spirituel-culturel ayant permis le développement « civilisationnel » en termes de richesse et de pouvoir.
L’ambivalence et la transformation de l’attitude japonaise à l’égard de l’Asie est apparue sans détours lorsque le Japon a proposé l’égalité raciale lors de la Conférence de paix de Paris en 1919, tout en exigeant la reconnaissance de ses « intérêts particuliers » à l’Est conformément à la soi-disant doctrine Monroe asiatique62. Le 13 février, le Japon a proposé un amendement à l’article 21 (l’article sur la liberté religieuse) du pacte de la Société des Nations :
« L’égalité des nations étant un principe de base de la Société des Nations, les hautes parties contractantes acceptent d’accorder le plus rapidement possible à tous les ressortissants étrangers d’un État membre de la Société des Nations un juste et égal traitement dans tous les domaines. De ne faire aucune distinction dans leurs législations comme dans les faits sous prétexte de race ou de nationalité. »
Cependant, la majorité était favorable à la suppression totale de l’article 2163. Le 11 avril, le Japon a fait une deuxième proposition sous la forme d’une insertion dans le préambule du Pacte : « ... par l’approbation du principe de l’égalité des nations et du traitement équitable de leurs ressortissants … »64. Bien que cette proposition ait obtenu une majorité de onze voix sur dix-sept à la Commission de la Société des Nations65, Woodrow Wilson, en tant que président, a imposé une décision à l’unanimité, à laquelle le Japon et la France se sont immédiatement opposés. Wilson a toutefois affirmé que cette résolution ne pouvait être considérée comme adoptée qu’à l’unanimité, car une forte opposition s’était manifestée66. Parallèlement aux négociations sur l’égalité raciale, le Japon a négocié ses revendications sur les anciennes colonies allemandes et les droits associés à la péninsule de Shantung en Chine ainsi qu’aux îles du Pacifique au nord de l’équateur67. Le 30 avril, la question de Shantung a été réglée en faveur du Japon.
La proposition d’égalité raciale a reçu un soutien populaire au Japon. Le mouvement pour l’égalité raciale était à l’origine dirigé par l’Association de l’alliance diplomatique nationale (Kokumin gaikō dōmei-kai) créée en décembre 1914 par Ryōhei Uchida et Yasunosuke Tanabe, qui promouvaient la cause panasiatique. Le 5 février 1919, la « Ligue pour l’abolition de la discrimination raciale » (Jinshu sabetsu teppai dōmei) a tenu sa première réunion à laquelle ont participé quelque trois cents personnes, dont des représentants de trois partis politiques – Seiyukai, Kenseikai et Kokuminto – et vingt-quatre autres associations publiques68. L’un des principaux organisateurs était Mitsuru Tōyoma, le leader de la Genyōsha (Société de l’Océan noir), un très influent groupe panasiatique.
Bien que Shimazu ait effectivement raison d’affirmer que « le principe de l’égalité raciale, tel que nous le concevons aujourd’hui au sens d’universalité, n’était pas l’enjeu des négociations sur l’égalité raciale69», cela ne signifie pas qu’il n’y avait aucun élément de l’idéal universaliste dans le soutien populaire à l’égalité raciale. S’il est vrai que la proposition d’égalité raciale dans la diplomatie japonaise était principalement liée à son aspiration, en tant que nation non blanche, à obtenir un « statut de grande puissance » égal à celui des grandes puissances occidentales70, le zèle et l’idéologie panasiatiques pour soutenir la proposition d’égalité raciale ne peuvent être simplement rejetés comme un impérialisme déguisé. De nombreux panasiatiques ont certainement recherché une solidarité égalitaire avec le peuple asiatique, tout en étant également empêtrés dans le programme impérialiste, et le soutien à la proposition d’égalité raciale faisait partie de ce caractère équivoque. Tout comme le panasiatisme au Japon, qui a « à la fois servi et résisté à l’impérialisme naissant de cette nation »71, la proposition d’égalité raciale présente aussi deux versants : elle s’intègre à l’impérialisme-nationalisme japonais tout en le dépassant.
Le panasiatisme japonais constituait-il alors une forme d’« universalisme spirituel » ? En dernière analyse, je dirais que non. Certains panasiatiques, comme Mitsuru Tōyoma et Ryōhei, ont vu une unité sous-jacente entre les sociétés asiatiques, y compris, comme Okakura, des valeurs spirituelles, de sorte que nous pouvons noter ici une résonance certaine. La grande différence réside dans le fait que les panasiatiques japonais ont généralement approuvé le recours à violence, c’est-à-dire le refus des « autres », pour parvenir à leurs fins. Okakura valorisait la paix et s’efforçait de diffuser la spiritualité asiatique comme une valeur universelle également en Occident, alors que les panasiatiques japonais considéraient comme inévitable la confrontation violente contre ce dernier. Plus tard, l’idée de l’inévitabilité et de la nécessité d’une guerre entre l’Asie et l’Occident a été proposée, notamment par le penseur panasiatique Shūmei Ōkawa (1886-1957) et l’officier de l’armée Kanji Ishiwara (1889-1949) en Mandchourie. Dans la mesure où les panasiatiques ont cru à la nécessité de la violence pour parvenir à la paix mondiale, on ne saurait qualifier leur position de spirituelle dans son sens le plus large, ni d’universaliste à part entière, car les opposants devaient être contenus ou détruits par la force plutôt que convaincus par la puissance de la vérité universelle.
Au moment où le Japon se dirigeait de plus en plus vers l’expansion impériale en Asie, Rabindranath Tagore, ami d’Okakura, critiquait le nationalisme japonais dans ses conférences à l’Université impériale de Tokyo et à l’Université de Keio en 1916. Il exhorta le Japon à ne pas être « une simple reproduction de l’Occident » mais à « appliquer son esprit oriental, sa force spirituelle, son amour de la simplicité, sa reconnaissance de l’obligation sociale, afin de tracer une nouvelle voie pour cette grande et encombrante voiture du progrès72». La même année, aux États-Unis, il écrivait aussi :
« Notre véritable problème en Inde n’est pas politique. Il est social. C’est une condition qui prévaut non seulement en Inde, mais aussi dans toutes les nations73».
Il soulignait :
« Ce problème d’unité raciale que nous essayons de résoudre depuis tant d’années doit également être affronté par vous ici en Amérique [...] Vous avez utilisé des méthodes violentes pour vous tenir à l’écart des autres races, mais tant que vous n’avez pas résolu la question ici en Amérique, vous n’avez pas le droit de remettre en question l’Inde74».
Tagore voyait la nécessité d’une réforme sociale dans toutes les nations et dénonçait la méthode violente par laquelle la hiérarchie raciale se maintenait à la fois à l’intérieur d’une nation et entre les nations. Il déclarait :
« Je ne suis pas contre une nation en particulier, mais contre l’idée générale de toutes les nations. Qu’est-ce que la nation ? C’est l’aspect d’un peuple entier en tant que pouvoir organisé. L’organisation maintient incessamment l’insistance de la population à devenir forte et efficace75».
Il proclamait : « le nationalisme est une grande menace76». Le regard de Tagore avait une saveur cosmopolite et universaliste qui allait au-delà du nationalisme politique visant à gagner en puissance et en compétence.
Rabindranath Tagore et Mohandas Karamchand Gandhi
En Inde, Annie Besant, qui succéda à Mme Blavatsky à la présidence de la Société théosophique en 1907, s’engagea dans le mouvement nationaliste en rejoignant le Congrès national indien. Pendant la Première Guerre mondiale, elle lança la Home Rule League avec Bal Gangadhar Tilak pour militer en faveur de la démocratie en Inde et du statut de dominion au sein de l’Empire britannique. Cela conduisit à l’élection de Besant à la présidence du Congrès national indien à la fin de 1917. Sœur Nivedita, disciple de Vivekananda et rédactrice en chef d’Okakura, joua également un rôle important dans le mouvement nationaliste. Nivedita soutint Besant et les jeunes révolutionnaires bengalis, dont Aurobindo Ghosh, l’un des principaux contributeurs au mouvement nationaliste des débuts. Ghosh est devenu plus tard Sri Aurobindo, un sage réputé dont l’organisation fut relayée par La Mère, (Mirra Alfassa, 1878-1973), une Française qui avait séjourné quatre ans au Japon et, pendant un an, partagé une maison avec Shūmei Ōkawa (1919-1920) en compagnie de son mari Paul Richard (1874-1967)77. La position de Besant et de Nivedita reposait sur la critique de l’oppression occidentale en Asie. Elle rejoignait de nombreuses formes de nationalisme qui oscillaient alors entre des inclinations tantôt spirituelles, tantôt politiques et des méthodes tantôt pacifiques et tantôt violentes.
M.K. Gandhi (1869-1948) rentra d’Afrique du Sud en Inde en 1915 et prit la tête du Congrès en 1920. Pour Gandhi, l’inspiration religieuse et la recherche spirituelle sont restées importantes tout au long de ses « expériences de vérité78». C’est Gandhi qui a fermement établi le principe de la « non-violence » – l’affirmation plutôt que la négation des « autres » – comme méthode du mouvement nationaliste. Sur ce point, on peut constater une nette divergence entre les nationalismes japonais et indiens à partir des années 1920 : le Japon s’engage vers une confrontation violente avec l’Occident tandis que l’Inde choisit un universalisme non-violent.
Selon Gandhi, la violence se produit lorsque l’intérêt personnel cherche à s’imposer à celui des autres. Pour lui, l’indépendance ou swaraj, équivaut à une maîtrise de soi qui permet d’identifier le « soi » avec diverses manifestations de la vérité universelle. B. R. Ambedkar (1891-1956), leader du mouvement non-violent de libération des dalits, ou intouchables, principal architecte de la Constitution de l’Inde et premier ministre de la Justice du pays, s’est converti au bouddhisme en 1956, deux mois avant sa mort. Comme le souligne Gauri Viswanathan : « Sa conversion était moins un rejet des solutions politiques qu’une réécriture du changement religieux et culturel en une forme d’intervention politique79».
Il faut comprendre la conversion d’Ambedkar au bouddhisme comme une façon de combiner la critique rationnelle et l’engagement ontologique, éthique et religieux. Ainsi, Ambedkar affirme : « la religion, dit-on, est personnelle [...] Au contraire, le Dhamma est social. Le Dhamma est la droiture, ce qui signifie des relations justes entre l’homme et l’homme dans tous les domaines de la vie80». Après avoir critiqué et déconstruit l’ordre des castes existant, Ambedkar avait besoin d’une base éthique sur laquelle créer un nouvel ordre social. Le dhamma bouddhiste fut sa solution. Gandhi et Ambedkar représentent, chacun à sa façon, des tentatives modernes non violentes de combiner la recherche spirituelle avec les mouvements sociopolitiques en vue d’établir des relations éthiques transcendant les oppressions racistes, y compris celles des castes.
« Universalisme spirituel » et internationalisme
La potentialité de l’« universalisme spirituel » par rapport à l’antiracisme se manifeste également dans l’Europe du début du XXe siècle. Felix Adler (1851-1933) fut le premier à proposer un congrès international sur la race à l’Union internationale des sociétés éthiques à Eisenach en 190681. Gustav Spiller (1864-1940) et Felix Adler organiseront le premier Congrès international d’éducation morale à l’Université de Londres en septembre 1908, où ils poursuivront l’idée du Congrès universel des races (CUR). Le CUR aura lieu à Londres en 1911, avec Adler comme président et Spiller comme secrétaire de son comité général.
Quelles étaient les idées sous-jacentes à ces mouvements ? Adler, professeur germano-américain d’éthique politique et sociale, est reconnu comme le fondateur de sociétés éthiques, telles que la Société de culture éthique de New York (1877-). Bien qu’Adler soit influencé par les traditions morales séculières du XIXe siècle, en particulier par l’universalisme kantien, il s’est lancé dans la critique de Kant dans ses écrits ultérieurs. Au lieu de considérer l’individu comme un être isolé, comme le fait Kant, Adler nous dit de considérer notre « relation aux autres » en termes de « connexion intrinsèque » et affirme qu’un individu n’a « de valeur qu’en tant que membre organique d’un ensemble spirituel82». Selon Adler, l’essence de l’humanité, qui permet notre connexion intrinsèque, réside dans sa nature spirituelle. Il suggère le terme « spirituel » au lieu de « rationnel » pour désigner « cette nature en nous qui opère dans la science et l’art et qui atteint sa plus haute manifestation en produisant l’idéal éthique83». Pour Adler, c’est la nature spirituelle commune des êtres humains qui sera à la base de l’éthique universelle.
Influencé par Adler aux États-Unis, Stanton George Coit (1857-1944) a lancé des mouvements éthiques au Royaume-Uni et fondé l’Union des sociétés éthiques en 1896, puis l’Union éthique et enfin l’Association humaniste britannique, aujourd’hui connue sous le nom de Humanists UK84. Coit a employé Spiller comme conférencier pour le mouvement éthique en 1901, et comme secrétaire de l’Union internationale des sociétés éthiques en 1904. Le travail intellectuel de Spiller consistait à développer une « psychologie évolutionniste des êtres humains sous une forme “spécio-psychique”, en étudiant le développement de l’assimilation par tel ou tel groupe d’une “substance des pensées exprimées par toute leur espèce85».
Concernant le but du CUR, Spiller a simplement précisé : « Discuter, à la lumière des connaissances et de la conscience modernes, des relations générales qui subsistent entre les peuples de l’Ouest et ceux de l’Est, entre les peuples dits blancs et les peuples dits de couleur, en vue de favoriser entre eux une meilleure compréhension, les sentiments les plus amicaux et une coopération plus chaleureuse86». Cela peut paraître simpliste et idéaliste. Il est cependant erroné de dire, comme le fait Rich, que « son ethos était [...] encore celui du libéralisme du XIXe siècle87». Adler et Spiller visaient à dépasser la rationalité scientifique laïque, qui était associée au libéralisme du XIXe siècle, et à établir une nouvelle éthique fondée sur l’universalité de la nature spirituelle humaine88.
Les participants au premier Congrès universel des races en 1911, assis devant l’entrée de l’Imperial Institute, à Londres.
Le premier CUR, qui se tint pendant quatre jours en juillet 1911, attira plus de 2 100 personnes de cinquante pays différents89. La tonalité générale du congrès était un progressisme basé sur l’universalisme éthique et sur l’internationalisme, au croisement des discours scientifiques et moraux. Spiller écrivit plus tard, en guise de conclusion, que le congrès confirmait « l’égalité substantielle dans la capacité innée des différentes races de l’humanité90».
Diffusé avant le congrès, l’article d’Adler était intitulé : « Le principe fondamental de l’éthique interraciale et ses applications pratiques », dans lequel il présentait l’humanité comme un corpus organicum spirituale qui serait favorisé par la « réciprocité de l’influence culturelle91». Parmi d’autres, Sœur Nivedita (Mlle Margaret Noble) abordait « la situation actuelle de la femme », le professeur Franz Boas, « père de l’anthropologie américaine », « l’instabilité des types humains », et W. E. B. DuBois, universitaire américain, militant des droits civils et panafricaniste, écrivait sur « la race noire aux États-Unis d’Amérique »92.
Parmi les participants, figurait Mme Annie Besant. Cette dernière critiquait sévèrement le traitement infligé aux Indiens, non seulement en Inde britannique mais aussi en Afrique du Sud93. Emile Durkheim, M.K. Gandhi et Harumasa Anesaki comptaient parmi les membres du comité d’honneur du Congrès. Anesaki était un étudiant de Hirai à Oriental Hall et le premier professeur d’études religieuses à l’Université de Tokyo. Inspiré par le parlement de Chicago, il organisa le Shūkyōka Kondankai (la Réunion des religieux, est. 1896) à Tokyo pour promouvoir la compréhension interreligieuse et sera également actif dans le Kiitsu Kyokai (l’association Concordia, 1912-1942) qui prétend « la concorde et la coopération entre les classes, les nations, les races et les religions »94.
Il est important de noter qu’il y avait une confluence mondiale de quêtes régionalement diverses et idéalement hétérogènes pour des universalismes alternatifs au-delà de l’idée matérialiste et évolutionniste de la civilisation. Il s’agissait notamment de mouvements antiracistes, de nationalismes anticoloniaux, de mouvements moraux et spirituels, et de recherches universitaires et éducatives pour des idées et des sociétés alternatives.
Entre-temps, le comité exécutif du Congrès international d’éducation morale proposa la création d’un Bureau international d’éducation morale en 1910, et ce dernier fut créé à La Haye en 1921. En 1925, le Bureau international d’éducation (BIE), promu par des pédagogues dont Pierre Bovet, Edouard Claparède et Adolphe Ferrière, fut créé à Genève. Derrière le mouvement de la nouvelle éducation se trouve la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle (LIEN), créée en 1921 par Béatrice Ensor (1885-1974), une pédagogue théosophique95. L’origine de la LIEN remonte à la Fraternité théosophique dans l’éducation, dont la ligne directrice était « la foi dans la nature humaine et les pouvoirs spirituels latents dans chaque enfant96». La LIEN permet de mettre en relation des pédagogues d’inspiration spirituelle avec des personnalités majeures de la psychologie et de l’éducation, telles que Carl Gustav Jung, Jean Piaget et John Dewey97. Le BIE travaille en étroite collaboration avec la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI, 1922-1946) dont les membres étaient des personnalités aussi éminentes qu’Henri Bergson, Albert Einstein, Marie Curie, Rabindranath Tagore et Inazō Nitobe. Le BIE collaborait également avec l’Institut international de coopération intellectuelle (IICI, 1924-1946), basé à Paris. La CICI, y compris l’IIIC, devint par la suite l’UNESCO.
Ainsi peut-on retracer la généalogie de cet « universalisme spirituel » transnational qui joua un rôle important dans le développement d’un internationalisme fondé sur l’égalité de toutes les races et de toutes les religions, et qui conduisit à la création de l’UNESCO. Bien qu’Amrith et Sluga parlent d’universalismes concurrents à l’origine de l’ONU, y compris du rôle du nationalisme anticolonial dans la délégitimation du racisme par l’UNESCO, ils ne prennent pas en compte la généalogie de l’« universalisme spirituel » transnational98. La confluence mondiale, dans l’histoire de l’internationalisme, de ces mouvements hétérogènes, fondés sur la recherche de valeurs universelles alternatives issues de la spiritualité et de l’éthique, prend une part importante dans la formation de l’ONU et de l’UNESCO.
Conclusion
Dans le Japon d’après-guerre, les universalismes spirituels ont été soit condamnés par la gauche en tant qu’idéologie impérialiste et raciste japonaise, soit célébrés par la droite en tant que fondement de la tentative du pays de libérer l’Asie du racisme et du colonialisme occidentaux. Dans cet article, j’ai essayé de montrer la transformation historique du rôle sociopolitique de l’« universalisme spirituel » au Japon, qui passe d’un terrain d’idées pour critiquer le traitement « raciste » du Japon par l’Occident, à une perte progressive de son aspect universaliste, acceptant la violence comme moyen et s’inscrivant dans l’idéologie impérialiste japonaise. L’« universalisme spirituel » peut promouvoir l’antiracisme, mais il peut aussi glisser vers une idéologie auto-célébrante, plaçant les autres dans une position inférieure dans la hiérarchie spirituelle.
Claude-Olivier Doron, en évoquant la critique antiraciste en France dans les années 1830, attire à juste titre notre attention sur l’ambiguïté de l’« universalisme spirituel99». Il reprend les écrits du socialiste Constantin Pecqueur et du penseur contre-révolutionnaire Blanc de Saint Bonnet, qui illustrent la première position antiraciste contre la théorie de la race basée sur l’inégalité biologique. Ceux-ci soulignent aussi bien la primauté de l’esprit humain sur le déterminisme biologique, que l’unité de l’humanité fondée sur l’universalité des principes moraux et spirituels. Toutefois, leurs principes les conduisent simultanément à revendiquer très clairement la supériorité morale et spirituelle de l’Europe, et à la notion de races spirituelles inégales et héréditaires. Cela montre clairement comment le discours de l’« universalisme spirituel » peut jouer un rôle à double tranchant dans le racisme et l’antiracisme.
De la fin du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, les nationalismes asiatiques et africains, les discours panasiatiques, panafricains et panislamiques ainsi que d’autres mouvements de solidarité antiracistes et anti-impérialistes100 se sont souvent alliés à divers types d’« universalismes spirituels » qui les ont aidés à établir leur position respectable face à la vision hiérarchique de la race et de la civilisation fondée sur le développement matériel. Les perspectives comparatives et connectives sur les « universalismes spirituels » au Japon et en Inde nous montrent qu’il y a effectivement eu des moments importants de solidarité transnationale basée sur l’universalité de la spiritualité, de la moralité et de l’esthétique humaines, qui ont joué un rôle important dans les mouvements anticolonialistes et antiracistes, tout en contenant les rouages ambivalents du pouvoir vers l’auto-agrandissement.
Ces divers mouvements spirituels, moraux et éducatifs dans les différents coins du monde ont joué un rôle important dans le soutien à l’internationalisme antiraciste au début du XXe siècle. Le CUR a été l’événement le plus important, quoique souvent négligé, qui a relié les divers mouvements et idées antiracistes du monde à ce moment-là. Helen Tilley souligne que le CUR et d’autres congrès internationaux de l’entre-deux-guerres ont contribué à jeter les bases des déclarations de l’UNESCO sur la race des années 1950, et que « le CUR a été encore plus inclusif, sur le plan régional et culturel, que tous les autres rassemblements qui l’ont suivi, offrant une plate-forme à plus d’orateurs d’Afrique, d’Asie, du Moyen-Orient et des Amériques que jamais dans les quatre déclarations sur la race publiées par l’UNESCO »101. En d’autres termes, le succès du CUR dépendait du large spectre de mouvements antiracistes qui se déroulaient dans toutes les régions du monde. L’histoire de l’antiracisme qui a conduit aux Déclarations sur la race de l’UNESCO est géographiquement plus vaste, chronologiquement plus profonde et idéologiquement plus large que ce que l’actuelle présomption rationaliste laïque et eurocentrique nous permet de voir.
Notes
1
Peter van der Veer, Imperial Encounters : Religion and Modernity in India and Britain, Princeton, Princeton University Press, 2001 ; Peter van der Veer, « Spirituality in Modern Society, » Social Research : An International Quarterly 76, no 4, 2009.
2
Sugata Bose, Kris K Manjapra (dir.), Cosmopolitan Thought Zones: South Asia and the Global Circulation of Ideas, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2010.
3
Sugata Bose, « Different Universalisms, Colorful Cosmopolitanisms : The Global Imagination of the Colonised », in Sugata Bose, Kris K Manjapra (dir.), Cosmopolitan Thought Zones : South Asia and the Global Circulation of Ideas, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2010, p. 97-98. Sur la recherche d’universalité et la concurrence en ce domaine dans le Japon de l’ère Meiji, voir Michel Mohr, Buddhism, Unitarianism, and the Meiji Competition for Universality, Cambridge, Harvard University Asia Center, 2014. Je voudrais ajouter que les universalismes multiples se sont non seulement fait concurrence, mais se sont aussi complétés et coproduits.
4
Il y a des « Lumières » non-européennes dans l’histoire, telles que les Lumières bouddhistes et hindoues, qui sont éludées lorsque nous parlons des Lumières européennes modernes comme étant les seules Lumières. Cependant, le terme « Lumières » est ici utilisé pour désigner les Lumières européennes, conformément à la convention.
5
Homi Bhabha, « Unsatisfied : Notes on Vernacular Cosmopolitanism », in Laura Garcia-Morena, Peter C. Pfeifer (dir.), Text and Nation : Cross-Disciplinary Essays on Cultural and National Identities, Londres, Camden House, 1996 ; Sugata Bose, « Different Universalisms, Colorful Cosmopolitanisms : The Global Imagination of the Colonised, » in Sugata Bose, Kris K Manjapra (dir.), Cosmopolitan Thought Zones : South Asia and the Global Circulation of Ideas, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2010, p. 97.
6
Jonathon S Kahn, Vincent W Lloyd, Race and Secularism in America, Columbia University Press, 2016.
7
Les « traités inégaux » ont été signés entre le Japon et les puissances occidentales dans les années 1850. L’un des principaux objectifs diplomatiques du gouvernement japonais moderne à partir de 1868 fut de réviser ces traités. Le gouvernement japonais a réussi à abolir l’extraterritorialité européenne et à obtenir une autonomie tarifaire partielle en 1894, qui prit effet en 1899, et une autonomie tarifaire complète en 1911.
8
Gauri Viswanathan souligne « le rôle complexe de l’occultisme dans l’assouplissement des frontières entre différents groupes sociaux. » Elle ajoute que « dans la culture coloniale de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, l’occultisme a rendu possible une certaine mobilité entre différentes personnalités et visions du monde, refusée ou du moins limitée par les relations restrictives entre colonisateur et colonisé ». Gauri Viswanathan, « Spectrality’s Secret Sharers : Occultism as (Post) colonial Affect », in Walter Goebel, Saskia Schabio (dir.), Beyond the Black Atlantic : Relocating Modernization and Technology, Londres, Routledge, 2006, p. 135. Voir aussi Gauri Viswanathan, « The Ordinary Business of Occultism », Critical Inquiry 27, no 1, 2000.
9
Par exemple, il y eut des tensions entre Swami Vivekananda et la Société théosophique aux États-Unis, et entre Swami Vivekananda et la Société Maha Bodhi de Dharmapala en Inde, qui entretenait une relation étroite avec la Société théosophique. Vivekananda déclare : « Il y a un rapport qui circule selon lequel les théosophes ont contribué à mes petites réussites en Amérique et en Angleterre. Je dois vous dire clairement que chacun de ces mots est faux, chacun de ces mots est incorrect. » Swami Vivekananda, « My Plan of Campaign », in The Complete Works of Swami Vivekananda III, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 208. Il écrit également : « Les théosophes ont essayé de me flatter, car je suis maintenant l’autorité en Inde, et il était donc nécessaire que j’arrête mon travail en infligeant un démenti à leurs fumisteries, par quelques mots audacieux et décisifs ; et la chose est faite. Je suis très heureux. » Swami Vivekananda, « Dear Mrs. Bull, 5th May, 1897 », in The Complete Works of Swami Vivekananda VII, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 506.
10
Kiyushigen vol. 1, p. 6, cité dans Shin’ichi Yoshinaga, Koichi Nozaki, « Hirai Kinza to Nihon no Uniterianizumu [Hirai Kinza et l’unitarisme japonais] », Maizuru Kōgyō Senmon Gakkō Kiyō [Bulletin du Collège national de technologie de Maizuru] 40, 2005, p. 125.
11
Shin’ichi Yoshinaga, « Hirai Kinza, sono Shōgai [Kinza Hirai : sa vie] », in Yoshinaga Shin’ichi (dir.), Hirai Kinza ni okeru Meiji Bukkyō no Kokusai-ka ni kansuru Shūkyōshi, Bunkashi teki Kenkyū [Hirai Kinza et la mondialisation du bouddhisme japonais de l’ère Meiji : une étude culturelle et religio-historique], 2007, en ligne.
12
Sur la transformation de Dharmapala de l’universalisme au nationalisme, voir Masahiko Togawa, « Darumapāra no Buddagaya Fukkō Undō to Nihonjin : Hindū Kyō Sōinchō no Mahanto to Eiryō Indo Seifu no Shūkyō o Haikei to shita [Mouvement de renaissance bouddhiste japonais et de Dharmapala : l’abbé hindou Mahant et la politique religieuse du gouvernement indien britannique] », Nihon Kenkyū 53, 2016.
13
Yoshinaga explique : « Il est naturel qu’Olcott compte cette croisade au Japon parmi les événements les plus importants de sa vie, mais la réalité n’a pas été exactement comme il le pensait. Olcott a certainement effrayé les missionnaires chrétiens, mais il a également consterné les représentants du bouddhisme. (...) La deuxième visite d’Olcott au Japon en 1892 semble avoir été un échec, bien qu’il ne l’ait peut-être pas compris. » Shin’ichi Yoshinaga, « [Le bouddhisme japonais et le mouvement théosophique, une vue générale] », in Yoshinaga Shin’ichi (dir.), Hirai Kinza ni okeru Meiji Bukkyō no Kokusai-ka ni kansuru Shūkyōshi, Bunkashi teki Kenkyū [Hirai Kinza et la mondialisation du bouddhisme japonais de l’ère Meiji : une étude culturelle et religio-historique], 2007, p. 8, en ligne.
Shields souligne en outre que « même parmi les soi-disant progressistes et réformistes, nombreux sont ceux qui ont été réticents à adopter le bouddhisme d’Olcott. » James Mark Shields, Against Harmony: Progressive and Radical Buddhism in Modern Japan, New York, Oxford University Press, 2017, p. 51.
14
Masahiko Togawa, « Darumapāra no Buddagaya Fukkō Undō to Nihonjin : Hindū Kyō Sōinchō no Mahanto to Eiryō Indo Seifu no Shūkyō o Haikei to shita [Mouvement de renaissance bouddhiste japonais et de Dharmapala : l’abbé hindou Mahant et la politique religieuse du gouvernement indien britannique] », Nihon Kenkyū 53, 2016, p. 200.
15
Judith Snodgrass, Presenting Japanese Buddhism to the West: Orientalism, Occidentalism, and the Columbian Exposition, Chapel Hill University of North Carolina Press, 2003, p. 29-34.
16
En étudiant l’art bouddhiste, Fenollosa a commencé à voir dans le bouddhisme la possibilité de convertir et de dépasser l’hégémonie intellectuelle de l’Occident. Koichi Nozaki, « Hirai Kinza to Fenorosa: Nashonarizumu, Jyaponizumu, Orientarizumu [Kinza Hirai et Fenollosa : Nationalisme, Japonisme et Orientalisme] », Shūkyō Kenkyū [Journal d’études religieuses] 79, no 1, 2005.
17
Kinza Hirai, « The Real Position of Christianity in Japan », in John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions : An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893. Vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 448.
18
Kinza Hirai, « The Real Position of Christianity in Japan », in John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions : An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893. Vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 448.
19
Kinza Hirai, « The Real Position of Christianity in Japan », in John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions : An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893. Vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 444.
20
Kinza Hirai, « The Real Position of Christianity in Japan », in John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions : An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893. Vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 445.
21
Kinza Hirai, « The Real Position of Christianity in Japan », in John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions : An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893. Vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 450.
22
John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions : An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893, vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 115-116, parenthèses ajoutées.
23
Kinza Hirai, « Synthetic Religion », in Walter R. Houghton (dir.), Neely’s History of the Parliament of Religions and Religious Congresses at the World’s Columbian Exposition, Chicago, F. T. Neely, 1893, p. 161. La phrase originale dans Rinzairoku (Archives de Rinzai) dit : « Si vous rencontrez un Bouddha, tuez le Bouddha ».
24
La vision de Hirai de la « religion synthétique », qui dépassait le cadre bouddhiste existant, a ensuite conduit à des conflits avec les institutions bouddhistes au Japon et Hirai a choisi d’embrasser l’unitarisme. Koichi Nozaki, « Hirai Kinza to Yuniterian [Kinza Hirai et unitarien] », in Yoshinaga Shin’ichi (dir.), Hirai Kinza ni okeru Meiji Bukkyō no Kokusai-ka ni kansuru Shūkyōshi, Bunkashi teki Kenkyū [Hirai Kinza et la mondialisation du bouddhisme japonais de l’ère Meiji : une étude culturelle et religio-historique], 2007, en ligne.
À son retour au Japon en 1894, Hirai a enseigné l’anglais dans son Oriental Hall à Kyoto, puis à l’École des langues étrangères de Tokyo en tant que professeur, et a soutenu les activités de l’Association Japon-Inde (1903-), tout en étant également actif en tant qu’unitarien. Après avoir quitté l’unitarisme, il s’est consacré à l’étude des phénomènes psychiques et a pratiqué la méditation de type zen au sein de l’association Samadhi (Sanmajikai). Shin’ichi Yoshinaga, « Hirai Kinza, sono Shōgai [Kinza Hirai : sa vie] », in Yoshinaga Shin’ichi (dir.), Hirai Kinza ni okeru Meiji Bukkyō no Kokusai-ka ni kansuru Shūkyōshi, Bunkashi teki Kenkyū [Hirai Kinza et la mondialisation du bouddhisme japonais de l’ère Meiji : une étude culturelle et religio-historique], 2007, en ligne.
25
John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions : An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893, vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 165-166.
26
Les délégués bouddhistes ont assisté volontairement au Parlement et non en tant que représentants officiels, car il n’y a jamais eu de consensus parmi les bouddhistes du Japon sur la décision d’envoyer des délégués. Sur la discussion au sein de la communauté bouddhiste japonaise concernant l’intérêt d’envoyer des représentants au parlement, voir Judith Snodgrass, Presenting Japanese Buddhism to the West: Orientalism, Occidentalism, and the Columbian Exposition, Chapel Hill University of North Carolina Press, 2003, p. 173-4 et Mitsuya Dake, « Shikago Bankoku Shūkyō Kaigi to Mieji Shoki no Nihon Bukkyō-kai: Shimaji Mokurai to Yatsubuchi Banryu no Dōkō o tōshite [Le Parlement mondial de la religion à Chicago en 1894 et le bouddhisme japonais à la fin du XIXe siècle] », Ryukoku Daigaku Kokusai Shakai Bunka Kenkyūjyo Kiyō [Journal de l’Institut de recherche socioculturelle, Université de Ryukoku : Société et culture] 13, 2011.
27
Naoko Frances Hioki, « Hirai Kinza to Shikago Bankoku Shūkyō Kaigi [Hirai Kinza et le Parlement des religions du monde de Chicago] », Manuscrit lu lors de l’atelier en ligne sur la mondialisation du zen, le 20 juin 2020.
28
Snodgrass souligne que « le principal projet du Japon au Parlement était de contester ce présupposé occidental de supériorité culturelle et de protester contre la position modeste attribuée aux Japonais dans la hiérarchie du développement évolutif. » En réalité, « l’Exposition universelle a été consciemment organisée pour présenter une “leçon de choses” du darwinisme social, montrant la place légitime des peuples du monde dans la hiérarchie des races et des civilisations. » Judith Snodgrass, Presenting Japanese Buddhism to the West: Orientalism, Occidentalism, and the Columbian Exposition, Chapel Hill University of North Carolina Press, 2003, p. 2. Cela concerne non seulement les relations internationales, mais aussi le racisme à l’égard des minorités ethniques aux États-Unis. Il est révélateur que l’Exposition universelle colombienne ait eu pour politique raciste de ne pas autoriser la participation officielle des « Américains de couleur ».
29
Gozo Tateno, Augustus O. Bourn, « Foreign Nations at the World’s Fair », The North American Review 156, no 434, 1893, p. 43, parenthèses ajoutées.
30
Hirai avait échangé des lettres avec Tateno à Washington DC avant de se rendre au Parlement. Contrairement à l’enthousiasme de Hirai, les réponses de Tateno étaient quelque peu bureaucratiques, refusant de fournir toute information concernant la politique diplomatique, lui conseillant de donner des conférences dans les capitales des États autres que Washington DC et lui demandant de contacter le consulat de New York pour obtenir des fonds. Kohei Takase, « Jōyaku Kaisei to Shūkyō: 1893nen Shikago Bankoku Shūkyō Kaigi Niokeru Hirai Kinza No Enzetsu [Révision des traités et religions : Repenser le discours de Kinza Hirai au Parlement mondial des religions à Chicago, 1893] », Tokyo Daigaku Shūkyōgaku Nenpō [Revue annuelle des études religieuses] 37, 2020. Ces lettres et autres documents concernant Kinza Hirai ont été conservés par Mme Fugura Harayama. Je tiens à remercier Mme Harayama de nous avoir permis d’utiliser ces ressources.
31
Naoko Frances Hioki, « Hirai Kinza to Shikago Bankoku Shūkyō Kaigi [Hirai Kinza et le Parlement des religions du monde de Chicago] », Manuscrit lu lors de l’atelier en ligne sur la mondialisation du zen, le 20 juin 2020 ; Kohei Takase, « Jōyaku Kaisei to Shūkyō: 1893nen Shikago Bankoku Shūkyō Kaigi Niokeru Hirai Kinza No Enzetsu [Révision des traités et religions : Repenser le discours de Kinza Hirai au Parlement mondial des religions à Chicago, 1893] », Tokyo Daigaku Shūkyōgaku Nenpō [Revue annuelle des études religieuses] 37, 2020.
32
Naoko Frances Hioki, « Hirai Kinza to Shikago Bankoku Shūkyō Kaigi [Hirai Kinza et le Parlement des religions du monde de Chicago] », Manuscrit lu lors de l’atelier en ligne sur la mondialisation du zen, le 20 juin 2020. Par la suite, cependant, Hirai, Vivekananda et Dharmapala adopteront des positions différentes vis-à-vis des religions qu’ils représentent au parlement. Hirai se distancie du bouddhisme, tandis que Vivekananda prône le Vedanta et que Dharmapala promeut le nationalisme bouddhiste cinghalais.
33
Swami Vivekananda, « The Speech of Mr. Vivekananda », in John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions: An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893. Vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 102.
34
Swami Vivekananda, « Hinduism », in John Henry Barrows (dir.), The World’s Parliament of Religions: An Illustrated and Popular Story of the World’s First Parliament of Religions, Held in Chicago in Connection with the Columbian Exposition of 1893. Vol. 1, Chicago, Parliament Publishing Company, 1893, p. 977.
35
Sur Vivekananda au parlement de Chicago, voir Kuniko Hirano, « Vivēkānanda no Hindū Kyō: 1983 nen Bankoku Shūkyō Kaigi deno Enzetsu o Megutte [L’hindouisme de Vivekananda : Tel que révélé au Parlement mondial des religions de Chicago en 1893] », Minami Ajia Kenkyū [Journal de l’Association japonaise d’études sud-asiatiques] 21, 2009.
36
Interrogé sur les résultats du Parlement des religions, Vivekananda déclara : « Le Parlement des religions, comme il me semble, était destiné à donner au monde un “spectacle païen”. Or, il s’est avéré que les païens avaient le dessus et en ont fait un “spectacle chrétien” tout autour. Le Parlement des religions a donc été un échec du point de vue chrétien, puisque les catholiques romains, qui étaient les organisateurs de ce Parlement, s’y opposent aujourd’hui de plus en plus lorsqu’il est question d’organiser un autre Parlement à Paris. Le Parlement de Chicago a été un énorme succès pour l’Inde et la pensée indienne. Il a contribué à la marée de Vedanta, qui inonde le monde. » Swami Vivekananda, « The Abroad and the Problems at Home (The Hindu, Madras, February, 1897) », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 211.
37
Sur l’interaction entre Okakura, Vivekananda et Tagore, voir Yoshiko Okamoto, « Indo ni okeru Tenshin Okakura Kakuzō: ‘Ajia’ no Sōzō to Nashonarizumu ni kansuru Oboegaki [La découverte de l’“Asie” : Okakura Kakuzō dans l’Inde coloniale] », in Kenichiro Aratake, Junko Miyajima (dir.), Kindai Sekai no ‘Gensetsu’ to ‘Ishō’: Ekkyō teki Bunka Kōshō gaku no Shiten kara [Discours et images du monde moderne : du point de vue des études sur l’interaction culturelle], Suita, Kansai Daigaku Bunka Kōshō gaku Kyōiku Kenkyū Kyoten, ICIS [L’Institut d’études sur l’interaction culturelle, Université du Kansai], 2012 ; Yoshiko Okamoto, « Bukkyō o meguru Dōshōimu no Tabiji, Okakura Kakuzō to Suwāmī Vivēkānanda no Deai to Betsuri [Le voyage ensemble et séparément autour du bouddhisme : La rencontre et la séparation de Kakuzo Okakura et Swamiji Vivekananda] », in Okakura Tenshin Kenkyū Han [Groupe de recherche Okakura Tenshin] (dir.), Okakura Tenshin: Dentō to Kakushin [Tenshin Okakura : Tradition et innovation], Tokyo, Daito Bunka Daigaku Tōyō Kenkyūjo [Institut d’études orientales de l’Université de Daito Bunka], 2014.
38
Swami Vivekananda, « My Plan of Campaign », in The Complete Works of Swami Vivekananda III, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989 ; Swami Vivekananda, « The Sages of India », in The Complete Works of Swami Vivekananda III, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989. Sur l’évolution de la position de Vivekananda vis-à-vis du bouddhisme, voir Kuniko Hirano, « Vivēkānanda no Budda kan: Hindū kyō Fukkō Undō ni okeru Rinen o Megutte [Le point de vue de Vivekananda sur le Bouddha : Sur le renouveau de l’hindouisme] », Jōchi Ajia gaku [Le Journal des études asiatiques de Sophia] 29, 2011 ; Masahiko Togawa, « Suwāmī Vivēkānanda ni okeru Shūkyō to Nashonarizumu: Bukkyō to Hindūkyō no Kankei o tōshite mita [Le point de vue de Swami Vivekananda sur la religion et le nationalisme : Avec une référence particulière à la Relation entre le bouddhisme et l’hindouisme] », Minami Ajia Kenkyū [Journal de l’Association japonaise d’études sud-asiatiques] 29, 2017.
39
Swami Vivekananda, « The Sages of India » , in The Complete Works of Swami Vivekananda III, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 265.
40
Swami Vivekananda, « Dear Mrs. Bull, 5th May, 1897 », in The Complete Works of Swami Vivekananda VII, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 505.
41
Swami Vivekananda, « Dear Mrs. Bull, 5th May, 1897 », in The Complete Works of Swami Vivekananda VII, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 506.
42
Swami Vivekananda, « My Dear Swarup, 9th February, 1902 », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 173.
43
Vivekananda a écrit dans sa dernière lettre à Mme MacLeod : « Vous avez été un bon ange pour moi ». Voir : « Chapter Six: The Devotee as Friend of Swami Vivekananda », in Swami Vidyatmananda : The Making of a Devotee, en ligne.
44
Le 25 juin 1902, Indian Mirror, un journal indien, a publié un article faisant la publicité du Parlement asiatique des religions à Kyoto au nom de la conférence Prajna Paramita. La Maha Bodhi Society a également publié un article saluant le Parlement asiatique des religions dans The Maha Bodhi Journal en juillet 1902. Masahiko Togawa, « Darumapāra no Buddagaya Fukkō Undō to Nihonjin: Hindū Kyō Sōinchō no Mahanto to Eiryō Indo Seifu no Shūkyō o Haikei to shita [Le mouvement de renaissance bouddhiste du Japon et de Dharmapala : L’abbé hindou Mahant et la politique religieuse du gouvernement indien britannique] », Nihon Kenkyū 53, 2016, p. 192.
45
« Kura » se rapprochant de « Khurhā » en bengali, qui signifie « oncle », Vivekananda s’est amusé à appeler Okakura « oncle ». Swami Vivekananda, « My Dear Rakhal (12th February 1902) », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 176.
46
Masahiko Togawa, « Eiryō Indo ni okeru Okakura Tenshin no Buddagaya Hōmon nitsuite: Suwāmī Vivēkānanda to Rabindoranāto Tagōru tono Kōryū kara [Okakura Tenshin (Kakuzo) à Bodh Gaya pendant son séjour en Inde britannique : Examen utilisant les dossiers échangés entre Swami Vivekananda et Rabindranath Tagore] », Ajia Afurika Gengo Bunka Kenkyū [Revue d’études asiatiques et africaines] 92, 2016.
47
Swami Vivekananda, « Buddhism, the Fulfilment of Hinduism », in The Complete Works of Swami Vivekananda I, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 21, 23.
48
Swami Vivekananda, « Buddhism, the Fulfilment of Hinduism », in The Complete Works of Swami Vivekananda I, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 23. Parenthèses ajoutées.
49
Swami Vivekananda, « The Abroad and the Problems at Home (The Hindu, Madras, February, 1897) », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 217.
50
Swami Vivekananda, « The Abroad and the Problems at Home (The Hindu, Madras, February, 1897) », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 210.
51
Swami Vivekananda, « My Dear Swarup, 9th February, 1902 », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 172.
52
Swami Vivekananda, « My Dear Swarup, 9th February, 1902 », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 172.
53
Swami Vivekananda, « Epistles CXV (A letter to Mrs. Ole Bull and her daughter, 10th February, 1902) », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 175.
54
Swami Vivekananda, « My Dear Swarup, 9th February, 1902 », in The Complete Works of Swami Vivekananda V, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 173;. Swami Vivekananda, « Buddhism, the Fulfilment of Hinduism », in The Complete Works of Swami Vivekananda I, Calcutta, Advaita Ashrama, 1989, p. 23.
55
Tenshin Okakura, The Ideals of the East, with special reference to the Art of Japan, Londres, John Murray, 1903, p. 1.
56
Tenshin Okakura, The Awakening of Japan, New York, Century, 1904, p. 107.
57
Tenshin Okakura, The Awakening of Japan, New York, Century, 1904.
58
Yasuko Takezawa, « Transcending the Western Paradigm of the Idea of Race », The Japanese Journal of American Studies 16, 2005, p. 9.
59
Rabindranath Tagore, On Oriental Culture and Japan’s Mission, Tokyo, Indo-Japanese Association, 1929, p. 1-2. Cette conférence a été donnée par Tagore à l’Association indojaponaise au Club industriel de Tokyo, le 15 mai 1929.
60
Cemil Aydin, The Politics of Anti-Westernism in Asia: Visions of World Order in Pan-Islamic and Pan-Asian Thought, New York, Columbia University Press, 2007.
61
Prasenjit Duara, « The discourse of civilization and pan-Asianism », Journal of World History 12, no 1, 2001, p. 110 ; Bunzō Hashikawa, « Japanese Perspectives on Asia: From Dissociation to Coprosperity », in Akira Iriye (dir.), The Chinese and the Japanese: Essays in Political and Cultural Interactions, Princeton, Princeton University Press, 1980, p. 331–341.
62
Shin’ichi Yamamuro, Shisōkadai to shite no Ajia: Kijiku, Rensa, Tōki [L’Asie comme programme philosophique : Axe, lien et projection], Tokyo, Iwanami Shoten, 2001, p. 625.
63
Naoko Shimazu, Japan, Race and Equality: The Racial Equality Proposal of 1919, Londres, Routledge, 1998, p. 20.
64
Naoko Shimazu, Japan, Race and Equality: The Racial Equality Proposal of 1919, Londres, Routledge, 1998, p. 27.
65
Comme Smuts (empire britannique) et Hysman (Belgique) étaient absents, dix-sept membres sur dix-neuf ont voté. Ont voté pour l’amendement le Japon (2), la France (2), l’Italie (2), le Brésil (1), la Chine (1), la Grèce (1), la Serbie (1) et la Tchécoslovaquie (1). Les votes de l’Empire britannique, des États-Unis, du Portugal, de la Pologne et de la Roumanie n’ont pas été enregistrés. Naoko Shimazu, Japan, Race and Equality: The Racial Equality Proposal of 1919, Londres, Routledge, 1998, p. 27.
66
Naoko Shimazu, Japan, Race and Equality: The Racial Equality Proposal of 1919, Londres, Routledge, 1998, p. 27.
67
Naoko Shimazu, Japan, Race and Equality: The Racial Equality Proposal of 1919, Londres, Routledge, 1998, p. 16; Shin’ichi Yamamuro, Shisōkadai to shite no Ajia: Kijiku, Rensa, Tōki [L’Asie comme programme philosophique : Axe, lien et projection], Tokyo, Iwanami Shoten, 2001, p. 625.
68
Naoko Shimazu, Japan, Race and Equality: The Racial Equality Proposal of 1919, Londres, Routledge, 1998, p. 51-52.
69
Naoko Shimazu, Japan, Race and Equality: The Racial Equality Proposal of 1919, Londres, Routledge, 1998, p. 4.
70
Naoko Shimazu, Japan, Race and Equality: The Racial Equality Proposal of 1919, Londres, Routledge, 1998, p. 116.
71
Prasenjit Duara, « The discourse of civilization and pan-Asianism », Journal of World History 12, no 1, 2001, p. 110.
72
Rabindranath Tagore, Nationalism, San Francisco, The Book Club of California, 1917, p. 72, 73-74.
73
Rabindranath Tagore, Nationalism, San Francisco, The Book Club of California, 1917, p. 117.
74
Rabindranath Tagore, Nationalism, San Francisco, The Book Club of California, 1917, p. 118.
75
Rabindranath Tagore, Nationalism, San Francisco, The Book Club of California, 1917, p. 131-132.
76
Rabindranath Tagore, Nationalism, San Francisco, The Book Club of California, 1917, p. 133.
77
Shin’ichi Yoshinaga, « Okawa Shumei, Pōru Rishāru, Mira Rishāru aru Kaikō [Okawa Shumei, Paul Richard et Mirra Richard : une rencontre] », Maizuru Kōgyō Senmon Gakkō Kiyō [Bulletin du Collège national de technologie de Maizuru] 43, 2008.
78
M. K. Gandhi, An Autobiography: The Story of My Experiments with Truth, Ahmedabad, Navajivan Press, 1982.
79
Gauri Viswanathan, Outside the Fold: Conversion, Modernity, and Belief, New Delhi, Oxford University Press, 1998, p. 212.
80
Bhimrao Ramji Ambedkar, The Buddha and his Dhamma: A Critical Edition, Aakash Singh Rathore, Ajay Verma (dir.), New Delhi, Oxford University Press, 2011, p. 169.
81
Paul B. Rich, Race and Empire in British Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 44.
82
Felix Adler, An Ethical Philosophy of Life: Presented in its Main Outlines, New York, D. Appleton, 1918, p. 139.
83
Felix Adler, An Ethical Philosophy of Life: Presented in its Main Outlines, New York, D. Appleton, 1918, p. 133. Il est intéressant de noter que Adler utilise le terme « spirituel » dans ce livre jusqu’à 383 fois alors que le terme « éthique », le thème principal du livre, est utilisé 462 fois, et le terme « moral » 189 fois.
84
Bien que Humanists UK accorde aujourd’hui de l’importance à la science et à la raison (en ligne), l’idée originale d’Adler était précisément de dépasser la rationalité scientifique étroite et de voir le fondement de l’humanité dans sa nature spirituelle commune.
85
Ian Duncan MacKillop, The British Ethical Societies, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 138.
86
Gustav Spiller, « The Proposed Races Congress », The Sociological Review a4, no 1, 1911, p. 50.
87
Paul B. Rich, Race and Empire in British Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 47.
88
À cet égard, « une nouvelle historiographie qui rejette une relation axiomatique entre le libéral et l’international » est importante. Philippa Hetherington, Glenda Sluga, « Liberal and Illiberal Internationalisms », Journal of World History 31, no 1, 2020, p. 1. Cependant, le fait de formuler la question en termes de relation entre « libéral et illibéral » a pour effet de privilégier les perspectives et les idées libérales tout en en excluant d’autres non libérales. Je suggère plutôt de nous concentrer sur les multiples universalismes qui se sont concurrencés, complétés et coproduits dans l’histoire du nationalisme et de l’internationalisme. Pour une comparaison sur « l’idée de cosmopolitisme multiple », voir : Robert John Holton, « Cosmopolitanism or Cosmopolitanisms? The Universal Races Congress of 1911 », Global Networks 2, no 2, 2002, p. 153-170.
89
Helen Tilley, « Racial Science, Geopolitics, and Empires: Paradoxes of Power », Isis 105, no 4, 2014, p. 774.
90
Gustav Spiller, « Science and race prejudice », The Sociological Review 5, no 4, 1912, p. 344.
91
Gustav Spiller (dir.), Papers on Inter-racial Problems: Communicated to the First Universal Races Congress, held at the University of London, July 26-29, 1911, Londres, P.S. King, 1911, p. 266.
92
Gustav Spiller (dir.), Papers on Inter-racial Problems: Communicated to the First Universal Races Congress, held at the University of London, July 26-29, 1911, Londres, P.S. King, 1911.
93
Michael D. Biddiss, « The Universal Races Congress of 1911 », Race 13, no 1, 1971, p. 41.
94
Hara Takahashi, « The Ideal and Consequences of Kiitsu Kyokai: On its Activity in the Showa Era », Annual Review of Religious Studies 20, 2004.
95
Kevin J. Brehony, « A New Education for a New Era: The Contribution of the Conferences of the New Education Fellowship to the Disciplinary Field of Education 1921–1938 », Paedagogica Historica 40, no 5-6, 2004.
96
William Alexander Campbell Stewart, Progressives and Radicals in English Education, 1750-1970, Londres, Macmillan, 1972, p. 194.
97
Hiroshi Iwama, Unesuko Sōsetsu no Genryū wo Tazunete: Shinkyōikurenmei to Shinchigakukyokai [Explorer les sources de l’Unesco : Nouvelle bourse d’éducation et société théosophique], Tokyo, Gakuensha, 1998.
98
Sunil Amrith, Glenda Sluga, « New Histories of the United Nations », Journal of World History, 2008.
99
Doron, Claude-Olivier, « Un anti-racisme ambigu : la critique spiritualiste de la science des races ou de l’inégalité entre races spirituelles », Politika : Le politique à l’épreuve des sciences sociales (à paraitre).
100
Voir Yuichiro Onishu, Transpacific Antiracism: Afro-asian Solidarity in Twentieth-century Black America, Japan, and Okinawa, New York, New York University Press, 2013, pour une histoire des solidarités afro-asiatiques trans-pacifiques contre la suprématie blanche, qui inclut la provocation pro-japonaise de W.E.B. Du Bois.
101
Helen Tilley, « Racial Science, Geopolitics, and Empires: Paradoxes of Power », Isis 105, no 4, 2014, p. 776. Les quatre déclarations de l’UNESCO sur la race sont : « la Question des races » (1950), « la Déclaration sur la race et les différences raciales » (1951), « la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux » (en 1967 et en 1978), toutes disponibles en ligne (consulté le 7 juin 2020).