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Claude Lefort et son ombre
Professeur de philosophie

(Université d'État de New York)

Mon titre, « Claude Lefort et son ombre », est une référence transparente au « Philosophe et son ombre, » le célèbre article de Merleau-Ponty. Lequel explique que, dans ses derniers travaux ainsi que dans certains de ses manuscrits inédits, Husserl propose une critique de l’idéalisme transcendantal déjà présente à l’époque de ses Ideen I (Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures, I). Merleau-Ponty est-il entièrement convaincant ? La question a beau être encore débattue par les spécialistes de Husserl, Dieu merci, ce n’est pas l’objet de cet article. Je ne dirais pas que « l’ombre de Claude Lefort » est une autocritique implicite. Au contraire, beaucoup de ses articles, « L’Image du corps et le totalitarisme », par exemple, sont pour lui l’occasion d’expliciter l’itinéraire de sa pensée, qu’il s’agisse de sa dimension philosophique ou de sa dimension politique. Claude Lefort ne se contentait pas, comme l’écrit Merleau-Ponty, de produire des idées comme une locomotive produit de la vapeur. Il ne pensait pas non plus, contrairement à Foucault, que justifier ses changements de position revient à obéir à un flic qui vous demande vos papiers. Dans son livre intitulé Being with the Dead, le philosophe suédois Hans Ruin s’intéresse à la façon dont les morts nous accompagnent1. Il n’évoque rien de surnaturel ni rien qui donne la chair de poule. Il est clair que les morts sont avec nous quand nous lisons et interprétons les ouvrages qu’ils nous ont laissés ; dans de tels cas, l’activité est entièrement du côté des vivants. Hans Ruin affirme que la relation aux morts est une rue à double sens. Il prend l’exemple de la relation qu’entretenaient Alfred Schutz, ancien élève de Husserl, et Max Weber, et envisage l’œuvre philosophique de Schutz comme un dialogue, tantôt critique, tantôt élogieux, avec la sociologie de Weber. Alfred Schutz a continué à être provoqué par Max Weber longtemps après la mort de celui-ci. Autre exemple, dans Les Mots, Jean-Paul Sartre se demande s’il n’a pas écrit des milliers de feuillets que personne ne lui a demandés pour plaire à son grand-père, disparu cinquante ans plus tôt.

Quant à moi, j’ai imaginé plusieurs rencontres entre Lefort et divers philosophes depuis la disparition de Claude. Mes articles intitulés « Modernity as a Philosophical Problem : Merleau-Ponty, Pippin, Lefort » ou « The Use and Abuse of the King’Body : Claude Lefort and Eric Santer », par exemple, se penchent sur les travaux de Robert Pippin et d’Eric Santer au prisme de ceux de Lefort. Dans les lignes qui suivent, je relirai aussi l’œuvre de Michel Foucault dans cette perspective. Même si Hans Ruin poursuit sa réflexion en proposant une analyse très intéressante du concept d’hantologie de Derrida, je ne le suivrai pas dans cette voie, je préfère me tourner vers la personne de Lefort.

Dans sa préface à L’Institution La Passivité. Notes de cours au Collège de France, de Merleau-Ponty2, Claude Lefort écrit : « Nous ne donnons sens à ce qui apparaît qu’en répondant à une sollicitation du dehors, suivant une orientation que nous impose un certain champ, lequel comporte des niveaux, des dimensions qui ouvre sur des horizons. » Pour ceux qui ont eu le privilège de s’y intéresser, l’œuvre de Lefort est devenue une partie de ce « champ qui sollicite notre réponse » ; pour ceux d’entre nous qui ont été de ses amis, elle exige cette réponse. Dans Le Visible et l’Invisible, Merleau-Ponty cite trois fois Paul Claudel : « Un homme redresse la tête, renifle, écoute, considère, reconnaît sa position : il pense, il soupire et, tirant sa montre de la poche logée contre sa côte, regarde l’heure. Où suis-je et Quelle heure est-il ? » Pour Merleau-Ponty, c’est une façon de rappeler que l’orientation est importante : dans quel champ pensons-nous ? Il cite ce passage pour souligner le rôle de l’orientation. Car Merleau-Ponty et Lefort récusent l’idée qu’il y aurait un point de départ radical. Pour Descartes, par exemple c’est l’expérience du cogito. L’un et l’autre récusent le mythe des origines. Nous commençons, comme le dit Kafka, cité par Lefort, non pas à la racine des choses, mais en un point quelconque situé au milieu d’elles.

Ce qui est en jeu chez Lefort et Foucault, c’est la visibilité du pouvoir. Lefort répond à la question classique des philosophes politiques, « Quelle est la nature des différents régimes ? » Il envisage différents régimes comme autant de formes de société afin d’identifier « un principe d’intériorisation qui rende raison d’un mode singulier de différenciation et de mise en rapport des classes, des groupes ou des conditions et, simultanément, d’un mode singulier de discrimination des repères en fonction desquels s’ordonne l’expérience de la coexistence – repères économiques, juridiques, esthétiques, religieux…3», une mise en forme permettant à une société de s’instituer, qui implique une mise en sens d’un système de significations liées entre elles. La mise en sens, suivant laquelle une société constitue sa propre identité, serait une forme de représentation, une synthèse, un entrelacement du visible et de l’invisible. Analysant l’expérience du touchant/toucher, Merleau-Ponty affirme que « mon corps accomplit “une sorte de réflexion” » tout en ajoutant que celle-ci n’est jamais complète. Elle est court-circuitée au dernier moment, si bien que l’identité du corps avec lui-même est suspendue au-dessus d’une béance, d’un écart. L’immanence n’est jamais atteinte. La réduction phénoménologique ne peut s’accomplir. Pour autant le corps ne se vit pas comme plusieurs parties extérieures à d’autres parties. L’identité du corps politique est, elle aussi, suspendue au-dessus d’une béance, d’un gouffre, mais sans être annulée. Lefort critique la science politique parce qu’à ses yeux elle échoue à penser l’identité fragile de la société.

Pour Lefort, Machiavel est au cœur de l’histoire de la pensée politique. Pour Foucault, Machiavel est « surestimé » dès lors qu’on le met en regard de Francis Bacon. Aux yeux de Lefort, l’absence de fondement théologique ou naturel est ce qui signe la nouveauté du Florentin, lequel ne dit rien sur la question du fondement, divin ou naturel, de l’autorité politique. « Il donne à penser par son seul silence que ces idées ont cessé d’être pertinentes4, » écrit Lefort. Machiavel introduit un vide là où la pensée politique classique se rassurait en affirmant la présence d’un ordre naturel ou divin.

Dans la société pré-moderne, l’articulation entre gouvernant et gouverné est fondée sur des principes religieux. Pour Machiavel, la société politique moderne naît d’un échange symbolique. Toutes les sociétés comprennent deux classes, et deux classes qui sont en conflit, pose-t-il dans le chapitre 9 du Prince. Ce conflit oppose deux désirs : le peuple qui ne veut être ni gouverné ni opprimé par les grands, les élites, qui, elles, veulent gouverner et opprimer le peuple. Le régime, lui, naît de l’échange entre le prince et le peuple. Pourquoi le prince ne doit-il pas s’aligner sur les élites ? Parce qu’il est motivé par la soif de pouvoir, comme elles. S’ils s’alignent sur elles, il en fera partie et servira leurs intérêts de classe. Son alliance avec le peuple, qui répugne à être opprimé par les grands, le place dans une position qui lui permet de commander et les élites et le peuple. Le prince finira évidemment par opprimer le peuple, mais la violence du pouvoir n’est pas de même nature que la violence des grands. Pour le peuple, ces derniers sont un adversaire naturel, l’autre qui les constitue en tant qu’objet de désir immédiat. Le prince les libère de cette relation ne fût-ce que parce qu’il n’en est pas. Par sa présence, le prince détrompe les grands sur leur droit naturel à dominer, antérieur à l’institution de l’échange symbolique entre le peuple et le prince. Nous avons deux pôles. Les grands et le peuple, qui ont un rapport immédiat et naturel. Les gros poissons mangent les petits. Pour autant, dès lors que le prince forme une alliance avec le peuple, il institue une troisième position qui dépasse le conflit de classe. Cette troisième position n’a pas de fondement ontologique ni théologique. Elle naît d’un échange symbolique. Elle est suspendue au-dessus d’un vide. Ce qu’accomplit l’institution du politique, c’est la métamorphose de la force en pouvoir politique. La violence et la coercition demeurent, mais elles ne sont plus immédiates ni naturelles ; elles sont médiées par la position de l’élément tiers. Or l’institution du politique implique une forme de supercherie. « Sans doute la masse trouve-t-elle son avantage à servir un prince qui lui garantisse sa sécurité, mais, en lui prêtant son soutien, elle ne sait pas ce qu'elle fait. Alors qu'elle lutte pour ne pas être opprimée, elle se prépare à une oppression d'un nouveau genre ; alors qu'elle imagine le bien, elle gagne le moindre mal. » Nous sommes au cœur de l’anti-utopisme de Machiavel et de Lefort. L’élément tiers institue l’unité de la société, mais cette image « ne résiste pas à la découverte qu’un conflit irréductible déchire la société5. » Le prince peut amoindrir ce conflit et créer les conditions de certaines formes de coexistence, mais il ne peut pas le résoudre. À partir du moment où le peuple n’obtient pas ce qu’il veut, la dissolution du pouvoir, il a ce qui revient au second choix, son institution politique. L’échange symbolique qui engendre la position du tiers a ce que Levi Strauss appelle une efficacité symbolique. Cet échange fait quelque chose, il confère à la société une unité fragile sans laquelle elle retomberait dans le conflit immédiat et naturel entre peuple et élites. Le pouvoir politique cache un fossé qu’il est impossible de combler. Il permet à une société qui en est dépourvue d’avoir une identité. L’institution de l’élément tiers est la mise en scène qui permet à une société de se constitue une identité fragile.

Lefort insiste pour dire que le prince, dans l’esprit de Machiavel, doit renvoyer sur son image l’affect, voire l’amour, que le peuple souhaite projeter sur lui. Dans un passage particulièrement scandaleux du Prince, le Florentin dresse la liste des vertus qu’il doit avoir en apparence, mais qu’il n’a pas. Or, s’il doit avoir une apparence de vertus, à qui faut-il qu’il apparaisse ? Au peuple, bien sûr. La raison d’être du prince est d’être reconnu. Le lieu du pouvoir doit paraître. Le pouvoir politique est, par essence, visible. Le prince est loin d’occuper une place extérieure à la société. Sa position est constituée par une forme de réflexion que la société effectue sur elle-même. C’est ainsi que Foucault l’interprète : « Pour Machiavel, le Prince est en rapport de singularité, d’extériorité, de transcendance par rapport à sa principauté. […] de toute façon, il n’en fait pas partie, il est extérieur par rapport à elle. […] Corollaire du principe, bien sûr ; c’est que dans la mesure où ce rapport est d’extériorité, il est fragile, et il ne va pas cesser d’être menacé. Menacé de l’extérieur par les ennemis du Prince qui veulent prendre ou reprendre sa principauté ; de l’intérieur également, car il n’y a pas de raison a priori, de raison immédiate, pour que les sujets acceptent l’autorité du Prince 6 . »

Dans les lignes qui suivent, j’opposerai cette lecture à celle de Lefort, puis je reviendrai sur ses conséquences pour la pensée politique de Foucault. Les trois thèmes philosophiques sur lesquels je voudrais m’arrêter sont la singularité, l’extériorité et la transcendance. Pour Lefort, l’objet que Machiavel entend mettre au centre du jeu est le devenir anonyme du pouvoir politique. Dans la monarchie, la personne du roi est transformée par le sacre du couronnement en vertu de la grâce de Dieu. Son corps se dédouble : corps naturel et corps protégé par la grâce. Il n’est pas déifié, il a une relation unique avec Dieu, une relation que n’ont pas les autres. Dans l’interprétation du Prince que propose Lefort, la personne du prince ne bénéficie pas d’une telle transformation. Le pouvoir politique est investi, non pas dans son corps, mais dans le rang qu’il occupe en vertu d’un échange symbolique avec le peuple. Pour Foucault, la transcendance du prince est liée à son extériorité. Il n’y a pas de rapport rationnel naturel entre le prince et sa principauté, si bien qu’il ne fait pas partie de celle-ci. Il n’y a pas de rapport de sang ni de sol. Comme nous l’avons vu avec Lefort, la transcendance du prince découle de la constitution de la position de l’élément tiers. Son pouvoir est fondé sur la projection, ou le fantasme, d’une position qui dépasse le conflit entre les classes. Dans ce sens, il est extérieur à chacune des parties en jeu dans ce conflit. Quand Foucault affirme que la philosophie politique n’a toujours pas coupé la tête du roi, il veut dire que les questions de souveraineté et l’approche juridique de la loi, qui envisagent le pouvoir comme la loi, ne sont pas entièrement sécularisées. Son refus de la dimension symbolique du politique est très clair au début de Surveiller et Punir, lorsqu’il juxtapose le corps du condamné et le corps magnifié du roi. Il a beau évoquer Kantorowicz et son analyse des deux corps du roi, il en propose une interprétation erronée. Je l’affirme, non pas par pédanterie, mais parce que son erreur est révélatrice de son déni du symbolique. « Le supplément de pouvoir du côté du roi provoque le dédoublement de son corps7 », écrit-il dans Surveiller et Punir. Pour Lefort, comme pour Kantorowicz, ce n’est pas le pouvoir du roi qui provoque le dédoublement de son corps. Au contraire, c’est la dimension symbolique de son corps qui fonde la légitimité de son pouvoir. Il s’agit d’une sécularisation de l’idée chrétienne suivant laquelle le Christ est à la fois Dieu et homme, une histoire que je ne détaillerai pas. Le corps mystique du Christ, à la tête de l’Église, donne naissance à l’idée d’un roi conçu non pas comme un Dieu, mais comme un représentant de Dieu sur terre, le dédoublement de son corps étant ce qui fonde sa souveraineté. Or c’est justement de la question de la souveraineté dont Foucault veut se défaire : « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une philosophie politique qui ne soit pas construite autour du problème de la souveraineté, donc de la loi, donc de l’interdiction8. » Ce qui signifie : nous avons besoin de couper la tête du roi. Pour Foucault, la source du pouvoir du roi n’est pas la représentation de son corps, qui a plutôt tendance à le masquer. La figure du souverain et la loi occultent les vraies opérations du pouvoir. Comme nous l’avons vu à l’occasion de la réflexion de Lefort sur Machiavel, la représentation du pouvoir est la mise en scène qui permet à la société de se donner une unité fragile. Pour Foucault, cette représentation masque les vraies opérations du pouvoir : « L’État est superstructurel au regard de toute une série de réseaux de pouvoir qui passent à travers les corps, la sexualité, la famille, les attitudes, les savoirs, les techniques9. » Il est remarquable de voir que Foucault utilise un vocabulaire marxiste pour formuler sa conception du rapport entre État et pouvoir, conception fort problématique au demeurant.

Les Temps Modernes, à l’époque où Sartre dirigeait la revue, ont publié un débat opposant Foucault et Pierre Victor (alias Benny Levy), un des leaders de la gauche prolétarienne, à propos des mérites de la justice populaire. Benny Levy plaide en faveur de la création de tribunaux populaires qui exécuteraient la justice populaire et cite l’exemple des tribunaux mis en place par l’Armée rouge en Chine : « Les masses délèguent, d’une certaine manière, une partie de leur pouvoir à un élément qui leur est profondément lié, mais qui est pourtant distinct, l’armée rouge populaire », dit-il. Foucault est absolument contre parce qu’il estime qu’un tribunal populaire finit par agir comme les instances judiciaires normales. Un tribunal populaire ne peut pas être le porte-parole de la justice populaire, il a plutôt tendance à la soumettre à l’idéologie de la bourgeoisie. Au fond, ce à quoi s’oppose Foucault, c’est l’idée d’une instance tierce. L’idée qu’il puisse y avoir une position neutre par rapport aux deux parties en conflit et que ce jugement doit être exécuté. « Je crois que ça va tout de même très loin et cela paraît très étranger à l’idée d’une justice populaire. Dans le cas d’une justice populaire, tu n’as pas trois éléments, tu as les masses et leurs ennemis. » Lorsque les masses identifient leur ennemi, poursuit Foucault, elles ne s’en réfèrent pas à un jugement d’autorité, doué du pouvoir de faire valoir leur décision. « Elles l’exécutent purement et simplement10 », dit-il. À ce point-là, Foucault donne l’impression de défendre le lynchage. Il dissout l’État en un vaste réseau d’opérations de pouvoir. Ce qui induit une transformation du rôle de l’intellectuel. Jadis, l’intellectuel représentait la voix de l’universel, désormais, avec la fin des grands récits et la centralité de la souveraineté, l’intellectuel devient un « intellectuel spécifique » qui s’intéresse à la micropolitique en vertu de laquelle le pouvoir agit directement sur le corps : la biopolitique, l’action de la gouvernance, qui agit sur la population. Foucault pense aux intellectuels qui, comme lui-même, s’intéressent aux institutions effectuant les opérations du pouvoir, dont les asiles et les prisons. La question que je voudrais poser est la suivante : jusqu’à quel point un « intellectuel spécifique » est -il spécifique ? Foucault n’hésite pas à généraliser le système conceptuel qu’il a bâti en travaillant sur les prisons pour l’élargir à la société, d’où le rôle extravagant qu’il attribue au panoptique dans la modernité.

À présent je voudrais en venir à sa réflexion sur la révolution iranienne. Il va de soi que Foucault s’est trompé sur ce dont il a été témoin à Téhéran. Cela dit, ce qui est intéressant, c’est en quoi il s’est trompé. Ce que Foucault a réellement vu à Téhéran, expliquent Janet Afary and Kevin Anderson, auteurs de Foucault and the Iranian Revolution : Gender and the Seductions of Islam, c’est une insurrection d’inspiration religieuse contre un régime autoritaire et modernisateur, sciemment présentée par Khomeini comme une réactualisation de la bataille opposant Al-Hassan, petit-fils du Prophète, et la maléfique Ja’da. Il s’agit d’une bataille qui s’est déroulée au VIIe siècle et finit par le massacre d’Hassan et le martyre de ses partisans. Ce que Foucault a cru y voir, c’est l’émergence de l’idée de « spiritualité politique » que l’Occident aurait perdu de vue depuis l’époque de Savonarole et d’Oliver Cromwell. La volonté de mourir pour une cause est l’expression d’une volonté collective parfaitement unifiée, expliquait Foucault, et Khomeini était le point central de la volonté collective du peuple iranien. Ce n’était pas un politicien, c’était l’incarnation de la volonté collective du peuple iranien, du peuple dans son ensemble. La « notion de peuple » est familière à ceux qui connaissent l’idée de fantasme totalitaire de Lefort. Il ne s’agit pas de dire que Foucault est un penseur totalitaire, mais que son refus du symbolique et du politique ouvre la porte à un type de pensée qu’a très bien exprimée une de ses lectrices : « L’idée de spiritualité politique est une exploration et une reconnaissance de la structure ontologique du messianisme inhérent à la politique. La spiritualité politique est une tentative visant à proposer une lecture entièrement différente de la politique. L’interruption politique de toute l’histoire antérieure dévoile un futur non réalisé d’un monde encore à venir. La politique est le royaume du messianique, royaume où tout est possible, royaume d’espoir et de promesse d’un monde entièrement différent11. » Le concept de spiritualité politique transforme l’intellectuel spécifique en une sorte de prophète. Quant à moi, j’espère que cette notion qui fait froid dans le dos ne s’enracinera pas dans la culture politique de la gauche. La spiritualité politique dont Foucault a la nostalgie est bel et bien vivante aux États-Unis sous les habits du nationalisme chrétien blanc qui vient de porter à la présidence des États-Unis Donald Trump, un homme psychopathe et fasciste.

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    1

    Hans Ruin, Being with the Dead, Stanford, Stanford University Press, 2018.

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    2

    Merleau-Ponty, L’Institution La Passivité. Notes de cours au Collège de France (1954-1955), Paris, Belin, 2015, p. 17.

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    3

    Claude Lefort, Essais sur le politique, XIXe-XXe, Paris, Points Seuil, 2001, p. 257.

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    4

    Claude Lefort, Le Travail de l’œuvre Machiavel, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1986, p. 346.

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    5

    Claude Lefort, Le Travail de l’œuvre Machiavel, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1986, p. 384-385.

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    6

    Michel Foucault, « Sécurité, territoire et population », Cours au Collège de France, 1977-1978, Paris, Éditions de l'EHESS, Seuil, Gallimard, 2004, p. 95.

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    7

    Michel Foucault, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1975, p. 37.

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    8

    Entretien avec Michel Foucault, réalisé par Alessandro Fontana et Pasquale Pasquino, 1977, Dits & Écrits, t. III, Paris, Gallimard, 1994, p. 150.

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    9

    Entretien avec Michel Foucault, réalisé par Alessandro Fontana et Pasquale Pasquino, 1977, Dits & Écrits, t. III, Paris, Gallimard, 1994, p. 150.

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    10

    « Michel Foucault: Sur la justice populaire, débat avec les Maos », Les Temps modernes, n° 310 bis, 1972, p. 335-366.

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    11

    Johanna Oksala, Foucault, Politics and Violence, Evanston, Northwestern University Press, 2012, p. 153.

    Pour citer cette publication

    Bernard Flynn, « Claude Lefort et son ombre » Dans Gilles, Bataillon (dir.), « Claude Lefort, une pensée pour le XXIe siècle ? », Politika, mis en ligne le 12/02/2025, consulté le 12/02/2025 ;

    URL : https://www.politika.io/index.php/es/node/1521