Visuel de la chanson « Heroiam slava » (gloire aux héros) de Lavon Volski, avec Aliaksandr Pamidoraŭ, Yury Stylski et Tomasz Organek, 2022.
Récemment notre école a accueilli des invités – les ensembles « Mroja » [rêve], « Rèj » [initiative] et un groupe inconnu « Miascovy čas » [heure locale] […]. Des gars de « Talaka » [mouvement informel culturel et politique]1. s’y démenaient également. Lorsque les adolescents furent étourdis par le fracas déchirant, un jeune homme est apparu sur scène et a commencé à agiter le drapeau blanc-rouge-blanc, le symbole des nationalistes bourgeois biélorusses. Et les vocalistes scandaient : « La guerre est une chasse », « Vous êtes derrière le fil de fer barbelé ! », et cela était répété plusieurs fois. Après ce soi-disant « concert » les pédagogues de l’école sortaient de derrière les coulisses des seaux remplis des bouteilles de vodka vidées. C’est ainsi que l’esprit d’extrémisme est inspiré aux jeunes, c’est ainsi que se fait la propagande des idées nationalistes, c’est ainsi que les symboles étrangers à notre société sont implantés. […] Nous croyons qu’on ne peut pas apprendre la vraie démocratie durant de tels « concerts », comme celui organisé par des « informels » à l’école du bâtiment. À tous les coins de rue ils crient, ils défendent les libertés, mais eux-mêmes sont en train d’imposer aux jeunes leurs aberrations. En même temps ils tirent les microphones des mains des autres et crient qu’on les oppresse.
V. Chtiefskij, vice-directeur pour l’éducation de l’école du bâtiment N°72 de Minsk, in Levin V., Tarasievitch B., « Piena na volnakh pieriestrojki » (De la mousse sur les vagues de la perestroïka), Vietchiernij Minsk, 27 octobre 19882.
Sans reprendre à son compte l’idée reçue que « l’histoire se répète », il est tout de même intéressant de constater que cette citation tirée d’un article publié deux ans après le début de la pérestroïka et un peu plus de trois ans avant la fin de l’URSS ne paraît pas archaïque dans le contexte du Bélarus ou de la Russie aujourd’hui. Comme autrefois, des artistes, y compris musiciens, se prononcent contre le système politique autoritaire dans ces pays et contre la guerre criminelle et insensée – cette fois non en Afghanistan, mais en Ukraine. Qui plus est, au Bélarus la contestation s’organise sous le même drapeau blanc-rouge-blanc. Comme jadis, ces prises de position sont disqualifiées par la propagande d’État et taxées de dégénérescence morale, de trahison, d’intervention étrangère et – d’une manière particulièrement cynique compte tenu de la censure et de l’autocensure omniprésentes – d’abus de liberté d’expression. Parmi les contrastes évidents entre la fin des années 1980 et la période actuelle, le plus choquant est que la tenue d’un concert contestataire pacifiste dans une institution d’éducation semble improbable aujourd’hui au Bélarus ou en Russie, tant la censure est massive. En même temps, le présent offre d’autres supports de prises de position indisponibles en URSS – notamment la diffusion via internet et les concerts à l’étranger – supports dont plusieurs musiciens biélorusses et russes se sont très rapidement saisis afin d’exprimer leur opposition à la guerre officiellement qualifiée d’« opération militaire spéciale ».
Ces prises de position ne sont pas une simple réactivation d’une posture contestataire soviétique. La mythologie contestataire qui incite à la critique du pouvoir autoritaire, partiellement héritée des scènes underground en URSS et en Europe centrale, est réactualisée par vagues en Russie et au Bélarus. Les logiques de cette politisation3 sont multiples et complexes, et les vagues de son intensification ne coïncident généralement pas dans les deux pays, car elles sont dues au contexte politique national qui incite plus ou moins les artistes à la contestation. Si le début de la politisation contestataire de la musique rock au Bélarus se situe au milieu des années 1990 et suit l’élection d’Alexandre Loukachenko à la présidence de la République en 1994 et les réformes autoritaires lancées en 1995 et 1996, en Russie, à cause du décalage dans le revirement autoritaire qui est plus tardif, la politisation ne devient sensible qu’au début des années 2010 pour se renforcer après l’annexion de la Crimée en 2014. Ainsi, la différence du contexte politique national se répercute au niveau des dynamiques contestataires dans la musique, les scènes rock contestataires au Bélarus étant tout au long des décennies 1990, 2000 et 2010 plus établies, consolidées, et leur caractère politisé plus assumé qu’en Russie. Cependant, quelle que soit cette temporalité préalable respective, vers le début de la phase active de l’agression russe contre l’Ukraine en février 2022, en Russie comme au Bélarus, la contestation du régime politique est intégrée dans les conventions d’une partie des mondes de l’art4, et produit des effets structurants sur plusieurs sous-champs artistiques au sens bourdieusien5, notamment ceux de la musique populaire, et plus particulièrement – sans doute à cause, entre autres, de l’héritage soviétique d’un genre relativement illégitime – de la musique rock.
Dans cette contribution, je propose quelques pistes de réflexion et une ébauche d’analyse de l’engagement des musiciens contre la guerre qui fait partie d’une nouvelle vague de politisation contestataire de la musique au Bélarus et en Russie, en m’appuyant sur les prises de position des deux premiers mois de la guerre d’agression russe en Ukraine (fin février-fin avril 2022). Pour le faire, je dresserai d’abord un répertoire de contestation, c’est-à-dire l’ensemble des supports des prises de position les plus utilisés par les musiciens russes et biélorusses pendant cette période. Ensuite, j’inscrirai cet engagement dans la tradition artistique qui remonte aux années 1980, mais qui se réactualise par vagues, lorsque de nouvelles impulsions sont données à la contestation. Enfin, je mentionnerai les principaux mécanismes de censure au sens large6 que les musiciens contestataires ont dû affronter pendant ces deux mois – en les inscrivant de nouveau dans la continuité de la consolidation d’un système de censure autoritaire dans les deux pays.
Pour l’analyse des prises de position récentes, je me suis appuyé sur les sources Internet, en opérant une double sélection : d’un côté, en me tournant vers les sites web officiels et réseaux sociaux des musiciens dont le caractère contestataire a été établi pendant mes enquêtes précédentes7 et en effectuant des recherches des actualités concernant ces personnes ; de l’autre – en analysant les principaux médias russes et biélorusses en ligne critiques par rapport aux autorités et susceptibles de relayer les prises de positions contestataires8. Pour ce qui est de l’inscription de ces prises de position et des mécanismes de la censure dans l’histoire de la musique contestataire des deux pays, je m’appuie sur les résultats de mes recherches doctorale et post-doctorale, qui mobilisaient principalement une enquête ethnographique par entretiens semi-directifs (70 en tout) avec des musiciens, producteurs, journalistes et militants associatifs et politiques russes et biélorusses, le travail des archives et l’analyse des médias9.
Répertoire de contestation
Trois supports de prises de position ont été principalement investis par les musiciens pour exprimer leur opposition à la guerre en Ukraine.
Au premier lieu on trouve le mode de contestation le plus direct – les déclarations que les artistes font dans la presse, dans leurs interviews et surtout sur les réseaux sociaux. Le ton et le contenu varient. Par exemple, Boris Grebenshchikov, une des grandes figures du rock russe et soviétique depuis les années 1970, leader du groupe Akvarium (Aquarium), a été un des premiers à prendre la parole. Le 24 février 2022, sur sa page Facebook10 il a écrit « Cette guerre est une folie et une honte pour la Russie ». Le 28 février il y a aussi publié une vidéo où il développe cette sentence en prononçant lentement et clairement un message court et percutant : « La guerre entre la Russie et l’Ukraine est une folie, et les gens qui l’ont déclenchée sont la honte de la Russie ». Andreï Makarevitch, autre grande figure du rock russe actif depuis les années 1970, leader du groupe Mashina vriemieni (Machine à voyager dans le temps) a réagi le 25 février, et a depuis publié une dizaine de messages accusant les autorités russes et Vladimir Poutine personnellement, dressant des parallèles avec l’Allemagne nazie et exprimant son désespoir face à la situation11. Il a également commenté la situation dans les médias12. Un autre rocker illustre de la même génération, Yuri Shevtchuk, s’est exprimé contre la guerre en s’adressant au public à l’ouverture du concert de son groupe DDT le 27 février à la ville de Toula13.
Des artistes russes plus jeunes se sont également prononcés contre la guerre, comme Liza Monetotchka (« Petite pièce de monnaie ») et Noize MC, deux chanteurs devenus très populaires dans les années 2010 avec leur fusion entre le rock, le hip-hop et (pour Monetotchka) la chanson de cabaret et l’électro-pop. Dans une interview commune, ils ont insisté sur la responsabilité des citoyens russes et surtout des artistes qui doivent s’engager contre la guerre14.
Des musiciens biélorusses se sont aussi exprimés sur les réseaux sociaux et ont ouvertement soutenu le côté ukrainien – par exemple les groupes Navi band, Petlia Pristrastiia (« État de manque ») et Nizkiz. Ces deux derniers groupes ont inséré dans leurs clips vidéo, sur leurs chaînes Youtube respectives, le message suivant (en russe et en anglais) : « Pendant que tu regardes cette vidéo, des Ukrainiens meurent sous les bombardements par la Fédération de Russie. Arrête cela !15 ».
Les rockers Lavon Volski et Siargej Mikhalok ont publié leurs appels respectifs aux militaires biélorusses pour que ces derniers refusent de participer à une intervention directe potentielle des forces armées du Bélarus en Ukraine16. Volski a notamment prédit « la fin proche de l’empire russe », et Mikhalok qui habite en Ukraine a violemment accusé l’armée biélorusse d’avoir fourni une base arrière aux troupes russes et a mis en garde – en des termes très menaçants – contre l’entrée des troupes biélorusses en Ukraine.
Le deuxième support des prises de position est plus ancré dans la production artistique, avec la composition de chansons qui dénoncent la guerre. Plusieurs titres contestataires et pacifistes ont été publiés par les musiciens russes en mars-avril 2022.
Boris Grebenshchikov pendant un concert caritatif en soutien de l’Ukraine, 2022.
Boris Grebenshchikov a écrit ou réenregistré plusieurs chansons déprimées, remplies de symboles sinistres17, tels que « les cercueils ont poussé dans nos cœurs », « il n’y a plus aucun demain » (chanson Vorozhba ( « Sorcellerie »). Il a proposé une nouvelle version de Nikto iz nas (« Personne de nous »), enregistrée pour la première fois en 1982, avec des paroles « personne de nous ne sortira d’ici vivant » et « aucune maison n’est solide s’il y a de l’acier dans le ciel ». Diana Arbenina, leadere du groupe Notcnhye snajpery (« Snipers de nuit ») a interprété le 17 avril 2022 pour la première fois la chanson Ne moltchi (« Ne te tais pas »), avec des lignes « Qui répondra pour les larmes des enfants,/pour la folie des adultes ?/ Des garçons meurent comme des bouvreuils./ Le champ de morts, ne regarde pas en arrière18 ». Encore plus explicitement, le groupe rock Nogu svelo (« Crampe dans la jambe ») a publié le 29 mars sur sa chaîne Youtube19 la chanson Nam ne nuzhna vojna (« Nous n’avons pas besoin de la guerre »), avec des fragments de discours du ministre des Affaires étrangères russe Sergei Lavrov ridiculisant ce dernier, et des évocations de la propagande d’État dont il faut s’affranchir pour retrouver sa propre voix. Nogu svelo a publié deux autres chansons contestataires pendant les deux premiers mois de la guerre : Pokolenie Z (« Génération Z ») et Bukva Ziu (« Lettre Z ») – se référant avec dérision à cette lettre devenue le symbole du soutien à l’intervention russe en Ukraine. Noize MC a aussi composé et interprété une nouvelle chanson qui parle de cette guerre, Ausweis, où il insiste sur la responsabilité des citoyens russes dans le conflit (« Ne te blanchis pas, tu es coupable aussi,/ dans ton ausweis il y a une visa à multiples entrées pour l’enfer éternel »)20. Vassili Shoumov, leader du groupe Centr (« Centre ») issu de l’underground moscovite des années 1980 a publié une courte chanson-slogan Net vojne ! Net ! Net ! Net ! (« Non à la guerre ! non ! non ! non ! ») le lendemain du début de la guerre, le 25 février21.
La chanteuse rock Zemfira, quant à elle, a au contraire temporairement supprimé de sa chaîne Youtube toutes les vidéos sauf celle de sa vieille chanson pacifiste Ne strieliajte (« Ne tirez pas ») – la nouvelle vidéo où on voit des photos et vidéos des bombardements des villes ukrainiennes – et celle de la reprise du titre Vidpusty (« Laisse-moi partir ») d’Okean Elzy (« Océan d’Elsa »), groupe ukrainien connu à l’échelle internationale.
À ma connaissance, les musiciens biélorusses ont composé seulement deux chansons contestataires traitant directement de la guerre en Ukraine pendant la période étudiée (ce nombre plus faible s’explique à la fois par le fait que la Russie est directement engagée dans la guerre, à la différence du Bélarus qui a seulement servi de base aux attaques russes, mais aussi, objectivement, par la taille plus réduite de la scène musicale biélorusse). Il s’agit d’abord du titre Heroiam slava (« Gloire aux héros »), chanté par le musicien rock Lavon Volski, avec la participation d’Aleksandr Pamidoraŭ, du frontman du groupe Daj darogu (« Laisse passer ») Yury Stylski, et du chanteur-compositeur polonais Tomasz Organek. Le refrain reprend le salut national ukrainien (Gloire à l’Ukraine – Gloire aux héros), plus largement la chanson exprime le soutien à l’Ukraine dont le peuple possède une forte volonté de conquérir sa liberté22. Ensuite, le susmentionné Yury Stylski a également publié la chanson Praz vyzvalenne Ukrainy (« Par la libération de l’Ukraine ») consacrée au bataillon Kastus’ Kalinoŭski qui regroupe une partie des volontaires biélorusses qui luttent du côté ukrainien – le titre se réfère à l’idée que le Bélarus sera libéré de la dictature suite à (« par ») la libération de l’Ukraine de l’occupation russe23. Ce qui est remarquable, c’est que ces deux chansons sont moins pacifistes que guerrières : on y souhaite ouvertement la victoire de l’Ukraine contre l’agresseur – prise de position difficilement envisageable pour les collègues russes qui insistent sur l’opposition à la guerre en général. Cette différence peut témoigner du fait que le souhait de la défaite de sa propre armée dans une guerre – même si celle-ci est jugée criminelle et injuste – constitue tout de même un tabou dans le débat public, en tout cas pour les musiciens russes dont la plupart évitaient d’affronter frontalement les dominants du système politique russe et essayaient de maintenir une distance par rapport aux débats ouvertement politiques avant l’intervention russe en Ukraine. Une prise de position explicite en faveur de la défaite de l’armée russe pourrait potentiellement impliquer des accusations particulièrement graves à l’encontre des musiciens russes qui l’auraient exprimée, notamment en termes de trahison – qu’il s’agisse des dénonciations médiatiques ou des poursuites judiciaires.
Enfin, le rapper biélorusse LSP de langue russe a sorti le titre Uragany ( « Ouragans ») : composée en 2021 cette chanson ne parle pas directement de la guerre en Ukraine, mais du départ (plus ou moins forcé) de son pays pour l’étranger. Le message au début de la vidéo explique le contexte, condamne la guerre et consacre la chanson aux réfugiés ukrainiens. Selon LSP, les profits de la diffusion de la vidéo seront transférés aux associations de soutien aux réfugiés ukrainiens24.
Le troisième mode notable d’expression de l’opposition à la guerre est l’organisation de et la participation à des concerts caritatifs à connotation pacifiste. Compte tenu du contexte autoritaire des régimes politiques russe et biélorusse, ainsi que du climat particulièrement restrictif lié à la guerre, en règle générale ces concerts ont lieu à l’étranger.
Parmi les musiciens russes, deux grandes tournées sont à noter. Premièrement, la série de concerts Russians against war du rappeur Oxxxymiron qui a eu lieu en mars-avril 2022 à Istanbul, à Londres (où Boris Grebenshchikov l’a rejoint sur scène) et à Berlin25. Deuxièmement, les musiciens Liza Monetotchka et Noize MC mentionnés ci-dessus se sont également lancés dans une tournée contre la guerre sous le nom Voices of peace qui passe par Prague, Berlin, Tallinn, Helsinki, Stockholm et Oslo en avril-mai 202226. Dans les deux cas il est prévu que les recettes soient données aux fondations polonaises qui accompagnent les réfugiés ukrainiens (Fundacja Świętego Mikołaja et Fundacja Siepomaga respectivement). Au Bélarus, c’est Siargej Mikhalok qui a réuni exprès après une longue période d’inactivité son groupe Liapis Trubeckoj27pour une grande tournée européenne (Riga, Tallinn, Vilnius, Berlin, Hambourg, Nuremberg, Prague, Brno et Varsovie) sous le patronage du ministère de la Culture ukrainien avec le don des recettes aux organisations d’aide aux réfugiés ukrainiens28. D’autres musiciens biélorusses, notamment les chanteurs rock Zmicier Vajciuškevič, Lavon Volski, Aleksandr Pamidoraŭ, Yury Stylski ou le duo du pop-folk Navi band ont pris part dans des concerts de soutien aux réfugiés ou bénévoles ukrainiens.
Cadre du clip vidéo « Heroiam slava » (gloire aux héros) de Lavon Volski, avec Aliaksandr Pamidoraŭ, Yury Stylski et Tomasz Organek, 2022.
Ajoutons que l’annulation des concerts en Russie par un musicien, surtout si elle est accompagnée d’une explication des motifs liés à l’opposition à la guerre – comme c’était le cas, par exemple, d’Oxxxymiron et d’Akvarium ou des biélorusses Petlia Pristrastiia et Nizkiz – constitue aussi un support de prise de position.
Bien évidemment, l’exil plus ou moins forcé des concerts à l’étranger pose plusieurs questions quant à la diffusion et à l’accès du public aux spectacles. D’un côté, le public qui reste en Russie et au Bélarus se voit privé de la participation aux événements qui sont justement, dans une mesure, censés inspirer les sentiments anti-guerre de ce public. De l’autre, ces concerts sont souvent retransmis en ligne, aussi bien que sont diffusés par Internet les nouvelles et anciennes œuvres des musiciens contestataires. Bien que le contrôle de l’Internet ait été renforcé depuis le début de la guerre, avec le blocage de plusieurs sites d’information et des réseaux sociaux, des voies de contournement de ces restrictions sont largement disponibles (par exemple l’utilisation des services VPN, le recours aux réseaux sociaux non bloqués comme Telegram, les plateformes alternatives, etc.). De plus, un grand nombre de ressortissants russes et biélorusses qui émigrent dans les pays occidentaux constitue un public alternatif pour les musiciens en exil (par exemple, selon la Commission européenne, presque 76.000 de Russes ont reçu leur premier titre de séjour dans un État-membre de l’UE en 2019, et plus de 60.000 en 202029). En fin de compte, pour les musiciens qui donnent des concerts caritatifs, l’objectif n’est pas uniquement de jouer devant son public, mais aussi de recueillir des fonds pour l’action humanitaire.
Vagues de politisation et générations de contestataires
Au-delà d’un choix moral individuel de nombreux artistes face à la guerre, ces prises de positions s’inscrivent dans une longue tradition contestataire dans la musique russe et biélorusse, notamment dans le rock underground, qui remonte aux années 1980, et doivent être perçues dans la continuité de l’engagement antiautoritaire.
Des débats persistent sur le caractère politique du mouvement rock en URSS et en Europe de l’Est. Pour certains, dans les années 1980, le rock y bénéficiait d’un statut presque prophétique et « a aidé à renforcer la marée révolutionnaire » en « ébranlant les autorités »30. Il a contribué à « l’érosion des régimes totalitaires à travers l’Europe de l’Est31 » et « le triomphe du rock’n’roll en Europe orientale et en Union soviétique a été la réalisation d’un processus démocratique32 ».
Cette perspective a rapidement soulevé des critiques. Des chercheurs ont indiqué que le rock et les rockers n’étaient pas vraiment anticommunistes et que ce mouvement pouvait se développer dans la coopération avec les autorités, en s’adaptant à leurs exigences33. D’autres tendent à extraire le mouvement rock du schéma « collaboration – dissidence » et du cadrage excessivement politique pour insister sur son altérité et son extériorité par rapport à ce cadrage même, à l’aide de telles notions que la « déterritorialisation de la culture34 », ou « hétérotopie au pouvoir35».
Cependant, même de ce second point de vue, les effets d’une recherche des espaces d’autonomie sont politiques dans les conditions d’un régime communiste. De plus, la période d’après 1986 a été caractérisée par la politisation plus explicite du rock russe. Sur fond de réformes de la perestroïka et de la glasnost, les chansons de l’underground commencent à véhiculer des messages ouvertement contestataires, qu’il s’agisse des groupes de nouvelle génération, comme Televizor (« Poste de télévision »), ou ceux de la tendance lyrique et poétique (Akvarium, Mashina vriemieni, DDT etc.) qui se tournent aussi vers l’expression contestataire et politisée. Plusieurs musiciens se prononcent contre la guerre en Afghanistan, et des chansons antimilitaristes sont écrites.
En Biélorussie soviétique, la politisation du rock a été renforcée par la proximité de premiers groupes underground – Mroja (« Rêve »), dont le leader a été Lavon Volski, Bonda (« Morceau »), Miascovy čas, Ulis, etc. – des cercles de la « Renaissance nationale ». Il s’agit d’un mouvement entre culture et politique qui commence à militer pour l’autonomie culturelle et ensuite pour l’indépendance politique du Bélarus par rapport à l’URSS. Le rock biélorusse était aussi plus sujet à l’influence des scènes de l’Europe centrale, notamment du punk polonais qui s’est politisé plus intensément et rapidement, au début des années 1980, sur fond du mouvement contestataire Solidarnosc36. Après la fin de l’URSS, la temporalité des vagues de politisation de la musique russe et biélorusse était décalée. Néanmoins, il est possible de dégager dans chacun des États deux grandes périodes de politisation qu’on pourrait qualifier de constitution et d’expansion.
Suite au revirement autoritaire plus précoce au Bélarus (à partir des années 1995-1996), la politisation contestataire du rock y a été plus précoce elle aussi et se situe entre 1995 et le début des années 2010. Ce processus s’appuie sur deux tendances : la repolitisation des groupes des années 1980 (notamment Mroja qui se réforme en NRM, Krama (magasin) et Ulis issus de Bonda, Miascovy čas, Novaje nieba (ciel nouveau) ou Žygimont Vaza [lat.] (Sigismond III de Pologne)) et l’émergence de nouveaux groupes qui absorbent plus ou moins rapidement les conventions contestataires : B.N. [lat.] (sans nom), S’câna (mur), Pomidor/Off (groupe d’Aleksandr Pamidoraŭ), Neuro Dubel (neuro cheville), Liapis Trubeckoj, le chanteur folk-rock Zmicier Vajciuškevič ou les formations anarcho-punk, comme Deviation, Kal’ian (narguilé), Hate to State, Contra la Contra, etc. Cette vague de politisation peut être décrite comme ayant plusieurs phases qui suivent les différentes réformes consolidant le pouvoir autoritaire et les séquences post-électorales marquées par les manifestations de masse, mais s’inscrivent dans une même tendance de la constitution progressive de scènes rock contestataires soudées.
En Russie cette première phase de la « redécouverte » de la contestation du rock commence lentement à la fin des années 2000 (après l’élection présidentielle de 2008), s’accélère avec les manifestations de la place Bolotnaïa en 2011-2012 et culmine dans le contexte de l’annexion de la Crimée en 2014. On observe pendant cette période des réengagements des leaders de l’underground soviétique des années 1980. Le groupe Televizor interprète à partir de 2008, y compris durant des manifestations protestataires, son tube de 1987 « Ton papa est un fasciste » (Tvoj papa fashist) en modifiant légèrement le texte, en y rajoutant la ligne « Ton Poutine est un fasciste » et des références à l’histoire politique de la Russie d’après 2000. Yuri Shevtchuk, leader du groupe DDT, et Vassili Shoumov du Centr critiquent publiquement les dominants du champ politique et personnellement Vladimir Poutine. Même les chefs de file du mouvement rock poétique des années 1970-1980, Andreï Makarevitch et Boris Grebenshchikov, respectivement leaders des groupes Mashina vriemieni et Akvarium, prennent position à l’encontre de l’annexion de la Crimée et du rôle que joue la Russie dans le conflit dans le Donbass. D’autres musiciens et groupes rock plus jeunes, tels que Noize MC, Zemfira, Vasya Oblomov, Barto ou Pussy riot porté sur le devant de la scène médiatique en 2012 ont également commencé à exprimer leur opposition aux autorités russes – que ce soit après l’annexion de la Crimée ou avant.
Ainsi, dans les deux États, vers le milieu des années 2010 une certaine scène musicale contestataire (voire plusieurs scènes) s’était déjà constituée. Le début des années 2020 marqué par des événements distincts mais tragiques dans les deux pays a fortement précipité cette dynamique, avec une rapide expansion de la politisation vers de nouveaux artistes, pas toujours venus des mondes du rock.
Au Bélarus il s’agissait de l’important mouvement social à la suite de l’élection présidentielle du 8 août 2020, accompagnée de violences policières et de répressions de l’opposition et des manifestants. Les protestations ont provoqué des prises de position par les musiciens rock engagés de longue date, mais elles ont aussi poussé les artistes qui ne s’étaient pas démarqués par une posture contestataire jusqu’alors à intervenir dans le débat public : des groupes plus proches du folk ou des variétés, comme Navi band ou Recha (écho), rappeur LSP, groupes punk et post-punk Daj Darogu et Petlia Pristrastiia ou les rockers indy Nizkiz qui ont composé « Pravily » (Règles) devenu un hymne des manifestants. Journaliste et amateur de la musque biélorusse Aliaksandar Arsionaŭ a même essayé de rassembler toute la production musicale contestataire de 2020-2021 liée aux événements au Bélarus – ce qui a donné plus de 600 chansons37.
Des artistes biélorusses appartenant à ces trois générations de musiciens contestataires (soviétique, post-soviétique et post-2020) ont pris position contre la guerre en Ukraine après le début de sa phase active en février 2022. C’est cet événement tragique qui a engendré l’expansion de la contestation dans la musique en Russie : les rangs des générations soviétique et anti-Poutine (de 2008-2014) sont rejoints par d’autres artistes, issus du rock, mais aussi du hip-hop ou même des variétés, tels que Nogu svelo, Liza Monetotchka, Oxxxymiron, Valery Mieladze et de nombreux autres.
Il est donc notable, comme suit de la revue des prises de position ci-dessus, que de très nombreux musiciens de la première vague du rock contestataire des années 1980 restent toujours présents dans le débat public aujourd’hui et jouent le rôle central dans la consolidation de l’opposition musicale à la guerre en Ukraine – c’est le cas par exemple de Boris Grebenshchikov, d’Andreï Makarevitch ou de Vassili Shoumov en Russie, et de Lavon Volski au Bélarus. À part le fait qu’ils incarnent la continuité de la contestation, ou en tout cas de désaccord avec les dominants du champ politique dans leurs pays, ces rockers portent en règle générale une vision des transformations politiques de la fin des années 1980 qui dissone avec celle systématiquement promue par les autorités russes et biélorusses – dans le narratif officiel, la glorification du passé soviétique tout comme la critique des réformes politiques qui ont précédé et suivi l’effondrement de l’URSS sont de mise. Pour les rockers contestataires, la fin de l’URSS n’est pas une tragédie, mais un moment d’émancipation politique – surtout si on parle des musiciens biélorusses, pour qui le début des années 1990 est surtout marqué par l’accession du pays à l’indépendance. Cette vision hétérodoxe (par rapport au discours autoritaire) du passé offre un répertoire de références critiques partagées en opposition à celui des autorités dans le contexte où ces dernières évoquent de plus en plus le passé afin de justifier les mesures autoritaires et la guerre.
Mécanismes de censure
Un autre domaine où on peut clairement détecter une filiation entre l’expression anti-guerre aujourd’hui et les pratiques contestataires dans le passé récent est celui de la censure.
Tout d’abord, il s’agit des interdictions des concerts ou, plus souvent, du refus des gérants des salles de concert d’accueillir les musiciens contestataires. Au Bélarus, la situation a déjà été extrêmement tendue dans le contexte des répressions qui ont suivi les manifestations d’août 2020. Face à la menace de poursuites judiciaires, de nombreux musiciens ont quitté le pays, comme Lavon Volski, Ales’ Dzianisaŭ du groupe Dzieciuki (gaillards), Yury Stylski de Daj darogu, Aleksandr Pamidoraŭ, Navi band, Uladziaslaŭ Navazhylaŭ de Gods Tower ou encore le groupe parodique Razbitae serca pacana (cœur brisé d’un mec). Au Bélarus, il est pratiquement impossible d’organiser un concert légal pour tout groupe ayant un lien quelconque au mouvement contestataire ou ayant critiqué les résultats des élections ou la violence policière38 – et généralement ce sont les mêmes artistes qui protestent contre la guerre en Ukraine.
Nouveau logo anti-guerre du groupe Dzieciuki, 2022. La lettre Z a été un des symboles de l’agression russe en Ukraine.
En Russie, même s’il est encore tôt de parler des interdictions massives, des concerts de certains groupes ayant pris position contre la guerre ont déjà été empêchés en avril 2022 – en sachant, de nouveau, que la plupart ont annulé leurs concerts eux-mêmes en signe de protestation voire ont quitté le pays. Ainsi, le 20 avril le porte-parole de Mašina Vremeni a déclaré que quatre concerts du groupe en Russie ont été interdits formellement pour des raisons techniques (menace terroriste dans les régions frontalières avec l’Ukraine et limitations liées au COVID-19)39 – interdictions qui ont été tout de même interprétées par le leader du groupe Andreï Makarevitch en termes de censure politique40. De même, le 22 avril 2022, un concert de DDT a été empêché à la ville de Tumen. Dans la salle où le groupe devait jouer, une énorme lettre Z (symbole de soutien aux forces armées russes dans la guerre en Ukraine) a été affichée, et les gérants ont refusé la demande de l’enlever de la part du groupe. Les autres salles de la ville ont refusé d’accueillir DDT qui a dû annuler le concert41.
Déjà le 14 mars 2022, un document a fait surface, présenté comme la « liste noire » fuitée sur Internet. Ce document sans tampon ni signature énumérait vingt-deux groupes, chanteurs et autres personnalités du show-business ukrainiens et russes qui s’étaient prononcés contre la guerre en Ukraine, dont Oxxxymiron, Noize MC et Boris Grebenshchikov. La liste serait destinée aux gérants des clubs et salles de concert russes et contiendrait les noms des artistes et groupes dont les concerts seraient désormais interdits. Des journalistes et des organisateurs de concerts ont rapidement confirmé la haute probabilité de l’authenticité du document42.
Si l’on a rapidement cru à l’authenticité de la liste noire, bien qu’aucune confirmation officielle n’ait été faite, et si l’on interprète volontiers les annulations pour des raisons techniques comme des interdictions politiques dissimulées, c’est que ces situations surviennent dans le contexte d’un système de censure43 structuré au Bélarus depuis les années 2000, et en Russie depuis les années 2010.
Le caractère de ce système de « nouvelle censure » propre aux régimes autoritaires contemporains russe et biélorusse est à la fois informel, diffus et économique. Il est informel, parce que les modalités de contrôle de la production des biens culturels vont au-delà des méthodes ouvertement restrictives et formalisées : la censure au sens étroit est officiellement proscrite et, du point de vue formel, la régulation de la production culturelle et ses justifications s’inspirent des normes libérales. Il est diffus car souvent transféré aux acteurs autres que les agents d’État : responsables des médias et des salles de concerts, mouvements collectifs « patriotiques » formellement détachés de l’État, entreprises, etc. Les instances de contrôle sont diffuses et décentralisées et impliquent les producteurs culturels eux-mêmes. Il est économique car il cible avant tout l’activité artistique qui rapporte les ressources matérielles aux producteurs et intermédiaires : dans le cas des musiciens il s’agit avant tout des concerts qui constituent le gros des revenus artistiques, ainsi que les droits de diffusion à la radio et à la télévision.
Ainsi, il serait logique de s’attendre à l’intensification du fonctionnement des mécanismes de censure à l’encontre des musiciens contestataires – au moins en Russie, car au Bélarus ces mécanismes sont déjà passés à la vitesse supérieure en 2020-2021. Les mesures restrictives peuvent être regroupées en quatre catégories. Premièrement, la réglementation qui pourrait être rendue plus restrictive en compliquant notamment l’organisation des concerts, par exemple par l’introduction d’un nouveau système plus strict de contrôle ou de licence. Deuxièmement, les interdictions, les annulations et les autres entraves systématiques à l’organisation de concerts – qu’elles proviennent des agents de l’État (comme la police), des producteurs culturels ou des sponsors. Troisièmement, les restrictions d’accès aux médias centraux, notamment la télévision et la radio (ce qui implique la baisse des revenus tirés des droits de diffusion et un manque de publicité) accompagnées d’une campagne médiatique de dénigrement dans les médias contrôlés par les autorités. Enfin, des modes plus indirects de la censure, notamment la politique culturelle défavorable (avec le refus de financements et de promotion et la dissuasion des sponsors et des mécènes) et l’intimidation en dehors de l’activité musicale – que ce soit par les forces de l’ordre, les institutions judiciaires ou les militants des mouvements « patriotiques ». Dans tous ces domaines, on peut déjà observer quelques signes avant-coureurs des restrictions, ce qui constitue en soi une forme de « censure anticipée » qui découle des contraintes exercées « par l’anticipation des chances de profit44 », c’est-à-dire l’autocensure omniprésente.
Conclusion
Les horreurs de la guerre peuvent dépasser les clivages, remettre en cause la différenciation des espaces d’activités et ébranler les principes de structuration des relations sociales. Le choc moral ressenti à cause de la guerre constitue un motif d’engagement en soi – et le présent article ne nie absolument pas cette évidence.
Cette contribution ne pose pas que les musiciens rock sont les seuls à s’engager contre la guerre – d’autant plus que certains rockers au contraire participent aux concerts de soutien aux forces armées russes et à leur « opération spéciale » en Ukraine, concerts organisés et financés par les autorités russes. De plus, nous avons vu que des artistes hip-hop ou des variétés se prononcent eux aussi contre la guerre et doivent faire face aux mêmes conséquences restrictives. Même la musique classique et académique ne reste pas en dehors du débat public. Par exemple, le 28 février 2022, le chef d’orchestre Ivan Velikanov a déclaré qu’on a déprogrammé sa direction d’un opéra pendant le festival Masque d’or à Moscou à cause de son discours contre la guerre accompagné de l’interprétation d’une partie du quatrième mouvement de la Neuvième symphonie de Beethoven (Ode à la joie) au début d’un concert45. Le 14 avril 2022, la police a interrompu un concert à Moscou où auraient dû être interprétées des œuvres du compositeur contemporain ukrainien Valentin Silvestrov. La raison officielle de l’interruption a été une alerte anonyme à la bombe46. Silvestrov s’était résolument prononcé contre l’agression russe en Ukraine, en accusant frontalement les autorités russes et Vladimir Poutine47.
La contestation de la guerre ne se limite pas non plus au monde musical. Des personnalités de théâtre, de cinéma, de littérature, des arts plastiques russes et biélorusses se sont aussi exprimés de différentes manières. Même certaines personnalités du show-biz télévisuel ont critiqué l’agression russe en Ukraine, comme l’animateur de télévision russe Maksim Galkin qui a publié un message contre la guerre48. Parti en Israël, il a raconté ensuite comment ses spectacles ont été tous annulés en Russie par les autorités locales et le FSB (Service fédéral de sécurité, services secrets russes) et comment les spots publicitaires où il jouait ont été déprogrammés49. Il a promis de faire un don d’une partie des profits de ses spectacles en Israël aux réfugiés ukrainiens50.
Cependant, si l’on va au-delà des explications individualisantes et psychologisantes de l’engagement, même à partir d’un nombre de cas réduit et d’une ébauche d’analyse sommaire, on voit qu’il y a des facteurs structurels qui rendent souhaitables, attendues et même nécessaires les prises de position contestataires de la part de certains agents sociaux. La configuration progressivement constituée et consolidée de l’espace social du rock, et la part que représente cette activité artistique depuis les années 1980 au Bélarus comme en Russie, facilitent structurellement l’engagement contestataire, ce qui explique aussi qu’une forte proportion de musiciens se réclament de ou se réfèrent au rock ou à son héritage. Cette propension à l’engagement s’accentue pendant des périodes de tension politique ou sociale, dont la guerre est un épisode particulièrement intense.
Notes
1
Dans l’URSS des années 1980 on qualifiait de mouvements informels les associations qui ne s’inscrivaient pas dans les structures du parti-État et de ses succursales syndicales, de jeunesse, d’éducation, etc. Par extension, on appelait « les informels » les membres de ces associations.
2
Ici et plus loin – traduction de l’auteur.
3
Perçue en tant que l’ensemble « des formes et des voies d’une conversion, celle de toutes sortes de pratiques en activités politiques ». Jacques Lagroye, « Avant-propos », in Jacques Lagroye (dir.) La Politisation, Belin, Paris, 2003, p. 5.
4
« Les conventions artistiques portent sur toutes les décisions à prendre pour produire les œuvres, même s’il est toujours possible de revenir sur une convention particulière pour une œuvre donnée. » Les conventions couvrent non seulement les aspects esthétiques des œuvres, mais aussi les modes de production ou les relations entre les artistes et le public et font ainsi « peser de lourdes contraintes sur l’artiste ». Howard Becker, Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, 2006 (1988), p. 53 et 56.
5
Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.
6
Dans une perspective sociologique, et non juridique, la censure n’est pas uniquement associée à l’examen préalable par une autorité non judiciaire et à l’interdit formel des contenus destinés à la diffusion publique, elle est aussi envisagée comme un élément et un effet de la structure des relations sociales dans laquelle s’inscrivent les producteurs culturels, structure qui régit l’accès à l’expression, ses formes et contenus légitimes. Voir, par exemple, Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, repris dans Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001 ; « Censures visibles, censures invisibles », dossier de Dossiers de l’audiovisuel, 106 (11/12), 2002 ; Pascal Durand, La Censure invisible, Arles, Actes Sud, 2006 ; Robert Darnton, De la censure, Paris, Gallimard, 2014.
7
Notamment dans le cadre de la thèse de doctorat soutenue à l’Université de Strasbourg en 2015 et dont une version remaniée a été publiée récemment Yauheni Kryzhanouski, Contester par la musique sous régime autoritaire : la politisation du rock au Bélarus, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2022 ; ainsi que la recherche postdoctorale réalisée en 2016-2017 à l’EHESS (projet « Gouverner la dissidence : sociologie de la censure sous régime autoritaire contemporain »).
8
Pour la Russie : Meduza, Novaia Gazeta, Nastoiashchee vremia et RBK ; pour le Bélarus : Radyjo Svaboda et Naša niva.
9
Pour plus de détails voir Yauheni Kryzhanouski, Contester par la musique sous régime autoritaire, op. cit. ; Yauheni Kryzhanouski, « Managing Dissent in Post-Soviet Authoritarianism. New Censorship of Protest Music in Belarus and Russia, 2000–2018 », Europe-Asia Studies, 74(5), 2022, p. 760-788.
10
Page Facebook personnelle de Boris Grebenshchikov : https://www.facebook.com/grebenshikov, consultée le 29 avril 2022.
11
Page Facebook personnelle d’Andreï Makarevitch https://www.facebook.com/makarevichav, consultée le 29 avril 2022.
12
Par exemple : « Andreï Makarevitch – o vojne v Ukraine » (Andreï Makarevitch sur la guerre en Ukraine), Nastoiashchee vremia, 15 mars 2022 : https://www.currenttime.tv/a/31753773.html, consulté le 29 avril 2022.
13
Vidéo disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=Oz5MD1liicY, consulté le 29 avril 2022.
14
« Babouchka skazala : ‘Ty daleko, a televizor – vot on’ » (La grand-mère a dit : « tu es loin, et la télé, la voici »), Meduza, 5 avril 2022 : https://meduza.io/feature/2022/04/05/babushka-skazala-ty-daleko-a-televizor-vot-on, consulté le 29 avril 2022.
15
Respectivement : https://www.youtube.com/channel/UCocazRpJksnAupxVzBMP3vg et https://www.youtube.com/channel/UCAXBo1Kil9eOkQaVYdu3s3w, consultés le 29 avril 2022.
16
« Viadomyja bielarusy i ŭkraincy z’viarnulisia da bielaruskikh vajskoŭcaŭ, kab tyja nie padtrymlivali Raseju u ahresii suprac’ Ukrainy » (Biélorusses et Ukrainiens connus se sont adressés aux militaires biélorusses pour qu’ils ne soutiennent pas la Russie dans l’agression contre l’Ukraine), Radyjo Svaboda, 28 février 2022 : https://www.svaboda.org/a/31728382.html, consulté le 29 avril 2022.
17
Voir la chaîne Youtube de Boris Grebenshchikov : www.youtube.com/user/borisgrebenshikov/videos, consultée le 29 avril 2022.
18
Voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=4dd9QBF3kJY, consultée le 29 avril 2022.
19
https://www.youtube.com/c/NoguSvelo/videos, consultée le 29 avril 2022.
20
Voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=0VeHAcXjFsw, consultée le 29 avril 2022.
21
Voir la vidéo sur la chaîne de l’artiste : https://www.youtube.com/watch?v=e88UQ01oAVo, consultée le 29 avril 2022.
22
Pour voir la vidéo sur la chaîne de Lavon Volski : https://www.youtube.com/watch?v=tpck6xUkKqk, consulté le 29 avril 2022.
23
Vidéo sur la chaîne Youtube de Daj darogu : https://www.youtube.com/watch?v=36_HntwLpV0, consultée le 29 avril 2022.
24
Vidéo sur la chaîne de LSP : https://www.youtube.com/watch?v=8CqwOVNB4-w, consultée le 29 avril 2022.
25
Voir le site officiel de la tournée : https://www.r-a-w.live, consulté le 29 avril 2022.
26
Le site officiel de la tournée : http://voices-of-peace.live, consulté le 29 avril 2022.
27
Nom d’un poète graphomane, personnage du roman Les douze chaises par Ilia Ilf et Evguéni Pétrov.
28
« Liapis Trubeckoj potchav pidhotovku do Evropejskoho Turu ‘Vojny Svitla’ » (Liapis Trubeckoj a commencé la préparation pour la tournée européenne « Guerriers de la lumière »), Site web officiel du groupe Liapis Trubeckoj, 28 mars 2022 : https://lyapis.by/news/lyapis-trubeckoy-voini-sveta-tour/, consulté le 29 avril 2022.
29
Commission européenne, « Les immigrants dans la société européenne – Chiffres globaux », https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr#developmentsin20192018, consulté le 15 septembre 2022.
30
Sabrina Petra Ramet, « Rock: The Music of Revolution (and political conformity) », in Sabrina Petra Ramet (ed.), Rocking The State. Rock Music and Politics in Eastern Europe and Russia, New York, Boulder Westview Press, 1994, p. 2.
31
Peter Wicke, « The times they are a-changin’, Rock music and political change in East Germany », in Rebee Garofalo (ed.), Rockin’ the Boat: Mass Music and Mass Movement, Boston, South End Press, p. 81
32
Timothy W. Ryback, Rock Around the Block: A history of rock music in Eastern Europe and the Soviet Union, New York, Oxford University Press, 1990, p. 233.
33
Jolanta Pekacz, « Did rock smash the Wall? The role of rock in political transition », Popular music, Vol. 13, N°1, 1994 ; Yngvar Steinholt, Rock in the Reservation. Songs from the Leningrad Rock Club, 1981-1986. New York/Bergen, Mass Media Music Scholars’ Press, 2005.
34
Alexei Yurchak, Everything Was Forever, Until It Was No More. The Last Soviet Generation, Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2006, notamment p. 128.
35
Anna Zaytseva, En quête d’altérité : pour une sociologie des acteurs, lieux et pratiques de la scène rock à Léningrad/Saint-Pétersbourg dans les années 1970-2000, Thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2012, notamment p. 142.
36
Sur les logiques de politisation du rock soviétique et biélorusse voir Yauheni Kryzhanouski, Contester par la musique sous régime autoritaire, op. cit.
37
On peut consulter la playlist sur sa chaîne Youtube : https://www.youtube.com/user/Marnatrauny, consultée le 2 mai 2022.
38
Voir par exemple : « ‘Vystupac’ u Rasei niama anijakikh maral’nykh mahčymas’ciaŭ’. Što adbyvajecca z’ bielaruskimi muzyčnymi hurtami » (« Il n’y a aucune possibilité morale de jouer en Russie ». Qu’est-ce qui se passe avec les groupes de musique biélorusses), Radyjo Svaboda, 22 avril 2022 : https://svaboda.global.ssl.fastly.net/a/31816623.html , consulté le 2 mai 2022.
39
« Priedstavitiel’ ‘Mashiny Vriemieni’ ob’iasnil otmienu kontsertov ugrozoj terrorizma » (représentant de Mashina Vriemieni a expliqué l’annulation des concerts par la menace terroriste), RIA Novosti, 22 avril 2022 : https://ria.ru/20220422/mashina-1784908642.html, consulté le 2 mai 2022.
40
Message sur le compte Telegram personnel d’Andrei Makarevitch, 20 avril 2022 : https://t.me/andrey_makarevich/31, consulté le 2 mai 2022.
41
« V Tiumieni otmienili koncert DDT poslie otkaza gruppy vystupat’ v zale s bukvoj Z » (à Tumen on a annulé le concert de DDT après le refus du groupe de jouer dans une salle avec la lettre Z), Novaia gazeta, 21 avril 2022 : https://novayagazeta.eu/articles/2022/04/21/v-tiumeni-otmenili-kontsert-ddt-posle-otkaza-gruppy-vystupat-v-zale-s-bukvoi-z-news, consulté le 2 mai 2022.
42
« Pozdravliaiem, vy v chernom spiske » (félicitations, vous êtes dans la liste noire), Novaia gazeta, https://novayagazeta.ru/articles/2022/03/18/pozdravliaem-vy-v-chernom-spiske, consulté le 2 mai 2022.
43
Voir Yauheni Kryzhanouski, « ‘La censure est d’autant plus efficace qu’elle est interdite’. (Post-)censure de la musique contestataire en Biélorussie et en Russie », Communications, n°106 (1/2020), p. 133-145 ; Yauheni Kryzhanouski, « Nouvelles censures sous régime autoritaire contemporain. La musique protestataire en Russie et au Bélarus postsoviétiques », in Yauheni Kryzhanouski, Dominique Marchetti, Bella Ostromooukhova (dir.), L’Invisibilisation de la censure. Les nouveaux modes de contrôle des productions culturelles (Bélarus, France, Maroc et Russie), Paris, Eur’Orbem éditions, 2020, p. 31-64
44
Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, op. cit., p. 115.
45
Déclaration sur la page Facebook d’Ivan Velikanov, 28 février 2022 : https://www.facebook.com/ivan.velikanov.3/posts/10209359120491542, consultée le 2 mai 2022
46
« Kontsert v DK ‘Rassvet’ byl prirvan iz-za soopshcheniia o minirovanii » (concert à DK Rassvet a été interrompu à cause d’une alerte à la bombe), Classical Music News, 14 avril 2022 : https://www.classicalmusicnews.ru/news/concert-in-rassvet-was-interrupted-due-to-report-of-mining/, consulté le 2 mai 2022.
47
« Valentin Silvestrov : ‘Vy tchto delaietie, tcherti kriemlievskiie ?’ » (Valentin Silvestrov : « Qu’est-ce que vous faites, vous démons du Kremlin ? »), Deutsche Welle (service russe), 16 mars 2022 : https://www.dw.com/ru/walentyn-sylwestrow-w-interview-dw/a-61151672, consulté le 2 mai 2022.
48
Voir la publication sur son compte Instagram, 24 février 2022: https://www.instagram.com/p/CaWghGfspVE/, consultée le 2 mai 2022.
49
« Galkina zapretili v Rossii : otmienili kontsety i zapugali organizatorov » (on a interdit Galkin en Russie : annulé ses concerts et intimidé les organisateurs), RBK-Ukraina, 24 avril 2022 : https://www.rbc.ua/rus/lite/zvyozdy/galkina-zapretili-rossii-otmenili-kontserty-1650787141.html, consulté le 2 mai 2022.
50
« Galkin poobeshchal otpravit’ tchast’ zarabotka s kontsertov ukrainskim bezhentsam » (Galkin a promis d’envoyer une partie des profits de ses concerts aux réfugiés ukrainiens), RBK, 22 avril 2022 : https://www.rbc.ru/society/22/04/2022/6262ce159a79471c730db7fe, consulté le 2 mai 2022.