(Université Mahidol, Thaïlande - Institut de recherche démographique et sociale)
L’Asie du Sud-Est est la première région à avoir été touchée par la Covid-19 après la Chine. Tout a commencé en janvier 2020 avec l’identification d’un premier cas en Thaïlande. Cette année-là, la plupart des pays de la région ont réussi à maîtriser la pandémie, mais les répercussions socio-économiques ont été profondes : la vie sociale a été bouleversée et les moyens de subsistance ont fondu comme neige au soleil. Un an plus tard, la pandémie a explosé et les mesures de protection ont échoué à améliorer les conditions de vie.
En Asie du Sud-Est, comme partout dans le monde, l’épidémie a mis à nu les inégalités et leurs conséquences sur le bien-être et la sécurité des personnes. Comme beaucoup d’observateurs l’ont fait remarquer, la Covid-19 n’est pas seulement une crise sanitaire. Elle donne à voir le versant social et culturel de la vie et son rôle dans les risques que prennent les gens. Elle met aussi en évidence la dimension politique de la santé et de la gouvernance sanitaire. Pour autant les gouvernements ont rarement pris la mesure des multiples dimensions de la pandémie, préférant se concentrer sur les facteurs médicaux et macro-économiques et optant pour la sécurisation plutôt que pour une approche humanitaire ou équitable. Dans ces circonstances, les petites gens ont dû se débrouiller pour faire face à la peur et l’incertitude et survivre dans un contexte de privations économiques et de misère sociale.
Les photos reproduites ici donnent un aperçu de la façon dont les individus et les communautés ont réagi à la pandémie en Asie du Sud-Est, puisant des forces dans leurs propres idiomes culturels, leurs réseaux sociaux et leurs systèmes d’assistance, y compris avec le soutien d’associations issues de la société civile et de fonds privés – avec l’aide du gouvernement ou pour pallier l’absence de cette aide. Les communautés marginalisées, dont les minorités sexuelles et ethniques et les différents groupes de migrants, ont dû faire appel à des pairs ou à des sympathisants puisqu’ils étaient négligés, voire discriminés, par les dispositifs officiels. Ces photos ont été rassemblées par la fondation SEA Junction dans le cadre d’un projet initié en juin 2020 et baptisé « De la peur à la résilience : une histoire visuelle du Covid-19 en Asie du Sud-Est » et de plusieurs initiatives connexes. La plupart font partie de séries prises par des photographes locaux, professionnels ou non, qui tiennent à diffuser ces images de la pandémie. Il est possible de voir les séries complètes sur le site de SEA Junction à l’adresse suivante : http://seajunction.org/special-initiatives/.
Nous avons choisi quinze photos qui illustrent la résilience d’individus et de communautés et forment une histoire collective présentée autour de trois axes : 1) Élever son esprit et surmonter le confinement par l’art ; 2) Les communautés locales se protègent dans un monde étiologique où la maladie dépasse ses manifestations cliniques ; 3) La solidarité est essentielle pour qu’une communauté puisse réagir et accompagner les mesures gouvernementales ou, au contraire, pallier leur absence. Spontanément, les gens puisent en eux-mêmes et dans leur communauté les ressources qui leur permettent de tenir. Leurs actions témoignent non seulement de leur force, mais aussi des carences des mesures officielles, incapables de satisfaire les besoins existants, qu’ils soient d’ordre existentiel ou pratique.
« Élever son esprit et surmonter le confinement par l’art » : Ave, une gymnaste indonésienne, a continué à faire des exercices chez elle, à Jakarta, au moins cinq fois par semaine pendant le confinement d’avril 2020 : elle entretenait sa souplesse en suivant des cours sur Zoom avec une barre et des accessoires faits-maison.
© Toto Santiko Budi, série « Junior Gymnastics Athlete, Ave, Exercises at Home via Digital Apps »
« Élever son esprit et surmonter le confinement par l’art » : Aze Ong, artiste textile, propose une performance sur le toit de son immeuble dans le Grand Manille. C’était en mai 2020, au moment où toutes les scènes de la ville étaient fermées.
© Norman A. Ramirez, série signée Aze Ong et intitulée « Queen Azenith Performance Breaks the Limits of COVID-19 Confinement in Metro Manila »
« Se protéger dans un monde étiologique où la maladie dépasse ses manifestations cliniques » : en été 2020, dans le Laos rural, des effigies appelées taleos ont été placées le long de routes menant à des villages. Le but était d’alerter les étrangers (potentiellement infectés) et d’effrayer les créatures malveillantes – mauvais œil ou virus– susceptibles de pénétrer dans le village.
© J’vilasone Rsz, série exposée par le Tara Gujadhur of Traditional Arts and Ethnology Centre (TAEC), baptisée « Warding Off Illness with Traditional Talismans in Lao PDR and Other Neighboring Countries »
« Se protéger dans un monde étiologique où la maladie dépasse ses manifestations cliniques » : le 2 avril 2020, à Bali, en Indonésie, une offrande à Yama, dieu des enfers, a été déposée au pied du portail d’une maison au coucher du soleil : il s’agissait de se protéger du Covid-19. C’était un nasi wong-wongan manca warna, un bonhomme de riz bigarré dont les quatre couleurs représentent la réunion de toutes les forces protectrices.
© Garrett Kam, série « Spiritual Shield Against COVID-19 in Bali »
« Se protéger dans un monde étiologique où la maladie dépasse ses manifestations cliniques » : un jeune homme récite le mantra (incantation rituelle) javanais de Kalachakra pour implorer la protection de l’humanité du mal lié à la pandémie – Jogjakarta, Indonésie, avril 2020.
© Yanuari Christyawan, série « Engaging Javanese Tradition for Protection in Jogjakarta, Indonesia »
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : pendant le ramadan de mai 2020, l’école Pesantren Waria Al-Fattah (une école coranique qui s’adresse à des femmes transgenres) a décidé d’apporter de l’aide aux waria (femmes transgenres), aux conducteurs de pedicab et aux plus vulnérables en général.
© Nico Haryono, série « Transgender Women Bond in Solidarity in Jogjakarta, Indonesia »
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : un étudiant fabrique des masques dans un centre communautaire ethnique à Mae Hong Son, au Nord de la Thaïlande.
© Ban Nai Soi Community Learning Center, série « Video Production on How to Make Face Mask and Alcohol Gel in Ethnic Languages »
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : d’immenses seaux d’eau ont été déposés devant l’entrée d’une banjar (communité) de Bali pour s’assurer que tous suivent le protocole sanitaire et se lavent les mains quand ils sont à l’extérieur.
© Garrett Kam, série « Handwashing Stations Spring up in Bali »
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : en août 2020, les habitants du village de Pangarap, au Nord de la municipalité de Caloocan, une des villes du Grand Manille, ont passé deux mois confinés, sans électricité et avec un accès réduit à l’eau, à cause de l’Extended Enhance Community Quarantine. Ils se sont pourtant organisés pour que chaque famille puisse faire pousser des légumes avec du matériel recyclé et un minimum d’eau (usée).
© Rhon Palmera, série « Organic Gardening Sustains a Vulnerable Community in Metro Manila »
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : des écoliers, enfants de migrants, à Chiang Mai, en Thaïlande, apprennent à utiliser les masques obligatoires dans les espaces fermés et fréquentés, février 2021.
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : les habitants d’une communauté rurale Chin, au Myanmar, apprennent à fabriquer du savon et du gel hydroalcoolique, pour eux-mêmes et pour les vendre et gagner un peu d’argent, décembre 2020.
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : sensibilisation des communautés de migrants Shan à Chiang Mai, en Thaïlande, en novembre 2020 : diffusion d’informations sur la prévention et distribution d’outils tels que masque et alcool.
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : séance de formation, le 6 mars 2021, destinée aux femmes d’une communauté minière des Philippines privées de sources de revenus : comment faire des nouilles de courge avant de les emballer pour les vendre (et pallier les restrictions imposées aux vendeurs de produits frais).
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : apprendre à diffuser des séances de wayang (théâtre d’ombre) en ligne : novembre 2020, Solo, Indonésie.
© Yayasan Sang Pamarta, série « Shadow Plays Go Virtual »
« La solidarité encourage les communautés à s’organiser » : Safee-a et plusieurs bénévoles rendent visite à des voisins contaminé par le Covid-19 dans la communauté de Bang Krua à Bangkok, en Thaïlande : ils leur apportent de la nourriture et des médicaments et tâchent de les soulager alors qu’ils sont enfermés chez eux.
© Sayan Chuenudomsavad, série « The Strength Within », Bangkok Tribune