La protestation au quotidien : une ethnographie des mobilisations dans le quartier portuaire de Rio de Janeiro 

Le quartier portuaire de Rio de Janeiro possède une histoire singulière : lieu d’arrivée des esclaves au début du XIXᵉ siècle, surnommé par la suite et jusqu’aux années 1920 la « Petite Afrique », c’est l’un des lieux de naissance de la samba et d’apparition de la première favela de Rio de Janeiro, à la toute fin du XIXᵉ siècle (le « morro da Providência »)1. Depuis une dizaine d’années, le quartier du port est devenu une cible prioritaire des opérations de rénovation urbaine, notamment avec le projet intitulé « Porto maravilha » (« port merveille »), mis en place par le maire Eduardo Paes dans la perspective des grands événements sportifs (Coupe du monde 2014, Jeux olympiques 2016). La création de nouvelles infrastructures (tramway, téléphérique), d’installations culturelles (musées, aquarium) et commerciales (hôtels, bureaux) ainsi que la reconversion de nombreux bâtiments ont contribué à bouleverser la région. Et ces changements sont aussi à l’origine de nouvelles tensions urbaines : d’abord avec la politique de « remoções » (retraits, expulsions) mise en œuvre par la mairie et prévoyant la démolition d’une partie de la favela de Providência et l’expulsion de plusieurs squats et immeubles occupés du quartier. L’échec partiel du projet de « pacification » policière de la favela donne lieu également à une recrudescence d’épisodes violents en ses abords. La région portuaire est donc marquée par la coexistence de zones rénovées et d’espaces en grande partie délaissés, et voit se côtoyer la centralité et la marginalité urbaines.

À partir de cette situation, mon enquête s’intéresse aux différentes réponses que les habitants du quartier apportent à ces tensions, et à la manière dont s’y font et s’y défont les activités revendicatives. Il s’agit de comprendre comment ces activités s’insèrent dans les réseaux d’alliance et dans l’écologie urbaine du quartier, mais aussi de s’intéresser à l’expérience de leurs acteurs, y compris sous sa dimension sensible et affective. Une telle étude passe par une ethnographie approfondie qui associe la participation à ces mobilisations, la présence prolongée sur place et le recueil de témoignages et de points de vue sur l’histoire récente des activités protestataires. Mais il s’agit aussi de fournir un angle d’observation privilégié sur au moins trois cycles de mobilisation récents de plus grande échelle :

 

  • Le mouvement d’opposition aux expulsions et démolitions mises en œuvre entre 2011 et 2016 dans plusieurs quartiers de Rio de Janeiro en vue des aménagements urbains prévus pour accueillir les grands événements sportifs. Le quartier portuaire a ainsi vu la conjonction de mouvement d’habitants de la favela opposés à leur relogement et de mouvements de squatteurs et mal-logés ;
  • L’organisation d’un réseau de mobilisation contre les violences policières dans les favelas postérieurement à l’installation des Unités de Police Pacificatrice. Ce mouvement s’appuie sur un répertoire d’action novateur : média-activisme (captation vidéo et diffusion par les réseaux sociaux), création d’une application de dénonciation des violences policières ;
  • Le mouvement des lycéens de l’automne 2016, qui a donné lieu à l’occupation de près de 80 lycées publics dans l’État de Rio de Janeiro pour dénoncer la dégradation des conditions d’étude. Une telle ampleur et de telles méthodes d’action sont quasi-inédites à Rio de Janeiro. Ce mouvement correspond alors à un essor des activités et des discours revendicatifs au sein d’une fraction de la jeunesse, en particulier celle des périphéries et des favelas de la ville, qui constitue le public majoritaire des lycées occupés. À ce titre, la participation à l’occupation pendant deux mois et demi du lycée CAIC-Reverendo, au pied de la favela de Providência, m’a permis d’être au plus près de cette mobilisation. 
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Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.

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