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Cahiers du Monde russe, vol. 58, n° 1-2, 2017.
1917 : Historiographie, dynamiques révolutionnaires et mémoires contestées
Le numéro des CMR « 1917 : Historiographie, dynamiques révolutionnaires et mémoires contestées », fait suite à une discussion engagée au sein du comité de rédaction sur la nécessité de marquer le centenaire des révolutions russes de 1917 et la forme que pourrait revêtir ce numéro spécial.
Même si, de prime abord, tout semblait avoir déjà été écrit, et que le champ des connaissances sur les événements survenus, leurs causes et ceux qui y avaient pris part semblait bien circonscrit et maîtrisé, rapidement la discussion mit en avant l’absence de monographie moderne lisible à propos de 1917 et conclut qu’il y avait encore au moins trois aspects de 1917 qui méritaient que l’on s’y intéressât encore : l’historiographie, le temps même de la révolution, inscrit entre guerre et guerre civile, avec ses dynamiques, et les politiques mémorielles ou les mémoires contestées, trois aspects qui constituent le squelette du numéro.
L’historiographie a sa propre histoire. Les éditeurs (Catherine Gousseff, Centre Marc Bloch, Berlin – Sefan Plaggenborg, Ruhr-Universität Bochum – Alessandro Stanziani, CRH CNRS, EHESS, PSL) ont souhaité débuté cette première partie avec une série d’entretiens réalisés auprès d’éminents historiens qui ont consacré à la révolution des années de leur recherche (Marc Ferro, Manfred Hildermeier et Richard Pipes). Elle se poursuit avec ce que les éditeurs ont appelé « les historiographies nationales », ce qui peut sembler étrange pour un événement aussi global qu’a pu l’être la révolution russe. Cependant, la façon dont les historiens (ouest-) allemands, américains ou russes se sont positionnés vis-à-vis de la révolution n’était pas le seul fait de leur propre vie, dans une certaine mesure, elle dépendait aussi de leur environnement de travail. Les éditeurs n’avaient pas de thèse préconçue à ce sujet, ils souhaitaient simplement vérifier l’hypothèse selon laquelle écrire l’histoire de la révolution peut, ou pas, avoir le même sens et répondre aux mêmes interrogations quel que soit le pays d’origine du chercheur, États-Unis ou Allemagne par exemple. C’est ainsi que Matthias Stadelmann (Université d’Erlangen-Nuremberg) nous expose, entre autres, les conditions historiques spécifiques sous lesquelles l’historiographie en Allemagne (fédérale) dut se défaire de l’héritage des programmes de recherche américains. Pour sa part, Peter Holquist (University of Pensylvania) analyse les derniers travaux parus en langue anglaise sur la révolution russe. Tout en portant une attention particulière à ceux qui soulignent le rôle de la guerre et de la violence, il invite à ne pas perdre de vue les dynamiques étudiées dans la littérature antérieure sur la révolution, telles que l’agitation ouvrière et paysanne dans la Russie européenne.
Dans la deuxième partie, les dynamiques révolutionnaires entre guerre et guerre civile, Peter Gatrell (University of Manchester) étudie la crise des réfugiés pendant la Première guerre et la révolution, problème toujours d’actualité et pourtant oublié sur cette frange de l’histoire. Il s’interroge sur l’importance politique, sociale et culturelle de cette crise et montre les effets qu’ont pu avoir les organisations humanitaires sur les processus de construction de la nation et la croissance de la conscience civique au sein de la société russe.
Mais la révolution n’était pas la même à Petrograd que dans sa périphérie ou en province. La recherche sur la révolution « hors la capitale » a encore de beaux jours devant elle. Ljudmila Novikova (HSE, Moscou) concentre ainsi son attention sur les zemstva et leur destin dans la province d’Arhangel´sk après la révolution d’Octobre, sous le gouvernement des Blancs du Nord. Enfin Tamara Kondratieva (EHESS, CNRS) pose la question cruciale de la fin des révolutions. Quand une révolution prend-elle fin ? L’auteur développe sa réponse en prenant appui sur la vie de Fedor Raskol´nikov, combattant bolchevik, diplomate et renégat, auteur d’une pièce de théâtre intitulée Robespierre, qui fut montée à Leningrad (1931), puis à Paris (1939) lors du cent cinquantenaire de la Révolution française.
La troisième partie, mémoires contestées, établit le lien entre 1917 et aujourd’hui et pose la question des politiques mémorielles. Boris Kolonickij (Université européenne de Saint-Pétersbourg) choisit la Première Guerre mondiale pour analyser et évaluer différents projets russes actuels de commémoration. Il souligne en quoi ces projets diffèrent de la politique mémorielle soviétique. Tout en prenant en considération l’action conjuguée de différents acteurs, il accorde une attention particulière au développement de la littérature et de l’art russes dans les années 1914-1917, qui a notablement influé sur la mémoire culturelle sur la guerre. Enfin, dans sa contribution qui recourt à une pluralité de sources, Maria Ferretti (Università degli Studi della Tuscia, Viterbe) met au jour, en les inscrivant dans une perspective plus vaste, les raisons qui expliquent pourquoi les révolutions de 1917, tout en étant fortement enracinées dans la mémoire de la société russe, ne peuvent pas s’inscrire dans la Russie de Putin, qui se veut de plus en plus comme l’héritière de la Russie impériale tout en ayant intégré la mémoire de l’époque soviétique, récupérée sous le signe du nationalisme. Tout cela fait des révolutions de 1917 une mémoire impossible.
Avant-propos de Catherine Gousseff, Stefan Plaggenborg et Alessandro Stanziani
Entretiens
Entretien avec Marc Ferro, réalisé par Alain Blum.
Entretien avec Manfred Hildermeier, réalisé par Stefan Plaggenborg.
Entretien avec Richard Pipes, réalisé par Jane Burbank.
Historiographie
Matthias Stadelmann
The Russian Revolution in German historiography after 1945.
Peter Holquist
The Russian Revolution as Continuum and Context ; and yes, as Revolution : Reflections on Recent Anglophone Scholarship of the Russian Revolution.
Dynamiques révolutionnaires
Ljudmila Novikova
Zemstvo Severnoj oblasti v epohu rossijskoj grajdanskoj vojny : mejdu politiceskim predstavitel´stvom i upravlenceskoj bjurokratiej.
Peter Gatrell
War, refugeedom, revolution : Understanding Russia’s refugee crisis, 1914-1918.
Tamara Kondratieva
La fin des révolutions : Raskolnikov et Robespierre.
Mémoires contestées
Boris Kolonickij
Resursy kulturnoj pamjati i politika pamjati o Pervoj mirovoj vojne v Rossii.
Maria Ferretti
La mémoire impossible : La Russie et les révolutions de 1917.
Résumés/Abstracts
Livres reçus