(Université Aristote, Thessalonique - Faculté d’Histoire et d’Archéologie)
Pour aller plus loin
« Le soir, nouvelle séance, dans l’intimité, cette fois.
Je priai notre hôtesse, la femme de Yannakos, de me dire quelques berceuses.
Elle y consentit volontiers, mais s’arrêta dès les premiers mots.
– Sans berceau, je ne peux pas, dit-elle. On lui présenta une chaise qu’elle se mit à balancer, et l’inspiration lui vint : […] J’insistai auprès de notre hôtesse, pour qu’elle me récitât un chant funèbre. Elle s’y refusa. Mais, comme elle avait perdu un fils en bas âge un an auparavant, Kanellàkis lui expliqua qu’elle pouvait, par le phonographe,
perpétuer le souvenir de son enfant. Ceci la décida. »
Ηubert Pernot, 19031
Cet article traite des liens entre les études folkloriques grecques (Laographia) et les photographies et, de façon plus générale, les médias audiovisuels qui cristallisent ses prémisses épistémologiques et idéologiques. Je parle volontairement de « photographies » au pluriel parce que je pense, ce que j’expliquerai dans les lignes qui suivent, que le désir de matérialité qui « transforme la “photographie” abstraite et représentationnelle en “photographies”, c’est-à-dire en objets situés dans le temps et l’espace », comme le notent Elisabeth Edwards et Janice Hart2, justifie l’introduction de l’appareil photographique, puis de la caméra, dans le programme méthodologique des études folkloriques grecques.
Ces études ont éprouvé le besoin de s’appuyer sur des photographies dès qu’elles se sont imposées comme science nationale, et dès le moment où Nikolaos Politis en a inauguré la recherche méthodologique et pratique. Pourquoi les photos de la vie du peuple ont-elles été jugées aussi essentielles aux études folkloriques au moment même de leur fondation, et plus tard, puisque les hypothèses scientifiques et le cadre méthodologique établis par Nikolaos Politis ont été les mêmes pendant tout le XXe siècle ? Quel était le contexte social, politique et moral de l’année 1909, quand Nikolaos Politis décida de s’appuyer sur le médium photographique, alors que lui-même travaillait sans images et que les appareils étaient rares et chers ? On ne peut pas se pencher sur l’interrelation entre études folkloriques et photographie, première technologie optique de la modernité3, sans s’arrêter sur les bouleversements épistémologiques qui ont eu lieu au moment où cette interrelation s’est établie, plus exactement au moment où deux figures emblématiques se sont rencontrées : Nikolaos Politis et Ηubert Pernot. De fait, ces deux hommes sont à l’image des relations et des stratégies complexes et projectives qui ont donné naissance aux études folkloriques grecques dans le cadre du colonialisme moderne. Pour paraphraser Michel de Certeau4, ils étaient « simultanément machinerie et héros de la modernité ».
Les lignes qui suivent ne sont pas une histoire de l’usage des technologies visuelles dans les études folkloriques grecques, mais une généalogie au sens foucaldien, autrement dit, une analyse critique du rapport entre savoir, pouvoir et sujets, et de leur interaction complexe, plus que la description d’une continuité linéaire. Le lien entre nationalisme et colonialisme est un apport théorique récent dans l’étude du nationalisme grec ; contrairement à ce que l’on pourrait penser, nous le devons, non pas à l’historiographie, mais à la théorie littéraire et la théorie culturelle, notamment aux travaux de Herzfeld5, Lambropoulos6, Tziovas7, mais aussi à ceux de Leontis8, Just9, Gourgouris10, Calotychos11 et Hamilakis12, pour n’en citer que quelques-uns.
Dans cette perspective, l’anatomie de la démarche de Pernot et Politis fondée sur l’enregistrement d’« images et de chants » que nous proposons, devrait nous conduire à analyser de près la fabrique d’un « hellénisme indigène »13 et les processus qui ont permis la naissance d’un discours scientifique autochtone, inédit, hybride et potentiellement sanctifiant et sanctifié par l’élite locale. Ce processus de soumission a été interprété comme un crypto-colonialisme14, un colonialisme métaphorique15, une colonisation de l’idéal16 ou encore, de façon plus appropriée, comme une auto-colonisation17.
Mon but n’est pas de brosser un tableau historique des méthodologies audiovisuelles des études folkloriques grecques (laographia). Il est plutôt d’attirer l’attention sur la symétrie et la complémentarité impressionnantes des deux itinéraires biographiques issus d’un même réservoir d’artefacts « scientifiques » modernes. Parmi ces artefacts, la méthode photographique (et la méthode phonographique) est privilégiée parce qu’elle garantit la neutralité, les données directes et non médiatisées, ainsi que l’authenticité, en vertu même de son caractère mécanique18.
Le mimétisme que permet la prise de photos, suivie de leur exposition, participe du paradigme épistémologique de la pratique anthropologique colonialiste évolutionniste, laquelle souligne la représentation « objective » des types, des sociétés, des techniques et des rituels, ainsi que leur archivage, leur catalogage et leur présentation dans les métropoles européennes19. Par ailleurs, l’hic et nunc qui définit la notion d’original, que seule la reproduction mécanique promeut comme condition préalable à celle d’authenticité, par opposition à la copie faite main, dépréciée et jugée fausse20, croise les hypothèses théoriques de l’anthropologie positiviste, de l’observateur neutre et du fait social qui se prête à l’observation21. Nikolaos Politis avait besoin de la neutralité et de la clarté de la collecte de données promise par les moyens mécaniques d’enregistrement comme garantie de la scientificité du domaine de connaissance qu’il était en train de fonder. S’agissant de la Grèce, cependant, l’appareil photo et les photographies avait un sens qui n’était pas aussi clair et net. Nikolaos Politis visait une représentation réaliste de la culture populaire parce qu’il entendait lui attribuer une essence matérielle et tangible, autrement dit, il cherchait à l’objectiver. Plus tard, il s’est plutôt contenté de sauver cette culture, et, finalement, de la mémoriser. Ce faisant il endossait et établissait une profonde correspondance structurelle entre l’hic et nunc de l’enregistrement technologique, et l’espace et le temps de la « collecte de données », de la « mission ». À présent, penchons-nous de façon plus précise sur les processus idéologiques de son temps.
Mon but n’est pas de me lancer dans une analyse méticuleuse et linéaire des croisements entre son impressionnant travail d’auteur et celui d’Hubert Pernot. Je poserai quelques jalons d’ordre événementiel pour situer la naissance des études folkloriques grecques afin de répondre à ma question initiale : pourquoi Politis a-t-il introduit si tôt l’appareil d’enregistrement visuel dans la boîte à outils méthodologique des études folkloriques ? Je rappelle que le jour où Pernot est rentré de l’île de Chios, occupée par les Turcs, en 1899, un douanier du Pirée a écrit « chronographe » à propos du matériel qu’il venait de déclarer : un appareil photographique et un phonographe. Et lorsque, corrigeant son erreur initiale, le douanier a écrit « φονογράφος » [φόνος : meurtre + γράφος : graphie, au lieu de « φωνό-γραφος », φωνή : voix], Pernot s’est demandé, sans doute en riant sous cape, si son « innocent » appareil finirait par enregistrer des meurtres. « Quand je posai le pied sur le sol grec, écrira-il plus tard, j’éprouvai une vive satisfaction à l’idée que mes bagages et moi rentrions enfin dans le monde civilisé. Ce n’est pas que la Grèce n’ait ses petits inconvénients pour les Européens, comme on nous appelle là-bas ; mais ces inconvénients mêmes n’ont-ils pas un charme particulier ? Un Turc en assomme un autre, vous dites, “Ce sont des barbares.” Deux Grecs en décousent pour un oui et un non, vous songez au bouillant Achille et vous les félicitez d’être restés si semblables à leurs ancêtres22. »
Hubert Pernot devant un phonographe, années 1920.
L’ethnocentrisme des études folkloriques grecques et leur émergence en tant que discipline universitaire au moment même où naissaient la culture nationale grecque moderne et la Grèce moderne vécue comme une réalité culturelle consubstantielle, ont déjà été notés et analysés en profondeur23. Pour Nikolaos Politis, ce qui unifiait la communauté nationale grecque n’était ni la langue ni la religion, mais « des folklores proches […] une communauté de folklores et de coutumes [que] manifeste ostensiblement le peuple grec, porté par une continuité ininterrompue depuis la plus haute antiquité ; et au sein de cette communauté, le désir de voir le futur réunir tous les souvenirs du passé24. » Politis passait outre les différences linguistiques et religieuses qui existaient au sein du nouvel État grec. Il préférait mettre en avant la catégorie plus englobante de « national » qu’il identifiait à « populaire », et il exploitait l’idée de « vestiges » (« εγκαταλείμματα ») ou de « survivances » (selon Taylor) pour unifier l’imaginaire national dans le temps et l’espace. Il entendait créer une discipline scientifique autonome, exclusivement consacrée à la culture populaire, indépendante de la philologie et de l’archéologie, deux sciences « nationales » qu’il enseignait en tant que « professeur de mythologie grecque chargé de l’histoire archéologique, et de la vie politique et privée des Grecs », un titre qu’il a conservé jusqu’à sa mort.
Le texte fondateur de sa nouvelle science, dans lequel il définit un certain nombre de concepts et met en place une méthodologie idéale, a été publié dans le premier volume de la revue Λαογραφία (Laographia) en 1909, un an après la création, toujours par Politis, du Société laographique grecque (Λαογραφική Εταιρεία). « Les vertus d’une collection folklorique scientifique sont la précision et la clarté. Les paroles doivent être transcrites telles qu’elles circulent dans la bouche du peuple, sans la moindre modification […]. La description des faits et des gestes exige un sens de l’observation particulièrement net et sûr […] Pour avoir un maximum de clarté, il est nécessaire, chaque fois que c’est possible, de compléter la description des choses, des gestes, etc. par des illustrations. La diffusion croissante de l’appareil photographique nous facilite la tâche. L’illustration de ce qui est décrit est plus claire et plus instructive que la seule description écrite, aussi précise soit-elle. […] Une collection folklorique qui n’est ni détaillée ni claire est inutile d’un point de vue scientifique26. » Pourtant, ce pladoyer en faveur de la photo et de sa valeur de preuve scientifique est loin de se refléter dans le nombre de photos publiées par la revue Λαογραφία, sans doute à cause du manque de matériel et du coût d’impression. Un exemple : on note deux photos et un plan d’étage dans son article intitulé « Κυλίστρα » (« Diapositive », 1918), publié par Λαογραφικά Σύμμεικτα (Mélanges folkloriques) en 1921, dix ans après le texte « Λαογραφία » (« Études folkloriques ») auquel j’ai fait référence plus haut.
En 1919, Stilpon Kyriakidis fut le premier à acheter un appareil de photo pour ses enquêtes de terrain à Komotini. Au même moment il publia une directive expliquant aux enseignants comment « collecter du matériel folklorique », intitulée « Quelques conseils pour la collecte de matériel folklorique et linguistique ». « La description doit être simple, sans fioritures, précise et limpide, lit-on. Quand elle ne porte pas sur un objet (maison, ustensile, vêtement, navire, etc.), elle doit comprendre une illustration de l’objet décrit, si possible une photographie ; sinon, il faut un croquis27. » En 1922, même en ce qui concerne « l’enregistrement et la collecte de chants et de mélodies », Kyriakidis note que « ces dernières années, afin d’obtenir une restitution exacte, les mélodies folkloriques ont été enregistrées avec un phonographe dont les plaques peuvent rejouer la même mélodie à tout moment, ce qui permet de vérifier l’exactitude de la transcription écrite de la musique28 ». En réalité, comme le révèle l’article de Yiorgos Megas29 publié en 1951, Kyriakidis faisait aussi référence à une méthode d’enregistrement utopique qu’il aurait rêvé pouvoir appliquer : « La Collection nationale de musique (créée en 1914) avait fusionné avec les Archives du folklore le 14 mars 1927, mais en l’absence de musicologues, elle ne pouvait fonctionner. Si bien que l’appareil à enregistrer les voix, acquis par l’Académie en 1939 pour un prix élevé, n’a jamais été utilisé. À cet égard, nous savons gré au Ministère de l’éducation de nous avoir envoyé deux musiciens30. » C’est ainsi que dès 1922, Kyriakidis affirmait qu’ils avaient besoin d’enregistrements sonores, lesquels ne seraient réalisables qu’en 1951.
En 1925, parce qu’il manquait d’appareil photographique et avait besoin de descriptions et de preuves visuelles, Dimitrios Loukopoulos inclut, dans son enquête sur l’architecture populaire, un thème essentiel des études folkloriques : soixante-dix-sept dessins de l’architecte Dimitris Pikionis, annoncés en première page et reproduits suivant les instructions de celui-ci. Le fait est qu’il faudra attendre 1962 pour voir le recours systématique à l’enregistrement audiovisuel : cette année-là, Yiorgos Spyridakis, directeur des Archives du folklore, acquiert une caméra 16mm et deux appareils photographiques, à propos desquels il écrit : « Il y a longtemps qu’il nous fallait consigner la vie populaire telle qu’elle s’exprime dans les rituels et les coutumes cultuelles, la vie sociale (mariages, danses populaires, etc.) et la vie naturelle, et les imprimer sur un film cinématographique avant de les étudier scientifiquement, plus en détails. Ce travail n’a commencé qu’en 1962, le jour où nous avons pu acheter une caméra cinématographique, puis un projecteur adapté31.»
Les premiers tournages ont été réalisés par Y. Spyridakis lui-même, qui privilégia les techniques de production et les rituels, les danses de Macédoine et de Thrace, les fêtes scolaires, le tissage de Kimolos, les coutumes des pêcheurs d’éponges de Kalymnos, la vannerie de Drama, etc.32 À partir de 1964, les tournages ont été confiés exclusivement à Yiorgos Aikaterinidis, qui nota dans sa thèse de doctorat : « Cette enquête nécessitait une autopsie systématique depuis 1969 […] La collecte de matériau photographique, dont je présente une partie, a demandé des efforts particuliers. Ce matériau est non seulement un complément de mes travaux écrits, mais un témoin historique vivant des coutumes de sacrifices sanglants qui ont cours dans cette région de Grèce aujourd’hui, coutumes qui vont sans doute disparaître33. »
Ce rôle conservatoire était aussi mis en avant par le quotidien Kathimerini (30 janvier 1966) dans un article au titre éloquent : « La modernisation du travail scientifique de l’Académie d’Athènes : les études folkloriques nourrissent la compréhension de la culture ancienne, notamment grâce aux films cinématographiques. » Le premier paragraphe poursuivait : « Une collaboration intéressante et exemplaire entre les Archives du folklore de l’Académie d’Athènes et l’École américaine d’archéologie. Yiorgos Aikaterinidis, associé des Archives, a découvert et conservé sur un film la représentation traditionnelle de l’exploit de Saint-Georges dans un village du district de Serrès. Un jeune homme monté sur un cheval blanc brandit une lance et vêtu d’une tunique ancienne qui ressemble à celle que porte le saint sur les icônes. Ce film n’est pas le seul, de nombreux rituels authentiques ont été préservés sur des films cinématographiques, sous la houlette du directeur des Archives du folklore de l’Académie, Spyridakis. La mise à disposition d’équipements modernes pour que soient préservées les dernières traces de notre culture nationale en voie de disparition est un enjeu national et urgent. »
La notion de support neutre allait au-delà des Archives du folklore, déjà établies en tant qu’institution nationale et centre de collecte, copie, montage, classification, catalogage et stockage de « matériau folklorique ». Ce matériau était, soit donné par des collectionneurs amateurs, soit déposé par des collectionneurs autorisés, investis de « missions folkloriques » et divisés en différentes catégories : classificateurs, greffiers, collectionneurs permanents ou temporaires. Pour les amateurs, il existait « des prix de la meilleure et de la plus riche collection de monuments de la parole du peuple, l’Académie d’Athènes souhaitant contribuer à l’œuvre de collecte et de conservation des héritages de l’âme du peuple grec34 ». Ces prix se traduisaient par la remise d’une somme d’argent, ou par une simple mention honorifique. Dans la Grèce de l’après-guerre, les chercheurs étaient de plus en plus attirés par la photographie, surtout quand ils disposaient des moyens financiers. Angeliki Hatzimichali, par exemple, chercheuse de terrain et collectionneuse d’artefacts folklorique, organisa des expositions d’artisanat et ouvrit des écoles d’art folklorique. Elle a beaucoup utilisé la photo pour décrire des paysages, des objets, des costumes ou des maisons dans ses publications et dans les expositions qu’elle organisait. Sa monographie intitulée Les Saracatsanes (1957) comprend 452 « images » (« ikones »), comme elle les appelle, et des dessins de sa main35. « La vie et les coutumes des Saracatsanes font partie de notre immense patrimoine national et assurent la continuation de la race grecque – qui succombe peu à peu à l’usure, écrit-elle. Elles nous renvoient à des temps très reculés, traversent les bouleversements historiques et conjuguent la vision païenne et la vision chrétienne du monde, à l’image de l’impressionnante endurance des êtres humains et des racines profondes de l’âme d’un peuple. La vie et les coutumes des Saracatsanes sont une partie éternelle de notre vie et de notre histoire. Nous devons faire en sorte qu’ils en aient conscience afin de pouvoir travailler et enquêter sur l’infinie variété de formes et d’éléments que l’on trouve dans chaque centimètre du territoire grec36. »
Les articles de K. Kakouri sont également nourris de photos qui ont toujours une valeur de sauvetage, mais témoignent aussi de la présence du chercheur dont le rôle est d’« autopsier » le terrain. « L’autopsie de l’événement a permis de compléter les témoignages fragmentaires antérieurs et de préserver les différentes étapes de la coutume en les photographiant, écrit Kakouri. Elle a révélé le lien, ignoré par les chercheurs, entre la cérémonie des vœux de bonne année et le rituel bacchique des Anastenaria. Le cœur de cette enquête est l’autopsie, les données de première main. La disparition rapide des cultes populaires exige que l’on s’engage à préserver les derniers éléments folkloriques qui leur restent37. »
En Grèce, les années 1960, qui sont les années de l’après-guerre civile, sont marquées par l’urbanisation, l’industrialisation, les migrations et la marchandisation des traditions offertes au « regard du touriste »38. Pour les folkloristes, il ne s’agit plus de rappeler la précision et l’objectivité de l’enregistrement audiovisuel, mais l’urgence de préserver la « vie du peuple » en immortalisant son « ultime étincelle de vie ». Désormais, les médias visuels sont plus accessibles, et la prise de photos, suivie par l’archivage et l’étude, est plus importante que jamais. Au début des années 1970, pourtant, le recours au film diminue : en 1975, seuls « trois sujets filmés sur place » sont déposés par Yiorgos Aikaterinidis, qui continue à enregistrer des « mélodies de chansons » et à prendre des notes sur un carnet aux pages soigneusement numérotées. Comme il le précise dans l’Annuaire des archives du folklore de 1977, il « a travaillé pendant 20 jours (4-23 août) dans le district de Rodopi, notamment dans les villages […]. Au cours de cette mission, nous avons noté des informations sur l’habitat, l’alimentation, la vie agricole et animale, les mariages, les naissances, l’organisation sociale et la religion populaire. 150 mélodies de chants et de danses ont été enregistrées » (manuscrit n° 3800).
Pourquoi Aikaterinidis ne filme-t-il plus « sur place » alors qu’il continue sa collecte de matériau folklorique ? Est-ce à cause de la dictature militaire et de l’inspection permanente de la quantité de celluloïd qu’il utilisait, comme il le dit aujourd’hui ? Parce que ce qu’il observait sur le terrain ne valait pas la peine d’être filmé ? Parce que la culture « traditionnelle » qu’il voulait préserver n’était plus aussi « traditionnelle » et ne valait pas la peine d’être sauvegardée et conservée sous forme d’images en mouvement ? Dans le même Annuaire des archives du folklore (1977), est mentionné ce qui suit : « L’écrivain E. Alexakis est allé dans les villages de la partie nord-est du district de Grevena […] Comme le note le collectionneur, la culture populaire dudit district décline, malgré son relatif isolement, essentiellement à cause des migrations internes et internationales (vers les grands centres urbains) qui provoquent la dislocation des petits villages et des habitations, et l’abandon des traditions. » De son côté, l’écrivain P. Kamilakis, qui a « travaillé 32 jours » (15 septembre-17 octobre) dans les communautés de Galatini, Dryovounio, Eratyra et Pentalofos, et dans la municipalité de Siatista, située dans le district de Voios, note un phénomène panhellénique de déclin de la culture populaire. « Ce déclin, écrit-il se manifeste évidemment dans la vie matérielle puisque les techniques ont modifié le logement, les vêtements, l’agriculture, etc. Comparé aux autres, Galatini bénéficie d’un style de vie traditionnel mieux préservé, sans doute parce que le village est isolé et éloigné des centres urbains et des nœuds de transport. » À partir des années 1980, l’Annuaire des archives du folklore, publié par le Centre de recherche du folklore hellénique (nouveau nom des Archives du Folklore depuis 1966), précise que chaque mission est accompagnée de nombreuses photos. Il est évident que la quantité de photos, de vidéos et de cassettes se multiplie et que les collecteurs utilisent leur propre matériel.
Les études folkloriques grecques et le philhellénisme français
Pourquoi Nikolaos Politis a-t-il privilégié la photographie dès 1909 ? La réponse est intéressante parce qu’elle permet de comprendre deux choses : d’un côté, ses aspirations modernistes personnelles, de l’autre, les tendances idéologiques qui fermentaient dans le sous-sol des études folkloriques grecques au début du XXe siècle ou, pour le dire autrement, les rapports entre idéologie nationale grecque moderne et colonialisme.
L’exemple de Politis est révélateur parce qu’il montre que la construction occidentale et idéalisée d’un hellénisme qui serait l’ancêtre archétypique de la culture européenne va avec sa version intérieure, soit l’hypothèse d’une continuité entre l’antique culture grecque et sa survie dans le mode de vie et la langue rurales. Les nombreux postes qu’a occupés Politis lui ont permis de communiquer avec de nombreux intellectuels d’universités européennes, et de se faire l’intermédiaire entre la représentation occidentale et la représentation nationale de la culture grecque39, dont il devient par ailleurs l’interprète. C’est ainsi que s’est construite une image de la culture populaire désirable et compatible avec les modèles européens, notamment avec le modèle français. Échanges de textes et de livres, correspondance de Politis et de la revue Laographia avec des hellénistes, des archéologues, des philologues, des historiens et des spécialistes de l’Antiquité européens : il est évident que Politis cherchait à aligner ses travaux sur les tendances scientifiques occidentales de son temps40. Jusqu’ici, seul le lien entre Politis avec E. Taylor a été remarqué41, outre les échanges avec des chercheurs britanniques comme J. Lawson, E. Edmonds et Η. Tozer42. Mais Politis exerçait aussi une supervision intérieure et correspondait avec de nombreux enseignants chargés de collecter du « matériau folklorique ». En 1887, par exemple, en tant qu’inspecteur général des écoles primaires au ministère de l’Éducation, il publia une circulaire allant dans ce sens. Comme l’écrit Skouteri-Didaskalou43 : « Il était au centre d’un ensemble de groupes, de sociétés et de compagnies de savants, de réseaux et de projets de chercheurs et d’enseignants de tous niveaux et toutes origines, d’hommes de lettres et d’historiens de l’art, surtout des spécialistes de l’écriture et de l’imprimerie, or ce centre avait pour axe Athènes, ses fondations et ses institutions. » C’est dans ce contexte, largement créé par lui-même puisqu’il correspondait à son « projet stratégique d’études folkloriques », que Politis a pu métaboliser les attentes et les représentations occidentales du « moi » grec moderne. Ses échanges avec Hubert Pernot (1870-1946), son équivalent institutionnel en France et, dans une certaine mesure, en Grèce, sont révélateurs de l’influence du philhellénisme occidental sur l’idéologie, donc sur la méthodologie des études folkloriques grecques. Je me concentrerai ici sur les nuances théoriques et contextuelles de la méthodologie adoptée par Hubert Pernot (et leur dimension moderniste dans ce contexte historique spécifique), en revanche, je laisserai de côté son travail philologique pourtant considérable.
Hubert Pernot était un élève d’Émile Legrand qui correspondait déjà avec Politis44 et lui avait transmis le goût de la littérature grecque à une époque où la France était philhellène : des hommes politiques comme E. Venizelos et Th. Deliyiannis séduisaient ; les voyages et les échanges entre chercheurs des deux pays se multipliaient ; des associations philhellènes voyaient le jour, dont l’Association pour l’Encouragement des études grecques et la Ligue française pour la défense des droits de l’hellénisme ; des intellectuels grecs étaient officiellement intronisés, notamment Jean Psichari, qui, en 1904, succéda à Émile Legrand à l’École d’études orientales, poste qu’il obtint contre Hubert Pernot. En 1912, ce dernier fut nommé maître de conférences de langue et de littérature grecques modernes à la Sorbonne alors qu’il n’y avait pas de chaire de grec moderne à Athènes. Sa nomination entraîna d’ailleurs une augmentation du nombre d’étudiants grecs à Paris. Pernot avait travaillé sur les dialectes grecs et les langues du Nouveau Testament et il avait créé cette chaire parisienne de langue et de littérature grecques en collaboration avec Venizelos. En 1925, il inaugura une série de publications consacrées à la langue et à la littérature grecques modernes, qui compte 18 volumes en tout, baptisée Collection de l’Institut néo-hellénique, à laquelle il fera don de sa bibliothèque. Suivant les traces de son professeur, Émile Legrand45, qui avait été le premier à travailler sur la littérature grecque moderne dans les territoires occupés par les Turcs45, il partit sur l’île de Chios (ou Chio, suivant l’orthographe italienne) dans le cadre d’une mission de recherche linguistique financée par le ministère de l’Éducation. Il était équipé d’une caméra et de 9 kilos de cylindres de cire de la marque Columbia pour l’enregistrement et la reproduction du son. Sa mission est à l’origine de son livre publié en 1903, En pays turc. Sur l’île de Chio, dont le sous-titre précisait : « Avec 17 mélodies populaires et 118 simili-gravures exécutées d’après les clichés de l’auteur ». « En parcourant l’île de Chio dans un but scientifique, écrivait-il au début de sa préface, il m’a semblé́ que son aspect, son état politique, les mœurs et les pensées de ses habitants étaient de nature à intéresser le public. Le présent volume contient les observations que j’ai faites, à ces divers points de vue, durant les étés de 1898 et de 1899. »
Partition d’un enregistrement réalisé à Chios. À droite : femme à la fontaine de Pyrghi vers 1900.
Source : Hubert Pernot, En pays turc. L’ile de Chio, Paris, J. Maisonneuve, 1903.
En 1930, à Athènes, Pernot fonda la Société des chants folkloriques, sous la direction de I. Athanasakis, qui fit des enregistrements vocaux électriques à l’aide de matrices métalliques, lesquelles avaient remplacé les cylindres de cire. Les enregistrements avaient lieu au théâtre Alabra, sous la supervision de Melpo Merlier. Un élève du mari de celle-ci, Octave Merlier, décrira ainsi les séances : « En 1930, [Pernot] est venu à Athènes avec deux ingénieurs de Pathé Films et a assisté à l’enregistrement de plusieurs centaines de chansons populaires, en particulier d’Asie Mineure et d’autres régions de l’“hellénisme irrédentiste”. L’enregistrement avait été organisé par Mme Melpo Merlier. Pernot a demandé d’enregistrer des textes en dialectes, en même temps que les chansons. Il écoute attentivement les Cappadociens, les Pontiens, les Dodécanésiens et les Tsakoniens. Son rêve est de devenir l’Atlas linguistique de la Grèce. […] La dialectologie, comme l’archéologie, est un soutien précieux pour l’histoire48. »
Hubert Pernot, Melpo Merlier, une femme du village et une interprète, photographie de terrain, 1930.
En France, Hubert Pernot est surtout connu pour avoir pris, en 1924, la direction des Archives de la parole à Sorbonne49, devenues le Musée de la parole et du geste en 1927, puisqu’il était prévu d’y ajouter des enregistrements cinématographiques. En réalité, les films n’ont jamais été réalisés50. Cela dit, Pernot ne s’est pas contenté de promouvoir les enregistrements, il les a délibérément orientés sur la musique et les chansons traditionnelles à l’époque où la France accordait un statut officiel aux « Arts et Traditions Populaires »51. Lui-même avait déjà participé à deux missions de « collecte de matériau » en Roumanie en 1928 et en Tchécoslovaquie en 1929. Ses conclusions avaient été présentées lors du premier Congrès international des arts populaires à Prague en 1928, organisé à son initiative. Directeur de l’Institut de phonétique en 1930, il proposa au gouverneur des colonies Léon Cayla, chargé de l’organisation de l’Exposition coloniale de 1931, de prévoir des enregistrements puisque de nombreux chanteurs, danseurs et indigènes seraient à Paris ; le travail pourrait ensuite être prolongé dans les colonies elles-mêmes. Il s’agissait, lui écrivait-il en 1928 d’ « entreprendre, en même temps qu’une œuvre scientifique, une œuvre de large propagande […] en fixant sur disques la musique et les parlers coloniaux52 ». Son projet fut jugé trop coûteux. Léon Cayla demanda alors aux divers commissaires des colonies s’ils possédaient des « enregistrements coloniaux », et l’administrateur du Maroc répondit qu’Οdeon, entreprise allemande, et Columbia, entreprise américaine, avaient une centaine de disques de musique arabe qui pourraient être déposés à l’Institut. Pernot refusa en affirmant qu’il s’agissait de disques commerciaux, sans aucune valeur scientifique. Il voulait évidemment réserver les enregistrements à la société française Pathé et écarter Οdeon et Columbia. Dans une lettre au ministère, il affirmait ne pouvoir « faire quelque chose de méthodique au Maroc que si les autorités locales ou [le] ministère (Affaires étrangères – Colonies), et mieux les deux à la fois, s’intéressent à cette œuvre au point d’en couvrir les frais. Si tel n’est pas le cas, il est préférable de ne pas l’entreprendre. Il y a des chances pour que ce soit alors Berlin qui s’en charge ». En jouant de la menace étrangère, il exigea d’obtenir les droits d’auteur des enregistrements qui auraient lieu à l’Exposition coloniale de 1931, du moins ceux des indigènes qui voyageraient grâce aux subventions du gouvernement français. Curieusement pourtant, il quitta le Musée de la parole et du geste avant l’Exposition coloniale, préférant accepter la chaire de langue et de littérature grecques postclassiques et modernes. Son associé, Philippe Stern, se chargea des enregistrements dans le stand que le Musée avait à l’Exposition coloniale – en réalité les enregistrements ont eu lieu en studio à cause du bruit –, ce qui vaudra des bénéfices importants à Pathé vu la demande de « mélodies exotiques ». Hubert Pernot avait beau s’être éloigné, il expliquait ainsi à Philipe Stern comment enregistrer : « Ces enregistrements demandent un examen préalable assez minutieux des indigènes. Ce n’est qu’en causant avec eux et en leur inspirant confiance qu’il est possible de découvrir les documents intéressants », lui écrivait-il53.
Revenons à ses échanges avec Nikolaos Politis. En lisant la correspondance entre Politis et Pernot (1884-1921), dans les archives de P. Moulla, j’ai relevé les éléments suivants :
(11 janvier 1910) : Pernot félicite Politis pour la revue Laographia ; il lui apprend que sa troisième fille s’appelle Lenio, la deuxième, Annie, surnommée Annoula ; il l’informe de l’avancement de la Bibliographie hellénique du XVIIIe siècle et de la Bibliographie ionienne, mais avoue qu’il est difficile de travailler loin de la Grèce parce qu’il lui manque beaucoup de livres.
(16 juin 1911) : à cause de ses nombreuses obligations, il a oublié de prendre une photo des deux enfants de Politis, comme celui-ci le lui avait demandé, si bien qu’il se sent coupable et aimerait que Politis lui envoie une photo d’eux s’il en a une.
(13 janvier 1914) : Pernot le remercie pour Laographia et regrette de ne rien avoir envoyé, il lui demande de lui préciser combien il doit pour la cotisation de 1913. Il ajoute que ses projets comprennent la création d’un Institut de grec moderne où les étudiants se sentiraient chez eux, puis énumère les volumes de grec qui lui manquent. Il évoque ses efforts infructueux destinés à trouver des fonds pour la création de l’Institut – il a sollicité le roi George, la princesse Marie Bonaparte et Eleftherios Venizelos.
(1er mai 1915) : il félicite Politis qui participe à de nombreux comités et organisations intéressantes et lui demande, en sa qualité de directeur des Archives du folklore, de lui fournir une bibliothèque métallique pour stocker des archives à Ithaque. Il ajoute qu’il se réjouirait « à l’idée d’un phonographe et d’un cinématographe pour les danses, mais ne prenez pas cela comme un engagement avant d’être dûment informé. Puisqu’il existe désormais en Grèce une institution officielle, il serait préférable qu’elle contacte les Archives de la parole de l’université de Paris, créées par la société Pathé. Brunot, directeur des Archives, comprendra immédiatement l’importance de votre projet. La société Pathé doit également être prévenue. Je m’en occuperai personnellement, et j’espère que je pourrai obtenir quelque chose si la société n’est pas trop prise. »
(7 septembre 1917) : il le remercie pour Laographia que Politis lui envoie régulièrement, et lui explique comment fonctionne l’université française puisque Politis pense envoyer son fils faire ses études en France.
(5 décembre 1919) : il lui fait part de son idée d’anthologie des poètes grecs modernes, qui s’intitulerait La Grèce contemporaine à travers ses poètes et ajoute : « Sans doute me demanderez-vous si les chansons populaires y figureront. Cela demande réflexion. Je sais que les chansons populaires sont un trésor précieux, elles ne doivent pas doublonner l’Anthologie populaire que je suis en train de constituer. Mais je me réjouis de vos réflexions et de vos conseils, y compris des livres intéressants. »
Politis, Pernot et « la fin des voyages* »
Les séjours de Pernot à Chios en 1898 et 1899 correspondent à un nouveau type de tourisme littéraire et très libre, ce qu’on appelle des « voyages d’étude ». De 1897 à 1912, explique Della Dora, une foule francophone, à la fois curieuse et hétéroclite, parcourait les côtes de Grèce et d’Asie Mineure qu’elle visitait comme un « musée vivant » mêlant paysage, Antiquité et vie quotidienne de la Grèce de l’époque. Amateurs, chercheurs (plutôt de sciences naturelles), juristes fortunés, astrologues, archéologues, aristocrates, prêtres, enseignants, femmes au foyer, adhérents de la Revue des Sciences Pures et Appliquées : tous participaient à ces voyages éducatifs afin de « satisfaire leur curiosité scientifique et améliorer leurs connaissances techniques personnelles54 ». Le voyage commençait à Marseille, mais les gens assistaient à des séminaires et des conférences avant et pendant la croisière. Le bateau était systématiquement équipé d’un pont pour la promenade, d’une bibliothèque, de laboratoires pour le traitement et l’impression des plaques photographiques, d’une salle de conférence, et, last but not least, de jumelles, de stéréoscopes et d’appareils photographiques. La vue depuis le bateau était idéale parce qu’elle permettait une observation panoptique, distante, protégée et en hauteur55. En 1902, Louis Olivier, botaniste et pionnier de la microphotographie, éditeur d’une revue de vulgarisation de sciences naturelles, organisa ainsi un concours dont les photographies seraient « une des plus précieuses collections de documents pour l’étude scientifique de la Grèce antique et du monde grec moderne. […] La Grèce dans son ensemble, antique et moderne, revit sur ces pages lumineuses où rien de ce qui intéresse l’artiste ou l’archéologue n’a été négligé. » Le prix était évidemment un billet pour un voyage en Grèce, et le concours était annoncé dans une rubrique intitulée « Géographie et Colonialisme56 ».
La technologie visuelle ne permettait pas seulement de représenter un paysage grec aussi pur et idéalisé que celui des peintres et des écrivains des générations précédentes, elle a tout de suite fait de ce concours une aventure « scientifique » et « moderne ». Les photos étaient pourtant prises par les « touristes » (un terme utilisé par la revue) et destinées à être vues à Paris ; par ailleurs, celles qui étaient primées étaient exposées dans les bureaux de la revue, telle une lingua franca visuelle, un vecteur de savoir et d’expérience de voyage. Comme le note Peckham57, en Grèce, les voyageurs européens avaient l’impression de se déplacer à la fois dans un passé qui leur était familier et dans un présent primitif et « sauvage »58. La photographie fonctionnait comme un regard unifiant les deux : elle modernisait le passé et faisait de l’arrière-plan grec ancien une expérience moderne. Elle donnait de la profondeur au présent exotique en lui apportant une origine et un contenu tangibles.
Dans la préface de son premier livre illustré, En pays turc. Sur l’île de Chio, Pernot révélait l’influence des méthodes des sciences naturelles sur les sciences plus théoriques, dont l’anthropogéographie. Leur dénominateur commun était le naturalisme scientifique, c’est-à-dire l’étude des phénomènes naturels et sociaux observés in situ, dans leur contexte. Au début du XXe siècle, les géographes français ont été les premiers à intégrer la photographie et le cinéma dans leur programme de recherche et d’enseignement59. Pernot affirmait que son objectif était « scientifique », ce que confirment ses nombreuses observations sur les mœurs et les costumes, « à [ces] divers points de vue », de même que les appareils qu’il emportait avec lui. Il précisait que « les faits rapportés dans ce livre sont absolument vrais » et qu’il n’avait pas l’intention d’écrire un roman mais un récit de voyage. Cependant, son cas est intéressant puisqu’il s’agit d’un helléniste érudit qui, en principe, ne s’occupe pas de photographie ni de musique, mais qui, en dépit de « cette ignorance, recueille les mélodies populaires d’une région en se promenant autour de Chio60 ». À part les photos du pont, les autres sont surtout des photos panoramiques des lieux qu’il a parcourus et des clichés d’indigènes et de leurs costumes, de face et de côté, assis ou debout, individuels ou en groupe, toujours en plein air. « Je prie instamment le lecteur de ne pas se les représenter comme des beautés antiques, écrit-il. En Grèce, tous les Périclès ne sont pas de grands hommes, ni toutes les belles femmes des Vénus de Milo61. » Même si les sujets photographiés n’aimaient pas beaucoup ses photos parce que leur visage était grisé, ce qui obligeait Pernot à effacer les ombres et à soumettre les plaques à plusieurs bains, ce sont bel et bien des personnes vivantes, qui parlent et qui chantent – le chapitre intitulé « Mélodies populaires de Chio » comprend des partitions de chants transcrites par Paul Le Flem. « Nous retrouvons des éléments de l’antiquité » dans cette langue parlée et ces traditions vivantes », écrit-il ailleurs62. Les nouvelles techniques produisaient une réalité tangible, matérielle et incarnée, au sein de laquelle les habitants, « produits naturels de la terre », comme le dit De Bovet63, étaient les héritiers vivants des vestiges du passé national. C’est pourquoi leur culture devait être protégée par l’aura plus ou moins sacrée qui revient aux seules antiquités. En même temps, Pernot pensait que les nouvelles techniques pouvaient justement sauver ces vestiges : « Le grec se meurt chez nous parce que nous le laissons mourir. Nous n’avons pas encore suffisamment tiré parti, dans notre enseignement courant, des découvertes archéologiques ni de la vulgarisation de la photographie. Un pays, des hommes, des idées, c’est là ce qui constitue le fond d’une langue, et c’est pour diriger l’esprit des élèves dans ce sens que j’ai donné de la variété à l’illustration de ce volume64. » Outre l’enrichissement de la Bibliographie ionienne et la Bibliographie grecque, avec la rédaction de dictionnaires de dialectes et de catalogues phonologiques, l’ambition encyclopédique de Pernot se concentrait, en France, sur son Atlas sonore et ses Archives de la parole rebaptisées Musée de la parole et du geste, ainsi que sur la création d’un patrimoine national composé de matériaux issus de la vie quotidienne des habitants de la France rurale. Les archives sonores étaient « collectées » au cours de ce qu’il appelait des « missions » parce qu’il pensait que leur disparition était imminente. Son successeur à la direction du Musée de la parole et du geste, Roger Dévigne, parlait parfois de « croisières folkloriques » et écrivait ce qui suit : « S’ils sont collectés de manière scientifique, la valeur de ces monuments peut être comparée à celle des monuments de pierre et de marbre que nous ont légués les siècles passés, et qui sont orgueilleusement conservés65. »
En Grèce, Nikolaos Politis, qui avait fait siens les principes romantiques et l’expertise du philhellénisme français grâce à Émile Legrand et Ηubert Pernot, se transforma en « trésorier national », selon la formule de P. Nirvanas, et « hellénisa notre littérature et notre pensée », ajoute K. Varnalis66. Une représentation nationale plus ou moins fantasmatique était donc promue par les études folkloriques grecques et par une prose réaliste qui s’intéressait à la réalité grecque contemporaine, notamment aux coutumes et aux mœurs, prose qui trouvait son expression la plus représentative dans l’ethographia (ηθογραφία), le roman de mœurs grec.
En 1883, après avoir publié son Étude de la vie des Grecs modernes (1871-1874) en deux volumes, plusieurs contes grecs modernes dans la revue Estia et des descriptions de traditions grecques dans la revue Parnassos, Politis lança un « concours de nouvelles grecques » avec J. Kasdoni, propriétaire et rédacteur en chef d’Estia. Les écrivains grecs devaient se détourner des « thèmes européens » pour se pencher sur des thèmes grecs, expliquait-il. Ces nouvelles auraient alors une influence bénéfique « sur le tempérament national » et alimenteraient « le sentiment d’amour de la patrie ». Il proposait deux sources : le peuple grec, ses coutumes, ses traditions et ses mythes, d’une richesse incomparable, et l’histoire grecque, qui comprenait un réservoir « de sujets pour écrire des nouvelles et des récits ». Finalement, comme ce concours incitait les écrivains à s’inspirer de la geste grecque, beaucoup d’entre eux « proposèrent des monstruosités parce qu’ils ne faisaient pas la différence entre l’histoire et les traditions, les nouvelles inspirées par les chants cleftiques et les sortilèges lancés contre les spectres de Jakob Fallmerayer et Edmond About68 », comme l’explique Vitti69. C’est ainsi que dans les années 1880, le « roman du terroir » est devenu la forme la plus répandue de roman grec : il mettait en scène des paysans grecs et proposait des descriptions détaillées, une narration naturelle et fluide, une intrigue simple, des dialogues spontanés et vivants, souvent proches des rythmes des chansons populaires. « Le roman grec tire parti du caractère national en décrivant les lieux et les costumes locaux avec autant de détails folkloriques possible afin de proposer des œuvres qui ne sauraient être confondues avec celles des autres peuples », écrit Vitti avant d’ajouter, « Jusqu’ici, les romanciers grecs semblaient condamnés à écrire des imitations ratées des romans étrangers70 ». Des romans tels que O Zitianos (Le Mendiant) (1896) ou E Fonissa (La Meurtrière) (1903) mêlaient la description de la vie rurale et l’intrigue avec tant de maladresse qu’on aurait dit une « débauche de folklorisme » visant à obéir aux normes officielles du « roman ou de la nouvelle grecque »71. Vitti ajoute que « les traditions étaient un trésor précieux et commençaient à attirer les jeunes hommes des villages qui taquinaient la plume et s’habillaient à la mode française. Tous suivaient les recommandations de Politis conseillant de décrire les personnes et les incidents de la vie de leur village avec des mots simples ». L’exactitude de la description du monde rural et la justesse de la langue des « villageois matois » (Palamas, Œuvres complètes, 2, 155) du grec démotique et des dialectes de leur vie quotidienne, faisaient partie des qualités requises pour obtenir le prix de 300 drachmes72. C’est donc au nom de l’authenticité que le grec démotique a été introduit dans les dialogues de récits écrits en katharévousa (grec purifié).
Par ailleurs, Politis traduisait régulièrement de la littérature française du XIXe, de la littérature exotique et de la science-fiction73. Il commentait aussi les traductions grecques de littérature étrangère et conseillait des séries particulières à traduire. En 1886, il écrivait dans Nea Estia, à propos de la traduction de Verne : « Chaque génération a besoin de ses contes de fées […] le goût de la science-fiction a été admirablement compris par Jules Verne qui a renouvelé la fiction en inventant une nouvelle chimère qui étend ses ailes dorées sur une réalité souvent hostile74. » Politis donne l’impression d’hésiter entre la mythomanie romantique, la fiction et l’imaginaire, d’une part, et le réalisme objectif, l’authenticité et le réel, de l’autre, comme s’il s’agissait de rétablir un équilibre et de rapprocher symboliquement la Grèce et l’Europe coloniale.
Si je reviens à ma question initiale à propos de Politis, l’enregistrement visuel mécanique a le pouvoir de produire des « images » neutres, par pur mimétisme. Il fournit ainsi une description réaliste de la vie des gens, mais il a tendance à naturaliser un lien intemporel avec le passé et le récit national, plus qu’avec le processus socio-historique de la communauté75. La photographie et les témoignages visuels de l’« ici et maintenant » qu’elle produit matérialisaient une Grèce idéalisée et admirable comme si c’était un paysage réel et présent. Avec les enregistrements sonores, ces témoignages situaient très précisément le monde grec, ancien et moderne, dans un espace réel et dans la contemporanéité. Ils en faisaient un monde évident, esthétiquement et sensoriellement perceptible, qui donnait l’impression de mêler deux temporalités. Comme la nouvelle identité grecque était liée aux notions de purisme, de modernisation, de vérité et d’exactitude, elle exigeait des méthodes modernes et transparentes, littéralement et symboliquement. Les études folkloriques obéissaient aux critères rationalistes et aux méthodes scientifiques modernes car elles entendaient aussi se démarquer des récits plus ou moins fictifs des voyageurs. Il s’agissait de transformer les résidus immatériels et invisibles du passé, de la langue et de la vie des gens en résidus matériels et visibles, de leur donner un sens et une valeur symboliques en les assignant à une catégorie « sacrée » équivalente à celle de l’« archéologie ». Désormais, le patrimoine culturel national engloberait non seulement les antiquités classiques mais les arts et traditions populaires. Mais pour y parvenir, il devait « exotiser » ce qui lui était familier et que l’Occident s’était approprié pour en faire le berceau de sa renaissance moderniste. Et après l’avoir exotisé, se le réapproprier pour le domestiquer symboliquement en le civilisant. Je rappelle qu’au début, les collectionneurs mandatés étaient des professeurs qui enregistraient un matériau folklorique tout en enseignant le katharévousa [langue grecque moderne purifiée] : autrement dit, ils préservaient et détruisaient simultanément.
Outre leur valeur rhétorique, les photos et les enregistrements sonores ont aussi acquis une valeur d’archive, et, peu à peu, sont devenus objets d’art uniques, propres à être exposés. Cependant, comme l’écrivait Benjamin « la production artistique commence par des images au service de la magie. Leur importance tient au fait même d’exister, non au fait d’être vues76 ». Le second paradoxe implicite de ces objets a trait à leur signification nationale. Ces archives visuelles et sonores avaient beau être destinées à être reproduites, elles ont été préservées et défendues comme des témoignages matériels authentiques du passé. L’idée d’authenticité, qui fait partie intégrante du nationalisme, interdisait qu’on puisse les reproduire alors même que les « nouveaux » moyens techniques le permettaient.
Passé, Archives du folklore, avenir
Après avoir attribué une assise épistémologique aux études folkloriques, Politis a créé Les Archives du folklore (1918), une grille totalisante qui comprenait des recensements, des cartes et des musées, selon les termes d’Anderson77, suivant laquelle le matériel folklorique était numéroté, codifié et catalogué, voire exposé pour un travail. Cette grille assignait automatiquement au présent une mission sacrée qui consistait à collecter et préserver. Et à ce présent plein de contradictions, elle opposait une vision de l’avenir, au nom de laquelle les monuments de la parole et de la vie matérielle devaient être préservés sous différentes formes – tactile, textuelle, photographique, cinématographique et audio. Cette projection vers l’avenir était telle que le présent semblait constamment transitoire et « inadéquat, » selon Gourgouris78. Les études folkloriques étaient tournées vers le passé puisqu’elles traquaient les racines des arts et traditions populaires, mais elles étaient aussi tournées vers l’avenir puisqu’elles visaient à sauver ces racines, négligeant le présent comme s’il n’avait aucune pertinence.
Suivant un mécanisme inverse de celui de l’archéologie « qui recueille des fragments et rassemble des ruines éparpillées pour produire un lieu de mémoire ou d’oubli80 », les études folkloriques du XXe siècle fragmentaient et morcelaient la vie traditionnelle pour produire des archives et des monuments folkloriques multisensoriels, suivant des processus de collecte « objectifs ». Comme le rappelle Edwards81, « le colonialisme avait une dimension très matérielle, et les centres colonisés et impériaux étaient liés entre eux par un trafic de toutes sortes d’objets : matières premières, artefacts artisanaux, denrées alimentaires, photographies, documents, corps et parties de corps ». Le colonialisme était vécu à travers de multiples formes de perception sensorielle.
Trois points méritent d’être mis en avant ici. D’abord, les Archives du folklore n’étaient pas une collection de « monuments de la vie et de la langue du peuple grec » déjà existants, même s’il y en avait, elles réunissaient avant tout des collectes de première main, des photographies, des films et des enregistrements sonores. Les enregistrements audiovisuels n’étaient pas considérés comme des « moyens » mais plutôt comme des « produits » de la collection. Ensuite, les images filmées soulèvent évidemment des questions de style : distance, angles, cadrage, mouvement, etc. Les séquences n’étaient jamais montées pour produire un film ou un récit, sauf dans de très rares cas où elles étaient reprises par des documentaires télévisés. Elles étaient destinées à servir d’archives, de matériau brut, pour un éventuel montage et un assemblage plus tardifs. Enfin, les archives étaient « le cœur battant de la culture populaire », suivant la formule du site qui mentionne le risque de la disparition de cette culture. D’où le devoir de rassembler un matériau folklorique entièrement inédit82.
La modernité est « jadis née d’une volonté observatrice qui luttait contre la crédulité et se fondait sur un contrat entre la vue et le réel », écrivait Michel de Certeau83. Sa définition permet de comprendre que les études folkloriques de Nikolaos Politis étaient un processus de pensée et de travail. C’était à la fois une idéologie et une pratique, même si l’une ne va pas sans l’autre puisqu’il n’y a pas de méthodologie a-théorique. En même temps, les études folkloriques essayaient de produire au niveau local et de reproduire au niveau colonial une esthétique de l’authenticité indigène, générant des « effets d’exotisme à l’intérieur »84. Cependant, comme elle avait lieu « sous la surveillance et la supervision européennes »85, cette production d’images de soi était plus ou moins prédéterminée. Ce que Politis apportait aux villages, c’était le regard du collecteur. La culture populaire était dépendante d’un cadre esthétisé, pacifié par l’image et immergé dans un arrière-plan largement fictif ; elle était réduite à des stéréotypes et à un pittoresque codifié regorgeant d’éléments « typiques » : coutumes, costumes, ustensiles, rituels, constructions, art populaire, chants et danses. Les études folkloriques grecques se donnaient pour mission de fournir des copies de ce pittoresque codifié, d’en faire des archives et de déposer ces images indélébiles dans un établissement sûr.
En 1931, Ηubert Pernot se fit le champion de l’enregistrement et de l’exploitation commerciale de « mélodies exotiques » par Pathé pour l’Exposition coloniale, qui était un comble d’exotisme récréatif, d’esthétisation du regard et de mise en scène de l’Autre. Chaque pays colonisé était représenté par un monument, un temple ou une maison caractéristique de l’architecture locale, réalisé avec des matériaux aléatoires, du ciment ou des plaques de plâtre87. Cet immense « Luna Park88 » avait pour devise « Le tour du monde en un jour » et comprenait des temples bouddhistes d’Indochine, des huttes en terre du Soudan, des palais marocains, des mosquées algériennes, des « villages nègres », des « Kanaks cannibales », le Musée des colonies (l’actuel Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie), un zoo, des restaurants de cuisine exotique, le stand des missions catholiques et celui des missions protestantes. On avait fait venir de « vrais » indigènes transportés par bateau, des éleveurs d’animaux encagés avec leurs bêtes, et toutes sortes de produits coloniaux, costumes, danses, chansons, fêtes et rituels locaux, étaient reproduits sur place. À l’entrée se dressait une statue d’Athéna décorée d’un casque gaulois, symbole de la France coloniale et impérialiste, comme le précisait le programme. Derrière, dans la Cité des Informations, le visiteur tombait sur une pancarte vantant un petit pays qui, selon les organisateurs, méritait d’occuper la première place et dont chaque visiteur devait faire son point de départ : « La Grèce, mère de notre civilisation, n’est-elle pas également la mère de la colonisation occidentale ? » lisait-on sur la pancarte89.
Notes
1
Hubert Pernot, En pays turc. L’ile de Chio, Paris, J. Maisonneuve, 1903, p. 95-98.
2
Elisabeth Edwards et Janice Hart (dir.), Photographs, Objects, Histories: On the Materiality of Images, Londres, Routledge, 2004, p. 2.
3
Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, Paris, Payot, 2019 [1931] et L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Payot, 2013 [1936].
4
Michel De Certeau, L’invention du quotidien. Vol.1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980, p. 144.
5
Michael Herzfeld, Ours once more: folklore, ideology and the making of modern Greece, Austin, University of Texas Press, 1982.
6
Vassilis Lambropoulos, « The aesthetic ideology of the Greek Quest for Identity », Journal of Modern Hellenism, vol. 4, 1987, p. 19-24.
7
Dimitrs Tziovas, Οι μεταμορφώσεις του εθνισμού και το ιδεολόγημα της Ελληνικότητας στο μεσοπόλεμο [Les metamorphoses du nationalisme et l’ideologie du hellenisme pendant l’entre-deux-guerres], Athènes, Odysseas, 1989.
8
Artemis Leontis, Topographies of Hellenism, mapping the homeland, Ithaca, Cornell University Press, 1995.
9
Robert Just, « Cultural Certainties and private doubts », in W. James (dir.), The Pursuit of certainty: religious and cultural formulations, Londres, Routledge, 1995.
10
Stathis Gourgouris, The Dream Nation, Enlightenment, Colonization and the Institution of Modern Greece, Stanford, Stanford University Press, 1996.
11
Vangelis Calotychos, Modern Greece, a cultural poetics, New York, Berg, 2003.
12
Yannis Hamilakis, The Nation and its Ruins: Antiquity, Archaeology, and National Imagination in Greece, Oxford, Oxford University Press, 2007.
13
Yannis Hamilakis, The Nation and its Ruins: Antiquity, Archaeology, and National Imagination in Greece, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 12.
14
Michael Herzfeld, « The absent presence: discourses of crypto-colonialism », The South Antlantic Quarterly, vol. 101, n° 4, 2002, p. 899-926.
15
Katherine Elisabeth Fleming, « Orientalism, the Balkans, and Balkan historiography », American Historical Review, vol. 105, 2000, p. 1218-33.
16
Stathis Gourgouris, The Dream Nation, Enlightenment, Colonization and the Institution of Modern Greece, Stanford, Stanford University Press, 1996.
17
« Pour les Grecs, cette auto-colonisation naît de l’intériorisation des leçons de l’hellénisme, qu’ils perçoivent à la fois comme étranger et indigène, Autre et Même […]. Une conception autonome de l’identité grecque moderne, dépourvue des valeurs et des catégories politiques et culturelles de l’Europe, est impossible puisque le façonnement de l’identité néo-hellénique, sa détermination textuelle, se produit en même temps que la pénétration occidentale […]. Au sein de ce paradigme, les Grecs ne sont pas des agents démunis et violés par le discours de l’extérieur. Je dirais plutôt qu’ils participent à leur auto-colonisation depuis le début – ils sont à la fois leurs propres “agresseurs” et leurs propres “victimes” ». Vangelis Calotychos, Modern Greece, a cultural poetics, New York, Berg, 2003, p. 52-53.
18
Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Payot, 2013 [1936], p. 12.
19
Christopher Pinney, « The parallel histories of anthropology and photography », in Ε. Edwards (dir.), Anthropology and Photography 1860-1920, New Heaven et Londres, Yale University Press, 1992, p. 74-95.
20
L’inscription, autrement dit la présence unique, dans un temps et un lieu spécifique, est une condition préalable à la notion d’authenticité. Elle s’oppose à la copie faite à la main, souvent dépréciée et jugée fausse, comme l’explique Benjamin. Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Payot, 2013 [1936], p. 13.
21
S’appuyant sur la thèse de Gilles Deleuze pour qui « les machines sont sociales avant d’être techniques », l’historien Jonathan Crary, plutôt que de se concentrer sur les technologies visuelles et le déterminisme technologique, analyse l’observateur et sa construction historique. La modernité, explique-t-il, a mis en place l’idée d’un observateur autonome, centripète, par opposition au spectateur prémoderne. La psychophysiologie et la rationalisation de la vision et, plus généralement, les disciplines qui s’intéressent à la subjectivité moderne, ont largement contribué à privilégier la vision au XIXe siècle. La fixité de la camera oscura était peu adaptée au sujet moderne qui recherchait la mobilité, l’autonomie et la déterritorialisation de la vision. Jonathan Crary, Techniques of the Observer, on Vision and Modernity in the Nineteenth century, Massachusetts, MIT Press, 1992.
22
Hubert Pernot, En pays turc. L’ile de Chio, Paris, J. Maisonneuve, 1903, p. 70.
23
Voir, par exemple, Alki Kyriakidou-Nestoros, Η θεωρία της ελληνικής λαογραφίας, κριτική ανάλυση [La theorie des etudes du folklore grecques, une analyse critique], Athènes, Etaireia Spoudon Neoellinikou Politismou kai Genikis Paideias, 1978.
24
Nikolaos Politis, « Λαογραφία » [Laographia], Λαογραφικά Σύμμεικτα, vol. Α, 1920 [1909], p. 14-15.
26
Nikolaos Politis, « Λαογραφία » [Laographia], Λαογραφικά Σύμμεικτα, vol. Α, 1920 [1909], p. 12-13.
27
Evangelos Karamanes, « Προσεγγίσεις του υλικού βίου κατά την περίοδο του Μεσοπολέμου: το Λαογραφικό Αρχείο » [Approches de la vie materielle pendant l’entre-deux-guerres : l’Archive du folklore], in A. Polymerou-Kamilaki et P. Potiropoulos (dir.), Ο Νικόλαος Γ. Πολίτης και το Κέντρο Ερεύνης της Ελληνικής Λαογραφίας, Πρακτικά Διεθνούς Επιστημονικού Συνεδρίου, vol. Ι, Athènes, Akademie d’Athènes, 2012, p. 421.
28
Stylpon Kyriakidis, « Ελληνική Λαογραφία, Τα μνημεία του Λόγου (μέρος Α’) » [Laographie grecque, les monuments de la parole, partie A’], Athènes, Δημοσιεύματα του Λαογραφικού Αρχείου, vol. 3, 1922, p. 91.
29
Yiorgos Megas, Επετηρίς του Λαογραφικού Αρχείου, vol. 6, Athènes, Akademie d’Athènes, 1951, p. 327.
30
Cité par S. Skiadaresis et S. Peristeris, enseignants dans le secondaire.
31
Yiorgos Spyridakis, « Κινηματογραφήσεις μορφών του λαϊκού βίου » [Filmages des formes de la vie populaire], Επετηρίδα Κέντρου Λαογραφίας, vol. 17, 1964, p. 251-254.
32
À titre d’exemples, je mentionnerai les premiers courts métrages répertoriés par l’Annuaire des actes des Archives des études folkloriques (Λαογραφικό Αρχείο) de 1965. (1962) : La fabrication du levain pour la cuisson du pain de mariage à Lefkada ; danses populaires à Lefkada (filmé par G. K. Spyridakis à Lefkada, août 1962, film m. 30). (1963). Sauter au-dessus des flammes lors des feux de joie de la Saint-Jean – la veille de l’anniversaire de Saint-Jean-Prodrome (24 juin) (filmé par G. K. Spyridakis à Athènes, 1963, film m. 30). La veille du 1er mai, à Megara, une couronne de fleurs et des cadeaux sont offerts par la fiancée à son futur mari (filmé par G. K. Spyridakis à Megara, 30 avril 1963, bande sonore m. 80, manuscrit n° 2770).
33
Yiorgos Aikaterinidis, Νεοελληνικές Αιματηρές Θυσίες [Des sacrifices sanglantes néohelléniques], Athènes, Λαογραφία, Δελτίον της Ελληνικής Λαογραφικής Εταιρίας, 1979, p. 12.
34
Yiorgos Megas, Επετηρίς του Λαογραφικού Αρχείου [Annuaire de l’archive du folklore], Athènes, Akademie d’Athènes, 1939, p. 161.
35
La monographie comprend aussi des tableaux statistiques qui ne viennent pas de recensements officiels mais d’informations recueillies par l’auteure auprès de la population des tseligata (coopératives pastorales) de chaque région, notamment le nombre de familles et de troupeaux de chaque coopérative.
36
Angeliki Hatzimichali, Οι Σαρακατσάνοι [Les Saracatsanes], Athènes, Idryma Angelikis Hatzimichali, 1957, p. 22.
37
Katerina Kakouri, Διονυσιακά, εκ της σημερινής λαϊκής λατρείας των Θρακών [Dionysiaka, de la culte populaire des Thraces, These en Doctorat], Διατριβή επί διδακτορία, Athènes, 1963, p. 10.
38
John Urry, The Tourist Gaze, Londres, Sage, 2002.
39
Politis fut Professeur adjoint de mythologie comparée à l’université d’Athènes (1882), fondateur de l’Association historique et ethnologique de Grèce (1882), codirecteur d’Estia avec G. Drosinis (1889-1890), Inspecteur général du ministère des Affaires religieuses et de l’Éducation publique (1886-1888), Président du conseil de surveillance des relecteurs des cours d’histoire et de littérature, Recteur (1906-7), fondateur de la revue Laographia (1909), fondateur du Dictionnaire historique et de la « Collection nationale de musique » (1914), des Archives du folklore (1918), Président de la Direction des Archives générales de l’État créée par E. Venizelos en 1914, membre du Conseil de la Bibliothèque nationale, de l’Association archéologique (1909-11) et du Musée byzantin et chrétien créé en 1915, Président de la Commission des noms de lieux de Grèce.
40
Cette correspondance abondante n’a jamais fait l’objet de recherches, alors que celles-ci seraient précieuses pour l’histoire de la théorie et de la pratique des études folkloriques.
41
Michael Herzfeld, « The absent presence: discourses of crypto-colonialism », The South Antlantic Quarterly, vol. 101, n° 4, 2002, p. 180-85.
42
Vassiliki Chrissanthopoulou, « Ο Νικόλαος Πολίτης και οι Βρετανοί αλληλογράφοι του: επιστημονικές και φιλελληνικές ανταλλαγές » [Nikolaos Politis et ses correspondants anglais : echanges scientifiques et philehelleniques], in A. Polymerou-Kamilaki et P. Potiropoulos (dir.), Ο Νικόλαος Γ. Πολίτης και το Κέντρο Ερεύνης της Ελληνικής Λαογραφίας, Πρακτικά Διεθνούς Επιστημονικού Συνεδρίου, vol. ΙΙ, Athènes, Akademie d’Athènes, 2012, p. 1029-1045.
43
Eleonora Skouteri-Didaskalou, « Η πίστη του ονόματος στο έργο. Η λαογραφία του N.Γ. Πολίτη ως δεδομένο και ως ζητούμενο » [La croyance du nom a l’oeuvre. La laographie de N.Politis comme une donnee et une quete], in A. Polymerou-Kamilaki et P. Potiropoulos (dir.), Ο Νικόλαος Γ. Πολίτης και το Κέντρο Ερεύνης της Ελληνικής Λαογραφίας, Πρακτικά Διεθνούς Επιστημονικού Συνεδρίου, vol. ΙΙ, Athènes, Akademie d’Athènes, 2012, p. 908-910.
44
En 1869, Émile Legrand commença à publier sa Collection de monuments pour servir à l’étude de la langue néo-hellénique et, en 1880, la Bibliographie hellénique. Les archives de P. Moullas, au Musée Benakis, comprennent, outre les lettres échangées par N. Politis et H. Pernot, la thèse de doctorat de M. Ditsa intitulée « La contribution d’Émile Legrand aux études néo-helléniques en France ». Cette thèse comprend 29 lettres de Legrand adressées à N. Politis (1871-1899). Une copie des archives de P. Moullas se trouve également dans les Archives historiques et littéraires grecques (Ε.Λ.Ι.Α.).
45
En 1875, Legrand est en Grèce pour collecter des matériaux littéraires et linguistiques, témoignant de l’épanouissement des études néo-helléniques à Paris et du soutien du ministre de l’Éducation, Η. Wallon, historien de l’école historiographique romantique. Il existe deux lettres adressées au ministre dans lesquelles Legrand décrit les objets de sa mission scientifique : chants démotiques et urbains, contes populaires, proverbes et énigmes. Sa classification par nom de lieu est également intéressante : Ampelokipi : 3 contes et 22 chansons ; Chalandri : 7 chansons et 2 contes ; Menidi : plusieurs couplets, proverbes et énigmes […].
45
Alexandros Katsiyiannis et Panagiotis Antonopoulos, « Ο Emile Legrand και η ερευνητική αποστολή του στην Ελλάδα το 1875 » [Emile Legrand et sa mission scientifique en Grèce en 1875], Κρητικά Χρονικά ΛΓ’, 2013, p. 160.
48
Octave Merlier, « Ο δάσκαλός μου » [Mon instituteur], Νέα Εστία, vol. 42, n° 491, 1947, p. 5.
49
Les Archives de la parole ont été créées en 1911 par le grammairien et historien de la langue française Ferdinand Brunot, grâce à un don d’Émile Pathé. F. Brunot souhaitait enregistrer « la parole au timbre juste, au rythme impeccable, à l’accent pur, » disait-il, de même que « la parole nuancée d’accents faubouriens ou provincial. » (Paris-Journal, 21 mars 1910). Une partie des enregistrements a eu lieu dans son laboratoire de la Sorbonne, mais la plupart ont été réalisés sur place, lors de missions en province, entre 1912 et 1914 ; le but était « la découverte des dialectes de France » et la création d’un atlas linguistique de France. La collecte la plus riche a eu lieu dans le Limousin où son enquête, dit-il, devait « servir d’expérience pour déterminer ce que dans un temps donné on pouvait recueillir sur un terrain limité où on se transporterait par chemin de fer et par voiture. » Entre le 20 et le 22 août 1913, « dans ce pays si primitif encore, » il organisa jusqu’à 13 enregistrements par jour. Enfin, notons que Pathé a donné aux Archives des enregistrements qui venaient d’un studio qu’il avait installé dans les colonies de l’Est.
50
Pascal Cordereix, « Les fonds sonores du département de l’audiovisuel de la Bibliothèque Nationale de France », Le Temps de Médias, vol. 5, 2005, p. 255.
51
Au même moment l’ethnologie est institutionnalisée, et l’Institut d’ethnologie est créé à Paris, en 1925, par Paul Rivet, Lucien Levy-Bruhl et Μarcel Mauss.
52
Pascal Cordereix, « Les fonds sonores du département de l’audiovisuel de la Bibliothèque Nationale de France », Le Temps de Médias, vol. 5, 2005, p. 256.
53
Pascal Cordereix, « Les fonds sonores du département de l’audiovisuel de la Bibliothèque Nationale de France », Le Temps de Médias, n° 5, 2005, p. 257.
54
Veronica Della Dora, « Science, Cosmopolitanism and the Greek landscape: the Cruises of the Revue Générale des Sciences Pures et Appliquées to the Eastern Mediterranean, 1897-1912 », Journal of Modern Greek Studies, vol. 30, n° 2, 2012, p. 215.
55
Veronica Della Dora, « Science, Cosmopolitanism and the Greek landscape: the Cruises of the Revue Générale des Sciences Pures et Appliquées to the Eastern Mediterranean, 1897-1912 », Journal of Modern Greek Studies, vol. 30, n° 2, 2012, p. 232.
56
Revue des Sciences Pures et Appliquées, vol. 13, 1902, p. 757-8.
57
Robert Shannan Peckham, « The Exoticism of the Familiar and the Familiarity of the Exotic: Fin-de-siècle Travelers to Greece », in James Duncan and Derek Gregory (dir.), Writes of Passage, Londres et New York, Routledge, 1999, p. 172.
58
Cité dans Veronica Della Dora, « Science, Cosmopolitanism and the Greek landscape: the Cruises of the Revue Générale des Sciences Pures et Appliquées to the Eastern Mediterranean, 1897-1912 », Journal of Modern Greek Studies, vol. 30, n° 2, 2012, p. 241.
59
Anne Buttimer, Society and Milieu in the French Geographic Tradition, Chicago, Rand McNally, 1971.
60
Nikolaos Veis, « Αφιέρωμα στον Hubert Pernot » [Numéro dédié à Hubert Pernot], Nea Estia, 1947, p. 23.
61
Hubert Pernot, En pays turc. L’ile de Chio, Paris, J. Maisonneuve, 1903, p. 158.
62
Hubert Pernot et Paul Le Flem, Mélodies populaires grecques de l’ile de Chio recueillies au phonographe par Hubert Pernot et mises en musiques par Paul le Flem, Paris, E. Leroux, 1903, p. 9-10.
63
Marie Anne de Bovet, La Jeune Grèce, Paris, Société Française d’éditions d’Art L. Henry May, 1897.
64
Hubert Pernot, « D’Homère à nos jours », Revue des études byzantines, vol. 129, 1923, p.123-24.
65
Roger Dévigne, « De la mission des Ardennes (1912) à la mission Alpes-Province (1939) », Annales de l’université de Paris, 1941, p. 19.
66
Georgia Gkotsi, « Η μεταφραστική δραστηριότητα του Ν. Γ. Πολίτη και το διήγημα » [L’activité traductive de N.Politis et la nouvelle], in Ε. Πολίτου-Μαρμαρινού et Σ. Ντενίση, Το Διήγημα στην Ελληνική και Ξένες Λογοτεχνίες, Θεωρία-Γραφή-Πρόσληψη, Athènes, Gutenberg, 2009, p. 225.
68
Edmond About était un écrivain français qui fut membre l’École française d’Athènes en 1851-53. À son retour à Paris, il écrivit Le Roi des montagnes, publié en Grèce en 1858. Le récit raconte avec humour la vie du bandit et chef de bande Hadji-Stavros dans les montagnes de l’Attique. Hadji-Stavros organisait des vols et des enlèvements, mais il était de mèche avec les autorités ; dans le roman, il finit dans une villa sur les rives de l’Ilissos et ministre de la Justice. À cause de sa vision moqueuse, Edmond About fut jugé « anti-hellène ».
69
Mario Vitti, Ιδεολογική Λειτουργία της Ελληνικής Ηθογραφίας [La fonction idéologique du roman de mœurs grec], Athènes, Kedros, 1991, p. 66.
70
Mario Vitti, Ιδεολογική Λειτουργία της Ελληνικής Ηθογραφίας [La fonction idéologique du roman de mœurs grec], Athènes, Kedros, 1991, p. 70.
71
Mario Vitti, Ιδεολογική Λειτουργία της Ελληνικής Ηθογραφίας [La fonction idéologique du roman de mœurs grec], Athènes, Kedros, 1991, p. 76.
72
Mario Vitti, Ιδεολογική Λειτουργία της Ελληνικής Ηθογραφίας [La fonction idéologique du roman de mœurs grec], Athènes, Kedros, 1991, p. 78.
73
Georgia Gkotsi mentionne, entre autres, Sélico, nouvelle africaine, de Jean-Pierre Claris de Florian ; Le mille et deuxième conte de Schéhérazade (1845) d’Edgar Poe d’après la traduction française ; Voyage au centre de la terre (1874) de Jules Verne ; plusieurs livres de Dickens, Andersen, Gautier, Dumas ; Mateo Falcone (1829) de Mérimée. Georgia Gkotsi, « Η μεταφραστική δραστηριότητα του Ν. Γ. Πολίτη και το διήγημα » [L’activité traductive de N. Politis et la nouvelle], in Ε. Πολίτου-Μαρμαρινού et Σ. Ντενίση, Το Διήγημα στην Ελληνική και Ξένες Λογοτεχνίες, Θεωρία-Γραφή-Πρόσληψη, Athènes, Gutenberg, 2009.
74
Georgia Gkotsi, « Η μεταφραστική δραστηριότητα του Ν. Γ. Πολίτη και το διήγημα » [L’activité traductive de N. Politis et la nouvelle], in Ε. Πολίτου-Μαρμαρινού et Σ. Ντενίση, Το Διήγημα στην Ελληνική και Ξένες Λογοτεχνίες, Θεωρία-Γραφή-Πρόσληψη, Athènes, Gutenberg, 2009, p. 232.
75
Margaret Alexiou, « Folklore: An Obituary? », Byzantine and Modern Greek Studies, vol. 9, n° 1, 1984, p. 1-28.
76
Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Payot, 2013 [1936], p. 25.
77
Comme l’affirme Benedict Anderson, « Liés les uns aux autres, le recensement, la carte et le musée étaient à l’image de la réflexion de l’État colonial tardif […] La grille permettait de dire que tel ou tel objet appartenait à cette catégorie et pas à celle-là ; à cet endroit, pas à cet autre. Elle était délimitée, déterminée et, en principe, dénombrable ». Benedict Anderson, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso Books, 1991.
78
Stathis Gourgouris, The Dream Nation, Enlightenment, Colonization and the Institution of Modern Greece, Stanford, Stanford University Press, 1996, p. 147.
80
Yannis Hamilakis, The Nation and its Ruins: Antiquity, Archaeology, and National Imagination in Greece, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 324.
81
Elisabeth Edwards, Chris Gosden et Ruth Phillips (dir.), Sensible Objects, Colonialism, Museums and Material Culture, New York, Berg, 2006, p. 3.
82
Cette architecture archivistique était liée non seulement aux Archives de la parole, créées en 1911 par Ferdinand Brunot et rebaptisées Musée de la parole et du geste en 1927 par Hubert Pernot, mais aux Archives de la planète, qui comprenaient exclusivement des archives visuelles, des photographies et des films. Les Archives de la planète avaient été créées en 1909 par le géographe Jean Brunhes et financées par Αlbert Kahn, sur proposition de Ferdinand Brunot. Paula Amad, Counter-Archive, Film the Everyday and Albert Kahn’s Archives de la Planète, New York, Columbia University Press, 2010, p. 152-54.
83
Michel De Certeau, L’invention du quotidien. Vol.1: Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980, p. 270-273.
84
Michel De Certeau, L’invention du quotidien. Vol.1: Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980, p. 189-201.
85
Stathis Gourgouris, The Dream Nation, Enlightenment, Colonization and the Institution of Modern Greece, Stanford, Stanford University Press, 1996, p. 198.
87
Patricia Morton, Hybrid Modernities: Architecture and representation of at the 1931 Colonial Exposition, Paris, Massachusetts, MIT Press, 2003.
88
C’est ainsi que les surréalistes, menés par Aragon, René Char, André Breton et Paul Eluard, qualifièrent l’exposition dans une des rares déclarations critiques ; elle fut publiée en juin 1930 par la revue Le surréalisme au service de la Révolution. Le texte était intitulé « Ne visitez pas l’Exposition Coloniale ». Sylvain Pattieu, « L’Exposition coloniale de 1931. Apogée ou limites du colonialisme », l’Anticapitaliste, 30 janvier 2011. L’Exposition coloniale de 1931, la plus importante du XXe siècle, attira néanmoins 8 millions de visiteurs et vendit 33 millions de billets, réalisant d’énormes bénéfices.
89
Catherine Hodeir et Michel Pierre, L’exposition coloniale de 1931, Paris, André Versailles, 2011, p. 103.
Référence de l’intertitre du paragraphe 25 (*) : « La fin des voyages » est le titre du premier chapitre de Tristes Tropiques (1955), de Claude Lévi-Strauss. L’auteur affirme qu’il livre un récit de voyage, comme s’il sous-entendait que son parcours structuraliste et positiviste avait son origine dans le voyage de l’Homme occidental vers l’Autre. En même temps, « La fin des voyages » signale la disparition et l’occidentalisation du monde qui permettait à l’image de soi européenne de se définir.
Remerciements : Je dois beaucoup à Tonia Rantou et Niki Chorinou pour mes recherches dans les archives de Moullas, ainsi qu’à Sophia Bora aux Archives de littérature et d’histoire grecques (E.Λ.Ι.Α) pour son aide dans les archives à Athènes. Je remercie également Giorgos Aikaterinidis, Pascal Cordereix, restaurateur aux Archives audiovisuelles de la Bibliothèque nationale de France, Nathalie Clet-Bonnet, chercheuse au musée Αlbert-Kahn, et Catherine Hodeir, historienne spécialiste de l’Exposition coloniale de 1931 pour les informations qu’ils m’ont fournies. Enfin, je remercie Vasilis Nitsiakos qui m’a donné l’occasion de soumettre mes réflexions et de participer à son séminaire au département d’études folkloriques (2013-2014) de l’Université de Ioannina. Je suis également reconnaissante à tous ceux qui ont lu mon article et l’ont commenté : Ritsa Deltsou, Kostas Mantzos, Alexandra Bakalaki, Aigli Brouskou, Nora Skouteri. Leurs suggestions étaient pertinentes et précieuses.
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