Le 4 février 1992, le coup d’État mené par le lieutenant-colonel Hugo Chávez manqua son objectif en cela qu’il ne parvint pas à renverser le pouvoir et à s’en emparer dans l’immédiat. Les insurgés furent emprisonnés. Néanmoins, dès 1994, après la grâce accordée par Rafael Caldera, le président de la République alors au pouvoir, le groupe de militaires fut libéré et ces derniers firent leur entrée dans la vie politique. À la suite de la formation du parti du « Mouvement de la Cinquième République » et avec Hugo Chávez comme candidat, ils se présentèrent aux élections présidentielles de 1998. Ce fut un véritable moment d’euphorie politique au Venezuela : Chávez remporta les élections et, pour la première fois dans l’histoire démocratique du pays, aucun des deux partis traditionnels n’accéda au gouvernement1.
Aussitôt arrivé au pouvoir, le gouvernement d’Hugo Chávez, en écartant les partis politiques traditionnels et en entrant en concurrence avec leurs intérêts, provoqua un conflit d’ampleur inédite au Venezuela. Dans la quasi-totalité des secteurs de la société (syndicats, médias, universités, entreprises d’État, forces armées, pouvoir publics, organisations sociales et communautaires) l’on assista à une lutte acharnée qui visait à marginaliser les élites traditionnelles et à contrer leur influence. Les affrontements les plus intenses eurent lieu au cours des sept premières années. De 1999 à 2006, le conflit se matérialisa notamment à travers des manifestations de rue massives – où l’on déplora environ 29 morts2 – ainsi que par une tentative manquée de coup d’État et deux grèves ; l’une générale, qui mit à l’arrêt l’ensemble de l’économie privée du pays ; l’autre qui paralysa l’industrie pétrolière. À cela s’ajouta la tenue d’un référendum de révocation du mandat présidentiel, puis la deuxième réélection d’Hugo Chávez. Une série de faits entourent ces événements fondamentaux et montrent que, durant toutes ces années, l’énergie des acteurs au pouvoir s’est concentrée sur le remplacement de l’élite politique, davantage que sur la préservation de la démocratie.
Les faits : le contexte politique de 1999 à 2006
Le contexte politique de la période 1999-2006 peut être divisé en deux séquences historiques, l’une antérieure et l’autre postérieure au coup d’État manqué de 2002. Le démantèlement institutionnel de la Constitution de 1961, la confiscation des positions de pouvoir aux élites traditionnelles, un conflit marqué par la faiblesse des institutions de l’État et enfin l’existence d’un fort sentiment de revanche politique, ont généré une série de tensions qui conduisirent à une tentative de coup d’État caractérisée par la confusion de ceux qui l’organisèrent.
Les tensions préexistantes au coup d’État
En 1999 au Venezuela, il existait un désir profond et généralisé de rebâtir la République. Cette volonté se fondait principalement sur l’idée de la nécessité d’un changement constitutionnel. La rédaction d’une nouvelle Constitution par une assemblée constituante était devenue le cheval de bataille de la campagne présidentielle d’Hugo Chávez. La Constitution de 1961, toujours en vigueur en 1999, prévoyait ainsi deux procédures qui permettaient de modifier son contenu : la première, prévue par l’article 245, permettait d’introduire des amendements (enmiendas), c’est-à-dire des modifications qui n’affectaient pas le sens fondamental du texte. Le deuxième mécanisme consistait en une réforme générale, prévue à l’article 246 et destinée à permettre des changements constitutionnels plus profonds. Par conséquent, la seule procédure légalement acceptable indiquée pour proposer l’adoption éventuelle d’une assemblée constituante aurait été de réformer au préalable la Constitution de 1961. Or, le processus constituant qui fut déclenché en 1999 ne suivit en rien un tel chemin.
Dans l’opinion publique, l’idée d’un changement constitutionnel avait acquis une telle importance qu’elle constituait, pour beaucoup, la condition sine qua non permettant de résoudre les problèmes qui minaient la vie politique du pays. À tel point qu’entre décembre 1998 et janvier 1999, le débat politique ne portait même plus sur le caractère légal d’une assemblée constituante – une institution pourtant absente de la Constitution de 1961 – mais sur les modalités de sa mise en place. Deux propositions furent défendues : soit, dans un premier temps, réformer la Constitution pour rendre légale l’élection d’une constituante, soit à l’inverse convoquer cette assemblée sans la réglementer au préalable, en faisant appel à la souveraineté du peuple. C’est en faveur de cette dernière idée que tranchèrent les magistrats de la Cour Suprême de Justice (CSJ) chargés de statuer sur la question.
Le 19 janvier 1999, la CSJ rendait son verdict, qui se fondait sur l’interprétation des articles 4 et 50 de la Constitution et de l’article 181 de la Loi organique sur le suffrage et la participation politique (LOSPP). Le recours préalable, à l’origine de l’intervention de la CSJ, soulevait deux questions : un référendum de consultation populaire pouvait-il être convoqué s’il portait sur la convocation d’une assemblée nationale constituante (ANC) ? Une telle assemblée pouvait-elle être convoquée pour adopter une nouvelle Constitution, sans modifier au préalable le texte de 1961, alors même que celui-ci ne prévoyait pas l’existence d’une constituante ?3
La Cour répondit à la première question, mais ne se prononça pas sur la seconde4. À propos de l’article 181 de la LOSPP, elle jugea que « l’avis du corps électoral pouvait être consulté relativement à toute décision d’importance nationale particulière autre que celles expressément exclues par la LOSPP elle-même à l’article 185, y compris celle relative à la convocation d’une assemblée constituante ». Ainsi, l’interprétation permettait la consultation de l’électorat sur toute question considérée comme d’intérêt national, mais ne disait rien sur la légalité d’une assemblée constituante en tant qu’organe chargé de rédiger d’une Constitution. C’est en réalité l’interprétation de l’article 50 de la Constitution de 1961 qui autorisa le nouveau pouvoir exécutif à aller plus loin. La CSJ déclara en effet que « le référendum prévu dans la LOSPP [était] un droit inhérent à la personne humaine non explicite, dont l’exercice [était] fondé sur l’article 50 de la Constitution ». La Cour, en considérant le référendum comme un droit inhérent à la personne humaine, affirmait que :
« Ceci est applicable, non seulement d’un point de vue pratique mais aussi ontologique, puisque si l’on considère le droit au référendum constitutionnel comme dépendant de la réforme de la Constitution actuelle, il serait subordonné à la volonté du pouvoir constitué, ce qui placerait ce dernier au-dessus du pouvoir souverain. L’absence d’un tel droit dans la Constitution doit être interprétée comme une lacune, car on ne saurait admettre que le pouvoir souverain ait renoncé dès le départ à l’exercice d’un pouvoir qui est le résultat de sa propre décision politique ».
En conséquence, l’incapacité de la Cour à statuer sur le caractère constitutionnel d’une assemblée constituante, combinée à une vague proclamation de la primauté du pouvoir souverain du peuple et de l’absence de droit au référendum constitutionnel comme lacune de l’ancienne Constitution, ont abouti à la construction d’un subterfuge légal qui permettait de justifier le raccourci par lequel la CSJ admettait qu’un référendum consultatif était un moyen d’exercer le pouvoir constituant. Cette interprétation éminemment politique d’un texte de loi (c’est-à-dire de facto plutôt que de jure) fut rendue possible par une conjoncture particulière au début de l’année 1999, caractérisée par de fortes tensions. D’une part, le président de la République élu voulait et avait promis la convocation d’une Assemblée Nationale Constituante (ANC), et l’avait formulé dans son décret n° 3 du 2 février 1999. D’autre part, la Constitution en vigueur à l’époque (celle de 1961) ne prévoyait pas l’élection d’une telle assemblée et ne permettait pas une telle convocation. Ainsi, sans l’interprétation biaisée introduite par l’arrêt de la CSJ, le décret n° 3 d’Hugo Chávez aurait constitué, en soi, un coup d’État : la CSJ permit de résoudre la tension, mais de manière artificielle5.
La discussion finit alors par porter sur de nouveaux enjeux, à savoir qui devait prendre l’initiative de convoquer le référendum consultatif sur l’élection d’une ANC : le Congrès ou le président de la République ? Qui chapeauterait le fonctionnement de l’ANC ? Cette assemblée obtiendrait-elle un pouvoir constituant originaire, c’est-à-dire illimité ? Un acte inconstitutionnel risquait d’en entraîner un autre et les interprétations de la Cour étaient loin de viser à mettre un terme à ce processus.
Le 2 février 1999, par le décret n° 3, Hugo Chávez prit l’initiative de convoquer le référendum et de proposer les bases du fonctionnement de l’ANC. Les deux propositions furent acceptées par le Conseil suprême électoral, qui organisa donc le référendum le 25 avril. À cette occasion, 88 % des électeurs approuvèrent la convocation de l’assemblée6. Par la suite, le 25 juillet de la même année, des élections furent organisées afin d’en élire les 131 membres, dont la grande majorité (124) appartenaient au parti au pouvoir. Le 3 août, L’ANC siégeait pour rédiger une nouvelle Constitution.
À cette époque, la seule question qui restait à résoudre était de savoir si l’assemblée aurait le caractère d’un pouvoir constituant originaire (et non dérivé de la Constitution de 1961) ou si cet organe aurait pour tâche exclusive de rédiger un nouveau texte. À cet égard, la Cour fut explicite indiquant que la Constitution de 1961 devait rester en vigueur durant la période de rédaction de la Constituante, et que cette dernière devait effectivement se limiter à l’élaboration nouveau texte constitutionnel7. L’ANC alla néanmoins immédiatement à l’encontre de cette décision dès le premier jour de son entrée en fonction. Le premier article de son statut fondamental précisait : « L’assemblée nationale constituante est dépositaire de la volonté populaire et l’expression de sa souveraineté, et dispose du pouvoir originaire pour réorganiser l’État vénézuélien et créer un nouvel ordre juridique démocratique. L’assemblée, dans l’exercice des prérogatives qui lui sont inhérentes, peut limiter ou décider la cessation des activités des autorités qui composent la puissance publique ». Le deuxième paragraphe stipule : « La Constitution de 1961 et le reste du système juridique qui en découle restent en vigueur relativement à toutes les règles qui n’entrent ni en conflit ni en contradiction avec les ordonnances juridiques et autres décisions de l’assemblée nationale constituante »8.
Tribunal suprême de justice,
Caracas 2010
L’activité de l’ANC déborda la rédaction d’une nouvelle Carta Magna, ce qui provoqua là encore de fortes tensions politiques. Le 25 août 1999, l’ANC suspendit par décret les sessions du Congrès et transforma ce dernier en une simple commission de consultation. De même, elle intervint dans le pouvoir judiciaire. Par le biais d’une commission d’urgence, les juges furent destitués et le Conseil de la magistrature subordonné à cette nouvelle commission9. Ainsi, durant le premier mois de fonctionnement de la Constituante, cette dernière se consacra principalement au contrôle et au réinvestissement des pouvoirs constitués10. Finalement, le 15 décembre 1999, la nouvelle Constitution vénézuélienne fut soumise à un référendum populaire, qui l’approuva à 71 % des voix. Ce succès impliquait que toutes les charges publiques devaient être à nouveau légitimées. L’ANC estima en effet que les anciennes institutions ne bénéficiaient plus de la légitimité nécessaire pour mener à bien ce processus de transition. Le 27 décembre, on assista donc à la dissolution du Congrès et de la Cour suprême de justice et à la proclamation d’un régime transitoire de pouvoir public. L’ANC nomma alors un nouveau contrôleur général de la République, un nouveau procureur de la République, les nouveaux directeurs du Conseil suprême électoral et convoqua de nouvelles élections générales11. Aucune de ces procédures n’étaient prévues par la nouvelle Constitution de 1999.
Le 30 juillet 2000, les charges de président, de gouverneur, de maire, de député à l’assemblée nationale, de conseiller des conseils législatifs régionaux ainsi que de député au Parlement andin et au Parlement latino-américain furent soumis au vote populaire. Avec une abstention de 44 %, Hugo Chávez fut réélu président pour le mandat 2000-2006 à 59,8 % des voix. Au-delà de la réélection du président, la nouvelle composition du parlement, désormais appelé « Assemblée nationale » changea la donne. En effet, l’ancien Congrès était dominé par une large majorité de partis d’opposition, tandis que la nouvelle assemblée se composait d’une corrélation de forces politiques qui favorisaient largement le président de la République (Cf. Tableau 1).
1998* | 2000** |
---|
*Élections du 8 novembre 1998
**Élections du 30 juillet 2000
Source : Dirección de Estadística del Consejo Nacional Electoral et calculs de l’auteur.
(a) Autres groupes alliés au MVR:
En 1998 : MAS, PPT, LCR, MDP-BR, MEP, PCV, MIN, ORA.
En 2000 : MAS, PPT, LCR, MIGATO, PUAMA, MDA, CONIVE
(b) Autres groupes opposés au gouvernement :
En 1998: Convergencia, Apertura, OFM, IRENE, Renovación, SI, UDH, URD
En 2000 : Convergencia, LAPY
Pour les sigles, voir le glossaire en Annexe
La Constitution de 1999 simplifia la structure du pouvoir législatif, en éliminant le Sénat et en réduisant le nombre de représentants au parlement. En plus, grâce à l’impulsion donnée par le Président à ses candidats pendant la campagne électorale, la coalition gouvernementale s’empara du pouvoir législatif, en passant de 38 à 66 % des représentants. La corrélation des forces entre le MVR (le parti du président Chávez) et l’AD (le principal parti d’opposition) s’inversa, puisque le premier passa de 22 % de députés en 1998 à 56 % en 2000, tandis que le second passait de 31 à 20 %. De nombreux partis qui avaient apporté leur soutien au président fusionnèrent avec le MVR. Ce fut d’autant plus une période de grand bouleversement que Convergence (Convergencia), le parti du gouvernement précédent, disparut quasiment de la scène politique tandis qu’entraient en scène deux nouveaux partis : le Mouvement Justice d’abord (Movimiento Primero Justicia, composé à l’origine de militants du COPEI) et Un Temps Nouveau (Un Nuevo Tiempo, composé de militants de l’AD). À la fin du mois de juillet 2000, et au moyen de la mise en place de l’ANC, le gouvernement avait donc bouleversé les rapports de forces au sein de toutes les sphères de pouvoir de l’État : il était parvenu à mener une véritable révolution sans avoir besoin, cette fois, de recourir aux chars militaires.
Le 8 novembre 2000, une deuxième loi d’habilitation sollicitée par le président Hugo Chávez était adoptée. Bien qu’aucun décret n’ait été publié durant ces douze mois, le 13 novembre 2001, quelques jours avant la fin de la période de validité de la loi, le gouvernement approuva quarante-neuf lois économiques par décrets. Le 10 décembre de la même année, afin de protester contre ces lois, une grande partie de l’activité commerciale et industrielle du pays fut paralysée pendant douze heures. Le 5 mars 2002, la Confédération des travailleurs vénézuéliens (CTV) et la Fédération des chambres de commerce (Fedecámaras), aux côtés de l’Église catholique qui agissait en tant que témoin, signèrent un « Pacte de gouvernance » dans le but d’exiger la destitution d’Hugo Chávez. La stratégie de l’opposition visait ainsi la plus importante source de ressources de l’État vénézuélien, c’est-à-dire son industrie pétrolière. Le 1er avril, la direction générale de Petróleos de Venezuela (PDVSA) manifestait son désaccord avec la nomination du nouveau conseil d’administration de l’entreprise publique et tenta, sans succès, de mettre un coup d’arrêt aux activités de l’industrie pétrolière. Le 7 avril, lors d’une allocution télévisée, le président Hugo Chávez licenciait les dirigeants de PDVSA qui avaient appelé à une grève générale. Tous ces événements se déroulèrent dans un contexte de massives manifestations de rue, au cours desquelles eurent lieu de nombreux affrontements. Les esprits s’échauffèrent et les démonstrations de force se transformèrent en actes d’hostilité ouverte.
La tentative de coup d’État
Le 11 avril 2002, une manifestation massive d’opposants au gouvernement tentait d’atteindre le palais présidentiel de Miraflores dans la plus grande confusion. Une série de frictions entre les forces de l’ordre, les groupes armés illégaux et les manifestants firent au moins seize morts et un nombre important de blessés12. Plusieurs chaînes de télévision diffusèrent ces images en direct. Vers 16 heures, le gouvernement suspendait la programmation des principales chaînes de télévision privées afin de transmettre un message en direct du président de la République. Finalement, le gouvernement coupa l’accès des chaînes au réseau hertzien peu de temps après que celles-ci, se refusant à diffuser uniquement le discours du président, commencèrent à émettre simultanément – en divisant l’écran en deux parties – des images des combats qui se déroulaient autour du palais présidentiel. Le soir du 11 avril, un groupe de militaires destituait le président, le contraignant à démissionner et le plaçant en détention. Le lendemain, un gouvernement improvisé s’emparait du palais de Miraflores et Pedro Carmona Estanga, président de Fedecámaras, s’autoproclamait président par intérim, durant une cérémonie qui s’affichait comme la réunion d’une assemblée organisée par les acteurs du coup d’État. L’assemblée nationale et le Tribunal suprême de justice furent de nouveau dissous. Néanmoins dès le 13 avril, des militaires fidèles au gouvernement menèrent une contre-offensive, qui permit à nouveau la prise du palais présidentiel et le retour d’Hugo Chávez à la tête du gouvernement.
Les institutions de l’État, arène de la bataille autoritaire
Les événements d’avril 2002 s’inscrivaient dans la continuité de la détérioration des relations entre les anciennes élites et le gouvernement d’Hugo Chávez. Après l’échec du coup d’État, l’opposition et le gouvernement réorganisèrent leurs forces pour entamer une longue confrontation qui allait culminer avec les élections présidentielles de 2006. La relation de rivalité entre l’opposition et le gouvernement confirma le caractère autoritaire de ce dernier, encore (pour peu de temps) canalisé par les institutions de la démocratie représentative. Ces dernières finirent par succomber aux offensives menées par les deux camps.
Le Centre Carter et l’Organisation des États américains (OEA), préoccupés par un conflit qui commençait à se faire menaçant en raison de l’ampleur de la violence qu’il engendrait, se mirent d’accord avec le gouvernement et l’opposition pour créer une « Table de négociations et d’accords ». Celle-ci commença à fonctionner à partir du 8 novembre 2002. Cependant, une opposition pressée d’en découdre s’apprêtait déjà à déclencher, le 2 décembre, une grève générale contre le gouvernement. Cette grève était encouragée par la principale fédération patronale, Fedecámaras ainsi que par la plus importante (bien que sur le déclin) fédération syndicale, CTV, et la majeure partie des salariés de PDVSA. L’initiative était bien entendu largement soutenue par les médias privés. Entre décembre 2002 et janvier 2003, la quasi-totalité de l’industrie pétrolière était paralysée. Début février, le gouvernement intervint militairement au sein de PDVSA et reprit ainsi progressivement le contrôle du secteur. Hugo Chávez et ses partisans sortirent finalement victorieux de ce combat, non seulement en rétablissant les opérations de la compagnie pétrolière, mais surtout en imposant leur contrôle partisan sur celle-ci.
Tandis que le domaine énergétique était paralysé, les opposants recueillirent de nombreuses signatures dans le but d’exiger un référendum révocatoire qui leur permettrait de limoger Hugo Chávez au milieu de son mandat. À partir de novembre 2002, et à trois reprises, les partis d’opposition déposèrent au Conseil national électoral (CNE) les signatures pour solliciter l’organisation de ce référendum. Le 29 mai 2004, le gouvernement et l’opposition signèrent un accord, en présence du Secrétaire général de l’OEA, des représentants du Centre Carter et du PNUD. Les parties se mirent d’accord sur une sortie de crise qui passerait par la voie d’un référendum révocatoire. Le 15 août 2004, avec une abstention de 30 %, le président Hugo Chávez remportait le scrutin avec 59 % des voix, ce qui lui permettait de rester au pouvoir durant les deux années suivantes. L’opposition dénonça l’organisation d’une fraude électorale par le biais de l’utilisation d’un système de vote électronique, acquis par le gouvernement pour l’occasion.
La victoire d’Hugo Chávez renforça le climat de méfiance de la part de l’opposition vis-à-vis du Conseil national électoral. Le 4 décembre 2005, des élections législatives furent organisées, mais boycottées par l’opposition, ce qui conduisit le parti au pouvoir et ses alliés à remporter les 167 sièges de l’assemblée nationale. La participation n’avait atteint que 25 % de l’électorat. C’est dans ce contexte que débuta l’année 2006, marquée par une campagne présidentielle mouvementée. Le 3 décembre, avec une abstention de 26 %, Hugo Chávez remporta finalement un troisième mandat présidentiel avec 63 % des voix, contre son adversaire Manuel Rosales, le seul candidat de l’opposition.
La condition de l’État vénézuélien
Suite au processus constituant de 1999 et suite au conflit qui éclata lors du coup d’État de 2002 et à la grève générale de 2003, les forces d’opposition durent donc faire face à un nouveau groupe dirigeant, qui était parvenu à surmonter de nombreux obstacles et à déjouer de nombreuses offensives menées par ses rivaux. Ces trois événements configurèrent un ordre où seules les relations autoritaires pouvaient désormais prévaloir. En conséquence, au moins deux questions doivent être résolues. À partir de quelle configuration des relations politiques aboutit-on à un conflit dont l’issue est nécessairement la neutralisation de l’opposant ? Quel sens recouvrait le premier conflit né en 1999 et qui donna lieu à la rédaction d’une nouvelle Constitution ? Afin de répondre à ces deux questions, je procéderai d’une part à une brève reconstitution historique du système judiciaire au Venezuela et, d’autre part, j’aurai recours à la pensée de Claude Lefort, philosophe politique qui a placé la démocratie au cœur de sa réflexion.
La question de l’autonomie et de l’indépendance des juges au Venezuela se posait bien avant 1999. Dans les premières années du gouvernement civil, à partir de 1958, la création d’un pouvoir judiciaire indépendant reposait avant tout sur l’idée qu’il fallait rompre le lien entre les juges et les influences encore existantes de l’ancien régime militaire. Cependant, dix ans après les débuts de la démocratie, la mise en place d’un système judiciaire indépendant du pouvoir politique était encore inachevée. En 1969, la réforme du système judiciaire avait permis la création du Conseil de la Magistrature. Cet organe était responsable de la nomination et de la révocation des juges, dans le but de garantir leur indépendance vis-à-vis des influences extérieures, à l’époque principalement de celle du pouvoir exécutif. Cette indépendance devait se manifester au moins de deux manières : la nomination et la révocation des juges ne devaient relever ni de l’exécutif ni des chambres législatives ; la gestion des ressources budgétaires allouées aux tribunaux ne devait pas être contrôlée par le gouvernement13. La réforme prévoyait que le Conseil de la Magistrature se composait de neuf membres : cinq nommés par la Cour suprême (dont les juges eux-mêmes étaient sélectionnés par le Congrès) ; deux nommés par le Congrès ; et deux nommés par le pouvoir exécutif. Mais la création du Conseil ne s’accompagna pas d’une Loi sur la carrière juridique, qui aurait pu garantir que les juges puissent exercer leurs fonctions indépendamment des circonstances politiques. En d’autres termes, la fonction de magistrat aurait dû être protégée par deux principes fondamentaux clairs, avec une continuité dans le temps : (1) une sélection à partir de critères professionnels et une promotion sur la base du mérite accumulé au cours de la carrière ; (2) la préservation des activités judiciaires de toute forme d’influence, de circonstance ou d’accident, qu’ils soient de nature politique ou autre : c’est-à-dire que la révocation d’un magistrat ne peut être justifiée que par des raisons propres au système judiciaire. Dans les faits, aucun mécanisme ne fut mis en œuvre pour assurer ces principes, les juges furent donc nommés et révoqués par les membres du Conseil de la magistrature sans concours d’entrée et sans considération pour leur expérience et leurs compétences dans le domaine juridique14.
La réforme de 1969 réduisit certes grandement la dépendance de la justice à l’égard du pouvoir exécutif, mais le Congrès national disposa en revanche d’une influence accrue sur le système judiciaire, ce qui devint progressivement une dépendance vis-à-vis des partis politiques. Pour les acteurs politiques, la priorité était de préserver cette influence et non de créer un pouvoir judiciaire indépendant. Aucune loi ne fut adoptée pour légiférer sur la carrière juridique des magistrats, ni en 1969 ni au cours des mandats suivants. Dès la fin des années 1970, les décisions des juges étaient systématiquement orientées par divers intérêts politiques et économiques et le pouvoir judiciaire était subordonné aux forces politiques en place au sein de l’exécutif comme du législatif. La situation ne connut pas d’évolution durant les trente années suivantes et le Conseil de la magistrature devint un instrument permettant de réaliser les objectifs des dirigeants. Les juges étaient nommés au gré de la volonté du gouvernement en place. À la fin des années 1990, le pouvoir judiciaire était donc à juste titre perçu comme manipulé par la politique partisane et le système judiciaire se trouvait dans une situation déplorable15. Les évènements des années suivantes confirmèrent ce rôle d’appendice des forces politiques dominantes.
Nous l’avons exposé dans la première section : au cours du processus constitutionnel de 1999, le travail de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) dépassa largement la rédaction d’un nouveau texte constitutionnel. Invoquant le pouvoir souverain originaire, l’ANC intervint sur l’ensemble des sphères de pouvoirs, notamment en décidant du sort des fonctionnaires. Le 11 octobre 1999, elle intervint auprès du pouvoir judiciaire par le biais d’une Commission d’urgence, en démettant les juges et en suspendant le Conseil de la magistrature. Par le décret du 22 décembre de la même année, l’ANC créait un régime constitutionnel transitoire destiné à refonder les pouvoirs publics16. Ce nouveau régime lui donnait la capacité de nommer les nouveaux juges du désormais nommé Tribunal suprême de justice (TSJ) et de créer la Commission pour le fonctionnement et la restructuration du pouvoir judiciaire chargée de nommer, de révoquer et de condamner les juges. Les membres de cette commission étaient sélectionnés par l’ANC et devaient rester en poste jusqu’à la restructuration complète du système judiciaire (article 27). En outre, le décret prévoyait que le régime transitoire serait « en vigueur jusqu’à ce que l’Assemblée Nationale approuve la législation déterminant les procédures et les tribunaux disciplinaires » (article 23), ce qui ne fut entériné que douze ans plus tard17.
Le 20 mai 2004 fut promulguée la nouvelle Loi organique du Tribunal Suprême de Justice, conséquence du changement constitutionnel de 199918. Le TSJ renonça à la responsabilité de réguler le système judiciaire, puisqu’il maintint le régime disciplinaire transitoire, notamment en disposant dans les « dispositions dérogatoires et transitoires » de la loi que : « La Commission pour le fonctionnement et la restructuration du système judiciaire ne sera chargée que des fonctions disciplinaires, pendant le temps où la législation est adoptée et que la juridiction disciplinaire et les tribunaux disciplinaires correspondants sont créés ». Ainsi, cinq ans après l’adoption de la Constitution de 1999, les juges étaient toujours révoqués par une commission non judiciaire, ce qui allait directement à l’encontre de leur stabilité et de leur droit à une procédure régulière. En 2010, une nouvelle Loi organique du Tribunal Suprême de Justice était promulguée, éliminant la disposition transitoire qui prévoyait la survie de la Commission pour le fonctionnement et la restructuration du système judiciaire19. Par conséquent, il fallut attendre onze années après l’entrée en vigueur de la Constitution pour que l’Assemblée Nationale vote finalement la réforme de la Loi sur la déontologie du juge vénézuélien, en fondant la « Juridiction disciplinaire judiciaire » (JDJ) qui se substituait à la Commission qui avait été établie « transitoirement » en 1999. Néanmoins, conformément à la troisième disposition transitoire qui fut incorporée dans la Loi de déontologie, il fut prévu que : « Jusqu’à ce que les collèges électoraux judiciaires soient formés pour l’élection des juges de la JDJ, l’Assemblée Nationale procédera à la nomination des juges et de leurs suppléants respectifs du Tribunal disciplinaire judiciaire et de la Cour disciplinaire judiciaire, en agissant avec l’avis préalable du Comité des nominations judiciaires »20. La sélection et la révocation des juges furent donc soumises à un nouveau régime transitoire qui dépendait désormais totalement de l’Assemblée Nationale et de la corrélation des forces des partis politiques. L’article 255 de la Constitution stipulait à cet égard : « La nomination et la prestation de serment des juges relèvent de la Cour suprême de justice. La loi garantira la participation des citoyens à la procédure de sélection et de nomination des juges ». Au Venezuela, les juges furent donc soumis à cet ordre politique jusqu’en 201721. Le 1er mai de cette année-là, le président de la République, Nicolás Maduro, impulsa la création d’une nouvelle Assemblée Nationale Constituante pour rédiger une nouvelle Constitution22. Le 30 juillet, des élections furent de nouveau organisées pour élire les membres de l’ANC et ceux-ci débutèrent leurs travaux le 4 août 2017. Initialement, il était prévu que la constituante agisse pendant deux ans. Néanmoins, le 21 mai 2019, cette même assemblée approuva un décret qui prolongeait ses prérogatives au moins jusqu’au 31 décembre 202023. Face aux pouvoirs illimités de cette nouvelle ANC, le système judiciaire vénézuélien continue à ne jouir d’aucune autonomie.
Il nous faut alors revenir aux idées qui sont au fondement de l’autonomie du pouvoir judiciaire. D’abord, la nomination et la révocation des juges ne doivent pas relever de décisions émanant du pouvoir exécutif ou des chambres législatives ; ensuite, la gestion des ressources budgétaires affectées aux tribunaux ne doit pas dépendre de l’exécutif national. Par conséquent, la pratique que l’on cherche à introduire est celle de l’intervention d’un tiers, indispensable au sein de tout État de droit pour permettre d’assurer la médiation et la résolution d’un conflit. Le tiers doit être synonyme d’impartialité vis-à-vis des intérêts des parties concernées, condition fondamentale de la justice. L’autorité que les parties concernées confèrent au juge en tant que tiers, indépendant de tout pouvoir extrajudiciaire et compétent grâce à sa formation juridique, découle de la nature du régime politique24. Il nous faut donc analyser le fonctionnement d’un espace symbolique et réglementé, qui crée des habitudes25. De ce point de vue, le système judiciaire est tout à la fois un élément constitutif et le reflet d’un ordre social particulier.
La corruption du système judiciaire – non pas dans le sens de corruption monétaire ou de profit personnel qu’un juge peut retirer de l’exercice de ses fonctions, mais au sens de détournement du but dans lequel la loi a été conçue, c’est-à-dire le libre accomplissement des actes de justice – affecte le comportement des citoyens et leurs interactions dans la vie quotidienne. Dans cette perspective, le tribunal n’est pas un lieu social où les citoyens s’attendent à un strict respect de la loi. Lorsqu’ils prononcent un verdict, les juges n’y appliquent pas la loi mais (par peur ou par commodité) agissent davantage en fonction de la réaction que leur décision provoquera au sein du gouvernement, des partis et des groupes d’influence. Lors de la bataille qui prit place au Venezuela de 1999 à 2006, les tribunaux agirent sans la présence d’une tierce partie et le lien entre la loi d’un côté, la justice et le droit de l’autre, s’est entièrement dissous. Ces évolutions reflètent la condition dans laquelle se trouvait et se trouve encore l’État vénézuélien, au sein duquel le système judiciaire dépend du degré de rivalité entre les dirigeants du groupe au pouvoir et leurs opposants. Les actions des juges sont entièrement soumises aux passions personnelles et à l’utilisation de leur position dominante par les puissants.
Sans un système judiciaire autonome, l’exercice du pouvoir politique devient illimité. Ce principe d’existence configure un ordre politique particulier. Pour comprendre l’évolution du Venezuela entre 1999 et 2006, on peut alors mobiliser la ressource théorique que constitue la notion du processus de désincorporation du pouvoir, tel que Claude Lefort l’a défini. L’un des éléments fondateurs d’un ordre politique démocratique réside en effet dans une condition particulière du pouvoir :
« […] Le lieu du pouvoir devient un lieu vide. Inutile d’insister sur le détail du dispositif institutionnel. L’essentiel est qu’il interdit aux gouvernants de s’approprier, de s’incorporer le pouvoir. Son exercice est soumis à la procédure d’une remise en jeu périodique. Il se fait au terme d’une compétition réglée, dont les conditions sont préservées d’une façon permanente. Ce phénomène implique une institutionnalisation du conflit. Vide, inoccupable – tel qu’aucun individu ni aucun groupe ne peut lui être consubstantiel, le lieu du pouvoir s’avère infigurable »26.
En démocratie, le pouvoir est donc désincorporé. Le fait que le pouvoir soit défini (à partir d’un ordre symbolique) comme un lieu vide ne signifie pas qu’il n’existe plus, ni que les forces politiques ne soient pas actives pour viser à satisfaire leurs intérêts. Cette notion implique davantage une orientation normative de ceux qui exercent le pouvoir. Ces derniers sont considérés comme des locataires temporaires car le pouvoir n’appartient à personne. Le pouvoir, renvoyant à un ordre symbolique, ne doit pas être situé de manière fixe dans un lieu identifiable, par exemple une personne ou un parti. Cet élément détermine une configuration particulière, qui est celle de l’ordre démocratique, configuration que certaines sociétés sont parvenues à construire – à des degrés différents – de manière positive. Le pouvoir est anonyme et constitue un moyen de contester toute légitimité qui serait intrinsèque à un individu, un parti, un groupe ou une organisation, quels qu’ils soient et quels que soient les critères de cette légitimité27.
De cette idée d’État démocratique découle une impartialité théorique de l’État vis-à-vis des forces politiques, fondamentale pour la reconnaissance des différences sociales, la concurrence des partis – visant à l’exercice du pouvoir – et les libertés civiles et politiques. De cette manière, ceux qui perdent une élection ont la garantie que, dans un laps de temps donné, ils pourront à nouveau tenter d’exercer le pouvoir, sans faire l’objet de représailles. L’État est alors défini non seulement comme un appareil bureaucratique, mais aussi comme un espace réglementé. L’État démocratique est un type particulier d’ordre normatif dans lequel les élites et les citoyens comprennent qu’aucun groupe ni individu ne peut revendiquer le pouvoir pour eux-mêmes. Ainsi, les intérêts des partis au pouvoir ne doivent pas être confondus avec ceux de l’État ou du reste de la société, les partis étant un des multiples éléments qui composent cette dernière. Ce n’est pas tellement que, dans la pratique, une telle situation soit impensable, mais c’est davantage que lorsque cela arrive, elle est unanimement perçue comme la violation d’un impératif, d’une règle, et doit faire l’objet d’une sanction. L’incorporation du pouvoir dans un acteur (qu’il s’agisse d’une personne ou d’une organisation) correspond à la violation d’une règle collective fondamentale de pensée et d’action. Par conséquent, aucune force politique ne peut incarner à elle seule la nation, une tentation en revanche systématiquement présente chez ceux qui exercent le pouvoir de manière autoritaire.
Revenons sur les évènements qui ont opposés, au Venezuela, les élites traditionnelles au nouveau groupe dirigeant alors en cours de composition. Nos développements nous permettent de répondre à la première interrogation soulevée au début de cette section : Quel type de configuration des relations politiques mène à un conflit dont l’issue est nécessairement l’élimination politique de l’opposant ? Cette réflexion sur le système judiciaire permet d’identifier une condition fondamentale pour comprendre l’ordre politique au Venezuela, à savoir l’absence d’une tierce partie pour la médiation des conflits et l’incorporation du pouvoir comme pratique courante de l’exercice de la politique. La deuxième question posée initialement reste toutefois sans réponse : quelle signification recouvrait le conflit instauré en 1999 avec la rédaction d’une nouvelle Constitution ?
L’hétéronomie du pouvoir judiciaire est un principe d’existence de l’ordre politique vénézuélien. Ainsi, cette condition représente un état de fait largement antérieur à l’élection d’Hugo Chávez à la présidence. Une telle continuité empêche d’encadrer la lutte entre les opposants et le gouvernement dans un État de droit. Les premiers avaient en effet établi un ordre politique sans système judiciaire autonome et les seconds profitaient de cette modalité pour monopoliser le pouvoir28. Au début du conflit, lors du processus constitutionnel de 1999, tandis que le Venezuela traversait un moment de crise, l’on pouvait espérer que la Cour suprême de justice (CSJ) fasse une interprétation juridique et politique de la Constitution qui permettrait de concilier la volonté des acteurs tout en préservant l’ordre constitutionnel d’alors, mais ce fut l’inverse qui se produisit. La conjoncture particulièrement agitée de ce moment empêcha la composition d’un espace politique qui aurait permis une interprétation conforme à la Constitution. Le conflit n’a pas pu se dérouler dans une sphère politique dont le caractère démocratique était suffisamment solide pour permettre de trouver une issue pacifiée. Tout ceci conduisit l’ANC à s’attribuer un pouvoir illimité qui fit entrer le conflit dans la voie autoritaire.
La condition de la justice au Venezuela, cristallisée dans le processus constituant de 1999, témoigne donc du fait que le système politique était déjà entré dans une logique autoritaire, conséquence directe d’une inversion du processus de démocratisation du pays amorcé en 1958. Mais ce tournant a eu lieu avant 1999 : les origines du renversement de la dynamique démocratique vénézuélienne sont donc à chercher avant l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir. Lors de la convocation de l’Assemblée constituante et – plus largement – durant l’intense affrontement des années 1999-2006, la démocratie n’était plus en jeu. Le travail de désincorporation du pouvoir, amorcé en 1958, n’avait pas été mené de manière satisfaisante et avait été interrompu des années auparavant. En 1999, la faiblesse de la décision de la Cour suprême de justice fut interprétée par le nouveau groupe au pouvoir comme une faille pouvant être exploitée pour satisfaire ses propres intérêts, en permettant notamment la concentration du pouvoir entre les mains du président et écartant les anciennes élites politiques et économiques du pays. Ainsi, à partir de 1999, il semble que nous assistions davantage au déploiement d’un phénomène de remplacement de l’élite dirigeante. Processus politique qui devrait être étudié en profondeur au Venezuela ; puisqu’il semble lui-même être entré dans un stade avancé. Les groupes qui gouvernèrent ce pays dans le cadre du « pacte de Punto fijo » ne sont donc pas parvenus à démocratiser véritablement l’État, et c’est tout un pays qui a en a payé le prix29.
Annexe
Sigle Organisation
MVR : Movimiento Quinta República
MAS : Movimiento al Socialismo
PPT : Patria para Todos
LCR : La Causa Radical
MDP-BR : Movimiento por la Democracia Popular-Bandera Roja
MEP : Movimiento Electoral del Pueblo
PCV : Partido Comunista de Venezuela
MIN : Movimiento de Integridad Nacional
ORA : Organización Renovadora Auténtica
MIGATO : Movimiento Independiente Ganamos Todos
PUAMA : Pueblos Unidos Multiétnicos del Amazonas
CONIVE : Consejo Nacional Indio de Venezuela
AD : Acción Democrática
COPEI : Comité de Organización Política Electoral Independiente
PRVZL : Proyecto Venezuela
MPJ : Movimiento Primero Justicia
UNT : Un Nuevo Tiempo
Apertura : Movimiento Apertura
IRENE : Integración y Renovación Nueva Esperanza
LAPY : Lo Alcanzado por Yaracuy
OFM : Organización Fuerza en Movimiento
SI : Solidaridad Independiente
UDH : Unidos por los Derechos Humanos
URD : Unión Republicana Democrática
Notes
1
L’Action Démocratique (AD) et le Comité indépendant d'Organisation Politique Électorale (COPEI). À partir de 1958, les deux partis établirent un accord bipartite nommé « pacte de Punto fijo ». Cet accord mit en place un modèle de gouvernement fondé sur la conciliation corporatiste des élites, relativement à l'accès au pouvoir politique et aux bénéfices de la rente pétrolière. Voir, Rey J., El sistema de partidos venezolano, 1830-1999, Caracas, Editorial Jurídica venezolana, 2015, p. 101-202.
2
PROVEA, Venezuela: una década de protestas 2000-2010, Caracas, Provea, 2010, p. 96.
3
Pace A., « Muerte de una Constitución (Comentario a la Sentencia de la Corte Suprema de Venezuela, núm. 17, del 19 de enero de 1999) », Revista Española de Derecho Constitucional, 57, 1999, p. 271.
4
Arrêt n° 17 de la Chambre politico-administrative de la Cour suprême de justice, rendu le 19 janvier 1999.
5
Brewer-Carías A, Asamblea Constituyente y proceso constituyente (1999), Colección Tratado de Derecho Constitucional, Tomo VI, Caracas, Editorial Jurídica Venezolana, 2013, p. 178.
6
Tous les résultats électoraux ont comme source : Consejo Nacional Electoral, Estadísticas electorales (varios años), Dirección de Estadísticas Electorales, Caracas.
7
Chambre politico-administrative de la Cour Suprême de Justice. Verdict du 18 mars 1999, avec éclaircissement prononcé le 23 mars 1999.
8
Asamblea Nacional Constituyente, Estatuto de funcionamiento de la Asamblea Nacional Constituyente, Caracas, 1999, p. 1.
9
Décret de la Reorganización del Poder Judicial y el Sistema Penitenciario, Gaceta Oficial nº 36.805.
10
Brewer-Carías, Asamblea Constituyente y proceso constituyente (1999), Colección Tratado de Derecho Constitucional, Tomo VI, Caracas, Editorial Jurídica Venezolana, 2013, p. 349-351.
11
Decreto sobre el régimen de transición del poder público. Gaceta n° 36.857.
12
Comisión Interamericana de Derechos Humanos, Comunicado de prensa, nº 23, 2002, p. 1.
13
Brewer-Carías, A., Cambio político y consolidación del Estado de derecho 1958-1998, Caracas, Editorial Jurídica Venezolana, 2015, p. 1017.
14
Brewer-Carías, A., Cambio político y consolidación del Estado de derecho 1958-1998, Caracas, Editorial Jurídica Venezolana, 2015, p. 1019-1020.
15
Asociación Venezolana de Derecho Tributario, La Corrupción en Venezuela, Caracas, Vadell hermanos editores, 1985, p. 217.
16
Décret sur le Régimen Transitorio del Poder Público, Gaceta Oficial nº 36.857 du 27 décembre 1999.
17
Duque R., “Estado de derecho y de justicia : Desviaciones y manipulaciones. El estado de cosas inconstitucional”, Provincia, nº especial, 2006, p. 344.
18
Ley Orgánica del Tribunal Supremo de Justicia, Gaceta Oficial nº 37.942 (2004).
19
Ley Orgánica del Tribunal Supremo de Justicia, Gaceta Oficial nº 39.522 (2010).
20
Ley de Reforma parcial del Código de ética del juez venezolano, Gaceta Oficial nº 39.493 (2010).
21
Brewer-Carias, A., “Sobre la ausencia de carrera judicial en Venezuela : Los jueces temporales y provisorios, y la irregular jurisdicción disciplinaria judicial”, Revista de Derecho Funcional, nº 12, 2016, p. 12.
22
Décret de la Convocatoria a una Asamblea Nacional Constituyente, Gaceta Oficial nº 6.295 Extraordinario (2017).
23
Sans publication connue dans le Journal officiel.
24
Lefort, C., La Complication. Retour sur le communisme, Paris, Fayard, 1999, p. 211-222.
25
C’est-à-dire à une institution, au sens des « usages et les modes, les préjugés et les superstitions que les constitutions politiques ou les organisations juridiques essentielles; car tous ces phénomènes sont de même nature et ne diffèrent qu'en degré. » Voir : Fauconnet P. et Mauss M., « Sociologie : objet et méthode », Grande Encyclopédie, vol. 30, Paris, Société anonyme de la Grande Encyclopédie, 1901, p. 11. Sur le site http://classiques.uqac.ca/
26
Lefort, C., Essais sur le politique, Paris, Points (édition numérique), 1986, p. 31.
27
Chollet, A., « Deux figures du pouvoir ? », Raison publique, n° 23, 2018, p. 87.
28
Cette affirmation doit être comprise en distinguant les différents pans de l’opposition à Hugo Chávez : il existait de nombreux autres acteurs politiques qui se distinguaient des partis politiques qui visaient traditionnellement le pouvoir (AD y COPEI) et de leurs sphères d’influence au sein des syndicats et du monde l’entreprise privée. Des groupes de citoyens sans but lucratif et d’orientations diverses (étudiants, groupes de droits humains et civils, associations de professionnels de la presse…) se sont également opposés à Hugo Chávez entre 1999 et 2006. Ces organisations n’ont pas de responsabilité dans la manière dont s’est établi l’ordre politique antérieur à 1999. En plus, au sein des dynamiques politiques nationales, certains conflits – dont l’issue est déterminante dans la configuration du système – sont centraux tandis que d’autres sont périphériques. Entre 1999 et 2006, les groupes qui luttaient pour la démocratie se trouvaient très certainement dans une position périphérique.
29
Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.