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Résister au récit
Il y a deux façons d’envisager les dimensions politiques des discours sur la préhistoire : en s’intéressant aux contenus idéologiques anachroniques inscrits sur ce plan originel, dont on occulte ainsi le caractère inconnaissable ; ou en considérant que l’exhaussement en préhistoire de cette dimension inconnaissable du passé résulte du désir d’inventer un autre régime discursif pour relier le présent au passé et pour transformer cette faille temporelle en action politique. Mais avant d’en venir à la distinction de ces deux approches, il faut dégager le terrain commun qui, dans tous les cas, en constitue la condition de possibilité.
La perception matérielle de la très longue durée, dans des traces et des objets, caractérise l’horizon « pré-historique ». Cette perception déjoue nos mesures du temps, leurs rythmes : elle est vécue sur le mode du vertige face à un abîme où c’est la possibilité même d’un récit, d’une histoire, qui se trouve en quelque sorte engloutie. De là résultent, dans l’ordre du discours, deux phénomènes persistants qui confèrent à l’élaboration de la notion sa dimension dialectique et engendrent des tensions, sinon des conflits, aussi bien dans le monde savant que dans les représentations communes de ce qui est – ou non – préhistorique.
D’une part, depuis presque deux siècles, la désorientation temporelle produite par l’ouverture de perspectives s’enfonçant dans les profondeurs du temps donne lieu à des stratégies de refoulement, dont les principales consistent à recourir aux procédés de l’anachronisme : on recouvre le vertige pré-historique par un récit pseudo-historique, s’appuyant sur des catégories conceptuelles et des séquences événementielles puisées dans le présent. Ces projections de représentations du présent sur le lointain passé vont de pair avec la réduction arbitraire du déroulement des phénomènes préhistoriques à des séquences chronologiques d’ampleur plus mesurée, plus maîtrisable. Ainsi entend-on domestiquer, re-familiariser le chaos des « abysses temporels »1, leur brouillage intrinsèque, leurs ténèbres. Pour atteindre le maximum d’efficacité, cet apprivoisement de l’immaîtrisable se donne en général des contenus politiques, variables selon l’évolution des représentations et des situations contemporaines. Narrativiser, c’est aussi politiser. Ce faisant, en effet, le gain est double : les positions idéologiques du moment se trouvent confortées, douées d’une force accrue d’inscription dans le réel, par leur naturalisation fantasmée dans le temps des origines ; et ce temps devient lui-même accessible, son obscurité s’éclaire artificieusement par la prétendue reconnaissance en lui de données familières.
Pourtant, d’autre part, la résistance structurelle de la préhistoire à l’histoire n’a jamais cessé. La coexistence dialectique de ce maintien et de son refoulement s’explique par le fait que ces profondeurs indistinctes ne se sont pas ouvertes d’elles-mêmes pour s’imposer à la culture moderne ; elles ont été désirées, élaborées, dès le départ, comme les instruments d’une sourde exigence de déconstruction anti-historiciste. Autrement dit : c’est en tant qu’expression d’un besoin collectif, plus ou moins conscient, de remise en cause de l’approche du réel en termes historiques que cet horizon obscur, la préhistoire, hante les sociétés modernes et stimule de nouveaux modes d’articulation du savoir, en quête d’une expérience de la présence, court-circuitant l’ordre du temps.
La question est alors la suivante : peut-on identifier dans cette exaltation et cette critique simultanées de l’historicité par la préhistoire une forme politique à part entière, un mode d’engagement dans le réel, un « embrayage » nouveau2, où se trouveraient dialectiquement articulées les médiations temporelles et l’immédiateté perceptive, ou, pour le dire autrement, les injonctions de la réflexivité historiciste et celles d’un recommencement révolutionnaire ?
État de crise
La notion moderne de préhistoire émerge progressivement à partir de la fin du XVIIIe siècle, en étroite corrélation avec les développements de la révolution industrielle. Cette corrélation est matérielle : c’est souvent à la faveur de grands travaux d’infrastructure (routes, canaux et chemins de fer, transformations et extensions urbaines) et d’exploitation du sol (industrie minière, labours profonds) que des découvertes paléontologiques et archéologiques majeures sont survenues, dégagées de couches stratigraphiques jusqu’alors inentamées. La corrélation s’inscrit également dans les représentations : les phénomènes de rupture et d’instabilité des cadres de vie et de pensée, emportés dans des processus de transformation accélérés par les évolutions techno-scientifiques, induisent le sentiment paradoxal d’un état de crise, où la crise n’est plus vécue comme un nœud ponctuel entre deux états stables mais comme une condition continue d’existence3.
La sensibilité avivée à l’historicité, donc à la relativité de toute signification, va alors de pair avec le besoin également plus intense d’un socle originaire, pour contrebalancer cette relativité. Dans ce cadre global, la préhistoire, en tant qu’ensemble de représentations alimentées par des témoins matériels de plus en plus nombreux, semble pouvoir réconcilier idéalement en elle historicité et originarité : étendant le règne du regard historique jusqu’aux ultimes confins du réel, elle promet de lester, en quelque sorte, donc de stabiliser l’errance du sens dans le courant d’un présent en incessant bouleversement – et la panique, au fond, que cela suscite.
La préhistoire comme thérapie : en ce point de fusion entre histoire et ontologie qui caractériserait les origines ainsi rêvées, le changement des significations dans le temps, leur mise en mouvement ininterrompue ne s’opposeraient plus, mais s’associeraient à la promesse d’une intangible structure fondatrice. Méphistophélès annonce à Faust quelque chose de cet ordre, dans le Second Faust de Goethe, lorsqu’il lui montre le chemin vers un milieu (plutôt qu’un socle) originaire, celui des « Mères » qu’anime un mouvement perpétuel. L’origine y est toujours déjà une transformation, et réciproquement : « Un trépied ardent, à la fin, t’annoncera / Que tu es parvenu au plus profond, au tréfonds. / A sa lueur, tu verras les Mères, / Les unes assises, les autres debout et marchant, / Suivant les cas. Formation, transformation, / Entretien éternel du sens éternel »4.
Le tout préhistorique
Considérés sous cet angle, les développements de l’histoire naturelle en direction du temps profond, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, forment une unité sémantique avec ceux de la paléoanthropologie et avec l’invention de la préhistoire stricto sensu, au milieu du XIXe siècle, centrée quant à elle sur les premières manifestations culturelles de l’humanité. Certes, c’est avec ce sens restreint au domaine de la culture que le mot même de préhistoire, comme l’a établi Claude Blanckaert, a progressivement émergé dans les langues européennes à partir des années 1830, mouvement couronné en 1865 par le Pre-historic Times de John Lubbock, ouvrage fondateur dont la diffusion a largement dépassé la seule sphère savante. Mais si la science de la « préhistoire », pour se structurer comme discipline aux côtés de l’archéologie, a ainsi tenu à se différencier du domaine des sciences naturelles, elle n’en partage pas moins avec celles-ci une commune origine : la volonté d’élucidation des « sombres abîmes du temps »5, pour reprendre à Buffon l’expression par laquelle celui-ci a entendu déplacer la pensée pascalienne de l’abîme (« je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau »), non seulement de l’espace au temps, mais surtout du champ des questionnements métaphysiques à celui des lumières de la science positive et de ses réponses rêvées exactes.
En son sens le plus large, par conséquent, allant de la quête géologique des débuts fossiles de la vie à l’archéologie des cultures humaines avant l’écriture, la préhistoire se donne tout entière comme, simultanément, un consentement nouveau à l’immersion de l’humanité moderne dans une temporalité sans fond et une détermination non moins nouvelle à domestiquer ce vertige par les moyens de la raison historique. Elle est en quelque sorte une science surplombante, comme le suggère l’un de ses pères, Gabriel de Mortillet, dans un autre livre fondateur, Le Préhistorique, en 1883 : « basée sur les données des diverses [autres] sciences », synthétisant tous leurs apports, elle peut se comprendre elle-même comme « l’histoire antérieure à tous les renseignements écrits, à toutes les traditions, l’histoire avant les documents historiques, en un mot, si l’on peut s’exprimer de la sorte, l’histoire préhistorique »6. Son disciple Emile Cartailhac est allé dans le même sens en 1889 dans La France préhistorique, lorsqu’il annonce son intention « d’esquisser les premières pages d’une histoire de France », dans la suite logique d’une histoire « géologique » et « paléontologique »7.
Ce rêve de faire de la préhistoire non seulement l’introduction thématique mais aussi le couronnement méthodologique d’une construction historique totalisante, n’a pas cessé avec l’ébranlement des certitudes scientistes nées au XIXe siècle ; aujourd’hui encore, il résiste aux tendances à la critique du positivisme et se maintient dans l’usage des termes de « paleostoria » en italien8, de paléohistoire, en français9, ou dans la notion anglo-saxonne de « deep history »10, qui, tous, suggèrent une extension du regard historique plutôt qu’un écart ou, moins encore, qu’un rejet par rapport à celui-ci. Autrement dit, le savoir de « l’histoire préhistorique » ou de la « paléohistoire » incarne à la fois l’apogée et le conservatoire d’une épistémologie historiciste qui, selon les mots de Renan en 1852, constitue « le trait caractéristique du XIXe siècle ». Par là se parachève un sacre de l’histoire qui a conduit à faire de cette dernière, plutôt que de la philosophie, la scientia scientiarum, la reine des sciences, ou encore, toujours selon Renan, la « forme nécessaire de la science de tout ce qui est soumis aux lois de la vie changeante et successive »11.
Nombres et récits
Rationnellement, la mise au jour de telles lois passe par le recours aux nombres, via une chronologie réduisant le temps à une échelle d’intervalles mathématiques ; c’est sur cette base que peut s’appliquer avec une exactitude positive le principe de causalité, établissant une relation de consécution circonstanciée entre tel événement, ou telle situation, et tels autres, en fonction de l’ordre de succession entre eux. Affectivement, s’y ajoute la nécessité du récit, condition de toute historicisation réussie, c’est-à-dire intériorisée par la conscience individuelle dans son rapport au réel, aux termes d’une sorte de contrat narratif, selon Hayden White, passé entre producteurs et récepteurs du discours historique : « On ne peut pas historiciser sans narrativiser, car ce n’est que par la narrativisation qu’une série d’événements peut être transformée en une séquence, divisée en périodes et représentée comme un processus par lequel on peut dire que la substance des choses change tandis que leur identité se maintient »12.
Périodes, séquences… : la superposition de la mise en chiffres et de la mise en récit (autrement dit, l’union de la preuve et de la narration), si l’on parvient à y soumettre le temps profond, doit permettre de proclamer vraiment l’empire définitif de l’histoire, tout en conjurant la menace d’un relativisme généralisé. Buffon l’avait déjà espéré, lorsqu’il annonçait que l’histoire naturelle allait « embrasse[r] également tous les espaces, tous les temps » par le recours à un « seul moyen », celui « de diviser en plusieurs parties ces longues périodes de temps »13.
Pourtant, c’est aussi ce que la matière préhistorique et l’idée du temps qu’elle suscite rendaient et rendent toujours impossible. En préhistoire, historicité et originarité ne parviennent jamais à une synthèse ; si elles sont liées entre elles, c’est par une relation dialectique de tension sans résolution, détissant indéfiniment le tissu rationnel d’un grand récit totalisant du réel, dont elle a elle-même fait naître la promesse. Et pourquoi ?
Sémantique et syntaxe
De ce récit, pour commencer, les contenus s’effritent, quand ils ne manquent pas purement et simplement, au fur et à mesure de leur éloignement dans le temps. Seuls quelques matériaux subsistent – le minéral plutôt que l’organique – ; si l’usage instrumental des artefacts dégagés du sol peut être encore imaginé, leurs résonances symboliques échappent ; et les découvertes dans leur ensemble, aussi nombreuses et cumulatives soient-elles, demeurent marquées au sceau de l’aléatoire.
À l’apogée du processus qui consacre l’histoire comme reine des sciences sociales et, dans une certaine mesure, des sciences naturelles, cette faille a été clairement sentie par certains historiens. C’est le cas de Charles Seignobos, étudié par Nathalie Richard14, dans le débat qui l’oppose en 1907 à une approche historico-sociologique inspirée de Durckheim. Il en tire une pensée de l’événement comme unité élémentaire du savoir historique : « En rapprochant les faits successifs », écrit-il, « on aboutit à un événement » 15 ; ces événements, forcément « localisés dans le temps et dans l’espace », forment la trame de l’histoire, laquelle a pour essence d’établir entre eux des liens de causalité à partir de « l’influence des impulsions, des motifs, des représentations »16. Or, précisément, la préhistoire demeure étrangère à un tel savoir. L’extrême éloignement dans le temps et le caractère ininterprétable des signes font qu’à ce stade, la résistance habituelle de tout corpus archéologique à la lisibilité se trouve en quelque sorte radicalisée et place l’historien dans l’impossibilité de « reconstituer les événements préhistoriques ». Le silence contextuel empêche la constitution historique d’« événements » ; il ne laisse subsister que des objets sans histoire : « Nous possédons des objets préhistoriques », écrit Seignobos, « par centaines de milliers ; mais comme nous n’avons pas de renseignements sur les motifs des hommes préhistoriques, nous n’arrivons même pas à savoir à quoi ont servi ces objets. »17 Du côté des préhistoriens, il en est très tôt allé de même : les blocages auxquels se heurtait évidemment l’application de la méthode historique les ont conduits à regarder avec insistance du côté de l’anthropologie – ou de la « palethnologie », comme le propose Gabriel de Mortillet en 186518. En dépit de ses propres inclinations contraires en faveur d’une historicisation radicale, il révélait par là un mouvement premier – destiné à se pérenniser – de remise en cause de l’hégémonie épistémologique de l’histoire, dont la phrase de deux autres pionniers de l’archéologie préhistorique, Edouard Lartet et Henry Christy, à propos des artefacts paléolithiques d’Aquitaine, pourrait constituer la devise, en 1875 : « History cannot be asked for the explanation of prehistorical facts. »19
Rares et de sens incertain, les témoins matériels balbutient, ils ne parlent pas. Tel est le sort de la sémantique préhistorique, fondamentalement intermittente, irrémédiablement conjecturale et, en quelque sorte, interdite d’historicité – celle de ce « passé qui passe les souvenirs » dont Tony Bennett a emprunté l’évocation à Joseph Conrad, cette « nuit des premiers âges, de ces âges qui ont passé en laissant à peine une trace [a sign]…, et pas de souvenir »20.
Tel, aussi, le sort de sa syntaxe : car à supposer que la science positive, confiante en ses progrès techniques et herméneutiques, se persuade de la possibilité de consolider à l’avenir les fragiles indices qu’elle rassemble, encore faudrait-il pouvoir les agencer en récit. Or, sur ce plan, c’est la syntaxe qui fait défaut : le lien narratif s’épuise dans la durée, laquelle finit par remettre radicalement en cause la cohésion et, en quelque sorte, la granularité événementielle de tout récit. De l’égrènement des événements qui forment la trame d’une histoire, l’extension sur un temps indéfini annule la perception, à la façon dont des unités visuelles, les détails d’une image se fondent en un continuum indistinct au fur et à mesure qu’on s’en éloigne dans l’espace. Un effet direct de la très longue durée, autrement dit, c’est la perte de l’événementialité du récit, comme l’avait déjà pressenti Nietzsche en 1874, sans forcément donner son sens archéologique actuel à la notion de préhistoire, mais en se fiant plutôt à la logique interne du mot : « Les époques préhistoriques sont définies par la tradition : durant d’immenses espaces de temps, il ne se passe rien. »21Cette temporalité asyntaxique produit une coupure entre numérisation et narrativisation du temps. La science préhistorique a beau proposer des articulations chronologiques plus ou moins précises, la quantification du temps ne s’incarne pas en une expérience qualitative susceptible de donner vie à un récit. Le savoir qui en résulte, autrement dit, est un savoir scindé, décharné : comme un squelette dépouillé de sa chair vivante, la chaîne logique des époques cesse de s’animer ; sans résonances sensibles, les différences de dates sombrent dans l’indifférence : comme l’écrit Krzysztof Pomian, « entre les milliers et les millions de siècles, la différence semble insignifiante »22.
Le champ des mirages
En quoi ce socle épistémologique paradoxal a-t-il encouragé et orienté le déploiement de représentations politiques, avec les engagements qui en résultent, reliés au présent ? Comme indiqué au début de ces réflexions, deux voies se présentent.
L’instrumentalisation politique des pensées de la préhistoire procède d’abord de l’extrême pauvreté sémantique des données fournies par l’archéologie. Un désert : champ ouvert à tous les mirages. A l’indistinction des témoins remontés de nos origines, fragmentaires et mal interprétables, mutiques ou presque, asyntaxiques, répond l’imposition par le dehors de représentations et d’attentes puisées dans le présent. On fait parler les morts d’autant plus facilement que ces derniers, si peu nombreux et si peu explicites, incitent à trouver des substituts à leur absence. La grande rumeur du présent investit, recouvre, irrigue ce désert du temps profond, que les quelques fantômes qui le parcourent ne défendent qu’à peine contre l’invasion.
Rien de très original, a priori, dans un mouvement de ce genre, qui renvoie plus généralement à l’anachronisme, vieux démon de l’histoire et de l’archéologie, leur double obscur. Sauf qu’il se trouve ici poussé à son paroxysme, si faibles sont les démentis factuels aux projections du présent sur le passé, et si séduisantes, en revanche, les perspectives de doter ainsi telle ou telle conviction idéologique, non seulement d’une ancienneté plus ou moins grande dans l’histoire mais, plus essentiellement, d’une originarité pré-historique : en la projetant sur le plan des origines, en la douant d’une indiscutable légitimité ontologique, on se promet d’étayer, sans contestation possible, sa capacité à justifier un engagement politique concret dans le présent.
Nationalismes
L’exemple le plus caricatural est celui de l’exacerbation des nationalismes propres à l’Europe de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Tel est le cas entre la France et l’Allemagne. En dépit des découvertes retentissantes de sépultures néandertaliennes dans le sud-ouest de la France, comme celle de la Chapelle-aux-Saints, en Corrèze, par les frères Bouyssonie en 1909, la dénomination de « Neandertal » (à partir du premier site de découverte de « l’homme de Neandertal », près de Düsseldorf, en 1856) a facilité l’association entre la prétendue brutalité de ces très anciens humains et l’imaginaire d’une essence germanique de la violence, par opposition au raffinement artistique de l’homme dit de « Cro-Magnon » [fig. 1], baptisé pour sa part du nom d’un lieu-dit périgourdin, aux Eyzies-de-Tayac, en 1868. Avant même cette découverte, du reste, en 1867, à l’occasion de l’Exposition universelle à Paris, Gabriel de Mortillet avait déjà vu dans les premiers témoignages artistiques de l’humanité « un produit exclusivement français, qui n’a pas encore été rencontré ailleurs »23, compte tenu du fait que les trouvailles s’étaient jusqu’à présent surtout concentrées dans le sud-ouest et le centre de la France.
Fig.1. « Reconstitution d'hommes de Cro-Magnon », photographie tirée de Exposition Universelle de 1889, Histoire du travail et des sciences anthropologiques. Section 1 Anthropologie – Ethnographie – Archéologie, 1889, épreuve sur papier, 35,5 x 25 cm (la feuille), Saint-Germain-en-Laye, Musée d’archéologie nationale.
Pareillement, pour rendre compte de la fin du grand art animalier paléolithique, la projection en préhistoire du conflit entre monde germanique et monde latin se retrouve en 1921 sous la plume de l’archéologue Jacques de Morgan : marquée au sceau de la Grande Guerre, son interprétation le conduit à attribuer l’art magdalénien à un « peuple supérieurement doué » et le « désastre » de sa disparition « à une invasion de nos pays » par de nouveaux venus qui « n’étaient pas aptes à recevoir le progrès artistique » – d’où découle une conclusion qui inverse le cours du temps pour éclairer la préhistoire à la lumière de l’histoire : « N’en a-t-il pas été d’ailleurs de même quand les tribus germaniques se sont précipitées sur l’empire romain ? Si, à cette époque, les arts n’ont pas entièrement disparu, c’est que la grande majorité de la population, nombreuse alors, est demeurée d’esprit gréco-latin »24. Vingt ans plus tard, en septembre 1940, lorsque la grotte de Lascaux a été découverte et que le plus célèbre préhistorien de son temps, l’abbé Henri Breuil, a aussitôt contresigné sa qualification médiatique de « Versailles de l’art préhistorique »25, le même processus propagandiste s’est trouvé implicitement à l’œuvre, compensant le traumatisme de la défaite militaire face à l’Allemagne nazie par la célébration d’une excellence esthétique immémoriale en terre française.
On pourrait égrener à l’infini les exemples de ces instrumentalisations conscientes ou inconscientes de la narration préhistorique à des fins idéologiques. Au Royaume-Uni, en 1936, une des grandes figures de l’archéologie britannique pré-romaine, Mortimer Wheeler, a qualifié de « Führer préhistorique » et « mégalomane » le maître supposé, à l’âge du Fer, du site de Maiden Castle [fig. 2], dont Wheeler dirigeait la fouille hautement médiatique dans le Dorset26. Au même moment, symétriquement, les musées de Berlin produisaient un film de propagande, étudié par Bénédicte Savoy27, qui faisait l’apologie du lien originaire entre progrès technique et puissance guerrière, sous le titre : « Du biface à la grenade à main ».
Fig. 2. Paul Nash, The Last Defenders of Maiden Castle, 1935, épreuve gélatino-argentique, Londres, Tate Archives.
Plus généralement, Adam Stout a montré que la « naturalisation de la guerre » constitua une des idées directrices de la science préhistorique au Royaume-Uni jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale et qu’elle pouvait du reste toujours, le cas échéant, être mobilisée à nouveau dans le monde académique occidental, puisqu’en avril 2003, la respectable revue américaine Archaeology a fait paraître un numéro spécial intitulé « Préhistoire de la guerre », où l’on pouvait lire entre autres que « les humains se sont entr’égorgés depuis l’aube de l’espèce »28 – inévitable fatalité qui venait à point nommé justifier la guerre exactement concomitante des Etats-Unis en Irak. Situer la pulsion guerrière au point de naissance des cultures humaines, c’était implicitement légitimer le fait d’y recourir dans le présent, pour assurer à la fois sa propre prospérité et l’empire du bien.
Cela dit, si la contamination de la pensée du préhistorique par des intentions politiques est une constante, les variations, voire les contradictions internes qui affectent ces projections anachroniques épousent celles de la modernité elle-même. À titre d’exemple, les travaux d’Adam Stout ont mis en lumière la complexité des investissements idéologiques qu’a suscités l’archéologie préhistorique en Angleterre dans l’entre-deux-guerres. Outre la naturalisation de la guerre, justifiant entre autres l’impérialisme colonial, le recentrement britannique de la qualification de « préhistorique » sur le Néolithique et l’Âge du Bronze (au détriment du Paléolithique qui demeurait une spécialité franco-espagnole) a servi dans ce pays la célébration d’une fabrique autonome de la nation, ne devant rien d’essentiellement fondateur à la latinité. Ce qui n’empêche pas, dans ce cadre, que le goût du « celtic revival » pour un sacré immémorial, d’essence majoritairement populaire, se soit opposé à une archéologie institutionnelle qui privilégiait au contraire une interprétation linéaire de la marche du progrès, conduisant de l’obscurantisme fanatique et brutal des premiers temps vers les lumières de la civilisation – technique par essence, rationnelle, pacifiée et sécularisée29. Ainsi modernisme et anti-modernisme s’entrelaçaient-ils, sur fond de fractures sociales.
Progressisme
À partir de là, si l’on tente une synthèse, trois attitudes principales se dégagent, progressiste, cynique et nostalgique, qui se mêlent en se contredisant, dans les discours de la modernité sur la préhistoire.
Dès son moment d’émergence, l’idée de préhistoire a été construite comme un puissant contrefort à l’appui de l’idéologie progressiste. C’est la motivation implicite de la division entre Paléo- et Néolithique, proposée en 1865 par John Lubbock, qui associe à une progression dans le temps un progrès dans la maîtrise des outils, du silex taillé au granit poli, et fait de cette maîtrise technique le critère déterminant de distinction entre les périodes de développement de l’humanité. Les armes en font partie, ces « beautiful weapons »30 qui suscitent l’admiration du savant anglais et ouvrent la voie au progrès technique, c’est-à-dire, en somme, au bout du processus, au complexe militaro-industriel dont on a vu que l’Allemagne nazie, en 1936, reprenait à son compte la célébration préhistorique et moderne.
L’évolution culturelle de l’humanité, le sens de son « aventure » s’identifiaient ainsi strictement à une efficacité croissante dans l’exploitation de son environnement et dans l’exercice de sa puissance matérielle. Cet optimisme historique de très long terme, intégrant à sa vision l’exercice de la violence sur le monde et sur autrui, permettait aussi de naturaliser les fiertés nationales et l’impérialisme mondial des grandes nations industrielles : affirmer la naturalité préhistorique du progrès technique et sa centralité pour la définition même de l’humain, c’était identiquement alimenter le nationalisme de ceux qui s’estimaient les maîtres de cette culture technique à son stade le plus développé.
C’était aussi, comme l’a proposé Tony Bennett31, instrumentaliser à des fins politiques la nouvelle conception de la personne humaine en tant que système stratifié de couches archéologiques, réunissant en elle, et à son insu, les innombrables étapes de l’histoire de la vie. D’une part, cette conception de la personne en tant que processus continu d’accumulation de compétences était réservée aux hommes « civilisés », tandis que ce processus était considéré comme interrompu, fossilisé, chez les « sauvages », ce qui justifiait leur éradication et la conservation de leurs restes dans des musées. D’autre part, l’idée même d’un processus cumulatif d’apprentissage, en relation dialectique avec un fond atavique de violence égoïste, appelait au contrôle des individus modernes, afin de stimuler et, surtout, d’orienter leur évolution de civilisés contre leurs immémoriaux instincts de base – ce qui, cette fois, justifiait le passage d’un libéralisme du strict laissez-faire à un gouvernement des corps et des consciences, notamment à l’adresse des classes laborieuses.
Pessimisme
Toutefois, le progressisme techno-scientifique a toujours coexisté, on le sait, avec un pessimisme naturaliste qui voyait – et continue de voir – dans la violence et dans la guerre de tous contre tous un principe vital aussi désespérant qu’indépassable, plutôt qu’un moyen paradoxal de développement de la civilisation. Dans sa version fataliste ou cynique, ce pessimisme a pris la forme d’un darwinisme social rudimentaire, dont d’innombrables représentations de la préhistoire humaine sont les reflets, situant la violence à la racine même des comportements humains [fig. 3], avec ou sans connotations sexuelles pour renforcer la naturalisation de la guerre et en érotiser sombrement la perpétration. « Les batailles et la guerre sont nées sans doute avec l’humanité même », écrit Louis Figuier, vulgarisateur à succès de la jeune science préhistorique, en 187032.
Fig. 3. Paul Jamin, Le Rapt à l’Âge de pierre, 1888, huile sur toile, 282 x 200 cm, Reims, Musée des beaux-arts.
Ces fantasmes avaient une fonction politique directe : par leur faculté d’excitation émotionnelle, ils permettaient d’occulter – à défaut de la surmonter – la contradiction théorique entre le progressisme issu de la pensée technique et le fatalisme issu des lois de l’histoire naturelle. Ils sous-tendaient affectivement la fuite en avant dans l’action impérialiste concrète, conjurant, pour les nations dites modernes, l’angoisse de leur propre extinction par la mise en œuvre de l’extermination des autres.
Il faut néanmoins préciser que cette inscription en préhistoire d’une anthropologie naturaliste de la violence n’était pas universellement partagée. Dans une optique marxiste, notamment, a plutôt prévalu l’affirmation du caractère intrinsèquement politique – et donc non naturel – de la violence humaine : c’est ainsi que le philosophe allemand Max Raphael, réfugié en France à partir de 1932 puis aux États-Unis, a pour sa part désigné les cultures paléolithiques comme des phénomènes de part en part historiques (et non « préhistoriques »), du fait même qu’il croyait pouvoir déceler dans l’iconographie des grottes ornées, notamment à Altamira, les signes d’une « lutte socio-politique »33. À cet état de violence sociale, intra- et intercommunautaire, rien ne permettait d’attribuer une essence autre que politique, résultat de conditions socio-économiques et spirituelles spécifiques, dont la responsabilité, et donc la transformation incombaient intégralement aux sociétés humaines concernées. Ce faisant, ce n’était pas seulement l’originarité de la violence qui était récusée ; c’était, plus fondamentalement, le lien entre discours sur les cultures dites préhistoriques et discours sur les origines.
Dans les années 1980, des tendances marxistes au sein de ce qu’on a nommé le post-processualisme en préhistoire ont également conduit à éclairer les phénomènes de pouvoir dans les cultures préhistoriques à partir des sciences sociales du présent, et pas des lois naturelles. Ce n’était pas l’environnement qui déterminait l’organisation sociale, en fonction de processus récurrents, mais c’étaient uniquement des choix collectifs spécifiques, dont le décryptage, qui plus est, était fonction de l’univers de pensée et des valeurs politiques de l’archéologue interprète34.
Irénisme
Par ailleurs, la vision irénique – et donc aussi nostalgique, plus ou moins explicitement – d’une préhistoire pacifique a concurrencé celle d’une violence première, et ce dès le XIXe siècle. Quand bien même on la considérait comme une avancée de la civilisation et non comme un état naturel, la paix des mœurs y a été rêvée à la façon d’un âge d’or révolu, servant du reste à l’occasion des considérations racistes, comme lorsqu’Henri du Cleuziou, en 1887, oppose la « glorification de la tuerie, du vol, de l’incendie, du pillage » dans « toute l’histoire biblique » (entendez sémitique), et les « habitudes pacifiques » des « hommes de l’époque néolithique », ces « Aryas de la pierre polie », au bord des lacs suisses35.
Mais c’est surtout à propos du Paléolithique qu’a pu se développer l’utopie nostalgique d’un temps heureux des origines. La révélation des premières manifestations artistiques, de ce point de vue, a constitué une pierre d’achoppement majeure dans l’image globale d’une humanité entrainée inexorablement vers le meilleur. Leurs raffinements figuratifs [fig. 4], contrastant avec le schématisme rudimentaire des premières images néolithiques, suggéraient en effet un renversement de l’ordre du progrès. C’est le point de vue des tout premiers analystes de ces productions figuratives paléolithiques, Edouard Lartet et Henry Christy, qui les attribuent en 1864 aux « loisirs d’une vie facile », aisément alimentée par les ressources profuses de la chasse et de la pêche, et qui en concluent que « le progrès et la perfection dans les arts ne se manifestent pas toujours en conformité des gradations chronologiques »36. Ainsi surgit d’emblée l’image obsédante d’une humanité originelle « éminemment artiste », où « l’enfance de l’art était loin d’être de l’art d’enfant »37.
Fig. 4. Os gravé figurant deux biches et deux poissons, Magdalénien, vers – 15 000 ans, os de renne gravé, dim. : 13,2 x 3,8 x 2,1 cm, Saint-Germain-en-Laye, Musée d’archéologie nationale (découvert à Savigné, Vienne, grotte du Puits, grottes du Chaffaud, par André Brouillet et Charles Joly Leterme, 1834-1843 ; don au Musée de Cluny, Paris, 1853 ; Musée d’archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye, 1887). « Ce n'est qu'en 1869, au congrès de Copenhague, que Worsaae appela l'attention des savants sur cet objet, dont il avait reçu en 1853 un croquis de Mérimée » (Salomon Reinach, Antiquités nationales. Description raisonnée du Musée de Saint-Germain-en-Laye. I. Epoque des alluvions et des cavernes, Paris, Firmin-Didot, 1889, p. 178).
Cette expression célèbre de Gabriel de Mortillet, préhistorien pourtant acquis à la cause du progrès républicain dans la France de la fin du XIXe siècle, montre comment le positivisme le plus militant pouvait receler une forme de fascination pour l’hypothèse de premiers hommes non seulement « plus artistes qu’industriels » mais également, selon ce savant farouchement anticlérical, dépourvus de tout « sens mystique ou religieux »38 : un temps d’harmonie, en somme, qui, tout en servant l’appel politique à un remplacement de l’aliénation religieuse par la liberté créatrice, situait ce bonheur collectif dans un passé immémorial plutôt que dans un futur proche. Au même moment, un même esprit anime le jeune Emile Combes, préhistorien un peu plus qu’amateur avant de devenir l’homme politique laïc et républicain que l’on connaît. En l’occurrence, ce n’est même pas l’art, mais ce sont les outils et les ossements qui, plus globalement, l’inspirent, au cours de fouilles dans sa circonscription de Pons, en Charente-Maritime. Ses trouvailles le mènent à la conclusion que « cette population […] semble ignorer la guerre », que « l’abondance des ressources » a permis à cette jeune humanité de « tourner ses goûts vers les arts de la paix et consacrer ses loisirs à les cultiver », bref, qu’« aucune nation ne s’est plus rapprochée de l’âge d’or chanté par les poètes »39.
Par parenthèse, on peut remarquer que l’hypothèse d’un art magique ou chamanique, donc d’essence religieuse, contraire à la théorie de l’art pour l’art défendue par Mortillet, a alimenté en revanche une forme plus nette de progressisme dans l’évolution des formes de la conscience religieuse. Triomphant finalement avec l’authentification de l’art pariétal des grottes ornées paléolithiques, au tout début du XXe siècle, cette vision spiritualiste, en affirmant l’identité de principe entre la culture et le sacré, a postulé que la magie de la chasse, en particulier, signalait un stade primitif du religieux, une « religion très grossière », selon l’expression de Salomon Reinach, orientée par la nécessité de s’assurer les faveurs de forces surnaturelles mais non encore divines, pour « la conquête de la nourriture quotidienne », dans un environnement que, par conséquent, le savant imaginait menaçant et précaire, tout à l’opposé d’un âge d’or40.
Dans ce contexte, l’utopie d’un temps d’harmonie paléolithique, sans dieux ni maîtres, où régnaient les activités créatrices, a également irrigué la pensée anarchiste anti-darwinienne, comme la philosophie de « l’entraide » originelle chez Kropotkine41. On en retrouve la marque chez Elie Faure, dont l’Histoire de l’art s’ouvre en 1909 par un chapitre sur l’art pariétal paléolithique nouvellement authentifié et qui en tire argument pour prouver que « l’histoire des arts ne doit pas être comprise sur le modèle du progrès » mais s’explique par un facteur supra-historique, « l’amour ou la solidarité universelle », comme l’a montré Audrey Rieber42. Le fait que les mondes préhistoriques se soient trouvés associés à des visions aussi radicalement opposées, en France, au tournant du XIXe et du XXe siècle, suffit à indiquer combien les fractures politiques contemporaines déterminaient ces conceptions et les mobilisaient à leurs propres fins.
Variations diachroniques
Vision progressiste, cynique ou nostalgique ; essentialisation de telle ou telle qualité nationale ou de son opposé, du progrès technique en tant que tel ou de la création artistique, de la violence guerrière ou de la paix originelle, de la conscience religieuse ou de la joie de vivre immanente : il s’agit moins là d’un éventail d’anachronismes politiques détachés les uns des autres, et déterminés fortuitement par tel ou tel débat d’actualité, que d’un reflet global des fractures de la modernité, structurellement écartelée entre idéologie du progrès, fatalisme matérialiste et nostalgie du sacré. En conséquence, les représentations de la préhistoire qui en sont issues ont fait et font toujours prévaloir tantôt un substrat de violence aveugle affectant les espèces humaines, en particulier celle de l’Homo sapiens, dans leur devenir contingent, tantôt les étapes successives d’une émancipation par les lumières de la raison scientifique et technique, tantôt enfin des aptitudes innées à la spiritualité, par l’art et par le sacré.
Il serait aisé de poursuivre en faisant porter l’accent sur les variations diachroniques de ces représentations, enrôlées notamment dans l’ébranlement de plus en plus accentué du culte du progrès techno-scientifique après la Seconde Guerre mondiale.
Dans les années 1970, la sensibilité anarcho-utopiste a ressurgi dans certains travaux américains d’anthropologie culturelle du Paléolithique, par exemple lorsque Marshall Sahlins décrit les sociétés anciennes de chasseurs cueilleurs comme les produits d’un « âge d’abondance »43où la disponibilité d’importantes ressources vivrières animales, pour des groupes humains de petite ampleur, rendait la compétition improbable, de même que la hiérarchie des pouvoirs à l’intérieur des groupes. Parallèlement, on a pu idéaliser, plus loin encore dans le temps, l’harmonie de petites sociétés néandertaliennes, ces « first flower people » selon l’expression de Ralph Solecki en 197144, déposant leurs morts sur des lits de fleurs – une tendance qui, au-delà des débats archéologiques stricto sensu, colore la sympathie anti-humaniste avec laquelle l’opinion considère en général aujourd’hui nos immédiats prédécesseurs dans l’ordre biologique, par opposition à l’avidité conquérante postérieure d’Homo sapiens45.
De nos jours, dans le cadre d’un état de crise structurel propre à la modernité, les tensions spécifiques au début du Troisième millénaire confèrent à la valorisation majoritaire – quoique non systématique – des cultures des chasseurs cueilleurs paléolithiques, supposément pacifiques, artistes et en harmonie sereine avec leur environnement46, une coloration inédite.
Le Néolithique en procès
Par contraste avec la fascination pour cette différence paléolithique, la perception du Néolithique comme commencement de la violence historique, sous-tendue par l’appropriation et l’exploitation systématiques du monde, s’est propagée de plus en plus nettement à la fin du XXe siècle et revêt aujourd’hui les caractères d’un lieu commun, où l’opinion publique rejoint celle de nombre de savants et de vulgarisateurs.
Ce n’était pas le cas à la fin du XIXe siècle, lorsque l’idée de révolution néolithique a pris forme, notamment chez Gabriel de Mortillet47, ni encore dans l’entre-deux-guerres, lorsque cette même idée a été popularisée par l’archéologue et activiste politique australien Vere Gordon Childe, installé au Royaume-Uni : dans ses œuvres, à partir des années 192048, la « révolution néolithique » [fig. 5] constitue le rouage principal d’une dialectique historique de tendance marxiste, rouage qui repose certes sur des mécanismes de violence sociale mais qui conduit globalement l’humanité à prendre en main son propre destin, à « se faire elle-même »49, selon l’expression de Childe, en créant les conditions de son expansion démographique et de la conquête progressive de sa liberté. Or, tout à l’opposé, l’idée s’impose désormais d’une continuité entre l’arraisonnement technique du monde, du Néolithique jusqu’à l’âge de l’industrie, et l’aliénation sociale par la violence politico-économique (donc par la guerre et par le travail salarié) : le sentiment d’une unité conceptuelle et comportementale se renforce, associant l’exploitation des ressources naturelles, de l’agriculture à l’industrie, l’invention de la richesse matérielle, la répartition inégalitaire du pouvoir et, in fine, l’exploitation de l’homme par l’homme – et ce en dépit de la récente et radicale critique, par David Graeber et David Wengrow50, de ce schématisme des sources néolithiques de la violence, au profit de l’hypothèse d’un libre-arbitre perpétuellement en devenir des sociétés humaines, dans leurs choix fondamentaux d’organisation politique et sociale.
Fig. 5. Vere Gordon Childe, Man Makes Himself , Londres, 1936. « The neolithic revolution, just described, was the climax of a long process. It has to be presented as a single event because archaeology can only recognize the result; the several steps leading up thereto are beyond the range of direct observation. »
Pourtant, malgré tout, se précise obstinément une mise en récit négative de la révolution – ou de la pliure – néolithique, en tant que configuration plurimillénaire du monde dont la modernité serait l’héritière tragiquement malheureuse. Le moteur, dans les représentations collectives, d’un tel renversement des perspectives entre Paléolithique et Néolithique, sociétés de chasseurs-cueilleurs et sociétés d’agriculteurs-pasteurs, réside évidemment dans l’angoisse propre à la conscience avivée de l’insoutenabilité écologique des conditions présentes de nos vies, plus que dans la critique des phénomènes de pouvoir et d’inégalités sociales. Les tensions politiques dominantes du présent, autrement dit, déterminent une fois de plus de façon décisive la compréhension de notre passé profond, et instituent la pensée critique de la préhistoire néolithique en moteur d’action pour fonder non pas un nouveau système politique mais, plus radicalement, une nouvelle forme de vie, articulée à l’anthropologie plutôt qu’à l’histoire.
Dès les années 1970, cette aspiration écologique à une fin du Néolithique a résonné de façon prémonitoire dans certaines démarches artistiques, qui ont conduit la critique d’art Lucy R. Lippard, dans un livre pionnier sur ces « superpositions » temporelles, en 1983, à désigner explicitement comme une « politique de la préhistoire » la « pleine conscience », par exemple, qu’avait, selon elle, l’artiste américain Robert Smithson de sa « responsabilité politique en tant qu’artiste », à l’égard du « sort de la terre »51. Si, de fait, les « earthworks » de Smithson, comme sa monumentale « jetée en spirale » sur une rive déserte du Grand Lac Salé en 1970 [fig. 6], miment des monuments mégalithiques, c’est pour les retourner contre eux-mêmes, pour en faire des monuments à la gloire mélancolique de la fin des monuments et au retour à l’indifférencié de la nature, jusqu’à un stade final d’« entropie »52 placé sous l’empire de l’idée que « notre futur tend à être préhistorique »53 (l’idée, autrement dit, que l’ère industrielle, pointe ultime de l’exploitation néolithique, dont les monuments mégalithiques auraient figuré une première apothéose symbolique, achève de déposséder l’humanité d’elle-même, par le biais des dispositifs techniques, et produit finalement un état d’inhumanité symétrique de celui de la Terre avant les hommes).
Fig. 6. Robert Smithson, Spiral Jetty, Utah, Grand Lac salé, avril 1970, l. 460 m, terre et rochers (6 500 tonnes), coll. Dia Art Foundation, New York. Photo: Simon Leung.
Depuis un demi-siècle au moins, par conséquent, vision critique du Néolithique et mise en œuvre mentale – à la fois intellectuellement et émotionnellement – de sa fin marchent d’un même pas. Instituer en objet de pensée, puis critiquer cet ordre du monde, c’est déjà s’en extraire, le considérer non plus comme un élément intérieur donné a priori mais comme une configuration circonstancielle, une pliure précise de l’histoire dont soudain se révèle la contingence. Fût-elle aujourd’hui engagée dans un emballement moderne si violent qu’il dût inévitablement mener à la catastrophe plutôt qu’à la révolution, cette configuration néolithique fait figure de concept directeur, de grille de lecture de la modernité qui inclut désormais dans sa mise en forme non seulement sa contingence mais l’exigence de son renversement. Car le catastrophisme propre à la vision d’un tournant néolithique prétendument fatal à l’espèce Sapiens54 n’en manifeste pas moins la distance instaurée à l’égard de formes de vie dont la nécessité a globalement cessé d’apparaître comme une évidence : dès lors, se trouve formulée la possibilité d’une fin, que celle-ci consiste en un effondrement entropique ultime ou en une réinvention sociale sur des fondements opposés à cette « révolution » inaugurale.
A contrario, la déconnexion opérée par David Graeber et David Wengrow55 entre les phénomènes d’aliénation politique et une supposée révolution agricole, ainsi que la remise en cause, par les deux auteurs, de l’idée même de révolution néolithique globale conduisent à restaurer la primauté du politique sur l’anthropologique : quels que soient les types de rapport au monde – productiviste ou glaneur, sédentaire ou nomade, urbain ou disséminé, etc. – sur lesquels s’établissent les sociétés, les phénomènes de pouvoir résultent selon eux de choix collectifs qui peuvent conduire à une infinité de formes possibles d’aliénation ou d’égalité. Il n’y a donc pas à proprement parler de pli néolithique entraînant nécessairement l’humanité à sa propre disparition – ou à la régression vers un hypothétique âge d’or pré-néolithique. Autre fin du Néolithique, par le fait que sa déconstruction en tant que grille de lecture de la réalité première des sociétés humaines est inséparable d’une injonction politique à agir dans le présent ; inséparable, par conséquent, de la mise en œuvre concrète de son renversement.
De l’indistinct à l’indéterminé
Mais doit-on s’en tenir là – c’est-à-dire à l’intégration des horizons indistincts de la préhistoire au sein de stratégies narratives délibérément anachroniques, résultant des angoisses écologiques et des exigences politiques du présent ? Ce serait supposer que ces horizons préhistoriques eux-mêmes, ces perspectives ouvertes sur des temps immémoriaux constituent un donné indépendant de nos propres désirs, fortuitement surgi du sol et en quelque sorte conjuré, ou domestiqué par son instrumentalisation, au sein de narrations politiques d’actualité. Mais l’indistinction dénarrativisée du temps préhistorique n’est pas un donné brut ; c’est au contraire une construction qui, contredite et refoulée par les procédures narratives historicisantes, n’en préexiste pas moins à ces procédures mêmes. Elle est, en un mot, primordialement, un symptôme de la « crise de l’historicisme », avant de s’offrir comme la scène d’accomplissement de ce dernier. Cette indistinction désirée peut bien être déguisée, voire occultée par les habits de l’historicisation, elle demeure obscurément à l’œuvre. En son cœur, originellement, s’exprime le besoin d’ériger la longue durée en puissance de désagrégation de l’ordre du récit historique, au profit d’une poétique de la présence : présence de l’inconnaissable comme tel, non sur un mode métaphysique, mais dans l’épaisseur physique des traces56, dans l’évidence matérielle des gestes et des mouvements de la vie naturelle et humaine, présence immédiate capable de fracturer les articulations chronologiques des dimensions du temps et de provoquer une syncope dans le processus de leur sémantisation, comme lorsqu’un sol se dérobe sous les pas de qui perd connaissance.
Depuis le XXe siècle, de grandes voix de la philosophie, de la littérature et des arts se sont faits les porte-parole privilégiés, on le sait, de cette « crise de l’historicisme »57, de cette déconstruction du temps historique par le temps vécu, rendant à ce dernier sa primauté poétique contre la chape des médiations narratives. Ce n’est pas un hasard si une telle opération critique, dressant le narratif contre lui-même, est souvent allée de pair avec une attraction vers l’horizon préhistorique et sa capacité à ouvrir des failles temporelles. C’est en particulier le cas des avant-gardes européennes de l’entre-deux-guerres, où l’on a volontiers rêvé d’une « simple élimination du facteur temps », selon l’expression du photographe Brassaï en 1933 à propos de ses images de graffitis parisiens [fig. 7], superposant le « mur d’usine » au « mur des cavernes »58.
Fig. 7. Brassaï, « Du mur des cavernes au mur d’usine », Minotaure, Paris, 1933, n° 3-4. « Tout est une question d’optique. Des analogies vivantes établissent des rapprochements vertigineux à travers les âges par simple élimination du facteur temps. A la lumière de l’ethnographie, l’antiquité devient prime jeunesse, l’âge de pierre un état d’esprit, et c’est la compréhension de l’enfance qui apporte aux éclats de silex, l’éclat de la vie. »
Cela dit, la disposition à reconnaître la fécondité poétique propre à la nuit du temps, ne relève pas d’une simple opération d’« élimination » du cours de l’histoire mais plutôt d’une mise en crise de la temporalité comme telle. La quête d’une poétique de la présence n’est pas un présentisme : elle se nourrit dialectiquement de la confrontation permanente entre la perspective historique et sa désactivation. Dans ce champ sous haute tension, l’expérience de la temporalité devient ultra-instable et produit des conflagrations temporelles qui n’en finissent pas d’ébranler les procédures scientistes de maîtrise du cours du temps. En amont de l’exigence d’historicisation du temps long aussi bien que des fantasmes de table rase et de recommencement à zéro, ce qu’exprime fondamentalement l’invention de l’abîme préhistorique, c’est le besoin d’exploration des possibilités de renversement temporel, le besoin, autrement dit, d’un envers du temps historique, envers qui, par définition, ne saurait se manifester qu’en lien indissoluble et dialectique avec une expérience non moins intense de ce temps lui-même.
On est en droit de considérer une telle expérience comme un processus politique à part entière. Elle est en effet, au sens strict, révolutionnaire : elle instaure la possibilité du renversement, donc du désordre dans l’ordre du temps et articule ainsi la pure possibilité de l’événement non à une amnésie forcée mais à une reconnaissance de l’inconnaissable, ou de l’indéterminé, dans l’épaisseur même de ce temps désordonné. La perspective préhistorique, on l’a vu, dissout la granularité événementielle du récit : en abolissant l’événement en tant qu’articulation narrative du passé, elle le libère automatiquement en tant qu’action non-conditionnée au futur ; en détruisant l’événementialité du passé, elle instaure celle du futur dans sa potentialité infinie.
Mon hypothèse, pour finir, sera donc que la popularité actuelle des questions préhistoriques n’exprime pas seulement une nostalgie passéiste ou une angoisse apocalyptique de fin du monde mais qu’elle révèle aussi une attente révolutionnaire indéterminée, un suspens des déterminations de l’histoire, dont l’énigme des traces paléolithiques, intactes et incompréhensibles, dans les grottes ornées, offre un emblème si fascinant qu’on en vient à les conserver inaccessibles comme des espaces sacrés d’un nouveau genre. Telle est la seconde manière d’envisager la productivité politique d’une pensée de la préhistoire et les raisons de la fascination qu’elle exerce plus que jamais aujourd’hui. Mais encore faut-il préciser qu’il n’y a rien à en raconter, puisque, précisément, elle procède d’un consentement aux courts-circuits de l’ordre du temps, loin des mots.
Notes
1
Paolo Rossi, The Dark Abyss of Time. The History of the Earth and the History of Nations from Hooke to Vico [1979], Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1984
2
Claude Lévi-Strauss, L’Anthropologie face aux problèmes du monde moderne [conférence prononcée à Tokyo, Fondation Ishizaka, printemps 1986], Paris, Seuil, 2011, p. 54.
3
Myriam Revault d’Allonnes, La Crise sans fin. Essai sur l’expérience moderne du temps, Paris, Seuil, 2012.
4
Johann Wolfgang von Goethe, Faust II [1832] dans Faust, Jean Lacoste, Jacques Le Rider éds., Paris, Bartillat, 2009, p. 545 ; le texte constitue l’exergue choisi par le philosophe de l’art Max Raphael pour sa thèse, Von Monet zu Picasso, Munich, Delphin Verlag, 1913.
5
Laurent Olivier, Le Sombre Abîme du temps, Paris, Seuil, 2008.
6
Gabriel de Mortillet, Le Préhistorique. Antiquité de l’homme, Paris, Reinwald, 1883, p. 3.
7
Émile Cartailhac, La France Préhistorique d’après les sépultures et les monuments [1889], Paris, Félix Alcan, 1896, p. II.
8
Carlo L. Ragghianti, L’Uomo cosciente. Arte e conoscenza nella paleostoria, Bologne, Calderini, 1981.
9
Boris Valentin, Jalons pour une paléohistoire des derniers chasseurs (XIVe-VIe millénaire avant J.-C.), Paris, Publications de la Sorbonne, 2008.
10
Andrew Shryock, Daniel Lord Smail et al., Deep History. The Architecture of Past and Present, Berkeley, University of California Press, 2011.
11
Ernest Renan, Averroes et l’averroïsme. Essai historique, Paris, Auguste Durand, 1852, p. I-II.
12
Hayden White, « Historical Discourse and Literary Writing », dans Tropes for the Past. Hayden White and the History/Literature Debate, Kuisma Korhonen (dir.), Internationale Forschungen zur allgemeinen und vergleichenden Literatur Wissenschaft, vol. 96, Amsterdam et New York, Bril, 2006, p.30.
13
Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, Les Epoques de la nature, Paris, Imprimerie royale, 1780, p. 118.
14
Voir Nathalie Richard, « ‘Ces pierres tout à fait mortes ne peuvent pas mériter ce beau nom d’histoire’. La préhistoire des historiens (France, 1850-1914) », dans La Préhistoire au présent. Mots, savoirs, fictions, dir. Sophie A. de Beaune, Rémi Labrusse, Paris, Editions du CNRS, 2021, p. 107-123.
15
Charles Seignobos, « Les conditions pratiques de la recherche des causes dans le travail historique », séance du 30 mai 1907, Bulletin de la société française de philosophie, Paris, 1907, 1, p. 593.
16
Charles Seignobos, « Les conditions pratiques de la recherche des causes dans le travail historique », séance du 30 mai 1907, Bulletin de la société française de philosophie, Paris, 1907, 1, p. 607.
17
Charles Seignobos, « Les conditions pratiques de la recherche des causes dans le travail historique », séance du 30 mai 1907, Bulletin de la société française de philosophie, Paris, 1907, 1, p. 607.
18
Gabriel de Mortillet, Le Préhistorique, origine et antiquité de l’homme, Paris, libr. Schleicher Frères, 1883, p. 2 (« en 1865, à la réunion de La Spezzia, où fut fondé le Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques, on proposa le mot paléoethnologie, […] que les Italiens ont même abrégé en disant simplement palethnologie »).
19
Henry Christy et Edouard Lartet, Reliquiae Aquitanicae, being contributions to the archaeology and palaeontology of Perigord and the adjoining provinces of Southern France, Londres, Williams & Norgate (H. Baillière), 1865-1875, p. 91.
20
Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres [1910], cité dans Tony Bennett, « Pasts beyond memories: The evolutionary museum, liberal government and the politics of prehistory », Folk. Journal of the Danish Ethnographic Society, Copenhague, n° 43, automne 2001, p. 50.
21
Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, 19 [89], octobre-décembre 1876, dans Humain, trop humain, Œuvres philosophiques complètes, vol. 1, Paris, Gallimard, 1988, p. 407. Je souligne.
22
Krzysztof Pomian, L’Ordre du temps, Paris, Gallimard, 1984, p. 296.
23
Gabriel de Mortillet, Promenades préhistoriques à l’Exposition universelle, Paris, Reinwald, 1867, p. 24.
24
Jacques de Morgan, L’Humanité préhistorique. Esquisse de préhistoire générale, Paris, La Renaissance du livre, 1921, p. 218.
25
Pierre Ichac, « Un Versailles de l’art préhistorique. La grotte à peintures de Montignac, en Dordogne », L’Illustration, 4 janvier 1941, p. 9.
26
Voir Adam Stout, Creating Prehistory. Druids, Ley Hunters and Archaeologists in Pre-War Britain, Oxford et Malden MA, Blackwell, 2008, p. 221.
27
Vom Faustkeil zur Handgranate, film de 15 mn par Herbert Körösi et Karl Bethke, à partir d’objets du vor- und frügeschichtliche Museum, du Völkerkunde Museum et de la Zeughaus de Berlin (voir Bénédicte Savoy, « Vom Faustkeil zur Handgranate ». Filmpropaganda für die Berliner Museen 1934-1939, Cologne, Böhlau, 2014).
28
Adam Stout, Creating Prehistory, Druids, Ley Hunters and Archaeologists in Pre-War Britain, Oxford et Malden MA, Blackwell, 2008, p. 2.
29
Adam Stout, Creating Prehistory, Druids, Ley Hunters and Archaeologists in Pre-War Britain, Oxford et Malden MA, Blackwell, 2008, p. 121-154.
30
John Lubbock, Pre-historic Times, as Illustrated by Ancient Remains and the Manners and Customs of Modern Savages, Londres, Williams and Norsac, 1865, p. 2.
31
Tony Bennett, « Pasts beyond memories: The evolutionary museum, liberal government and the politics of prehistory », Folk. Journal of the Danish Ethnographic Society, Copenhague, n° 43, automne 2001.
32
Louis Figuier, L’Homme primitif, ouvrage illustré de 30 scènes de la vie de l’homme primitif composées par Émile Bayard et de 232 figures représentant les objets usuels des premiers âges de l’humanité dessinées par Delahaye, Paris, Hachette, 1870, p. 217.
33
Max Raphael, Prehistoric Cave Paintings, New York, Pantheon Books, Bollingen Series, Princeton University Press, 1945, p. 42.
34
Ideology, Power and Prehistory, dir. Daniel Miller et Christopher Tilley, Cambridge, Cambridge University Press, 1984.
35
Henri du Cleuziou, La Création de l’homme et les premiers âges de l’humanité, Paris, Marpon et Flammarion, 1887, p. 519.
36
Henry Christy et Édouard Lartet, « Sur des figures d’animaux gravées ou sculptées et autres produits d’art et d’industrie rapportables aux temps primordiaux de la période humaine », Revue archéologique, Paris, vol. 9, 1864, p. 264.
37
Gabriel de Mortillet, Le Préhistorique, origine et antiquité de l’homme, Paris, libr. Schleicher Frères, 1883, p. 416
38
Gabriel de Mortillet, Le Préhistorique, origine et antiquité de l’homme, Paris, libr. Schleicher Frères, 1883, p. 415 et 420.
39
Emile Combes, notes manuscrites de février 1874, dans Jean-Bernard Vaultier, « Émile Combes, vulgarisation et politique de la Préhistoire », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2006, 113-2, p. 19.
40
Salomon Reinach, « L’art et la magie à propos des peintures et des gravures de l’âge du renne », L’Anthropologie, t. 14, 1903, p. 265, cité par Nathalie Richard, « De la magie au symbolisme. Préhistoriens et archéologues face à l’art pariétal (1860-1920) », dans L’Art avant l’art, dir. Audrey Rieber, Lyon, ENS éditions, 2022, p. 66.
41
Pierre Kropotkine, L’Entr’aide, un facteur de l’évolution, Paris, Hachette, 1906.
42
Audrey Rieber, « La symphonie de l’histoire selon Elie Faure », dans L’Art avant l’art, dir. Audrey Rieber, Lyon, ENS éditions, 2022, p. 178 et 180.
43
Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance : l’économie des sociétés primitives [1972], Paris, Gallimard, 1976.
44
Ralph Solecki, Shanidar. The First Flower People in Kurdistan, New York, Knopf, 1971.
45
A contrario, Ludovic Slimak s’attache à restaurer le caractère « absolument énigmatique » (ce qui ne signifie pas « inconnu ») de « la créature » Néandertal et, plus généralement, « l’inaccessible sphère des pensées préhistoriques » (Néandertal nu. Comprendre la créature humaine, Paris, Odile Jacob, 2022, p. 85 et p. 133).
46
Pour une vision inverse de la violence sociale au Paléolithique supérieur, voir Emmanuel Guy, Ce que l’art préhistorique dit de nos origines, Paris, Flammarion, 2017.
47
Gabriel de Mortillet, Le Préhistorique, origine et antiquité de l’homme, Paris, libr. Schleicher Frères, p. 480 (« La révolution qui sépare le magdalénien du robenhausien [le début du Néolithique dans la terminologie de Mortillet], et d’une manière plus générale encore le quaternaire de l’actuel, est tout à la fois physique et industrielle, naturelle et sociale »).
48
Vere Gordon Childe, The Dawn of European Civilization, Londres, Paul Kegan, et New York, Knopf, 1925.
49
Vere Gordon Childe, Man Makes Himself, Londres, Watts & Co, 1936.
50
David Graeber et David Wengrow, The Dawn of Everything. A New History of Humanity, Londres, Allen Lane, 2021.
51
Lucy R. Lippard, « Breaking Circles : The Politics of Prehistory », dans Robert Smithson : Sculpture, dir. Robert Hobbs, Ithaca, Cornell University Press, 1981, repris dans Overlay. Contemporary Art and the Art of Prehistory, New York, Pantheon Books, 1983, p. 33
52
Robert Smithson. Paysage et entropie, dir. Jean-Pierre Criqui et Céline Flécheux, Dijon, Les Presses du réel, 2018.
53
Robert Smithson, entretien avec P. A. Norwell, 20 juin 1969, dans The Collected Writings of Robert Smithson, éd. Jack Flam, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 194.
54
Yuval Noah Harari, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité [2011], Paris, Albin Michel, 2015.
55
David Graeber et David Wengrow, The Dawn of Everything, A New History of Humanity, Londres, Allen Lane, 2021.
56
Claudine Cohen, La Méthode de Zadig. La trace, le fossile, la preuve, Paris, Seuil, 2011.
57
Ernst Troeltsch, « Die Krise des Historismus », Die Neue Rundschau, vol. XXXIII, tome 1, Berlin et Leipzig, S. Fischer Verlag, 1922, p. 572-590.
58
Brassaï, « Du mur des cavernes au mur d’usine », Minotaure, Paris, décembre 1933, no 3-4, p. 6.