Voir les informations
Institution familiale et pensée sociologique

La théorie durkheimienne de la famille occupe une place centrale parmi les mythes de la littérature portant sur l’école française de sociologie. Considérée comme un axe essentiel du projet de fondation de cette nouvelle science, elle n’a été diffusée que de manière très parcellaire. Ce statut décisif en même temps que mystérieux, on en retrouve la trace originaire dans le témoignage de Marcel Mauss à la mort de son oncle. Dans son In memoriam qui ouvre la seconde série de L’Année sociologique – lors de sa relance d’après-guerre – il faisait de la théorie de la famille « l’œuvre chérie » du fondateur de la sociologie, qui aurait dû l’occuper plusieurs années et devenir l’une de ses principales réalisations théoriques1. Il arrivait à Durkheim lui-même de s’étendre sur la place réservée à cet objet dans la structure générale de son projet scientifique, par exemple lorsqu’il indiqua que son étude comparative des fonctions sociales n’avait pu être véritablement poussée que dans ce cas précis : « Je n’ai pu le faire encore que pour les types de famille (…) Or un type de famille est solidaire de toute l’organisation sociale ; il doit donc en être à peu près de même pour les autres fonctions sociales dont l’ensemble constitue la collectivité2. » Pour mesurer le contenu de cet apport stratégique, qui tient même dans ce récit un rôle de clef de lecture générale dans la compréhension du projet de la science sociale française, on en est pourtant réduits à de simples spéculations nourries par quelques textes épars.

Au sein de l’œuvre de Durkheim, ses considérations sur l’institution familiale ont été principalement développées au cours de ses enseignements – à Bordeaux puis à Paris – et secondairement dans les nombreux textes que Durkheim fit paraître dans L’Année sociologique au fil des ans. Ses enseignements des années 1888 puis 1890-1892 furent consacrés à l’élaboration d’une véritable théorie historique de la famille et de son évolution, ensuite répétée à de nombreuses reprises. À l’intérieur de son ensemble de cours sur la morale, qu’il devait là encore souvent répéter tout au long de sa carrière, une année fut consacrée à la morale domestique, au milieu d’indications portant sur d’autres types de devoirs sociaux (morale civique, professionnelle, etc.), qui furent également l’occasion de préciser certains des enseignements tirés de son analyse historique de l’institution familiale. Ni l’un ni l’autre de ces enseignements n’ont été publiés. Seules l’introduction et la conclusion de ses cours sur la théorie de la famille, dans leur version de 1888 pour l’une et de 1892 pour l’autre, sont parvenues jusqu’à nous3. Quant à sa morale domestique, elle n’a pas été reprise dans les Leçons de sociologie4qui ont fait passer à la postérité une partie de ses enseignements de morale générale.

Si l’on trouve certaines indications relatives à cette thématique dans des textes plus connus tels que De la division du travail social, L’Éducation morale, Le Suicide ou encore Les Formes élémentaires de la vie religieuse, c’est donc surtout par la lecture de son activité éditoriale au sein de L’Année sociologique que l’on complétera cette théorie5. Il reste que sa portée générale peine à émerger de ces textes dispersés, parfois répétitifs dans leur visée mais peu articulés dans leur démonstration commune. Ces carences historiographiques majeures ont privé le lecteur contemporain d’un héritage décisif, valant autant pour la problématisation de l’institution familiale et de ses structures que pour la compréhension du geste fondateur des sciences sociales et de sa portée. Cet article voudrait tenter de les combler en exhumant un document inédit, inconnu y compris de la plupart des spécialistes, qui n’a jamais fait l’objet d’aucun commentaire alors même qu’il constitue l’un des principaux témoignages de cette théorie.

Il s’agit d’un cours donné par Paul Fauconnet, successeur de Durkheim à la chaire de sociologie de la Sorbonne, qui fut assurément, avec son neveu Marcel Mauss, son plus proche élève. Si le nom de Fauconnet s’est progressivement effacé, au point qu’il puisse avoir été justement décrit comme « l’oublié des oubliés6 » parmi les durkheimiens, il fut un acteur des plus centraux dans la fondation de la sociologie française, et sa proximité avec son fondateur lui permit d’investir les pans les plus stratégiques de ce projet. La chose s’affirme à travers son seul ouvrage – sa thèse de doctorat sur la responsabilité7 – qui constitue sa principale contribution à l’émergence d’une science du social. Elle l’occupa pendant plus de vingt années, durant lesquelles il s’attacha à reprendre et développer les leçons sur ce thème que son mentor lui avait confiées. Si ce maître-ouvrage a récemment bénéficié de travaux dédiés, il n’en va pas de même pour ses quelques cours enseignés lors de sa carrière de professeur, dont certains furent à l’époque diffusés à un tirage si confidentiel qu’ils sont restés introuvables depuis. Parmi ces cours, l’année d’enseignement qu’il donna sur la sociologie de la famille en 1931-1932, en repartant également des leçons disparues de son maître, à l’intérieur d’un programme plus général d’analyse des institutions sociales, est sans doute la plus décisive pour l’histoire de la discipline et ses enjeux contemporains8.

Fauconnet est nommé maître de conférences à la Sorbonne en 1921, reprenant les charges d’enseignements de Durkheim, disparu pendant la guerre, avant de devenir le second titulaire de la chaire de sociologie de l’histoire de la Sorbonne en 19329. Les rares recherches portant sur Fauconnet ne mentionnent pas l’existence de ce cours10, et aucune analyse de son contenu n’a jamais été réalisée. Nous devons pour notre part à Bruno Karsenti de nous avoir indiqué l’existence d’un cours de Fauconnet sur le thème de la famille au commencement de nos recherches doctorales sur cet auteur. Nous en avons trouvé la trace, sous forme de microfilms, dans les archives de l’université de Paris.

Précisant s’inspirer d’enseignements inédits de son maître11, il déploie au cours de ses leçons une démonstration dans laquelle le point de vue sociologique sur l’histoire de l’institution familiale et son évolution s’affirme dans les débats historiques et anthropologiques de son temps, faisant valoir une position singulière. L’objectif général de ces leçons est « de se faire une idée nette sur ce qu’est la société domestique, c’est-à-dire ce qu’est la parenté, le rôle qu’elle a joué dans l’histoire et les formes successives par lesquelles a passé l’évolution qu’elle a subie12 ». Ce faisant, ce cours complète l’autre source principale de la théorie durkheimienne de la famille dont nous disposions jusqu’alors qu’est l’article que Georges Davy fit paraître en 192513.  Le cours de Fauconnet converge largement avec ce texte sur de nombreux points autant que dans sa structure générale, et il est aisé d’identifier – et de reconstruire – le manuscrit de Durkheim comme leur source commune, d’ailleurs revendiquée.

La version qu’en propose Fauconnet contient cependant des indications beaucoup plus développées sur le rapport de la position durkheimienne aux autres auteurs parties aux débats de son époque, et, surtout, sur les enjeux épistémologiques du thème pour la discipline sociologique. Expression particulière d’un projet général et cohérent, cette part de la théorie durkheimienne cherche en effet surtout à dénaturaliser la forme moderne de la famille, indiquant qu’elle n’en est nullement la valeur parfaite, fondée en raison ou en nature, mais bien plutôt le produit d’une évolution complexe dont la compréhension permet d’éclairer d’un nouveau jour ses différentes composantes. En l’espèce, il s’agit de démontrer, contre la plupart des interprétations existantes, que la famille conjugale moderne consacrée par le code napoléonien de 1804, structurée autour d’un couple et de ses enfants, est le produit d’une évolution marquée par la restriction progressive des liens familiaux et la complexification de sa filiation, plutôt que sa forme originaire.

Cette remarque, ou plutôt cette thèse, constituait le cœur de la démarche durkheimienne sur le thème. Elle apparaît, sous la plume de Marcel Mauss et au détour d’une note explicative, comme le point d’aboutissement du cours de son oncle sur l’histoire de l’institution familiale, lorsqu’il précise que « le phénomène de réduction du nombre des membres de la famille, et de concentration des liens familiaux, est, selon lui, le phénomène dominant de l’histoire des institutions familiales14 ». Le cours de Fauconnet constitue à ce titre un point d’entrée décisif pour reconstituer la véritable démonstration sous-tendant ce que l’on doit bien décrire comme la théorie durkheimienne de la famille. On ne saurait cependant se contenter de résumer le contenu de cette thèse par l’idée d’une dynamique historique de réduction des liens familiaux conduisant au modèle de la famille conjugale structurée par le mariage – dont la valeur historique a depuis été largement contestée. Il faut d’emblée marquer ce qui, dans cette thèse, renvoie à un véritable point de vue sociologique.

S’il importe si fortement à Durkheim et à Fauconnet de défendre l’hypothèse d’une réduction progressive des liens familiaux, c’est dans la mesure exclusive où les théories familiales existantes à leur époque posaient le problème dans les termes inverses : partant de la famille moderne conjugale comme norme naturelle, elles tâchaient pour l’essentiel de retrouver dans d’autres sociétés cette forme universelle, quitte à considérer qu’elle pouvait avoir été recouverte et compliquée par l’ajout progressif d’agrégats connexes structurés autour d’un principe d’engendrement naturel similaire. Énoncé ainsi, l’enjeu de cette théorie sociologique de la famille se décale, et indique du même coup son caractère stratégique pour la discipline qui l’élabore : en renversant l’ordre de ce récit évolutionniste fondé sur l’idée d’une famille biologique universelle constituée de deux parents et de leur descendance directe, il s’agit de démontrer que la famille, en tant qu’institution sociale, ne se confond nullement avec un quelconque lien biologique15. Plus encore, si la famille nous apparaît comme une réalité biologique, c’est précisément parce que, dans le contexte des sociétés modernes, l’institution sociale a épousé une forme spécifique qui la rapproche de liens biologiques, associés à la capacité de procréation et à la descendance directe qui s’en trouve produite.

L’étude de la famille devient dès lors indissociable d’une réflexion sur cette confusion, dont la sociologie durkheimienne s’attache à démontrer qu’elle est spécifiquement moderne, entre institution sociale et réalité biologique, qui trouve ici l’un de ses points d’élucidation les plus stratégiques16. S’il est certain que l’étude sociologique de l’institution familiale impliquait, dans l’œuvre durkheimienne, de multiples conséquences dont on ne mesurera sans doute jamais pleinement la portée17, on croit pouvoir affirmer que l’une des principales d’entre elles est à chercher dans cet enjeu épistémologique. C’est à partir de cette hypothèse, selon laquelle l’analyse de la famille permet de démontrer que l’étude de la société équivaut à l’étude d’un monde moral ayant la particularité, dans le cas moderne, de s’exprimer sous les traits trompeurs du naturel, qu’on lira sa reprise fauconnienne. Revenir sur la théorie durkheimienne de la famille depuis l’analyse de ce cours n’a donc pas comme seul objectif d’expliciter ce qui reste un axe oublié du projet durkheimien. Un tel travail conduit également à dégager une définition de la sociologie depuis l’intérieur du mot d’ordre, indissociablement politique et épistémologique, de dénaturalisation que cette école n’a cessé de porter.

Éléments sur la théorie durkheimienne de la famille

Fauconnet construit cette démonstration comme la reprise et l’approfondissement de la théorie de Durkheim qu’il rend ainsi public, en usant de la même méthode que celle qui caractérisait sa thèse de doctorat sur la responsabilité. En partant d’une déconstruction des prénotions entourant la famille, permise par une définition purement sociale du phénomène qui conduit à embrasser tous les cas décrits par l’histoire et l’ethnologie, une diversité apparaît qui rend impossible de tenir la forme moderne de la famille comme le cas universel. En l’occurrence, c’est l’idée d’une famille comprise depuis le modèle biologisant d’un couple et de ses descendants, considéré comme naturel en modernité, qui perd sa primeur. Le modèle de la famille moderne, que « Durkheim appelle conjugale, ce qui est un mot très heureux, parce que, certainement, le couple conjugal en forme le noyau18 », devient un cas exceptionnel, produit par une trajectoire spécifique d’individualisation.

Ce propos, et le parti-pris épistémologique qu’il implique, s’affirme à travers une série de discussions relatives aux grands débats qui ont marqué les théories historiques de la famille au tournant du siècle dernier, et à partir desquels Durkheim avait élaboré sa propre position, telle qu’elle transparaissait déjà dans certains de ses mémoires et comptes rendus de L’Année sociologique. Le cours de Fauconnet se structure en trois parties qui lui permettent chacune d’endosser et de développer la position durkheimienne au sein de ces controverses, en reprenant l’approche polémique privilégiée par son maître. La première partie porte sur les discussions entourant l’extension de la filiation paternelle telles qu’elles ont émergé à partir des travaux de Summer Maine19et de Fustel de Coulanges20. La seconde s’intéresse à la filiation utérine dont les recherches de Bachofen21 ont fait l’une des préoccupations centrales des analyses de la famille dans la seconde moitié du XIXe siècle. Quant à la dernière, plus succincte et souffrant d’une prise de note incomplète dans la version du cours dont nous disposons, elle se penche sur les débats ouverts par Lewis Morgan autour du concept de parenté classificatoire22. Sur chacune de ces trois thématiques, que Fauconnet présente comme les principales avancées sur l’histoire de la famille de la période, il revendique ne faire que développer des arguments déjà élaborés par son maître, mais demeurés largement inédits23.

On n’entrera pas ici dans les nombreux détails techniques de cette démonstration. Ces débats, largement datés, n’ont qu’un intérêt historique pour les anthropologues contemporains de la parenté. Le point de vue sociologique qui se fraie une place dans ces débats à travers l’incursion durkheimienne décrite par Fauconnet nous importe en revanche beaucoup, tant il est gros de principes et de conséquences qui ont conservé, à plus d’un siècle de distance, l’essentiel de leur actualité. Un tel point de vue se déploie surtout à l’occasion de la première partie de ce cours, bien qu’il en englobe la totalité et lui confère une grande part de sa cohérence. Sur chacun des débats cités, la démonstration suit en effet un même mouvement : la famille, considérée comme une institution sociale, doit être analysée à partir d’une distinction claire entre le plan physiologique de l’existence humaine et son plan moral et juridique.

C’est donc par la parenté paternelle qu’une telle analyse débute, et c’est à elle que l’on s’intéressera en premier lieu ici, car elle suffit à faire voir la signification de la démarche sociologique. Le débat dans lequel Fauconnet intervient est structuré par les travaux des anthropologues de la fin du XIXe siècle qui ont mis au jour l’existence d’organisations familiales vastes et complexes, contestant l’idée, omniprésente auparavant, et que Fauconnet décrit notamment à partir des cours particulièrement datés d’un Auguste Comte, d’une famille universellement similaire, composée d’un couple et de ses enfants24. Summer Maine est le premier à avoir insisté sur l’importance de groupements familiaux très élargis, notamment à travers le concept de joint family inspiré du cas indien. L’importance de cette découverte réside dans la mise au jour d’une forme familiale distincte de la cellule biologique, et qui pourtant constitue bien une « société domestique », rejoignant les indications que Fustel de Coulanges avait déjà livrées dans La Cité antique en 1864. Le statut de ces sociétés domestiques reste cependant largement obscur chez ces auteurs, qui se contentent de relever l’existence de larges groupements, rangés dans la catégorie de filiation paternelle, sans chercher à en décrire la logique.

Rassemblés sous la forme d’agrégats confus, ils sont volontiers appréhendés dans les termes d’une juxtaposition de familles de type biologique les unes autour des autres. Pour comprendre véritablement l’histoire de ces sociétés domestiques, et espérer en comprendre le sens, il faut donc d’abord s’atteler à tracer un certain nombre de distinctions à l’intérieur de ces ensembles familiaux complexes. C’est en grande partie autour de ce travail d’inventaire et de remise en ordre que la première partie de ce cours s’ordonne. « Dans son enseignement oral, dont il ne reste que quelques traces sous forme écrite, Durkheim a été amené à étudier de très près le sujet qui nous occupe », indique Fauconnet, ajoutant que ce dernier a effectué à cette occasion un certain nombre de distinctions conduisant à décrire les différents types de société domestique comme suit :

« 1/La famille patriarcale dont ce qui est le centre de la famille à Rome est le type. 2/ La famille agnatique indivise, dont on retrouve des vestiges à Rome et dont l’échantillon type est la zadruga serbe. 3/La famille paternelle des Germains, qui ressemble à certains égards à la famille patriarcale mais en diffère sur des points importants. 4/Enfin la gens qu’on trouve à Rome, en Grèce, et qui est quelque chose de différent de tout ce que nous venons de dire25 »

Loin que l’idée d’une filiation patriarcale permette de rendre compte de tous les cas où l’institution familiale dépasse le modèle conjugal, en la rabattant finalement sur une simple multiplication de ce même type, l’approche sociologique pose en principe la nécessité d’analyser la nature propre de chacune des organisations domestiques offertes à l’observation historique afin d’identifier les logiques spécifiques qui les travaillent26. Dans la suite de son cours, Fauconnet réalise un tel exercice en s’intéressant d’abord à la Zadruga slave, qui constitue le modèle de cette famille agnatique indivise, soit un ensemble conséquent (allant jusqu’à une soixantaine de personnes partageant un même lieu de vie) constitué autour d’une filiation masculine et organisé à travers un conseil des hommes adultes. Mais c’est surtout à travers le cas de la famille romaine que Fauconnet réalise sa démonstration, car celle-ci offre le témoignage unique d’une coexistence partiellement successive de l’ensemble des organisations domestiques connues au sein d’une même société27.

La société romaine témoigne ainsi de trois structures différentes dont la plus prégnante à l’époque de la République – fournissant le plus de sources – est celle de la famille patriarcale organisée autour de la potestas du chef de famille, puis la famille agnatique plus vaste mais liée par l’autorité des pères et qui correspond assez bien à la Zadruga, puis la gens, renvoyant à un groupe de parenté beaucoup plus vaste et moins défini, vaguement lié par un ancêtre et des cultes communs. Si l’enjeu premier est bien celui de la distinction, c’est dans la stricte mesure où il permet de poser la question de l’ordre de succession temporelle de ces différents groupements : « Puisque nous ne devons pas les confondre, quel est celui qui sert de point de départ aux autres28 ? » Sur ce point, le cours de Fauconnet ne varie pas, et on le voit revenir avec une préoccupation constante, qui tient parfois de l’obsession, à la question de l’ordre de succession des organisations domestiques29.

La théorie classique, associée aux figures de Fustel de Coulanges et de Summer Maine, considère, dans le récit qu’en offre Fauconnet, que la famille patriarcale romaine se transforme naturellement en famille patriarcale indivise lorsque les enfants se marient tout en restant dans le foyer parental. Puis s’expliqueraient les cas de grandes familles comme la gens par la multiplication des souches qui placerait finalement le principe de l’unité dans un ancêtre commun. La charge de la vision sociologique à l’intérieur de ces débats est pleinement assumée par Fauconnet, qui ajoute que Durkheim a, « dans ses travaux sur la famille, mis d’une façon très précise hors de doute une solution qui est en un sens opposé de celle qu’admettaient plus ou moins explicitement Fustel de Coulanges et Summer Maine », et dont il se chargera ici de « résumer [la] démonstration30 ».

Durkheim se serait ainsi attaché à démontrer, d’une part, que « les grands types familiaux, les vastes agglomérations, sont archaïques, et les petites familles, actuelles et tardives », et, d’autre part, que dans toutes les sociétés où les données permettent une étude, comme dans le cas de Rome, on observe que « c’est toujours la parenté la plus étroite qui est la parenté prédominante et la plus large qui est la plus effacée31 ». Le cas romain permet bien d’effectuer cette démonstration, et Fauconnet s’y emploie en passant par une analyse de la nomination, des règles de l’héritage et de la propriété, à l’issue de laquelle il peut poser que la gens a bien été l’institution primitive, à partir de laquelle l’organisation agnatique a émergé, avant de laisser poindre une structure patriarcale proprement dite ; bien loin que les agnats, puis la gens, puissent être considérés comme des « confédérations de famille ». Fauconnet peut donc finalement poser que l’évolution a eu lieu sous la forme suivante : « La vaste gens paternelle tout d’abord », « puis, dans l’intérieur de la gens, des groupes plus restreints qu’elle, du type de la Zadruga slave, vastes agrégats où de souches collatérales vivent côte à côte sous l’autorité de l’aîné ou d’un chef élu32 », « enfin, dans l’intérieur de cet agrégat (…) la formation d’un groupe patriarcal, c’est la famille patriarcale unie sous l’autorité d’un pater familias33 ».

fresque de pompei

Fresque de Pompéi décrivant un banquet familial.https://commons.

wikimedia.org/wiki/File:Wall_painting_-_banquet_scene_-_Pompeii_%28V_2_4%29_-_Napoli_MAN_120029_-_01.jpg

 

 

En un mot : « La conclusion à laquelle nous sommes conduits, si les arguments que M. Fauconnet vient de résumer d’après Durkheim sont justes, ajoute le cours, c’est que la parenté, dans l’histoire de ces sociétés, a commencé par être vague et large et qu’elle est devenue, plus tard, restreinte et étroitement déterminée, ce qui est contraire à l’hypothèse générale de la théorie patriarcale34. » Arrivé à ce point, on peut déjà deviner le sens épistémologique de cette démonstration, et son importance dans la pleine saisie de l’ambition comme de la méthode de la science sociale. Si la famille conjugale moderne a été si fréquemment prise pour l’organisation familiale universelle, c’est bien par manque d’une distinction fondamentale qu’il revenait à la sociologie d’introduire au sein de ces débats, et qui passe entre les deux plans du réel : le biologique, lié à la consanguinité, et le social, lié aux représentations. Fauconnet en vient donc à expliciter cette distinction fondatrice de la sociologie : « Je voudrais, pour terminer, vous faire saisir la signification précise de la thèse qui vous est proposée ici. Il faut, pour cela, distinguer avec soin deux points de vue : celui que j’appellerai biologique et le point de vue social35. »

Considérée depuis une perspective biologique, il est évident que la famille se présenterait sous les traits de « quelque chose de petit au centre et de beaucoup plus vaste au point d’arrivée36 », d’un mâle et d’une femelle à partir desquels se créerait une société humaine. Mais, précisément, ce fait est oiseux : « C’est parce que les théoriciens dont nous nous occupons appellent parenté cette relation biologique qui résulte de l’union sexuelle et de la naissance qu’ils sont amenés à dire – ce qui est un truisme et une évidence, que les choses se sont passées ainsi. De petites familles d’abord, puis des familles plus vastes ensuite37. » Le point de vue qui intéresse la sociologie, et qui est pertinent dans la mesure où l’on fait autre chose que de la biologie lorsque l’on s’intéresse à la famille, est tout autre, et il consiste à se « représenter comment s’est formé l’ensemble des liens juridiques et moraux qu’on appelle la parenté38 ». Et Fauconnet d’ajouter, en marquant bien la spécificité de la confusion moderne à l’origine de cette erreur : « Il est évident que si on commence par une sorte de postulat, avoué ou inavoué, par déclarer que ces liens ne sont que la projection morale et juridique de liens biologiques préexistants, on est enfermé dans la théorie précédente39 ».

Le point de vue social fait ainsi pénétrer dans un tout autre univers, que seul le sociologue peut arpenter de façon adéquate. « L’histoire de la famille et de la parenté c’est l’histoire des représentations, des émotions, des croyances, de tous les faits d’ordre mental et psychique par lesquels l’homme a créé cette chose que nous appelons la famille. La parenté c’est une représentation de relations qui existent entre des personnes40. » « Représentation de relations », les deux termes sont d’égale importance pour saisir le fond de la vision du monde portée par la sociologie. Que la parenté soit une relation, c’est ce sur quoi la science sociale est naturellement portée à insister, puisque c’est à travers la distribution au sein d’un collectif de rôle différents – et notamment à travers une division des sexes et des générations – que la famille se configure comme une institution et devient un objet pour cette science nouvelle. Mais c’est ici le contenu moral que la représentation dépose dans ces relations qui constitue la parenté, ce qui revient à considérer que l’enjeu de la sociologie de la famille est moins de faire voir la dimension collective et relationnelle de cette institution que de décrire la façon dont chaque société moralise telle ou telle relation dans sa définition de la société domestique – qu’elle ressorte d’une référence biologique ou non.

La consanguinité est bel et bien un élément de la famille comme phénomène social, mais elle est bien loin d’en livrer la vérité : « Il n’est pas douteux que la consanguinité soit un des facteurs de cette représentation ; il est non moins certain que la consanguinité n’est pas le seul, et, pendant longtemps, n’a pas été le facteur prépondérant de cette représentation. L’histoire de la notion de parenté c’est l’histoire de cette notion de représentations41. » La sociologie en vient donc à circonscrire un objet propre à son étude, autonome des rapports matériels, purement représentatif. À l’issue de cette première partie de la démonstration du cours de Fauconnet, la plus décisive pour l’épistémologie sociologique, le récit classique de l’histoire de la famille apparaît donc comme marqué par une congruence problématique entre le fait objectif de la consanguinité et la représentation morale de l’institution familiale venant la moraliser, donnant ainsi lieu à l’idée d’une famille conjugale biologisée. Le reste du cours s’attache à élaborer la même théorie explicative, en s’intéressant cette fois non plus à l’évolution de la taille des sociétés domestiques, pour remettre en cause la prétention à la naturalité de la famille conjugale, mais au type de filiation, afin de démontrer que la filiation bilatérale de cette organisation domestique est elle aussi loin d’être naturelle et universelle.

C’est autour des travaux de Bachofen que la seconde partie du cours s’organise, pénétrant dans le débat tout à fait classique de la filiation maternelle. La position défendue à cette occasion est complexe, car elle consiste à faire valoir que la parenté est bien, primitivement, maternelle, comme l’a défendu Bachofen, tout en contestant qu’elle le soit pour la raison qu’il indique, empruntant à une conception biologisante où cette filiation se suffit d’une explication centrée sur une prétendue promiscuité sexuelle primitive rendant difficilement identifiable le père de tout enfant42. Cette conception, que Fauconnet décrit comme une « vulgate évolutionniste » imprégnée de darwinisme, et qui se maintient sous divers avatars jusqu’à la période de son cours, est structurée par l’impossibilité de reconnaître la dimension sociale, et donc normative, des formes « primitives » d’institutions familiales. À ce titre, il ne cesse de la critiquer, en s’appuyant d’abord sur les travaux de Westermarck, et notamment sur son Histoire du mariage humain paru en 1891. Dans cet ouvrage, Westermarck réfute l’hypothèse d’une promiscuité sexuelle première – assimilée à une forme animale de relation – et son lien avec la filiation utérine. Il évoque au contraire des raisons sociales pour expliquer ce type de filiation, dont il nuance largement la prédominance, arguant qu’il est d’abord à corréler aux mariages matrilocaux (lorsque le père vient vivre dans le lieu de naissance de la mère). Fauconnet voit dans cette explication le pas essentiel, puisqu’elle revient à reconnaître que « la consanguinité, la connaissance d’un rapport biologique entre des adultes, n’est pas la même chose que la reconnaissance d’une parenté au sens moral, juridique, bref, au sens social du mot43 ».

Contrairement à l’interprétation de Westermarck, il tient cependant à marquer l’importance spécifique de la parenté utérine dans l’histoire de l’humanité, dont témoigne sa diffusion géographique massive – souvent mêlée à des formes patriarcales –, sans la lier à la question du commerce sexuel, ni l’associer à un mouvement historique général qui la placerait au commencement de l’humanité44. L’enjeu est de taille, car il s’agit là encore d’éviter le risque de la naturalisation, qui passerait en l’espèce par la projection sur l’ensemble des institutions familiales d’une norme bilatérale inspirée du modèle moderne, lui-même déterminé par une confusion entre règnes biologique et social. Aussi Fauconnet précise-t-il que la parenté utérine, définie comme une situation dans laquelle l’enfant est « incorporé, au moins d’une manière particulièrement accentuée, à la famille de sa mère45 », qui ne se confond ni avec l’existence de relations entre l’enfant et ses parents, ni avec la transmission d’un héritage, d’une succession ou l’exercice d’une autorité, se retrouve souvent première chronologiquement dans l’analyse de l’évolution interne à une société donnée. Il s’ensuit que la forme « primitive » de parenté n’est probablement pas une parenté paternelle de type romaine, ni « non plus et surtout une parenté bilatérale comme celle de la famille où nous vivons46 », mais plutôt : « Une parenté unilatérale utérine, à laquelle vient se surajouter toujours un minimum de parenté paternelle, en tout cas une parenté qui est incontestée du père en tant qu’individu avec son enfant47. »

Cette « question du passage de la filiation utérine à la filiation masculine », Fauconnet en tire la résolution d’écrits de son maître, et notamment de son article intitulé Sur l’organisation matrimoniale des sociétés australiennes48 dans lequel il montre comment des sociétés australiennes fabriquent un système complexe de classes matrimoniales « pour pouvoir combiner leur régime de filiation utérine avec un régime de filiation paternelle qui existe dans des tribus voisines avec lesquelles ils se marient régulièrement[49». Surtout, il rappelle qu’elle fut intégralement traitée par Durkheim dans deux cours au sujet de la famille, « l’un au début, l’autre à la fin de sa carrière50 ». Dans tous les cas, le principe général à l’origine de cette interprétation est de démontrer que la filiation bilatérale, loin d’être la forme naturelle de l’organisation domestique, est le produit très tardif d’une évolution au cours de laquelle « l’établissement d’une parenté paternelle (…) n’a pas éliminé la parenté utérine51 ». Il est donc là encore impossible de poser la forme moderne de parenté, redoublant la relation physique d’engendrement, comme sa forme naturelle et universelle.

À côté de cet objectif de dénaturalisation, l’insistance avec laquelle Durkheim défendait la filiation maternelle comme forme « primitive » de la filiation tient également à une seconde cause. L’hypothèse du totémisme comme expression religieuse de la société en tant que groupement collectif, typique de l’approche durkheimienne de la religion, trouve à s’exprimer de façon originale dans ces débats. Nombre d’observations ethnologiques plaidaient en effet pour faire de la transmission féminine du totem une des caractéristiques des sociétés alors jugées comme les plus « primitives » (notamment certaines sociétés aborigènes d’Australie52), ce qui conduisait Durkheim à considérer que reconnaître la nature féminine de la parenté dans ces sociétés revenait à acter son caractère originairement totémique, donc religieux, et en fin de compte, dans la grammaire durkheimienne, sociale53. Ce double objectif, qui complexifie l’enjeu de la théorie durkheimienne de la famille tel qu’on l’a jusqu’à présent décrit, se retrouve dans le thème abordé dans la troisième partie du cours de Fauconnet.

Cette dernière partie du cours s’attarde sur un autre des débats classiques de la littérature fin de siècle : la question de la parenté classificatoire, mise au jour par Lewis Henry Morgan. Dans son Ancient Society, ce dernier a cherché à montrer qu’il existe un système de parenté fondé non pas sur la description claire et précise du lien qui unit un parent à chaque individu, mais sur des regroupements « en larges classes dans lesquelles se trouvent réunies des personnes qui, d’après nos idées à nous, sont dans des situations de parenté extrêmement différentes54 ». Ces régimes de parenté classificatoires varient largement entre sociétés, et Morgan lui-même tenta de décrire les liens entre un système qu’il désignait – à tort, précise Fauconnet – sous le qualificatif de « malais » et qui fonctionne largement sur le mode d’une classification générationnelle simple, et un autre, qualifié de touranien-ganowanien, plus complexe, où la parenté s’organise par groupes constituant des cercles concentriques (d’abord les enfants de mes sœurs, puis les enfants de mes frères, puis les sœurs de ma mère, puis ses frères, et enfin leurs enfants respectifs).

page de livre

Extrait de Lewis Henry Morgan, Systems of Consanguinity and Affinity of the Human Family, Washington DC, The Smithsonian Institution, 1871, p. 293 – Table II Consanguinity and Affinity of the Ganowanian Family.

Au même titre que les thèses de Bachofen, celles de Morgan ont cessé d’apparaître comme exactes au moment où Fauconnet écrit. Si les notes du cours se font de plus en plus aporétiques à mesure que ce dernier touche à son terme, il est aisé de saisir l’importance de ce troisième débat et l’argument que l’approche sociologique y trouve. La mise au jour d’une forme de parenté classificatoire, variée dans son expression, permet de démontrer que « toutes sortes de faits appelés parenté sont des faits sociaux et non pas seulement un état de consanguinité », car « il y a bien des familles où beaucoup de liens de consanguinité ne sont pas comptés et d’autres où de faibles liens le sont55».

À ce point de vue, le commentaire sociologique de la parenté classificatoire s’inscrit pleinement dans l’objectif central de ce cours. Sans s’en éloigner, on peut compléter ces indications par des références plus exhaustives à la percée menée par Durkheim lui-même dans ce débat, qui permettent d’en clarifier les enjeux sous-jacents. Celle-ci repose sur la défense du principe fondamental selon lequel les nomenclatures de parents sont bien des matériaux valables pour décrire la structure familiale des sociétés étudiées. Une telle thèse s’accompagne, dans sa version classique, d’un certain nombre de conséquences, dont la principale est l’idée d’un mariage collectif entre tous les hommes d’un clan d’un côté, et toutes les femmes de l’autre, associée à l’idée d’une promiscuité sexuelle primitive qui expliquerait seule que les enfants puissent désigner par le terme de père ou de mère presque tous les représentants d’un même sexe avec lesquels ils sont en rapport.

Reconnaissant la validité de la parenté classificatoire, autant que son rapport avec les structures de parenté, Durkheim s’opposait pourtant fermement à toute idée de mariage collectif, et à son pendant qu’est l’hypothèse d’une promiscuité sexuelle. La raison d’une telle position s’enracine, là encore, à la croisée d’une double préoccupation : il s’agit pour le fondateur de la sociologie de démontrer à la fois que la famille est à l’origine une institution religieuse, associée au totem et dérivée du clan comme forme primitive de société, et qu’elle ne peut, pour cette raison, être décrite dans les termes d’une consanguinité. Si la seconde partie de cette thèse nous est désormais bien familière, il n’est pas inutile d’indiquer la signification de la première. Une fois posée l’existence de nomenclatures dans lesquelles tout un ensemble de personnes entretenant des relations de consanguinité très variées avec un individu donné sont désignées par le même terme, il est possible de tirer deux conclusions opposées. Soit l’on considérera que ces relations désignent l’extension généralisée de l’une de ces relations – en l’occurrence la relation maternelle ou paternelle – à tout un ensemble de personnes, soit l’on en conclura que les relations familiales, y compris celles qui lient tel individu avec l’homme et la femme impliqués physiquement dans sa naissance, sont intégrées dans un ensemble de relations sociales plus larges qui circonscrivent le groupe auquel il appartient.

C’est précisément cette seconde interprétation que Durkheim privilégie, notamment dans le compte rendu qu’il réalise d’un ouvrage de J. Kohler qui lui offre l’occasion de s’étendre longuement sur la parenté classificatoire. Si, dans la société amérindienne des Omahas, toutes les femmes du clan sont désignées du même terme, ce n’est pas parce que l’enfant considère qu’elles peuvent toutes être également appréhendées comme sa mère, et par suite qu’il existe une sorte de mariage collectif entre tous les hommes et toutes les femmes, rendant impossible de déterminer exactement de qui il descend. À cette hypothèse, Durkheim en oppose une autre, selon laquelle « la famille primitive a pour base le totémisme », impliquant que « pour être membre d’une famille, il faut et il suffit qu’on ait en soi quelque chose de l’être totémique, c’est-à-dire de l’objet divinisé qui sert au groupe d’emblème collectif ». Dit autrement, toutes les femmes du clan apparaissent à l’enfant comme membres de sa famille, et peuvent être désignées par le même terme, sans pourtant que ce dernier voie en chacune d’elles sa mère au sens biologique56, parce que la relation familiale se trouve subsumée dans une organisation de type religieuse impliquant l’ensemble du clan uni par son totem. Le thème de la famille permet ainsi à Durkheim de développer l’une de ses grandes hypothèses sur la religion, à savoir qu’elle apparaît primitivement sous une forme totémique dans la mesure où elle traduit métaphoriquement l’existence de la société, sous la forme d’un clan, duquel procède le sacré.

La chose est plus claire encore dans un compte rendu publié dans le même numéro de L’Année sociologique, consacré cette fois à un ouvrage d’Ernest Grosse57. À cette occasion, Durkheim s’attarde sur les liens qu’il identifie entre famille, clan, totem et religion, en dessinant un modèle dans lequel le clan représente la famille originaire parce que cette dernière se définit par la transmission d’un totem, en tant qu’elle est une institution sociale, et donc religieuse, sans rapport avec les relations de consanguinité. Ainsi peut-il expliquer que le clan était à l’origine une famille qui se définissait par le partage d’un même totem, qui est également « le centre de la vie religieuse » et qui transmet donc à cette « société totémique58 » une importance et une sacralité spécifique. Il s’ensuit qu’il « y avait dès lors une sorte de famille qui reposait sur de tout autres principes que la famille particulière puisqu’elle n’avait pas pour base le mariage, et qui pourtant avait une grande vitalité59 ». La thèse n’en reste cependant pas là, car Durkheim ajoute tout de suite : « Il y a plus : c’était alors la famille proprement dite », avant de radicaliser encore sa position en arguant que si la famille « n’existe qu’autant qu’elle est une institution sociale, à la fois juridique et morale, placée sous la sauvegarde de la collectivité ambiante », et que « tous ces droits et ces devoirs sont attachés au clan et à lui seul ; tous les porteurs d’un même totem jouissent également des premiers et sont tenus également aux seconds », il devient clair que « le clan est donc la famille par excellence60 ».

Or une telle thèse ne peut fonctionner que dans la mesure où les relations familiales renvoient à une institution sociale référée à un collectif dont le clan fournit le modèle, ouvrant à des obligations juridiques et morales, et donc sans rapport aucun avec des relations de consanguinité. C’est bien ce dont la parenté classificatoire témoigne, dès lors qu’on cesse de chercher dans l’extension radicale d’un même terme une multiplication de la relation maternelle ou paternelle en son sens biologique, et que l’on accepte au contraire d’y voir la trace d’un rôle purement social, lié à une organisation collective de la vie humaine61.

Poussée à son terme, cette conception conduit logiquement à considérer que non seulement la relation filiale ne se définit pas uniquement par un rapport biologique, mais même que la naissance elle-même ne suffit pas pour constituer un tel lien, qui doit dès lors être considéré, de façon universelle, comme un lien exclusivement social62. C’est ce dont témoigne, là encore, la situation de nombre de sociétés où « à elle seule, la naissance ne suffit pas ipso facto à faire de l’enfant un membre intégrant de la société domestique ; il faut que des cérémonies religieuses s’y surajoutent63 ». Si donc Morgan, ou Kholer et d’autres encore, ont pu voir dans l’extension généralisée du terme désignant la mère à l’ensemble des femmes du collectif la trace d’un mariage collectif et d’une impossibilité à déterminer la filiation naturelle, plutôt que l’extension à la mère biologique d’une définition sociale de la maternité et de la famille regroupant l’ensemble du clan et s’exprimant dans un même terme, c’est qu’ils ont, eux aussi, été dupes de la confusion moderne naturalisant la procréation.

Si ce double mouvement consistant à poser l’institution familiale comme une forme d’expression du collectif et, dans le même temps, à défendre sa dénaturalisation radicale, est particulièrement intéressant, c’est qu’il reprend un geste que l’on retrouve au cœur de l’œuvre durkheimienne, et à propos duquel Fauconnet tend à se positionner de manière originale. En associant la question de la famille à celle du totémisme d’un côté, et à la distinction entre représentation morale et représentation objective de l’autre, Durkheim déploie ici le cœur de sa théorie du symbolisme telle qu’elle trouve à se formaliser dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse. Or cette théorie – et la chose a largement été oblitérée dans les commentaires qui la concernent – reposait en fait sur l’articulation de deux formes de symbolismes très différentes. Dans le premier cas, consensuellement reconnu et largement discuté, le symbolisme durkheimien décrit une opération par laquelle la société comme groupement s’exprime à travers un objet acquérant une valeur morale en se faisant le réceptacle d’une énergie sociale, à l’image du totem conférant au collectif en tant que tel une existence saisissable au cours de rites collectifs réalisés par certains « aborigènes » australiens. Dans le second, largement absent de la littérature64, le concept ne sert pas à décrire la transformation d’une réalité collective en un objet physique sacralisé rendant perceptible le groupe, mais à rendre compte de l’action par où tout individu, en tant qu’il est socialisé, ajoute constamment à la réalité qu’il perçoit une couche de signification qui ne s’y trouve nullement, en la « transfigurant » en réalité morale.

 

C’est cette seconde forme de symbolisme qui est en fait la plus essentielle dans le dernier ouvrage de Durkheim, et c’est elle que Fauconnet investira dans son œuvre, orientant la définition de la société en un sens nettement idéaliste, délaissant la question de l’origine morphologique de la vie morale pour se concentrer sur son fonctionnement réel appréhendable depuis une analyse des représentations. Lorsqu’il s’intéresse à la question de la responsabilité, il cherche ainsi moins à expliquer en quoi le crime produit une réaction sociale liée au rassemblement de l’ensemble de la société communiant dans son rejet en dégageant une énergie sui generis s’exprimant par le tribunal, qu’il ne circonscrit l’objet de l’étude sociologique aux relations d’imputations structurant la représentation sociale toujours déjà agissante lorsqu’un crime survient65. C’est cette même insistance sur le monde idéal comme produit représentationnel du fait d’association et de sa morphologie, toujours spécifique, au détriment d’une interrogation sur l’origine – en partie métaphysique – de la société et de la morale, que Fauconnet prolonge donc une nouvelle fois dans son cours sur la famille. Il se concentre sur l’enjeu de dénaturalisation de l’institution permettant d’en comprendre socio-historiquement le fonctionnement plutôt que sur sa généalogie dans un rassemblement clanique premier66. Mais s’il s’agit bien d’un prolongement, c’est qu’une telle définition de la sociologie a toujours été présente chez son maître, qu’elle a en fait représenté la préoccupation la plus centrale de son projet, au point que l’on puisse juger pour le moins superficielles toutes les critiques qui ont reproché au fondateur de la sociologie de n’avoir fait que chercher une origine au symbolique dans le rassemblement du groupe et les émotions qui s’en trouvent créées67.

Épistémologie sociologique et institution familiale

En concluant son cours, Fauconnet rappelle les deux voies complémentaires par lesquelles il a déconstruit la naturalisation moderne de l’institution familiale : la mise au jour de types d’organisations familiales élargies qui ne se réduisent nullement à la multiplication de cellules conjugales – dont l’importance est renforcée par les systèmes classificatoires de parenté –, et la mise au jour de parentés irréductibles à sa forme bilatérale. C’est alors la situation moderne, marquée par « l’équivalence des deux parentés » à l’intérieur d’un système domestique dont le « couple conjugal est devenu le centre68 » qui mérite d’être expliquée sociologiquement et historiquement, plutôt que posée comme une norme naturelle. Si le cours de Fauconnet n’est pas le lieu d’une véritable explication historique de cette évolution, il laisse apparaître son principe fondamental en démontrant que la représentation sociale, tout en restant sociale, est conduite, sous l’effet de l’individualisation, à épouser les contours de la représentation individuelle, en projetant sa moralité intrinsèque dans la réalité objective représentée, principalement sous la forme d’une valorisation du naturel.

Une telle thèse, qui s’exprime de façon tout à fait explicite à travers la description de l’évolution de l’appréhension de la famille, constitue en réalité le mouvement le plus central de cette école de pensée, que l’on peut justement regarder comme l’élément la définissant en propre. Elle configure la sociologie comme une étude représentative du social, s’intéressant à la distribution morale du rapport à la réalité qui s’établit au sein de l’esprit de tout individu socialisé, impliquant une méthode de comparatisme anthropologique et historique, que le concept « d’institution » cherchait à cerner69. Si Marcel Mauss et Paul Fauconnet en sont les tenants les plus affirmés, elle prit une place croissante dans l’œuvre de Durkheim lui-même. Lorsqu’il s’intéresse à la religion, notamment à travers le cas du totémisme australien, il cherche à cerner cette représentation morale de la réalité telle qu’elle apparaît dans les réactions produites par la perception de certaines choses ou faits, à commencer par le sang menstrue70. Ce faisant, c’est toute la structure du projet sociologique qui évolue. Il n’est plus question de penser un individu naturel opposé à une société extérieure, faite de relations de solidarité contenant en elles-mêmes une sorte de moralité que le sociologue devrait valoriser – comme cela est encore le cas dans De la division du travail social ou dans Le Suicide. Il s’agit désormais de penser le social comme un plan de l’existence humaine purement moral, s’exprimant sous la forme d’une représentation de la réalité ajoutant une signification à ce que les sens perçoivent. La religion apparaît dès lors comme l’expression la plus directe de cette part sociale de la représentation prenant la forme d’associations morales entre choses perçues à travers lesquelles la signification elle-même, produit de la vie en société, se « surajoute » aux perceptions individuelles en se réfractant dans l’esprit de chacun. Les textes les plus tardifs de Durkheim sont marqués par cette thématique71, qui s’exprime de façon privilégiée dans le concept de « transfiguration72 », et qui donne entre autres lieu à une véritable théorie anthropologique fondée sur la mise au jour d’une dualité de l’existence humaine73.

Conformément à la méthode défendue par ses deux élèves74, Les Formes élémentaires de la vie religieuse ne vise cependant pas seulement à démontrer que la religion est le principal lieu d’expression du social, mais également à indiquer l’évolution qui travaille cette représentation morale spécifique à partir de laquelle émerge une structure commune entre science et religion. La science y est présentée comme une forme de religion dans la mesure où elle ne tient son autorité que de ce qu’elle renvoie à une confiance d’origine sociale similaire aux croyances religieuses. Dans ce cas cependant, la représentation morale s’ordonne de telle manière que la signification épouse les contours de la représentation individuelle faite de perceptions objectives, au point que le vrai et l’objectivement vérifiable nous soient devenus exclusivement synonymes. Si la science repose sur une croyance, si la possibilité de croire dans le raisonnement rationnel de type scientifique repose bien sur une volonté première, de nature morale, et donc sociale75, celle-ci se trouve invisibilisée ici par son propre mouvement d’expression rationnelle. Marcel Mauss a popularisé l’une des principales expressions les plus directement politiques de cette thèse, liée à la critique socialiste de la marchandisation capitaliste du monde comme forme moderne de naturalisation de l’échange. Son Essai sur le don démontre que la forme moderne de l’échange, dans laquelle les biens matériels échangés objectivement perçus en constituent la finalité, n’en est nullement la forme naturelle, mais masque plutôt un fondement universel difficilement décelable pour nous76. Celui-ci est structuré, par-delà toute valorisation de l’objet échangé, par une finalité sociale au sein de laquelle cette dimension matérielle s’insère à titre de moyen, d’abord liée à la notion de prestige, qui se donne particulièrement à voir dans des cérémonies de potlatch marquées par la destruction des biens matériels échangés entre chefs amérindiens.

Paul Fauconnet porta également dans ses objets d’étude une telle ambition. L’enjeu fondamental de sa thèse est de démontrer que, dans son fonctionnement moderne, l’institution de la responsabilité est grevée par une confusion entre le monde de la représentation morale et le monde des réalités objectives et matérielles. Dans une affaire criminelle, explique Fauconnet, il n’est pas vrai que celui que la société sanctionne moralement pour signifier sa désapprobation ait toujours été l’auteur de l’acte criminel. Usant d’une méthode comparatiste lui permettant d’englober l’ensemble des cas où une sanction de type pénale se manifeste, il démontre que bien souvent l’auteur de l’acte et le « patient responsable » recevant la sanction n’entretiennent qu’un rapport très lâche. Or cette recherche du responsable suit des associations morales qui diffèrent dans chaque société et qui constituent l’objet propre de l’analyse sociologique.

La spécificité du cas moderne tient à ce que la représentation morale à l’origine de cette série d’associations formant une imputation de responsabilité recouvre intégralement les perceptions objectives. Notre monde moral est en effet exclusivement organisé autour d’un principe individualiste faisant émerger le corps individuel et ses mouvements matériels comme seule entité morale encore existante. Cherchant comme symbole de tout fait un corps individuel présent à proximité de lui, ce mouvement de réaction prend ainsi la forme d’une recherche objective de l’auteur du fait, suivant des relations morales s’exprimant exclusivement sous la forme de relations de causalité. Notre conception de la responsabilité s’en trouve marquée par une équation dans laquelle le responsable d’un crime ne peut être que son auteur sur le plan objectif et matériel, allant jusqu’à rendre absolument congruentes l’idée de responsable et celle d’origine du fait incriminé.

L’individu objectif, le corps distinct d’un autre, et ses propres perceptions, deviennent le sujet de la représentation sociale qui se retourne ainsi sur son point d’origine, puisque c’est en lui que le sacré – source du sens – se trouve désormais placé. Le fait objectif, qu’il soit un corps individuel et son acte matériel, les contours d’une perception et les rapports physiques qui s’établissent entre les objets perçus, ou la famille dans son sens biologique, fondée sur la consanguinité et la reproduction, s’en trouvent moralisés, succédant à des distributions morales structurées autour d’entités collectives diverses donnant lieu à une pluralité d’ontologies. La situation moderne se donne alors à voir dans toute son ambivalence problématique, qui justifie l’existence de la discipline sociologique. En épousant l’échelle de la représentation individuelle – celle qui en reste à la matérialité neutre – la représentation sociale n’a pas cessé d’être sociale, mais elle a cessé d’être visible, au point qu’il importe d’effectuer une enquête permettant de délimiter précisément le contenu social de toute représentation à travers le recours conjoint à l’histoire et l’anthropologie77, afin de déterminer d’abord la nature sociale, et donc variable, de nos propres institutions naturalisées.

La première conclusion de cette approche est bien d’ordre méthodologique. Elle implique de réinscrire la sociologie et son émergence même dans un contexte particulier où cette confusion entre les deux mondes (le monde des réalités objectives et celui des institutions morales) oriente vers une méthode de comparatisme radical, seule à même de s’en dégager afin d’analyser le monde moral dans sa variabilité constitutive et non d’extrapoler sa sédimentation moderne aux autres sociétés. N’est-ce pas parce que tous les auteurs dont Fauconnet retrace le raisonnement sont partis d’une définition première de la famille – celle que la société dans laquelle il vivait avait cristallisée – dans leur étude générale de cette institution sociale (qui ne peut dès lors plus apparaître comme telle), qu’ils ont immanquablement échoué à faire de leur travail autre chose que la projection de préférences morales propres et aveugles à leurs conditions même de possibilité ? Le mot d’ordre durkheimien de rupture avec les prénotions prend ici un sens bien déterminé, impliquant une dénaturalisation radicale de ses propres catégories, reléguant au second plan l’objectivation statistique mise à l’honneur dans Le Suicide, au profit de la pratique comparatiste. Mais s’il importe de faire cesser cette confusion entre les deux formes de représentation, ce n’est pas seulement pour une raison de méthode. Se loge dans cette démarche une théorie du social que l’on peut à bon droit qualifier de philosophique, et qui nous conduit à tirer de ce parcours une ultime conclusion.

Considérations sur la confusion moderne et ses évolutions

Si l’enquête comparatiste est possible, si, en fait, elle vient à l’idée, c’est que le passage de la représentation sociale derrière la représentation individuelle ne cesse pas de laisser une trace. Cette trace, Fauconnet ne s’y attarde que peu dans son cours sur la famille, bien qu’elle sous-tende tout son raisonnement : la famille moderne conjugale n’est pas seulement perçue comme l’organisation familiale vraie, objectivement fondée en nature ; elle est aussi moralement valorisée78. Ou plutôt, cette perception n’est considérée comme fondée que dans la mesure où l’institution familiale en question est d’abord appréhendée comme moralement valorisable. Bref, la famille conjugale n’apparaît pas aux modernes comme la famille naturelle seulement, elle leur apparaît – ou en tout cas elle leur est longtemps apparue – comme l’organisation familiale moralement supérieure, d’où dérive en fait un rapport ambivalent à la référence biologique, puisqu’elle se présente comme la famille naturelle tout en marquant, dans l’union sanctionnée par un mariage, une rupture radicale avec tout ce que l’accouplement animal est réputé avoir de bas et d’instinctif79. C’est cette même trace que l’on retrouve dans notre attachement à la science, comme dans la valeur que l’on accorde à un jugement de responsabilité qui respecte les procédures rationnelles dans lesquelles nous contenons son émotivité première. Elle transmet à la famille composée de deux parents de sexe opposé et de leurs enfants la forme d’une réalité morale, au sens classique du terme.

photo

Photographie d’un rassemblement de la « Manif pour tous » à Paris, le 13 juin 2013.

En suivant la démonstration exemplaire de Fauconnet qui se déploie dans son cours sur la famille, comme quelques années plus tôt elle s’était élaborée dans l’étude de la responsabilité, on en arrive donc à mieux saisir le cœur du mécanisme sur lequel se fonde la sociologie. Si le cas de la famille semble dévoiler plus clairement encore le cœur du phénomène que ne le faisait l’étude de la responsabilité, c’est qu’il ne laisse pas de renvoyer à un collectif impliquant l’existence d’au moins deux individus pour exister. L’évolution moderne, dans ce cas, ne semble pas pouvoir aller jusqu’à l’échelle purement individuelle, évitant ainsi le risque de voilement radical de la représentation sociale derrière la représentation individuelle qui rendait si complexe l’étude de la responsabilité, marquée par la nécessaire dénaturalisation de la notion de sujet à laquelle elle aboutit finalement80. Réciproquement, l’étude de la famille, parce qu’elle ne va pas jusqu’au lieu où se cristallise la tension moderne, parce qu’elle ne nécessite pas de rechercher le social jusque dans l’intérieur du corps individuel où il finit par se loger, ne peut conduire au même résultat que l’étude de la responsabilité.

Celle-ci s’intéresse au contenu propre de cette sacralisation de l’individu en trouvant dans l’idée de sujet – entité morale responsable de ses actes car perçue comme dotée d’une volonté propre et d’une puissance d’agir fondatrice – la formule véritable de l’individualisation moderne. Il est probable que la réflexion sociologique sur la famille, initiée par Durkheim et reprise par Fauconnet, nécessite de clarifier cette question fondamentale pour atteindre son terme. Entre la valorisation biologisante du couple et de sa capacité d’engendrement associée à un modèle animal et la sacralisation du sujet volontaire, il y a, semble-t-il, un fossé de nature à brouiller le diagnostic que l’on peut porter sur la nature des sociétés individualistes ; fossé auquel on ne peut manquer d’être confronté dès lors que l’on s’interroge sur la validité contemporaine de la valorisation morale de la famille conjugale biologisante. C’est en tout cas ce que permettent de supposer certains textes durkheimiens abordant les débats sur la famille dont il est le témoin, qui ne laissent pas de faire apparaître une certaine indétermination dans le principe de son analyse. Ses textes polémiques sur le divorce81, longtemps pris comme exemples de la cécité à laquelle sa focalisation sur la fonction sociale et les problématiques d’intégration conduit à relativiser les déséquilibres entre les sexes82, nous intéressent moins ici qu’un autre, plus méconnu, portant sur l’incontinence sexuelle avant le mariage83.

À cette occasion, Durkheim cherche à expliquer que s’il importe d’inculquer aux jeunes hommes la nécessité de se préserver, c’est que la norme morale s’étant reconfigurée autour de la sacralité du corps individuel, elle implique d’aborder le contact le plus intime entre ces corps sur le mode d’une interdiction morale similaire à l’interdit du contact que l’on trouve au fondement de la morale84. On retrouverait ainsi, dans la moralisation croissante de l’interdit sexuel comme dans la définition de l’institution familiale comme entité biologique et consanguine, la même naturalisation de la réalité morale propre aux sociétés modernes. Or, que l’acte sexuel puisse paraître immoral parce qu’il rapproche par trop deux corps sacrés, sur le modèle de la profanation par contact, c’est ce que les évolutions du rapport des sociétés occidentales modernes à la sexualité invitent à contester. On ne comprend en effet pas le double mouvement de libération sexuelle qui s’est produit à partir des années 1970, puis de moralisation du consentement – plutôt que du rapport sexuel en lui-même – qui s’est affirmé plus récemment85, si l’on s’en tient à une théorie de la morale centrée sur le corps qui aurait plutôt conduit à un rapport à la sexualité de plus en plus restreint et encadré. Dans ces deux cas, c’est la volonté subjective de la pratique sexuelle sur laquelle la moralisation s’est concentrée, indiquant par là même que les sociétés occidentales contemporaines sont structurées par une expression subjectiviste de la sacralisation individuelle.

Cette tendance invite également à considérer que si le processus d’individualisation a fait de la forme conjugale de la famille la norme, celle-ci demeure profondément ambivalente, et sujette à d’importantes variations dont l’ampleur va croissant. La revendication d’une famille conjugale structurée sur un mode biologique a cessé, dans le courant du second XXe siècle, et en parallèle des évolutions relatives à la sexualité, de s’affirmer pour s’ouvrir à une forme de déconstruction de la référence biologisante. Un tel mouvement s’exprime d’une façon à la fois massive, complexe et en partie paradoxale. La famille contemporaine tend à se présenter non plus seulement sous la forme d’un couple et de sa descendance, mais sous de multiples expressions dont le principe unificateur réside dans une volonté d’association s’exprimant sous la forme d’un projet. À cet égard, il est bien vrai que le couple, devenu l’association volontaire par excellence, produit d’un sentiment amoureux structurant un duo sentimental dont l’engagement nécessite d’être constamment actualisé86, représente le cœur de la famille conjugale. Sa pleine réalisation ne passe dès lors plus par l’acte de procréation, et le mariage lui-même a cessé de trouver sa signification fondamentale dans son rapport à la parentalité – à travers notamment une présomption de paternité – pour devenir « l’institution d’un lien de couple87». Mais à mesure que le mariage se donne la forme conjugale comme sa propre fin, en cessant de contenir en lui-même un rapport nécessaire de filiation faisant de l’acte d’engendrement sa finalité logique, la famille se définit également de plus en plus clairement par le rapport de filiation, du parent au descendant, au-delà de sa forme conjugale88. La reconnaissance croissante des familles monoparentales, notamment celles qui se sont constituées à travers une aide à la procréation, témoigne de ce que la volonté de devenir parent, le projet d’élever des enfants, nous apparaît désormais comme un critère plus légitime que la référence aux règles naturelles de reproduction dans notre définition de la famille.

La rupture entre mariage et filiation produit ainsi deux conséquences distinctes qui sapent par ses deux bords le modèle de la famille conjugale fondée sur la rencontre entre deux individus s’unissant pour constituer une descendance : le couple gagne en importance comme finalité en soi, et la filiation apparaît de plus en plus comme une réalité indépendante des conditions conjugales. Dans l’un et l’autre cas, c’est la même cause qui est à l’œuvre. Parce que les relations conjugales se sont redéfinies comme l’expression d’une réalisation de soi89, l’acte de procréation se voit subordonné à un rapport amoureux authentique et volontaire qui peut ou non le contenir. À l’inverse, c’est le projet d’enfant, la volonté de devenir parents avec tout ce qu’elle implique d’engagements et d’obligations – de plus en plus exigeants – qui suffit également à définir la famille, quand bien même cette famille serait détachée de l’acte biologique de procréation90.

Mais ce qui témoigne davantage encore de ce que le modèle biologisant commenté par Durkheim et Fauconnet n’a pas marqué le terme de l’évolution familiale, et qu’il a au contraire subi depuis un renversement d’une ampleur inédite, ce sont les évolutions propres à la filiation. Les dernières décennies ont été marquées, dans le contexte français et occidental, par une mutation de la famille intégralement orientée contre le modèle biologisant du code napoléonien, à travers l’affirmation d’une distinction entre filiation et origine (au sens biologique du terme91). On a ainsi reconnu que la famille, en tant qu’institution sociale, ne se confondait pas avec le rapport de consanguinité et l’acte d’engendrement, en actant que le lien qui unit parents et enfants ne se réduit pas à un simple lien biologique. Les éléments illustrant cette évolution sont nombreux, et ils concernent d’abord la thématique de l’adoption, qui a progressivement cessé de se présenter sur le modèle d’une seconde naissance biologique, symbolisé par la pratique de fabrication d’un second acte de naissance. De même, les pratiques qui faisaient de la PMA avec tiers donneur un calque d’une reproduction naturelle (choisir un donneur aux mêmes traits physiques, du même groupe sanguin, etc.) pour masquer autant que faire se peut la différence entre parent et géniteur se sont affaiblies92. Mais cette tendance a surtout éclaté à la faveur des débats entourant l’élargissement du mariage, et en fait surtout de l’adoption, aux couples de même sexe. La reconnaissance des familles homoparentales conquise à cette occasion a mis en lumière cette évolution souterraine de la famille, puisque l’équation faisant d’elle la somme d’un père, d’une mère et de leurs descendants, a pour de bon cessé d’être réputée la seule possible, et que la relation familiale s’est par là même explicitée comme une relation affective.

Toutes ces évolutions, qui nous éloignent de beaucoup du modèle décrit au début du siècle dernier dans l’analyse sociologique de la famille, reposent sur une transformation du principe générateur de l’institution familiale depuis une focalisation sur la consanguinité à l’idée d’un projet volontaire, effet d’un sentiment affectif par où cette institution trouve sa véritable formule. Une telle évolution rend moins caduques les analyses de l’école française de sociologie qu’elle offre une perspective nouvelle sur cette confusion qui caractérise les sociétés individualistes entre représentation morale et représentation individuelle. Car à travers cette transformation de la famille, c’est surtout une nouvelle expression de l’individualisme moderne qui se donne à voir : l’individu y est appréhendé comme doté d’une volonté constitutive première le définissant en propre, plutôt que d’attributs biologiques universaux, associés à un certain nombre d’instincts, qui donnaient tout son sens à une institution familiale comme simple décalque moral d’un modèle animal.

Dans son analyse du fonctionnement de l’institution sociale de responsabilité, Paul Fauconnet décrivait la confusion entre relations d’imputations morales et de causalités physiques comme un produit du processus d’individualisation conduisant in fine à un phénomène de subjectivation de la responsabilité. Non seulement l’individu pouvait à nos yeux seul être responsable, mais cette orientation des jugements conduisait à façonner un individu de plus en plus défini comme un sujet, constitué par un principe de choix moral intérieur, travaillé par un sentiment de responsabilité construisant de manière croissante en lui une intériorité facteur de tiraillements au cœur de son identité. Chez Fauconnet, le processus d’individualisation qui caractérise la modernité finissait donc par apparaître sous la forme d’un processus de subjectivation de la vie morale ; dominée non par la figure d’un corps moralisé dans sa naturalité même, mais par une intériorité morale et psychologique interne à ce corps en laquelle se résume toute la dignité de l’individu.

Les évolutions de la famille et des rapports entre sexes, passant d’une moralisation de la référence naturelle à l’accouplement à une moralisation du projet volontaire de parentalité, d’une moralisation de l’acte sexuel à une moralisation de la volonté à cet acte s’exprimant dans le consentement, témoignent avec force de cet approfondissement original de l’individualisme. Celui-ci ne se résume cependant pas à ces domaines, et il est au contraire permis d’y voir la toile de fond de la morale générale propre aux sociétés occidentales post-industrielles. On en trouve une description particulièrement pertinente dans le travail que Cas Wouters a consacré, dans le sillage de Norbert Elias, au prolongement contemporain du processus « d’informalisation » du social93. Si l’individu qui émerge au XIXe siècle, dans la première phase de la modernité, trouve son principe ordonnateur dans l’idée d’une nature humaine faite de passions à contrôler par la soumission à une série de normes qui s’explicitent dans le modèle du code de conduite bourgeois, les dernières décennies du XXe siècle, et surtout les premières du siècle présent, ont vu l’émergence d’une figure individuelle nouvelle.

Celle-ci est caractérisée par l’obligation de faire pleinement advenir un moi authentique toujours déjà là, en appliquant sa volonté constitutive sur soi-même afin que sa véritable nature intérieure se donne à voir et s’épanouisse. Une telle évolution, par où l’individu apparaît davantage sous la forme d’une intériorité à explorer et à réaliser grâce à une volonté psychique interne que comme un corps à contraindre par l’appropriation de normes externes, est également manifeste dans les évolutions de notre rapport au psychisme et à ses pathologies94. L’individu contemporain que nos sociétés appréhendent n’est donc pas d’abord un corps auquel on adjoint un principe de contrôle en le dédoublant pour le moraliser, mais apparaît comme une volonté pure à qui revient de construire toute réalité morale qui l’entoure, y compris celle qui concerne sa propre individualité95.

Dans cette trajectoire d’individualisation spécifique, où la valeur morale devient l’individu puis, en son sein, sa puissance subjective créatrice, la question de la famille et des relations entre sexes ne cesse d’occuper une place spécifique96. S’il en est ainsi, c’est que le processus d’individualisation qui travaille les sociétés modernes occidentales a fait du collectif qui semble entourer l’individu comme corporalité la forme d’expression naturelle du groupe comme somme d’individus, à mesure que l’appartenance de ce dernier à des groupes plus vastes (ordres, localités, corporations, etc.) s’affaiblissait97. Un tel mouvement favorise la grande confusion sur la nature de la famille que le projet sociologique a cherché à lever, puisqu’elle conduit à reconstruire la famille productrice de l’individu naturalisé par sa naissance comme l’institution morale fondamentale des sociétés modernes, mais déniée dans son statut socia98. Parce que la famille détient ce statut spécifique de groupe se naturalisant à mesure que la société s’individualise et que les autres collectifs s’affaiblissent, sa critique dénaturalisante ne s’est réalisée qu’à mesure que l’expression subjective de l’individualité s’est imposée.

Une telle critique, en remplaçant le lien de consanguinité par un lien d’affectivité volontaire, a marqué un gain de réflexivité indéniable et une convergence certaine avec le projet de la sociologie. On ne saurait pourtant y voir une sortie pure et simple de la confusion moderne que celle-ci a pour mission d’accompagner, car si ce n’est plus le corps individuel perçu sur lequel se cristallise la naturalisation de la moralité, la réduction de la dignité individuelle à l’exercice d’une volonté réputée innée et constitutive tient d’un registre similaire. La forme de ces relations, dont la représentation morale constitue la famille, évolue, passant de relations consanguines à des relations volontaires d’association sentimentales, mais à l’intérieur d’un même processus de confusion entre part sociale et individuelle de l’esprit, s’exprimant désormais dans l’idée de sujet plutôt que dans celle d’un corps naturalisé99. Aussi est-il à craindre que l’évolution interne à cette confusion, qui a d’abord permis l’immense progrès d’une remise en cause des hiérarchies héritées, n’accouche de contradictions nouvelles, associées à l’invisibilisation de toute idée de statut social que la forme sujet radicalise100. La référence au seul consentement dans l’axe sexuel nécessite par exemple dès à présent, pour réaliser le besoin de justice entre les sexes qui la sous-tend, la reconstitution de rapports statutaires, comme en témoignent les récentes évolutions juridiques entourant le consentement des mineurs ou des femmes en situation d’emprise101. De telles contradictions sont inséparables d’une situation dans laquelle ces relations valorisées, par-delà leurs transformations, peinent à nous apparaître comme un fait historiquement situé et socialement institué, produisant des rôles sociaux qui ne cessent pas de l’être quand bien même ils s’exprimeraient sur le mode d’une volonté. La tâche de la sociologie, entendue comme analyse comparative des représentations, s’en trouve relancée.

    Unfold notes and references
    Retour vers la note de texte 22319

    1

    Cf. Marcel Mauss, « In memoriam. L’œuvre inédite de Durkheim », in Œuvres 3, Paris, Minuit, 1969, p. 480-481.

    Retour vers la note de texte 22320

    2

    Émile Durkheim, « Débat sur l’explication en histoire et en sociologie » [1908], in Textes 1, Paris, Minuit, 1975, p. 212. Dans un autre texte, daté de 1895, Durkheim écrit également : « On sait qu’il y a un rapport défini entre la famille et le mariage, d’une part, et l’organisation sociale, de l’autre. Cette relation est tellement étroite que nous croyons pouvoir, si l’on nous donne le droit successoral ou les formes matrimoniales en usage chez un peuple, dire, avec une approximation suffisante, à quel type social ce peuple appartient ; c’est une expérience que nous avons souvent faite. » Cf. Émile Durkheim, « Origine du mariage dans l’espèce humaine d’après Westermarck », reproduit dans Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 70-92, ici p. 91.

    Retour vers la note de texte 22321

    3

    Ces deux textes ont été publiés dans Textes 3, Paris, Minuit, 1975, respectivement sous le titre « Introduction à la sociologie de la famille » (p. 9-34) et « La famille conjugale » (p. 35-49). En 1895, Durkheim présente lui-même ses travaux sur le mariage et la famille comme relevant d’un « enseignement encore inédit ». Cf. Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 70.

    Retour vers la note de texte 22322

    4

    Émile Durkheim, Leçons de sociologie, Paris, Puf, 2015 [1950].

    Retour vers la note de texte 22323

    5

    Un certain nombre de textes parus dans l’Année sociologique, mémoires ou comptes rendus, comptent assurément parmi les éléments majeurs de cette théorie. La lecture en est facilitée par le travail éditorial réalisée dans Émile Durkheim, Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, qui regroupe les textes durkheimiens parus dans cette revue. Une sélection de textes dispersés portant sur la famille, mais en fait largement réduite à la thématique du mariage, a également été réalisée dans le premier chapitre de Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 9-153.

    Retour vers la note de texte 22324

    6

    Pierre-Jean Simon, « Paul Fauconnet. L’oublié des oubliés », in Claude Ravelet (dir.), 3 figures de l’école durkheimienne : Célestin Bouglé, Georges Davy, Paul Fauconnet, Anamnèse n°3-2007, Paris, L’Harmattan, p. 209-219.

    Retour vers la note de texte 22325

    7

    Paul Fauconnet, La Responsabilité. Étude de sociologie, Paris, Puf, 2023 [1920].

    Retour vers la note de texte 22326

    8

    Paul Fauconnet, Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, cours recueilli et rédigé par Albert Vielledent, Juge suppléant au tribunal de Versailles, Centre de documentation universitaire, 1932. Ce texte, comme d’autres enseignements de Fauconnet, consacrés à la sociologie d’Auguste Comte ou à la méthode des sciences sociales, ont été publiés sous la forme de fascicules par la Sorbonne, sans être réellement diffusés.

    Retour vers la note de texte 22327

    9

    Sur la vie et la trajectoire de Paul Fauconnet, nous nous permettons de renvoyer à Sacha Lévy-Bruhl, « Paul Fauconnet. Esquisse biographique », Cahiers Jaurès, n°257, 2025/3, p. 101-135.

    Retour vers la note de texte 22328

    10

    À l’exception du seul ouvrage consacré à Fauconnet existant – court et en langue allemande – qui fait mention de ce cours dans la bibliographie du sociologue proposée en annexe. Cf. Werner Gephart, Symbol und Sanktion. Zur Theorie der kollektiven Zurechnung von Paul Fauconnet, Opladen, Leske & Budrich, 1997, p. 130.

    Retour vers la note de texte 22329

    11

    Il explique « emprunter sa démonstration à des travaux inédits sur la famille de Durkheim » (Paul Fauconnet, La Famille, Les cours de Sorbonne, 1932, p. 43).

    Retour vers la note de texte 22330

    12

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 2.

    Retour vers la note de texte 22331

    13

    Georges Davy, « Vues sociologiques sur la famille et la parenté d’après Durkheim », Revue philosophique de la France et de l’Étranger, t.100, 1925, p. 79-117.

    Retour vers la note de texte 22332

    14

    Marcel Mauss, note 15 p. 40 in Émile Durkheim, « La famille conjugale », reproduit dans Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 35-49. Cette leçon conclusive de son cours sur la famille est tout entière traversée par cette thèse tout à fait explicite. C’est la démonstration qui la soutient qui manque, et à laquelle le cours de Fauconnet pourvoit.

    Retour vers la note de texte 22333

    15

    L’une des rares références à sa théorie de la famille dans ses Leçons de sociologie défend exactement cette thèse. Cf. Leçons de sociologie, Paris, Puf, 2015 [1950], p. 109 : « La famille n’est donc pas uniquement, ni essentiellement un groupe de consanguins ; C’est un groupe d’individus qui se trouvent avoir été rapprochés au sein de la société politique par une communauté plus particulièrement étroite d’idées, de sentiments et d’intérêts ». On la retrouve également énoncée dans la seule référence à cette thématique dans son dernier ouvrage, où l’on peut lire que « la parenté ne saurait se définir par la consanguinité » (Cf. Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Puf, 2013 [1912], p. 9). Irène Théry a par ailleurs rappelé qu’elle innervait déjà sa thèse de doctorat. Cf. Irène Théry, « La division des sexes chez Durkheim : éléments pour une sociologie comparative », in Émile Durkheim et les liens sociaux [numéro thématique], Revue international de philosophie, 2017/2, p. 117-139.

    Retour vers la note de texte 22334

    16

    On ne peut dès lors se contenter d’expliquer la place de la thématique dans l’œuvre durkheimienne, ou les axes de sa problématisation, en renvoyant à une simple analyse sociologique de la position sociale de son auteur, comme le fit Remi Lenoir dans « La famille conjugale : une catégorie d’État selon Durkheim », in Émile Durkheim et les liens sociaux [numéro thématique], Revue international de philosophie, 2017/2, p. 141-155.

    Retour vers la note de texte 22335

    17

    L’ouvrage de référence permettant de tempérer ce manque est celui de Mary Ann Lamanna, Émile Durkheim on the Family, Sage Publication, Thousand Oaks, 2002, dont le cours de Fauconnet confirme largement la reconstitution qu’elle propose de la théorie familiale durkheimienne.

    Retour vers la note de texte 22336

    18

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 2.

    Retour vers la note de texte 22337

    19

    Henry Summer Maine, Lectures on the Early History of Institutions, New York, H. Holt, 1875.

    Retour vers la note de texte 22338

    20

    Numa Denis Fustel de Coulanges, La Cité antique, Strasbourg, chez Silberman, 1864.

    Retour vers la note de texte 22339

    21

    Johann Jakob Bachofen, Das Mutterrecht. Eine Untersuchung über die Gynaikokratie der alten Welt nach ihrer religiösen und rechtlichen Natur, Stuttgart, Verlag Von Krais, 1861.

    Retour vers la note de texte 22340

    22

    Lewis Henry Morgan, Systems of Consanguinity and Affinity of the Human Family, Washington DC, The Smithsonian Institution, 1871 ; Lewis Henry Morgan, Ancient Society or Researches in the Lines of Human Progress form Savagery Through Barbarism to Civilization, Londres, MacMillan & Company, 1877.

    Retour vers la note de texte 22341

    23

    Ces trois enjeux étaient très probablement au cœur des leçons durkheimiennes sur la famille. Tous ces auteurs mis en avant par Fauconnet sont évoqués dans la bibliographie introductive que Durkheim donne à ses étudiants dans la première leçon de son cours sur le thème en 1888. Cf. Émile Durkheim, Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 21.

    Retour vers la note de texte 22342

    24

    Fauconnet s’appuie sur quelques passages du Cours de philosophie positive. Dans l’article intitulé « Sociologie et sciences sociales », co-signé par Durkheim et Fauconnet et paru dans la Revue philosophique en 1903, on lit une critique similaire de l’idée de famille chez Comte : « L’élément social fondamental, la famille, est conçu comme toujours semblable à lui-même ; l’idée d'une classification des types divers d’organisation domestique, qui implique l’idée de corrélations diverses entre la famille et les organisations plus vastes, ne se présente pas à l’esprit de Comte. Il n’y a donc pas là matière à des découvertes et la théorie de la famille est achevée d’un coup. » Reproduit dans Émile Durkheim, Textes 1, Paris, Minuit, 1975, p. 121-159. Sur le décalage qu’imprime la sociologie durkheimienne à la vision de Comte au sujet du rapport homme/femme, voir Irène Théry, « La division des sexes chez Durkheim », in Émile Durkheim et les liens sociaux [numéro thématique], Revue international de philosophie, 2017/2, p. 117-139.

    Retour vers la note de texte 22343

    25

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 21. La distinction entre famille patriarcale romaine et famille paternelle germanique est décrite par Mauss à travers une note explicative dans Émile Durkheim, « La famille conjugale », in Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 36.

    Retour vers la note de texte 22344

    26

    Un tel programme était décrit par Durkheim comme l’objectif de sa première année de cours sur sa famille dans sa leçon introductive de 1888 qui nous est parvenue : « En un mot, pour remplir le programme que je traçais tout à l’heure, il faut constituer tout d’abord les principaux types familiaux, les décrire, les ranger en genres et en espèces, chercher enfin autant que possible les causes qui ont déterminé leur apparition et surtout leur survie. C’est ce travail préparatoire que nous allons faire cette année ». Cf. « Introduction à la sociologie de la famille », in Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 15.

    Retour vers la note de texte 22345

    27

    Durkheim voyait dans le droit romain « un raccourci, presqu’un tableau de l’évolution juridique de l’humanité ». Cf. Textes 1, Paris, Minuit, 1975, p. 244. Voir également à ce sujet la critique qu’il adresse à Letourneau à propos de son usage insuffisant de ce cas dans son analyse de la famille dans « L’état actuel des études sociologiques en France », reproduit in Textes 1, Paris, Éditions de Minuit, 1975, p. 78.

    Retour vers la note de texte 22347

    28

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 41.

    Retour vers la note de texte 22346

    29

    Cette méthode était une prescription durkheimienne, rappelée par exemple dans les termes suivants : « Dès qu’il s’agit d’explication, la méthode génétique, celle qui, pour rendre compte des faits, commence par marquer leur place dans la suite du devenir, s’impose au sociologue. Car une institution est toujours, en partie, le produit du passé ». Cf. « Compte rendu de E. Grosse, Les formes de la famille et les formes de l’activité économique », in Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 120-121.

    Retour vers la note de texte 22348

    30

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 43.

    Retour vers la note de texte 22349

    31

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 43.

    Retour vers la note de texte 22350

    32

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 50.

    Retour vers la note de texte 22351

    33

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 50-51. Durkheim décrit un mouvement similaire dans le compte rendu critique du livre de Westermarck sur l’origine du mariage déjà cité, lorsqu’il donne raison à Morgan quant à la mise au jour de « vastes agrégats familiaux, sans noyau central, mais formés de larges couches homogènes, comprenant tous les individus du même âge indistinctement (…) [ayant] été la souche des familles, de plus en plus circonscrites et de mieux en mieux organisées, qui ont apparu dans la suite. On le voit, ajoute-t-il, de la manière la plus régulière, s’effacer à mesure que les autres s’en dégagent et se constituent ». Cf. « Origine du mariage dans l’espèce humaine d’après Westermarck », in Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 88-89.

    Retour vers la note de texte 22352

    34

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 51.

    Retour vers la note de texte 22353

    35

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 51.

    Retour vers la note de texte 22354

    36

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 51.

    Retour vers la note de texte 22355

    37

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 51.

    Retour vers la note de texte 22356

    38

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 52.

    Retour vers la note de texte 22357

    39

     « Si on appelle parents, par définition, les gens qui ont du sang commun dans les veines, si les plus proches parents sont donc le géniteur, la génitrice et leurs petits, le mâle, la femelle et leurs petits – j’essaye d’éviter les mots qui peuvent avoir un sens juridique – si c’est cela la parenté, nous sommes ramenés à une conclusion que je vous indiquais au début : il n’y a pas d’histoire de la famille. Car ce fait là, accouplement sexuel et enfantement s’est toujours passé et se passera toujours de la même manière ». Cf. Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 52.

    Retour vers la note de texte 22358

    40

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 52. Nous soulignons. On rapprochera cette déclaration d’une autre, sous la plume de Durkheim : « Il s’en faut donc que la maternité s’impose comme une évidence physique. C’est un problème de savoir d’où vient cette institution sociale et ce problème ne se ramène pas à celui-ci : qui a engendré ? C’est que l’organisation domestique repose, avant tout, sur des idées, des croyances, principalement religieuses, qui ne se bornent pas à traduire de simples rapports de descendance ». Cf. Émile Durkheim, « Compte rendu de E. Sidney Hartland, Primitive Paternity », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 719.

    Retour vers la note de texte 22359

    41

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 52. Nous soulignons.

    Retour vers la note de texte 22360

    42

    Durkheim résume sa position sur cette question dans les termes suivants : « La filiation en ligne utérine a, partout, précédé la filiation agnatique. On a voulu, il est vrai, l’expliquer par le désordre des relations conjugales et par l’impossibilité où, par suite, se trouveraient les hommes d’attribuer les enfants à des pères déterminées. Mais M. H(artland) n’a aucun mal à faire voir ce qu’a d’insoutenable cette explication dont on s’est si longtemps contenté : il reprend sur ce point la thèse que nous défendons ici depuis quinze ans et par les arguments mêmes que nous avons employés ». Cf. « Compte rendu de E. Sidney Hartland, Primitive Paternity », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 718.

    Retour vers la note de texte 22361

    43

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 65. Le rapport qu’entretient Durkheim aux travaux de Westermarck sur ce thème est en fait plus ambivalent que l’usage qu’en fait ici Fauconnet ne le laisse devenir. Le compte rendu qu’il consacre à son ouvrage est surtout critique, car Durkheim s’oppose d’abord à la thèse selon laquelle le mariage aurait existé dans les sociétés les plus « primitives », précisément car il voit là la projection d’un modèle moderne sur des réalités sociales différentes qui en masque la signification. Il n’en reconnaît pas moins que l’insistance de l’anthropologue à naturaliser le mariage moderne pour le voir à l’œuvre même dans les sociétés les plus éloignées l’a conduit à être l’un de ceux qui ont remis le plus radicalement en cause la thèse de la promiscuité sexuelle primitive de Bachofen. Cf. « Origine du mariage dans l’espèce humaine d’après Westermarck », in Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 89-90.

    Retour vers la note de texte 22362

    44

    « La question de la parenté utérine est une question à examiner en elle-même, et non seulement il ne faut pas lier ce problème, comme on l’a fait indûment, à des problèmes relatifs au régime du commerce sexuel ou du mariage, mais il ne faut pas le lier à une généalogie des types domestiques » (Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 67). Et plus loin : « L’histoire de la famille n’est pas l’histoire de la succession de l’une des deux filiations à l’autre » (Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 92).

    Retour vers la note de texte 22363

    45

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 73.

    Retour vers la note de texte 22364

    46

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 86.

    Retour vers la note de texte 22365

    47

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 86.

    Retour vers la note de texte 22366

    48

    Texte qui permet à Durkheim de reprendre et développer sa thèse d’un passage d’une filiation utérine à une filiation paternelle dans le cas des Arunta qu’il avait suggérée dans son mémoire intitulé Sur le totémisme quelques années plus tôt (à travers des arguments que l’on retrouve dans le cours de Fauconnet), et qui est précisément critiqué dans l’ouvrage de Spencer et Gillens qui sert de support à ce nouvel essai. Paru dans L’Année sociologique, volume VIII, 1903-1904, reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 483-510. On y lit par exemple : « L’antériorité de la filiation utérine sur la filiation paternelle est tellement évidente dans les différentes sociétés dont nous venons de parler, elle est démontrée par une telle convergence de preuves qu’il nous paraît difficile de la mettre en doute. »

    Retour vers la note de texte 22367

    49

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 85.

    Retour vers la note de texte 22368

    50

    Il est probable que Fauconnet fasse ici référence au cours que Durkheim consacra à la famille en 1909-1910, si l’on en croit le témoignage de Mauss dans son In memoriam, et l’intitulé de ses cours retranscrit par Steven Luckes dans Emile Durkheim, his Life and Work. A Historical and Critical Study, Harmondsworth, Penguin Books, 1973, p. 617-620. Dans une lettre que Fauconnet adresse à Mauss, il lui demande de lui transmettre un cours de Durkheim datant à peu près de cette période « sur Famille et Mariage en Australie ».  Lettre du 22 août 1922, Archives du Collège de France, Fonds Mauss-Hubert, 57 CDF 63-12.

    Retour vers la note de texte 22369

    51

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 86. Fauconnet reprend également pour cette raison l’idée selon laquelle la parenté française moderne doit être plus germanique que romaine, que Durkheim avait l’habitude de soutenir. Voir par exemple : « Compte rendu de E. Grosse, Les formes de la famille et les formes de l’activité économique », in Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 121.

    Retour vers la note de texte 22370

    52

    Dans un compte rendu de 1898, Durkheim écrit : « Loin de n’être qu’un signe conventionnel, le totem est le symbole de la vie religieuse ; et il n’est rien alors à quoi la religion n’étende son empire. Par suite, la transmission du totem en ligne féminine a une signification capitale pour la constitution de la famille primitive ; partout où elle a lieu, elle atteste l’existence de clans utérins. Et comme elle est beaucoup plus fréquente chez les peuples inférieurs (Australie), tout concourt à prouver qu’elle est le fait primitif, qu’à l’origine le clan se recrutait exclusivement par les femmes ». Cf. Émile Durkheim, « Compte rendu de Heinrich Cunow, Bases économiques du matriarcat », reproduit dans Journal Sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 167.

    Retour vers la note de texte 22371

    53

    Sur l’importance d’une filiation utérine primitive dans la théorie durkheimienne de la famille, associée à sa conception du totémisme, voir également Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 103-104 ; p. 122 ; p. 167.

    Retour vers la note de texte 22372

    54

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 98-99.

    Retour vers la note de texte 22373

    55

    Les Institutions juridiques et morales. La famille (étude sociologique), Les cours de Sorbonne, 1932, p. 107. Ou comme le dit Durkheim en commentant la thèse de Morgan : « La diversité des dénominations qu’ils s’appliquent ne correspond aucunement à la diversité des rapports de descendance qui sont censés les unir » Cf. Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 87.

    Retour vers la note de texte 22374

    56

    « C’est parce que le mot d’inaha, par exemple, signifie, selon lui (Kohler), le rapport de filiation qui unit une mère à ses enfants, qu’il en conclut que l’enfant voit dans toutes les femmes qu’il nomme ainsi des épouses de son père (…) Mais comment ne voit-on pas qu’une telle maternité n’a rien de commun avec le lien de sang que ce mot désigne ? » Cf. Émile Durkheim, « Compte rendu de J. Kohler, Contribution à l’histoire primitive du mariage. Totémisme, mariage collectif, droit maternel », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Minuit, 1969, pp. 108-109. Et plus loin : « Mais alors n’aboutissons-nous pas à une antinomie en admettant, d’une part, que ces tableaux ne figurent aucunement des liens de sang, et que, pourtant, ils traduisent des relations de parenté ? Nullement. Il suffit d’admettre, ce qui est l’évidence même pour quiconque est au courant de l’évolution familiale, que parenté et consanguinité sont choses très différentes ». (p. 110).

    Retour vers la note de texte 22375

    57

    Émile Durkheim, « Compte rendu de E. Grosse, Les formes de la famille et les formes de l’activité économique », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 113-126.

    Retour vers la note de texte 22376

    58

    Émile Durkheim, « Compte rendu de E. Grosse, Les Formes de la famille et les formes de l’activité économique », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 122.

    Retour vers la note de texte 22377

    59

    L’hypothèse d’une sacralité de la famille pour elle-même, dérivée de son origine dans le clan défini par le partage et la transmission d’un totem est centrale pour comprendre l’histoire de la famille comme régression constante depuis le clan jusqu’à la famille conjugale, comme en témoigne ce passage du même compte rendu : « L’évolution de la famille reprend, à la fois, sa complexité et son unité. Elle est d’une extrême simplicité telle que la conçoit M. Grosse : au début comme à la fin, il trouve également la famille particulière, dirigée par le père et le mari (…) La vérité c’est que, depuis l’origine il (le clan) régresse sans interruption. À mesure qu’il se fixe sur le sol, le totem perd son caractère primitif ; il finit par ne plus devenir qu’un emblème collectif, un nom particulièrement vénéré. Le clan devient le village ; c’est-à-dire que sa nature de société domestique n’est plus guère qu’un souvenir. Ce qui progresse réellement au cours de cette régression, ce sont les familles du type de la Zadruga, soit avec filiation utérine, soit avec filiation agnatique, et que M. Grosse a indument confondues avec le clan ». Cf. Émile Durkheim, « Compte rendu de E. Grosse, Les formes de la famille et les formes de l’activité économique », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p.125.

    Retour vers la note de texte 22378

    60

    Émile Durkheim, « Compte rendu de E. Grosse, Les formes de la famille et les formes de l’activité économique », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 123. Sur cette origine religieuse de la famille, voir par exemple Émile Durkheim, « Compte rendu de M. Kovalevski, L’organisation du clan dans le Daghestan », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 169. Et, plus généralement, Enric Porqueres i Gené, « Religion et parenté dans Les formes élémentaires », Année sociologique, 2012, vol. 62, p. 409-427.

    Retour vers la note de texte 22379

    61

    « Compte rendu de J. Kohler », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 111-112.

    Retour vers la note de texte 22380

    62

    Un tel renversement radical a plus récemment été développé par Marshall Sahlins dans What Kinship Is – And Is Not, Chicago, The University of Chicago Press, 2013, notamment dans son chapitre 2. Il n’est pas dérivé en tant que tel de ces travaux de Durkheim, qui est cependant présenté comme un auteur phare de la distinction entre biologique et social dans la compréhension de la parenté, devenue ensuite centrale pour l’anthropologie de ce domaine (voir notamment p. 16-20). C’est surtout au livre de D. M. Schneider (A Critique of the Study of Kinship, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1984) que la thèse d’une rupture radicale avec le monde biologique dans la compréhension de la parenté a ensuite été associée, quoique celle-ci vise à dissoudre l’idée même de parenté, en entretenant un rapport très ambivalent à un héritage durkheimien mal compris. Sur l’histoire plus générale des débats relatifs à l’anthropologie de la parenté au XXe siècle, on peut se reporter à Maurice Godelier, Métamorphoses de la parenté, Paris, Fayard, 2004.

    Retour vers la note de texte 22381

    63

    « Compte rendu de J. Kohler », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 112. Juste avant ce passage, Durkheim écrit même : « Pour être membre d’une famille, il faut et il suffit qu’on ait en soi quelque chose de l’être totémique, c’est-à-dire de l’objet divinisé qui sert au groupe d’emblème collectif. Mais si cette participation peut résulter de la génération, elle peut être obtenue de bien d’autres manières, par le tatouage, par toutes les formes de la communion alimentaire, de la communion sanglante, etc. De là vient la large pratique de l’adoption dans les sociétés inférieures. »

    Retour vers la note de texte 22382

    64

    L’ambivalence du concept de symbolisme et la dualité qu’on peut y trouver ont été indiquées par Vincent Descombes dans « L’équivoque du symbolique », Revue du Mauss, 2009/2 [1980], n°34, p. 438-466. Seul, à notre connaissance, Bruno Latour, avait identifié l’existence de deux formes de symbolismes distincts dans l’œuvre d’Émile Durkheim, sans cependant cerner exactement la nature de cette seconde forme de symbolisme, que l’on qualifie pour notre part de « symbolisme transfiguratif », puisqu’il y voyait surtout un défaut logique d’une définition du social présentée comme intenable et contradictoire. Cf. Bruno Latour, « Formes élémentaires de la sociologie. Formes avancées de la théologie », Archives de sciences sociales des religions, n°167, 2014, p. 255-277.

    Retour vers la note de texte 22383

    65

    Paul Fauconnet, La Responsabilité, Paris, Puf, 2023 [1920].

    Retour vers la note de texte 22384

    66

    Que ce prolongement tienne au positionnement original que Fauconnet occupe au sein de l’école française de sociologie est rendu clair par l’interprétation qu’adopte Georges Davy de la théorie durkheimienne de la famille, concluant son étude par une explication de l’origine de celle-ci référée à un « rapprochement d’individus » : « La famille résulte donc bien d’un rapprochement d’individus qui dégage une force collective sous la protection de laquelle ces individus vivent ». Cf. « Vues sociologiques sur la famille et la parenté d’après Durkheim », Revue philosophique de la France et de l’Étranger, t.100, 1925, p. 79-117, ici p. 112.

    Retour vers la note de texte 22385

    67

    La part la plus essentielle du projet anthropologique structuraliste fondé par Claude Lévi-Strauss repose sur l’idée selon laquelle Mauss, suivant Durkheim, n’aurait fait « [qu’]élaborer une théorie sociologique du symbolisme, alors qu’il faut évidemment chercher une origine symbolique de la société ». Cf. Claude Lévi-Strauss, « Présentation de l’œuvre de Marcel Mauss » in Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, 2013 [1950] p. XXII. Or une partie décisive de l’œuvre durkheimienne, reprise et radicalisée par Mauss et Fauconnet, est fondée sur l’analyse des logiques propres à la représentation sociale – que le structuralisme avait cru initier – impliquant de poser une autonomie de la signification sociale, représentative, de son substrat matériel, tout en conservant une démarche de socio-histoire à laquelle toute la portée politique de la pratique des sciences sociales demeure suspendue.

    Retour vers la note de texte 22386

    68

    Émile Durkheim, « compte rendu de C.-V. Starcke, La famille dans les différentes sociétés », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 226.

    Retour vers la note de texte 22387

    69

    Paul Fauconnet, Marcel Mauss, « Sociologie », Grande Encyclopédie, 1901, vol. 30, et notamment page 16 où le social est défini comme un « ensemble de représentations » de nature collective, avant de préciser que « les institutions n’existent que dans les représentations que s’en fait la société ».

    Retour vers la note de texte 22388

    70

    Émile Durkheim, « La prohibition de l’inceste et ses origines », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 37-101. À cette occasion il peut par exemple écrire : « Assurément, on ne saurait trop le répéter, tout ce qui est social consiste en représentations. » (p. 100).

    Retour vers la note de texte 22389

    71

    Voir par exemple Émile Durkheim, « Jugements de valeur et jugements de réalité », in Sociologie et Philosophie, Paris, Puf, 2014 [1924], p. 95-115 ; Émile Durkheim, Pragmatisme et sociologie, Paris, Vrin, 2002 [1955].

    Retour vers la note de texte 22390

    72

    Par exemple p. 340 des Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Puf, 2013 [1912]. Sur l’importance décisive de ce concept, à partir duquel toute la théorie durkheimienne peut être relue, nous nous permettons de renvoyer à Sacha Lévy-Bruhl, Par-delà la solidarité. Justice et responsabilité dans la fondation de la sociologie et les transformations de la citoyenneté sociale, thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2023.

    Retour vers la note de texte 22391

    73

    Émile Durkheim, « Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales » (1914), reproduit dans La Science sociale et l’action, Paris, Puf, 1970, p. 316-333.

    Retour vers la note de texte 22392

    74

    À la lecture des premiers manuscrits des Formes élémentaires de la vie religieuse, Paul Fauconnet écrit à Marcel Mauss : « Il t’emprunte ton sujet et, dans quelque mesure, la méthode comparative. C’est une preuve de notre influence ». Lettre de Paul Fauconnet à Marcel Mauss du 9 mai 1908, fonds Mauss-Hubert du Collège de France, 57 CDF 63-12.

    Retour vers la note de texte 22393

    75

    « Qu’un peuple n’ait pas foi dans la science, et toutes les démonstrations scientifiques seront sans influence sur les esprits ». Cf. Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Puf, 2013 [1912], p. 298.

    Retour vers la note de texte 22394

    76

    La problématisation offerte par Durkheim sur la thématique de la famille peut s’énoncer sur un mode proche, par exemple lorsqu’il indique, au sujet du « lien conjugal » : « Quoique rien n’ait plus évolué cependant il ne serait pas malaisé de retrouver sous toutes ces formes un fond identique et commun ». Cf. « Introduction à la sociologie de la famille », reproduit in Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 14.

    Retour vers la note de texte 22395

    77

    L’importance de ce double usage sature les recommandations méthodologiques qui constituent l’essentiel du propos de Durkheim dans son introduction à son cours sur la famille de 1888. Cf. « Introduction à la sociologie de la famille », in Textes 3, Paris, Minuit, 1975.

    Retour vers la note de texte 22396

    78

    Le fait que la famille conjugale puisse également se lire comme une biologisation tardive d’un modèle d’abord théologique l’indique assez. On se reportera en ce sens à ce reproche qu’adresse Durkheim à Westermarck dans le compte rendu critique qu’il livre de sa théorie sur l’origine du mariage : « Ce retour pur et simple à la conception biblique des origines de la famille nous paraît constituer pour la sociologie une véritable et regrettable erreur ». Cf. Textes 3, Paris, Minuit, 1975, p. 90. Nous soulignons. Durkheim écrit également que « tout le système des formalités nuptiales actuellement en vigueur ainsi que notre conception morale du lien conjugale (…) sont dérivés [du droit canon]. » Cf. Émile Durkheim, « Compte rendu de J. Schnitzer, Droit canon concernant le mariage, avec comparaison des lois actuellement en vigueur dans l’Empire allemand, l’Autriche, la Suisse, les pays de Code civil », in Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 179.

    Retour vers la note de texte 22397

    79

    Sur cette ambivalence du rapport à la norme naturelle dans la définition de la famille conjugale moderne, qui tire sa légitimité de ce rapprochement tout en s’en séparant radicalement par son statut d’institution morale, voir Irène Théry, Mariage et filiation pour tous. Une métamorphose inachevée, Paris, Seuil, 2016, p. 60.

    Retour vers la note de texte 22398

    80

    Sur la difficulté qu’éprouve Fauconnet à dénaturaliser la figure du sujet, à laquelle il ne parvient que dans les ultimes pages de sa démonstration, nous nous permettons de renvoyer au chapitre IX de son ouvrage ainsi qu’aux notes explicatives que nous lui avons adjointes, aux pages 501 à 510 de La Responsabilité, Paris, Puf, 2023 [1920].

    Retour vers la note de texte 22399

    81

    Notamment « Le divorce par consentement mutuel » (1906) et « Débat sur le mariage et le divorce » (1909) reproduits dans Textes 2, Paris, Minuit, 1975.

    Retour vers la note de texte 22400

    82

    Une telle lecture est notamment présente dans Roland Pfefferkorn, « Émile Durkheim et l’unité organique de la société conjuguale », in D. Chabaud-Rychter, V. Descoutures, E. Varikas et A. Devreux, Sous les sciences sociales, le genre : Relectures critiques, de Max Weber à Bruno Latour, Paris, La Découverte, 2021, p. 40-51. Pour une lecture plus originale de la position durkheimienne sur ce thème, voir Julia Christ, « Durkheim et le débat sur le divorce par consentement mutuel. Pour une libération conjointe des hommes et des femmes », Archives de philosophie, vol. °85, n.°4, 2022, p. 125-146.

    Retour vers la note de texte 22401

    83

    Émile Durkheim, « Débat sur l’éducation sexuelle », reproduit dans Textes 2, Paris, Minuit, 1975, p. 241-251.

    Retour vers la note de texte 22402

    84

    Hypothèse que les durkheimiens empruntent à Franck Byron Jevons, An Introduction to the History of Religion, Londres, Methuen & Co,1896.

    Retour vers la note de texte 22403

    85

    Pour une socio-histoire du consentement, on se reportera à Irène Théry, Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle, Paris, Seuil, 2022.

    Retour vers la note de texte 22404

    86

    Sur le mariage comme choix de conscience, voir Irène Théry, Le Démariage. Justice et vie privée, Paris, Odile Jacob, 1993.

    Retour vers la note de texte 22405

    87

    Irène Théry, Mariage et filiation pour tous. Une métamorphose inachevée, Paris, Seuil, 2016, p. 74.

    Retour vers la note de texte 22406

    88

    Cette double évolution était déjà présente dans l’œuvre de Durkheim qui insistait parfois sur la recomposition de la famille autour du couple (Émile Durkheim, « Débat sur le mariage et le divorce » (1909), reproduit dans Textes 2, Paris, Minuit, 1975, p. 211), ou autour des enfants produits par l’union conjugale (Émile Durkheim, Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 240).

    Retour vers la note de texte 22407

    89

    Sur ces évolutions contemporaines de la relation conjugale, voir Eva Illouz, Pourquoi l’amour fait mal ?, Paris, Seuil, 2012, notamment p. 440-444.

    Retour vers la note de texte 22408

    90

    Irene Théry décrit quelque chose de similaire lorsqu’elle affirme qu’à mesure que l’indissolubilité du mariage s’est affaibli, le cœur de la famille s’est recomposé autour du lien de filiation. Cf. Mariage et filiation pour tous. Une métamorphose inachevée, Paris, Seuil, 2016, p. 74.

    Retour vers la note de texte 22409

    91

    Irène Théry, Anne-Marie Leroyer, « Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle », 2014.

    Retour vers la note de texte 22410

    92

    Martine Grosse, « Ouvrir l’accès à l’AMP pour les couples de femmes ? », in Irène Théry (dir.), Mariage de même sexe et filiation, Paris, Éditions de l’EHESS, 2013, p. 108.

    Retour vers la note de texte 22411

    93

    Cas Wouters, Bruno Poncharal (trad.), « Comment les processus de civilisation se sont-ils prolongés ? De la “seconde nature” à la “troisième nature” », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2010, n° 106, p. 161-175. https://doi.org/10.3917/vin.106.0161

    Retour vers la note de texte 22412

    94

    Sur l’émergence d’un individu défini par sa volonté naturalisée à mobiliser face à toute épreuve de l’existence, dépassant la formule classique de l’individu moderne que l’on retrouve au commencement d’une chaîne causale, voir Nicolas Marquis, Du bien-être au marché du malaise. La société du développement personnel, Paris, Puf, 2014, p. 187.

    Retour vers la note de texte 22413

    95

    Sur la place de ce dualisme subjectiviste dans le cadre épistémologique des gender studies, marqué par une forme de naturalisation de l’individu comme sujet volontaire, voir Irène Théry, Mariage et filiation pour tous. Une métamorphose inachevée, Paris, Seuil, 2016, p. 26-29.

    Retour vers la note de texte 22414

    96

    Sur l’usage que l’on peut faire de l’analyse durkheimienne de la famille pour aborder des questions politiques plus générales, et notamment celle de la justice, voir également Mélanie Plouviez, L’injustice en héritage. Repenser la transmission du patrimoine, Paris, La Découverte, 2025, p. 255-292.

    Retour vers la note de texte 22415

    97

    Une remarque de Durkheim suggère un tel récit. À propos de l’interdiction de la recherche en paternité affirmée par le code civil napoléonien, il écrit : « On dit que la recherche de la paternité troublerait l’ordre domestique. Mais d’où vient que cette crainte ait pris naissance à la fin du siècle dernier et qu’elle ait été ignorée des XVe, XVIe, et XVIIe siècles ? Ne serait-ce pas que la famille ait apparu alors au législateur comme quelque chose de plus intangible que par le passé ? En effet, on s’explique aisément qu’au milieu de l’ébranlement général de tant d’institutions, celles qui substituaient aient pris plus de prestige ; que la ruine des autres les ait fait paraître plus respectables et qu’on ait été ainsi conduit à proscrire tout ce qui pouvait diminuer leur autorité (…) C’est depuis la Révolution qu’on en fait une chose sainte, une des bases de l’ordre social ; dès lors, on comprend que tout ce qui pouvait en altérer la pureté, en compromettre la sureté, ait apparu comme intolérable et ait été interdit, fût-ce au prix de souffrances individuelles ». Cf. Émile Durkheim, « Compte rendu de Félix Dupré La Tour, De la recherche de la paternité en droit comparé, et principalement en Suisse, en Angleterre et en Allemagne », reproduit dans Journal sociologique, Paris, Puf, 1969, p. 378.

    Retour vers la note de texte 22416

    98

    Irène Théry décrit également cette situation paradoxale faisant de la famille conjugale « l’atome originel de toute socialité humaine » et faisant du mariage « la seule institution “naturelle”, car ancrée dans la nature humaine elle-même ». Cf. Mariage et filiation pour tous. Une métamorphose inachevée, Paris, Seuil, 2016, p. 59-60.

    Retour vers la note de texte 22417

    99

    On doit à Mathurin Schweyer de nous avoir fait saisir l’importance d’une définition de la famille comme « représentation de relations » pour poser les définitions consanguine et sentimentale de la famille comme deux formes symétriques de la confusion propre aux sociétés individualistes. Pour une véritable théorie socio-historique de la famille moderne, on renvoie par ailleurs à sa thèse de doctorat en cours de finalisation.

    Retour vers la note de texte 22418

    100

    C’est surtout autour de la question sociale, et donc de la hiérarchie de classes, que la forme subjective de l’individualisme, structurée autour d’une expression méritocratique du besoin de justice moderne, conduit à de graves pathologies. Cf. Sacha Lévy-Bruhl, Le Grand renversement de l’État social, Paris, Puf, 2025. Contrairement au cas des relations sexuées, la sortie d’une hiérarchie traditionnelle de castes ayant déjà été réalisée sous l’effet de la première poussée d’individualisation libérale, sa naturalisation subjectiviste apparaît d’emblée sous sa forme contradictoire.

    Retour vers la note de texte 22419

    101

    Irène Théry, Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle, Paris, Seuil, 2022, notamment p. 351-353.

    Pour citer cette publication

    Lévy-Bruhl, Sacha (dir.), « Institution familiale et pensée sociologique », Politika, mis en ligne le 05/12/2025, consulté le 08/12/2025 ;

    URL : https://www.politika.io/en/node/1636