En débat : un musée du fascisme à Predappio ?
Predappio - Casa del fascio

La « Casa del fascio » à Predappio, ancien siège du Parti national fasciste

Predappio, une commune d’Émilie-Romagne de 6 500 habitants, abrite la maison natale de Mussolini et la crypte de sa famille, dans le cimetière de San Cassiano, ornée d’un célèbre buste du Duce. La plaque, située à l’entrée de la crypte, indique :

« Je serais très naïf si je demandais à être laissé en paix après la mort. Autour des tombes des chefs de ces changements majeurs que l’on appelle révolutions, il ne peut y avoir de paix ; mais tout ce qui a été fait ne peut pas être effacé. Pendant que mon esprit, maintenant libéré de la matière, vivra – après la petite vie terrestre – la vie éternelle et universelle de Dieu. Je n’ai qu’un seul souhait, celui d’être enterré à côté de mes parents, dans le cimetière de San Cassiano. »

Benito Mussolini

Mussolini fut arrêté, en compagnie de sa maîtresse Claretta Petacci, dans la localité de Giulino di Mezzegra sur le lac de Côme, par un groupe de partisans, tandis qu’ils tentaient de fuir. Ils furent exécutés le 28 avril 1945. Le lendemain, leurs corps furent exposés sur l’esplanade Loreto à Milan, où, l’année précédente, quinze partisans avaient été fusillés en représailles d’un attentat contre les Allemands. Le corps du Duce fut inhumé dans une fosse commune du cimetière de Musocco, près de Milan. Dans la nuit du 22 avril 1946, il fut volé par des nostalgiques fascistes et enterré dans le sous-sol du couvent de Sant’Angelo, suscitant des rumeurs contradictoires : les uns affirmaient que Mussolini était toujours vivant, les autres qu’ils connaissaient le lieu de sa dernière demeure. Une fois les ravisseurs arrêtés et la dépouille récupérée, les autorités de la République italienne décidèrent de remettre les restes du corps dans le plus grand secret entre les mains des capucins du couvent de Cerro Maggiore, qui les gardèrent dans une armoire pendant onze ans. Le 31 août 1957, elles autorisèrent l’ensevelissement de la dépouille dans le cimetière de San Cassiano.

   Depuis, environ 50 000 personnes par an se rendent à Predappio pour rendre hommage au fondateur du fascisme, surtout lors d’anniversaires tels que ceux de sa naissance (29 juillet 1883) et de sa mort  (28 avril 1945) ou de la Marche sur Rome (28 octobre 1922). Le « pèlerinage » a encouragé la commercialisation d’un véritable attirail d’objets, souvenirs et symboles du fascisme : matraques, bouteilles d’huile de ricin, faisceaux, aigles, croix celtiques, mais aussi tee-shirts sérigraphiés « I love Duce », tasses et verres, briquets, porte-clés, calendriers, bouteilles de vins à la mémoire de Mussolini (« Nero di Predappio, Eia Eja Alala », « Vino del camerata », « L’Italia agli Italiani », etc.). La mairie, administrée par la gauche depuis 1945, peine à faire face à ces « touristes », dont la présence contribue à enrichir l’économie locale. En 1984, afin d’éradiquer la vente à la sauvette, elle a décidé d’autoriser la création de trois boutiques de souvenirs. Récemment, le maire Giorgio Frassinetti, du Parti démocratique, a proposé d’installer d’ici à 2019 un musée du fascisme. Il devrait être emménagé au sein de l’ancien siège du parti national fasciste (casa del fascio), à l’abandon depuis une vingtaine d’années, un bâtiment de 2 400 m², surplombé par une tour de 40 mètres. En s’inspirant de l’exemple du centre de documentation sur le nazisme ouvert en 2015 à Munich, le maire vise à transformer le tourisme de propagande en un tourisme de connaissance : « La culture et la recherche historique semblent en effet l’unique solution pour ne pas laisser Predappio s’enfermer dans une image de lieu symbole du fascisme ». En 2016, le gouvernement de Matteo Renzi a exprimé son intérêt pour le projet et a promis de verser une partie des fonds.

   Ce projet a suscité des prises de position très diverses, voire des polémiques, concernant la possibilité d’une mémoire partagée du fascisme, un éventuel musée ainsi que  sur les critères muséographiques et historiographiques qu’il impliquerait. Passés Futurs, inaugurant ainsi sa rubrique « Débats », destinée à accueillir des avis différents sur des « affaires » qui ont mobilisé ou mobilisent actuellement les opinions publiques sur des objets liés au passé, a demandé à deux historiens italiens – Marcello Flores et Giulia Albanese – ainsi qu’à un historien argentin – Fernando Devoto – de s’exprimer sur le sujet.